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Méta
Archives de catégorie : Un peu de recul
Mais alors, quel animal préférez-vous soigner ?
Elle avait posé son cocker sur la table et son beau manteau sur le dossier d’une de mes chaises en plastique. Tandis que je me concentrais sur la jeune chienne, qui hésitait entre bondir et se laisser amadouer, elle regardait le poster défraîchi au… Continuer la lecture
Mes piliers
J’écris ceci le 23 juin 2020. Trois mois ont passé depuis le début du confinement du pays, un et demi depuis sa fin. La pandémie continue de s’étendre et nous ne pouvons toujours pas imaginer son impact sur nos sociétés.
A notre tout petit niveau, … Continuer la lecture
Les temps qui changent
A chaque semaine qui passe, tout semble vouloir nous ramener vers la « normale ». Pourtant, les masques, les distributeurs de SHA et les gestes barrière persistent. Pourtant, malgré nos envies de regarder ailleurs, les nouvelles alarmantes continue… Continuer la lecture
Et la science, dans tout ça ?
Certains ont annoncé, dès les premières rodomontades du Pr Raoult, que la science serait la grande perdante de cette épidémie de COVID-19. Je ne sais qu’en penser. Je crois qu’on peut faire une longue liste des grands et petits perdants de cette ép… Continuer la lecture
Le besoin d’oublier
Il se passe à merveille, ce déconfinement. Ici, à la clinique, beaucoup de clients sont arrivés dans la fameuse phase « quoi, on a foutu l’économie française en l’air pour ça ? », « y en a marre de ces consignes » et autres « tout ça c’est des conn… Continuer la lecture
Gueule de bois
Je ne sais pas vous, mais ce déconfinement me laisse sacrément circonspect. Peut-être parce que je ne me suis jamais senti vraiment confiné : si nous avons adapté notre façon de travailler, elle n’a pas été transformée, et ces derniers jours ressem… Continuer la lecture
Bricolage
Quand vous lirez ces lignes, le déconfinement aura déjà commencé. Pour l’heure, je n’en suis pas là. Je viens de rentrer de la clinique après une journée éreintante, qui s’est achevée sur la découpe à la scie sauteuse des plaques de plexiglas achet… Continuer la lecture
L’après, l’avec et le sans
Il y a donc enfin un « après ». Un « après » un peu plus précis depuis les annonces du premier ministre, hier. Un « après » qui n’en est pas vraiment un puisque le virus est toujours là et que nous ne sommes toujours pas prêts, alors… Alors quoi ? … Continuer la lecture
L’incertitude
Un mois déjà. Un mois encore. Au moins. Qui sait ?
Le week-end de garde de Pâques vient de s’achever. Le lundi fut emblématique de la période : les trois quart des gens avaient oublié que c’était un jour férié. Il faut avouer que tout ça ne veut sa… Continuer la lecture
Pour l’euthanasie ?
On suppose souvent que je suis pour l’euthanasie. Humaine, s’entend. Dans ces conversations anodines, ces réflexions qui tombent parfois. Parlant du chien, ou du chat : « Ah, au moins, lui on peut l’aider à partir. Il a de la chance. Une chance que… Continuer la lecture
Deuxième avis
Je n’ai pas confiance. Et s’il se trompait ? Il y a peut-être une autre solution ? Je voudrais qu’il soit soigné autrement. J’ai confiance, mais je ne peux pas croire qu’on ne puisse pas faire plus ! Une autre chance ? Il m’a prise pour une conne ! Il … Continuer la lecture
L’effet placebo en médecine vétérinaire
Depuis quelques mois, la question du déremboursement de l’homéopathie par la sécurité sociale a amené de nombreux débats, témoignages, pétitions et tribunes pour ou contre les médecines dites « alternatives ». Régulièrement, l’argument de l’inexist… Continuer la lecture
Être véto et vegan ?
J’ai la chance, en ce moment, d’accueillir une stagiaire vétérinaire de première année dans ma clinique. Elle m’aère le neurone : expliquer son boulot à quelqu’un qui vient en stage, avec un vrai sujet d’étude de la relation entre la structure vété… Continuer la lecture
11 novembre
Cela a déjà été écrit mille fois. La sidération stuporeuse de fin de journée, pour reprendre les mots de Jaddo, ou l’extraction, étape par étape, de cette implication si nécessaire à notre travail, et pourtant si dangereuse pour nous et nos proches… Continuer la lecture
Conduite automatique
Il suffit d’un microbe. D’un accident. D’une naissance. De vacances. Un collègue absent, pour deux, trois, quatre semaines ou plus – cela nous arrive à tous un jour ou l’autre, pas la peine de culpabiliser – et c’est immédiat : j’enclenche la conduite automatique. Un véto absent, dans notre structure à trois temps plein et demi qui a en permanence du travail pour deux à trois vétérinaires, cela ne signifie pas que nous ne pouvons plus faire le travail : nous ne sommes qu’exceptionnellement plus de trois à la fois. Cela implique simplement que nous soyons (comme d’habitude) tous les jours deux ou trois. Mais il n’y a plus de roulement. Alors nous prenons le planning, et nous rayons les jours de repos. Moins de mercredi avec les enfants, plus de week-end de deux ou trois jours. Une garde sur deux, et non plus une garde sur trois. Cinq à six jours travaillés sur sept, et trois à quatre nuits.
Il ne faut plus réfléchir, dans ce cas. Je le fais très bien. Je me prépare très vite, je le sais, mon comportement change. Je cesse de réfléchir à ce qui me concerne. Je n’anticipe plus, surtout, ou beaucoup moins. J’arrête de regarder la semaine suivante, je guette à peine le lendemain. De toute façon, je travaillerai. Et comme il est hors de question que qui que ce soit en pâtisse – confrères et consœurs, ASV, clients, patients, j’automatise. Je navigue dans une espèce de coton, un brouillard dans lequel j’avance heure par heure. Non pas que je n’organise plus mes journées de travail ou celles de la clinique en général, au contraire : la tension permanente qu’implique cette situation pousse à organiser d’autant mieux la charge de travail, pour nous économiser. C’est une course d’endurance. Mais je reste fixé sur l’instant. Mes journées, mes nuits, mes semaines ne sont plus que des suites d’instants. Je décommande les loisirs qui demandent de l’énergie – organiser une partie de jeu de rôles, une sortie… Je m’économise pour pouvoir garder une humeur égale avec mes collègues et mes clients, bien sûr, mais aussi et surtout avec ma famille. C’est un problème de boulot : il doit rester au boulot.
J’observe toujours avec un détachement étrange ma plongée en conduite automatique : je me vois travailler, discuter, téléphoner, diagnostiquer, décider, argumenter. Je me vois faire, je m’observe vivre, au lieu de… faire et vivre. C’est une sensation vraiment curieuse. Je ne crois pas être moins efficace, au contraire. Ni plus impersonnel. Je ne constate, en réalité, qu’une vraie différence : un drôle de mal de crâne qui augmente au fil de la journée, sans devenir réellement insupportable. Pas vraiment une douleur. Juste un engourdissement, qui participe à cette ambiance noyée de coton.
Je ne veux pas être plaint, ni félicité ou encouragé, car cela me force à considérer subjectivement ce qui se passe, cela me force à sortir de cette boule de coton pour répondre. « Non, mais non, ne t’inquiète pas, ça va en fait, on a déjà vécu pire. Et puis, c’est normal, c’est comme ça. » « Ah, merci, mais ce n’est rien, tu sais. » Ce n’est pas un manque de recul, c’est juste un choix : celui d’être spectateur de mes actes. L’objectivité « parfaite ».
C’est aussi, pendant cette conduite automatique, que je réalise à quel point je suis, à chaque instant, en conduite accompagnée. La qualité des assistantes et vétérinaires avec qui je travaille est… fondamentale. Je sais que je peux me reposer sur eux, comme eux sur moi. Non pas qu’il n’y ait jamais de couac, c’est impossible. Mais nous pouvons compter les uns sur les autres. C’est curieusement aussi le type de période où je suis le plus en empathie avec elles. Ce qui semble logique, puisque je cesse, autant que possible, de me penser, moi.
En conduite accompagnée, je le suis encore plus à la maison. Je pourrais sans doute être en conduite automatique si je vivais seul. Peut-être serait-ce même encore plus facile. Mais… cela n’aurait plus aucun sens. C’est ma femme et mes enfants qui confèrent à nouveau un sens à ma vie, là où je n’en cherche plus aucun. C’est elle, elle surtout, qui me fait revenir vers la perception, vers notre vie. Pour deux, trois, quatre semaines, ou plus. Jusqu’à pouvoir recommencer à vivre.
PS : à toi qui me lira peut-être, pour qui je n’aurais peut-être pas du écrire ce billet, au risque de te culpabiliser, surtout : ne culpabilise pas. Repose-toi, concentre-toi sur toi. Aujourd’hui c’est toi, demain ce sera moi. C’est comme ça. Je n’ai jamais pensé que cela pourrait être autrement.
La médecine vétérinaire implique-t-elle d’opposer éthique et économie ?
Titre original : Choosing the way you work : does ethics have to be opposed to economics ?
Cette conférence a initialement été écrite pour le congrès vétérinaire de Leon au Mexique, en septembre 2017, où j’ai été invité pour deux conférences suite à la traduction de mon livre en espagnol. Le président du congrès, le Dr Cesar Morales, a voulu proposer des conférences plus « sciences humaines » qu’habituellement. 17000 personnes, 27 conférences simultanément pendant 4 jours… et pour moi deux conférences en anglais, devant des hispanophones.
Cette conférence a été pensée pour un public de vétérinaires qui connaissent aussi bien notre métier en France que je connais le leur au Mexique (spoiler : pas du tout). Je pensais avoir un certain nombre d’étudiants pour cette conférence, et j’ai décidé de réagir à certaines plaintes entendues de la part de jeunes consœurs et confrères entendues autour de moi ou sur les réseaux sociaux, qui vivent mal la perte de sens de leur pratique quotidienne et le conflit entre questions éthiques et économiques dans notre métier. Le coût des soins que nous prodiguons et la nécessité de rentabiliser nos structures sont en effet des sources de conflits avec l’idéal d’une médecine « pure » et le souci du bien-être animal.
J’ai donc envie de vous parler d’éthique et d’économie. Quitte à être un peu provocateur, mais tant qu’à écrire, autant vous faire réagir. Par contre, soyons clair : je ne suis ni un juge, ni un genre de gourou ou de maître à penser. J’ai simplement réalisé, au fil des années, en écrivant sur mon travail -notre travail – sur internet ou pour mon bouquin, que je n’avais jamais réfléchi à un problème éthique avant d’y être violemment confronté. Je n’étais pas prêt, je ne l’ai jamais été à temps, j’ai fait beaucoup d’erreurs. Autant en faire quelque chose d’utile.
Devons-nous opposer éthique et économie dans notre pratique quotidienne ?
Bien sûr, la réponse devrait être non. Dans un monde idéal, nous ne devrions pas mettre en opposition questions éthiques et économiques, ni même les mettre en compétition. Plus précisément, nos choix éthiques et médicaux ne devraient pas être limités par des considérations financières.
Bien sûr, ce n’est pas le cas.
La réponse cynique est facile aussi : chère consœur, cher confrère, jeune padawan, ne rêve pas, ne sois pas naïf, tu ne pourras jamais faire ce que tu veux, et encore moins ce que tu devrais.
Ma réponse, bien entendu, se trouve quelque part entre les deux. Je ne crois pas que nous soyons condamnés à une implacable logique comptable. Je crois aussi que nous ne pouvons pas bien travailler sans garder à l’esprit toutes ces questions d’argent – les ignorer ne résout rien à moyen terme. Le point essentiel, finalement, est que chacun doit réussir à travailler de la façon qui lui convient. Je lis trop souvent sur les réseaux sociaux de jeunes vétérinaires qui écrivent : « je n’aime pas la façon dont je dois travailler ». Et je me permets, à ce stade où l’on peut craindre que je commence à donner des leçons, de faire remarquer que oui, je suis vétérinaire praticien, que j’ai été longtemps salarié, et que non, mon boulot n’est pas plus facile ni évident que le vôtre. Alors, voyons ce que nous pouvons faire pour aimer notre métier – si ces questions nous préoccupent. Parce qu’évidemment, si les questions éthiques ne vous intéressent pas, vous allez beaucoup vous ennuyer en me lisant. Et, après tout, continuez comme ça, c’est probablement plus facile.
Le rêve d’une médecine sans contrainte et la couverture médicale universelle
Quand on est un enfant de dix ans qui décide que plus tard, il sera vétérinaire, on n’imagine pas un instant que ce rêve sera pollué par des questions financières. A 15 ans non plus, d’ailleurs. On s’en fout. Je serai vétérinaire parce que j’aime les animaux. Je serai vétérinaire pour soigner les animaux. Des dauphins. Des chevaux. Des licornes. Et même après, quand on est étudiant dans une école dotée d’un hôpital de pointe, où on n’est pas responsable des factures et encore moins des encaissements, on sous-estime l’importance de ces questions financières. On n’est pas là pour ça, on est là pour apprendre un métier : soigner.
Dans un monde idéal, il n’y aurait pas de question financière. Pour les vétérinaires français, c’est un rêve d’autant plus évident que c’est le cas ou presque en médecine humaine. La sécu française permet à nos médecins de soigner sans se poser les questions qui constituent notre quotidien. Il n’est donc pas étonnant que les jeunes vétérinaires tombent de haut lorsqu’ils déboulent dans une clinique pour leur premier poste et se rendent compte que non, ils n’auront pas le « minimum database » pour travailler. Qu’ils devront hiérarchiser leurs propositions diagnostiques et thérapeutiques en fonction de critères médicaux, bien sûr, mais aussi de critères pratiques (le propriétaire pourra-t-il administrer ces comprimés à ce chat?) et surtout économiques : telle information change-t-elle réellement les décisions thérapeutiques ? Ce chien a-t-il vraiment besoin de ce médicament pour guérir ?
C’est un bon moyen d’apprendre – d’une façon sans doute un peu violente – que l’on peut faire de bons diagnostics probabilistes (educated guess disent les anglo-saxons) avec peu d’examens complémentaires, et que nombre de médicaments de notre pharmacopée sont d’une très faible utilité : je me suis rendu compte avec le temps que je faisais de moins en moins d’analyses, et que mes ordonnances étaient de plus en plus courtes. Mes patients ne guérissent pas plus mal pour autant. Alors attention : je ne suis pas en train de prôner des thérapeutiques alternatives ou une fuite de la médecine basée sur des preuves, au contraire. Je ne suis pas un croyant, ni un partisan du « c’était mieux avant, quand on faisait de la vraie médecine avec ses cinq sens et pas avec des analyseurs et des échographes ». Je suis un grand fan de mon Ettinger. Non : je veux dire que j’ai appris (hérité ?) de mes aînés – et de certains de mes enseignants – trop d’habitudes qui ne sont pas fondées sur une base scientifique solide, et que me concentrer sur l’essentiel (sous, notamment, la pression économique) m’a appris à soigner mieux, et pour moins cher.
Médicalement parlant, nous savons ce qui est le mieux pour nos patients.
Revenons aux questions éthiques. Parlons un peu de médecine humaine (j’utilise ce terme en opposition à vétérinaire) en France. Parlons de quelques scandales qui sont arrivés – et se poursuivent sans doute – dans nos hôpitaux et cabinets médicaux.
Réfléchissons-nous parfois à l’absence de consentement de nos patients ? C’est une question qui agite le monde médical français depuis quelques années, une « révolte » des patients et notamment des patientes contre la maltraitance médicale, contre toutes ces habitudes pas forcément toujours très scientifiquement prouvées qui amènent les médecins à pratiquer des actes ou simplement à se comporter comme si l’avis du patient n’avait pas d’importance. Un grand professeur d’un hôpital parisien a été interviewé par la BBC au sujet d’un scandale dont vous avez sans doute entendu parler : la pratique a priori courante, dans un but pédagogique, de touchers vaginaux sur des patientes anesthésiées – sans consentement préalable bien entendu. Ce professeur n’a pas compris la question. Pour lui, si cela était fait dans un but d’enseignement, il n’y avait pas de problème, parce que le patient doit avoir confiance en son médecin, parce que le médecin sait ce qui est bon pour lui, mais… s’il fallait remplir un autre papier, on remplirait un autre papier. Pour lui, le concept de consentement, c’est un formulaire.
Ça n’arriverait pas en médecine vétérinaire ? Vraiment ? Je suis sûr qu’en y réfléchissant vous trouverez des exemples. Que pensez-vous du chien mort dans votre chenil d’hospitalisation, dont vous conservez le corps, au sujet duquel vous vous posez beaucoup de questions – pourquoi exactement est-il mort, par exemple. Pratiquer un examen nécropsique semble une excellente idée, mais vous n’osez pas demander au propriétaire de l’animal, ou vous n’en avez juste pas envie. Après tout, personne n’en souffrira et ça servira à d’autres. Oui. Mais vous ne pouvez pas ne pas demander au maître de l’animal, et cela implique d’accepter son éventuel refus.
Nous sommes docteurs, nous savons ce qui est le mieux pour nos patients.
Vraiment ?
N’oublions pas que notre patient, lui, si on le laissait décider, se barrerait en courant, en volant ou en nageant lorsque nous approchons avec nos aiguilles et nos scalpels. Nous imposons même au propriétaire de maltraiter son animal en l’empêchant de bouger après un accident, en lui faisant avaler des comprimés, en lui faisant manger des croquettes qu’il n’aime pas. Imposer un traitement est une forme de maltraitance, une maltraitance que nous justifions – a priori à juste titre ! – par l’avantage que l’animal en retirera une fois le traitement achevé. Il sera guéri de sa maladie, il n’aura plus mal, bref, il ne souffrira plus. Ou moins. Nous préviendrons des problèmes ultérieurs en le stérilisant, ou en le vaccinant.
Nous tuons, même : l’euthanasie est quand même un paradoxe qui demande une sacrée confiance en soi pour être justifié. Je veux dire : des soignants qui tuent ?
Quand je disais que je n’avais pas réfléchi avant de me prendre les choses à grande vitesse dans la figure, en voici un exemple. Ma première euthanasie de vache. Je me suis un jour retrouvé, jeune vétérinaire stagiaire, aux côtés d’un confrère pour une vache couchée. Appel pour euthanasie. Je ne me souviens plus du motif, mais il ne m’avait pas choqué (l’aurait-il dû ? Je ne pense pas, mais je ne m’en souviens pas). Mon maître de stage m’avait alors glissé à l’oreille, tandis que l’éleveur regardait sa prim’ holstein d’un air dépité : « bon, c’est toi qui fait l’injection. Si tu rates, ça va se voir : c’est le seul médicament qui marche à tous les coups ». J’ai pris les seringues et fais mon intraveineuse. La vache, déjà couchée sur le sternum, a glissé sur le côté, puis a soupiré deux ou trois fois. J’ai écouté son cœur s’arrêter. Elle était morte et moi, j’étais content d’avoir bien réalisé le geste technique. Sur le coup, ma première euthanasie de vache s’est résumée à ça. Je n’étais pas responsable de la décision, ce qui me simplifiait la vie (je l’ai réalisé plus tard). J’ai tué sur commande en faisant confiance (à juste titre !) à mon maître de stage, et j’étais content que ça ait marché, pas tant parce que la vache était morte vite et « proprement » mais parce que j’avais bien réalisé un geste technique. C’est naturel, mais c’est idiot. Ça n’a pas de sens.
Nous tenons pour acquis que nos clients (ou les patients, pour les médecins) doivent nous faire confiance parce que nous savons. Mais si nous en restons là sans nous remettre en question, nous risquons d’en arriver à des absurdités semblables au raisonnement du professeur dont je parlais plus haut !
Ceci étant, nous connaissons notre métier. Nous connaissons les balances bénéfice/risque. Donc oui, nous savons ce qui, médicalement parlant, est le mieux pour nos patients. Mais… Voyons un peu les « mais ».
Oui mais… Parlons un peu d’argent.
Nous savons aussi ce que coûte chaque acte, chaque médicament. Au fil de notre consultation, nous savons où nous en sommes, financièrement. Enfin, en tout cas, les libéraux le savent. Les salariés, moins. Ce n’est pas directement leur problème. Et il faut le leur apprendre : combien ils coûtent, eux. Ce que vaut leur compétence, et ce que coûtent les choix diagnostiques et thérapeutiques qu’ils proposent. Toutes ces données qui sont naturelles pour le type qui paie les factures et les charges à la fin du mois ne le sont pas du tout pour le salarié, ne l’oublions pas. Et c’est très important : parce qu’une mauvaise maîtrise de la simple connaissance de ces coûts amènera forcément des conflits avec les clients, qui n’apprécieront pas de ne pas avoir de devis, qui râleront devant une facture qu’ils penseront injustifiée… alors qu’ils l’auraient peut-être acceptée si elle avait été anticipée. Ou qui aurait été différente s’ils avaient eu l’opportunité d’annoncer leurs limites financières.
Je reviens sur la méconnaissance des vétérinaires de la valeur de leur travail :
Imaginons un chien de chasse, qui vient de se faire ouvrir le thorax par un sanglier. Il arrive en urgence à la clinique, nous prévenant quelques minutes à l’avance. Il est reçu par une consœur et une ASV (auxiliaire spécialisée vétérinaire, nos infirmières bi-classées secrétaires). Le chasseur porte le chien jusqu’à la salle de soins, laissant sur son chemin taches de boue et de sang. En quelques minutes, la patte du chien est tondue, rapidement désinfectée. La vétérinaire pose un cathéter, branche une perfusion, choisit le débit et le soluté adaptés. Démarre une antibiothérapie intraveineuse. Dans le même temps, elle évalue l’état du chien et l’étendue des dégâts, en constatant l’entrée d’air dans le thorax par une blessure intercostale. Elle choisit un protocole anesthésique et analgésique adapté à l’état du chien, l’endort tandis que l’ASV obstrue plus ou moins le trou tout en nettoyant la plaie. Elles intubent le chien, le branchent sur la machine d’anesthésie gazeuse et le concentrateur d’oxygène et se relaient à l’assistance respiratoire tout en finissant de préparer le chien. La vétérinaire a enfilé ses gants et explore la blessure, vérifie l’absence de dégâts sur les poumons et le diaphragme, referme la paroi thoracique tout en rétablissant le vide pleural avec l’aide de l’assistante, pose un drain thoracique, finit de parfaire le vide pleural, puis suture les couches musculaires et sous-cutanée, puis cutanée, en posant un drain dans la plaie. Un bandage compressif est réalisé. Elles surveillent le réveil du chien, qui passera la nuit à la clinique avant de rentrer chez lui le lendemain.
Tout cela a pris très peu de temps. 40 minutes ?
J’ai demandé à la vétérinaire (salariée) de me donner, de tête, le montant de la facture à venir. Elle a réfléchi au temps passé, au fait qu’il y avait très peu de matériel utilisé… et donné un montant dramatiquement faible en regard de la disponibilité et des compétences déployées. Je lui ai ensuite résumé ce qu’elle avait fait (le paragraphe ci-dessus). Et je lui ai rappelé qu’elle n’avait pas bossé seule mais mobilisé une ASV. Cette fois-ci, après avoir passé un peu de temps sur l’ordinateur, elle m’a donné une facture bien plus élevée. A mon avis assez juste. Mais bien trop au-dessus du prix du marché et des moyens financiers de la moyenne des propriétaire des chiens.
Bref, revenons-en au sujet : nous savons ce qui, médicalement parlant, est le mieux pour nos patients. Nous connaissons les coûts, et nous en avons averti nos clients.
Oui, mais… nous pouvons avoir tort.
Nous pouvons nous tromper : qui ne s’est jamais complètement planté sur une prise en charge ? Qui n’a jamais prédit une mort rapide à un animal encore en vie quelques années plus tard ? Qui n’a jamais entendu un client nous signaler que les chiennes de sa grand-mère n’ont jamais été stérilisées ni vaccinées, et qu’elles ne sont jamais tombées malades pour autant ? Nous devons connaître nos biais et ceux de nos clients. Nous devons prendre en compte notre marge d’erreur dans chacune de nos décisions, et malgré tout, décider. Parce qu’il y a un moment où il faut bien avancer. J’ai eu une stagiaire que cette perspective affolait, et paralysait, sur le mode : « Je pourrais avoir tort. »
Bien sûr : elle aura tort, un jour ou l’autre. Mais si elle ne fait rien, est-ce que les choses ont plus ou moins de chances de mal se passer ? Est-ce que son intervention a plus de chances de faire une différence dans le bon sens que dans le mauvais ?
Quels sont les risques ? Les probabilités ? La médecine, ce sont, tous les jours, des probabilités. C’est l’essence de la balance bénéfice/risque !
Je crois que nos erreurs ne seront jamais aussi graves que le jour où on ne les anticipera pas… Je préfère un collaborateur qui connaît ses limites qu’un bourrin qui fonce sans penser aux conséquences. Et j’ai pratiqué les deux. Les premiers, avec tous leurs doutes (même injustifiés), ont fait de bien meilleurs vétérinaires. Parce qu’avec le temps, ils ont pris confiance en eux, sans oublier de douter pour autant.
Alors, où en somme-nous ?
A priori, nous savons ce qui, médicalement, a le plus de chances d’être le mieux pour nos patients. Nous connaissons la valeur de nos compétences et leurs limites, et nous en avons informé nos clients.
Nous avons donc toutes toutes les clefs pour proposer le meilleur traitement pour chaque cas.
Non ?
Et le propriétaire de l’animal ?
Non : il reste un élément essentiel, comme dans la vieille blague des informaticiens : le principal obstacle au bon fonctionnement d’un ordinateur se trouve entre la chaise et le clavier.
Nous devons savoir ce que le propriétaire de l’animal attend, et ce qu’il ne veut pas. Nous devons nous enquérir de ses contraintes financières aussi, ou de leur absence. Il y a deux types de problématiques qui se mêlent ici :
– la représentation que le propriétaire se fait de son animal : vaut-il le coût, même si j’en ai les moyens ?
