Archives de catégorie : Nouveau Management Public

Le médecin, entrepreneur ou prisonnier-fonctionnaire?

Hippocrate malade du paternalisme libéral ou la fabrique de l’idiot utile

« La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs. »»  Raymond Massé

« Le médecin n’est pas au service de la science, de la race ou de la vie. C’est un individu au service d’un autre individu, le patient. Ses décisions se fondent toujours sur l’intérêt individuel.» Theodore Fox. Purposes of medicine. The Lancet. 1965. Volume 286, No. 7417, 801–805

Inspiré de:


L’entreprise médicale face à la grande intégration gestionnaire de la santé


Entreprendre, c’est vouloir créer des biens ou des services. C’est donc faire « une proposition de valeur ». Une proposition de valeur porte aussi le nom de modèle économique, au sens noble de l’économie, meilleure traduction de business model. Un business model n’est ni bon ni mauvais il supporte toute activité économique, et ne peut jamais être considéré sous le seul aspect de la recherche du profit pour des investisseurs. Un modèle économique ne dit a priori ni si l’activité qu’il supporte ou supportera est ou sera organisée de façon rationnelle selon les canons du management, ni si elle est ou sera rentable même si ses promoteurs en espère la viabilité, ni enfin si elle contribue ou non à l’intérêt collectif. Les porteurs du modèle prétendront toujours qu’il y contribue, dans le cadre de la promotion du développement durable et d’une responsabilité sociétale, en vue de subventions, d’une image valorisante et/ou d’une simple tolérance réglementaire.

La santé numérique nous promet des lendemains qui chantent. Nous avons parlé dans un message précédent des modèles « disruptifs » de Christensen. Nous sommes tous fascinés, pleins d’espoir mais aussi effrayés par les possibilités ouvertes. Les conséquences aujourd’hui envisagées par les experts sont comme toujours bien éloignées des effets réels que personne ne sait réellement prévoir. Ceci se conçoit sous le triple aspect de nouveaux marchés portés par de nouveaux modèles d’affaires, de nouvelles possibilités de soins réellement utiles, de nouvelles tentations de contrôle, de gouvernance de la société et de la « santé au public » par les Big Data.
La santé numérique, qui a un avenir aussi inévitable qu’incertain, est largement idolâtrée comme un veau d’or, dressé sur toutes les places médiatiques par les pompiers pyromane du Nouveau Management Public de la santé. Cette sophistique (ou stratégie?) du choc numérique, portée par une armée de « chiens de garde » chargés d’en découdre avec toute mise en doute de la doxa, sert le grand projet de transformation des médecins en prisonniers-fonctionnaires. Pourquoi, parce que les stratégies de faisabilité politique de l’ajustement pensées par les politiques publiques de santé n’ont pas trouvé d’autre moyen que la coercition infantilisante, la division et l’intimidation.

L’économie comportementale et l’ascension du paternalisme libéral


Le prisonnier-fonctionnaire est une figure de la critique sociale que j’emprunte à Primo Levi et Hannah Arendt. Elle permet d’analyser le glissement progressif vers ce que Pierre Bourdieu nomme « la complaisance résignée et la complicité soumise » appliqué à un système qui se propose de faire l’ingénierie sociale des attitudes et des comportements, au risque d’une dérive totalitaire. Cette dérive est certes douce et tranquille,  chacun s’y croyant libre, sur le mode de Brave New World plus que sur celui de 1984. Vouloir comprendre c’est avant tout se garder d’obscurcir sa pensée par la religion de je ne sais quel mal radical aux source des motivations du « prisonnier », c’est se pencher résolument sur un système d’incitations perverses et déshumanisantes, c’est cultiver l’impotentia judicandi chère à Primo Levi dans sa sociologie du Lager. Vouloir comprendre n’est pas vouloir donner raison.

