Archives de catégorie : URGENCE

Contraception d’urgence pour (presque) toutes !

La majorité des femmes en âge d’avoir des enfants a besoin d’avoir chez elle une ou deux boites de contraceptif d’urgence, ou contraceptif « des jours suivants ».Pourtant, lorsque je leur propose, beaucoup sont étonnées. Quelques explications s’imposent… La contraception « des jours suivants » est généralement appelée « pilule du lendemain » dans les journaux. Je n’aime pas cette appellation, … Lire la suite Continuer la lecture

Publié dans Anti-acide, anti-histaminique, Antiacide, Antihistaminique, Contraceptif estro-progestatif, Contraceptif estroprogestatif, Contraceptif oestro-progestatif, Contraceptif oestroprogestatif, Contraceptif progestatif, CONTRACEPTION, Contraception d'urgence, dispositif intra utérin, DIU, Ellaone, Inhibiteur de la pompe à protons, IPP, lévonorgestrel, Levosolo, Levunique, médicaments, Norlevo, Pilule des jours suivants, Pilule du lendemain, préservatif, STERILET, Ulipristal, URGENCE | Commentaires fermés sur Contraception d’urgence pour (presque) toutes !

Rascal

Premier jour

Dire que je suis dépité serait bien en dessous de la réalité.
J’ai réussi à stabiliser le chiot : retrouvé dans un fossé par sa maîtresse, il est arrivée ici choqué, en détresse respiratoire, mais encore assez conscient pour hurler s… Continuer la lecture

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Des mains et un licol

Tôt ce matin, une voiture a heurté une jument. Je l’avais vaccinée la semaine dernière. C’est un client qui, passant par là peu après l’accident, m’a appelé. Il avait aussi appelé les gendarmes et les pompiers. Elle était blessée, dans le fossé.
Lo… Continuer la lecture

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Des mondes : le poulinage

Chapitre 1 : le poulinage

Je profite de la trentaine de minutes qui séparent le moment où je dépose mes enfants à l’école de celui où la clinique ouvre ses portes. Une respiration avant la ruée, pour réveiller les ordinateurs et les analyseurs, p… Continuer la lecture

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Réglementation du port de charges

Les articles R. 4541-1 à R. 4541-9 du code du travail, des normes AFNOR et le décret n° 92-958 du 3 septembre 1992 définissent la limite acceptable de port de charge en fonction de l’âge, du sexe du salarié, de la distance à parcourir et des caractéris… Continuer la lecture

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Ce dont j’avais besoin

C’était la dernière chose dont j’avais besoin. Au volant de mon monospace, je regarde les platanes sans les voir, je file le long des routes, je file… la journée a été éprouvante. Une charge de travail normale, jusqu’à ce que mon associé se retrouv… Continuer la lecture

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Repriser les chaussettes

Le bras dans la vache, l’aiguille dans la main, je regarde, devant elle, l’ancienne porte qui menait de l’étable à la maison. Les trois marches que l’on retrouve toujours, parce que la chaleur monte, et qu’on voulait, je suppose, que la saleté rest… Continuer la lecture

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Immobilisation en préhospitalier : un super billet de blog qui pose beaucoup de questions.

Brancard articuléJe lis par hasard et avec retard un billet de novembre 2017 (ICI) sur le site La Mine (LA) (1) qui est intitulé « L’immobilisation en pré-hospitalier : il est temps de tout changer » et je m’interroge.Je m’interroge tristement car ce bil… Continuer la lecture

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Un jour de repos

J’ai mal au crâne. Un genre de coton autour des yeux. Probablement une petite insolation. Allongé dans mon lit, j’erre sur les réseaux sociaux. Nous sommes samedi, il est 22h, mon astreinte a démarré depuis 3 heures, à la fermeture de la clinique. … Continuer la lecture

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Travailler en période de canicule ou par chaleur extrême

Certaines personnes qui travaillent sont plus exposées que d’autres aux risques liés aux fortes chaleurs. Afin de limiter les accidents du travail liés à de telles conditions climatiques, des mesures simples, pour assurer la sécurité et protéger … Continuer la lecture

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Dogme de la précocité

L’image de la médecine et de la chirurgie s’est historiquement façonnée dans des contextes d’urgence.  Blessures de guerre, septicémies, occlusions intestinales, comas diabétiques et insuffisances rénales constituaient le quotidien des médecins. L’efficacité médicale sur ces pathologies est restée médiocre jusqu’au … Continuer la lecture Continuer la lecture

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Trop vite

Il est presque 14 heures. Un dimanche de garde comme les autres, entre averses – quand je suis dans les prés – et trop timides rayons de soleil – quand je suis dedans. Le téléphone sonne, encore. Je sors à peine de table. Je suis d’astreinte et j’en ai… Continuer la lecture

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Dialyse et sans papiers, comment les prendre en charge?

La prise en charge en hémodialyse des personnes sans papiers est un véritable sujet. Comme tous les pays, les USA rencontrent ce problème. Il y a soit la possibilité de traiter ses patients comme les autres (3 séances par semaine) … Continuer la lecture Continuer la lecture

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LOSLAFA (8) : Simple

La paresse est un bien vilain défaut ; néanmoins après l’épisode précédent, le CHU avait décidé de m’allouer quelques jours de repos LOIN de l’hôpital. Désormais surnommée «Doc Adré, First of her name, Queen of the Aortas», j’ai passé une … Lire la suite Continuer la lecture

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LOSLAFA (7) : There will be blood

«Du sang !!!» Du sang. Il y en a partout. La scène est apocalyptique. Du sang. Transfuser le patient. Vite. ««««««« Rewind. Il est 18h et des brouettes. Les équipes médicales sont en pleines transmissions. L’ensemble des soignants du service … Lire la suite Continuer la lecture

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LOSLAFA (6) : Le pire n’est jamais décevant

C’est une belle & calme journée aux Urgences. La salle d’attente du secteur froid explose, le couloir du secteur tiède ne suffit plus à contenir la saturation des box, bref c’est la merde. Le secteur chaud n’est pas en reste. … Lire la suite Continuer la lecture

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Spumeuse

C’est le deuxième appel de la matinée. Je suis déjà en train de perfuser un veau au milieu des champs, en priant pour qu’il ne gueule pas vu que le troupeau entier nous entoure et que nous ne sommes protégés que par de minces fils de fer. Je décroche mon téléphone en posant mon genou sur l’encolure du veau pour le maintenir au sol tandis que l’éleveur, debout, tient la poche de perfusion en surveillant les vaches. Je discute un peu avec l’éleveur qui m’appelle. Il va falloir que j’y aille. Une fois que j’en aurais fini ici.

Une demi-heure plus tard, je gare ma voiture à l’ombre de l’avancée de toit du hangar, devant la rangée de cornadis. Mon chien, que je trimbale avec moi aujourd’hui, appréciera de ne ps rester au soleil… Les vaches sont dans les champs, sauf une. M. Louge, l »éleveur n’est nulle part, mais je n’ai pas besoin de lui pour identifier ma patiente. La blonde me regarde, immobile, tétanisée, son ventre enflé donne l’impression d’être prêt à exploser. Sa respiration est hachée, mais pas catastrophique. Elle oxygène bien. Je m’approche doucement de ses 500kg, et donne une tape appréciatrice sur la panse qui distend démesurément ce qui devrait être le creux de son flanc, à gauche. M. Louge arrive, flanqué de ses deux corniauds. Rouge de sueur.

– Je finissais de réparer les clôtures, désolé ! Ces abruties ont tout cassé et sont allées dans la luzerne, hier. Je les ai surveillées, elles vont toutes bien, sauf elle. Elle météorise ?

Elle météorise, oui. La panse est un réservoir gastrique d’une bonne centaine de litres, un mélange de ce que la vache avale – de l’herbe et beaucoup de salive – et du produit de sa rumination : ce qu’elle se renvoie dans la bouche pour le mâcher et le remâcher. Du liquide, des fibres, et des milliards de bactéries et de protozoaires, qui tournent en permanence dans cette énorme lessiveuse. Mais la machine est bloquée : parce qu’elle a abusé d’un aliment, la chimie de la panse s’est détraquée. D’abord, de la fermentation. Et à cause de la luzerne, très probablement, une mousse très dense. La luzerne contient des molécules qui favorisent l’apparition de cette mousse qui remplit tout et bouche le système en le distendant.

J’écoute le cœur. Impeccable. Température : normale. Je passe un long tuyau par sa bouche, direction la panse. Deux mètres de tuyau qui filent et s’enroulent là dedans, mais rien ne sort. Un argument de plus pour la mousse. Je saisis une grande aiguille, que je plante dans son flanc distendu en évitant son coup de pied vengeur. Le gaz s’échappe sous pression. Météorisation gazeuse, météorisation spumeuse… la première est de meilleur pronostic que la seconde, et là j’ai du gaz. Mais toutes les raisons du monde de penser qu’il y a de la mousse… De toute façon, il y a souvent les deux. Il faut relâcher la pression, rien n’ira bien, sinon. Je décide d’anesthésier un peu le flanc bombé. Un coup de scalpel, puis j’enfonce un trocart. Un genre de grosse vis creuse, qui va aller dans la panse et grâce à son énorme pas de vis, plaquer la paroi de la panse contre le péritoine, la membrane interne de la cavité abdominale, afin que les fluides souillés ne coulent pas (trop) dans le ventre. La manœuvre fonctionne, mais je suis déçu. Peu de gaz. Et toujours pas de mousse.

Je m’assieds sur le béton, contre le cornadis, pour observer un peu. La stabulation vide, avec le vieux fumier, très sec, qui attend d’être curé. Les deux corniauds, mélanges indéfinissables de chiens de chasse et de berger, qui halètent dans un coin, à l’ombre. Les mouches, par centaines. L’odeur un peu piquante du fumier sec et du bétail. M. Louge et son marcel, qui râle sur la météo, son tracteur, et les emmerdes qu’il a avec ses vaches. Je ne l’écoute pas vraiment, je me demande…

– Il y a une décision à prendre, là. Le tuyau et le trocart sont décevants. Ils ne suffisent pas. On vide du gaz, oui, mais pas assez. Sa panse ne peut pas se remettre à fonctionner avec une pression interne pareille. Elle risque de continuer à gonfler, puis de mourir. Assez vite. Bien sûr, je pourrais balancer tout un tas de produits dans le rumen avec le tuyau et une pompe. De quoi aider un peu la panse et calmer la formation d’acides. Mais… la mousse que j’imagine là-dedans, il est presque impossible de la détruire. Alors le reste ne servira pas à grand chose. On pourrait… Ouvrir. J’ouvre le ventre, comme pour une césarienne, je suture la panse au cuir, je l’incise sur dix centimètres et la saleté là-dedans s’évacue dehors sans se vider dans le ventre.

Il ouvre de grands yeux.

– Vous suturez avant, c’est pour que la merde ne coule pas dedans, c’est ça ?
– C’est ça. Enfin c’est la théorie.
– Et après ?
– Après on laisse ouvert.

Il me regarde, incrédule.

– Ça se referme comment ?
– Tout seul, en plusieurs semaines, voire mois. La dernière que j’ai faite a mis trois mois à se refermer. Mais elle va bien.
– Mais comment elle fonctionne, la panse, si ça reste ouvert ?
– Elle déborde. Mais pas tant que ça. Le contenu est semi-pâteux, et j’ouvre sur le haut. Ça marche. Et sur le court terme, surtout, ça évacue la pression et ça l’empêche de remonter. Je ne garantis pas qu’elle s’en sorte, il y a un risque non négligeable de péritonite. Mais si c’est bien comme je pense, là-dedans, c’est la seule chose à faire.
– Si vous en êtes sûr…

Sa voix traîne, et non, je n’en suis pas sûr. Mais c’est la seule chose logique à faire, en l’état. Donc… on va y aller.

Alors je vais chercher ma boîte à césarienne, j’injecte un antibiotique, puis j’anesthésie le cuir et les muscles. Je désinfecte et je rase le poil du flanc, là où j’avais planté mon trocart. Je désinfecte à nouveau, et j’incise. La peau s’ouvre, puis ce sont les muscles qui s’écartent comme par magie devant ma lame. Tout au fond, la fine membrane du péritoine, et derrière, la panse qui bouge au gré de ses infructueuses contractions. J’incise le péritoine, puis je saisis la panse avec une très grosse pince, pour me faire un repère. Elle a beau ne pas fonctionner correctement, elle oscille de bien 8 cm vers l’avant de ma plaie. Ça ne va pas être pratique. Je pose un premier fil qui prend la panse, le péritoine et le cuir, et je noue. J’attends. Elle repart vers l’avant lors de la contraction suivante, déchirant la paroi de la panse là où j’avais passé mon fil.

M. Louge me pose des questions, hésitant. Je lui explique comment les choses fonctionnent, là-dedans. Un peu amer, et circonspect, il m’explique ne pas avoir fait l’école. Moi j’ai fait l’école, mais je n’ai compris que quand j’ai vu.

En tout cas, je ne vais encore pas pouvoir faire comme dans les cours. Le rumen est beaucoup trop tendu, c’est comme d’essayer d’attraper la paroi d’un ballon de baudruche surgonflé. Il faut le dégonfler pour y arriver.
Je perce la panse, y enfonce ma pince pour la saisir très largement. Le gaz et la mousse – il y avait bien de la mousse, je le savais – bloblopent un peu et souillent ma plaie, mais l’incision est trop petite pour que ce soit dangereux. Cette fois,je traverse tout en faisant une boucle à l’intérieur de la panse, et je fixe au muscle, qui suivra mieux le mouvement que le cuir. Ça tient. Un point de plus, juste au dessus. Un autre. Tout le côté gauche de ma plaie est fixé. Et maintenant… j’incise la panse, pour vider le gaz, lâcher la pression, ce qui me permettra de mieux prendre la paroi de la panse du côté droit. Il y a du jus de rumen qui coule dans les muscles, je rince, je désinfecte, même si ça ne sert à rien. Je peux passer un doigt dans la panse, j’en profite pour guider une aiguille et plaquer la panse contre le péritoine sur le bas de mon ouverture, pour éviter les souillures maintenant que la pression ne plaque plus tout partout. J’ouvre plus grand. Dix centimètres. La voilà, la mousse ! Elle jaillit de la panse sous pression, elle proufe et elle blote, elle jaillit au fil des contractions, se déverse au sol où elle s’accumule en une montagne verdâtre à l’odeur indéfinissable, douceâtre, ni agréable ni désagréable. Une mousse qui serait parfaite pour le bain, si ce n’était l’odeur. Je plonge la main dans la cavité, j’en retire de longs brins d’herbe et de foin, permettant à nouveau à la mousse de s’évacuer. Au sol, maintenant, il y a un amas qui remplirait une brouette. M. Louge, qui me parlait de sa copine qui venait de le larguer, de son tracteur cassé – 10 000 € de réparations – de sa vache morte en début de semaine et de ses deux avortements de la semaine dernière, ne dit plus rien.
Moi, je me demande comment il fait pour tenir quand la poisse s’acharne comme ça.

Maintenant que la pression va me permettre de travailler, je reprends mes bords de plaie. Suturer la panse au cuir, de tous les côtés, pour laisser une belle ouverture qui ne permettra pas aux jus souillés de pourrir l’abdomen. C’est long, et fastidieux. Ce n’est toujours pas comme c’est censé être, ça ne l’est jamais. En chirurgie, surtout bovine, rien ne se passe comme dans les bouquins, de toute façon.

Et c’est très bien comme ça.

La vache, elle, s’est remise à ruminer.

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Spumeuse

C’est le deuxième appel de la matinée. Je suis déjà en train de perfuser un veau au milieu des champs, en priant pour qu’il ne gueule pas vu que le troupeau entier nous entoure et que nous ne sommes protégés que par de minces fils de fer. Je décroche mon téléphone en posant mon genou sur l’encolure du veau pour le maintenir au sol tandis que l’éleveur, debout, tient la poche de perfusion en surveillant les vaches. Je discute un peu avec l’éleveur qui m’appelle. Il va falloir que j’y aille. Une fois que j’en aurais fini ici.

Une demi-heure plus tard, je gare ma voiture à l’ombre de l’avancée de toit du hangar, devant la rangée de cornadis. Mon chien, que je trimbale avec moi aujourd’hui, appréciera de ne ps rester au soleil… Les vaches sont dans les champs, sauf une. M. Louge, l »éleveur n’est nulle part, mais je n’ai pas besoin de lui pour identifier ma patiente. La blonde me regarde, immobile, tétanisée, son ventre enflé donne l’impression d’être prêt à exploser. Sa respiration est hachée, mais pas catastrophique. Elle oxygène bien. Je m’approche doucement de ses 500kg, et donne une tape appréciatrice sur la panse qui distend démesurément ce qui devrait être le creux de son flanc, à gauche. M. Louge arrive, flanqué de ses deux corniauds. Rouge de sueur.

– Je finissais de réparer les clôtures, désolé ! Ces abruties ont tout cassé et sont allées dans la luzerne, hier. Je les ai surveillées, elles vont toutes bien, sauf elle. Elle météorise ?

Elle météorise, oui. La panse est un réservoir gastrique d’une bonne centaine de litres, un mélange de ce que la vache avale – de l’herbe et beaucoup de salive – et du produit de sa rumination : ce qu’elle se renvoie dans la bouche pour le mâcher et le remâcher. Du liquide, des fibres, et des milliards de bactéries et de protozoaires, qui tournent en permanence dans cette énorme lessiveuse. Mais la machine est bloquée : parce qu’elle a abusé d’un aliment, la chimie de la panse s’est détraquée. D’abord, de la fermentation. Et à cause de la luzerne, très probablement, une mousse très dense. La luzerne contient des molécules qui favorisent l’apparition de cette mousse qui remplit tout et bouche le système en le distendant.