– les moyens, au sens strict du terme : puis-je payer la somme nécessaire ?
Il ne faut pas non plus oublier tous les autres facteurs qui viennent influencer la décision du client : toutes ces représentations, ces idées reçues que nous ne pouvons pas négliger, que nous devons anticiper, écouter, comprendre, sans juger ! « La chimio, c’est forcément mal. » « Il faut qu’elle fasse une portée. »
Nous ne pouvons nous abstraire de ces questions, mais attention : NOUS NE DEVONS PAS RÉPONDRE A LA PLACE DU CLIENT. Et c’est une erreur que nous faisons facilement, même lorsque nous sommes des vétérinaires expérimentés. Y compris en médecine des animaux de rente ! C’est une erreur que nous faisons par excès, quand nous sous-estimons les freins de nos clients, qu’ils soient concrets (ils n’ont pas forcément les moyens que nous leurs prêtons, pour quelque raison que ce soit) ou subjectifs (ils peuvent être motivés pour soigner son animal, mais dans certaines limites, financières ou autres).
C’est aussi une erreur que nous faisons lorsque nous décidons de privilégier par exemple une prise en charge peu onéreuse parce que nous pensons que le client ne pourra ou ne voudra pas payer. Et nous ne devons pas faire ça ! Nous devons proposer les alternatives, préciser les coûts, expliquer les avantages et inconvénients de chaque prise en charge, et conseiller le client dans son choix. Bien sûr, nous sommes juge et partie : on pourra nous reprocher, à juste titre, de gagner en général plus d’argent lorsque nous proposons une prise en charge plus onéreuse. Cependant, ce point qui peut sembler évident mérite réflexion :
- il peut être bien plus rentable de faire de la médecine rapide et pas chère que de passer beaucoup de temps sur un cas, même si on réalise plus d’actes au final. Un exemple simple : je reçois le propriétaire d’un chien âgé et arthrosique, qui vient pour euthanasie – il a mal et a besoin d’assistance pour se lever. Cela peut ne prendre que dix minutes, et me rapporter environ 30€. Je peux aussi creuser un peu et vérifier si le propriétaire est réellement arrêté sur cette décision d’euthanasie. Discuter prise en charge de la douleur, évaluer si c’est humainement et médicalement réaliste, convaincre, prescrire. Ça ne me prendra pas moins de trente minutes, et même si j’ai entre temps réalisé une analyse d’urines et une prise de sang et prescris 10 jours d’anti-inflammatoires, je n’aurais gagné qu’environ 40€. C’est beaucoup moins rentable (même au long terme : il n’est pas du tout évident que le propriétaire du chien donnera suite au traitement entrepris – et si en plus le chien reste à pourrir dans son panier et que son maître attend le dernier moment, lui aurons-nous rendu service ?).
- lorsque nous confions un patient et un client à un confrère spécialisé, cela ne nous rapporte rien, tandis que si nous essayons de tout gérer nous même, nous pouvons gagner plus. Référer et travailler en réseau me semble être une base pour une bonne pratique médicale, mais ça ne rapporte rien financièrement.
Quoi qu’il en soit, c’est à nous de rester droits dans nos bottes en ayant conscience de notre conflit d’intérêt et en démontrant, si nécessaire, notre bonne foi à nos clients. Ça ne doit pas être difficile si nous avons réfléchi et exposé correctement notre démarche. Mais ça demande du temps, du temps qu’il faut savoir prendre ! C’est en prenant ce temps que nous n’aurons pas à opposer systématiquement contraintes éthiques et économiques.
Quant aux animaux de rente : a priori, dans ce cas, la réflexion est plus simple. L’animal a une valeur brute, et potentielle. Combien vaut-il aujourd’hui, combien rapportera-t-il plus tard si on parvient à le soigner. Quelles sont les chances de succès du traitement, combien coûte-t-il ? Une fois ces données connues, l’éleveur peut faire son choix. Mais même un éleveur peut avoir envie qu’on soigne un animal pour des raisons autres que strictement économiques, il ne faut pas l’oublier.
Nous devons valoriser notre travail : soigner l’animal au mieux, avec l’accord de son propriétaire, sans le faire souffrir plus qu’il n’est justifiable pour son bien-être, en respectant les contraintes financières. C’est à mon avis le seul moyen de se regarder tranquillement dans son miroir le matin si on est sensible aux questions d’éthique.
Concilier éthique et économie, réconcilier les vétérinaires avec leur travail
Je ne sais pas comment fonctionnent les relations hiérarchiques entre vétérinaires au Mexique.
Nous avons en France beaucoup de petites structures où travaillent des vétérinaires isolés avec éventuellement un ou plusieurs assistants « infirmiers/secrétaires ».
Des structures de taille moyenne, de petites cliniques comme la mienne où bossent de 3 à 8 vétérinaires et autant ou un peu plus d’assistants.
Et de grosses structures, jusqu’aux hôpitaux vétérinaires…
Dans tous les cas, deux statuts se côtoient : les libéraux, ou associés, et leurs salariés. Si ceux-ci sont évidemment hiérarchiquement subordonnés à ceux qui les paient, ils conservent en théorie une réelle indépendance dans leurs choix médicaux, dans les limites de ce que propose la structure qui les emploie.
J’insiste sur la réalité de cette indépendance, garantie par notre code de déontologie : de l’époque où j’étais salarié à aujourd’hui où je suis employeur, dans toutes les structures où j’ai travaillé, et cela reste vrai pour les amis salariés plus jeunes ou de mon âge, personne ne nous impose réellement une manière de travailler. Et nous assumons nos choix devant les clients, même si c’est la structure qui nous emploie qui sera responsable financièrement et légalement en cas de problème… Mais un rapide sondage sur Twitter m’a apporté des réponses contraires : la majorité se déclarait sous influence forte de ses employeurs.
Je précise tout ça car l’une des plaintes les plus fréquentes lue sur les réseaux sociaux, de la part de jeunes vétérinaires souvent, mais parfois aussi de vieux vétos qui s’emprisonnent eux-mêmes, quand ils ne succombent pas au cynisme et à l’amertume, est l’impression de ne pas pouvoir travailler de la façon qui leur convient. Patron buté, impossibilité de faire ou décider ce qu’ils souhaitent, absence de choix dans les prises en charge, force des habitudes… Je ne sais pas, pour chacun, ce qui contraint ces consœurs et ces confrères, mais je trouve que c’est un discours difficile à entendre : si vous avez la malchance de vous retrouver dans une telle situation, changez-là (et chères consœurs, chers confrères, employeurs : n’oubliez pas que vous aussi, vous avez été salarié, et rappelez-vous du plaisir que vous avez eu à être conseillés, mais indépendants, ou des mauvais souvenirs liés à ce que l’on vous a injustement imposé).
Notre profession connaît le plein emploi. Elle est financièrement favorisée, même s’il y a de grandes disparités, même si à niveau de compétence et de responsabilité égal nous gagnons moins que d’autres professions, même si nous sommes astreints par la permanence de soins… nous sommes privilégiés. Mais c’est à chacun de se construire son exercice idéal du métier de vétérinaire. Qu’en pense l’enfant de 10 ans, l’ado de 15 ou l’étudiant de 20 ans qui persiste en nous ? Qu’en pense le vétérinaire de 30 ans qui commence à bien cerner les contours de son métier ?
Si la façon dont l’équilibre entre questions économiques et éthiques ne correspond pas à l’idée que vous vous faites de votre métier, il n’est pas utile de vous répandre en amertume sur Twitter ou Facebook. Changez-ça ! Vous le pouvez ! Vous pouvez vous lancer, même seul(e) ! Vous pouvez bouger. Trouvez l’employeur qui vous conviendra si vous ne pouvez ou ne voulez pas de l’exercice libéral. Mais ne soignez pas un animal d’une manière qui vous paraît indigne. N’euthanasiez pas l’animal qui, selon vous, ne doit pas mourir. Il y a toujours une autre solution. Toujours.
Une chose. Un nuisible. Du bétail. Un compagnon. Une personne. Comment la perception de l’animal change dans la France rurale.
Titre original : From the « thing », the « pest » or the
livestock to the pet or « the animal as a person » : how the perception
of the animal changes in rural France
Cette conférence a initialement été écrite pour le congrès
vétérinaire de Leon au Mexique, en septembre 2017, où j’ai été invité
pour deux conférences suite à la traduction de mon livre en espagnol. Le président du congrès, le Dr Cesar Morales, a voulu proposer des conférences plus « sciences humaines » qu’habituellement. 17000
personnes, 27 conférences simultanément pendant 4 jours… et pour moi
deux conférences en anglais, devant des hispanophones.%%%
Cette conférence a été pensée pour un public de vétérinaires qui
connaissent aussi bien notre métier en France que je connais le leur au
Mexique (spoiler : pas du tout). Mon objectif est de décrire et de
donner quelques pistes de réflexion, à approfondir dans la seconde
conférence, consacrée au conflit entre questions éthiques et économiques
dans notre métier.
Je suis vétérinaire en zone rurale, à 1h de route d’une grande ville, dans une zone agricole pauvre en voie de désertification au niveau élevage et culture, certaines terres retournant même à l’état de friches.
Mes confères et consœurs et moi avons une activité généraliste choisie et assumée : nous aimons passer du temps avec nos patients, creuser les cas et réfléchir, mais nous savons nous arrêter et nous reposer sur des confrères plus spécialisés lorsque le problème dépasse nos compétences.
Notre clientèle se définit géographiquement, pas socialement ou financièrement… Elle reflète donc la diversité des populations locales.
Je parle de mon point de vue. Je ne prétends pas représenter les vétérinaires français, dont la diversité de modes d’exercices est extrême. J’écris depuis plus de dix ans au sujet de mon métier : une réflexion sur mon travail, sur l’animal et l’homme. Un témoignage aussi d’un monde qui disparaît et se transforme.
Ma question est : comment se positionner dans une société dans laquelle le statut de l’animal évolue très vite, et dans laquelle la perception de cette évolution varie énormément, sans que nous ayons a priori les clefs pour savoir qui pense quoi ? Je me méfie des a priori, des préjugés sur la façon dont vont réagir les gens. Plus le temps passe, plus je constate que les étiquettes et les tiroirs, les catégories dans lesquelles on classe les gens pour les comprendre gênent au moins autant qu’elles aident. Méfions-nous des typologies trop faciles !
Je veux donc évoquer l’évolution de la perception de l’animal dans ma France rurale, de la perception de leur statut, de mon point de vue de vétérinaire à pratique dite « mixte ». Je ne parlerai que très superficiellement du statut légal de l’animal.
Nous sommes des témoins de la relation entre l’animal et notre société. Pas réellement des acteurs, mais nous nous adaptons à ces changements.
Les Colucci
C’était il y a treize ans. Les Colucci possédaient une ferme très traditionnelle. Ils élevaient des veaux sous la mère : dès la naissance, et jusqu’à l’âge de six mois environ, les veaux sont séparés de leur mère et rassemblés dans des parcs (traditionnellement, on leur mettait même un « museau » en plastique sur le nez) pour les empêcher de manger autre chose que le lait de leur mère. Matin et soir, les éleveurs les amenaient à leur mère, voire à une « tante » pour la finition si la mère venait à manquer de lait, les alimentant donc exclusivement avec du lait bu au pis. L’objectif est également de les carencer en fer pour obtenir la viande la plus blanche possible, traditionnellement la plus appréciée en boucherie. C’est une pratique qui disparaît aujourd’hui : trop de travail, trop de contraintes, pas assez de valorisation, et d’indiscutables questions de bien-être animal…
Les Colucci possédaient une trentaine de vaches. C’était trois personnes plutôt âgées, avec lesquels j’entretenais une relation professionnelle plutôt agréable, avec une discussion pertinente et justifiée sur chaque décision de soin, avec un équilibre assez agréable entre critères économiques (dominants) et choix de soigner l’animal (on ne laisse pas tout tomber même si les chances de succès sont modérées). Bien sûr, il y avait les heurts habituels pour un jeune vétérinaire qui débarque et qui ne fait pas tout exactement comme ses employeurs. Les Colucci étaient… des clients dans la norme, qui respectent leurs animaux mais ne font pas de sensiblerie. Qui s’en tenaient à leurs habitudes de travail : on ne change pas ce qui a toujours fonctionné, quoi qu’en pensent les faiseurs de normes… Ils ont toujours travaillé de la même façon, jusqu’à la fin.
Ce jour là – c’était il y a déjà huit ans – ils m’avaient appelé assez tôt, pour un vêlage. J’ai déjà parlé ici de cette histoire.. Vingt minutes plus tard, j’étais dans la cour de leur ferme, souriant, une plaisanterie sur le bout des lèvres. Je m’attendais à un vêlage technique et agréable, comme souvent chez eux. Et puis, je vis leurs visages. Ceux des gens rassemblés autour d’une tombe. Je les suivis, posant quelques questions techniques : quel était l’âge de la mère, ce qu’ils avaient senti en la fouillant. Je ne souriais plus. En pénétrant dans la vieille étable, en passant de la lumière du matin à l’ombre du bâtiment, je compris, je me rappelais : il ne restait plus dans l’étable qu’une vache, et deux génisses. La dernière vache. Il y avait un homme, qui semblait gêné d’être là, habillé d’une blouse noire. Le marchand de bestiaux venu emporter la dernière vache, mais elle avait démarré son vêlage juste avant d’embarquer dans le camion.
J’allais donc être le vétérinaire du dernier veau de la dernière vache, j’étais là, à ce moment là, pour voir cette vieille dame, habituellement amère et rude comme le sont ces anciens, pleurer comme une petite fille. Pour voir son mari avec le visage de celui qui enterre un voisin. Je fis mon travail, et je partis en imaginant ne plus jamais les revoir, ou alors par hasard, au marché du village peut-être. Mais j’avais été le témoin de la fin d’une époque, de la fin d’une carrière, de la fin d’une ferme qui n’aurait pas de repreneur, des larmes d’une vieille dame que vous n’imagineriez jamais pleurer. Qui s’attend à voir pleurer des gens qui ont tant donné et souffert dans leur ferme isolée ?
Les mois passèrent. Et petit à petit, je revis les Colucci, et leurs chats. Ils étaient, et ils sont toujours, le genre d’anciens qui d’habitude voient plutôt les chats au mieux comme des nuisibles utiles pour débarrasser la grange de ses rats et de ses souris. Des bestioles sur lesquelles on râle en escaladant les boules de foin pour dénicher et noyer des portées entières quand elles prolifèrent. Au pire, qui les voient comme des nuisibles juste bons pour s’exercer au tir en attendant l’ouverture de la chasse.
Ils m’amenaient leur chatte isabelle – Minette – pour une infection virale chronique de la bouche, une saleté qui vire à la dysimmunité et met en feu la gencive puis le reste de la bouche. Ils vinrent plusieurs fois pour elle. Nous discutions la prise en charge, les possibilités pour Minette. Nous avions démarré avec des injections de cortisone que j’imaginais poursuivre jusqu’à ce qu’elles ne suffisent plus à calmer l’inflammation et le dysfonctionnement immunitaire. Nous avions déjà évoqué l’euthanasie.
Et puis… ils choisirent la chirurgie. L’extraction totale de toutes les dents, seul moyen de stopper la réaction immunitaire aberrante, entretenue à la jonction entre la dent et la gencive. Pour une minette déjà âgée, déjà atteinte de tumeurs mammaires, certes peu développées mais de mauvais pronostic. Ils choisirent une chirurgie que je n’avais mentionnée que par réflexe, par acquit de conscience. J’avais naturellement proposé les injections de cortisone, j’avais commencé par choisir à leur place, en mentionnant, sans y croire, par réflexe, la possibilité plus pérenne de l’extraction dentaire.
Et monsieur Colucci eut cette phrase : « avant, on ne pouvait pas demander au vétérinaire de soigner le chat, on ne pouvait pas l’embêter avec ça. Il n’aurait pas compris, et ça ne se faisait pas. Et maintenant, nous en avons le droit. Je peux même vous amener une poule pour vous demander ce qu’elle a. Vous ne rirez pas. »
Je ne rirais pas.
Je n’aurais jamais imaginé que les Colucci me demanderaient d’extraire toutes les dents de leur chatte pour gérer sa calicivirose chronique. Qu’ils seraient prêts à s’investir à ce point, à venir plusieurs fois, à discuter la prise en charge médicale, puis à payer l’intervention.
C’est important, ça, d’autant plus avec ceux qui nous font confiance : on aurait tendance à décider à leur place. Parce que l’alternative est trop chère, trop compliquée, trop impressionnante, parce qu’elle exige trop d’investissement… mais nous n’avons pas à définir le « trop » !
Qui sont mes clients ?
Mes clients sont des retraités comme ces agriculteurs, dans une zone de la France où l’élevage disparaît car les terres sont trop pauvres et ne peuvent rivaliser avec les riches pâturages des plus grandes régions d’élevage. Les rares agriculteurs qui tiennent encore le coup, il n’y en a pas beaucoup de moins de quarante ans. En réalité, je ne suis plus un vrai vétérinaire rural.
Ma clientèle est… géographique : viennent me voir les habitants des 15 km environnants. Du coup elle est également très variée dans ses moyens et ses attentes. Y compris dans sa façon de penser sa relation à l’animal.
Il y a…
Les gens du cru. Leur famille est installée ici depuis des générations. Ils se sentent « chez eux ».
Des néo-ruraux, qui viennent habiter ici mais travaillent à Toulouse. Ou qui ont simplement décidé de quitter les villes…
Certains de ces « néo-ruraux » le sont par défaut, et se retrouvent prisonniers ici parce que la vie y est peu chère. Ils ont fuit les barres de HLM des grandes villes et de leurs banlieues. Mais le chômage est élevé, peu parviennent à trouver un emploi. Autant dire que l’étiquette « cas social » ne les aide pas à s’intégrer.
Il faut aussi évoquer les anglais, actifs ou retraités, qui ont certainement une influence majeure sur ce sujet du statut de l’animal : ils sont arrivés ici très « en avance » sur ces questions. Ils n’ont aucune inhibition à donner un statut important à l’animal, et s’ils ont été moqués, ils ne le sont plus aujourd’hui. Ils jouent encore facilement les trouble-fête, comme les néo-ruraux, dans de toutes petites communes où ils ne tolèrent pas la population de chats errants qui meurent du sida du chat ou de la leucose, où ils se mêlent des affaires du voisin et de ses chiens trop maigres… et demandent au maire de prendre ses responsabilités.
Il y a la population qui gravite autour d’un mode de consommation plus respectueux de l’environnement : alimentation bio, maisons en bois, énergies renouvelables…
Ceci sans parler de tous les gens qui ne rentrent dans aucune case, ou dans plusieurs, toutes ces catégories s’influençant les une les autres, par l’exemple et parfois le conflit, suivant les évolutions plus générales de la population française.
Évolution juridique
Je l’ai déjà dit, le statut légal de l’animal en France n’est pas le sujet de cette conférence, mais je veux quand même l’aborder rapidement.
Depuis la fin des années 90, l’animal, qui était du point de vue du droit un simple objet, est devenu un objet doté de sensibilité : d’un point de vue patrimonial, on peut toujours le vendre ou en disposer comme d’un objet, sauf qu’étant reconnu doté de sensibilité, les actes de cruauté sont punis de prison (jusqu’à 2 ans) et d’amendes (jusqu’à 30000 euros). Les associations de défenseurs des animaux espéraient que les choses aillent plus loin, et les dernières réformes (celles des années 2010) sont plus des effets d’annonce que de réelles modifications… mais le droit suit les évolutions de la société, et nous, vétérinaires, constatons au quotidien ces évolutions. Le droit suivra. Il n’ira jamais aussi loin que ce qu’espèrent les plus extrémistes des protecteurs des animaux, mais les avancées viendront.
Mais en pratique, en 2017, où en est-on autour de moi, et qu’en penser ?
La France compte 67 millions d’habitants. 11,4 millions de chats. 7,4 millions de chiens. 8 millions de bovins adultes, 1 million de chevaux (chiffres approximatifs de divers recensement de ces dernières années).
Le chien
Finalement, c’est l’animal dont le statut a le moins évolué au cours des dernières décennies. Il a toujours eu un statut bâtard entre animal de compagnie et animal de travail. Même les plus rustres des chasseurs ont un chouchou, souvent protégé par madame, qui a le droit de rentrer et de dormir près de la cheminée. Mais au-delà de ces caricatures, et même si on ne soignait pas trop les chiens il y a seulement 50 ans – on n’embêtait pas le vétérinaire pour ça, mais on en profitait quand il passait par la ferme – la perception du chien a peu bougé. Sa position est la plus stable, sans doute depuis des siècles…
Bien sûr, les actes de cruauté sont maintenant réprimés (en théorie, mais en tout cas, ils ne passent plus au niveau social), on trouve bien plus normal de lui consacrer de l’argent pour des soins vétérinaires, un merchandising délirant s’est développé, on a fait des lois pour les chiens « dangereux »… mais rien n’a changé, fondamentalement, dans la façon de considérer ce compagnon de jeux, de chasse ou de travail. Il y a toujours des chiens de chasse, de berger, de garde, de défense, des truffiers, de beauté… On peut toujours se gargariser d’un pedigree long comme un bras.
Ceci dit j’ai encore eu un éleveur (de bovins) d’environ 50 ans qui m’a sorti, lorsque je perfusais un veau : « ben là au moins vous êtes utile, vous avez mieux à faire que de soigner des clébards ».
Il a eu du mal à avaler ma réponse : « si mes collègues et moi n’avions pas des chiens et des chats à soigner, vous n’auriez plus de vétérinaire dans notre canton pour vos bovins. Il ne reste pas assez de vaches ici pour faire vivre un vétérinaire. »
Dans pas mal de coin, c’est encore l’activité rurale qui sponsorise la canine. Chez moi, c’est clairement l’inverse. D’un point de vue rentabilité uniquement, je ferais mieux de cesser mon activité rurale (d’un point de vue « social », cela n’aurait aucun sens, sans parler du plaisir que je prends à me lever à deux heures du matin pour sortir un veau du ventre de sa mère et/ou y remettre son utérus qui a décidé de sortir juste après ledit veau).
Le chat
Le cas du chat est nettement différent. Il était clairement considéré comme une vermine vaguement utile, on noyait les chatons par portées entières, les tirer au fusil ne faisait pas lever un sourcil plus haut que l’autre. C’était même un jeu, pour les plus jeunes mais aussi pour leurs aînés. Pour certains de mes clients les plus âgés, tirer un chat vaguement ennuyeux ne paraît absolument pas choquant. : cela arrive encore aujourd’hui…
Je me suis retrouvé dans un conflit de voisinage où le conflit culturel (plus que générationnel) était flagrant : un vieux bonhomme avait tiré sur un chat. Ce dernier avait survécu un temps avant de finir par décéder malgré nos soins. C’était un chat trouvé, sans aucune valeur intrinsèque, et le vieux bonhomme, menuisier à la retraite, n’a jamais compris pourquoi son voisin – professeur de lycée retraité, à peine plus jeune – lui en voulait à ce point, et, même, pourquoi il était venu m’embêter avec son chat blessé. Le professeur retraité, lui, n’a jamais compris pourquoi et comment son voisin avait tué un chat d’un coup de fusil sans en éprouver le moindre remord. Et moi, je soigne les animaux de l’un comme de l’autre, même si j’ai plus de chances de voir le premier que le second.
En France, depuis quelques années, le chat est l’animal de compagnie n°1. Il était encore un nuisible il y a 50 ans.
Pourtant, dans ma zone rurale en voie d’urbanisation, le chat de race reste minoritaire. On trouve totalement anormal de payer pour avoir un chaton, même une somme symbolique. Pour un chien, c’est entré dans les mœurs, qu’on achète un vrai chien de race, un chien de chasse sans aucun papier mais d’une lignée reconnue localement, ou un pseudo chien de race, voire un bâtard ou un corniaud (le chien de race se définit par son pedigree, son inscription au Livre des Origines Français, pas juste par les papiers de ses parents ou son apparence).
Les chats errants ne choquent guère même s’il y a une vraie volonté, locale au moins, de contrôler leur population, alors que les chiens errants sont très rares. Dans les environs de ma clinique, on trouve deux refuges canins. Aucun pour les chats. Ce sont des particuliers qui s’impliquent, parfois avec l’aide d’associations, bien plus que les collectivités locales.
Récemment, notre clinique a passé une convention avec la mairie, pour gérer les chiens trouvés sur la voie publique par des particuliers ou des employés communaux. Lorsque j’ai demandé ce qu’on prévoyait pour les chats, l’adjoint au maire m’a regardé d’un air étonné. « Quoi, les chats ? »
Pourtant, dans nos salles de consultation, on chouchoute les propriétaires de chats, qui sont depuis vingt ans l’objet de toutes les attentions. On ne peut plus, décemment, les confondre avec les propriétaires de chiens. A l’école, on nous rappelait que le chats ne sont pas de petits chiens. Est-ce encore nécessaire aujourd’hui ? C’est devenu une évidence. Le chien, lui, ressemble plus à un fond de commerce, une affaire qui roule.
Il y a, de fait, beaucoup de contradictions autour du chat. Tout le monde semble pourtant trouver cette situation normale, alors qu’elle me semble aussi cohérente que le comportement d’un chat devant une porte.
Le cheval
Le cas du cheval est moins intuitif. Aujourd’hui, dans ma région, avoir un cheval est trop facile. Acheter un cheval est à la portée de tout le monde. On en donne presque sur ebay. Il est presque plus compliqué de trouver un âne que de « sauver un cheval de la boucherie ». Parce qu’il s’agit souvent de ça: sauver un cheval d’un sort atroce, lui qui a consacré sa vie à transporter des enfants dans un centre équestre, ou simplement à brouter dans un pré. Bon nombre d’entre eux stagnaient surtout chez un type qui a bien compris l’avantage qu’il y avait à préciser que le cheval allait bientôt partir à la boucherie, alors qu’en réalité, personne n’en donnerait rien, parce qu’il ne vaut rien… sauf si on trouve quelqu’un à émouvoir. C’est un business qui ne s’use pas.