Le médecin doit-il gérer ses propres paradoxes ou les confier aux prétendus experts de son inconscient social? Mais voilà que je patauge encore lamentablement dans les marécages de ce concept étrange qu’on appelle la liberté.
Hélas, contrairement au doux rêve de certains de mes collègues, il ne peut pas ne pas n’y avoir aucun conflit d’intérêt, la vie n’est qu’une forêt de paradoxes. 
La question est de savoir s’il vaut mieux que le médecin gère lui-même ce que le pouvoir nomme ses « conflits d’intérêt » où si ceux-ci doivent être gérés par des tutelles conduites par des modèles économiques dangereux, notamment quand ils conduisent au « paternalisme libéral » qui nous accable, mais que nous refusons trop souvent d’analyser.
Pourquoi les sciences sociales ont-elles pris tant d’importance dans l’action publique et dans les agences de santé? Parce qu’on n’en est plus à l’économie libérale de papa. « L’idiot rationnel », homo economicus,  a du plomb dans l’aile et l’Etat (néo-libéral?) s’est maintenant donné pour grande mission de construire des idiots utiles, de se transformer en fabrique du crétin irrationnel. Celui-ci, dont on n’attend plus tout à fait que les vices privés conduisent au Bien commun,  sera scientifiquement incité par les ingénieurs sociaux des attitudes et des comportements. Il favorisera le développement durable en prêtant un beau serment attestant de son engagement pour la « responsabilité sociale » de son entreprise. Les pages de mathématiques d’économie des comportements seront là, fidèles au poste, pour consolider ces fumisteries de la psychologie économique et servir l’ajustement.

La science, plus précisément les sciences sociales, en dominant le Droit, vont de plus en plus légitimer les lois qui disent ce qu’il faut penser, ce qu’il faut enseigner aux enfants, à commencer par l’Histoire etc. Comme le préconisait Laurence Parisot, cette « entreprise » là, sera pensée non pas comme lieu de libre de création de valeur mais comme lieu d’intégration sociale des comportements par l’Etat paternaliste. Les nouveaux hussards noirs de l’Etat biopolitique, ces nouveaux instituteurs de de la « santé-bonheur » n’enseigneront pas la liberté d’entreprendre du libéralisme classique, mais le mythe de la compétition efficiente, la nouvelle religion sociétale de l’entreprise de soi et des autres dans toutes les sphères de la vie publique et privée.

« Je ne cesse de le répéter depuis deux ans : nous les Entrepreneurs, nous pouvons être à ce siècle encore tout jeune, ce que les instituteurs ont été à notre IIIè République. L’école était chargée de former le citoyen, c’est à l’entreprise aujourd’hui de lui apprendre le nouveau monde. Les instituteurs étaient les messagers de l’universel républicain, les entrepreneurs sont aujourd’hui les porteurs de la diversité de la mondialisation. Les instituteurs détenaient la clé de la promotion populaire. Nous, les entrepreneurs, nous sommes les moteurs de l’ascension sociale. Comme eux, nous devons contribuer à rendre le monde lisible. » Laurence Parisot assemblée générale du MEDEF 2005

L’équation qui dit à quoi ressemblerait le monde s’il était conforme à la théorie, est la suivante:

Utilitarisme + économie comportementale = paternalisme (Cyril HEDOIN)

Il s’agit aujourd’hui pour les usagers et les élus de choisir entre des médecins autonomes, donc libres de faire passer en premier l’intérêt individuel du patient et des médecins transformés en « agents doubles » par les injonctions contradictoires. Ces doubles contraintes opposent chaque jour davantage le serment d’Hippocrate, le patient d’abord, à la gestion utilitariste des populations par des machineries technocratiques d’essence totalitaire, engendrant cynisme et désarroi.

Pourquoi est-ce important? C’est un choix politique fondamental qu’aucune commission d’expert n’est là pour éclairer.

Pourquoi? Parce que ces injonctions paradoxales visent à transformer les médecins en petits techniciens exécutants employés des directions (le « rêve de fer » des managers de santé  a fortiori quand ils ont le « couteau à phynances » du père Ubu sous la gorge). Parce que que cette folie a mis en quelque sorte « l’intendance », le soutien logistique de l’action en lieu et place de la « cavalerie ». Les objectifs périphériques de support aux activités (« qualité » comme évaluation de l’intégration des processus transversaux par des cadres experts, gestion des risques, contrôle de gestion, rationalisation de la productivité, production exponentielle d’indicateurs) sont ainsi devenus centraux au point de reconfigurer les activités dans une inversion critique des fins et des moyens,  dans les établissements, bientôt les futurs Groupements Hospitaliers de Territoire, dans les territoires de « santé au public », et les régions désormais sous la coupe des grandes assistances publiques régionales (les ARS). Ces injonctions et cette hiérarchie infantilisante et arrogante stérilisent toute tentative « d’entreprise médicale », individuelle ou collective, qui laisserait plus libres de s’organiser entre elles des « professions alliées », en ville comme dans les établissements de santé.