J’écoute le cœur. Impeccable. Température : normale. Je passe un long tuyau par sa bouche, direction la panse. Deux mètres de tuyau qui filent et s’enroulent là dedans, mais rien ne sort. Un argument de plus pour la mousse. Je saisis une grande aiguille, que je plante dans son flanc distendu en évitant son coup de pied vengeur. Le gaz s’échappe sous pression. Météorisation gazeuse, météorisation spumeuse… la première est de meilleur pronostic que la seconde, et là j’ai du gaz. Mais toutes les raisons du monde de penser qu’il y a de la mousse… De toute façon, il y a souvent les deux. Il faut relâcher la pression, rien n’ira bien, sinon. Je décide d’anesthésier un peu le flanc bombé. Un coup de scalpel, puis j’enfonce un trocart. Un genre de grosse vis creuse, qui va aller dans la panse et grâce à son énorme pas de vis, plaquer la paroi de la panse contre le péritoine, la membrane interne de la cavité abdominale, afin que les fluides souillés ne coulent pas (trop) dans le ventre. La manœuvre fonctionne, mais je suis déçu. Peu de gaz. Et toujours pas de mousse.

Je m’assieds sur le béton, contre le cornadis, pour observer un peu. La stabulation vide, avec le vieux fumier, très sec, qui attend d’être curé. Les deux corniauds, mélanges indéfinissables de chiens de chasse et de berger, qui halètent dans un coin, à l’ombre. Les mouches, par centaines. L’odeur un peu piquante du fumier sec et du bétail. M. Louge et son marcel, qui râle sur la météo, son tracteur, et les emmerdes qu’il a avec ses vaches. Je ne l’écoute pas vraiment, je me demande…

– Il y a une décision à prendre, là. Le tuyau et le trocart sont décevants. Ils ne suffisent pas. On vide du gaz, oui, mais pas assez. Sa panse ne peut pas se remettre à fonctionner avec une pression interne pareille. Elle risque de continuer à gonfler, puis de mourir. Assez vite. Bien sûr, je pourrais balancer tout un tas de produits dans le rumen avec le tuyau et une pompe. De quoi aider un peu la panse et calmer la formation d’acides. Mais… la mousse que j’imagine là-dedans, il est presque impossible de la détruire. Alors le reste ne servira pas à grand chose. On pourrait… Ouvrir. J’ouvre le ventre, comme pour une césarienne, je suture la panse au cuir, je l’incise sur dix centimètres et la saleté là-dedans s’évacue dehors sans se vider dans le ventre.

Il ouvre de grands yeux.

– Vous suturez avant, c’est pour que la merde ne coule pas dedans, c’est ça ?
– C’est ça. Enfin c’est la théorie.
– Et après ?
– Après on laisse ouvert.

Il me regarde, incrédule.

– Ça se referme comment ?
– Tout seul, en plusieurs semaines, voire mois. La dernière que j’ai faite a mis trois mois à se refermer. Mais elle va bien.
– Mais comment elle fonctionne, la panse, si ça reste ouvert ?
– Elle déborde. Mais pas tant que ça. Le contenu est semi-pâteux, et j’ouvre sur le haut. Ça marche. Et sur le court terme, surtout, ça évacue la pression et ça l’empêche de remonter. Je ne garantis pas qu’elle s’en sorte, il y a un risque non négligeable de péritonite. Mais si c’est bien comme je pense, là-dedans, c’est la seule chose à faire.
– Si vous en êtes sûr…

Sa voix traîne, et non, je n’en suis pas sûr. Mais c’est la seule chose logique à faire, en l’état. Donc… on va y aller.

Alors je vais chercher ma boîte à césarienne, j’injecte un antibiotique, puis j’anesthésie le cuir et les muscles. Je désinfecte et je rase le poil du flanc, là où j’avais planté mon trocart. Je désinfecte à nouveau, et j’incise. La peau s’ouvre, puis ce sont les muscles qui s’écartent comme par magie devant ma lame. Tout au fond, la fine membrane du péritoine, et derrière, la panse qui bouge au gré de ses infructueuses contractions. J’incise le péritoine, puis je saisis la panse avec une très grosse pince, pour me faire un repère. Elle a beau ne pas fonctionner correctement, elle oscille de bien 8 cm vers l’avant de ma plaie. Ça ne va pas être pratique. Je pose un premier fil qui prend la panse, le péritoine et le cuir, et je noue. J’attends. Elle repart vers l’avant lors de la contraction suivante, déchirant la paroi de la panse là où j’avais passé mon fil.

M. Louge me pose des questions, hésitant. Je lui explique comment les choses fonctionnent, là-dedans. Un peu amer, et circonspect, il m’explique ne pas avoir fait l’école. Moi j’ai fait l’école, mais je n’ai compris que quand j’ai vu.

En tout cas, je ne vais encore pas pouvoir faire comme dans les cours. Le rumen est beaucoup trop tendu, c’est comme d’essayer d’attraper la paroi d’un ballon de baudruche surgonflé. Il faut le dégonfler pour y arriver.
Je perce la panse, y enfonce ma pince pour la saisir très largement. Le gaz et la mousse – il y avait bien de la mousse, je le savais – bloblopent un peu et souillent ma plaie, mais l’incision est trop petite pour que ce soit dangereux. Cette fois,je traverse tout en faisant une boucle à l’intérieur de la panse, et je fixe au muscle, qui suivra mieux le mouvement que le cuir. Ça tient. Un point de plus, juste au dessus. Un autre. Tout le côté gauche de ma plaie est fixé. Et maintenant… j’incise la panse, pour vider le gaz, lâcher la pression, ce qui me permettra de mieux prendre la paroi de la panse du côté droit. Il y a du jus de rumen qui coule dans les muscles, je rince, je désinfecte, même si ça ne sert à rien. Je peux passer un doigt dans la panse, j’en profite pour guider une aiguille et plaquer la panse contre le péritoine sur le bas de mon ouverture, pour éviter les souillures maintenant que la pression ne plaque plus tout partout. J’ouvre plus grand. Dix centimètres. La voilà, la mousse ! Elle jaillit de la panse sous pression, elle proufe et elle blote, elle jaillit au fil des contractions, se déverse au sol où elle s’accumule en une montagne verdâtre à l’odeur indéfinissable, douceâtre, ni agréable ni désagréable. Une mousse qui serait parfaite pour le bain, si ce n’était l’odeur. Je plonge la main dans la cavité, j’en retire de longs brins d’herbe et de foin, permettant à nouveau à la mousse de s’évacuer. Au sol, maintenant, il y a un amas qui remplirait une brouette. M. Louge, qui me parlait de sa copine qui venait de le larguer, de son tracteur cassé – 10 000 € de réparations – de sa vache morte en début de semaine et de ses deux avortements de la semaine dernière, ne dit plus rien.
Moi, je me demande comment il fait pour tenir quand la poisse s’acharne comme ça.

Maintenant que la pression va me permettre de travailler, je reprends mes bords de plaie. Suturer la panse au cuir, de tous les côtés, pour laisser une belle ouverture qui ne permettra pas aux jus souillés de pourrir l’abdomen. C’est long, et fastidieux. Ce n’est toujours pas comme c’est censé être, ça ne l’est jamais. En chirurgie, surtout bovine, rien ne se passe comme dans les bouquins, de toute façon.

Et c’est très bien comme ça.

La vache, elle, s’est remise à ruminer.

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LOSLAFA (3)

Preuve supplémentaire que les housses de couettes sont des êtres fourbes, il a fallu que j’étende le linge avant de pouvoir me caler à l’ordi pour bloguer. 7h55. L’heure d’aller voler un café délivré par la machine d’un autre secteur … Lire la suite Continuer la lecture

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Des erreurs et des fautes

Des erreurs et des fautes 22h. Une demi-douzaine de dossiers viennent rehausser la pile déjà colossales des patient.e.s qui attendent de voir un médecin, aux urgences. L’ambiance est typique, livresque, cinématographique : des blouses blanches esseulées courent dans les couloirs … Lire la suite Continuer la lecture

Publié dans année, Caractérisé, Cérébrale, cerveau, Dépressif, dépression, Episode, Ethique, études, étudiant, examen, expérience, externat, Garde, Hôpital, Litthérapeute, Litthérapie, médecin, médecine, OBSERVATION, patient, Réflexion, Santé, scanner, soins, Stage, Tumeur, URGENCE, vie | Commentaires fermés sur Des erreurs et des fautes

Partie de cache-cache

18h. Cela fait maintenant une dizaine d’heures, ce dimanche, que je traverse et retraverse les couloirs bondés des urgences. Les patients ne cessent pas d’arriver. La perspective d’un dimanche ensoleillé ne semble pas dissuader les lombalgies chroniques, les troubles fonctionnels … Lire la suite Continuer la lecture

Publié dans Ethique, études, étudiant, examen, expérience, externat, Garde, Hôpital, Litthérapeute, Litthérapie, médecin, médecine, Méthode, motif, Motif caché, OBSERVATION, patient, Point de suture, Points de suture, Santé, soins, Stage, technique, URGENCE, Urgences | Commentaires fermés sur Partie de cache-cache

Trois minutes

Lucie est penchée, concentrée, sourcils froncés, elle cherche l’angle pour son aiguille, elle cherche vite, elle cherche bien, ou en tout cas, elle cherche le bon compromis entre les deux. Les mains sur le ballon de la machine d’anesthésie gazeuse, je commence à plaisanter, à encadrer M. Lhers, le propriétaire de Ténor. Non, il ne rentrera pas à la maison ce soir. Oui, ça va bien se passer. Non, nous n’avons vraiment pas terminé. Oui, c’est quand même bien la merde, mais c’est un pneumothorax comme un autre. M. Lhers est chasseur, de sangliers. Jeune, et inquiet. Il y a sa femme avec lui, et sa fille. Ténor, c’est aussi le chien du canapé. Alors je lui explique.
Non, ce n’était vraiment pas « juste un petit trou » et oui, vous avez bien fait de nous l’amener pour contrôler. Enfin ça, vous l’aviez deviné quand vous avez vu le sang couler lorsque le chien s’est assis sur la table, quand il a soupiré. De toute façon, avec les sangliers, c’est toujours la même histoire : les grandes plaies sont superficielles, les petites perforations sont profondes et parfois vicieuses. Et quand elle se situent au niveau du thorax… et bien on arrive quand même à être surpris de voir un trou de 7 cm de long entre deux côtes avec un point d’entrée grand comme une pièce d’un euro, mais disons qu’on s’y attend. J’explique en souriant.

Quand tout a commencé à merder, j’ai récapitulé : Ténor s’était assis, et avait poussé ce profond soupir. Il saignait, ma consœur Lucie avait fait la compression. J’avais posé le cathéter, Hélène, notre ASV, m’avait tendu la tubulure déjà purgée. Chlorure de Sodium. 0,9 %. Perfusion branchée, nous n’avions pas réfléchi. Débit moyen plus. Pré-médication très légère, juste de quoi sédater et potentialiser ce qui allait venir ensuite, avec un truc qu’on pourrait antagoniser. Un α-2. Dépresseur cardio-respiratoire, un peu, mais nous avions besoin de tranquillité. Nous n’avions pas encore pris la mesure des dégâts, nous n’en étions qu’au petit trou au niveau du bas du thorax après un coup pris à la chasse. Ténor tentait vaguement de se relever, conciliant l’envie de s’asseoir, la fatigue, la douleur et l’irrépressible compulsion de nous faire la fête. Remuer la queue, remuer la queue, envoyer un grand coup de langue, agiter ses moustaches de griffon croisé bleu croisé portes et fenêtres. J’avais envoyé l’agent d’induction, alfaxolone, pour le faire tomber. Vite, juste assez loin pour pouvoir l’intuber. Pas assez ?
– Vous allez lui mettre la sonde dans la trachée ? m’avait-il demandé d’un ton discrètement contrarié.
– On va faire comme si c’était un pneumothorax. Et si c’était juste un p’tit trou, et ben il sera réveillé dans dix minutes.
J’avais tenté une première fois. Pas moyen d’étirer sa langue, il ne dormait pas assez. J’avais injecté un peu plus. Encore un peu. Juste assez. Il avait toussé un petit coup, un réflexe, Hélène avait étendu sa tête sur son cou, j’étais passé. J’avais gonflé le ballonnet, vérifié l’étanchéité tandis qu’elle branchait le circuit semi-ouvert, avec l’oxygène – 2 L/min – et le sevoflurane – 5 % pour commencer, rapidement abaissé à 3. Un peu de morphine, par voie sous-cutanée. Lucie avait déjà tondu, et nettoyé. Elle coupait avec ses ciseaux pour explorer le trajet de la défense, aller jusqu’au bout de la blessure. L’ouverture cutanée faisait désormais 20 bons centimètres. Elle découvrait la coupure de 7 centimètres entre les deux côtes. Dès que la peau s’était ouverte sur la blessure, l’air s’était engouffré entre les poumons et les côtes, dans cette cavité virtuelle, entre les plèvres, et les poumons s’étaient effondrés. Collapsus. Ténor s’était mis à respirer plus vite, plus fort, et sans plus aucune efficacité. C’est le vide qui « colle » les poumons aux côtes. Nous venions de le rompre. Alors j’avais commencé à ballonner. Mon univers : un ballon, une valve, un débitmètre, des muqueuses – rosées ? – un stéthoscope, juste à portée. Hélène tendait à Lucie des compresses, des fils – pas mon problème. Mais elle allait galérer pour recoudre, car la dent avait tranché les muscles au ras de la côte, sans rien lui laisser pour suturer. Il allait falloir qu’elle aille chercher les tissus par-dessus pour les ramener sur la plaie.
Et jusque là, tout s’était très bien passé.

Elle avait suturé jusqu’à presque terminer son surjet triplement arrêté. Il ne restait plus qu’une petite ouverture dans la paroi thoracique. Ténor dormait parfaitement. Juste le bon moment pour bloquer la valve et gonfler le ballon. J’allais mettre la pression pour gonfler les poumons, Hélène allait appuyer sur le thorax pour chasser l’air, tandis que Lucie allait serrer son nœud et rétablir l’étanchéité. Et puis j’avais réalisé : il n’essayait plus de respirer ? Et puis j’avais regardé les muqueuses. Grises. Bleues. Violacées. J’avais arrêté de discuter, j’avais tout stoppé. J’avais écarté ma consœur et sauté sur le stéthoscope. Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps n’avais-je pas vérifié ? Pas de battement. Il était arrêté. Dix secondes. Pas de battement. Pas un putain de battement.

– ARRÊT !

Je serais le capitaine de réa.

– Hélène, tu bouges ! Lucie, coupe le gaz, fais sauter la valve, monte l’oxygène !

Nous serions l’équipe.

J’avais commencé à masser. Masser : sur cette table trop haute : donner des coups de poing, vite, très vite sur le thorax. Très fort, sur le cœur. Marteler. Déjà, envisager de faire pêter les sutures pour masser le cœur, directement. Essayer de me rappeler les TP de réa.

Mais d’abord, frapper. A m’épuiser. Et diriger : « Antisedan, 0,15, IV, perf à fond ! »

– Sylvain, Dopram ?
– Envoie, envoie, ou plutôt non, remplace-moi ! Je fatigue déjà. J’envoie !

Une minute, déjà ?

– Arrêtez !

J’écoute. Toujours rien.

– Tape !

J’envoie l’analeptique cardio-respiratoire, je réfléchis, est-ce qu’il faudrait de l’adré, est-ce qu’il faudrait… quoi ? De toute façon, masser. Lucie tape bien, très bien. Dents serrée, colère rentrée. Je prends l’extrémité de la sonde trachéale à pleine bouche, j’insuffle, il n’y a pas de vide pleural là-dedans, est-ce que le massage suffit à apporter assez d’oxygène ? Je souffle, je souffle, respire !

– Sylvain, je fatigue.

Je prends sa place, et je tape, je tape, je tape, je vois du coin de l’œil le propriétaire de Ténor qui se tient à la porte du bloc, qui revient de sa pause clope, celle qu’il a prise juste après mes explications, quand tout se passait au mieux, mais qu’on allait le garder.

Je tape, putain de chien. On arrête. J’écoute. Toujours rien. Deux minutes ? Les muqueuses restent sales, un gris foireux de bleu.

Rien.

– On tape !

Je tape, Lucie souffle, je souffle, Lucie tape. Je tape et je serre les dents, je hurle en dedans parce que je ne peux pas hurler en dehors, il ne peut pas, je ne veux pas, il ne peut pas, je ne veux pas. Je tape, je déroule toute la violence que je ne peux pas laisser exploser.

Trois minutes ? J’écoute.

J’écoute. Il y a le chien sur la table, il y a moi penché sur lui, il y a Lucie et Hélène et M. Lhers et sa femme et sa fille dans ses bras.

J’écoute. Il bat. Il bat bien, et régulier, je n’y crois pas.

– Il bat. Il bat ! IL BAT !

J’en chialerais. J’en chiale, d’ailleurs, j’ai laissé tomber mon stéthoscope par terre et j’ai regardé ses muqueuses, roses, son inspiration, profonde, puis sa respiration, rapide, et inefficace.

– Il bat, putain, il bat ! Rebranche le gaz, 2 %. On reprend, Hélène, tu ballonnes, je monitores, Lucie, tu sutures, putain, c’est super, bordel, on assure ! On l’a ramené. Quoi, trois minutes ? Trois minutes ?