En conséquence, je retrouve des chevaux solitaires dans les prés libérés par la disparition des plus petites exploitations agricoles. Ici tout le monde a un hectare de jardin. Ça ne coûte rien. Ça ne suffira pas à nourrir le cheval, mais ça, les bonnes âmes le découvriront après. Acheter un cheval est à la portée de chacun, mais lui donner des conditions de vie décente… C’est pour moi le cas de maltraitance par ignorance le plus fréquent, la méconnaissance crasse des conditions de vie des équidés : un cheval, seul, sans aucune stimulation, dans un pré d’un hectare complètement surpaturé, avec du foin qui tombe par a coups, des pieds non gérés…
Je vous rassure : il y a aussi de nombreux propriétaires de chevaux qui savent s’en occuper, et qui se contentent de les garder autour de la maison, sans les monter ou presque.
A me lire, j’imagine que quelqu’un qui ne connaît rien à la situation des animaux dans notre pays va se dire que les Français chassent les chats, maltraitent quotidiennement les chevaux, et autre horreurs. Je choisis des exemples choquants pour souligner les évolutions et les contradictions. On va voir une corrida et dans le même temps on veut plus de contrôles dans les abattoirs. On ne dépensera pas un euro pour acheter un chat mais on en dépensera des centaines pour le garder le plus heureux possible dans un appartement dont il ne sortira jamais. On louera son comportement de prédateur, son allure de lynx, et on le nourrira de croquettes sans le laisser errer dans les bois et les champs… On va demander la régulation des populations de chevreuils et de sangliers qui ravagent les cultures et les jardins et dans le même temps se moquer des chasseurs, voire les mépriser. Il faut réintroduire le loup mais il faut le tuer.
Le cheval devient un animal de compagnie, pour le meilleur et pour le pire.
Dans le même temps, il reste un animal de sports et de loisirs. Cela n’a guère changé en 50 ans.
Il reste aussi un marqueur social, mais c’est de moins en moins vrai. Faire de l’équitation ou posséder un cheval est moins prestigieux que cela ne l’était il y a encore vingt ans. Le cheval se débarrasse peu à peu de ses oripeaux snobinards.
C’est le statut du cheval de boucherie qui est le plus compliqué : la France n’a jamais été une grande consommatrice de viande de cheval, et dans une société où l’on consomme de moins en moins de viande, et où le cheval devient un animal de compagnie… l’hippophagie devient une maladie honteuse. Depuis peu de temps, après une période de transition, le destin final des chevaux est réglé dès leur naissance : ils pourront, ou ne pourront pas, aller à la boucherie. Avant, rien ne l’empêchait réellement.
Une petite filière de production de viande équine subsiste cependant, avec les paradoxes habituels de la production de viande en France : nous faisons naître de jeunes chevaux lourds qui sont exportés, tandis que nous importons de la carcasse de viande de chevaux de réforme de pays de l’est de l’Europe… Et la dernière ligne de défense des promoteurs de l’hippophagie est celle de la préservation des races lourdes.
Ceci étant, toutes ces très importantes évolutions ne soulèvent aucune question autour de moi. C’est comme les incohérences apparentes du statut du chat. Bien sûr, le cheval concerne directement bien moins de monde que les chiens ou les chats… et qui reprocherait à quelqu’un de sauver un cheval de la boucherie, ou de « prendre soin », bien ou mal, d’un animal qui a forcément la sympathie sinon l’admiration de tout le monde ?
Les bovins
La France, après la seconde guerre mondiale, a reconstruit son agriculture autour de multiples petites exploitations dans lesquelles le propriétaire d’une dizaine de vaches était un homme riche. Certains de mes clients, qui ont encore des vaches aujourd’hui, se souviennent de cette époque. Avec la mécanisation et la concurrence, de très nombreuses exploitations ont disparu, tandis que les survivantes, qui avalaient leurs voisines, grossissaient, jusqu’à des troupeaux de 60 à 100 mères environ, allant du zero grazing à l’extensif. Des savoir-faire ont petit à petit disparu, comme celui du veau sous la mère de la famille Colucci dont je vous parlais tout à l’heure, parce qu’on n’accepte plus aujourd’hui qu’un veau soit volontairement carencé en fer grâce à un panier posé sur sa bouche. La tendance la plus récente est à la conversion bio, à la réduction de taille des troupeaux, à l’extensification, à un rapprochement avec l’animal. L’éleveur qui n’envoyait plus ses vaches à l’abattoir fait les gros titres des journaux. Les associations veganes mettent violemment en cause le fonctionnement des abattoirs à coups de vidéos choc qui ont un impact médiatique très important.
On revient en arrière, finalement, dans la conception de l’élevage, privilégiant à nouveau les circuits courts et une baisse de consommation de produits issus des animaux. Le doyen d’une famille d’éleveur de mon village le disait : « nous avons commencé par vendre des champions, des bêtes de reproduction, puis mon fils a produit des bêtes pour l’abattoir, maintenant mon petit-fils se lance dans la vente de viande en caissette directement au consommateur. C’est un retour en arrière, une négation des progrès que nous avons accomplis. » On préfère aujourd’hui connaître la personne qui élève l’animal que juger réellement de la qualité du produit fini.
Et on revient, en ce qui me concerne, vers une médecine de l’individu et non plus du troupeau. Ce qui, personnellement, me convient très bien !
On a cependant trop tendance à considérer l’éleveur comme un homme sans cœur et surtout sans considération pour ses animaux. Oui, il les élève pour l’abattoir. Une cliente d’une bonne soixantaine d’années, une enfant du pays, m’a très récemment dit les mots suivants :
« J’ai demandé à mon père comment il faisait pour faire tuer les animaux qu’il faisait venir au biberon, ces veaux, ces agneaux, ces porcelets à qui il consacrait beaucoup de temps et d’attention. Il était tendre, mon père, vous pouvez le croire ? » Me demanda-t-elle en voyant ma moue incrédule – je connais un peu le bonhomme.
« Il était tendre. Il élevait ses animaux. Il les élevait. Il ne les faisait pas pousser comme on fait pousser du maïs. Et pourtant il les envoyait à l’abattoir, voire il les égorgeait lui-même. Je lui ai demandé comment il faisait quand j’ai tué mes premières poules et mes premiers dindons. Il m’a dit : ma fille, si tu élèves un animal pour nourrir quelqu’un, tu devras assumer le fait qu’il sera tué, ça aura un sens. »
Nous pouvons, aujourd’hui, nous permettre – nous avons ce luxe ! – d’être végétariens, voire végétaliens. Ce n’était pas le cas, alors. Cela n’empêchait déjà pas les éleveurs de se poser des questions, et de le faire encore aujourd’hui. Il est légitime, et c’est le sens de l’évolution de notre société aujourd’hui, d’exiger que si un animal doit mourir pour nous nourrir, il soit élevé et abattu dans les meilleures conditions possibles. Après ce qui peut être considérer comme une dégradation des conditions de vie des animaux de production, l’industrialisation de l’agriculture, nous retournons vers une agriculture plus respectueuse des animaux. Il reste beaucoup de progrès à faire, mais je ne suis pas inquiet…
Les poules
Les poules, c’est mon cas préféré. Depuis 5 ans environ, on nous amène des poules en consultation. Pas des poules de basse-cour mourantes où le but est d’en autopsier une pour donner le diagnostic pour le reste de la volaille, mais des poules de compagnie, qui produisent des œufs et servent de poubelle, qu’on garde bien après qu’elle aient cessé de pondre. Des oiseaux pour lesquels on installe des poulaillers solaires, on bricole des enclos, des parcs… ce qui est apparu à certain (et apparaît toujours) comme une mode de bobo en manque de ruralité est à mon avis quelque chose de bien plus profond, de bien plus ancien, et en ce qui me concerne, de très rassurant concernant la nature humaine. Tiens, encore quelques mots d’un vieux du coin :
« Quand j’étais gamin, on avait les poules dans la cuisine. J’avais un poussin. Je lui avais appris, comme ça « tac », à frapper du bec sur la table pour demander un bout de pain.
« Tac » : une miette.
« Tac tac » : un bout de pain.
« Tac Tac Tac » : du grain.
Je l’appelais Tac-Tac. Et puis un jour il a disparu.
Ma mère m’a dit qu’on l’avait mangé la veille.
Je lui en ai toujours voulu. Mais c’était comme ça. Aujourd’hui je pourrais garder un Tac-Tac. C’est ce que font plein de gens. Mais ce n’est plus pareil. Je n’ai plus envie. »
Je crois que la plupart de ces nouveaux propriétaires de poules ne se font aucune illusion : ils savent bien qu’elles ne sont rien d’autre que des poules. Ni des chats ni des chiens. Mais ils les voient simplement autrement que comme des productrices d’œufs stupides qu’on abat sans y penser quand elles ont terminé leur cycle de ponte. Ils prennent éventuellement le temps de les caresser, de s’occuper d’elles. Ou pas plus que ceux qui les ont précédé… mais ils les respectent d’une façon qu’on n’imaginait pas il y a une vingtaine d’années. Une poule, c’est toujours aussi con, mais c’est un animal, comme un chien ou un chat. Ça, c’est réellement nouveau.
Et je suis convaincu que ce n’est pas une mode comme peuvent l’être les races de chien. Juste le prolongement d’une évolution continue vers une plus grande considération de l’animal en tant qu’être vivant sensible.
Moi ça me plaît, en fait : j’aime l’idée d’être à un carrefour, où l’on m’amène encore ces oiseaux de basse-cour pour un diagnostic d’effectif et une réflexion presque purement économique, et où on m’amène aussi une poule comme s’il s’agissait d’un chien. C’est un travail complètement différent, pour lequel je ne suis pas formé, pour lequel il n’existe pas encore vraiment de formation. Où je réapprend à examiner un animal, moi qui suis à l’aise sans difficulté avec les mammifères mais ne connais presque rien aux oiseaux. Et les gens viennent parfois de loin pour me voir pour ça, alors que je ne suis objectivement pas bon. Mais je m’applique, je prends du temps, je me documente, je réfère quand je ne peux pas. Je ne ris pas.
Je ne ris pas comme les vétérinaires d’autrefois riaient du type qui lui demandait de soigner le chien de la cour de ferme.
J’ai fait véto pour soigner des animaux.
La position du vétérinaire
Le vétérinaire est un témoin (beaucoup) et un acteur (un tout petit peu) : nous ne sommes pas des moteurs concernant le statut de l’animal, mais des référents naturels vers qui se tournent nos clients, qu’ils soient des particuliers ou des professionnels.
Comment nous positionner dans une société dans laquelle le statut de l’animal, légal mais tout simplement social, évolue extrêmement vite ? Il n’y a pas besoin de remonter bien loin : le contraste entre les plus anciens des vétérinaires encore en activité et les plus jeunes aujourd’hui est flagrant, ne serait-ce qu’en considérant des exemples évidents : statut du chien, du chat, questionnements spécistes, végétarisme, bien-être animal… des questions qui ne se posaient pas formellement il y a 50 ans mais qui sont cardinales aujourd’hui.
Nous devons avoir conscience de ces évolutions de statut (facile) mais aussi de la perception de ces évolutions par nos clients, ce qui est nettement moins évident : il n’y a pas de clef facile pour savoir ce qu’une personne pense des animaux, des siens, des autres. Notamment parce que le plus souvent, les gens ne se posent pas la question, et se reposent sur des clichés : les chasseurs sont des brutes sanguinaires qui maltraitent leurs chiens et prennent plaisir à tuer, les éleveurs exploitent leurs bêtes, les hipsters caressent leurs poules de compagnie qu’ils nourrissent au maïs bio, etc.
Il faut se méfier de ces a priori : une « catégorie » sociale ou professionnelle, une classe d’âge ne permet de préjuger de rien. Mettre des étiquettes inappropriées aux clients et dérouler sa prise en charge en fonction est une erreur courante chez les vétérinaires débutants, à anticiper, en tant qu’employeur, pour ne pas avoir de clash dans sa clientèle !
A mon sens les vétérinaires ont deux possibilités de réaction :
- être imperméable à la façon dont la personne en face de soi perçoit son animal
- ne pas y attacher d’importance et le montrer
- ne ps y attacher d’importance et le cacher (ce qui est une façon d’y accorder malgré tout une certaine attention)
- y attacher de l’importance
- être à l’écoute et sensible au positionnement des gens, quitte à mettre le sien en retrait
- imposer son propre positionnement en en ayant conscience (« je suis le pro »)
Ma position personnelle est la troisième : je soigne mieux si je comprends ce que mes clients pensent de leurs animaux, parce que je sais tout simplement mieux ce qu’ils attendent de moi. Me concentrer sur ces questions place les questions financières un peu en retrait, parce qu’elles découlent du coup de la façon dont les propriétaires considèrent leurs animaux, ce qui est moins culpabilisant et plus constructif que d’attaquer bille en tête sur un plafond financier dont on ne sait jamais trop comment il est calculé.
Il est plus facile, en comprenant comment fonctionnent les gens par rapport à leur animal, de proposer de la bonne façon les possibilités diagnostiques puis thérapeutiques, que de demander très tôt dans la consultation, combien ils sont prêts à mettre financièrement. De plus, cette dernière question ne préjuge en rien de l’investissement en temps et en administration et suivi des traitements que les gens sont prêts à consentir.
Par contre, me mettre à l’écoute et être sensible au positionnement des gens ne m’interdit pas de bloquer une demande absurde, non éthique, ou de proposer des choses a priori en dehors du cadre qui semble être celui des clients. Et il y a des points sur lesquels je perd toute souplesse et ne transige pas (avec l’exemple évident des euthanasies de convenance).
Il y a une convergence progressive de l’animal de production vers l’animal de compagnie, que nous accompagnons sans réellement l’influencer. Notre métier s’est toujours transformé, nous nous adaptons. Et nous pouvons clairement sortir notre épingle du jeu en sentant ces évolutions, en les accompagnant plutôt qu’en les subissant, parce qu’après tout, nous sommes devenus vétérinaires praticiens pour soigner des animaux.
Une chose. Un nuisible. Du bétail. Un compagnon. Une personne. Comment la perception de l’animal change dans la France rurale.
Titre original : From the « thing », the « pest » or the
livestock to the pet or « the animal as a person » : how the perception
of the animal changes in rural France
Cette conférence a initialement été écrite pour le congrès
vétérinaire de Leon au Mexique, en septembre 2017, où j’ai été invité
pour deux conférences suite à la traduction de mon livre en espagnol. Le président du congrès, le Dr Cesar Morales, a voulu proposer des conférences plus « sciences humaines » qu’habituellement. 17000
personnes, 27 conférences simultanément pendant 4 jours… et pour moi
deux conférences en anglais, devant des hispanophones.%%%
Cette conférence a été pensée pour un public de vétérinaires qui
connaissent aussi bien notre métier en France que je connais le leur au
Mexique (spoiler : pas du tout). Mon objectif est de décrire et de
donner quelques pistes de réflexion, à approfondir dans la seconde
conférence, consacrée au conflit entre questions éthiques et économiques
dans notre métier.
Je suis vétérinaire en zone rurale, à 1h de route d’une grande ville, dans une zone agricole pauvre en voie de désertification au niveau élevage et culture, certaines terres retournant même à l’état de friches.
Mes confères et consœurs et moi avons une activité généraliste choisie et assumée : nous aimons passer du temps avec nos patients, creuser les cas et réfléchir, mais nous savons nous arrêter et nous reposer sur des confrères plus spécialisés lorsque le problème dépasse nos compétences.
Notre clientèle se définit géographiquement, pas socialement ou financièrement… Elle reflète donc la diversité des populations locales.
Je parle de mon point de vue. Je ne prétends pas représenter les vétérinaires français, dont la diversité de modes d’exercices est extrême. J’écris depuis plus de dix ans au sujet de mon métier : une réflexion sur mon travail, sur l’animal et l’homme. Un témoignage aussi d’un monde qui disparaît et se transforme.
Ma question est : comment se positionner dans une société dans laquelle le statut de l’animal évolue très vite, et dans laquelle la perception de cette évolution varie énormément, sans que nous ayons a priori les clefs pour savoir qui pense quoi ? Je me méfie des a priori, des préjugés sur la façon dont vont réagir les gens. Plus le temps passe, plus je constate que les étiquettes et les tiroirs, les catégories dans lesquelles on classe les gens pour les comprendre gênent au moins autant qu’elles aident. Méfions-nous des typologies trop faciles !
Je veux donc évoquer l’évolution de la perception de l’animal dans ma France rurale, de la perception de leur statut, de mon point de vue de vétérinaire à pratique dite « mixte ». Je ne parlerai que très superficiellement du statut légal de l’animal.
Nous sommes des témoins de la relation entre l’animal et notre société. Pas réellement des acteurs, mais nous nous adaptons à ces changements.
Les Colucci
C’était il y a treize ans. Les Colucci possédaient une ferme très traditionnelle. Ils élevaient des veaux sous la mère : dès la naissance, et jusqu’à l’âge de six mois environ, les veaux sont séparés de leur mère et rassemblés dans des parcs (traditionnellement, on leur mettait même un « museau » en plastique sur le nez) pour les empêcher de manger autre chose que le lait de leur mère. Matin et soir, les éleveurs les amenaient à leur mère, voire à une « tante » pour la finition si la mère venait à manquer de lait, les alimentant donc exclusivement avec du lait bu au pis. L’objectif est également de les carencer en fer pour obtenir la viande la plus blanche possible, traditionnellement la plus appréciée en boucherie. C’est une pratique qui disparaît aujourd’hui : trop de travail, trop de contraintes, pas assez de valorisation, et d’indiscutables questions de bien-être animal…
Les Colucci possédaient une trentaine de vaches. C’était trois personnes plutôt âgées, avec lesquels j’entretenais une relation professionnelle plutôt agréable, avec une discussion pertinente et justifiée sur chaque décision de soin, avec un équilibre assez agréable entre critères économiques (dominants) et choix de soigner l’animal (on ne laisse pas tout tomber même si les chances de succès sont modérées). Bien sûr, il y avait les heurts habituels pour un jeune vétérinaire qui débarque et qui ne fait pas tout exactement comme ses employeurs. Les Colucci étaient… des clients dans la norme, qui respectent leurs animaux mais ne font pas de sensiblerie. Qui s’en tenaient à leurs habitudes de travail : on ne change pas ce qui a toujours fonctionné, quoi qu’en pensent les faiseurs de normes… Ils ont toujours travaillé de la même façon, jusqu’à la fin.
Ce jour là – c’était il y a déjà huit ans – ils m’avaient appelé assez tôt, pour un vêlage. J’ai déjà parlé ici de cette histoire.. Vingt minutes plus tard, j’étais dans la cour de leur ferme, souriant, une plaisanterie sur le bout des lèvres. Je m’attendais à un vêlage technique et agréable, comme souvent chez eux. Et puis, je vis leurs visages. Ceux des gens rassemblés autour d’une tombe. Je les suivis, posant quelques questions techniques : quel était l’âge de la mère, ce qu’ils avaient senti en la fouillant. Je ne souriais plus. En pénétrant dans la vieille étable, en passant de la lumière du matin à l’ombre du bâtiment, je compris, je me rappelais : il ne restait plus dans l’étable qu’une vache, et deux génisses. La dernière vache. Il y avait un homme, qui semblait gêné d’être là, habillé d’une blouse noire. Le marchand de bestiaux venu emporter la dernière vache, mais elle avait démarré son vêlage juste avant d’embarquer dans le camion.
J’allais donc être le vétérinaire du dernier veau de la dernière vache, j’étais là, à ce moment là, pour voir cette vieille dame, habituellement amère et rude comme le sont ces anciens, pleurer comme une petite fille. Pour voir son mari avec le visage de celui qui enterre un voisin. Je fis mon travail, et je partis en imaginant ne plus jamais les revoir, ou alors par hasard, au marché du village peut-être. Mais j’avais été le témoin de la fin d’une époque, de la fin d’une carrière, de la fin d’une ferme qui n’aurait pas de repreneur, des larmes d’une vieille dame que vous n’imagineriez jamais pleurer. Qui s’attend à voir pleurer des gens qui ont tant donné et souffert dans leur ferme isolée ?
Les mois passèrent. Et petit à petit, je revis les Colucci, et leurs chats. Ils étaient, et ils sont toujours, le genre d’anciens qui d’habitude voient plutôt les chats au mieux comme des nuisibles utiles pour débarrasser la grange de ses rats et de ses souris. Des bestioles sur lesquelles on râle en escaladant les boules de foin pour dénicher et noyer des portées entières quand elles prolifèrent. Au pire, qui les voient comme des nuisibles juste bons pour s’exercer au tir en attendant l’ouverture de la chasse.
Ils m’amenaient leur chatte isabelle – Minette – pour une infection virale chronique de la bouche, une saleté qui vire à la dysimmunité et met en feu la gencive puis le reste de la bouche. Ils vinrent plusieurs fois pour elle. Nous discutions la prise en charge, les possibilités pour Minette. Nous avions démarré avec des injections de cortisone que j’imaginais poursuivre jusqu’à ce qu’elles ne suffisent plus à calmer l’inflammation et le dysfonctionnement immunitaire. Nous avions déjà évoqué l’euthanasie.
Et puis… ils choisirent la chirurgie. L’extraction totale de toutes les dents, seul moyen de stopper la réaction immunitaire aberrante, entretenue à la jonction entre la dent et la gencive. Pour une minette déjà âgée, déjà atteinte de tumeurs mammaires, certes peu développées mais de mauvais pronostic. Ils choisirent une chirurgie que je n’avais mentionnée que par réflexe, par acquit de conscience. J’avais naturellement proposé les injections de cortisone, j’avais commencé par choisir à leur place, en mentionnant, sans y croire, par réflexe, la possibilité plus pérenne de l’extraction dentaire.
Et monsieur Colucci eut cette phrase : « avant, on ne pouvait pas demander au vétérinaire de soigner le chat, on ne pouvait pas l’embêter avec ça. Il n’aurait pas compris, et ça ne se faisait pas. Et maintenant, nous en avons le droit. Je peux même vous amener une poule pour vous demander ce qu’elle a. Vous ne rirez pas. »
Je ne rirais pas.
Je n’aurais jamais imaginé que les Colucci me demanderaient d’extraire toutes les dents de leur chatte pour gérer sa calicivirose chronique. Qu’ils seraient prêts à s’investir à ce point, à venir plusieurs fois, à discuter la prise en charge médicale, puis à payer l’intervention.
C’est important, ça, d’autant plus avec ceux qui nous font confiance : on aurait tendance à décider à leur place. Parce que l’alternative est trop chère, trop compliquée, trop impressionnante, parce qu’elle exige trop d’investissement… mais nous n’avons pas à définir le « trop » !
Qui sont mes clients ?
Mes clients sont des retraités comme ces agriculteurs, dans une zone de la France où l’élevage disparaît car les terres sont trop pauvres et ne peuvent rivaliser avec les riches pâturages des plus grandes régions d’élevage. Les rares agriculteurs qui tiennent encore le coup, il n’y en a pas beaucoup de moins de quarante ans. En réalité, je ne suis plus un vrai vétérinaire rural.
Ma clientèle est… géographique : viennent me voir les habitants des 15 km environnants. Du coup elle est également très variée dans ses moyens et ses attentes. Y compris dans sa façon de penser sa relation à l’animal.
Il y a…
Les gens du cru. Leur famille est installée ici depuis des générations. Ils se sentent « chez eux ».
Des néo-ruraux, qui viennent habiter ici mais travaillent à Toulouse. Ou qui ont simplement décidé de quitter les villes…
Certains de ces « néo-ruraux » le sont par défaut, et se retrouvent prisonniers ici parce que la vie y est peu chère. Ils ont fuit les barres de HLM des grandes villes et de leurs banlieues. Mais le chômage est élevé, peu parviennent à trouver un emploi. Autant dire que l’étiquette « cas social » ne les aide pas à s’intégrer.
Il faut aussi évoquer les anglais, actifs ou retraités, qui ont certainement une influence majeure sur ce sujet du statut de l’animal : ils sont arrivés ici très « en avance » sur ces questions. Ils n’ont aucune inhibition à donner un statut important à l’animal, et s’ils ont été moqués, ils ne le sont plus aujourd’hui. Ils jouent encore facilement les trouble-fête, comme les néo-ruraux, dans de toutes petites communes où ils ne tolèrent pas la population de chats errants qui meurent du sida du chat ou de la leucose, où ils se mêlent des affaires du voisin et de ses chiens trop maigres… et demandent au maire de prendre ses responsabilités.
Il y a la population qui gravite autour d’un mode de consommation plus respectueux de l’environnement : alimentation bio, maisons en bois, énergies renouvelables…
Ceci sans parler de tous les gens qui ne rentrent dans aucune case, ou dans plusieurs, toutes ces catégories s’influençant les une les autres, par l’exemple et parfois le conflit, suivant les évolutions plus générales de la population française.
Évolution juridique
Je l’ai déjà dit, le statut légal de l’animal en France n’est pas le sujet de cette conférence, mais je veux quand même l’aborder rapidement.
Depuis la fin des années 90, l’animal, qui était du point de vue du droit un simple objet, est devenu un objet doté de sensibilité : d’un point de vue patrimonial, on peut toujours le vendre ou en disposer comme d’un objet, sauf qu’étant reconnu doté de sensibilité, les actes de cruauté sont punis de prison (jusqu’à 2 ans) et d’amendes (jusqu’à 30000 euros). Les associations de défenseurs des animaux espéraient que les choses aillent plus loin, et les dernières réformes (celles des années 2010) sont plus des effets d’annonce que de réelles modifications… mais le droit suit les évolutions de la société, et nous, vétérinaires, constatons au quotidien ces évolutions. Le droit suivra. Il n’ira jamais aussi loin que ce qu’espèrent les plus extrémistes des protecteurs des animaux, mais les avancées viendront.
Mais en pratique, en 2017, où en est-on autour de moi, et qu’en penser ?
La France compte 67 millions d’habitants. 11,4 millions de chats. 7,4 millions de chiens. 8 millions de bovins adultes, 1 million de chevaux (chiffres approximatifs de divers recensement de ces dernières années).
Le chien
Finalement, c’est l’animal dont le statut a le moins évolué au cours des dernières décennies. Il a toujours eu un statut bâtard entre animal de compagnie et animal de travail. Même les plus rustres des chasseurs ont un chouchou, souvent protégé par madame, qui a le droit de rentrer et de dormir près de la cheminée. Mais au-delà de ces caricatures, et même si on ne soignait pas trop les chiens il y a seulement 50 ans – on n’embêtait pas le vétérinaire pour ça, mais on en profitait quand il passait par la ferme – la perception du chien a peu bougé. Sa position est la plus stable, sans doute depuis des siècles…
Bien sûr, les actes de cruauté sont maintenant réprimés (en théorie, mais en tout cas, ils ne passent plus au niveau social), on trouve bien plus normal de lui consacrer de l’argent pour des soins vétérinaires, un merchandising délirant s’est développé, on a fait des lois pour les chiens « dangereux »… mais rien n’a changé, fondamentalement, dans la façon de considérer ce compagnon de jeux, de chasse ou de travail. Il y a toujours des chiens de chasse, de berger, de garde, de défense, des truffiers, de beauté… On peut toujours se gargariser d’un pedigree long comme un bras.
Ceci dit j’ai encore eu un éleveur (de bovins) d’environ 50 ans qui m’a sorti, lorsque je perfusais un veau : « ben là au moins vous êtes utile, vous avez mieux à faire que de soigner des clébards ».
Il a eu du mal à avaler ma réponse : « si mes collègues et moi n’avions pas des chiens et des chats à soigner, vous n’auriez plus de vétérinaire dans notre canton pour vos bovins. Il ne reste pas assez de vaches ici pour faire vivre un vétérinaire. »
Dans pas mal de coin, c’est encore l’activité rurale qui sponsorise la canine. Chez moi, c’est clairement l’inverse. D’un point de vue rentabilité uniquement, je ferais mieux de cesser mon activité rurale (d’un point de vue « social », cela n’aurait aucun sens, sans parler du plaisir que je prends à me lever à deux heures du matin pour sortir un veau du ventre de sa mère et/ou y remettre son utérus qui a décidé de sortir juste après ledit veau).
Le chat
Le cas du chat est nettement différent. Il était clairement considéré comme une vermine vaguement utile, on noyait les chatons par portées entières, les tirer au fusil ne faisait pas lever un sourcil plus haut que l’autre. C’était même un jeu, pour les plus jeunes mais aussi pour leurs aînés. Pour certains de mes clients les plus âgés, tirer un chat vaguement ennuyeux ne paraît absolument pas choquant. : cela arrive encore aujourd’hui…
Je me suis retrouvé dans un conflit de voisinage où le conflit culturel (plus que générationnel) était flagrant : un vieux bonhomme avait tiré sur un chat. Ce dernier avait survécu un temps avant de finir par décéder malgré nos soins. C’était un chat trouvé, sans aucune valeur intrinsèque, et le vieux bonhomme, menuisier à la retraite, n’a jamais compris pourquoi son voisin – professeur de lycée retraité, à peine plus jeune – lui en voulait à ce point, et, même, pourquoi il était venu m’embêter avec son chat blessé. Le professeur retraité, lui, n’a jamais compris pourquoi et comment son voisin avait tué un chat d’un coup de fusil sans en éprouver le moindre remord. Et moi, je soigne les animaux de l’un comme de l’autre, même si j’ai plus de chances de voir le premier que le second.
En France, depuis quelques années, le chat est l’animal de compagnie n°1. Il était encore un nuisible il y a 50 ans.
Pourtant, dans ma zone rurale en voie d’urbanisation, le chat de race reste minoritaire. On trouve totalement anormal de payer pour avoir un chaton, même une somme symbolique. Pour un chien, c’est entré dans les mœurs, qu’on achète un vrai chien de race, un chien de chasse sans aucun papier mais d’une lignée reconnue localement, ou un pseudo chien de race, voire un bâtard ou un corniaud (le chien de race se définit par son pedigree, son inscription au Livre des Origines Français, pas juste par les papiers de ses parents ou son apparence).
Les chats errants ne choquent guère même s’il y a une vraie volonté, locale au moins, de contrôler leur population, alors que les chiens errants sont très rares. Dans les environs de ma clinique, on trouve deux refuges canins. Aucun pour les chats. Ce sont des particuliers qui s’impliquent, parfois avec l’aide d’associations, bien plus que les collectivités locales.
Récemment, notre clinique a passé une convention avec la mairie, pour gérer les chiens trouvés sur la voie publique par des particuliers ou des employés communaux. Lorsque j’ai demandé ce qu’on prévoyait pour les chats, l’adjoint au maire m’a regardé d’un air étonné. « Quoi, les chats ? »
Pourtant, dans nos salles de consultation, on chouchoute les propriétaires de chats, qui sont depuis vingt ans l’objet de toutes les attentions. On ne peut plus, décemment, les confondre avec les propriétaires de chiens. A l’école, on nous rappelait que le chats ne sont pas de petits chiens. Est-ce encore nécessaire aujourd’hui ? C’est devenu une évidence. Le chien, lui, ressemble plus à un fond de commerce, une affaire qui roule.
Il y a, de fait, beaucoup de contradictions autour du chat. Tout le monde semble pourtant trouver cette situation normale, alors qu’elle me semble aussi cohérente que le comportement d’un chat devant une porte.
Le cheval
Le cas du cheval est moins intuitif. Aujourd’hui, dans ma région, avoir un cheval est trop facile. Acheter un cheval est à la portée de tout le monde. On en donne presque sur ebay. Il est presque plus compliqué de trouver un âne que de « sauver un cheval de la boucherie ». Parce qu’il s’agit souvent de ça: sauver un cheval d’un sort atroce, lui qui a consacré sa vie à transporter des enfants dans un centre équestre, ou simplement à brouter dans un pré. Bon nombre d’entre eux stagnaient surtout chez un type qui a bien compris l’avantage qu’il y avait à préciser que le cheval allait bientôt partir à la boucherie, alors qu’en réalité, personne n’en donnerait rien, parce qu’il ne vaut rien… sauf si on trouve quelqu’un à émouvoir. C’est un business qui ne s’use pas.
En conséquence, je retrouve des chevaux solitaires dans les prés libérés par la disparition des plus petites exploitations agricoles. Ici tout le monde a un hectare de jardin. Ça ne coûte rien. Ça ne suffira pas à nourrir le cheval, mais ça, les bonnes âmes le découvriront après. Acheter un cheval est à la portée de chacun, mais lui donner des conditions de vie décente… C’est pour moi le cas de maltraitance par ignorance le plus fréquent, la méconnaissance crasse des conditions de vie des équidés : un cheval, seul, sans aucune stimulation, dans un pré d’un hectare complètement surpaturé, avec du foin qui tombe par a coups, des pieds non gérés…
Je vous rassure : il y a aussi de nombreux propriétaires de chevaux qui savent s’en occuper, et qui se contentent de les garder autour de la maison, sans les monter ou presque.
A me lire, j’imagine que quelqu’un qui ne connaît rien à la situation des animaux dans notre pays va se dire que les Français chassent les chats, maltraitent quotidiennement les chevaux, et autre horreurs. Je choisis des exemples choquants pour souligner les évolutions et les contradictions. On va voir une corrida et dans le même temps on veut plus de contrôles dans les abattoirs. On ne dépensera pas un euro pour acheter un chat mais on en dépensera des centaines pour le garder le plus heureux possible dans un appartement dont il ne sortira jamais. On louera son comportement de prédateur, son allure de lynx, et on le nourrira de croquettes sans le laisser errer dans les bois et les champs… On va demander la régulation des populations de chevreuils et de sangliers qui ravagent les cultures et les jardins et dans le même temps se moquer des chasseurs, voire les mépriser. Il faut réintroduire le loup mais il faut le tuer.
Le cheval devient un animal de compagnie, pour le meilleur et pour le pire.
Dans le même temps, il reste un animal de sports et de loisirs. Cela n’a guère changé en 50 ans.
Il reste aussi un marqueur social, mais c’est de moins en moins vrai. Faire de l’équitation ou posséder un cheval est moins prestigieux que cela ne l’était il y a encore vingt ans. Le cheval se débarrasse peu à peu de ses oripeaux snobinards.
C’est le statut du cheval de boucherie qui est le plus compliqué : la France n’a jamais été une grande consommatrice de viande de cheval, et dans une société où l’on consomme de moins en moins de viande, et où le cheval devient un animal de compagnie… l’hippophagie devient une maladie honteuse. Depuis peu de temps, après une période de transition, le destin final des chevaux est réglé dès leur naissance : ils pourront, ou ne pourront pas, aller à la boucherie. Avant, rien ne l’empêchait réellement.
Une petite filière de production de viande équine subsiste cependant, avec les paradoxes habituels de la production de viande en France : nous faisons naître de jeunes chevaux lourds qui sont exportés, tandis que nous importons de la carcasse de viande de chevaux de réforme de pays de l’est de l’Europe… Et la dernière ligne de défense des promoteurs de l’hippophagie est celle de la préservation des races lourdes.
Ceci étant, toutes ces très importantes évolutions ne soulèvent aucune question autour de moi. C’est comme les incohérences apparentes du statut du chat. Bien sûr, le cheval concerne directement bien moins de monde que les chiens ou les chats… et qui reprocherait à quelqu’un de sauver un cheval de la boucherie, ou de « prendre soin », bien ou mal, d’un animal qui a forcément la sympathie sinon l’admiration de tout le monde ?
Les bovins
La France, après la seconde guerre mondiale, a reconstruit son agriculture autour de multiples petites exploitations dans lesquelles le propriétaire d’une dizaine de vaches était un homme riche. Certains de mes clients, qui ont encore des vaches aujourd’hui, se souviennent de cette époque. Avec la mécanisation et la concurrence, de très nombreuses exploitations ont disparu, tandis que les survivantes, qui avalaient leurs voisines, grossissaient, jusqu’à des troupeaux de 60 à 100 mères environ, allant du zero grazing à l’extensif. Des savoir-faire ont petit à petit disparu, comme celui du veau sous la mère de la famille Colucci dont je vous parlais tout à l’heure, parce qu’on n’accepte plus aujourd’hui qu’un veau soit volontairement carencé en fer grâce à un panier posé sur sa bouche. La tendance la plus récente est à la conversion bio, à la réduction de taille des troupeaux, à l’extensification, à un rapprochement avec l’animal. L’éleveur qui n’envoyait plus ses vaches à l’abattoir fait les gros titres des journaux. Les associations veganes mettent violemment en cause le fonctionnement des abattoirs à coups de vidéos choc qui ont un impact médiatique très important.
On revient en arrière, finalement, dans la conception de l’élevage, privilégiant à nouveau les circuits courts et une baisse de consommation de produits issus des animaux. Le doyen d’une famille d’éleveur de mon village le disait : « nous avons commencé par vendre des champions, des bêtes de reproduction, puis mon fils a produit des bêtes pour l’abattoir, maintenant mon petit-fils se lance dans la vente de viande en caissette directement au consommateur. C’est un retour en arrière, une négation des progrès que nous avons accomplis. » On préfère aujourd’hui connaître la personne qui élève l’animal que juger réellement de la qualité du produit fini.
Et on revient, en ce qui me concerne, vers une médecine de l’individu et non plus du troupeau. Ce qui, personnellement, me convient très bien !
On a cependant trop tendance à considérer l’éleveur comme un homme sans cœur et surtout sans considération pour ses animaux. Oui, il les élève pour l’abattoir. Une cliente d’une bonne soixantaine d’années, une enfant du pays, m’a très récemment dit les mots suivants :
« J’ai demandé à mon père comment il faisait pour faire tuer les animaux qu’il faisait venir au biberon, ces veaux, ces agneaux, ces porcelets à qui il consacrait beaucoup de temps et d’attention. Il était tendre, mon père, vous pouvez le croire ? » Me demanda-t-elle en voyant ma moue incrédule – je connais un peu le bonhomme.
« Il était tendre. Il élevait ses animaux. Il les élevait. Il ne les faisait pas pousser comme on fait pousser du maïs. Et pourtant il les envoyait à l’abattoir, voire il les égorgeait lui-même. Je lui ai demandé comment il faisait quand j’ai tué mes premières poules et mes premiers dindons. Il m’a dit : ma fille, si tu élèves un animal pour nourrir quelqu’un, tu devras assumer le fait qu’il sera tué, ça aura un sens. »
Nous pouvons, aujourd’hui, nous permettre – nous avons ce luxe ! – d’être végétariens, voire végétaliens. Ce n’était pas le cas, alors. Cela n’empêchait déjà pas les éleveurs de se poser des questions, et de le faire encore aujourd’hui. Il est légitime, et c’est le sens de l’évolution de notre société aujourd’hui, d’exiger que si un animal doit mourir pour nous nourrir, il soit élevé et abattu dans les meilleures conditions possibles. Après ce qui peut être considérer comme une dégradation des conditions de vie des animaux de production, l’industrialisation de l’agriculture, nous retournons vers une agriculture plus respectueuse des animaux. Il reste beaucoup de progrès à faire, mais je ne suis pas inquiet…
Les poules
Les poules, c’est mon cas préféré. Depuis 5 ans environ, on nous amène des poules en consultation. Pas des poules de basse-cour mourantes où le but est d’en autopsier une pour donner le diagnostic pour le reste de la volaille, mais des poules de compagnie, qui produisent des œufs et servent de poubelle, qu’on garde bien après qu’elle aient cessé de pondre. Des oiseaux pour lesquels on installe des poulaillers solaires, on bricole des enclos, des parcs… ce qui est apparu à certain (et apparaît toujours) comme une mode de bobo en manque de ruralité est à mon avis quelque chose de bien plus profond, de bien plus ancien, et en ce qui me concerne, de très rassurant concernant la nature humaine. Tiens, encore quelques mots d’un vieux du coin :
« Quand j’étais gamin, on avait les poules dans la cuisine. J’avais un poussin. Je lui avais appris, comme ça « tac », à frapper du bec sur la table pour demander un bout de pain.
« Tac » : une miette.
« Tac tac » : un bout de pain.
« Tac Tac Tac » : du grain.
Je l’appelais Tac-Tac. Et puis un jour il a disparu.
Ma mère m’a dit qu’on l’avait mangé la veille.
Je lui en ai toujours voulu. Mais c’était comme ça. Aujourd’hui je pourrais garder un Tac-Tac. C’est ce que font plein de gens. Mais ce n’est plus pareil. Je n’ai plus envie. »
Je crois que la plupart de ces nouveaux propriétaires de poules ne se font aucune illusion : ils savent bien qu’elles ne sont rien d’autre que des poules. Ni des chats ni des chiens. Mais ils les voient simplement autrement que comme des productrices d’œufs stupides qu’on abat sans y penser quand elles ont terminé leur cycle de ponte. Ils prennent éventuellement le temps de les caresser, de s’occuper d’elles. Ou pas plus que ceux qui les ont précédé… mais ils les respectent d’une façon qu’on n’imaginait pas il y a une vingtaine d’années. Une poule, c’est toujours aussi con, mais c’est un animal, comme un chien ou un chat. Ça, c’est réellement nouveau.
Et je suis convaincu que ce n’est pas une mode comme peuvent l’être les races de chien. Juste le prolongement d’une évolution continue vers une plus grande considération de l’animal en tant qu’être vivant sensible.
Moi ça me plaît, en fait : j’aime l’idée d’être à un carrefour, où l’on m’amène encore ces oiseaux de basse-cour pour un diagnostic d’effectif et une réflexion presque purement économique, et où on m’amène aussi une poule comme s’il s’agissait d’un chien. C’est un travail complètement différent, pour lequel je ne suis pas formé, pour lequel il n’existe pas encore vraiment de formation. Où je réapprend à examiner un animal, moi qui suis à l’aise sans difficulté avec les mammifères mais ne connais presque rien aux oiseaux. Et les gens viennent parfois de loin pour me voir pour ça, alors que je ne suis objectivement pas bon. Mais je m’applique, je prends du temps, je me documente, je réfère quand je ne peux pas. Je ne ris pas.
Je ne ris pas comme les vétérinaires d’autrefois riaient du type qui lui demandait de soigner le chien de la cour de ferme.
J’ai fait véto pour soigner des animaux.
La position du vétérinaire
Le vétérinaire est un témoin (beaucoup) et un acteur (un tout petit peu) : nous ne sommes pas des moteurs concernant le statut de l’animal, mais des référents naturels vers qui se tournent nos clients, qu’ils soient des particuliers ou des professionnels.
Comment nous positionner dans une société dans laquelle le statut de l’animal, légal mais tout simplement social, évolue extrêmement vite ? Il n’y a pas besoin de remonter bien loin : le contraste entre les plus anciens des vétérinaires encore en activité et les plus jeunes aujourd’hui est flagrant, ne serait-ce qu’en considérant des exemples évidents : statut du chien, du chat, questionnements spécistes, végétarisme, bien-être animal… des questions qui ne se posaient pas formellement il y a 50 ans mais qui sont cardinales aujourd’hui.
Nous devons avoir conscience de ces évolutions de statut (facile) mais aussi de la perception de ces évolutions par nos clients, ce qui est nettement moins évident : il n’y a pas de clef facile pour savoir ce qu’une personne pense des animaux, des siens, des autres. Notamment parce que le plus souvent, les gens ne se posent pas la question, et se reposent sur des clichés : les chasseurs sont des brutes sanguinaires qui maltraitent leurs chiens et prennent plaisir à tuer, les éleveurs exploitent leurs bêtes, les hipsters caressent leurs poules de compagnie qu’ils nourrissent au maïs bio, etc.
Il faut se méfier de ces a priori : une « catégorie » sociale ou professionnelle, une classe d’âge ne permet de préjuger de rien. Mettre des étiquettes inappropriées aux clients et dérouler sa prise en charge en fonction est une erreur courante chez les vétérinaires débutants, à anticiper, en tant qu’employeur, pour ne pas avoir de clash dans sa clientèle !
A mon sens les vétérinaires ont deux possibilités de réaction :
- être imperméable à la façon dont la personne en face de soi perçoit son animal
- ne pas y attacher d’importance et le montrer
- ne ps y attacher d’importance et le cacher (ce qui est une façon d’y accorder malgré tout une certaine attention)
- y attacher de l’importance
- être à l’écoute et sensible au positionnement des gens, quitte à mettre le sien en retrait
- imposer son propre positionnement en en ayant conscience (« je suis le pro »)
Ma position personnelle est la troisième : je soigne mieux si je comprends ce que mes clients pensent de leurs animaux, parce que je sais tout simplement mieux ce qu’ils attendent de moi. Me concentrer sur ces questions place les questions financières un peu en retrait, parce qu’elles découlent du coup de la façon dont les propriétaires considèrent leurs animaux, ce qui est moins culpabilisant et plus constructif que d’attaquer bille en tête sur un plafond financier dont on ne sait jamais trop comment il est calculé.
Il est plus facile, en comprenant comment fonctionnent les gens par rapport à leur animal, de proposer de la bonne façon les possibilités diagnostiques puis thérapeutiques, que de demander très tôt dans la consultation, combien ils sont prêts à mettre financièrement. De plus, cette dernière question ne préjuge en rien de l’investissement en temps et en administration et suivi des traitements que les gens sont prêts à consentir.
Par contre, me mettre à l’écoute et être sensible au positionnement des gens ne m’interdit pas de bloquer une demande absurde, non éthique, ou de proposer des choses a priori en dehors du cadre qui semble être celui des clients. Et il y a des points sur lesquels je perd toute souplesse et ne transige pas (avec l’exemple évident des euthanasies de convenance).
Il y a une convergence progressive de l’animal de production vers l’animal de compagnie, que nous accompagnons sans réellement l’influencer. Notre métier s’est toujours transformé, nous nous adaptons. Et nous pouvons clairement sortir notre épingle du jeu en sentant ces évolutions, en les accompagnant plutôt qu’en les subissant, parce qu’après tout, nous sommes devenus vétérinaires praticiens pour soigner des animaux.
Ils gisent
Elle gît. J’observe sa tête posée entre ses deux pattes, son corps amaigri, son poil terni. Elle m’attendait sur la terrasse, à l’ombre d’une table, incapable de bouger. Ils m’attendaient autour d’elle. Il n’y avait plus rien à dire. Pas de surprise, pas de colère, pas d’incompréhension. Simplement, la fin. Attendue.
Sur la terrasse de la maison, j’essaie d’entendre son cœur tandis que passent, indifférents, voitures et camions qui couvrent mon auscultation.
J’attends le silence. Enfin. Ni voiture, ni camion.
Ni cœur.
Il est si facile de tuer. Tout s’est, vraiment, très bien passé. C’était une bonne mort.
Lorsque je rentre à la clinique, mes pas me dirigent vers le bloc. Il est toujours là. Lui aussi, il gît. Couché sur le côté, son pansement autour du corps, on pourrait croire qu’il dort encore. Mais le concentrateur d’oxygène est éteint, le circuit est débranché. Il est extubé. Il a encore son cathéter, sa perfusion, même si elle est arrêtée. Près de son corps, deux seringues, une aiguille, posées sur le métal de la table de chirurgie. Un gant retourné. Un stéthoscope. Sous lui, le tapis chauffant qui l’a accompagné pendant toute l’opération. Une petite serviette, aussi. Au-dessus de son corps, le scialytique semble le veiller. Tout est éteint, mais les grandes baies vitrées baignent de lumière son pelage tigré, son épaisse fourrure dans laquelle, hier, encore, je plongeais mes mains lorsque j’essayais de le rassurer. L’inox de la table brille tout autour de lui. Il est resté comme je l’ai laissé, lorsque son cœur l’a abandonné : silencieux, enfin apaisé. Je regarde à nouveau la cuve de chaux sodée et les tuyaux de la machine d’anesthésie. Le scialytique. Mes témoins. Je m’assieds, et, par réflexe, je reprends le stéthoscope. L’absolu silence là où cela devrait taper, souffler, grouiller et gargouiller. Le délicieux et répugnant vacarme de la vie, contre le silence sans nuance.
Il y a deux heures à peine, son cœur battait, il se réveillait. Je le veillais depuis une trentaine de minutes, seul dans la clinique, attendant le moment où je pourrais, en conscience, le laisser. Je n’aimais pas sa respiration, je pressentais que les choses allaient mal se terminer. Accélérations cardiaques, ralentissements, régularisations, des respirations spastiques puis à nouveau harmonieuses… son cœur a finalement perdu le rythme, et il ne l’a pas retrouvé. Je pouvais bien masser et m’exciter sur mon ballon d’oxygène, mes seringues et ses tuyaux. Il ne s’est jamais réveillé. Près de trois heures de chirurgie après deux jours d’hospitalisation, pour… rien.
Pas pour rien, non : il fallait tenter. Après l’avoir stabilisé et vaincu l’état de choc, il fallait lui laisser le temps de récupérer, puis attendre que nous puissions opérer, dans les meilleures conditions. Il fallait opérer, de toute façon. Ou décider d’abandonner, et l’euthanasier. Tout arrêter ? Alors qu’il n’avait que quatre ans et que nous avions une vraie chance de le sauver ? Je me suis impliqué, je l’ai… porté. Le matin, à midi, le soir, la nuit aussi. J’ai surveillé les drains, je l’ai caressé, je lui ai donné des médicaments avant de prendre le temps de me faire pardonner, jusqu’à l’entendre ronronner. J’ai rassuré ses propriétaire sans jamais leur mentir, je savais que les choses pouvaient mal se terminer. D’autres que lui… s’en sont sortis. J’ai l’impression de les avoir trahis, en les accompagnant dans la décision d’opération, en insistant sur les chances de le sortir de là. J’ai l’impression de lui avoir fait défaut, aussi. On ne demande jamais son consentement à un animal. Et de toute façon, ils hurlent tous non, de toutes leurs forces, même si, souvent, ils font confiance. J’accepte de ne pas les écouter parce que je sais que je peux les guérir, que je peux les sauver. Je le sais. Je sais aussi que je peux avoir tort. Je joue avec les probabilités, je tente ma chance, et la leur. J’apprends l’humilité. Je ne veux pas regretter de n’avoir pas essayé, mais je ne veux pas infliger à un animal une souffrance qui ne serait pas justifiée. Drôle d’équilibre.
Depuis sa mort, je cherche. Ce que j’ai pu rater, ce que j’aurais pu mieux faire, ce que j’aurais pu décider. Je ne trouve pas de vrai mauvais choix. Pas non plus de décision justifiée mais malheureuse. Les choses ont suivi leur cours logique, nous avons bien travaillé, et il est mort. C’est tout.
C’est tout et comme toujours, c’est insupportable. Je pense à ceux qui l’aimaient, qui sont venus le voir jusqu’à l’ultime instant, pour son endormissement, qui voulaient m’entendre dire que oui, nous allions, j’allais le sauver. J’ai, nous avons échoué.
Il est tellement difficile de les sauver.
Ils gisent
Elle gît. J’observe sa tête posée entre ses deux pattes, son corps amaigri, son poil terni. Elle m’attendait sur la terrasse, à l’ombre d’une table, incapable de bouger. Ils m’attendaient autour d’elle. Il n’y avait plus rien à dire. Pas de surprise, pas de colère, pas d’incompréhension. Simplement, la fin. Attendue.
Sur la terrasse de la maison, j’essaie d’entendre son cœur tandis que passent, indifférents, voitures et camions qui couvrent mon auscultation.
J’attends le silence. Enfin. Ni voiture, ni camion.