Il y a des confettis et des feux d’artifices dans nos voix, il y a la fébrilité et la fierté et la concentration aussi, je bloque la valve, Hélène appuie sur le thorax, je bloque le ballon, nous chassons l’air de la cavité pleurale et Lucie finit son dernier nœud, nous venons de refaire l’étanchéité et Ténor respire bien, l’ASV prend le ballon, je saisis la boîte de drainage thoracique. J’insère mon drain dans la plaie, 15 cm de plastique qui filent dans le thorax, entre les côtes et les poumons, je branche le robinet à trois voie et la seringue de 60 mL, j’aspire l’air résiduel, je rétablis le vide pleural tandis que Lucie tourne autour de mes mains et de mon drain pour achever ses sutures. Toutes les minutes, je contrôle le vide. Il se maintient.

Il se maintient.

Ténor n’a pas fait de nouvel arrêt, il est rentré chez lui le lendemain. Et il va bien.

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Trois minutes

Lucie est penchée, concentrée, sourcils froncés, elle cherche l’angle pour son aiguille, elle cherche vite, elle cherche bien, ou en tout cas, elle cherche le bon compromis entre les deux. Les mains sur le ballon de la machine d’anesthésie gazeuse, je commence à plaisanter, à encadrer M. Lhers, le propriétaire de Ténor. Non, il ne rentrera pas à la maison ce soir. Oui, ça va bien se passer. Non, nous n’avons vraiment pas terminé. Oui, c’est quand même bien la merde, mais c’est un pneumothorax comme un autre. M. Lhers est chasseur, de sangliers. Jeune, et inquiet. Il y a sa femme avec lui, et sa fille. Ténor, c’est aussi le chien du canapé. Alors je lui explique.
Non, ce n’était vraiment pas « juste un petit trou » et oui, vous avez bien fait de nous l’amener pour contrôler. Enfin ça, vous l’aviez deviné quand vous avez vu le sang couler lorsque le chien s’est assis sur la table, quand il a soupiré. De toute façon, avec les sangliers, c’est toujours la même histoire : les grandes plaies sont superficielles, les petites perforations sont profondes et parfois vicieuses. Et quand elle se situent au niveau du thorax… et bien on arrive quand même à être surpris de voir un trou de 7 cm de long entre deux côtes avec un point d’entrée grand comme une pièce d’un euro, mais disons qu’on s’y attend. J’explique en souriant.

Quand tout a commencé à merder, j’ai récapitulé : Ténor s’était assis, et avait soupiré. Il saignait, ma consœur Lucie avait fait la compression. J’avais posé le cathéter, Hélène, notre ASV, m’avait tendu la tubulure déjà purgée. Chlorure de Sodium. 0,9 %. Perfusion branchée, nous n’avions pas réfléchi. Débit moyen plus. Pré-médication très légère, juste de quoi sédater et potentialiser ce qui allait venir ensuite, avec un truc qu’on pourrait antagoniser. Un α-2. Dépresseur cardio-respiratoire, un peu, mais nous avions besoin de tranquillité. Nous n’avions pas encore pris la mesure des dégâts, nous n’en étions qu’au petit trou au niveau du bas du thorax après un coup pris à la chasse. Ténor tentait vaguement de se relever, conciliant l’envie de s’asseoir, la fatigue, la douleur et l’irrépressible compulsion de nous faire la fête. Remuer la queue, remuer la queue, envoyer un grand coup de langue, agiter ses moustaches de griffon croisé bleu croisé portes et fenêtres. J’avais envoyé l’agent d’induction, alfaxolone, pour le faire tomber. Vite, juste assez loin pour pouvoir l’intuber. Pas assez ?
– Vous allez lui mettre la sonde dans la trachée ? m’avait-il demander d’un ton discrètement contrarié.
– On va faire comme si c’était un pneumothorax. Et si c’était juste un p’tit trou, et ben il sera réveillé dans dix minutes.
J’avais tenté une première fois. Pas moyen d’étirer sa langue, il ne dormait pas assez. J’avais injecté un peu plus. Encore un peu. Juste assez. Il avait toussé un petit coup, un réflexe, Hélène avait étendu sa tête sur son cou, j’étais passé. J’avais gonflé le ballonnet, vérifié l’étanchéité tandis qu’elle branchait le circuit semi-ouvert, avec l’oxygène – 2L/min – et le sevoflurane – 5 % pour commencer, rapidement abaissé à 3. Un peu de morphine, par voie sous-cutanée. Lucie avait déjà tondu, et nettoyé. Elle coupait avec ses ciseaux pour explorer le trajet de la défense, aller jusqu’au bout de la blessure. L’ouverture cutanée faisait désormais 20 bons centimètres. Elle découvrait la coupure de 7 centimètres entre les deux côtes. Dès que la peau s’était ouverte sur la blessure, l’air s’était engouffré entre les poumons et les côtes, dans cette cavité virtuelle, entre les plèvres, et les poumons s’étaient effondrés. Collapsus. Ténor s’était mis à respirer plus vite, plus fort, et sans plus aucune efficacité. C’est le vide qui « colle » les poumons aux côtes. Nous venions de le rompre. Alors j’avais commencé à ballonner. Mon univers : un ballon, une valve, un débitmètre, des muqueuses – rosées ? – un stéthoscope, juste à portée. Hélène tendait à Lucie des compresses, des fils – pas mon problème. Mais elle allait galérer pour recoudre, car la dent avait tranché les muscles au ras de la côte, sans rien lui laisser pour suturer. Il allait falloir qu’elle aille chercher les tissus par-dessus pour les ramener sur la plaie.
Et jusque là, tout s’était très bien passé.

Elle avait suturé jusqu’à presque terminer son surjet triplement arrêté. Il ne restait plus qu’une petite ouverture dans la paroi thoracique. Ténor dormait parfaitement. Juste le bon moment pour bloquer la valve et gonfler le ballon. J’allais mettre la pression pour gonfler les poumons, Hélène allait appuyer sur le thorax pour chasser l’air, tandis que Lucie allait serrer son nœud et rétablir l’étanchéité. Et puis j’avais réalisé : il n’essayait plus de respirer ? Et puis j’avais regardé les muqueuses. Grises. Bleues. Violacées. J’avais arrêté de discuter, j’avais tout stoppé. J’avais écarté ma consœur et sauté sur le stéthoscope. Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps n’avais-je pas vérifié ? Pas de battement. Il était arrêté. Dix secondes. Pas de battement. Pas un putain de battement.

– ARRÊT !

Je serais le capitaine de réa.

– Hélène, tu bouges ! Lucie, coupe le gaz, fais sauter la valve, monte l’oxygène !

Nous serions l’équipe.

J’avais commencé à masser. Masser : sur cette table trop haute : donner des coups de poing, vite, très vite sur le thorax. Très fort, sur le cœur. Marteler. Déjà, envisager de faire pêter les sutures pour masser le cœur, directement. Essayer de me rappeler les TP de réa.

Mais d’abord, frapper. A m’épuiser. Et diriger : « Antisedan, 0,15, IV, perf à fond ! »

– Sylvain, Dopram ?
– Envoie, envoie, ou plutôt non, remplace-moi ! Je fatigue déjà. J’envoie !

Une minute, déjà ?

– Arrêtez !

J’écoute. Toujours rien.

– Tape !

J’envoie l’analeptique cardio-respiratoire, je réfléchis, est-ce qu’il faudrait de l’adré, est-ce qu’il faudrait… quoi ? De toute façon, masser. Lucie tape bien, très bien. Dents serrée, colère rentrée. Je prends l’extrémité de la sonde trachéale à pleine bouche, j’insuffle, il n’y a pas de vide pleural là-dedans, est-ce que le massage suffit à apporter assez d’oxygène ? Je souffle, je souffle, respire !

– Sylvain, je fatigue.

Je prends sa place, et je tape, je tape, je tape, je vois du coin de l’œil le propriétaire de Ténor qui se tient à la porte du bloc, qui revient de sa pause clope, celle qu’il a prise juste après mes explications, quand tout se passait au mieux, mais qu’on allait le garder.

Je tape, putain de chien. On arrête. J’écoute. Toujours rien. Deux minutes ? Les muqueuses restent sales, un gris foireux de bleu.

Rien.

– On tape !

Je tape, Lucie souffle, je souffle, Lucie tape. Je tape et je serre les dents, je hurle en dedans parce que je ne peux pas hurler en dehors, il ne peut pas, je ne veux pas, il ne peut pas, je ne veux pas. Je tape, je déroule toute la violence que je ne peux pas laisser exploser.

Trois minutes ? J’écoute.

J’écoute. Il y a le chien sur la table, il y a moi penché sur lui, il y a Lucie et Hélène et M. Lhers et sa femme et sa fille dans ses bras.

J’écoute. Il bat. Il bat bien, et régulier, je n’y crois pas.

– Il bat. Il bat ! IL BAT !

J’en chialerais. J’en chiale, d’ailleurs, j’ai laissé tomber mon stéthoscope par terre et j’ai regardé ses muqueuses, roses, son inspiration, profonde, puis sa respiration, rapide, et inefficace.

– Il bat, putain, il bat ! Rebranche le gaz, 2 %. On reprend, Hélène, tu ballonnes, je monitores, Lucie, tu sutures, putain, c’est super, bordel, on assure ! On l’a ramené. Quoi, trois minutes ? Trois minutes ?

Il y a des confettis et des feux d’artifices dans nos voix, il y a la fébrilité et la fierté et la concentration aussi, je bloque la valve, Hélène appuie sur le thorax, je bloque le ballon, nous chassons l’air de la cavité pleurale et Lucie finit son dernier nœud, nous venons de refaire l’étanchéité et Ténor respire bien, l’ASV prend le ballon, je saisis la boîte de drainage thoracique. J’insère mon drain dans la plaie, 15 cm de plastique qui filent dans le thorax, entre les côtes et les poumons, je branche le robinet à trois voie et la seringue de 60 mL, j’aspire l’air résiduel, je rétablis le vide pleural tandis que Lucie tourne autour de mes mains et de mon drain pour achever ses sutures. Toutes les minutes, je contrôle le vide. Il se maintient.

Il se maintient.

Ténor n’a pas fait de nouvel arrêt, il est rentré chez lui le lendemain. Et il va bien.

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Vitesse

Il y a… sa voix au téléphone. Il stresse, toujours. Il veut toujours bien faire, il ne sait pas trop comment. Il n’a pas grandi dans une ferme, il n’a pas les bases, il n’a pas les routines, les bonnes et les mauvaises. Il n’est pas tout jeune, il a appris le métier sur le tard, après avoir exercé plusieurs boulots de bureau, bien loin des bouses et et des champs. Il est très scolaire. Il bouscule nos habitudes en ne pensant pas comme les fils et filles d’éleveurs.
Mais ce soir, la voix de M. Maudan n’est pas aussi posée que d’habitude. Et surtout, derrière lui, j’entends ce beuglement. Court, intense, un appel, une détresse : caractéristique. Le cri du nouveau-né qui panique et qui souffre.
« Attachez la vache, j’arrive »
J’ai à peine décollé de mon canapé que je suis déjà au volant de ma voiture, bottes au pieds. Le veau meurt, mais il n’est pas loin et je peux peut-être arriver à temps. Ma femme me dira plus tard qu’elle ne m’a jamais vu partir si vite sur une urgence.
Parce que bon, les urgences : soit elles sont si urgentes qu’il est déjà trop tard, soit elles peuvent attendre. Un peu. C’est peut-être une exception.
Alors je fonce. Je maltraite la boîte de vitesse, je fais ronfler le vieux diesel. A 23h, il n’y a personne sur les routes. Tant mieux. Je dévore les cinq kilomètres et plante ma voiture dans le chemin défoncé qui conduit à la petite stabulation d’appoint où il enferme les génisses pour leur premier vêlage. Je laisse tomber les gants ou la chasuble, je ne saisis que ma lampe frontale – il n’y a pas l’électricité, ici – un flacon de lubrifiant, des cordes pour attraper les pattes du veau, et mon palan. La nuit est très claire, et silencieuse. C’est une fin d’hiver très douce, mais il n’y a pas encore le bruissement des insectes, nous sommes loin de la route. Le clocher-mur de l’église qui surplombe le village et le vallon est la seule lumière dans ces prés isolés et ces chemins désertés. Personne, ou presque, n’habite ici. Et à cette heure-ci, les volets sont fermés, les gens dorment. Sauf les éleveurs qui veuillent leurs vaches, et les vétos qui courent partout.
Là-bas, dans le pré, sous le petit toit, je vois la lampe de l’éleveur qui bouge. Surtout, j’entends le veau qui gueule. Toujours le même appel d’incompréhension, de souffrance, de panique. La mort qui vient. Je saute la barrière avec ma trousse de réa et mes cordes, bouscule en passant une limousine que je n’avais même pas remarquée. Les moufles de mon palan tapent l’un contre l’autre, le bruit métallique lui fait peur. J’espère qu’elle ne va pas m’emmerder. Dans le vallon, j’écoute le reste du troupeau qui beugle son mécontentement en entendant les appels du veau. Les vaches peuvent être très susceptibles, dans ces conditions.
La mère est couchée. Lui est coincé, le bassin qui ne passe pas. Il s’agite pour se dégager, elle ne pousse plus. Il sursaute comme un pantin, le thorax et une bonne partie de l’abdomen largement dégagés. Il suffit juste de le tirer, j’installe mes cordes, j’indique à M. Maudan de placer une autre corde autour d’un pilier de l’abri. Nous tirons le veau, j’essaie d’imprimer une rotation. Pas moyen. Nous déroulons le palan, en fixant une extrémité à la corde du poteau, l’autre aux cordelettes aux pattes du veau. Il suffit d’une traction pour le libérer. Il s’étrangle, je lui saute dessus. Accroupi contre lui, au cul de sa mère, je vérifie ses voies respiratoires, son nombril. Tout m’a l’air parf…
« L’utérus ! »
Je fais un demi-tour sur moi-même, plante mes genoux dans le sol, et plaque mes mains, mes bras et mon torse. L’utérus a suivi le bassin du veau, il est en train de sortir. Une grosse boule d’une cinquantaine de centimètres de diamètre que j’essaie de maintenir, d’empêcher de s’éverser. Je n’ai aucune chance. Il va lui suffire de deux efforts de poussée, et elle mettra tout dehors. Je ne pourrais pas retenir ça. Mais j’appuie. Je maintiens en offrant la surface la plus large possible, pourrissant mon jean et mon pull de sang et de lochies. Je me colle à la vache, poussant avec mes avant-bras et mon torse, calant le reste avec mon bassin et mes cuisses. Je ne peux pas planter mes mains là-dedans : avec une telle force, je perforerais la matrice avec mes doigts. Je résiste à ses poussées. Une première, longue et puissante. Je suis en apnée. Elle relâche, je repousse et échoue, elle se contracte à nouveau, mais je tiens bon, je glisse dans la boue hémorragique, mes pieds et mes genoux mal calés dans le sol. Le veau respire bien. Pas moi. Je maintiens encore. Elle est épuisée, je compte là-dessus. M. Maudan me demande s’il peut m’aider.
Non.
Elle pousse à nouveau, mais j’ai gagné un peu de terrain. Il y a moins d’utérus dehors. Elle abandonne, je m’engouffre, plaque les cotylédons dans le vagin, et enfonce mes deux bras, points fermés, avec la matrice, dans le vagin. Elle pousse à nouveau, mais je suis enfoncé jusqu’aux coudes, j’ai bien planté mes pieds, je bloque et je résiste. Elle relâche, cette fois je me couche et déroule avec mon bras entier son utérus à l’intérieur de son ventre. Je suis allongé par terre, le bras droit enfoncé jusqu’à l’épaule dans son vagin et son utérus, et j’ai gagné. Je ressors vite, pour qu’elle n’ait plus envie de pousser. C’est terminé.
Pour être tranquille, je fais une épidurale, anesthésiant ses sensations au niveau du bassin et du vagin. Il ne me reste plus, par acquis de conscience, qu’à fermer la vulve avec un laçage appuyé sur des épingles.
La mère va bien, et le veau aussi. Je suis couvert de sang des pieds à la tête. M. Maudan me sourit de toutes ses dents. J’éclate de rire.
C’est jubilatoire, et libérateur.
J’aime ce vallon, cette vitesse et cette victoire.