Ni cœur.
Il est si facile de tuer. Tout s’est, vraiment, très bien passé. C’était une bonne mort.
Lorsque je rentre à la clinique, mes pas me dirigent vers le bloc. Il est toujours là. Lui aussi, il gît. Couché sur le côté, son pansement autour du corps, on pourrait croire qu’il dort encore. Mais le concentrateur d’oxygène est éteint, le circuit est débranché. Il est extubé. Il a encore son cathéter, sa perfusion, même si elle est arrêtée. Près de son corps, deux seringues, une aiguille, posées sur le métal de la table de chirurgie. Un gant retourné. Un stéthoscope. Sous lui, le tapis chauffant qui l’a accompagné pendant toute l’opération. Une petite serviette, aussi. Au-dessus de son corps, le scialytique semble le veiller. Tout est éteint, mais les grandes baies vitrées baignent de lumière son pelage tigré, son épaisse fourrure dans laquelle, hier, encore, je plongeais mes mains lorsque j’essayais de le rassurer. L’inox de la table brille tout autour de lui. Il est resté comme je l’ai laissé, lorsque son cœur l’a abandonné : silencieux, enfin apaisé. Je regarde à nouveau la cuve de chaux sodée et les tuyaux de la machine d’anesthésie. Le scialytique. Mes témoins. Je m’assieds, et, par réflexe, je reprends le stéthoscope. L’absolu silence là où cela devrait taper, souffler, grouiller et gargouiller. Le délicieux et répugnant vacarme de la vie, contre le silence sans nuance.
Il y a deux heures à peine, son cœur battait, il se réveillait. Je le veillais depuis une trentaine de minutes, seul dans la clinique, attendant le moment où je pourrais, en conscience, le laisser. Je n’aimais pas sa respiration, je pressentais que les choses allaient mal se terminer. Accélérations cardiaques, ralentissements, régularisations, des respirations spastiques puis à nouveau harmonieuses… son cœur a finalement perdu le rythme, et il ne l’a pas retrouvé. Je pouvais bien masser et m’exciter sur mon ballon d’oxygène, mes seringues et ses tuyaux. Il ne s’est jamais réveillé. Près de trois heures de chirurgie après deux jours d’hospitalisation, pour… rien.
Pas pour rien, non : il fallait tenter. Après l’avoir stabilisé et vaincu l’état de choc, il fallait lui laisser le temps de récupérer, puis attendre que nous puissions opérer, dans les meilleures conditions. Il fallait opérer, de toute façon. Ou décider d’abandonner, et l’euthanasier. Tout arrêter ? Alors qu’il n’avait que quatre ans et que nous avions une vraie chance de le sauver ? Je me suis impliqué, je l’ai… porté. Le matin, à midi, le soir, la nuit aussi. J’ai surveillé les drains, je l’ai caressé, je lui ai donné des médicaments avant de prendre le temps de me faire pardonner, jusqu’à l’entendre ronronner. J’ai rassuré ses propriétaire sans jamais leur mentir, je savais que les choses pouvaient mal se terminer. D’autres que lui… s’en sont sortis. J’ai l’impression de les avoir trahis, en les accompagnant dans la décision d’opération, en insistant sur les chances de le sortir de là. J’ai l’impression de lui avoir fait défaut, aussi. On ne demande jamais son consentement à un animal. Et de toute façon, ils hurlent tous non, de toutes leurs forces, même si, souvent, ils font confiance. J’accepte de ne pas les écouter parce que je sais que je peux les guérir, que je peux les sauver. Je le sais. Je sais aussi que je peux avoir tort. Je joue avec les probabilités, je tente ma chance, et la leur. J’apprends l’humilité. Je ne veux pas regretter de n’avoir pas essayé, mais je ne veux pas infliger à un animal une souffrance qui ne serait pas justifiée. Drôle d’équilibre.
Depuis sa mort, je cherche. Ce que j’ai pu rater, ce que j’aurais pu mieux faire, ce que j’aurais pu décider. Je ne trouve pas de vrai mauvais choix. Pas non plus de décision justifiée mais malheureuse. Les choses ont suivi leur cours logique, nous avons bien travaillé, et il est mort. C’est tout.
C’est tout et comme toujours, c’est insupportable. Je pense à ceux qui l’aimaient, qui sont venus le voir jusqu’à l’ultime instant, pour son endormissement, qui voulaient m’entendre dire que oui, nous allions, j’allais le sauver. J’ai, nous avons échoué.
Il est tellement difficile de les sauver.
Je veux qu’il ne souffre pas
C’est devenu une litanie. Quand les questions deviennent compliquées, les pronostics défavorables, les diagnostics trop sombres, on me dit, presque toujours : je veux juste qu’il ne souffre pas.
Parce qu’on sait qu’on ne peut pas vraiment le guérir, que l’on peut sans doute ralentir la maladie, améliorer ses symptômes.
Qu’il ne souffre pas.
On peut choisir l’euthanasie, tout arrêter dès aujourd’hui.
Pour qu’il ne souffre pas.
Oh, non, docteur, pas d’analyses, de toute façon. Moi, je veux juste…
Qu’il ne souffre pas.
Cette litanie est parfois une fuite. Qu’il ne souffre pas, ça peut être la réponse facile. Celle qu’on ne vous reprochera jamais. A juste titre, d’ailleurs.
C’est aussi, simplement, souvent, la conclusion logique d’un raisonnement parfaitement sain, et construit : arriver aux soins palliatifs, dans le sens le plus noble de cette terme. Soulager la douleur, accompagner l’évolution inéluctable d’une maladie.
C’est souvent moi qui le précise, alors : faire adhérer le maître de l’animal à la démarche, lui rappeler que c’est la motivation finale de mon travail. Soigner, certes, guérir, de préférence, mais atténuer la souffrance, avant tout. Ne me demandez pas pourquoi, d’ailleurs. Je ne sais pas. Il est simplement inenvisageable de voir les choses autrement. Drôle de question, non ?
D’autant que nous avons vraiment les moyens de gérer la douleur et la souffrance, maintenant.
Alors pourquoi écrire ce texte ?
Parce que cette litanie, cette formule tant répétée, « je ne veux pas qu’il souffre », est la réaction normale et réflexe du maître tétanisé. Je viens de vous assommer. De vous apprendre, ou de vous confirmer – souvent, vous vous en doutiez – que la douleur, ou la souffrance au sens plus large du terme, ne disparaîtra jamais tout à fait. Alors je voudrais, que plus souvent, dans un second temps, vous vous demandiez : « qu’est-ce que je veux vraiment ? ».
Alors, dans ce second temps, une fois que l’urgence, le court terme, aura été géré, on pourra étudier toutes les possibilités. Soigner vraiment, parce que c’est la meilleure façon de faire disparaître la souffrance. Ou utiliser les bons médicaments, sans se cacher derrière de faux nez. Des anti-inflammatoires, des morphiniques, pour la douleur. Des diurétiques, des IECA, pour soulager cette insuffisance cardiaque et cet œdème pulmonaire que vous remarquez à peine.
Parce que finalement, c’est souvent ça, mon problème : vous faire admettre que l’animal souffre, quand vous trouvez juste qu’il vieillit. Ou que vous n’avez rien remarqué, ce qui d’ailleurs, peut régulièrement vous vexer. On n’aime pas entendre que l’on a rien vu, et qu’on a laissé, plus ou moins consciemment, son animal se dégrader.
« Boaf, de toute façon, il est vieux, qu’est-ce qu’on peut y faire. »
On s’habitue à la souffrance. Surtout quand ce n’est pas la nôtre.
D’ailleurs, on préfère ne pas la voir, la minimiser. C’est naturel. C’est confortable.
C’est insupportable.
C’est mon boulot. Vous dire que s’il se lève difficilement le matin, c’est qu’il a mal. Que s’il pue autant de la gueule, c’est parce qu’il a des abcès dentaires, et ça fait mal. Que son otite chronique, sa maladie de peau qui ne disparaît jamais vraiment, non, ce n’est pas anodin. Que sa respiration courte et rapide, c’est un signe de souffrance.
Que oui, il vaut mieux prendre des anti-inflammatoires tous les jours de sa vie que d’avoir mal tous les jours de sa vie.
Personne ne souhaite qu’un animal souffre.
Mais qui se donne les moyens, simples, au quotidien, de lutter contre cette douleur ? De la reconnaître, de l’accepter, puis de la traiter ?
Et ne me sortez pas l’argument du prix. Oui, soigner un animal, ça peut coûter cher. Très cher. Mais au long terme, pour la grande majorité des cas, il existe des traitements efficaces et accessibles.
Bien sûr, tout ne se soigne pas, toutes les souffrances ne se soulagent pas. Et finalement, finalement, oui, on pourra finir par choisir l’euthanasie. Pour qu’il ne souffre pas.
Modification de la réglementation sanitaire pour les chevaux destinés à l’abattage, et autres considérations
Mail reçu de la part des Haras Nationaux :
… suite aux différentes crises liées à la viande équine, la DGAL a décidé de renforcer les contrôles des équidés arrivant en abattoir.
La nouvelle note apporte des précisions quant à l’application du règlement européen 504/2008 concernant certaines règles d’éligibilité à l’abattage des équidés afin de faciliter le contrôle des documents d’identification par les inspecteurs en abattoir.
Les nouvelles consignes ont pour but la non-présentation en abattoir d’animaux ayant fait l’objet d’une rupture dans leur chaîne de traçabilité. Il s’agit notamment d’animaux identifiés tardivement, de ceux accompagnés par un document d’identification duplicata ou de remplacement, ou de certains animaux dont le feuillet « traitement médicamenteux » n’a pas été inséré dans les délais :
Résumé des principales mesures nouvelles :
- Exclusion en abattoir si feuillet traitement inséré tardivement ou ré-inséré :
- Équidés nés avant 2001 dont le feuillet n’a pas été inséré avant le 1er janvier 2010
- Équidés nés après 2001 avec feuillet «volant et non inséré par les Haras nationaux»
- Exclusion en abattoir des équidés identifiés tardivement :
- Nés avant le 1er juil 2009 non identifiés avant le 1er janvier 2010
- Nés après le 1er juillet 2009 non identifiés dans les 12 mois suivant leur naissance
- Exclusion des duplicatas :
- En abattoir (sauf exception avec présentation registres d’élevage ou attestation véto)
- A l’émission du document par SIRE (sauf exception dérogation à demander au préfet)
- Exclusion si documents de remplacement : ONC avec puce étrangère, feuillet traitement médicamenteux de remplacement.
Vous trouverez bien plus de détails dans cette note de service.
Une question de résidus et de traçabilité
Je vous rappelle le principe. Nous en avions déjà parlé ici, et là aussi.
L’idée est de ne pas manger de viande (ou de lait, d’œufs… pour les produits espèces concernées) contenant des résidus de traitements médicamenteux : antibiotiques, anti-inflammatoires, etc. Pour chaque substance, on a défini une limite maximale de résidu (LMR) à ne pas dépasser dans les produits de consommation. On ne cherche pas une absence de résidu : on ne veut pas qu’il y en ait assez pour nuire à la santé. A partir de ces LMR, on a calculé des temps d’attente. Chez le cheval, l’utilisation d’une pâte orale à base d’ivermectine aura ainsi un temps d’attente (TA) de 14 jours pour un certain fabricant bien connu. Cela peut être différent pour un générique. Cela signifie que le cheval recevant ce traitement ne pourra pas rentrer dans un abattoir dans les 14 jours qui suivent l’administration de ce vermifuge.
Certains médicaments ne disposent pas de LMR, parce que ça coûte très cher à calculer. Ceux-là sont donc interdits chez les chevaux destinés à la consommation. Si un cheval reçoit un traitement anti-inflammatoire à base de phénylbutazone (qui n’a pas de LMR), hop, on indique sur son carnet qu’il ne peut plus aller à l’abattoir.
Encore faut-il que le cheval ait un carnet d’identification avec ledit volet permettant d’enregistrer les traitements médicamenteux (ce système est assez récent).
Encore faut-il que le propriétaire ait le carnet sous la main quand le véto fait le traitement.
Encore faut-il que ce soit un véto qui fasse le traitement.
Encore faut-il que le vétérinaire pense à le remplir, ce carnet.
C’est foutrement plus facile pour les chevaux dont les propriétaires ont signé la catégorie interdisant la consommation du cheval. Là, on ne se pose plus de question. Il ira à l’équarrissage, personne ne le mangera, donc on se fout des temps d’attente.
Dans les autres cas, il y a clairement un risque très important de perte de traçabilité. Ce n’est pas forcément très grave (j’y reviendrai), mais ce n’est pas très carré. Cette modification de la règlementation est là pour remettre les angles à 90°.
Une question d’équarrissage
Si un cheval satisfait à toutes les conditions réglementaires et sanitaires à l’abattoir, sa viande entre sur le circuit de consommation.
Si l’animal est déchargé mais qu’il ne satisfait pas aux conditions réglementaires (ou qu’il est visiblement malade), il est euthanasié, et sa viande est détruite via l’équarrissage.
Si l’animal satisfait aux conditions réglementaires, qu’il est abattu mais que l’inspection de sa carcasse révèle un truc franchement anormal, la viande est détruite.
En dehors des abattoirs, les chevaux morts doivent être éliminés via l’équarrissage. Ils peuvent depuis peu être incinérés, mais cela reste pour l’instant marginal.
L’équarrissage, c’est cher. Vous trouverez une liste de prix ici, ce sont des marges basses, via un organisme de mutualisation.
Notez qu’une viande déclarée impropre à la consommation humaine ne part pas sur le circuit de consommation animale. Elle est détruite (transformée en farines animales puis incinérée).
Et alors ?
Alors on va trouver des carcasses enterrées à la sauvage un peu partout.
Il y a plein d’équidés qui ne sont pas dans les clous pour l’abattoir, avec cette modification réglementaire. On peut penser ce que l’on veut de l’abattage et de la consommation de la viande chevaline, ce n’est pas le sujet de ce billet.
Je constate déjà plusieurs cas de figure autour de moi :
Vous avez un cheval dans un pré derrière la maison. Celui de votre fille, celui qu’elle aimerait toute sa vie quand elle avait 15 ans. Il avait 10 ans. Il en a maintenant 20. Elle a 25 ans, un gosse, elle ne vient plus le voir qu’une fois par an, en passant à Noël. Ou alors vous déménagez, il ne peut pas suivre. Vous ne pouvez plus payer sa pension (acheter un cheval, ce n’est rien – l’entretenir, c’est autre chose). Bien sûr, il y a ces assos qui prennent les chevaux retraités. Elles sont débordées, elles vous ont envoyé bouler.
Ce cheval, il vous coûte cher. Vous le vendez à un maquignon, ça ne vous rapporte pas grand chose, mais au moins le problème est réglé. Lui l’engraissera et l’enverra à l’abattoir, mais vous vous dites qu’avec un peu de chance, il lui trouvera un cavalier qui l’aimera jusqu’à la fin de sa vie. Avec des coquelicots et un parfum de foin fraîchement coupé, au soir de sa mort au pied des monts du Cantal.
Vous dirigez un petit centre ou une petite ferme équestre. Vous en chiez pour ne pas gagner grand chose, vous faites ce que vous pouvez pour donner des conditions de vie décentes à vos chevaux et vos poneys. Vous gérez des gosses et des parents plus ou moins capricieux, mais de moins en moins nombreux. Le prix de l’équarrissage d’un cheval, c’est celui de 15 boules de foin, de quoi faire manger un cheval pendant un an. Sans compter le prix de la visite du véto qui viendra l’euthanasier. Mais de toute façon, vous ne pouvez pas garder les chevaux qui ne travaillent plus. Vous n’en avez pas les moyens. Vous essayez de trouver des gens pour accueillir vos retraités. Sinon, vous les vendez au maquignon. Vous savez qu’il n’y aura ni coquelicot, ni parfum de foin fraîchement coupé au pied des monts du Cantal. Vous espérez que vos cavaliers y croient, ou en tout cas qu’ils n’y pensent pas. Et vous êtes terrifié par le passage à une TVA à 20%.
Vous êtes agriculteur et vous avez deux parcelles que vous valorisez avec quelques poulinières. Bien sûr, la marge sur les chevaux est ridicule, mais entre ça et la friche… et puis, vous avez toujours aimé les chevaux. Vous vendez les poulains, mais vous n’avez jamais pensé à faire les papiers pour les mères. On les fera avant qu’ils partent à l’abattoir. Vraiment ?
Ces chevaux ne pourront plus être vendus au maquignon. Le maquignon, d’ailleurs, il fait la gueule, il est venu me voir l’autre jour avec un stock de carnets, pour savoir si ses chevaux pourront passer. Il lui en reste une douzaine sur les bras. Des chevaux dont plus personne ne veut. Il n’y avait plus que lui pour les acheter. Ils sont invendables pour autre chose que la boucherie.
Les services vétérinaires savent très bien ce qui va se passer. Il y a des pelleteuses qui vont travailler.
Je ne suis pas sûr que la sécurité sanitaire va y gagner.
Je ne sais pas s’il y avait une meilleure solution.
Je me dis que jusque là, on avait fait comme ça, et que le changement aurait pu être plus progressif.
Parce que finalement, ces résidus, de quoi s’agit-il ? De phénylbutazone ? Certes, cette molécule est très lentement évacuée par le corps du cheval, et elle est beaucoup utilisée, notamment en auto-médication, comme anti-inflammatoire de premier recours. Elle était encore utilisée il y a peu en médecine humaine, d’ailleurs.
Il n’est pas déraisonnable de penser que plein de chevaux sont passés à l’abattoir en ayant reçu de la phénylbutazone. Il doit y en avoir pas mal qui passent encore, cette modification de réglementation ne résolvant en rien le problème des trucs pas enregistrés. Mais 6 mois après cette administration non enregistrée, la carcasse contient-elle encore des résidus ?
On imagine bien que la plupart des chevaux ne vont pas à l’abattoir juste après avoir reçu des anti-inflammatoires de la part de leur propriétaire ignorant. Les maquignons savent bien qu’ils ne peuvent pas utiliser cette molécule. De toute façon, ils gagnent si peu sur un cheval qu’ils éviteront de l’utiliser… or comme ils gardent les chevaux plusieurs mois pour les engraisser, le risque devient minime.
Pour les autres médicaments, on sait bien que de manière réaliste, il ne reste rien dans le corps 30 jours après l’administration du médicament. Même raisonnement que ci-dessus.
Je n’apporte pas de solution.
Je constate simplement que l’application d’une réglementation logique pour améliorer la sécurité sanitaire des aliments va créer d’autres problèmes. A chacun de hiérarchiser.
Un certain nombre de chevaux ne peuvent plus rejoindre la filière boucherie en fin de vie.
Certains seront euthanasiés et équarris, pour ceux qui en ont les moyens.
D’autres pourriront dans des champs de boue trop petits pour eux, mal alimentés, plus du tout soignés ni même parés, et finiront par crever dans la douleur après des années d’indifférence.
Je sais que plein de gens sont contre l’abattage et la consommation de la viande de cheval. Moi, ça m’indiffère. J’accepte le nécessaire réalisme économique qui amène des chevaux de propriétaires ou de club dans cette filière. J’accepte encore mieux la vie plutôt peinard de ces poulinières et des poulains généralement très bien soignés qui sont élevés pour leur viande.
Par contre, la souffrance de ces équidés oubliés au fond de leur pré pas adaptés me révolte.
Et ça, ça ne risque pas de s’améliorer.
Génériques
Je n’ai jamais entendu un client se plaindre des génériques vétérinaires. Et quand je dis jamais, c’est vraiment jamais. Pourtant, je lis un peu partout qu’ils sont responsables de tous les maux, qu’ils sont moins bien que les princeps (les princeps, ce sont les « originaux »), qu’ils ne sont pas vraiment équivalents. La machine à réglementer devient ridicule pour réussir à imposer son autorité dans ce domaine, au lieu de tenter de redresser la barre sur la mauvaise presse et la méfiance envers les génériques. Dernière trouvaille en date, les médecins sont désormais punis de lignes de copie s’ils veulent prescrire un princeps, devant rédiger AVANT le nom du médicament, et A LA MAIN, la mention « non substituable » pour qu’elle soit respectée, bref.
Mes deux centimes de rappels, avant quelques réflexions de praticien vétérinaire.
Le code de la Santé publique nous dit qu’un médicament générique est un médicament ayant « la même composition qualitative et quantitative en substance active, la même forme pharmaceutique, et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées. » Grange Blanche vous explique ici très bien cette notion, je n’y reviens pas.
Hormis des cas d’intolérance à certains excipients, il n’y a donc pas réellement de raison de refuser l’utilisation des génériques. Les excipients, c’est ce qu’il y a dans le médicament et qui n’est pas la molécule active, c’est, si l’on veut, le support de la molécule active. Par exemple, le lactose, un sucre issu du lait, est un excipient mal supporté par pas mal de monde, générique ou pas. Pour certains médicaments, c’est plus nuancé : la lévothyroxine par exemple, dont on a entendu parler récemment. Mais ce dernier cas est une exception.
Évidemment, comme les médicaments génériques sont souvent nettement moins chers que les princeps, il est intéressant d’utiliser les premiers pour faire des économies, ce dont se fout le patient lambda puisque de toute façon tout est remboursé de la même façon (quoique le tiers payant ne soit plus acquis en cas de refus de substitution).
Alors dans le doute, on n’aime pas. Et on n’aime pas, plus ou moins selon les pays. Les États-Unis et le Canada utilisent bien plus les génériques que nous. L’Espagne beaucoup moins. Pourquoi ?
En pharmacie vétérinaire, les problématiques sont un peu différentes.
D’abord, la plupart des nos princeps sont dérivés de la pharmacopée « humaine ».
Les doses ne sont pas forcément les mêmes, et varient parfois d’une espèce à l’autre, car le corps des animaux n’absorbe et n’élimine pas toujours les médicaments de la même façon que le nôtre (on appelle ça la pharmacocinétique, j’aimais beaucoup ça à l’école véto, mais je suis masochiste). Le paracétamol est par exemple un poison violent pour les chats, dont le foie ne sait pas gérer l’élimination et donc la toxicité (alors que le nôtre se débrouille très bien, tant qu’on respecte les doses). C’est vrai aussi pour des produits « naturels », les huiles essentielles sont des molécules « médicamenteuses » elles aussi. Les règles de la chimie ne varient pas en fonction de l’origine d’une molécule, qu’elle soit issue de processus chimiques « industriels » ou de processus chimiques « traditionnels » : certaines sont inoffensives pour les humains mais toxiques pour les chats.
Mais si les doses ne sont pas les mêmes, les modes d’action (la pharmacodynamie), eux, sont globalement très semblables.
Les premiers médicaments vétérinaires, ceux que nous, vétos, désignons sous le nom de princeps, n’en sont donc pas vraiment. Ils ne sont, en tout cas, pas originaux. Les labos ont cependant réalisé des dossiers d’autorisation de mise sur le marché (AMM) selon des règles équivalentes à celles qui concernent les médicaments à destination des humains : prouver qu’ils ont une efficacité, qu’ils ne sont pas dangereux, qu’ils ne laissent pas de résidus dans les produits laitiers, la viandes ou les œufs au-delà d’un délai défini, etc. Aujourd’hui, des médicaments réellement développés pour le marché vétérinaire existent, mais ils sont rares (et très chers).
Depuis 15 ans environ, nous voyons apparaître des génériques vétérinaires de ces médicaments vétérinaires. Comme en pharmacie humaine, certains labos se sont fait une spécialité de ce type de produits, et tous y ont touché (ce qui rendait les délégués défendant les princeps assez peu crédibles, étant donné qu’ils avaient aussi des génériques dans leur catalogue).
La plupart du temps, outre un prix inférieur, ces génériques ont apporté un plus par rapport au princeps, ceux qui ont eu le plus de succès sont ceux dont la galénique a été la plus travaillée pour s’adapter aux contraintes imposées par nos patients. Essayez un peu de filer un comprimé de la taille d’un sucre à un chat, pour voir. Ou un truc amer. Des antibiotiques plus petits, sécables, en conditionnements plus pratiques, aromatisés à la viande ou au poisson sont apparus. J’ai toujours été surpris qu’aucun labo ne se soit lancé dans le comprimé aromatisé à la charogne ou à la poubelle, je suis sûr que les chiens et les chats auraient adoré.
Et depuis plus de dix ans que je bosse, jamais, jamais je n’ai entendu le propriétaire d’un animal se plaindre qu’on lui ait prescrit un générique, même lorsque je changeais au cours d’un traitement à vie (traitements pour le cœur par exemple). Ou que je zappais d’un générique d’anti-inflammatoire à un autre dans le cadre d’une gestion d’arthrose au long terme.
Sans doute parce que ces médicaments sont moins chers. Qu’ils sont souvent plus pratiques. Et que les propriétaires n’ont pas vu de différence.
Alors pourquoi ce bordel avec les génériques pour humains ?
Si le sujet vous intéresse, il y a un rapport de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) plutôt bien foutu sur le sujet. Moi, à part du placebo et du nocebo, je ne vois aucune raison (en dehors des exceptions précédemment citées) à refuser les génériques.
Soigner, parce qu’il le faut ?
C’est un samedi soir.
Il est 19h00, j’aimerais bien rentrer chez moi, mais, pas de bol, j’ai eu quatre appels entre 18h45 et 19h00.
Le premier a été vite expédié. Un chien qui s’étranglait avec un os, mais qui l’a vomi dans la voiture (technique à retenir pour quand je n’aurai plus d’apomorphine).
Le second, je l’ai mis sous perf’ et hospitalisé direct, dans la cage à côté de son frère qui est là depuis hier. Une portée de chiots, un parvovirus, un week-end à nettoyer et désinfecter cages et chenil, histoire de mieux apprécier la valeur de nos assistantes.
Le troisième ne m’a pas pris bien longtemps non plus. Plus de peur que de mal sur un accident de la route, le conducteur a pilé, le pare-choc a juste bousculé le chien.