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Vitesse

Il y a… sa voix au téléphone. Il stresse, toujours. Il veut toujours bien faire, il ne sait pas trop comment. Il n’a pas grandi dans une ferme, il n’a pas les bases, il n’a pas les routines, les bonnes et les mauvaises. Il n’est pas tout jeune, il a appris le métier sur le tard, après avoir exercé plusieurs boulots de bureau, bien loin des bouses et et des champs. Il est très scolaire. Il bouscule nos habitudes en ne pensant pas comme les fils et filles d’éleveurs.
Mais ce soir, la voix de M. Maudan n’est pas aussi posée que d’habitude. Et surtout, derrière lui, j’entends ce beuglement. Court, intense, un appel, une détresse : caractéristique. Le cri du nouveau-né qui panique et qui souffre.
« Attachez la vache, j’arrive »
J’ai à peine décollé de mon canapé que je suis déjà au volant de ma voiture, bottes au pieds. Le veau meurt, mais il n’est pas loin et je peux peut-être arriver à temps. Ma femme me dira plus tard qu’elle ne m’a jamais vu partir si vite sur une urgence.
Parce que bon, les urgences : soit elles sont si urgentes qu’il est déjà trop tard, soit elles peuvent attendre. Un peu. C’est peut-être une exception.
Alors je fonce. Je maltraite la boîte de vitesse, je fais ronfler le vieux diesel. A 23h, il n’y a personne sur les routes. Tant mieux. Je dévore les cinq kilomètres et plante ma voiture dans le chemin défoncé qui conduit à la petite stabulation d’appoint où il enferme les génisses pour leur premier vêlage. Je laisse tomber les gants ou la chasuble, je ne saisis que ma lampe frontale – il n’y a pas l’électricité, ici – un flacon de lubrifiant, des cordes pour attraper les pattes du veau, et mon palan. La nuit est très claire, et silencieuse. C’est une fin d’hiver très douce, mais il n’y a pas encore le bruissement des insectes, nous sommes loin de la route. Le clocher-mur de l’église qui surplombe le village et le vallon est la seule lumière dans ces prés isolés et ces chemins désertés. Personne, ou presque, n’habite ici. Et à cette heure-ci, les volets sont fermés, les gens dorment. Sauf les éleveurs qui veillent leurs vaches, et les vétos qui courent partout.
Là-bas, dans le pré, sous le petit toit, je vois la lampe de l’éleveur qui bouge. Surtout, j’entends le veau qui gueule. Toujours le même appel d’incompréhension, de souffrance, de panique. La mort qui vient. Je saute la barrière avec ma trousse de réa et mes cordes, bouscule en passant une limousine que je n’avais même pas remarquée. Les moufles de mon palan tapent l’un contre l’autre, le bruit métallique lui fait peur. J’espère qu’elle ne va pas m’emmerder. Dans le vallon, j’écoute le reste du troupeau qui beugle son mécontentement en entendant les appels du veau. Les vaches peuvent être très susceptibles, dans ces conditions.
La mère est couchée. Lui est coincé, le bassin qui ne passe pas. Il s’agite pour se dégager, elle ne pousse plus. Il sursaute comme un pantin, le thorax et une bonne partie de l’abdomen largement dégagés. Il suffit juste de le tirer, j’installe mes cordes, j’indique à M. Maudan de placer une autre corde autour d’un pilier de l’abri. Nous tirons le veau, j’essaie d’imprimer une rotation. Pas moyen. Nous déroulons le palan, en fixant une extrémité à la corde du poteau, l’autre aux cordelettes aux pattes du veau. Il suffit d’une traction pour le libérer. Il s’étrangle, je lui saute dessus. Accroupi contre lui, au cul de sa mère, je vérifie ses voies respiratoires, son nombril. Tout m’a l’air parf…
« L’utérus ! »
Je fais un demi-tour sur moi-même, plante mes genoux dans le sol, et plaque mes mains, mes bras et mon torse. L’utérus a suivi le bassin du veau, il est en train de sortir. Une grosse boule d’une cinquantaine de centimètres de diamètre que j’essaie de maintenir, d’empêcher de s’éverser. Je n’ai aucune chance. Il va lui suffire de deux efforts de poussée, et elle mettra tout dehors. Je ne pourrais pas retenir ça. Mais j’appuie. Je maintiens en offrant la surface la plus large possible, pourrissant mon jean et mon pull de sang et de lochies. Je me colle à la vache, poussant avec mes avant-bras et mon torse, calant le reste avec mon bassin et mes cuisses. Je ne peux pas planter mes mains là-dedans : avec une telle force, je perforerais la matrice avec mes doigts. Je résiste à ses poussées. Une première, longue et puissante. Je suis en apnée. Elle relâche, je repousse et échoue, elle se contracte à nouveau, mais je tiens bon, je glisse dans la boue hémorragique, mes pieds et mes genoux mal calés dans le sol. Le veau respire bien. Pas moi. Je maintiens encore. Elle est épuisée, je compte là-dessus. M. Maudan me demande s’il peut m’aider.
Non.
Elle pousse à nouveau, mais j’ai gagné un peu de terrain. Il y a moins d’utérus dehors. Elle abandonne, je m’engouffre, plaque les cotylédons dans le vagin, et enfonce mes deux bras, points fermés, avec la matrice, dans le vagin. Elle pousse à nouveau, mais je suis enfoncé jusqu’aux coudes, j’ai bien planté mes pieds, je bloque et je résiste. Elle relâche, cette fois je me couche et déroule avec mon bras entier son utérus à l’intérieur de son ventre. Je suis allongé par terre, le bras droit enfoncé jusqu’à l’épaule dans son vagin et son utérus, et j’ai gagné. Je ressors vite, pour qu’elle n’ait plus envie de pousser. C’est terminé.
Pour être tranquille, je fais une épidurale, anesthésiant ses sensations au niveau du bassin et du vagin. Il ne me reste plus, par acquis de conscience, qu’à fermer la vulve avec un laçage appuyé sur des épingles.
La mère va bien, et le veau aussi. Je suis couvert de sang des pieds à la tête. M. Maudan me sourit de toutes ses dents. J’éclate de rire.
C’est jubilatoire, et libérateur.
J’aime ce vallon, cette vitesse et cette victoire.

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Glissement

Je glisse.
Je glisse de village en hameau, de lampadaire en guirlande. Il n’y a pas un son, pas un mouvement, ou plutôt, il y a cette impression que ma voiture est immobile tandis que défilent les nappes de brouillard ? Je passe d’un havre à un autre en empruntant ces étranges et pourtant quotidiens corridors d’obscurité cotonneuse. Cela fait dix jours que le brouillard ne se lève plus sur les collines et les vallées. Parfois, d’une haut d’une crête, on aperçoit quelques chênes sur la colline suivante, une tour médiévale ou, plus loin, les Pyrénées. Pour replonger aussitôt dans un bassin de brume glacée. Minuit est passée depuis plus d’une heure, et il me reste quelques kilomètres avant d’atteindre cette ferme isolée où vit – par force ? – un reclus. M. Pirou est sourd, et muet. Je ne sais pas vraiment s’il a quarante, cinquante ou soixante ans. Il vit seul dans son silence, avec une meute de chiens hurlant à longueur de journée. Les voisins m’avaient même contacté pour se plaindre.
Je ne suis pas sûr d’être réveillé. J’ai bien tenté d’allumer la radio, mais je me suis senti agressé par la voix mielleuse d’un expert au nom improbable. Je lui ai aussitôt coupé le son. Je préfère tenter de ne pas réfléchir aux différents scénarios. Une torsion, et donc, à la clef, une césarienne ? Deux agneaux emmêlés qui sortent en même temps ? Une simple patte tordue ? J’avale les kilomètres en tentant de m’échapper du sommeil. Le réveil a été brutal, pourtant : la sonnerie du téléphone. Une voix inconnue ; un nom connu. Celui d’un éleveur de limousines à la retraite. Pas un client, mais je l’ai croisé à l’occasion, quand il venait « donner la main » pour la prophylaxie, chez ses voisins. Qui sont aussi à la retraite, d’ailleurs. Pourquoi m’appelle-t-il ? « M. Pirou, dans la cour de la ferme. Je crois qu’il essaye de me dire qu’il a une brebis qui n’arrive pas à mettre bas. »
A une heure du matin ? C’est bien l’heure…
Je crois que j’ai pensé à haute voix. Je le remercie en grommelant, m’échappe de mon lit, enfile mes vêtements, et démarre ma voiture. Chauffage à fond. Je roule sans voir à plus de quelques mètres, presque au pas. Presque vingt bornes m’attendent, entre « grosses » départementales et petits chemins communaux. Je glisse.
J’entre dans la cour de la ferme. Enfin. M. Pirou est là, sous la chiche lumière du pas de sa porte. Il s’approche tandis que j’enfile mes bottes. Je lui tends la main. Pas de vœux, pas de bonjour. Devrions-nous faire semblant ? J’entre derrière lui dans la bergerie. Quelques tôles, une lampe, une brebis couchée, une patte qui dépasse. Donc pas de césarienne. Voit-il mon soupir de soulagement ? Je le regarde en articulant « combien d’agneaux ? » Il ouvre la main en tentant : « Drois »
Pas de césarienne, donc, mais de la vraie manip’ obstétricale. Les brebis et leurs agneaux s’écartent devant moi, deux d’entre elles parviennent à s’échapper. Elles rentreront bien vite, vu le froid.
M. Piou m’aide à écarter la parturiente du mur, j’enfile un gant, le tartine de lubrifiant, et explore. Un agneau. Mort ? Il ne réagit pas. Une patte dans le passage, la tête aussi, moins avancée, l’autre antérieur, introuvable. Je tourne et mobilise, cherche à comprendre, palpe l’épaule, glisse ma main. Les cris de la brebis déchirent le silence. Je lui parle, des mots idiots, des mots dénués de sens et même de pertinence. Juste un son doux, je sais que personne ne m’écoute. Je ronronne pour nous : pour la brebis et sa douleur, pour l’agneau qui est probablement mort, pour M. Pirou qui ne peut m’entendre mais qui a réussit à me faire venir, et pour moi, finalement. Je trouve les onglons, les ramène en le faisant passer de phalange en phalange, puis de doigt en doigt : je n’ai pas la place de bouger ma main, là-dedans. Je ramène le membre entier, réaligne la tête, et tire. Un long glissements, ferme et solide, et l’agneau se retrouve au sol dans un dernier cri maternel. Il inspire. Mal. Je me relève, le suspendant par les postérieurs. Je cherche de l’eau. Jette un œil sur le seau, vide. M. Pirou m’ouvre la porte et m’amène au seau qu’il avait préparé pour que je me lave les mains, à la fin. Tiède. Je le regarde : « Froid ». Il secoue la tête. Je mime en me frottant les bras comme si je me gelais, tenant toujours mon agneau à la respiration erratique. Je le pose au sol, vide sa bouche, masse un peu. Il a compris, et ouvre un jet d’eau planqué sous un tas de paille. Première douche par moins trois. Bienvenue, bébé.
Je le ramène à la bergerie, et continue mes manœuvres. Massage, vidage de glaires. Il démarre gentiment. Je l’amène à sa mère, elle le lèche aussitôt. Il me reste à vérifier que tout va bien. Je remet un gant, explore l’utérus. Tout en en place. Je rentre chez moi.

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Glissement

Je glisse.
Je glisse de village en hameau, de lampadaire en guirlande. Il n’y a pas un son, pas un mouvement, ou plutôt, il y a cette impression que ma voiture est immobile tandis que défilent les nappes de brouillard ? Je passe d’un havre à un autre en empruntant ces étranges et pourtant quotidiens corridors d’obscurité cotonneuse. Cela fait dix jours que le brouillard ne se lève plus sur les collines et les vallées. Parfois, du haut d’une crête, on aperçoit quelques chênes sur la colline suivante, une tour médiévale ou, plus loin, les Pyrénées. Pour replonger aussitôt dans un bassin de brume glacée. Minuit est passée depuis plus d’une heure, et il me reste quelques kilomètres avant d’atteindre cette ferme isolée où vit – par force ? – un reclus. M. Pirou est sourd, et muet. Je ne sais pas vraiment s’il a quarante, cinquante ou soixante ans. Il vit seul dans son silence, avec une meute de chiens hurlant à longueur de journée. Les voisins m’avaient même contacté pour se plaindre.
Je ne suis pas sûr d’être réveillé. J’ai bien tenté d’allumer la radio, mais je me suis senti agressé par la voix mielleuse d’un expert au nom improbable. Je lui ai aussitôt coupé le son. Je préfère tenter de ne pas réfléchir aux différents scénarios. Une torsion, et donc, à la clef, une césarienne ? Deux agneaux emmêlés qui sortent en même temps ? Une simple patte tordue ? J’avale les kilomètres en tentant de m’échapper du sommeil. Le réveil a été brutal, pourtant : la sonnerie du téléphone. Une voix inconnue ; un nom connu. Celui d’un éleveur de limousines à la retraite. Pas un client, mais je l’ai croisé à l’occasion, quand il venait « donner la main » pour la prophylaxie, chez ses voisins. Qui sont aussi à la retraite, d’ailleurs. Pourquoi m’appelle-t-il ? « M. Pirou, dans la cour de la ferme. Je crois qu’il essaye de me dire qu’il a une brebis qui n’arrive pas à mettre bas. »
A une heure du matin ? C’est bien l’heure…
Je crois que j’ai pensé à haute voix. Je le remercie en grommelant, m’échappe de mon lit, enfile mes vêtements, et démarre ma voiture. Chauffage à fond. Je roule sans voir à plus de quelques mètres, presque au pas. Presque vingt bornes m’attendent, entre « grosses » départementales et petits chemins communaux. Je glisse.
J’entre dans la cour de la ferme. Enfin. M. Pirou est là, sous la chiche lumière du pas de sa porte. Il s’approche tandis que j’enfile mes bottes. Je lui tends la main. Pas de vœux, pas de bonjour. Devrions-nous faire semblant ? J’entre derrière lui dans la bergerie. Quelques tôles, une lampe, une brebis couchée, une patte qui dépasse. Donc pas de césarienne. Voit-il mon soupir de soulagement ? Je le regarde en articulant « combien d’agneaux ? » Il ouvre la main en tentant : « Drois »
Pas de césarienne, mais de la vraie manip’ obstétricale. Les brebis et leurs agneaux s’écartent devant moi, deux d’entre elles parviennent à s’échapper. Elles rentreront bien vite, vu le froid.
M. Piou m’aide à écarter la parturiente du mur, j’enfile un gant, le tartine de lubrifiant, et explore. Un agneau. Mort ? Il ne réagit pas. Une patte dans le passage, la tête aussi, moins avancée, l’autre antérieur, introuvable. Je tourne et mobilise, cherche à comprendre, palpe l’épaule, glisse ma main. Les cris de la brebis déchirent le silence. Je lui parle, des mots idiots, des mots dénués de sens et même de pertinence. Juste un son doux, je sais que personne ne m’écoute. Je ronronne pour nous : pour la brebis et sa douleur, pour l’agneau qui est probablement mort, pour M. Pirou qui ne peut m’entendre mais qui a réussit à me faire venir, et pour moi, finalement. Je trouve les onglons, les ramène en le faisant passer de phalange en phalange, puis de doigt en doigt : je n’ai pas la place de bouger ma main, là-dedans. Je ramène le membre entier, réaligne la tête, et tire. Un long glissement, ferme et solide, et l’agneau se retrouve au sol dans un dernier cri maternel. Il inspire. Mal. Je me relève, le suspendant par les postérieurs. Je cherche de l’eau. Jette un œil sur le seau, vide. M. Pirou m’ouvre la porte et m’amène au seau qu’il avait préparé pour que je me lave les mains, à la fin. Tiède. Je le regarde : « Froid ». Il secoue la tête. Je mime en me frottant les bras comme si je me gelais, tenant toujours mon agneau à la respiration erratique. Je le pose au sol, vide sa bouche, masse un peu. Il a compris, et ouvre un jet d’eau planqué sous un tas de paille. Première douche par moins trois. Bienvenue, bébé.
Je le ramène à la bergerie, et continue mes manœuvres. Massage, vidage de glaires. Il démarre gentiment. Je l’amène à sa mère, elle le lèche aussitôt. Il me reste à vérifier que tout va bien. Je remets un gant, explore l’utérus. Tout est en place. Je rentre chez moi.

Agnelage

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Glissement

Je glisse.
Je glisse de village en hameau, de lampadaire en guirlande. Il n’y a pas un son, pas un mouvement, ou plutôt, il y a cette impression que ma voiture est immobile tandis que défilent les nappes de brouillard ? Je passe d’un havre à un autre en empruntant ces étranges et pourtant quotidiens corridors d’obscurité cotonneuse. Cela fait dix jours que le brouillard ne se lève plus sur les collines et les vallées. Parfois, du haut d’une crête, on aperçoit quelques chênes sur la colline suivante, une tour médiévale ou, plus loin, les Pyrénées. Pour replonger aussitôt dans un bassin de brume glacée. Minuit est passée depuis plus d’une heure, et il me reste quelques kilomètres avant d’atteindre cette ferme isolée où vit – par force ? – un reclus. M. Pirou est sourd, et muet. Je ne sais pas vraiment s’il a quarante, cinquante ou soixante ans. Il vit seul dans son silence, avec une meute de chiens hurlant à longueur de journée. Les voisins m’avaient même contacté pour se plaindre.
Je ne suis pas sûr d’être réveillé. J’ai bien tenté d’allumer la radio, mais je me suis senti agressé par la voix mielleuse d’un expert au nom improbable. Je lui ai aussitôt coupé le son. Je préfère tenter de ne pas réfléchir aux différents scénarios. Une torsion, et donc, à la clef, une césarienne ? Deux agneaux emmêlés qui sortent en même temps ? Une simple patte tordue ? J’avale les kilomètres en tentant de m’échapper du sommeil. Le réveil a été brutal, pourtant : la sonnerie du téléphone. Une voix inconnue ; un nom connu. Celui d’un éleveur de limousines à la retraite. Pas un client, mais je l’ai croisé à l’occasion, quand il venait « donner la main » pour la prophylaxie, chez ses voisins. Qui sont aussi à la retraite, d’ailleurs. Pourquoi m’appelle-t-il ? « M. Pirou, dans la cour de la ferme. Je crois qu’il essaye de me dire qu’il a une brebis qui n’arrive pas à mettre bas. »
A une heure du matin ? C’est bien l’heure…
Je crois que j’ai pensé à haute voix. Je le remercie en grommelant, m’échappe de mon lit, enfile mes vêtements, et démarre ma voiture. Chauffage à fond. Je roule sans voir à plus de quelques mètres, presque au pas. Presque vingt bornes m’attendent, entre « grosses » départementales et petits chemins communaux. Je glisse.
J’entre dans la cour de la ferme. Enfin. M. Pirou est là, sous la chiche lumière du pas de sa porte. Il s’approche tandis que j’enfile mes bottes. Je lui tends la main. Pas de vœux, pas de bonjour. Devrions-nous faire semblant ? J’entre derrière lui dans la bergerie. Quelques tôles, une lampe, une brebis couchée, une patte qui dépasse. Donc pas de césarienne. Voit-il mon soupir de soulagement ? Je le regarde en articulant « combien d’agneaux ? » Il ouvre la main en tentant : « Drois »
Pas de césarienne, mais de la vraie manip’ obstétricale. Les brebis et leurs agneaux s’écartent devant moi, deux d’entre elles parviennent à s’échapper. Elles rentreront bien vite, vu le froid.
M. Piou m’aide à écarter la parturiente du mur, j’enfile un gant, le tartine de lubrifiant, et explore. Un agneau. Mort ? Il ne réagit pas. Une patte dans le passage, la tête aussi, moins avancée, l’autre antérieur, introuvable. Je tourne et mobilise, cherche à comprendre, palpe l’épaule, glisse ma main. Les cris de la brebis déchirent le silence. Je lui parle, des mots idiots, des mots dénués de sens et même de pertinence. Juste un son doux, je sais que personne ne m’écoute. Je ronronne pour nous : pour la brebis et sa douleur, pour l’agneau qui est probablement mort, pour M. Pirou qui ne peut m’entendre mais qui a réussit à me faire venir, et pour moi, finalement. Je trouve les onglons, les ramène en le faisant passer de phalange en phalange, puis de doigt en doigt : je n’ai pas la place de bouger ma main, là-dedans. Je ramène le membre entier, réaligne la tête, et tire. Un long glissement, ferme et solide, et l’agneau se retrouve au sol dans un dernier cri maternel. Il inspire. Mal. Je me relève, le suspendant par les postérieurs. Je cherche de l’eau. Jette un œil sur le seau, vide. M. Pirou m’ouvre la porte et m’amène au seau qu’il avait préparé pour que je me lave les mains, à la fin. Tiède. Je le regarde : « Froid ». Il secoue la tête. Je mime en me frottant les bras comme si je me gelais, tenant toujours mon agneau à la respiration erratique. Je le pose au sol, vide sa bouche, masse un peu. Il a compris, et ouvre un jet d’eau planqué sous un tas de paille. Première douche par moins trois. Bienvenue, bébé.
Je le ramène à la bergerie, et continue mes manœuvres. Massage, vidage de glaires. Il démarre gentiment. Je l’amène à sa mère, elle le lèche aussitôt. Il me reste à vérifier que tout va bien. Je remets un gant, explore l’utérus. Tout est en place. Je rentre chez moi.

Agnelage

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Chirurgie de guerre

J’ai aidé Christophe à monter son chien sur la table. Rocker : un genre de grand machin un peu maigre, content de me voir si l’on en juge par les battements réguliers de sa queue. Il respire un peu fort, son cœur bat un peu trop vite, un peu trop fort. Ses muqueuses sont d’un joli rose. Son maître maintient son T-shirt maculé de sang sur l’abdomen de Rocker. Je ne sais pas encore ce qu’il y a dessous, mais ne changeons rien : c’est dimanche, il est treize heures, il y a du sang partout dans ma clinique. Les chasseurs et leurs chiens sont lâchés, les sangliers sont au taquet. Et celui-ci, selon son maître, a le ventre perforé. Je pose mon cathéter, vite, très vite. Branche la perfusion, et injecte l’anesthésique. Un quart de dose. Le grand anglo vacille. Puis s’affaisse. Il n’aura pas eu besoin de grand-chose, comme souvent avec ces animaux fatigués. Je vérifie le cœur, et la respiration. Tout va bien. Un pas d’âne, pour maintenir la gueule ouverte, un laryngoscope, je visualise l’entrée de sa trachée et insère ma sonde trachéale. Il tousse, une fois. Pas de quoi repousser l’anesthésie.
Je bascule le chien sur le côté, sur la table de notre salle de préparation chirurgicale. Pour ces chirurgies sales, j’évite d’emmener les chiens au bloc, pour ne pas le salir. Il n’y a aucun objectif de stérilité quand le sanglier a défoncé le chien à coup de défenses, qui a ensuite continué, la plupart du temps, à courir dans la boues, les ronces et les ruisseaux. Il faut plus qu’une éventration pour arrêter un chien qui veut chasser !
La plaie est très petite. Il y a pas mal de sang, je ne sais pas trop pourquoi. Sur le côté de la dernière côte, elle est bouchée par un amas de mésentère – ce filet auxquels sont suspendus les intestins, très fin et très lâche (la crépine, en boucherie, qui fait de si jolie décorations sur les pâtés). Ça m’arrange : il bouche le trou et empêche que des choses plus fragiles soient exposées, ou que des saletés rentrent dans l’abdomen. Il va quand même falloir que je coupe tout ça, car ce bout de mésentère est très sale. Mieux vaut l’enlever que le remettre dans le ventre. Je suis tout seul, le chasseur attendant courageusement derrière la porte. Avec mes manipulations, un coup chirurgicales, un coup « pratiques », comme retourner le chien, lui attacher les pattes, régler le débit de la perfusion ou chercher une boîte de chirurgie, j’ai déjà changé trois fois de paire de gants. Je ne cherche pas être stérile, mais… restons propre. Je prends mes ciseaux, et je coupe la peau. Le chasseur, qui était rentré entre-temps, ressort précipitamment en entendant le son des lames qui coupent les chairs. La paroi musculaire, maintenant, en partant dans l’axe du corps. Intuitivement, à cet endroit, je me dis que c’est ainsi que ça tirera le moins sur les sutures à venir. J’ai une vue plongeante dans l’abdomen.

– Heu, ça vous dérange si je sors prendre l’air ?

Christophe est vert. Il s’enfuit.

Je coupe un peu plus. J’explore. Il y a deux côtes cassées. Non, trois. Coupées. Les flottantes, et une complète. Il risque d’y avoir… j’explore avec le doigt, inspecte, caresse, décolle… oui, un bruit d’aspiration ! Le diaphragme a été coupé au ras de son attache à la cavité abdominale, et l’air s’engouffre dans la cavité pleurale, cet espace censément vide et virtuel qui sépare les poumons de la paroi costale. Je saisis une grosse pince et attrape tout ensemble, pour limiter la fuite que je viens d’aggraver. Je jette mes gants, allume la lumière du bloc, oriente la table de chirurgie principale et y transporte Rocker, sa poche de perfusion entre les dents. Là, éclairage au maximum, concentrateur d’oxygène, machine d’anesthésie gazeuse : on vient de changer d’échelle. J’augmente le débit de la perfusion, et une fois tout mon matos transvasé, reprends mon exploration des dégâts. J’espère que Christophe va vite revenir, car je vais avoir besoin de lui. Oui, il y a une coupure sur cinq centimètre du diaphragme et des muscles de la paroi abdominale ou thoracique (on est à la limite), avec des bouts de côtes au milieu. Et ce couillon de chien qui remuait la queue !

Je crie un coup, Christophe vient voir. Il me découvre dans le bloc, avec tout l’attirail d’anesthésie gazeuse branché sur son chien, le bruit du concentrateur d’oxygène en fond sonore. Oui, c’est beaucoup plus grave qu’il n’y paraissait, oui, le chien peut y rester, oui, j’ai besoin de lui, oui, il peut regarder de l’autre côté. D’une pression sur son bras – encore une paire de gants foutue – je lui montre quelle force il devra appliquer sur le ballon du circuit d’anesthésie. Assez pour gonfler les poumons, mais sans les faire exploser, s’il-te-plaît. C’est son premier pneumothorax.
Quand nous inspirons, nos côtes se soulèvent, et nos poumons se gonflent parce que nos côtes se soulèvent, mais pas parce que nos poumons sont attachés à nos côtes : ils ne le sont pas. Entre les côtes et les poumons, il n’y a rien, juste deux membranes : la plèvre thoracique, qui tapisse la diaphragme, les côtes et les muscles intercostaux, et la plèvre pulmonaire, qui tapisse les poumons. Entre les deux, rien. Du vide. C’est parce qu’il y a du vide que ces deux plèvres restent collées sans être attachées l’une à l’autre, permettant le mouvement harmonieux de la respiration. S’il y a quelque chose entre les plèvres, le poumon ne se gonfle plus lorsqu’on inspire, il s’effondre – ce qu’on appelle un collapsus pulmonaire. J’explique tout ça au jeune chasseur en plaçant mes points pour refermer l’ouverture de la cavité thoracique. Vite, très vite. Et au moment de serrer le dernier nœud, je le fais appuyer sur la ballon du circuit d’anesthésie, ce qui fait gonfler les poumons, qui reprennent leur place tandis que j’appuie sur le thorax de rocker pour chasser un maximum d’air, avant de serrer mon dernier nœud. Ça a duré vingt secondes. Nous lâchons tout. Et observons. Rocker ne respire pas. Toujours pas. Je vois les battements de son cœur. Respire. Respire !
Il inspire, et expire ! Parfait ! Je jette mes gants, et pars chercher de quoi améliorer le vide pleural. J’insère une aiguille entre deux côtes, branchée à un tuyau et une seringue. J’aspire. Il n’y a presque pas d’air, nous avons parfaitement réussi le rétablissement du vide.

– Heu… je peux ressortir ?

Oui, oui, ce sera toujours mieux que s’évanouir ! Il y du sang partout. Nous avons piétiné dedans, il a coulé sur la table, j’ai plusieurs fois raté la poubelle avec mes compresses imbibées ou mes gants souillés. Le chien est littéralement ouvert en deux, avec vue sur son estomac et son mésentère.

Pourquoi saigne-t-il autant ? Pourquoi ses organes baignent-ils dans le sang ? Je n’ai vu aucune veine, aucune artériole pisser plus que de raison ? Je soulève, j’explore, je sors. Un organe après l’autre, les lobes du foie, le diaphragme, les intestins, la rate. La rate. Et l’estomac. Ce con de cochon a sectionné la moitié des vaisseaux qui relient la rate à l’estomac, au ras de l’estomac ! Ils ne saignent plus vraiment, mais maintenant, je comprends. Alors je ligature, je résèque, je nettoie, j’évalue et je referme. La rate vivra. Le chien aussi. Normalement.

J’explore une nouvelle fois la cavité abdominale. J’ai branché l’aspirateur chirurgical (et encore une paire de gants…), je tout vidé, tout nettoyé, rincé (une paire de gants). Ça saignote, de partout et nulle part. Je laisse tomber. Il est temps de refermer. La paroi musculaire, d’abord, ma coupure, puis celle du sanglier. Je pose un drain. La peau, ensuite, après plusieurs sutures filées, sous-cutanées. J’ai stoppé l’anesthésie gazeuse, mais maintenu l’oxygène. Recontrôlé l’analgésie. Les antibiotiques. Je prépare une cage, avec des bouillottes. Rocker est à 35,8. Ça reste admissible. Maintenant, il va se réveiller. Et je vais le surveiller, par la porte de la salle de préparation qui donne sur le chenil, en commençant à suturer un autre chien, bien moins gravement atteint…

Sang

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Chirurgie de guerre

J’ai aidé Christophe à monter son chien sur la table. Rocker : un genre de grand machin un peu maigre, content de me voir si l’on en juge par les battements réguliers de sa queue. Il respire un peu fort, son cœur bat un peu trop vite, un peu trop fort. Ses muqueuses sont d’un joli rose. Son maître maintient son T-shirt maculé de sang sur l’abdomen de Rocker. Je ne sais pas encore ce qu’il y a dessous, mais ne changeons rien : c’est dimanche, il est treize heures, il y a du sang partout dans ma clinique. Les chasseurs et leurs chiens sont lâchés, les sangliers sont au taquet. Et celui-ci, selon son maître, a le ventre perforé. Je pose mon cathéter, vite, très vite. Branche la perfusion, et injecte l’anesthésique. Un quart de dose. Le grand anglo vacille. Puis s’affaisse. Il n’aura pas eu besoin de grand-chose, comme souvent avec ces animaux fatigués. Je vérifie le cœur, et la respiration. Tout va bien. Un pas d’âne, pour maintenir la gueule ouverte, un laryngoscope, je visualise l’entrée de sa trachée et insère ma sonde trachéale. Il tousse, une fois. Pas de quoi repousser l’anesthésie.
Je bascule le chien sur le côté, sur la table de notre salle de préparation chirurgicale. Pour ces chirurgies sales, j’évite d’emmener les chiens au bloc, pour ne pas le salir. Il n’y a aucun objectif de stérilité quand le sanglier a défoncé le chien à coup de défenses, qui a ensuite continué, la plupart du temps, à courir dans la boues, les ronces et les ruisseaux. Il faut plus qu’une éventration pour arrêter un chien qui veut chasser !
La plaie est très petite. Il y a pas mal de sang, je ne sais pas trop pourquoi. Sur le côté de la dernière côte, elle est bouchée par un amas de mésentère – ce filet auxquels sont suspendus les intestins, très fin et très lâche (la crépine, en boucherie, qui fait de si jolie décorations sur les pâtés). Ça m’arrange : il bouche le trou et empêche que des choses plus fragiles soient exposées, ou que des saletés rentrent dans l’abdomen. Il va quand même falloir que je coupe tout ça, car ce bout de mésentère est très sale. Mieux vaut l’enlever que le remettre dans le ventre. Je suis tout seul, le chasseur attendant courageusement derrière la porte. Avec mes manipulations, un coup chirurgicales, un coup « pratiques », comme retourner le chien, lui attacher les pattes, régler le débit de la perfusion ou chercher une boîte de chirurgie, j’ai déjà changé trois fois de paire de gants. Je ne cherche pas être stérile, mais… restons propre. Je prends mes ciseaux, et je coupe la peau. Le chasseur, qui était rentré entre-temps, ressort précipitamment en entendant le son des lames qui coupent les chairs. La paroi musculaire, maintenant, en partant dans l’axe du corps. Intuitivement, à cet endroit, je me dis que c’est ainsi que ça tirera le moins sur les sutures à venir. J’ai une vue plongeante dans l’abdomen.

– Heu, ça vous dérange si je sors prendre l’air ?

Christophe est vert. Il s’enfuit.

Je coupe un peu plus. J’explore. Il y a deux côtes cassées. Non, trois. Coupées. Les flottantes, et une complète. Il risque d’y avoir… j’explore avec le doigt, inspecte, caresse, décolle… oui, un bruit d’aspiration ! Le diaphragme a été coupé au ras de son attache à la cavité abdominale, et l’air s’engouffre dans la cavité pleurale, cet espace censément vide et virtuel qui sépare les poumons de la paroi costale. Je saisis une grosse pince et attrape tout ensemble, pour limiter la fuite que je viens d’aggraver. Je jette mes gants, allume la lumière du bloc, oriente la table de chirurgie principale et y transporte Rocker, sa poche de perfusion entre les dents. Là, éclairage au maximum, concentrateur d’oxygène, machine d’anesthésie gazeuse : on vient de changer d’échelle. J’augmente le débit de la perfusion, et une fois tout mon matos transvasé, reprends mon exploration des dégâts. J’espère que Christophe va vite revenir, car je vais avoir besoin de lui. Oui, il y a une coupure sur cinq centimètre du diaphragme et des muscles de la paroi abdominale ou thoracique (on est à la limite), avec des bouts de côtes au milieu. Et ce couillon de chien qui remuait la queue !

Je crie un coup, Christophe vient voir. Il me découvre dans le bloc, avec tout l’attirail d’anesthésie gazeuse branché sur son chien, le bruit du concentrateur d’oxygène en fond sonore. Oui, c’est beaucoup plus grave qu’il n’y paraissait, oui, le chien peut y rester, oui, j’ai besoin de lui, oui, il peut regarder de l’autre côté. D’une pression sur son bras – encore une paire de gants foutue – je lui montre quelle force il devra appliquer sur le ballon du circuit d’anesthésie. Assez pour gonfler les poumons, mais sans les faire exploser, s’il-te-plaît. C’est son premier pneumothorax.
Quand nous inspirons, nos côtes se soulèvent, et nos poumons se gonflent parce que nos côtes se soulèvent, mais pas parce que nos poumons sont attachés à nos côtes : ils ne le sont pas. Entre les côtes et les poumons, il n’y a rien, juste deux membranes : la plèvre thoracique, qui tapisse la diaphragme, les côtes et les muscles intercostaux, et la plèvre pulmonaire, qui tapisse les poumons. Entre les deux, rien. Du vide. C’est parce qu’il y a du vide que ces deux plèvres restent collées sans être attachées l’une à l’autre, permettant le mouvement harmonieux de la respiration. S’il y a quelque chose entre les plèvres, le poumon ne se gonfle plus lorsqu’on inspire, il s’effondre – ce qu’on appelle un collapsus pulmonaire. J’explique tout ça au jeune chasseur en plaçant mes points pour refermer l’ouverture de la cavité thoracique. Vite, très vite. Et au moment de serrer le dernier nœud, je le fais appuyer sur la ballon du circuit d’anesthésie, ce qui fait gonfler les poumons, qui reprennent leur place tandis que j’appuie sur le thorax de rocker pour chasser un maximum d’air, avant de serrer mon dernier nœud. Ça a duré vingt secondes. Nous lâchons tout. Et observons. Rocker ne respire pas. Toujours pas. Je vois les battements de son cœur. Respire. Respire !
Il inspire, et expire ! Parfait ! Je jette mes gants, et pars chercher de quoi améliorer le vide pleural. J’insère une aiguille entre deux côtes, branchée à un tuyau et une seringue. J’aspire. Il n’y a presque pas d’air, nous avons parfaitement réussi le rétablissement du vide.