Le quatrième m’a occupé jusqu’environ minuit.
C’est une cliente que je ne vois pas souvent, mais régulièrement et depuis longtemps, qui me l’a amené. Mme Baïs. Sa fille l’accompagnait. Je soigne leurs chevaux, et leurs chiens à l’occasion. Ils ne sont pas très véto. Leurs animaux vivent leur vie, plus ou moins en liberté autour de la maison. Ils les nourrissent bien, s’en occupent, mais les chiens, les chats ou les autres bestioles ne sont que ça : des chiens, des chats, des bestioles. Pas des enfants de remplacement, des confidents ou des compagnons de vie.
Je les aime bien : ils sont clairs et cohérents.
Leur jack russel a déconné. Dans les grandes largeurs. Il n’a rien trouvé de plus intelligent qu’attaquer un chien qui passait avec une joggeuse sur la route devant la maison. Un jack russel, c’est un petit chien. Un terrier. Un genre de fox, si vous voulez (là, normalement, les fans de jack russel ET de fox devraient me sauter dessus). Le chien qui passait, c’était un leonberg. 60kg. Le jack russel est vite rentré chez lui, avec quelques trous dans la peau.
Une fois l’émoi de la bagarre passé, chacun est retourné à ses occupation. Les trous, ce n’était objectivement pas grand chose. Ils ont désinfecté et espéré que « ça lui apprendrait » – sans trop y croire. Puis oublié.
Le lendemain soir, ce samedi, à 18h30, le chien a vomi du sang.
Une bonne partie de son aine droite était tuméfiée. Il y avait un petit coup de croc. Pas grand chose. La peau avait pris une vilaine teinte violacée, nuancée de noir. C’était gonflé, mais la douleur était impossible à estimer. Le chien n’était vraiment, vraiment pas bien. Très abattu, un peu déshydraté. Il endurait.
Un examen rapide à l’échographe m’a rapidement confirmé ma suspicion : le muscle abdominal était déchiré, les intestins était sous la peau. Avec les vomissements, j’imaginais une occlusion liée à une hernie étranglée : l’intestin faisant une boucle par la déchirure abdominale, trop serré, étranglé par l’étroitesse de la plaie d’éventration. Le sang ne circule plus, l’intestin meurt.
C’est évidemment une urgence, c’est évidemment très grave. Je démarrerai l’opération environ une demi-heure plus tard. Finalement, le croc avait même percé l’intestin, qui déversait son contenu dans la poche entre la peau et le muscle abdominal. Il m’a fallu enlever environ 30cm d’intestins. C’est la chirurgie la plus complexe que je sache faire.
Tout s’est très bien passé.
Lorsque j’ai établi mon diagnostic, avec la propriétaire du chien et sa fille, j’ai évidemment expliqué les tenants et aboutissants du problème. Que j’ai eu tort sur la nature exacte de la blessure n’y changeait finalement rien : la prise en charge était la même.
Elles étaient évidemment d’accord pour que j’opère. Madame s’est d’ailleurs excusée, plusieurs fois, pour la soirée que j’allais passer. J’ai eu beau lui expliquer que j’étais là pour ça, elle avait bien conscience que mon samedi soir se passerait en tête à tête avec les intestins de son chien et pas avec ma famille. Elle avait compris que c’était une chirurgie complexe, et que le risque anesthésique était relativement important. Qu’il faudrait sans doute quelques jours d’hospitalisation, et une alimentation spéciale pendant deux semaines au moins.
J’ai donc recueilli dans les règles de l’art son consentement éclairé.
Je n’ai pas fait signer de demande de soin, ou de document prouvant le consentement éclairé. Ici, ça ne se fait pas. Nous n’avons pas de problème à ce niveau. Les gens sont d’accord ou pas, mais nous n’avons pas (encore ?) formalisé cette étape indispensable de la relation de soins. La parole donnée, la confiance et le respect mutuel entre client et vétérinaire fonctionnent bien. J’ai bien conscience que ce n’est plus le cas partout, et je chéris cette relation précieuse.
Nous n’avons pas parlé d’argent. Parce qu’avec eux, ça ne se fait pas. C’est monsieur qui gère, et, ce soir-là, il n’était pas là. Je le connais, il me connaît, je sais qu’il serait d’accord. N’y voyez aucun sexisme, ou mépris, ou catégorisation : c’est comme ça que leur famille fonctionne. Je n’ai pas abordé le sujet, elles non plus. Elles avaient pourtant parfaitement conscience que ça risquait de coûter cher.
J’ai préféré ne pas le mettre sur la table pour me concentrer sur le plus urgent : enlever ses intestins pourris à ce chien.
Elles ont préféré ne pas aborder la question pour des raisons qui leur appartiennent.
Ce n’était certainement pas parce que ça n’avait pas d’importance. Ce sont des gens modestes.
Ce n’était pas parce qu’il n’y avait pas le temps, ou que l’occasion a manqué.
C’était peut-être parce qu’on ne parle pas de ces choses là, et encore moins au docteur. Cela, j’en avais conscience, ce n’était peut-être pas à mon honneur de n’avoir pas brisé le silence sur cette question. On flirtait sans doute à la limite de la manipulation, comme c’est souvent le cas dans la relation entre le soignant et le soigné (ou le propriétaire du soigné, dans le cas d’un animal…).
D’habitude, je mets les pieds dans le plat. Je sais le problème de la valeur de la vie, je sais que les soins que je prodigue peuvent être chers. Je connais également leur coût. Je me suis dit qu’il était plus pertinent de ne pas aborder la question. Je ne sais pas exactement pourquoi.
La facture s’est finalement élevée à 700 euros, pour une entérectomie sur éventration souillée (anesthésie gazeuse, environ deux heures et demie d’intervention, seul, un samedi soir, deux boîtes de chirurgie…), surveillance du réveil (environ 3/4 h de plus dont j’ai profité pour nettoyer le bloc et les boîtes de chirurgie), trois jours d’hospitalisation dont un dimanche, des tas de médicaments (analgésiques surtout, anti-inflammatoires, antibiotiques), un petit sac de croquettes et tous les petits soins qui accompagnent une telle intervention.
Objectivement, je pense que ce n’est pas cher. Comme me le disait un confrère très spécialisé, habitué des grosses factures : « c’est pas cher, mais c’est beaucoup d’argent. »
Nous n’avons abordé la facture que lors du retrait des points, deux semaines plus tard. Tout s’était très bien passé, quoique cette précision ne soit théoriquement pas pertinente concernant le prix des soins.
Cette fois-ci, c’est M. Baïs qui était venu, avec sa fille. Lorsque j’ai abordé la question de la facture, prévenant et anticipant sur une possibilité d’étalement de paiement, il se doutait bien que ce serait cher. Mais il ne pensait manifestement pas que ce serait autant. Je savais que, pour eux, c’était une somme très importante. Pour certains, ce serait une somme insurmontable (qui condamnerait leur animal ?). Pour d’autres, un simple détail.
M. Baïs n’a pas du tout contesté le prix. Mais il s’est visiblement décomposé. Du coup, j’étais encore moins fier de n’avoir pas abordé la question avant. Je ne sais toujours pas si c’était une erreur de ne l’avoir pas fait. Il m’a fait confiance, par procuration certes, mais peu importe. Il a apprécié la réussite de mon travail, et réalisé en voyant avec moi le détail de la facture, que d’une part le prix était « juste », et que d’autre part je lui avais « remisé » certains actes dans une logique de forfait de soins.
M. Baïs a eu très précisément les mots suivants :
« Je paierai, oui, bien sûr.
C’est normal, c’est mon chien, il faut bien le soigner.
Mais quand même, c’est sûr, ça fait beaucoup d’argent.
Mais quand on a un animal, c’est sûr, on le soigne, il le faut. »
Je n’ai pas oublié ses mots.
J’ai entendu l’idée, considérée mais vite évacuée, de ne pas me payer. Il savait qu’il n’avait aucune raison de ne pas me payer, et c’est un homme honnête qui me considère comme un homme honnête.
J’ai entendu ce que je savais : c’était vraiment beaucoup d’argent. Il l’énonçait sans honte, ni comme un aveu, ni comme un reproche, et d’autant plus facilement sans doute que je l’avais déjà précisé. J’ai conscience du prix, de ce que représente cette somme pour une famille modeste. J’ai aussi conscience des coûts et de la valeur des soins, ce qui me permet de présenter sans honte mes factures (et il m’a fallu beaucoup de temps pour apprendre à assumer mes factures).
J’ai surtout entendu cette obligation morale à laquelle je n’avais pas vraiment réfléchi. J’avais bien sûr déjà entendu la formule « quand on a un animal, on l’assume », et ses diverses variantes. Mais cette phrase, jusque là, était restait pour moi une idée prête à penser, une formule toute faite. Je m’interroge encore régulièrement sur les questions liées à la valeur de la vie animale, évitant autant que possible ses dilemmes inhérents à mon métier. Là, ce n’était pas la question.
M. Baïs interprétait devant moi, avec beaucoup d’honnêteté, cette contrainte morale.
Il faut soigner son animal.
Pourquoi ?
Parce qu’on en a la responsabilité, et qu’avec elle vient une obligation morale qui n’existe pas s’il s’agit de réparer une voiture.
Cette obligation morale envers un animal n’existait pas, ou en tout cas n’était pas la règle, il y a quelques décennies. Elle ne vaut d’ailleurs que pour notre société et celles qui lui ressemblent. Elle sous-tend l’essentiel de mon activité professionnelle, surtout avec la baisse de l’activité « rurale » depuis quelques années. Elle est même entrée dans la loi avec la notion d’obligation de soins.
Dans le même temps, les progrès de la médecine vétérinaire, sur les traces de la médecine tout court, sont fulgurants. L’augmentation des moyens financiers consacrés aux animaux accompagne l’augmentation des moyens médicaux disponibles. Pharmacopée, imagerie, chirurgie, compétence… Les vétérinaires d’aujourd’hui ne font plus le même métier que les vétérinaires de la génération qui les a précédés.
Dans le même temps, les vétérinaires, comme les propriétaires des animaux, deviennent un enjeu financier pour les labos, les assureurs et les affairistes divers et variés.
Puisqu’il faut soigner l’animal, puisqu’on le doit, autant s’en donner les moyens.
Jusqu’où ?
Et comment devons-nous désormais comprendre l’obligation de moyens inhérentes à l’exercice loyal de la médecine ?
Parce qu’un moyen existe, faut-il l’utiliser ? Doit-on l’utiliser ? Le proposer, oui, on le doit, et c’est finalement ici que s’achève a priori le principe de l’obligation de moyens, réduite à une obligation d’informer sur l’existence des moyens. Ensuite, il faut composer avec les contraintes, les attentes, les limites et possibilités financières et techniques de chacun – aussi bien vétérinaire que propriétaire. De cette confrontation entre le « possible » et le « disponible » renaît l’obligation de moyens, définie cette fois par un devis qui tient lieu de contrat de soins.
Un médecin me disait l’autre jour : « nous, quand on ne sait pas, on fait un scanner. » Curieuse logique, d’un point de vue médical d’une part, mais d’un point de vue économique également. Le moyen existe, on doit l’utiliser, d’autant plus qu’on pourrait lui reprocher de ne pas le faire. En médecine « humaine », la question économique est pour l’instant évacuée (du point de vue du patient en tout cas). Pour le meilleur et pour le pire, notamment l’insupportable « j’y ai droit, je cotise », à la fois parfaitement logique et totalement vicié. Je commence à le voir apparaître avec les mutuelles de santé pour animaux de compagnie, qui permettent de fausser la décision médicale d’une manière inédite : avant, on était contraint par défaut de moyens, nous dirigeons-nous nous aussi vers une contrainte par excès ?
Jusqu’où faut-il aller ? Et puisque la question est par essence morale, quel est le seuil immoral ? Celui qui rabaisse l’homme sous le niveau de l’animal de compagnie ?
La maladie de Sachs
Si vous n’avez pas lu la Maladie de Sachs, vous ne devriez peut-être pas lire ce billet. Vous devriez plutôt lire ce livre. C’est un livre important. Et puis, après, on pourra discuter, si vous voulez. Enfin, vous faites bien ce que vous voulez.
Je n’ai pas lu la Maladie de Sachs par hasard. D’ailleurs, jusque là, je ne l’avais pas lu du tout. J’ai d’abord ignoré la Maladie de Sachs. Je ne savais même pas qu’il existait, ce bouquin. Et puis j’ai commencé à écrire mon blog, en 2007. Dans les premiers commentaires, quelqu’un a évoqué ce livre. Ce ne me disait rien, et, de toute façon, j’avais envie de faire ma cuisine tout seul dans mon coin, sans trop savoir où aller, sans me faire influencer. De plus, je ne lis que de la SF, ou presque. Alors un genre de roman médical, ou un truc comme ça, non. Merci. Et puis j’ai oublié.
Quelques années plus tard, j’ai découvert Jaddo, puis la, ou les « blogosphère(s) médicale(s) ». Borée, Babeth, Blouse, Fluorette. Et quelques autres. J’ai noté un « Dr Sachs junior »,ou « Fils du Dr Sachs ». Borée a annoncé à Winckler qu’il le faisait chier. Martin Winckler, l’auteur de la Maladie de Sachs. D’autres ont écrit qu’ils étaient devenus généralistes après avoir l’avoir lu. Je me suis demandé si ce livre aurait pu avoir cette influence sur moi. Sur Twitter, sur les blogs, on évoquait Winckler. Parfois, il répondait. Il a préfacé le bouquin de Jaddo, puis celui de Borée.
Un jour, j’ai demandé à mon père – médecin généraliste – s’il connaissait Winckler. J’ai cru comprendre, entre deux réponses prudentes, que lui aussi trouvait qu’il faisait chier, Winckler. Évidemment, mon père est un excellent médecin. Enfin, je suppose. De fait, je n’en sais foutre rien. Mais je sais, intimement, la puissance et l’intelligence qu’il déploie pour écouter. Mon père n’a jamais beaucoup parlé. Jamais de son travail, de ses patients. « Secret médical ». Sauf un, un jour, un soir, lorsqu’il est venu, dans ma chambre, les yeux rouges – j’avais quoi, 15 ans ? – m’annoncer le décès d’un jeune vétérinaire que je connaissais pour avoir fait mon stage avec lui, l’année précédente. Je crois que je l’ai plus ou moins envoyé chier. J’ai demandé « Quoi ? Quoi ? De quoi ? », avec hargne, parce qu’il était sans doute plus simple d’être en colère que d’accepter la douleur. Surtout celle de mon père. Il ne m’a plus jamais rien confié qui touche à son travail. Il n’en a sans doute pas eu l’occasion. Je ne sais pas s’il en a eu le besoin, je n’aurais sans doute pas pu écouter, de toute façon. Pas si jeune.
Je n’ai jamais vraiment repensé à ce vétérinaire. J’étais trop jeune pour l’apprécier à sa juste valeur. J’ai l’impression diffuse que lui aussi savait écouter.
J’ai par contre souvent repensé à ma réaction et à celle de mon père, ce soir là. Je m’en veux toujours de ne pas avoir su écouter. Je sais que je n’en étais pas capable, de toute façon. Je ne sais pas s’il a quelqu’un à qui parler. Des confrères, un groupe de pairs, un Balint ? Ou ma mère ?
Lorsque j’ai demandé à mon père s’il avait la Maladie de Sachs dans sa bibliothèque, il m’a dit que ma mère l’avait commencé, il y a des années. Lui ne l’avait pas lu. Elle m’a précisé qu’elle avait abandonné : « des histoires de cabinet, des histoires de patient, toute la journée, j’en avais bien assez pour ne pas en lire en plus ».
Mon père m’a retrouvé et donné le livre. Un grand bouquin avec une très agréable couverture gaufrée. Martin Winckler, en italiques. La Maladie de Sachs, en grandes lettres bleues. Roman. POL. Un bandeau bleu, prix du livre Inter. Au dos :
Dans la salle d’attente du Docteur Bruno Sachs, les patients souffrent en silence.
Dans le cabinet du Docteur Sachs, les plaintes se dévident, les douleurs se répandent.
Sur des feuilles et des cahiers, Bruno Sachs déverse le trop-plaint de ceux qu’il soigne.
Mais qui soigne la maladie de Sachs ?
J’ai abandonné le livre sur la pile de bouquins et BD en bordel qui attendent mon envie de les lire, à côté de mon lit. C’était il y a un peu moins d’un an.
Lorsque j’ai commencé à lire ce livre, j’ai d’abord été irrité. Par le style bizarre. Ce tutoiement du narrateur, souvent un patient. N’importe quel patient, ou n’importe quel témoin. Tu fais ceci, tu fais cela, j’observe la salle d’attente qui est comme ci, comme ça. Le narrateur change et se succèdent les scènes et les mots. L’attente, l’examen, l’histoire, la discussion. Les attentes, les examens, les histoires, les discussions, les mêmes, avec variations. Les quotidiens. Il n’y a pas vraiment d’histoire, mais je n’en attendais de toute façon pas. Je ne sais pas vraiment à quoi je m’attendais. A rien, sans doute. Je voulais juste comprendre pourquoi ce livre est important. Jusque là, au bout de soixante-dix pages, je le trouve chiant. Intéressant, mais chiant. Je soupire et referme le livre, souvent. Rafraichis ma TL sur Twitter, et reprends ma lecture.
Le narrateur est un patient, mais tu emploies le mot « client ». Je trouve ça intrigant. Intéressant. Franc. Ah merde, j’ai écrit « tu ». je voulais dire « il ». Martin Winckler. Bruno Sachs.
Sur le grand cahier de rendez-vous, tu inscris un C juste en face de mon nom. Tu te lèves, je me lève, tu passes devant moi, tu ouvres la porte intérieure du cabinet médical, je glisse l’ordonnance dans mon sac ou dans ma poche, tu pousses la porte de communication et tu passes dans la salle d’attente, je ramasse mon magazine ou mon journal sur la plateau de bois peint, je sors. Le dos à la porte, tu me serres la main, Au revoir.
Quelqu’un s’est déjà levé. Je t’entends lui dire Entrez.
Je sors de la salle d’attente.
Avant les blogs, avant Twitter, Martin Winckler a inventé le « tutoiement de rigueur ».
Il y a dans ces pages à la fois beaucoup de non-dits, et aucune intimité. Beaucoup de douceur, beaucoup de respect, et pourtant, une violente nudité dans cet étrange mélange entre écriture travaillée et apparente simplicité.
Je vois cela, et je m’emmerde. C’est ma première impression.
Bruno Sachs est médecin à Play. Il vient de s’installer. Play est un petit village, où l’on cause, où l’on commente. Plutôt semblable au mien. Play n’est pas très loin de Tourmens, où se trouve l’hôpital où Bruno Sachs effectue des consultations d’orthogénie. Des IVG.
Les clients de Sachs, ce sont les miens.
Mais ce que je n’ai pas vu venir, entre deux soupirs, c’est la beigne que je me suis prise dans la tronche, je ne sais pas exactement quand. Ça a commencé vers les pages 70-80, peut-être. Il y a comme un début d’histoire, d’histoires. Des récurrences de patients ou de personnages secondaires qui commencent à tisser une trame. Ce ne sont plus les billets sans liens que l’on aurait pu lire sur un blog. Mais ce n’est pas encore très important. Par contre, je referme le livre. Je ne sais plus sur quel chapitre. J’expire. Je suis étourdi par la colère. La colère des mots de Winckler, la dureté des pages de la Maladie de Sachs. Pas à cause d’histoires tristes, ou dures. Non : il y a dans ce livre une colère que je n’avais pas vu venir. Une colère silencieuse, une rage qui sourd, qui s’infiltre entre les lignes. Winckler ne me prend pas à partie. Il ne s’indigne pas, il ne rage pas. Pas encore. Mais il m’y prépare. Je suis mal à l’aise.
J’ai toujours mal au bide lorsque je relis certains chapitres. Je ne suis pas habitué à la colère. Et ça va mieux lorsque celle-ci s’exprime, lorsque des mots se posent dessus.
Bruno Sachs est un médecin idéal. Un médecin qui écoute, un médecin toujours disponible, un médecin qui n’a pas de vie. Ce médecin que tant d’impatients réclament à corps et à cris, parce qu’ils ont cotisé, parce que bon, leurs études, on les leurs a payées.
Un médecin qui n’aime pas les médicaments lorsqu’ils ne servent à rien. Un médecin qui sait aussi bien être souple que raide comme la justice. Qu’elle est con cette expression.
Bruno Sachs vit seul. Il a quelques amis. Quelques pairs. Des confrères. Une secrétaire.
Bruno Sachs noircit les pages de ses cahiers.
Et Martin Winckler est un foutu moralisateur. Tu m’étonnes, qu’il fasse chier. Il a fait de Sachs un idéal inaccessible auquel lui a réussi à accéder. Pas sans défaut, non, Sachs n’est pas un docteur-sans-erreur. Des fautes, il en fait, mais Winckler donne l’impression qu’il les arbore presque. Ou en tout cas, qu’il les accepte, et qu’il en tire, comme il le faut, les enseignements nécessaires. Et comme Sachs, c’est Winckler, l’impression est curieuse. Sachs est humble quand il est avec ses patients, mais Winckler est méchamment arrogant quand il parle de médecine.
Ce bouquin me met dans une foutue colère. Il me donne envie de marcher dans le jardin en collant des coups de pieds aux arbres et au mobilier en plastique.
Je ressors du bureau. Je pose le carnet de rendez-vous près du téléphone. Tu n’es pas souvent de bonne humeur le matin, encore moins les lendemains de garde. On dirait que tu n’as pas envie de travailler. Lorsque tu as eu des journées chargées, je comprends ça. Voir des gens malades toute la journée, ça doit être fatigant, mais parfois, lorsque les appels se font plus rares je me fais du souci, je me dis que les patients ne veulent peut-être plus venir, les gens sont si changeants.
Et puis les chapitres changent, sensiblement. On quitte la routine du quotidien, et Sachs parle enfin, indirectement. Et sa rage contrôlée me heurte de plein fouet. Le chapitre s’intitule Pensées inconvenantes. Et on se demande à quoi ont pensé ceux qui sont devenus généralistes grâce à ce livre.
Et la voilà qui se met à raconter sa vie, sa foutue vie de femme et pendant qu’elle raconte, l’autre – celui ou celle pour qui on a appelé, en principe – sent qu’il n’est plus dans le coup, qu’elle n’est plus en première ligne, et il tend la main vers le chevet pour saisir son pistolet, et elle s’assied dans le lit pour jouer avec ses poupées et au bout d’un moment, quand il trouve que ça commence à bien faire, quand elle pense que ça s’éternise un peu, elle dit « Maman, j’ai faim », il lance « As-tu ramené le journal ? » parce que, c’est bien beau tout ça mon vieux, t’es bien gentil de t’occuper d’elle, ça me laisse le temps de souffler mais faudrait pas oublier qu’elle, elle est là pour me soigner.
C’est sur ce chapitre que j’ai été happé. J’ai refermé le livre. Je l’ai rouvert, et je ne l’ai plus vraiment lâché. La colère avait éclaté. On allait pouvoir passer à autre chose, même si, bien sûr, nous n’allions pas quitter cette rage plus ou moins contrôlée.
Les histoires, qui avaient à peine commencé, allaient se poursuivre. Histoires de familles. Histoires de patients. De petites histoires, mais des histoires de vies, comme celles de mes clients. Celles que j’aurais sans doute préféré ne pas connaître. Je ne suis pas le médecin, je ne viens pas soigner mon client. Ou alors par accident. Par contre, oui, j’écoute. Je suis là, je connais le chien, les vaches, les poules, et la fille qui vit dans le hameau d’à côté, je donne la vie, et surtout je donne la mort – ah, docteur, comme j’aimerais pouvoir m’endormir comme lui, comme j’aimerais qu’on puisse me la faire, cette piqure. Comme Sachs, je suis un étranger. On se méfie de lui comme on se méfie de moi, on se confie à lui comme, parfois, on se confie à moi. Parce qu’il y a le secret, parce que je suis un étranger, parce que je suis devenu familier. Parce que je me lève la nuit pour faire vêler, parce que je travaille le dimanche, parce qu’il y a toujours quelqu’un au bout du fil, même si ce n’est pas moi, même si c’est l’un de mes associés. Les clients n’aiment pas la régul’. « On peut bien crever. » J’ai le beau rôle. Si l’on peut dire.
La maladie de Sachs me fait mal. Moins qu’à lui, parce que moi, j’ai mon blog, j’ai Twitter, j’ai trouvé, et rencontré, des pairs, à défaut de confrères. Et je sais que cela a profondément changé ma façon d’évoluer.
… Nox. A la fac, les étudiants l’appelaient l’inoxydable Sachs parce qu’il n’arrêtait pas de leur faire la morale, alors ils ne le rataient pas. Quelques copains disaient l’inox, ou l’intox, parce qu’il n’arrêtait pas de coller des pamphlets sur les murs de la fac de médecine, du genre « Ordre Médical, Ordre Nouveau ? » ou « Nous sommes tous des médecins nazis ».
Les pages se suivent et Winckler se désacralise. Sachs redevient humain, mais curieusement, je trouve que cela ne marche pas bien. Comme s’il perdait de sa substance alors qu’on tente de lui en donner une. Le livre devient plus un roman, mais… il reste un pamphlet. La longue litanie des « tu fais ceci, tu fais cela » a disparu, ou presque. Les histoires, celles des patients et celles de Sachs, prennent le dessus. La colère s’est presque effacée. J’ai l’impression que Sachs ne se construit plus trop « contre » les autres médecins, ni « pour » ses clients. Il évolue pour lui. Ses visites et ses consultations sont moins surprenantes, ou moins barbantes, mais elles portent tout le poids d’une normalité que si peu de patients comprennent. Il n’y a qu’à voir sur ce dernier point les commentaires sous l’annonce, par Borée, de sa décision de quitter son village et son cabinet (sur son blog, et sur Rue89 où l’article a été repris). Son billet, et ces réactions, auraient pu être le dernier chapitre du livre de Winckler.