– Heu… je peux ressortir ?

Oui, oui, ce sera toujours mieux que s’évanouir ! Il y du sang partout. Nous avons piétiné dedans, il a coulé sur la table, j’ai plusieurs fois raté la poubelle avec mes compresses imbibées ou mes gants souillés. Le chien est littéralement ouvert en deux, avec vue sur son estomac et son mésentère.

Pourquoi saigne-t-il autant ? Pourquoi ses organes baignent-ils dans le sang ? Je n’ai vu aucune veine, aucune artériole pisser plus que de raison ? Je soulève, j’explore, je sors. Un organe après l’autre, les lobes du foie, le diaphragme, les intestins, la rate. La rate. Et l’estomac. Ce con de cochon a sectionné la moitié des vaisseaux qui relient la rate à l’estomac, au ras de l’estomac ! Ils ne saignent plus vraiment, mais maintenant, je comprends. Alors je ligature, je résèque, je nettoie, j’évalue et je referme. La rate vivra. Le chien aussi. Normalement.

J’explore une nouvelle fois la cavité abdominale. J’ai branché l’aspirateur chirurgical (et encore une paire de gants…), je tout vidé, tout nettoyé, rincé (une paire de gants). Ça saignote, de partout et nulle part. Je laisse tomber. Il est temps de refermer. La paroi musculaire, d’abord, ma coupure, puis celle du sanglier. Je pose un drain. La peau, ensuite, après plusieurs sutures filées, sous-cutanées. J’ai stoppé l’anesthésie gazeuse, mais maintenu l’oxygène. Recontrôlé l’analgésie. Les antibiotiques. Je prépare une cage, avec des bouillottes. Rocker est à 35,8. Ça reste admissible. Maintenant, il va se réveiller. Et je vais le surveiller, par la porte de la salle de préparation qui donne sur le chenil, en commençant à suturer un autre chien, bien moins gravement atteint…

Sang

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Chirurgie de guerre

J’ai aidé Christophe à monter son chien sur la table. Rocker : un genre de grand machin un peu maigre, content de me voir si l’on en juge par les battements réguliers de sa queue. Il respire un peu fort, son cœur bat un peu trop vite, un peu trop fort. Ses muqueuses sont d’un joli rose. Son maître maintient son T-shirt maculé de sang sur l’abdomen de Rocker. Je ne sais pas encore ce qu’il y a dessous, mais ne changeons rien : c’est dimanche, il est treize heures, il y a du sang partout dans ma clinique. Les chasseurs et leurs chiens sont lâchés, les sangliers sont au taquet. Et celui-ci, selon son maître, a le ventre perforé. Je pose mon cathéter, vite, très vite. Branche la perfusion, et injecte l’anesthésique. Un quart de dose. Le grand anglo vacille. Puis s’affaisse. Il n’aura pas eu besoin de grand-chose, comme souvent avec ces animaux fatigués. Je vérifie le cœur, et la respiration. Tout va bien. Un pas d’âne, pour maintenir la gueule ouverte, un laryngoscope, je visualise l’entrée de sa trachée et insère ma sonde trachéale. Il tousse, une fois. Pas de quoi repousser l’anesthésie.
Je bascule le chien sur le côté, sur la table de notre salle de préparation chirurgicale. Pour ces chirurgies sales, j’évite d’emmener les chiens au bloc, pour ne pas le salir. Il n’y a aucun objectif de stérilité quand le sanglier a défoncé le chien à coup de défenses, qui a ensuite continué, la plupart du temps, à courir dans la boues, les ronces et les ruisseaux. Il faut plus qu’une éventration pour arrêter un chien qui veut chasser !
La plaie est très petite. Il y a pas mal de sang, je ne sais pas trop pourquoi. Sur le côté de la dernière côte, elle est bouchée par un amas de mésentère – ce filet auxquels sont suspendus les intestins, très fin et très lâche (la crépine, en boucherie, qui fait de si jolie décorations sur les pâtés). Ça m’arrange : il bouche le trou et empêche que des choses plus fragiles soient exposées, ou que des saletés rentrent dans l’abdomen. Il va quand même falloir que je coupe tout ça, car ce bout de mésentère est très sale. Mieux vaut l’enlever que le remettre dans le ventre. Je suis tout seul, le chasseur attendant courageusement derrière la porte. Avec mes manipulations, un coup chirurgicales, un coup « pratiques », comme retourner le chien, lui attacher les pattes, régler le débit de la perfusion ou chercher une boîte de chirurgie, j’ai déjà changé trois fois de paire de gants. Je ne cherche pas être stérile, mais… restons propre. Je prends mes ciseaux, et je coupe la peau. Le chasseur, qui était rentré entre-temps, ressort précipitamment en entendant le son des lames qui coupent les chairs. La paroi musculaire, maintenant, en partant dans l’axe du corps. Intuitivement, à cet endroit, je me dis que c’est ainsi que ça tirera le moins sur les sutures à venir. J’ai une vue plongeante dans l’abdomen.

– Heu, ça vous dérange si je sors prendre l’air ?

Christophe est vert. Il s’enfuit.

Je coupe un peu plus. J’explore. Il y a deux côtes cassées. Non, trois. Coupées. Les flottantes, et une complète. Il risque d’y avoir… j’explore avec le doigt, inspecte, caresse, décolle… oui, un bruit d’aspiration ! Le diaphragme a été coupé au ras de son attache à la cavité abdominale, et l’air s’engouffre dans la cavité pleurale, cet espace censément vide et virtuel qui sépare les poumons de la paroi costale. Je saisis une grosse pince et attrape tout ensemble, pour limiter la fuite que je viens d’aggraver. Je jette mes gants, allume la lumière du bloc, oriente la table de chirurgie principale et y transporte Rocker, sa poche de perfusion entre les dents. Là, éclairage au maximum, concentrateur d’oxygène, machine d’anesthésie gazeuse : on vient de changer d’échelle. J’augmente le débit de la perfusion, et une fois tout mon matos transvasé, reprends mon exploration des dégâts. J’espère que Christophe va vite revenir, car je vais avoir besoin de lui. Oui, il y a une coupure sur cinq centimètre du diaphragme et des muscles de la paroi abdominale ou thoracique (on est à la limite), avec des bouts de côtes au milieu. Et ce couillon de chien qui remuait la queue !

Je crie un coup, Christophe vient voir. Il me découvre dans le bloc, avec tout l’attirail d’anesthésie gazeuse branché sur son chien, le bruit du concentrateur d’oxygène en fond sonore. Oui, c’est beaucoup plus grave qu’il n’y paraissait, oui, le chien peut y rester, oui, j’ai besoin de lui, oui, il peut regarder de l’autre côté. D’une pression sur son bras – encore une paire de gants foutue – je lui montre quelle force il devra appliquer sur le ballon du circuit d’anesthésie. Assez pour gonfler les poumons, mais sans les faire exploser, s’il-te-plaît. C’est son premier pneumothorax.
Quand nous inspirons, nos côtes se soulèvent, et nos poumons se gonflent parce que nos côtes se soulèvent, mais pas parce que nos poumons sont attachés à nos côtes : ils ne le sont pas. Entre les côtes et les poumons, il n’y a rien, juste deux membranes : la plèvre thoracique, qui tapisse la diaphragme, les côtes et les muscles intercostaux, et la plèvre pulmonaire, qui tapisse les poumons. Entre les deux, rien. Du vide. C’est parce qu’il y a du vide que ces deux plèvres restent collées sans être attachées l’une à l’autre, permettant le mouvement harmonieux de la respiration. S’il y a quelque chose entre les plèvres, le poumon ne se gonfle plus lorsqu’on inspire, il s’effondre – ce qu’on appelle un collapsus pulmonaire. J’explique tout ça au jeune chasseur en plaçant mes points pour refermer l’ouverture de la cavité thoracique. Vite, très vite. Et au moment de serrer le dernier nœud, je le fais appuyer sur la ballon du circuit d’anesthésie, ce qui fait gonfler les poumons, qui reprennent leur place tandis que j’appuie sur le thorax de rocker pour chasser un maximum d’air, avant de serrer mon dernier nœud. Ça a duré vingt secondes. Nous lâchons tout. Et observons. Rocker ne respire pas. Toujours pas. Je vois les battements de son cœur. Respire. Respire !
Il inspire, et expire ! Parfait ! Je jette mes gants, et pars chercher de quoi améliorer le vide pleural. J’insère une aiguille entre deux côtes, branchée à un tuyau et une seringue. J’aspire. Il n’y a presque pas d’air, nous avons parfaitement réussi le rétablissement du vide.

– Heu… je peux ressortir ?

Oui, oui, ce sera toujours mieux que s’évanouir ! Il y du sang partout. Nous avons piétiné dedans, il a coulé sur la table, j’ai plusieurs fois raté la poubelle avec mes compresses imbibées ou mes gants souillés. Le chien est littéralement ouvert en deux, avec vue sur son estomac et son mésentère.

Pourquoi saigne-t-il autant ? Pourquoi ses organes baignent-ils dans le sang ? Je n’ai vu aucune veine, aucune artériole pisser plus que de raison ? Je soulève, j’explore, je sors. Un organe après l’autre, les lobes du foie, le diaphragme, les intestins, la rate. La rate. Et l’estomac. Ce con de cochon a sectionné la moitié des vaisseaux qui relient la rate à l’estomac, au ras de l’estomac ! Ils ne saignent plus vraiment, mais maintenant, je comprends. Alors je ligature, je résèque, je nettoie, j’évalue et je referme. La rate vivra. Le chien aussi. Normalement.

J’explore une nouvelle fois la cavité abdominale. J’ai branché l’aspirateur chirurgical (et encore une paire de gants…), je tout vidé, tout nettoyé, rincé (une paire de gants). Ça saignote, de partout et nulle part. Je laisse tomber. Il est temps de refermer. La paroi musculaire, d’abord, ma coupure, puis celle du sanglier. Je pose un drain. La peau, ensuite, après plusieurs sutures filées, sous-cutanées. J’ai stoppé l’anesthésie gazeuse, mais maintenu l’oxygène. Recontrôlé l’analgésie. Les antibiotiques. Je prépare une cage, avec des bouillottes. Rocker est à 35,8. Ça reste admissible. Maintenant, il va se réveiller. Et je vais le surveiller, par la porte de la salle de préparation qui donne sur le chenil, en commençant à suturer un autre chien, bien moins gravement atteint…

Sang

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Hey ! Vous auriez une échelle ? C’est pour être objectif !

Entre deux tentatives à la première année commune aux études de santé (PACES), j’ai fait un saut dans le grand bain du monde hospitalier. FFAS, RCA, ASH… des acronymes pour simplement dire que j’étais embauché un mois dans un service … Lire la suite Continuer la lecture

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Jour ving-trois. Motif : A terme, pas bien.

Jour vingt-trois.

Motif : à terme, pas bien.

Je m’en serais vraiment bien passé. Il est presque 17h30 et je suis tout seul à la clinique avec deux ASV qui jonglent entre le téléphone qui ne cesse de sonner et un défilé de clients au comptoir. Le parking déborde, il y a des chiens et des chats partout, sans parler de ceux qui sont hospitalisés. Et je vois apparaître dans le planning un « à terme, pas bien ».

Le vaccin de 17h30 est en retard. Je discute avec les propriétaires d’un chien hospitalisé qui sont venus en avance, organisant les deux prochains jours de son séjour parmi nous, puis j’avise une chienne manifestement prête à mettre bas qui titube sur le parking. Une petite croisée golden et plus si affinités, terrorisée, que son propriétaire finit par prendre dans les bras puis, sur un signe de ma part, apporter jusque sur ma table de consultation, shuntant la salle d’attente et les animaux dont je n’ai aucune idée de ce qu’ils fichent ici (une enquête ultérieure me confirmera que deux d’entre eux venaient juste chercher des anti-parasitaire et qu’un troisième reviendrait un autre jour pour des gratouilles). L’avantage d’avoir une urgence, c’est qu’un sonore « les filles, préparez-moi une perfusion s’il-vous-plait, on risque de devoir opérer » fait taire les râleurs pressés.

Je referme les portes pour pouvoir me ménager un espace de calme avec Fleur et M. Gat, son propriétaire. Fleur respire bien, mais une tache de fluides pigmentés de vert et de noir souille les longs poils dorés de son arrière train. La saillie a eu lieu il y a 62 jours, ce n’est pas un accident, et M. Gat m’explique que jusqu’à hier, elle allait bien, qu’elle était tracassée ce matin mais qu’il pensait que la mise-bas commençait, tout simplement.

Et il avait raison.

Je commence par enfiler des gants et tondre le magma de poils collés sur ses cuisses, sa queue et son périnée. La vulve est bien décrochée, bien dilatée. La chienne me parait chaude, même à travers les gants. Je vérifie : 40.4°C. L’abdomen est dur comme du bois. Je passe un doigt dans son vagin, effleure une patte, au loin, et une seconde, mais a priori pas de museau. Un siège ? Ça déconne dans les grandes largeurs. J’explique à M. Gat que nous allons commencer par faire une radio pour comprendre où elle en est, puis une écho pour savoir si les chiots sont en vie, et si oui, s’ils sont en souffrance. Ou plutôt : à quel point ils souffrent.

La salle d’attente me regarde passer en silence avec la chienne dans les bras. On se tait pour les bébés. Fleur se laisse porter, se laisse coucher, elle attend et subit, à moitié dans le gaz. Tandis que le numériseur de la radio démarre, je lui pose la perfusion préparée par les ASV. Un coup d’antibiotiques, un coup de corticoïdes[1].

Le cliché me montre trois chiots. Le premier est en siège, ils sont très gros, ils devraient passer mais cette position, pour une primipare, la dilatation gazeuse de l’utérus et mon incapacité à déterminer s’ils sont encore en vie ou pas – même si je n’y crois pas – décident de la conduite à tenir. Assister la mise-bas avec des médicaments favorisant les contractions ne sera pas efficace : il faut opérer, et vite. J’accélère le débit de la perfusion et tout en expliquant à M. Gat la suite des opérations, je lui demande de me confirmer s’il souhaite garder les chiots s’ils sont vivants, et s’il souhaite que je stérilise la chienne simultanément. Je confie Fleur à Perrine, qui, avec l’aide d’une stagiaire, va tondre et désinfecter son abdomen. L’autre ASV commence à vérifier le système d’anesthésie gazeuse et préparer le bloc.

– Il y a un autre chien qui est arrivé, il s’est fait mal en jouant et ils étaient déjà sur la route quand ils ont appelé, et il y a aussi un chien blessé, Mme Auvignon est là pour le vaccin, elle ne peut pas revenir un autre jour elle part en vacances, les résultats de Belle sont arrivés Mme Diège a appelé, qu’est-ce qu’on fait ?

On pleure ?

Je lui demande d’appeler mon associé. Il ne bosse pas aujourd’hui, mais ce n’est pas possible. Je ne peux pas gérer.

Lorsque j’arrive dans la salle d’attente, je vois Loustic et Mme Auvignon – le vaccin. Je lui explique qu’elle va malheureusement devoir attendre, car je vois sur le parking M. et Mme Assou qui arrivent en portant tant bien que mal leur berger allemand « qui s’est fait mal en jouant ». Ses membres postérieurs pendant lamentablement, comme désarticulés. Moi qui me disais que j’allais leur dire de revenir demain, imaginant un bobo…

Je repasse la tête en salle de préparation, Fleur sera bientôt à point. J’emmène M. et Mme Assou directement jusqu’en salle de radio. Sensibilité superficielle diminuée, sensibilité profonde conservée, motricité ok, pas de douleur claire, proprioception nulle. Si ce n’est pas une hernie discale, Fleur n’a pas de chiots pourris dans le ventre. J’injecte des analgésiques, de la cortisone. Je fais mon cliché, confirme l’absence d’anomalie franche de la colonne et du bassin, il y a forcément une hernie discale. J’explique la prise en charge, lapidaire. Une consultation au pas de charge, mais je n’ai pas le choix. Cendre va rentrer chez lui avec ses maîtres et ils me tiendront au courant. En les aidant à le porter, je leur explique tout ce qu’il y a à surveiller et les invite à me rappeler. Dix minutes pour une hernie discale. Est-ce bien sérieux ?

– Payer ? Heu oui, mais un autre jour. J’ai pas l’temps. Prenez ces médicaments, appelez moi demain matin, je vous dirai quoi donner en fonction de son évolution.

De toute façon, il n’y a rien d’autre à faire.

Je retourne au bloc. La chienne est prête. Induction minimale, le matériel de réa est prêt, les ASV sont dans les starting blocks. Intubation, gaz. Elles la portent sur la table de chirurgie, contrôlent une dernière fois la machine d’anesthésie gazeuse. Je pose le champ, injecte un anesthésique local en traçante. Incision, sa respiration accélère. Je fais monter le gaz, et ouvre l’abdomen. A la ponction du péritoine, du gaz s’échappe. L’odeur est lourde, collante, écœurante, mais ne me fait pas fuir : l’utérus est percé et du gaz s’en échappe, mais ce n’est pas vraiment pourri. Il y a des bouts de placenta dans l’abdomen, et je vois une tête de chiot qui dépasse d’un bout de tuyau. J’extériorise l’utérus qui finit de se déchirer, je clampe toutes les artères et les veines, tout en sortant les chiots. L’un deux semble bouger. Mais non.

Perrine prépare déjà le liquide de rinçage et l’aspirateur chirurgical. Je commence à ligaturer un pédicule ovarien, en double, tout en retirant des bouts de placenta du mésentère. Je coupe, je retiens le moignon avec un clamp, et recommence la même chose du côté opposé. Ensuite, je coupe l’utérus au niveau du col, ligature les artères utérines puis suture le moignon utérin avec du mésentère. Un dernier contrôle, puis je libère tous les moignons. L’utérus déchiré en deux repose, avec les ovaires, dans une bassine à mes pieds. Rinçage. Une fois, deux fois, trois fois, je pars à la pêche aux fragments utérins et placentaires, puis après un dernier contrôle – rien ne saigne sérieusement – je finis de tout aspirer et commence par suture abdominale. Un surjet musculaire, doublé par des points en U, puis un surjet sous cutané et un surjet cutané. Vite, très vite : je veux la réveiller. Mon associé a fini de gérer les urgences, la chirurgie n’a pris qu’une petite heure. Il est temps de la réveiller.

Je reviendrai la voir cette nuit. Elle est vraiment, vraiment fatiguée. J’ajusterai les débits de perfusion et les analgésiques. Elle devrait s’en tirer. Si elle ne part pas en péritonite.

Note

[1] Je ne râlerai jamais assez contre la disparition des B-lactamines injectables par voie intraveineuse, qui nous prive des molécules les plus adaptées à ces urgences et nous oblige en plus à utiliser ces antibiotiques qui sont sensés être réservés à la seconde intention. Il faudrait utiliser par exemple une association d’amoxicilline et d’acide clavulanique, à la fois parfaitement adaptée aux germes les plus probablement en cause et inoffensif pour la mère et les bébés à naître. Un bête Augmentin IV. Qui n’est aujourd’hui plus accessible en dehors des pharmacies réservées aux hôpitaux. Je me vois donc contraint d’utiliser des fluoroquinolones, qui d’une me plaisent moins dans cette indication, de deux sont en théorie interdites en première intention sans analyse du germe en cause.

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Jour ving-trois. Motif : A terme, pas bien.

Jour vingt-trois.

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Je m’en serais vraiment bien passé. Il est presque 17h30 et je suis tout seul à la clinique avec deux ASV qui jonglent entre le téléphone qui ne cesse de sonner et un défilé de clients au comptoir. Le parking déborde, il y a des chiens et des chats partout, sans parler de ceux qui sont hospitalisés. Et je vois apparaître dans le planning un « à terme, pas bien ».

Le vaccin de 17h30 est en retard. Je discute avec les propriétaires d’un chien hospitalisé qui sont venus en avance, organisant les deux prochains jours de son séjour parmi nous, puis j’avise une chienne manifestement prête à mettre bas qui titube sur le parking. Une petite croisée golden et plus si affinités, terrorisée, que son propriétaire finit par prendre dans les bras puis, sur un signe de ma part, apporter jusque sur ma table de consultation, shuntant la salle d’attente et les animaux dont je n’ai aucune idée de ce qu’ils fichent ici (une enquête ultérieure me confirmera que deux d’entre eux venaient juste chercher des anti-parasitaire et qu’un troisième reviendrait un autre jour pour des gratouilles). L’avantage d’avoir une urgence, c’est qu’un sonore « les filles, préparez-moi une perfusion s’il-vous-plait, on risque de devoir opérer » fait taire les râleurs pressés.

Je referme les portes pour pouvoir me ménager un espace de calme avec Fleur et M. Gat, son propriétaire. Fleur respire bien, mais une tache de fluides pigmentés de vert et de noir souille les longs poils dorés de son arrière train. La saillie a eu lieu il y a 62 jours, ce n’est pas un accident, et M. Gat m’explique que jusqu’à hier, elle allait bien, qu’elle était tracassée ce matin mais qu’il pensait que la mise-bas commençait, tout simplement.

Et il avait raison.

Je commence par enfiler des gants et tondre le magma de poils collés sur ses cuisses, sa queue et son périnée. La vulve est bien décrochée, bien dilatée. La chienne me parait chaude, même à travers les gants. Je vérifie : 40.4°C. L’abdomen est dur comme du bois. Je passe un doigt dans son vagin, effleure une patte, au loin, et une seconde, mais a priori pas de museau. Un siège ? Ça déconne dans les grandes largeurs. J’explique à M. Gat que nous allons commencer par faire une radio pour comprendre où elle en est, puis une écho pour savoir si les chiots sont en vie, et si oui, s’ils sont en souffrance. Ou plutôt : à quel point ils souffrent.

La salle d’attente me regarde passer en silence avec la chienne dans les bras. On se tait pour les bébés. Fleur se laisse porter, se laisse coucher, elle attend et subit, à moitié dans le gaz. Tandis que le numériseur de la radio démarre, je lui pose la perfusion préparée par les ASV. Un coup d’antibiotiques, un coup de corticoïdes[1].

Le cliché me montre trois chiots. Le premier est en siège, ils sont très gros, ils devraient passer mais cette position, pour une primipare, la dilatation gazeuse de l’utérus et mon incapacité à déterminer s’ils sont encore en vie ou pas – même si je n’y crois pas – décident de la conduite à tenir. Assister la mise-bas avec des médicaments favorisant les contractions ne sera pas efficace : il faut opérer, et vite. J’accélère le débit de la perfusion et tout en expliquant à M. Gat la suite des opérations, je lui demande de me confirmer s’il souhaite garder les chiots s’ils sont vivants, et s’il souhaite que je stérilise la chienne simultanément. Je confie Fleur à Perrine, qui, avec l’aide d’une stagiaire, va tondre et désinfecter son abdomen. L’autre ASV commence à vérifier le système d’anesthésie gazeuse et préparer le bloc.

– Il y a un autre chien qui est arrivé, il s’est fait mal en jouant et ils étaient déjà sur la route quand ils ont appelé, et il y a aussi un chien blessé, Mme Auvignon est là pour le vaccin, elle ne peut pas revenir un autre jour elle part en vacances, les résultats de Belle sont arrivés Mme Diège a appelé, qu’est-ce qu’on fait ?

On pleure ?

Je lui demande d’appeler mon associé. Il ne bosse pas aujourd’hui, mais ce n’est pas possible. Je ne peux pas gérer.

Lorsque j’arrive dans la salle d’attente, je vois Loustic et Mme Auvignon – le vaccin. Je lui explique qu’elle va malheureusement devoir attendre, car je vois sur le parking M. et Mme Assou qui arrivent en portant tant bien que mal leur berger allemand « qui s’est fait mal en jouant ». Ses membres postérieurs pendant lamentablement, comme désarticulés. Moi qui me disais que j’allais leur dire de revenir demain, imaginant un bobo…

Je repasse la tête en salle de préparation, Fleur sera bientôt à point. J’emmène M. et Mme Assou directement jusqu’en salle de radio. Sensibilité superficielle diminuée, sensibilité profonde conservée, motricité ok, pas de douleur claire, proprioception nulle. Si ce n’est pas une hernie discale, Fleur n’a pas de chiots pourris dans le ventre. J’injecte des analgésiques, de la cortisone. Je fais mon cliché, confirme l’absence d’anomalie franche de la colonne et du bassin, il y a forcément une hernie discale. J’explique la prise en charge, lapidaire. Une consultation au pas de charge, mais je n’ai pas le choix. Cendre va rentrer chez lui avec ses maîtres et ils me tiendront au courant. En les aidant à le porter, je leur explique tout ce qu’il y a à surveiller et les invite à me rappeler. Dix minutes pour une hernie discale. Est-ce bien sérieux ?

– Payer ? Heu oui, mais un autre jour. J’ai pas l’temps. Prenez ces médicaments, appelez moi demain matin, je vous dirai quoi donner en fonction de son évolution.

De toute façon, il n’y a rien d’autre à faire.

Je retourne au bloc. La chienne est prête. Induction minimale, le matériel de réa est prêt, les ASV sont dans les starting blocks. Intubation, gaz. Elles la portent sur la table de chirurgie, contrôlent une dernière fois la machine d’anesthésie gazeuse. Je pose le champ, injecte un anesthésique local en traçante. Incision, sa respiration accélère. Je fais monter le gaz, et ouvre l’abdomen. A la ponction du péritoine, du gaz s’échappe. L’odeur est lourde, collante, écœurante, mais ne me fait pas fuir : l’utérus est percé et du gaz s’en échappe, mais ce n’est pas vraiment pourri. Il y a des bouts de placenta dans l’abdomen, et je vois une tête de chiot qui dépasse d’un bout de tuyau. J’extériorise l’utérus qui finit de se déchirer, je clampe toutes les artères et les veines, tout en sortant les chiots. L’un deux semble bouger. Mais non.

Perrine prépare déjà le liquide de rinçage et l’aspirateur chirurgical. Je commence à ligaturer un pédicule ovarien, en double, tout en retirant des bouts de placenta du mésentère. Je coupe, je retiens le moignon avec un clamp, et recommence la même chose du côté opposé. Ensuite, je coupe l’utérus au niveau du col, ligature les artères utérines puis suture le moignon utérin avec du mésentère. Un dernier contrôle, puis je libère tous les moignons. L’utérus déchiré en deux repose, avec les ovaires, dans une bassine à mes pieds. Rinçage. Une fois, deux fois, trois fois, je pars à la pêche aux fragments utérins et placentaires, puis après un dernier contrôle – rien ne saigne sérieusement – je finis de tout aspirer et commence par suture abdominale. Un surjet musculaire, doublé par des points en U, puis un surjet sous cutané et un surjet cutané. Vite, très vite : je veux la réveiller. Mon associé a fini de gérer les urgences, la chirurgie n’a pris qu’une petite heure. Il est temps de la réveiller.

Je reviendrai la voir cette nuit. Elle est vraiment, vraiment fatiguée. J’ajusterai les débits de perfusion et les analgésiques. Elle devrait s’en tirer. Si elle ne part pas en péritonite.

Note

[1] Je ne râlerai jamais assez contre la disparition des B-lactamines injectables par voie intraveineuse, qui nous prive des molécules les plus adaptées à ces urgences et nous oblige en plus à utiliser ces antibiotiques qui sont sensés être réservés à la seconde intention. Il faudrait utiliser par exemple une association d’amoxicilline et d’acide clavulanique, à la fois parfaitement adaptée aux germes les plus probablement en cause et inoffensif pour la mère et les bébés à naître. Un bête Augmentin IV. Qui n’est aujourd’hui plus accessible en dehors des pharmacies réservées aux hôpitaux. Je me vois donc contraint d’utiliser des fluoroquinolones, qui d’une me plaisent moins dans cette indication, de deux sont en théorie interdites en première intention sans analyse du germe en cause.

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Jour ving-trois. Motif : A terme, pas bien.

Jour vingt-trois.

Motif : à terme, pas bien.

Je m’en serais vraiment bien passé. Il est presque 17h30 et je suis tout seul à la clinique avec deux ASV qui jonglent entre le téléphone qui ne cesse de sonner et un défilé de clients au comptoir. Le parking déborde, il y a des chiens et des chats partout, sans parler de ceux qui sont hospitalisés. Et je vois apparaître dans le planning un « à terme, pas bien ».

Le vaccin de 17h30 est en retard. Je discute avec les propriétaires d’un chien hospitalisé qui sont venus en avance, organisant les deux prochains jours de son séjour parmi nous, puis j’avise une chienne manifestement prête à mettre bas qui titube sur le parking. Une petite croisée golden et plus si affinités, terrorisée, que son propriétaire finit par prendre dans les bras puis, sur un signe de ma part, apporter jusque sur ma table de consultation, shuntant la salle d’attente et les animaux dont je n’ai aucune idée de ce qu’ils fichent ici (une enquête ultérieure me confirmera que deux d’entre eux venaient juste chercher des anti-parasitaire et qu’un troisième reviendrait un autre jour pour des gratouilles). L’avantage d’avoir une urgence, c’est qu’un sonore « les filles, préparez-moi une perfusion s’il-vous-plait, on risque de devoir opérer » fait taire les râleurs pressés.

Je referme les portes pour pouvoir me ménager un espace de calme avec Fleur et M. Gat, son propriétaire. Fleur respire bien, mais une tache de fluides pigmentés de vert et de noir souille les longs poils dorés de son arrière train. La saillie a eu lieu il y a 62 jours, ce n’est pas un accident, et M. Gat m’explique que jusqu’à hier, elle allait bien, qu’elle était tracassée ce matin mais qu’il pensait que la mise-bas commençait, tout simplement.

Et il avait raison.

Je commence par enfiler des gants et tondre le magma de poils collés sur ses cuisses, sa queue et son périnée. La vulve est bien décrochée, bien dilatée. La chienne me parait chaude, même à travers les gants. Je vérifie : 40.4°C. L’abdomen est dur comme du bois. Je passe un doigt dans son vagin, effleure une patte, au loin, et une seconde, mais a priori pas de museau. Un siège ? Ça déconne dans les grandes largeurs. J’explique à M. Gat que nous allons commencer par faire une radio pour comprendre où elle en est, puis une écho pour savoir si les chiots sont en vie, et si oui, s’ils sont en souffrance. Ou plutôt : à quel point ils souffrent.

La salle d’attente me regarde passer en silence avec la chienne dans les bras. On se tait pour les bébés. Fleur se laisse porter, se laisse coucher, elle attend et subit, à moitié dans le gaz. Tandis que le numériseur de la radio démarre, je lui pose la perfusion préparée par les ASV. Un coup d’antibiotiques, un coup de corticoïdes[1].

Le cliché me montre trois chiots. Le premier est en siège, ils sont très gros, ils devraient passer mais cette position, pour une primipare, la dilatation gazeuse de l’utérus et mon incapacité à déterminer s’ils sont encore en vie ou pas – même si je n’y crois pas – décident de la conduite à tenir. Assister la mise-bas avec des médicaments favorisant les contractions ne sera pas efficace : il faut opérer, et vite. J’accélère le débit de la perfusion et tout en expliquant à M. Gat la suite des opérations, je lui demande de me confirmer s’il souhaite garder les chiots s’ils sont vivants, et s’il souhaite que je stérilise la chienne simultanément. Je confie Fleur à Perrine, qui, avec l’aide d’une stagiaire, va tondre et désinfecter son abdomen. L’autre ASV commence à vérifier le système d’anesthésie gazeuse et préparer le bloc.

– Il y a un autre chien qui est arrivé, il s’est fait mal en jouant et ils étaient déjà sur la route quand ils ont appelé, et il y a aussi un chien blessé, Mme Auvignon est là pour le vaccin, elle ne peut pas revenir un autre jour elle part en vacances, les résultats de Belle sont arrivés Mme Diège a appelé, qu’est-ce qu’on fait ?

On pleure ?

Je lui demande d’appeler mon associé. Il ne bosse pas aujourd’hui, mais ce n’est pas possible. Je ne peux pas gérer.

Lorsque j’arrive dans la salle d’attente, je vois Loustic et Mme Auvignon – le vaccin. Je lui explique qu’elle va malheureusement devoir attendre, car je vois sur le parking M. et Mme Assou qui arrivent en portant tant bien que mal leur berger allemand « qui s’est fait mal en jouant ». Ses membres postérieurs pendant lamentablement, comme désarticulés. Moi qui me disais que j’allais leur dire de revenir demain, imaginant un bobo…

Je repasse la tête en salle de préparation, Fleur sera bientôt à point. J’emmène M. et Mme Assou directement jusqu’en salle de radio. Sensibilité superficielle diminuée, sensibilité profonde conservée, motricité ok, pas de douleur claire, proprioception nulle. Si ce n’est pas une hernie discale, Fleur n’a pas de chiots pourris dans le ventre. J’injecte des analgésiques, de la cortisone. Je fais mon cliché, confirme l’absence d’anomalie franche de la colonne et du bassin, il y a forcément une hernie discale. J’explique la prise en charge, lapidaire. Une consultation au pas de charge, mais je n’ai pas le choix. Cendre va rentrer chez lui avec ses maîtres et ils me tiendront au courant. En les aidant à le porter, je leur explique tout ce qu’il y a à surveiller et les invite à me rappeler. Dix minutes pour une hernie discale. Est-ce bien sérieux ?

– Payer ? Heu oui, mais un autre jour. J’ai pas l’temps. Prenez ces médicaments, appelez moi demain matin, je vous dirai quoi donner en fonction de son évolution.

De toute façon, il n’y a rien d’autre à faire.

Je retourne au bloc. La chienne est prête. Induction minimale, le matériel de réa est prêt, les ASV sont dans les starting blocks. Intubation, gaz. Elles la portent sur la table de chirurgie, contrôlent une dernière fois la machine d’anesthésie gazeuse. Je pose le champ, injecte un anesthésique local en traçante. Incision, sa respiration accélère. Je fais monter le gaz, et ouvre l’abdomen. A la ponction du péritoine, du gaz s’échappe. L’odeur est lourde, collante, écœurante, mais ne me fait pas fuir : l’utérus est percé et du gaz s’en échappe, mais ce n’est pas vraiment pourri. Il y a des bouts de placenta dans l’abdomen, et je vois une tête de chiot qui dépasse d’un bout de tuyau. J’extériorise l’utérus qui finit de se déchirer, je clampe toutes les artères et les veines, tout en sortant les chiots. L’un deux semble bouger. Mais non.