Le rythme reste haché entre les récits – ceux qui concernent directement Sachs, et ceux qui s’attachent aux histoires de ses patients – et les pages de ses carnets. Ses pamphlets étudiants, ses angoisses, ses putains de colères sans nuance, son indignation. Ses grands discours moralisateurs. Bien sûr qu’il fait chier, Winckler.
C’est pour tout cela que la Maladie de Sachs est un livre important. Pour ces coups de gueule, pour ces histoires à la fois dérisoires et essentielles. Pour le quotidien et pour ce qui l’est moins. Winckler porte son idéal de la médecine, et personne ne peut décemment le lui reprocher, même si son aspect « donneur de leçons » est franchement détestable. Il le sait, évidemment, il le fait dire à ses confrères ou à ses patients, dans son roman.
Je comprends qu’il soit détesté, Winckler : il aurait sans doute pu faire passer le même message dans un essai, dans des articles sur la philosophie de la médecine, du soin, du soignant, ou dans de simples relations du quotidien. Un peu comme le font les blogueurs plus tôt cités. Mais Winckler se met en scène, et son arrogance est époustouflante.
Cela ne me dérange pas vraiment : même si je suis, à mon niveau, moi aussi interpellé, je pense qu’elle était nécessaire, cette arrogance. Je ne sais pas du tout si elle est calculée, si elle est écrite, ou si elle fait partie du personnage. Sachs a raison, bien entendu, il ne peut qu’avoir raison. Tout le monde ne peut qu’être d’accord avec le fait qu’il ait raison. Mais sa façon d’impliquer qu’il est presque le seul chevalier paré de ces vertus a forcément de quoi heurter ses confrères. D’autant qu’il serait si facile de reprocher aux soignants qui se sentent heurtés « de ne pas avoir la conscience tranquille ». Sachs s’en fout, il sait qu’il a raison. Et Winckler ?
Winckler n’aurait jamais pu toucher autant de lecteurs, et notamment autant de patients, s’il avait écrit des articles ou des essais. C’est toute la force de ce roman qui habille ses idées. De cette forme à la fois autobiographie, pamphlet, essai, roman : de toute façon, la Maladie de Sachs est effectivement un livre important. Il y a sans doute des façons très variées de réagir à sa lecture, selon son histoire, sa profession, sa place dans le système de santé. Je suis très content de l’avoir lu « tard » dans mon cheminement de vétérinaire, comme dans mon cheminement de blogueur.
Et c’est un livre dont il ne faut certainement pas hésiter à discuter.
Le scandale alimentaire blablabla
On ne parle plus que de ça. Les lasagnes au bœuf à la viande de cheval, et puis les raviolis. On en oublie les résidus de phénylbutazone trouvés dans de la viande de cheval en provenance du Royaume-Uni (mais, soyons honnête, qui aurait pu venir de chez nous…), les résidus de produits antibiotiques, d’hormones, de phytosanitaires, les faux œufs bio, les OGM détectés là où ils ne devraient pas être, en traces certes infime, mais néanmoins…
Je vous invite à lire ce très intéressant article de Fabrice Nicolino. Complet, nuancé, il soulève des questions pertinentes, bref, j’aime beaucoup. Mais je n’aime pas son titre, et j’ai envie d’y aller, moi aussi, de mon commentaire.
En quel honneur ? Je suis vétérinaire. Je prescris donc des médicaments à des animaux, et notamment à des animaux qui entreront dans l’alimentation humaine. Des bovins, pour la viande ou pour le lait, des ovins, des porcins, des volailles. « L’incroyable pharmacopée » évoquée par M. Nicolino comprend des antibiotiques (nombre d’entre eux sont également utilisés en médecine humaine), des anti-inflammatoires, des hormones (pas les stéroïdes ou œstrogènes d’antan qui servaient à faire prendre du muscle aux crevures, mais des analogues d’hormones liées à la reproduction, FSH, LH, GnRH, et destinées à mieux contrôler la reproduction). Une pharmacopée pas franchement incroyable, et pour tout dire assez simple, utilisée pour soigner les animaux essentiellement, et bien secondairement, comme je l’évoquais à l’instant, à améliorer par exemple le contrôle de la reproduction.
Des résidus présents à doses infimes dans l’alimentation
M. Nicolino cite deux études indiquant avoir trouvé nombre de ces molécules dans du lait de vache, de brebis et de femme (les hormones citées dans l’étude ne sont pas utilisées en élevage en France, elles ne sont même plus disponibles), ou dans des petits pots pour bébé. Il précise bien que les doses relevées sont infimes – c’est important, je vais y revenir – mais que des chercheurs soupçonnent une toxicité liée à la synergie entre plusieurs molécules qui pourraient être consommées en même temps ou successivement. L’idée est inquiétante, et pertinente. Elle est vraiment loin d’être nouvelle, mais elle est très difficile à explorer (l’auteur le souligne à juste titre).
Entre une molécule A et une molécule B, il peut y avoir toxicité additive (A toxicité 20% et B toxicité 30% donne A+B toxicité 50%), antagoniste (A 20% + B 30% = A+B 5%), mais aussi potentialisée (A non toxique donc 0% + B 20% = A+B 50%), voire synergique (A 5% + B 10% = A+B 100%). Les vrais toxicologues me pardonneront, je l’espère, mes raccourcis.
Quelle est l’origine de ces résidus ?
La prescription et l’utilisation des médicaments sont soumises à des règles très strictes. Si je prescris un antibiotique à une vache, mettons, une association de benzylpénicilline et de dihydrostreptomycine pour sa péritonite, je dois indiquer sur l’ordonnance, et reporter sur un registre d’élevage, ce que l’on nomme des temps d’attente (TA). Dans cette exemple, 30 jours pour la viande, 6 traites (soit trois jours) pour le lait. cela signifie que l’éleveur n’a pas le droit de faire abattre, ou de livrer le lait de ce bovin dans les 30/3 jours qui suivent la dernière administration de ce médicament (le lait est donc éliminé, et non mis dans le tank).
Ces temps d’attente sont déterminés par des études reposant sur la notion de Limite Maximale de Résidu (LMR), elle même liée à la Dose sans Effet Toxique Observable (DSETO, NOAEL en anglais) évoquée dans l’article de M. Nicolino. Je vais essayer de ne pas être imbitable : on a obtenu une DSETO sur des souris. On sait que les souris ne sont pas des hommes, ce n’est pas un scoop, et on est prudent. On détermine donc une Dose Journalière Admissible pour l’homme (DJA) en divisant la DSETO par 100 ou 1000, ou plus, selon la solidité des données. En croisant ces DJA avec les consommations moyennes d’aliments d’un humains, on détermine une LMR, toujours avec des marges de sécurité. Des LMR, on détermine les temps d’attente, en faisant des analyses sur des groupes d’animaux traités avec le médicament étudié (on injecte, on abat à J1,2,3 etc, on mesure). Voilà pour le principe.
Soit dit en passant, ces études coûtent une fortune, et c’est normal. C’est pour cela que les médicaments coûtent cher, et qu’un certain nombre d’espèces n’ont plus de médicaments disponibles. Impossible de rentabiliser des médicaments pour les caprins ou les lapins, par exemple. Nous n’avons donc plus légalement la possibilité de soigner un certain nombre de maladies, parfois basiques, par manque de données. Je le déplore, mais je n’ai pas de solution.
C’est pas bientôt fini ces informations techniques ?
Ouais, ok, j’arrête avec les infos prise de tête. Ou presque. Là où je suis assez réservé sur l’article de M. Nicolino, c’est quand il évoque la surprise que constitue la découverte de ces molécules, de ces résidus, dans l’alimentation humaine. Le potentiel scandale.
Avec les techniques actuelles de dosage (chromatographie en phase liquide ou gazeuse, spectrométrie etc), si on cherche, on trouve.
Quoi que vous cherchiez, vous le trouverez. A des doses infimes dans l’immense majorité des cas, mais vous trouverez. On peut s’inquiéter des effets potentialisés ou synergique de toutes ces molécules qui en elles-mêmes, seules, à ces doses, ne sont absolument pas toxiques, mais je pense que l’on n’a pas le droit d’être surpris par leur présence.
M. Nicolino évoque par exemple la présence de phénylbutazone, un anti-inflammatoire utilisés chez les chevaux de sport et de loisir mais depuis longtemps interdit chez les animaux destinés à la consommation humain (je n’ai pas la date exacte, je ne l’ai jamais connue en service dans ces indications), et retirée depuis 2011 de la pharmacopée humaine en France. On en a trouvé dans des carcasses de chevaux importées du Royaume-Uni (les anglais ne mangent pas de chevaux mais ils les abattent et exportent la viande).
Oublions un peu la mesquinerie anti-anglaise, car cela aurait pu arriver en France. Je prescris régulièrement de la phénylbutazone pour des chevaux de sport et de loisir. Sous forme injectable, ou en sachets de poudre à faire avaler. Pas cher, très efficace, pas trop de risques pour le cheval, voire pas du tout ou presque sur des traitements courts. C’est un médicament intéressant. Lorsque je prescris cette molécule, je dois le noter sur le carnet du cheval, ce qui implique qu’il sera exclus de l’abattage. Définitivement. Honnêtement, je ne le fais que rarement. Parce que je n’ai pas le carnet sous la main, parce que je n’y pense pas. Je soigne le cheval fourbu du poney-club du village avec, et non, j’oublie qu’un jour il partira peut-être à l’abattoir. Ce n’est pas bien. Je ne suis pas non plus derrière le dos du propriétaire du cheval qui utilise des sachets de phénylbutazone lorsque qu’il estime que son cheval en a besoin. C’est pas bien. Dans l’immense majorité des cas, cela n’a pas d’importance, l’article le souligne en indiquant que les contrôles n’en détectent jamais : les résidus ne sont pas éternels, il faudrait que le cheval parte à l’abattoir peu après un traitement pour que cela soit un souci, ce qui est peu vraisemblable pour un cheval de sport ou de loisir. Mais ça arrivera, je n’en doute pas. Est-ce que la dose sera toxique pour le consommateur ? Peu probable, la phénylbutazone a une toxicité dose-dépendante, il en faut beaucoup pour être malade, et je rappelle qu’elle était encore utilisée comme médicament en 2011 chez l’homme.
J’ai évoqué tout à l’heure les temps d’attente pour les molécules autorisées chez les animaux destinés à la consommation humaine. Est-ce qu’ils sont toujours respectés ? Est-ce qu’il n’y a jamais d’erreur ?
Je ne crois pas.
Est-ce que c’est grave ?
Pour autant que l’on sache, non.
Est-ce qu’il faut pour autant dire que cela n’a pas d’importance, est-ce qu’il faut détourner le regard ? Non plus.
Le contrôle de l’alimentation dans le monde occidental est incroyable. Incroyable. Traçabilité, enregistrement, on demande aux éleveurs, aux vétérinaires, aux abattoirs, aux distributeurs, d’incroyables efforts pour contrôler les risques de résidus (et ça engendre une inimaginable paperasse). Tout n’est pas parfait. Il y a des erreurs. Il y a aussi des tricheurs, comme partout. Bien sûr : il y a de l’argent à se faire.
Mais il faut bien distinguer les résidus à doses interdites (supérieures aux LMR), qui résultent de ces manquements, et les résidus à doses infimes évoqués dans les articles cités plus haut, très inférieures aux LMR, et qui sont « normaux ».
Vous n’avez sans doute pas envie de manger des aliments contenant ces résidus, même à doses infimes. C’est normal. Même si vous fumez, même si vous roulez en voiture, même si vous brûlez de l’encens chez vous, utilisez des désodorisants dans vos toilettes, même si vous fréquentez par essence un monde qui pollue par tous les moyens imaginables.
Vous vous dites que, quand même, vous voudriez bien être sûr de mangez des aliments sains. Mais, sincèrement, vous pensez vraiment qu’une alimentation si peu onéreuse peut être parfaite ? Je ne dis pas que vous avez forcément le choix : on achète des aliments pas chers parce qu’on le veut, parce qu’on n’a pas le choix, ou parce qu’on ne se pose pas la question. Je ne critique pas. Mais soyons réalistes : il faut nourrir des milliards d’humains, nous avons besoin de l’industrie agro-alimentaire pour cela. Et si nous industrialisons, nous créons des problèmes que nous allons devoir résoudre avec des produits qui laissent des résidus potentiellement toxiques (au-delà des autres problématiques liées à l’agro-alimentaire). Bien sûr, nous déplorons tous cet état de fait, mais, franchement, est-ce que nous faisons quelque chose pour que cela change ?
Ceci étant, je ne viens pas vous dire qu’il faut pour autant chanter les louages de cette industrie, dire que tout va bien et que l’on peut lui faire confiance sans se poser de questions. Bien sûr que non. Il faut des contrôles, il faut des procédures. Il faut du réalisme. Il y aura des scandales, des coups de pied dans la fourmilière. Tant mieux.
Je crois fermement que l’alimentation n’a jamais été aussi saine qu’aujourd’hui. Je suis sans cesse surpris de constater le faible nombre de problèmes alimentaires (toxi-infections alimentaires par exemple) du genre steaks hachés contaminés par des bactéries ou camemberts à Listeria, quand on voit les volumes de viandes, de produits laitiers, d’œufs, et de légumes consommés. Je trouve extraordinaire qu’il n’y ait pas plus d’emmerdes, sérieusement. Je trouve ça aussi magique qu’un truc en métal qui vole ou une boîte en plastique qui me permet de discuter avec des amis à des kilomètres de distance, et de surfer sur le web.
Évidemment, on peut manger bio. Ce n’est pas une solution parfaite : tout ce qui est bio n’est pas bio, et même ce qui est bio n’est pas franchement sans résidu. Et puis, c’est cher.
On peut acheter de la viande à un éleveur, des légumes à une AMAP locale. C’est une excellente idée. Ça peut être cher aussi. Est-ce que ça implique moins de résidus ? Boaaahhhh. Franchement, non. Et quand je vois les œufs que m’offre ma voisine, couverts de fientes et de plumes, certes excellents gustativement, mais, sanitairement, franchement ? Avec ses poules qui piétinent et mangent la merde de ses chiens et chats, avec les pigeons qui volent partout, it’s the ciiiiircle of liiiiife… Bref. J’adore, mais d’un point de vue sécurité sanitaire, ça ne vaut pas les œufs de poule en batterie.
Ce qui ne va pas m’empêcher de continuer à échanger ces œufs de la voisine contre de menus services.
Je n’ai pas peur de ma nourriture.
Je ne peux pas contrôler grand chose, j’en ai conscience, et j’ai une vie à vivre.
Mutuelle de santé pour animaux de compagnie
Prendre une assurance-santé pour son chien, son chat ou tout autre animal de compagnie : l’idée n’est pas nouvelle, et creuse lentement son sillon en France. Elle peut sembler excellente, on peut imaginer ses limites…
De quoi parle-t-on ?
Une société d’assurance (il y en a plusieurs sur le marché, évidemment), vous propose de rembourser tout ou partie des frais vétérinaires de votre animal de compagnie. Vous payez une cotisation mensuelle, qui évolue, ou pas, avec l’âge de votre animal. Cette cotisation est plus ou moins élevée selon l’âge de l’animal, selon sa race, selon, éventuellement, le nombre de fois où vous avez fait appel à cette assurance santé.
Il y a en général une franchise, ou plancher : vous avez une facture de 100 euros, la franchise est de 20, l’assurance ne rembourse que 80.
Il y a en général un plafond, annuel ou par facture. Vous avez une facture de 2000 euros, un plafond de 1000, une franchise de 20 : l’assurance vous rembourse 2000-1000=1000 euros.
Les conditions définissent les actes ou produits remboursés ou pas : la liste peut être longue, il faut la regarder de près. Souvent, les vaccins ne sont pas remboursés, et les maladies qui auraient pu être vaccinées non plus (que l’animal soit vacciné ou pas, c’est aussi à vérifier). Bref, beaucoup de détails compliqués et essentiels.
Les cotisations mensuelles couramment rencontrées s’échelonnent entre 15 et 50 euros.
Le point de vue du propriétaire de l’animal
Les avantages semblent évidents : payer moins de frais vétérinaires, et avoir la possibilité d’offrir des soins plus onéreux à votre animal.
Mais il y a quand même quelques limites à garder à l’esprit :
Nous sommes tous pareils, et nous voulons qu’un investissement soit rentable. Ce n’est pourtant pas le but d’une assurance, par définition, et c’est un très gros frein à la motivation des maîtres. La plupart du temps, lorsque j’aborde le sujet, le dialogue est à peu près le suivant :
– Mais, docteur, est-ce que c’est rentable ?
– Rentable ? Non. L’idée, c’est de vous permettre de soigner votre animal en cas de coup dur. Mais s’il n’y a pas de coup dur, s’il ne tombe pas malade, s’il n’a pas d’accident, cet argent aura été investi « pour rien ».
– Pour rien ?
– En réalité, non : vous aurez acheté une sécurité, à vous de voir si cela en vaut la peine. Car par contre, si votre chien est renversé par une voiture et que le chirurgien orthopédiste fait un devis à 2000 euros, vous allez y gagner énormément.
Les assurances, c’est comme les vaccins : quand on n’en a pas besoin, ils ne servent à rien.
Pourtant, il ne me semble pas que ce soit une bonne façon de réfléchir…
Il faut également tenir compte des avantages et inconvénients de chaque contrats. Et là, c’est la jungle : ils sont tous différents, difficiles à comparer au vu du nombre de paramètres, l’augmentation des tarifs selon le nombre de « sinistres » est imprévisibles dans les contrats qui prévoient ce paramètre…
Le point de vue de l’assureur
Son but est de gagner de l’argent.
Mais…
Je note presque systématiquement une augmentation du nombre de consultations pour les animaux assurés. cela semble évident : on hésite moins à aller voir le véto si l’on sait que l’on ne perdra « rien » si l’on y va finalement « pour rien ».
La règle des trois jours, du coup, est faussée. Oui, vous savez, quand je demande depuis combien de temps l’animal est malade, en général, la réponse est « trois jours ». Le premier jour, se rendre compte que quelque chose ne va pas. Le second, se dire que cela ne semble pas être juste un pet de travers. Le troisième, aller chez le véto.
Et puis il y a les maîtres qui veulent absolument passer leurs 5 chiens sur le compte du seul assuré. Et qui ne voient pas du tout en quoi cela pose un problème.
Il y a également ceux qui font assurer leur chien en prévision d’une grosse tuile diagnostiquée par le véto : « votre chien est dysplasique, dans 6 mois au plus, il va avoir besoin, d’une chirurgie lourde ».
Vite, assurons-le.
C’est de la fraude, oui. Les assureurs sont conscients de ces limites, et certains se sont même retirés du marché en voyant la faible rentabilité de l’histoire. Une cliente, courtière en assurances, m’a un jour expliqué que lorsqu’elle assurait un chien de chasse, elle était sûre à 100% d’avoir un sinistre dans l’année. Elle a arrêté.
Je vous entends me répondre que les assureurs ne sont pas à plaindre. Ce n’est pas mon problème : je me contente de vous expliquer les enjeux. Il me semble que c’est un point essentiel lorsque l’on essaie de saisir les tenants et aboutissants de ces assurances-santé.
Et puis, cela incite à la réflexion sur notre assurance-santé, non ? je vous invite à écouter cette émission, avec ou sans rendez-vous, qui aborde bien le sujet.
S’il y a des assureurs qui me lisent, leur point de vue m’intéresse beaucoup.
Pour le vétérinaire
Au début, je ne voyais que des avantages à l’assurance-santé des animaux de compagnie.
Elles allaient me permettre de proposer un panel de soins complet, sans être bridé par des considérations financières. Depuis 2-3 décennies, l’offre de soin gagne énormément en qualité. Progrès de la science, progrès de la technologie, nous diagnostiquons plus de choses, avec beaucoup plus de moyens, nous pouvons également en traiter bien plus qu’avant.
Mais combien de chirurgies lourdes avortées faute de moyens financiers ?
Combien de chimiothérapies, d’immunosuppresseurs ou d’antiviraux laissés dans les frigos faute d’argent pour les payer ?
Quelle qualité de suivi pour les maladies chroniques lorsque le temps devient, forcément, de l’argent ?
Combien d’euthanasies pourrions-nous éviter ?
Ma clinique a investi lourdement. Bâtiments, renforcement de l’équipe (nombre d’ASV plus que doublé en moins de dix ans !), formation, matériel, temps. Et j’ai une conscience aiguë des limites financières de mes clients. Je sais que je ne peux pas faire correspondre les tarifs à l’offre de soin. Nous avons choisi de nous lancer à corps perdu dans la qualité, parce que c’est ce qui nous fait avancer, mes collaborateurs et moi, mais était-ce financièrement une bonne idée ?
En l’état actuel des choses, non. Nous gagnerions bien mieux notre vie si nous avions fait d’autres choix. Je ne pleure pas sur mon sort, soyons clairs, mais il n’y a pas de quoi pavoiser. Les vétérinaires ne sont plus du tout les notables qu’ils étaient dans les décennies 60-80, et nous trustons désormais les dernières places des classements en terme de rentabilité et de revenus dans les dossiers des organismes de gestion agréés. Des vétos font faillites, d’autres vivent décemment. Certains s’en sortent très bien.
Du coup, l’assurance-santé animale représente un espoir non négligeable pour notre profession.
Mais il n’empêche que cette problématique me file des nœuds à l’estomac.
De la pub ?
Je ne suis pas courtier en assurance. Les assurances ne me paient pas pour que je les vende, et il n’est pas non plus question que je distribue leurs flyers gratuitement. Je reçois très souvent des enveloppes pleine de pub à laisser en salle d’attente. Je fous tout à la poubelle.
D’ailleurs, chers assureurs, le code de déontologie interdit le courtage (article R242-62 du code rural). Je précise, car certains ont essayé, avec leurs gros sabots, en me proposant carrément un pourcentage. Youhou !
Tout courtage en matière de commerce d’animaux, la collecte ou la gestion de tous contrats d’assurance en général, y compris ceux qui couvrent les risques maladie, chirurgie ou mortalité des animaux, sont interdits aux vétérinaires exerçant la médecine et la chirurgie des animaux.
Et si je dois mettre la com’ d’un assureur dans ma salle d’attente, j’aimerais autant mettre la com’ de tous les assureurs. Distribuer ces pubs implique un message à mes clients : « cet assurance est bien foutue, allez-y ».
Je ne suis pas là pour ça.
Et je n’ai pas non plus envie que mes clients pensent que ces assureurs me filent un pourcentage, ou je ne sais quoi. Je n’ai pas envie de prêter le flanc à ce type de critique.
Par contre, quand un client me demande mon avis sur un contrat, si j’en ai le temps, je le donne. Je regarde avec lui, je discute ses besoins, et vérifie les pièges les plus courants. Ce n’est pas vraiment mon boulot, mais je suis là pour conseiller, après tout.
Inéluctable ?
Je n’apprécie pas non plus le discours ambiant : on nous vend ces assurances comme « inéluctables ». Une chance, une opportunité, et de toute façon une évolution nécessaire et souhaitable. Et si vous n’en voulez pas, vous l’aurez quand même.
Sans doute. Mais dois-je pour autant vendre mon stéthoscope aux assureurs ?
Je n’apprécie pas que certains assureurs s’appuient avec un message quasi-institutionnel sur la profession. J’ai l’habitude des messages du genre « formulé par un vétérinaire ». « Créé par des vétérinaires. » « Approuvé par des vétérinaires. » Les gens ont, je l’espère, assez d’esprit critique pour ne pas se jeter béatement dans tout ce qui porte ce genre d’étiquette. Mais cela commence à aller plus loin, de nouveaux assureurs communiquant assez finement sur le sujet avec les vétérinaires : « fondée par trois vétérinaires, blablabla, du coup nous sommes plus pertinents, plus indépendants, nous ne voulons que votre bonheur. » Sans déconner.
Et vas-y que j’installe mes fiches de remboursement dans ton logiciel vétérinaire, mais pas celles de la concurrence. Voilà un truc que je trouve profondément anormal : lors d’une mise à jour apparait un nouveau bouton qui permet de remplir automatiquement la fiche standard d’une mutuelle. D’une seule. je vous assure, vu comme c’est chiant de remplir ces fiches, ça donne forcément envie de pousser les clients vers cette mutuelle. Bien joué. Et puis, ça met son nom à l’esprit en permanence.
Vous trouvez ça normal ?
Pas moi.
Et après ?
J’en discutais il y à peu avec un dentiste, confronté à certaines de ces problématiques, mais avec beaucoup d’avances sur nous. Certaines mutuelles conseillent à leur client un cabinet plutôt qu’un autre, assurant un meilleur remboursement dans ce cas. Avons-nous vraiment envie de ça ? En tant que patients (ou clients pour les vétérinaires), ou en tant que praticiens ? La liberté, pour chacun, de choisir son vétérinaire (ou son dentiste, son kiné, bref…), remise en question ? Sur des critères financiers, puisque tout va se résumer à cela ?
Un vétérinaire anglais me décrivait un jour le système des mutuelles dans son pays, bien plus développé que dans le nôtre. Un détail m’avait frappé : la mise en place de protocoles liés à diverses situations médicales ou chirurgicales : si le protocole a été respecté, l’assurance rembourse. Sinon, allez vous faire foutre. Sans déconner ? Un assureur, m’expliquer comment je dois travailler ? Refuser de rembourser des soins, mettons, pour une parvo, parce que je n’ai pas fait le test-qui-va-bien en me contentant de traiter en fonction des symptômes observés, amplement suffisants dans la majorité des cas pour cette maladie ?
Et alors ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne suis pas enthousiaste. Je me réjouis de la « solvabilité nouvelle » de ma clientèle assurée. Je râle sur la paperasse, mais je sais que l’on n’a rien sans remplir de papiers. Je comprends bien que l’augmentation du coût des soins vétérinaires ne peut pas être assumée par tous mes clients, que la situation n’est plus celles des années 80.