Perrine prépare déjà le liquide de rinçage et l’aspirateur chirurgical. Je commence à ligaturer un pédicule ovarien, en double, tout en retirant des bouts de placenta du mésentère. Je coupe, je retiens le moignon avec un clamp, et recommence la même chose du côté opposé. Ensuite, je coupe l’utérus au niveau du col, ligature les artères utérines puis suture le moignon utérin avec du mésentère. Un dernier contrôle, puis je libère tous les moignons. L’utérus déchiré en deux repose, avec les ovaires, dans une bassine à mes pieds. Rinçage. Une fois, deux fois, trois fois, je pars à la pêche aux fragments utérins et placentaires, puis après un dernier contrôle – rien ne saigne sérieusement – je finis de tout aspirer et commence par suture abdominale. Un surjet musculaire, doublé par des points en U, puis un surjet sous cutané et un surjet cutané. Vite, très vite : je veux la réveiller. Mon associé a fini de gérer les urgences, la chirurgie n’a pris qu’une petite heure. Il est temps de la réveiller.

Je reviendrai la voir cette nuit. Elle est vraiment, vraiment fatiguée. J’ajusterai les débits de perfusion et les analgésiques. Elle devrait s’en tirer. Si elle ne part pas en péritonite.

Note

[1] Je ne râlerai jamais assez contre la disparition des B-lactamines injectables par voie intraveineuse, qui nous prive des molécules les plus adaptées à ces urgences et nous oblige en plus à utiliser ces antibiotiques qui sont sensés être réservés à la seconde intention. Il faudrait utiliser par exemple une association d’amoxicilline et d’acide clavulanique, à la fois parfaitement adaptée aux germes les plus probablement en cause et inoffensif pour la mère et les bébés à naître. Un bête Augmentin IV. Qui n’est aujourd’hui plus accessible en dehors des pharmacies réservées aux hôpitaux. Je me vois donc contraint d’utiliser des fluoroquinolones, qui d’une me plaisent moins dans cette indication, de deux sont en théorie interdites en première intention sans analyse du germe en cause.

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Jour dix. Motif : accident

Jour dix

Motif : accident.

C’est. D’une. Brutalité. Sans. Nom.

Ils ont appelé vers 19h30. Ils avaient quinze minutes de route. J’avais donc dix minutes pour me préparer : allumer la radio, monter une perfusion, sortir le cathéter, chauffer une cage, attraper les antalgiques.

– Nous avons écrasé notre chien. Les deux pattes arrières, elle sont cassées.

Je n’ai même pas discuté. Pour quoi faire ? Venez, tout de suite, j’y serai avant vous.

Je ne suis de garde que depuis une demi-heure. Le temps d’achever mes préparatifs, ils sont entrés, avec un minuscule panier contenant un minuscule chien emballé dans une couverture. Seule sa tête dépassait. Un petit bout de museau de pinscher en état de choc. Shiff Sherrington. Trauma médullaire. Il n’a pas mal. Enfin si. Mais… il n’est pas vraiment conscient. Je le soulève, il tourne à peine la tête. Réflexe proprioceptif ou … ? Ses pattes arrières pendent, fracassées. Je ne sais pas comment il est encore en vie. Je regarde le monsieur. La dame sort en pleurant. Il n’y a pas vraiment besoin de mot, mais il faut les dire. Je ne peux rien pour lui.

Je ne peux rien pour lui

– Je le sais. Je suis venu pour…

Pour que je lui fasse sans attendre une injection d’anesthésiques. En intra-musculaire, pour commencer. En une minute ou deux, la tétanie s’efface, son cou retourné se détend. Il dort tandis que je lui tonds la patte et pose mon cathéter. Un dérisoire bout de plastique jaune pour une minuscule veine de chien en hypotension. Je scotche. J’injecte, des anesthésiques encore, à doses massives. Le sommeil s’approfondit, et j’injecte l’euthanasique.

Son maître n’est pas resté silencieux. Moi non plus, d’ailleurs, j’ai stimulé sa parole. Il y a des silences qui doivent être occupés. Il m’a expliqué l’accident, le truc idiot, le chien sourd, et aveugle, ils y faisaient attention, toujours. Ils savaient que ça pouvait arriver. La culpabilité sera très dure à effacer. Je le dis, je l’appuie, c’est une évidence, c’est normal. Ça arrive, ça arrivera toujours, et on ne peut pas ne pas culpabiliser. J’évite les « c’est un très bel âge » ou les « il a été heureux ». Ce monsieur n’a pas besoin de formules creuses. Il vit depuis plus de seize ans avec ce chien. Et il finit comme ça, entre mes mains. J’explique l’état de choc, la perte de conscience qui préserve l’organisme. Oui, il a souffert. Mais pas autant qu’il peut l’imaginer. Il s’est lui-même débranché. Et maintenant, c’est terminé.

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Jour dix. Motif : accident

Jour dix

Motif : accident.

C’est. D’une. Brutalité. Sans. Nom.

Ils ont appelé vers 19h30. Ils avaient quinze minutes de route. J’avais donc dix minutes pour me préparer : allumer la radio, monter une perfusion, sortir le cathéter, chauffer une cage, attraper les antalgiques.

– Nous avons écrasé notre chien. Les deux pattes arrières, elle sont cassées.

Je n’ai même pas discuté. Pour quoi faire ? Venez, tout de suite, j’y serai avant vous.

Je ne suis de garde que depuis une demi-heure. Le temps d’achever mes préparatifs, ils sont entrés, avec un minuscule panier contenant un minuscule chien emballé dans une couverture. Seule sa tête dépassait. Un petit bout de museau de pinscher en état de choc. Shiff Sherrington. Trauma médullaire. Il n’a pas mal. Enfin si. Mais… il n’est pas vraiment conscient. Je le soulève, il tourne à peine la tête. Réflexe proprioceptif ou … ? Ses pattes arrières pendent, fracassées. Je ne sais pas comment il est encore en vie. Je regarde le monsieur. La dame sort en pleurant. Il n’y a pas vraiment besoin de mot, mais il faut les dire. Je ne peux rien pour lui.

Je ne peux rien pour lui

– Je le sais. Je suis venu pour…

Pour que je lui fasse sans attendre une injection d’anesthésiques. En intra-musculaire, pour commencer. En une minute ou deux, la tétanie s’efface, son cou retourné se détend. Il dort tandis que je lui tonds la patte et pose mon cathéter. Un dérisoire bout de plastique jaune pour une minuscule veine de chien en hypotension. Je scotche. J’injecte, des anesthésiques encore, à doses massives. Le sommeil s’approfondit, et j’injecte l’euthanasique.

Son maître n’est pas resté silencieux. Moi non plus, d’ailleurs, j’ai stimulé sa parole. Il y a des silences qui doivent être occupés. Il m’a expliqué l’accident, le truc idiot, le chien sourd, et aveugle, ils y faisaient attention, toujours. Ils savaient que ça pouvait arriver. La culpabilité sera très dure à effacer. Je le dis, je l’appuie, c’est une évidence, c’est normal. Ça arrive, ça arrivera toujours, et on ne peut pas ne pas culpabiliser. J’évite les « c’est un très bel âge » ou les « il a été heureux ». Ce monsieur n’a pas besoin de formules creuses. Il vit depuis plus de seize ans avec ce chien. Et il finit comme ça, entre mes mains. J’explique l’état de choc, la perte de conscience qui préserve l’organisme. Oui, il a souffert. Mais pas autant qu’il peut l’imaginer. Il s’est lui-même débranché. Et maintenant, c’est terminé.

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Jour cinq. Motif : Urgence : Coliques

Jour cinq

Motif : Urgence : coliques

Il fait beau. Je suis dans le creux d’un vallon, au bord d’une belle carrière sans barrière – c’est vraiment beaucoup plus joli sans barrière, une carrière. Je suis dans le creux d’un vallon par une belle matinée d’été, le vent agite doucement les cimes de la forêt qui nous entoure, je n’entends que l’insensé vacarme matutinal des oiseaux. L’air est tiède, il porte le parfum des chevaux, de l’herbe, du sable qui chauffe.

Oui, c’est superbe : il faut bien que je me console d’être debout à 6h30 un dimanche où les enfants ne sont pas là, où je n’avais aucun animal hospitalisé et donc aucune raison de me lever.

Je ne suis pas consolé.

Je ne suis pas consolé mais je ne suis pas sorti de mon lit pour m’apitoyer sur mon sort : il y a une jument qui vient de pouliner, et son propriétaire vient de m’appeler car elle ne cesse de se coucher et de se lever, de taper du pied, de suer, bref, de nous faire le catalogue d’alerte aux coliques, ces douleurs abdominales qui peuvent rapidement être fatales aux chevaux (on ne parle pas des « coliques » au sens « j’ai la courante », mais d’un syndrome vraiment grave et typique des équidés).

Le temps d’arriver, la jument s’est calmée. Son poulain est déjà sec, elle a mis bas avant minuit. Son propriétaire n’a pas vu le placenta. Je commence par le thermomètre. 36,5. Parfait. Le stéthoscope. Le quadrant abdominal supérieur droit est silencieux, les autres gargouillent normalement. Pas mal. J’enfile mon long gant orange, et pénètre délicatement dans son vagin. Elle ne manifeste pas d’impatience, aucun signe de ma prochaine mise en orbite par ruade indignée, et je m’enfonce et explore, palpe les culs de sac utérins, glisse le long des parois. Je ne sens pas de bout de placenta, mais je sais à quel point il est facile de les manquer s’ils sont petits. Par prudence, je préfère ma lancer dans un lavage utérin. Des anti-spasmodiques par voie intraveineuse, d’abord, puis ma sonde en silicone, par laquelle nous remplissons l’utérus d’une solution désinfectante, deux fois de suite. Le liquide que je récupère est teinté de sang, bien sûr, mais rien ne sent mauvais, je suis optimiste. Je pense qu’il ne s’agissait que de petites douleurs consécutives à la mise-bas, pas d’une rétention placentaire ou d’une autre tuile de cet acabit. L’anti-spasmodique a d’ailleurs parfaitement levé la douleur, et j’écoute les gargouillis rassurants du quadrant silencieux.

Un contrôle du nombril du poulain, puis je liste tout ce qu’il va falloir surveiller : absence de retour des coliques bien sûr, l’anti-spasmodique n’est pas très puissant et n’agit que deux heures au plus, c’est un choix volontaire pour pouvoir surveiller – j’aurais pu faire plus fort. Mais aussi température, écoulements et odeur des écoulements. J’essaie d’être confiant, et rassurant. Je ne suis ni confiant, ni rassuré, je ne le suis jamais quand je suis appelé pour ce genre de choses.

J’aurais tellement préféré rester couché.

Mais… je suis tellement fier d’être ce vétérinaire que je regardais travailler, ado, dans les écuries du centre équestre du village.

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Jour un. Motif : problème pour respirer

C’est un chien. Un chien pas tout jeune, le genre rata-border colley qui abonde dans ces campagnes. Une petite quinzaine de kilos, un caractère de chiotte, aussi teigneux et tenace qu’un fox terrier mal luné. Du style à bouffer la taupinière avec la taupe, si ça gratte sous l’herbe du jardin. Extra pour creuser des tranchées.
Du genre à bouffer un crapaud, tiens.
Il n’a pas « juste » un problème pour respirer. Il est à moitié dans le coaltar, il tient à peine assis, ses troisièmes paupières lui couvrent presque les yeux. Il s’affaisse. Je le soutiens pour qu’il ne tombe pas de la table. Les poils de son poitrail sont couverts de salive. Beaucoup de salive.

– Il a vomi, plusieurs fois ce matin, et depuis, il respire bizarrement, il est tout mou, on ne le reconnaît pas.

Il est en train de plonger, oui.
Il est en train de plonger et j’ai l’impression de revivre la mort d’un chien samedi dernier. Un putain de crapaud.

– Il a bavé beaucoup, longtemps ?
– Oui, mais c’est passé, après et pendant qu’il vomissait.

Je vérifie la gueule. Aucun signe d’inflammation. Vomissements, hypersalivation, troubles digestifs et neurologiques. J’écoute le cœur. Stable. Pas de fièvre. Je connais le chien, je connais ses maîtres, je sais ce qu’ils vont me répondre.

– Il y a des crapauds dans le jardin ? Il a pu sortir, manger un truc toxique ?
– Oui. Non.

Oui. Non. Je vais vérifier l’abdomen, au cas où, mais je n’y crois pas. C’est une de ces foutues intoxication au crapaud, cet ahuri en a forcément mâchonné un. De toute façon, ce sont toujours ces teignes qui attaquent tout ce qui passe dans le terrain, et les chiots qui veulent jouer, qui subissent ce genre d’intoxication. Toxicité digestive, nerveuse, cardiaque. Et la mort. Pas d’antidote, juste des palliatifs à certains symptômes.

Alors je prends le chien dans les bras jusqu’à la baignoire, et je lui rince la gueule avec la douche. Rincer, rincer, rincer, c’est trop tard, mais rincer. Il boit en passant, et vomit aussitôt.

Je lui pose une perfusion, et j’explique. J’ai une quasi-certitude pour le diagnostic. Il n’y a pas vraiment de traitement. Le pronostic est très réservé : pour les chiens de moins de 10kg, aucune chance de s’en sortir. Pour ceux de plus de 20, presque aucun risque. Et pour ses 15kg ? Pour ses troubles digestifs et neuros sans atteinte cardiaque (pour le moment) ?

Pile ou face. Mon boulot va être d’essayer d’orienter le résultat.
Essayer de comprendre, dans l’après-midi, si ses brusques accélérations de rythme cardiaque sont dues à la douleur ou au poison, s’il est pertinent d’injecter plutôt du diltiazem ou de la morphine, si je dois me méfier et sortir l’atropinique ? Poser mon stéthoscope, compter. Le rassurer quand il hallucine. Le caresser. L’accompagner.

Et espérer.

Nuit une

Il est minuit. Je me suis extirpé de mon lit pour aller réécouter le cœur du rata-border colley.

Sauf qu’il n’y a plus rien à écouter.

J’en ai marre.

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Il est deux heures du matin

Il est deux heures du matin et ce n’est certainement pas la meilleure heure pour réfléchir. Ou pour écrire. Je ne suis pas de garde mais mon collègue m’a appelé en renfort vers minuit pour un vêlage : il avait une autre urgence. Le vêlage aurait sans doute pu attendre. Mais à quelle heure aurait-il fini ? Mieux vaut partager les emmerdes que les accumuler individuellement.

Il est deux heures du matin et dans la voiture, pendant les vingt minutes de route qui séparent l’étable de M. Louge de mon lit, je refais le match, je pense, j’argumente, je râle, je réfute. Je rate un embranchement. Manœuvre foireuse, je me remets sur les rails en esquivant les lièvres. Ce fut un vêlage sans grâce. Pas du sale boulot, mais pas un travail satisfaisant.

Une vieille routière, qui n’a jamais eu besoin d’aide pour vêler, avec un bassin en or. Un gros veau vigoureux, avec une légère torsion, un cou replié. J’ai réduit la torsion, allongé le cou du veau avec une corde bien placée. Et puis nous avons tiré. La tête est bien restée dans la filière pelvienne, pas de recul. Les épaules ont commencé à coincer. J’ai choisi d’insister. Il devait pouvoir passer. Un palan à trois tour, un opérateur costaud, avec parfois mes renforts : nous avons tiré fort, mais pas trop fort. J’ai du basculer la vache en soulevant son postérieur lorsqu’elle s’est enfin décidée à tomber. Lui écarter les cuisses pour faire bouger le bassin, réajuster des angles, tandis qu’il déplaçait le point d’attache du palan. Non, nous n’avons pas tiré si fort. Bien sûr, si les épaules sont venues sans effort excessif, je ne sais si je peux en dire autant du cul du veau. Trop de temps entre l’extraction de la moitié antérieure et celle de la moitié postérieure. Jusqu’à la délivrance. La rupture du cordon, et le veau sur la banquette de l’étable. Il respirait. Le cœur trop rapide, trop superficiel, nous l’avons suspendu, un peu, j’ai nettoyé le fond de sa gueule, j’ai injecté un analeptique, pour le faire démarrer. Sans doute inutile – vraiment ? – mais tellement réconfortant. On aime se dire qu’on fait quelque chose.

Je suis resté une demi-heure, pour le surveiller, l’aider à démarrer. Le vagin et le col de la vache étaient parfaits. Aucune déchirure. Non, nous n’avons pas tiré si fort que ça. Alors, pourquoi cela a-t-il été si difficile ? Pourquoi a-t-il autant souffert ? Et surtout, va-t-il survivre ? Ai-je fait les bons choix ?
Oui : puisque nous n’avons pas tiré si fort, puisque j’ai réussi à gérer techniquement chaque étape de la naissance. La torsion, le cou replié, l’extraction de l’avant, celle de l’arrière. Puisque, sur le papier, tout s’est bien passé.
Non, puisque le veau a vraiment du mal à démarrer, parce que son pronostic vital est sérieusement engagé (ça veut dire : il y a trop de chances qu’il y reste).

Bien sûr, j’aurais pu faire une césarienne. Mais bon : sur une vache de dix ans qui a toujours vêlé seule, avec une excellent bassin, une bonne préparation, un veau qui s’est bien engagé dans la filière, sans aucun indice de recul des membres ou de la tête, pour laquelle la force d’un seul homme sur un palan à trois tours a suffit, même si ce fut musclé ?

Il est deux heures du matin et je suis devant mon clavier, avec un mauvais sentiment d’inachevé. Le vêlage est un acte entier, après lequel on peut aller se coucher avec le sentiment du devoir accompli. Quelle que soit la façon dont les choses se sont terminées. Pas cette fois.

Pourquoi ?

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