Mais je suis foutrement inquiet.
Parce que mon indépendance risque, une fois de plus, d’être mise à mal.
Parce que l’argent vient un peu plus s’insérer dans mes problématiques quotidiennes.
Parce que j’ai l’impression que la profession s’en fout, ou ne réalise pas les dangers qui nous guettent.
Je ne veux pas jouer à l’oiseau de mauvaise augure, passer pour le vieux con qui refuse le progrès, pour un chantre du « c’était-mieux-avant ». Je suis persuadé que l’âge d’or est devant nous. Je ne suis pas un nostalgique.
Mais vous, mes confrères installés, les étudiants, les vieux briscards, les retraités, qu’en pensez-vous ?
Et vous, qui venez sur ce blog pour lire mon quotidien de vétérinaire, vous qui payez nos factures, quel est votre avis sur ces questions ?
Des sources pour aller plus loin
Union nationale d’associations de gestion agréées : vétérinaire 2008, consultez la ligne bénéfice tout en bas. Attention, ce bénéfice n’est pas le « net » d’un salarié : retirez 40-50% d’URSSAF, RSI et retraite pour avoir le net avant impôt. Notez la forte disparité entre les 4 quartiles de revenus.
UFC Que choisir ? : Dossier sur les tarifs des vétérinaires et sur les mutuelles de santé pour animaux de compagnie (pour abonnés)
AVERTISSEMENT : ce billet parle d’argent. Si vous venez troller en commentaire, pas la peine de venir crier à la censure, je virerai vos commentaires sans préavis. Je suis ouvert aux critiques et aux remarques si elles sont constructives. Le fiel n’est pas constructif.
Dilemme
Elle n’a que trois ans, elle est couchée depuis deux jours, un mois après son vêlage. En réalité, elle a un défaut de contrôle de ses postérieurs. On aurait pu penser à une chute, à une compression nerveuse liée au chevauchement. Le genre de trauma pas évident à récupérer. Il veut la faire partir à l’abattoir, mais lors de l’examen obligatoire avant l’envoi d’animaux couchés, je lui découvre une fièvre à 41°, qui interdit l’abattage. J’ouvre mon panel d’hypothèses, il le referme et choisit. Euthanasie.
Elle s’est barrée au fin fond d’un vallon, dans les bois, pour s’isoler et vêler. Il l’a cherchée jusqu’à la nuit tombée, a du passer à côté d’elle une fois ou deux, elle n’a pas bougé. Il ne l’a retrouvée qu’au matin, l’utérus renversé et déchiré. État de choc modéré, bonnes réactions à la perf’. J’ai découvert les dégâts au fil de mon intervention, les ai géré les uns après les autres, malgré le pronostic qui se dégradait. On s’est posé la question de l’euthanasie, nous avons choisit d’essayer. Deux heures de boulot et les médicaments. Elle est morte trois heures plus tard.
Toutes considérations affectives évacuées, les choix en médecine vétérinaire « bovine » (mais c’est valable pour tous les animaux dits « de rente », c’est à dire élevés pour dégager un revenu à leur propriétaire) se heurtent rapidement à une barrière financière.
Poser un diagnostic pour traiter un animal, cela a un coût.
Coût du déplacement et de la visite, à peu près fixes.
Coût des éventuels examens complémentaires. Les analyses, ça revient vite cher.
La médecine rurale, en tout cas individuelle, repose souvent sur un diagnostic clinique simple. On examine l’animal, on en tire des conclusions, et on traite à partir de ça. Pour aller vite et réduire les coûts. Bien entendu, il existe des tas d’examens complémentaires simples ou complexes, bon marché ou très onéreux. Nous réalisons nous-même les coproscopies parasitaires. Les analyses biochimiques, les sérologies ou recherches virologiques ont un coût « raisonnable » et sont facilement réalisables. L’imagerie, oubliez. De toute façon, on se sert finalement assez peu de tout cela. Nous avons deux mains et cinq sens (on va dire quatre, parce que bon, le goût…). Des gants de fouille, un thermomètre, un stéthoscope, et pas mal d’astuces dans nos manches.
Et il y a évidemment le coût du traitement.
Les antibiotiques et les anti-inflammatoires, pour des animaux de 50kg (veaux) à 1200kg (les gros taureaux), avec une moyenne à 600kg, ça coûte cher. Une bête association pénicilline/streptomycine, ça revient à quelques euros par jour. Un anti-inflammatoire performant avec un antibiotique récent et de longue action, et le prix du traitement peut s’envoler à 100 euros par tête de pipe. Plus le traitement et long, plus il coûte cher.
Et il y a les coûts indirects : ils n’apparaissent pas sur la facture du véto, mais ils sont bien réels.
Pour tout traitement médicamenteux, il y a des temps d’attente : la durée pendant laquelle les produits issus des animaux ne peuvent être consommés. Jeter le lait pendant 4 traites après la dernière injection, ça peut vouloir dire une semaine de lait à la poubelle. Une injection de pénicilline longue action, c’est deux mois d’interdiction d’abattage de l’animal. Pour un veau qui devait partir, c’est difficilement acceptable. Si c’est une vache qui vit sa vie de vache allaitante, ça passe très bien. Il faut, en plus, tenir compte du risque d’échec.
Cette limousine qui s’est blessée un membre, blessure non infectée, pas de fièvre, on peut décider de l’envoyer à l’abattoir (moyennant un examen sanitaire renforcé avant et après abattage), ou de la soigner. Mais si je la soigne et que ça se passe mal, je n’aurais plus la possibilité de la faire partir puisqu’elle aura de la pénicilline plein les muscles.
Cette vache laitière qui s’est cassée la gueule en salle de traite juste après le vêlage à cause d’une hypocalcémie, je peux la soigner, c’est facile. Une perf’ de minéraux, et puis des anti-inflammatoire, parce qu’elle s’est bien amochée. Même dilemme, si elle n’arrive pas à reprendre le dessus.
Et même sans molécules avec temps d’attente. mettons que je n’ai utilisé que des minéraux qui n’entraînent pas de temps d’attente. Que le gars décide de s’y mettre, soigner la vache à part, la traire couchée, la lever à la pince, quatre, cinq, huit fois par jour. Pendant, disons, 5 jours. Et que nous constations que, non, elle n’y arrive pas, que l’hypocalcémie, ok, c’est passé, mais qu’elle a mal, qu’elle est peu motivée à se lever. Une vache, ça s’ankylose et se démuscle à une vitesse hallucinante. Et maintenant, même sans temps d’attente, elle est si faible que c’est foutu. Elle n’est pas présentable pour l’abattoir… Ce sera une euthanasie. On aurait mieux fait de l’envoyer à l’abattoir dès le début, elle serait passée.
Il y a aussi le coût caché du temps passé, de la charge de travail : bichonner des veaux en diarrhée, leur faire prendre des lactoremplaceurs, les attraper, leur faire des injections, les isoler du troupeau avec leur mère. Lever une vache couchée, la retourner régulièrement pour qu’elle ne soit pas tout le temps couchée sur le même côté. Faire des injections à un lot de taurillons tousseurs mais peu coopératifs. C’est non seulement pénible, mais dangereux. Avec les années, les médicaments sont devenus plus pratiques, mais… n’empêche, s’il y a 10 veaux en diarrhée à gérer en plus de la traite bi-quotidienne, c’est l’enfer, tout simplement. Et quand on pense que ces veaux peuvent valoir moins de trente euros, il y a de quoi désespérer…
On peut philosopher à l’envie sur les choix de l’élevage, sur le coût de la viande et du lait, sur le prix que les consommateur sont prêts à investir dans ces produits. J’entends déjà les végétariens me sortir leur couplet habituel. Cela ne m’intéresse pas : face à moi, j’ai des éleveurs qui doivent raisonner leurs choix en fonction d’une balance coût/bénéfice qui devient, de plus en plus souvent, défavorable à l’animal. Et je dois les aider dans leurs choix, leur présenter le plus honnêtement possible les risques et les chances de succès.
Nous ne soignons pour ainsi dire plus les ovins, ou les veaux laitiers mâles. Leur valeur est si faible que le déplacement d’un vétérinaire la dépasse, sans même parler de traitement. Alors on nous les amène parfois à l’arrière du C15, parce que bon, merde. On pourrait me dire que je suis trop cher. C’est une critique que j’accepterai quand je gagnerai bien ma vie. J’en suis loin… et mes tarifs « rurale » n’ont quasiment pas évolué depuis 10 ans.
Alors on conseille au comptoir, on met en place des protocoles de soins, on essaie de réduire les coûts des traitements – la meilleur protection contre la survenue d’antibiorésistances liées à l’utilisation débridée de molécules de dernières générations repose dans leur prix.
On essaie de faire le boulot. Pas au mieux, mais au moins pire.
Et ça me casse les couilles.
Soyons honnête : j’aime les contraintes de la médecine rurale. Il faut faire le boulot au moins cher et au plus simple. Ça oblige à aller à l’essentiel, et à garder les pieds sur terre. Ma chance de vétérinaire mixte, c’est de garder les bottes dans le fumier tout en m’offrant le confort d’une médecine canine « de pointe ». Les deux s’influencent mutuellement, pour le meilleur à mon avis. Mais ces contraintes sont acceptables tant qu’elles restent « équilibrées ». Tant qu’on n’est pas obligé de baisser trop souvent les bras.
Dans ma région où l’agriculture périclite, où les éleveurs s’enfoncent dans la morosité, on ne nous appelle parfois plus du tout. Ou juste pour euthanasier une vache. Je n’ai pas fait vétérinaire pour euthanasier des animaux.
Vieux
« La vieillesse n’est pas une maladie. » Cet axiome, je ne l’ai entendu qu’une fois ou deux, dans ma scolarité. Ou pendant mes stages, mes premiers remplas. Ou en entendant discuter des médecins. Ou des piliers de comptoir. Je ne sais pas.
Mais il m’a marqué.
Et cette phrase, pour moi, est devenue une litanie.
On ne guérit pas du vieillissement : ce n’est pas une maladie.
On ne prévient pas le vieillissement : ce n’est pas une maladie.
Mais la vieillesse est souvent le prétexte à une démission, lorsque je déroule un fil diagnostique, passant, étape après étape, les hypothèses les plus évidentes, pour m’acheminer vers la complexité.
« Oh, vous savez, docteur, il est vieux« .
Entendez : « ne vous cassez pas le bol, ça ne sert à rien, de toute façon, il est vieux, il vaut mieux le piquer. »
OK, il est vieux. Mais alors, pourquoi me l’avez-vous amené ? Pour que je mette un nom médical sur sa vieillitude, genre SVC ?
– Oh, madame, vous savez, c’est un SVC, et même, sans doute, un SVCEN (en anglais : ODSEN).
– Un SVCEN, oh non docteur ?
– Et si. Ca pourrait même être un SDC.
– Un SDC !! Alors… on l’euthanasie ?
Parce que voilà, on veut un bon argument médical pour déculpabiliser d’en avoir assez, pour se faire entendre dire, que, oui, ça suffit ? Pour que quelqu’un d’autre décide ? Moi ?
Remarquez, j’exagère. Parfois, le constat « mais est-ce qu’il n’est pas tout simplement vieux ? » est parfaitement sincère. Cette sincérité étonnée, je la rencontre en général avec les plus jeunes de mes clients. Ils ou elles ont 18, 20 ans, et ils n’ont pas encore eu besoin de se demander, très personnellement, si la vieillesse était autre chose qu’une maladie inéluctablement incurable.
Parfois, la demande d’euthanasie est parfaitement assumée. Reste à en discuter, même si certains ne viennent pas pour discuter.
Et parfois – moins qu’avant – c’est le véto qui se fend d’un « boah, vous savez, il est vieux, alors on va le piquer hein ». Ma première euthanasie, c’était ça. J’étais stagiaire, quatrième année, et le (vieux) vétérinaire a reçu ces personnes âgées. Il a flairé le pyomètre de cette vieille golden, lui, le véto à vaches. Il l’a prouvé d’un coup d’échographe. Et puis il a énoncé sa sentence. « Elle est vieille. Fourrure, tu t’occupes de l’euthanasie. » Je ne l’ai pas remis en question, le maître. Les gens ont été impassibles. Pas de larmes, pas de mots, ils s’y attendaient, je suppose. Surtout : ils n’attendaient pas autre chose. Moi non plus ? Moi, j’ai euthanasié la chienne, avec la certitude zélée de l’élève paralysé par le respect. Quel con. Évidemment, même si on avait discuté chirurgie, même si, même si, ça aurait sans doute fini pareil. Peut-être. Peut-être pas.
Nous ne sommes pas là pour décider à la place de nos clients. Nous pouvons avoir tort. Une cliente me reproche tous les trois mois d’avoir voulu, il y a deux ans, euthanasier son chat au taux de créat’ délirant. Qui vit encore très bien sa vie de papy. Nous pouvons aller trop vite. Et puis, il y a cette routine qui nous encroûte, tous. Cette habituation, cette acceptation de la souffrance, cette certitude : de toute façon, on sait bien comment ça va finir. Autant abréger.
Non.
Ça ne marche pas comme ça. Parce que le chien, ou le chat, ben il est vieux, certes. Pas besoin d’un véto pour lire une date de naissance et calculer un âge. Mais le chien, il ne serait pas un peu cardiaque ? Le chat, beaucoup hyperthyroïdien ? Diabétique ? Ou plus simplement perclus d’arthrose ? Une hernie discale ? Un pyomètre ? Un hémangiome ? Une bonne vieille pyodémodécie des familles ?
Ah ben oui, il pue. Il est sale. Il bouge lentement. Mais, bordel, si on lui collait des anti-inflammatoires, il pourrait pas bouger plus vite ? Se remettre à remuer la queue avec un enthousiasme spontané ? Ou recommencer à dévorer ses gamelles, avec appétit ?
Comme avant.
Avant qu’il soit vieux, avant qu’il ne soit plus le compagnon que vous aviez choisi, celui qui pouvait faire des balades, celui qui jouait à la balle, celui qui venait ronronner dans le lit après avoir chopé quelques souris. Avant qu’un matin, soudain, vous réalisiez que, ça y est, il est vieux. Et qu’il doit souffrir, le pauvre, et qu’il n’y a plus rien à faire, alors, on va l’emmener chez le véto, qui va diagnostiquer un Syndrome du Vieux Chien (ou Chat), de préférence dans sa variante Euthanasie-Nécessitante, ou un Syndrome de Décrépitude Chronique. Comme ça on l’aura même amené chez le véto, on l’aura fait soigner, il n’aura rien pu faire, et on passera à autre chose. Facile.
Mais.
Non.
Alors, des fois, oui. Parce qu’il y a des maladies trop lourdes à soigner, ou juste pas soignables. Parce que, oui, l’âge est une excuse valable pour éviter certaines procédures médicales, lorsque le bénéfice est faible et le risque, ou les inconvénients, élevés. Je suis d’accord : imposer une mammectomie totale et une chimio à la doxo à une chienne avec des tumeurs mammaires métastasées de partout, dont l’espérance de vie se compte en jours, ou en semaines pour les plus optimistes, c’est plus que discutable.
Parce que lorsque l’insuffisance rénale chronique arrive à son terme, il faut savoir aider l’urémique en souffrance à partir.
Les plus observateurs parmi vous remarqueront que, bordel, si le vieux avait été amené avant, on aurait pu mieux l’aider. Était-il nécessaire d’attendre qu’il se paralyse pour se soucier de son arthrose ? N’aurait-on pas pu gérer son diabète avant qu’il ne vire à l’acido-cétose délirante ? N’y avait-il pas des signes d’appel ? Après tout, depuis combien de temps avait-il du mal à se lever, à monter dans la voiture, à sauter sur le canapé ? Depuis combien de temps maigrissait-elle tout en mangeant comme quatre et en descendant dix fois plus d’eau qu’avant ?
Bien sûr, vous avez raison. On aurait pu faire du bon boulot, plus tôt. Et souvent j’hérite de situations effectivement irrécupérables qui auraient pu être évitées, ou sérieusement retardées. Et trop souvent, je n’ai pas le choix, entre une agonie mal gérée (parce que nous n’avons pas accès à assez de soins palliatifs, pour moult raisons), et une euthanasie.
Mon discours n’est pas : « il ne faut pas tenir compte de l’âge de l’animal ». Bien entendu : il faut en tenir compte, mais la vieillesse ne doit pas être une excuse ou un prétexte. Elle diminue les défenses de l’organisme, elle diminue les capacités de cicatrisation, de récupération, elle implique indirectement tout un tas de maladies qui, misent bout à bout, rendent nombre de prises en charge irréalistes.
Une ovario-hystérectomie sur un pyomètre, ce n’est pas irréaliste; Une mammectomie, même une, voire deux chaînes complètes, ce n’est pas délirant s’il n’y a pas de métastases. Une cardio-myopathie dilatée avec tachycardie paroxystique, ça se traite. Pas dix ans, mais quand même. Une arthrose douloureuse, une hernie discale avec début de perte de proprioception, ça se gère. Même un cancer incurable, ça peut se gérer.
Bien sûr, les critères financiers comptent. Le vétérinaire, ça peut vite coûter très cher. Mais la vieillesse ne doit pas être un maquillage pour des problèmes d’argent : ceux-ci doivent être envisagés pour ce qu’ils sont. Et il faut parfois – souvent ? – admettre qu’ils ne peuvent être surmontés.
Il faut aussi prendre en compte la volonté des propriétaires du chien ou du chat. Imposer une prise en charge, ça ne marche pas. Si refuser l’euthanasie aboutit à condamner le chien ou le chat à agoniser dans un coin de la cour, c’est nul.
Parce que c’est ça, mon boulot, et les bonnes âmes ne devraient pas trop vite l’oublier. Il est facile de s’indigner. Facile de juger, de reprocher aux gens de n’avoir pas mieux fait. Facile de refuser d’admettre les contraintes financières. De blâmer alternativement le véto, le maître et/ou le système capitaliste. Moi, mon problème, c’est de trouver, pour l’animal, les solutions les meilleures aux situations dont j’hérite. Par ailleurs, culpabiliser le propriétaire négligent est rarement constructif, au contraire. Le braquer, c’est le meilleur moyen de faire perdre ses chances à son animal.
Les incantations et les reproches, ça n’a jamais soigné personne.
Bien sûr, j’euthanasie, mais plus tellement des vieux. Maintenant, j’euthanasie plutôt des malades pour lesquels je n’ai pas d’alternative acceptable.
Beaucoup sont vieux.
Vétérinaire, médecin
Beaucoup généraliste, pas mal obstétricien, chirurgien, un peu ophtalmo, un peu dermato, un peu anapath, un peu cardio. Certains de mes confrères se spécialisent, formations complémentaires, diplômes ou expérience.
Certains amis me disent : « je préfèrerais être soigné par toi que par mon médecin. »
Parce que moi, contrairement à leur médecin, j’explique.
Parce que moi, contrairement à leur médecin, je m’implique.
Mais suis-je plus compétent ? Qu’un médecin généraliste ? Non. Autant, peut-être, si la comparaison a un sens.
Qu’un médecin spécialiste ? Non, certainement pas. Et mes confrères spécialisés, dans leur domaine, sont certainement moins compétents que les spécialistes « correspondants ».
Je ne parle là que de compétence, de savoir, de précision du geste, de possibilités diagnostiques et thérapeutiques. Je ne parle pas de qualités humaines, car il y a de tout partout. Vous allez me dire que votre médecin est nul, alors que votre véto est génial. OK, mais l’inverse est sûrement vrai pour quelqu’un d’autre. Je ne parle pas de cas particuliers.
Nous sommes moins bons, parce que nous avons moins de moyens, et parce que nous faisons trop de choses.
Moins de moyens parce que le portefeuille bloque forcément les possibilités diagnostiques et thérapeutiques.
Moins de moyens parce que la recherche en médecine vétérinaire, même si elle a fait des pas de géant depuis trente ans, est en retard, très en retard. Moins de moyens, moins de chercheurs, moins d’enjeux. C’est normal !
Pour autant, dois-je en conclure que je fais de la moins bonne médecine que les généralistes de mon village ? Et puis d’ailleurs, cette question est-elle pertinente ? En tout cas, elle est régulièrement soulevée par mes clients, qui sont aussi leurs patients.
J’ai eu la malchance d’être emportée dans un tourbillon médical, lors d’une urgence. D’être aux premières loges, avec la possibilité de saisir et comprendre tout ce qui se disait ou se faisait autour de moi. Je suis admiratif. Pas forcément envieux, parce que je doute de la pertinence d’une telle qualité de soins pour nos animaux, avec tout l’amour et le respect que j’ai pour eux. Être vétérinaire m’a permis, très tôt, de sortir des réflexions binaires d’ado sur le thème « une vie animale vaut autant qu’une vie humaine ». Évidemment je caricature mon propos, mais c’est essentiel. Ne jamais perdre de vue que les animaux sont… des animaux ! Qui souffrent, qui ont des émotions, leur connerie, leurs qualités, mais des animaux.
Je ne suis pas envieux, donc, mais admiratif. J’aimerais en savoir autant, j’aimerais avoir accès à ces médicaments, à ces techniques d’exploration. J’aimerais disposer d’un tel réseau. Les possibilités se multiplient depuis des années, mais nous jouons si souvent aux devinettes, quand les médecins peuvent confirmer ou infirmer leurs suspicions avec une infime marge d’erreur.
Alors je complexe. Comme beaucoup de vétérinaires. Mais je me révolte lorsqu’on me prend pour un con, et j’ai un sourire dépité lorsqu’un médecin sort une énormité. Surtout si je sais qu’il a tort, pour la toxoplasmose ou un cas de dermato soit-disant parasitaire. Ou autre chose. Surtout si il ne m’écoute pas parce que, après tout, je ne suis qu’un vétérinaire.
Ducon.
D’autant que j’ai quelques beaux souvenirs de collaborations inopinées avec des médecins. Une suspicion de tuberculose sur une personne âgée déclenchée par une suspicion sur son chat. Une teigne, lorsque les pièces de puzzle s’assemblent pour moi en consultation, quand le médecin n’a vu que l’enfant. Une intoxication.
Et je m’énerve aussi lorsque quelqu’un refuse une possibilité pertinente proposée par son médecin ! Le plus souvent par méfiance ou manque d’information, quand c’est, à long terme, une question de santé essentielle, voire de vie ou de mort. Remise en cause de traitements pourtant cohérents, d’examens peu invasifs, de diagnostics, même. On peut, on doit être critique envers son médecin – comme envers son vétérinaire. Évidemment, c’est difficile, car cela nécessite des connaissances et des modes de raisonnements qui ne s’apprennent pas sur internet ou dans la salle d’attente du coiffeur. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille refuser une prise en charge « parce que ces toubibs, ils n’y connaissent rien ». « Parce que ces toubibs, ils sont tous pourris. » « Parce que les médicaments, c’est juste du poison, c’est juste pour le pognon. » Cela me frustre et me met en rage, même. Principe de précaution, superstition, biais de confirmation. J’abhorre ces barrières. Alors parfois, un client me pose une question sur son propre cas. Et parfois, je suis un déclic pour l’acceptation d’un traitement. Je n’aime pas cette position, même si elle peut être très satisfaisante, quand on a l’impression d’avoir aidé. Mais qui suis-je pour conseiller, quand je ne connais pas le dixième du dossier ? Alors je rassure, avec beaucoup de conditionnel. Je renvoie vers le médecin. Parfois, c’est utile.
Eolas dit que le pire ennemi d’un avocat, c’est son client. J’ai souvent l’impression que le pire ennemi d’un médecin, c’est son patient. Et ne venez pas me parler d’acharnement thérapeutique ou autres problématiques extrêmes, c’est de la médecine de tous les jours que j’évoque.
J’aimerais tant être aussi fort que ces docs de l’hôpital, que ces généralistes qui parlent de pathologies que je comprends à peine. Je ne peux pas, je fais trop de choses, et puis, je n’en ai pas les moyens.
Alors je continue à faire ce que je fais le mieux : écouter, diagnostiquer, traiter, expliquer. Un service de proximité, de qualité. Nous nous formons. Nous embauchons, nous nous équipons, nous nous donnons autant de moyens que possible pour servir une clientèle toujours plus exigeante, pour le meilleur et pour le pire. Je dis « nous » parce que cette progression passe forcément par des moyens humains et financiers qu’un véto solitaire ne peut s’offrir.
Alors pourquoi complexer ?
Parce qu’il y a des Jaddo, des Borée, des Stockholm. Ils sont sans doute compétents, ils sont certainement d’excellents soignants. Ils se remettent en question, ils disposent de réseaux plus ou moins formels pour ce faire, ils ont Prescrire. C’est ce que j’admire le plus, au-delà de l’excellence, en médecine humaine.
Moi j’ai mes bouquins, mes experts, un pauvre dico des médicaments vétérinaire, une pharmacopée qui oscille entre l’excellent et l’inutile… sans que ce dernier ne soit suffisamment remis en question.
Mais j’ai quand même mes avantages ! Je ne suis pas contraints par des protocoles de soins écrits par des obtus, mais je peux en trouver de bons si je cherche. Je n’ai pas la pression de la vie humaine sur les épaules, et cela m’offre une liberté inespérée. J’ai le droit de bricoler, j’ai le droit d’essayer, parce que de toute façon, personne ne le fera à ma place. La fierté lorsque j’ai refait – et proprement s’il vous plait – une mandibule fracturée avec un vieux mandrin, un fil de fer et deux pinces !
Alors je guette, je lis, je cherche. Des sites vétos, des sites médicaux. Je discute, j’enrichis mon réseau de spécialistes, les mails fusent, les dossiers se promènent.
Pour mon plus grand plaisir.
Et lorsque je regarde le chemin parcouru depuis que j’ai commencé à travailler, je me dis que mon métier a bien changé. Pour le meilleur.