Ce mal engendre l’amnésie organisationnelle dans les meilleures équipes en y détruisant les « savoirs procéduraux » des collectifs professionnels, cette « information structure » des équipes dont on sait qu’elle est à 80% tacite et qui en fait les compétences clés et qui ne peut jamais se transformer tout à fait en « information circulante », en savoir « déclaratif ». Les talents d’incompétence triomphent et sont promus. Les professions, normalement alliées autour du patient, n’ont de cesse de lutter les unes contre les autres, à chaque niveau de gouvernance, pour obtenir toujours plus de juridiction de la hiérarchie et de l’Etat dans le cercle vicieux étatiste-corporatiste décrit dans la société de défiance (Algan et Cahuc). Guerre hobbesienne gérée par l’Etat- Léviathan?

Ce mal n’est pas managérial, car il existe un bon management, qui n’est évidemment pas celui enseigné à nos managers de santé, c’est avant tout un mal bureaucratique franco-français appliquant des modèles internationaux imposés d’en haut par une technocratie dont la formation l’enferme dans ses enceintes mentales. L’énarchie de santé publique française a du mal à échouer par elle-même.
Ce mal n’est qu’un peu plus précoce et réglementé dans le secteur public, a fortiori dans les groupes hospitaliers « Titanic », dont on devrait faire l’audit avant de généraliser les GHT, car la vision managérialiste du monde et son couple infernal intégration / processus frappent autant la gestion du secteur privé que du secteur public. (« Lost in management » François Dupuy)

Un portrait du médecin en entrepreneur?

J’ai été frappé, lors des récents « états généraux de la médecine spécialisée », de voir comment les médecins libéraux, décrivant avec émotion, indignation et parfois désespoir ce qu’ils vivent dans la dégradation de leurs rapports avec les tutelles, se définissent avant tout et à juste titre comme des « entrepreneurs ». Ces plaintes, je suis frappé aussi de pouvoir les reproduire, sans réserves et avec les mêmes mots, s’agissant de ce que nous visons à l’hôpital ou de ce que vivent des collègues dans les établissements privés. Comment ne pas partager entre médecins de tous modes d’exercice et avec les autres professionnels de santé ce sentiment de manque de respect injurieux, de iatrogenèse managériale, de baisse induite de la qualité des soins, non par la recherche du juste soin au moindre coût, mais par les pires méthodes de rationnement, de management par l’intimidation, de défiance instituée en dogme, de manque de reconnaissance, d’exclusion des chaînes d’information qui comptent vraiment, d’exclusion de la gestion, des processus de décision qui nous concernent. Voilà ce que vivent de la même façon nos confrères libéraux et nous-autres salariés des établissements. Et c’est souvent bien pire pour les paramédicaux, notamment les cadres.
Dans ce portait du médecin en entrepreneur, on peut voir une opposition radicale avec la critique du concept « d’hôpital entreprise » portée par de nombreuses organisations d’hospitaliers. Autant je me sens solidaire des médecins libéraux, autant je partage pleinement les pages excellentes écrites par André Grimaldi pour dénoncer avec talent la notion « d’hôpital entreprise », si délétère et si destructrice de motivations, ainsi que la critique sociologique des origines de ces grands mythes rationnels que sont d’un coté « l’hôpital entreprise » et de l’autre l’hôpital « usine à soins »  que nous livre avec brio Frédéric Pierru.

Mais alors? La division des médecins est-elle inéluctable, au prix de leur servitude programmée? Peut-on sortir de ces murs d’évidence?

Le dilemme du prisonnier fonctionnaire

Comment sortir alors du dilemme du prisonnier-fonctionnaire? La contradiction ne pourrait être qu’apparente si l’on ne s’attache pas tant au nominalisme, si l’on s’attache à ne pas continuer à faire la guerre aux mots valises, boites à double fond de Tocqueville (entreprise, business model, performance, marché, rentabilité etc.) « Les mots sont les jetons des sages (…) et la monnaie des sots » (Hobbes). Ils sont avant tout manipulés par la rhétorique des coalitions dominantes, et l’on doit tenter de les détourner, d’en subvertir le sens donné par la pensée adverse pour bâtir une rhétorique défensive de l’autonomie des professionnels. Mais s’agissant du concept d’entreprise, il faut dès lors bien vouloir considérer la question essentielle du « niveau de gouvernance ». Car enfin, qui peut-être contre l’entreprise, la création de valeur, la créativité enthousiaste qui n’est pas toujours au service de Mammon mais peut être au service de l’autre dans une perspective humaniste?
L’entreprise médicale? Si cette notion avait un sens, nous ne la souhaiterions ni au service de Mammon, l’Ethos du profit tel que Max Weber en a tracé les contours, ni au service de César et de son empire bureaucratique dégénéré en Biopolitique, mais bien au service de l’humanisme médical de tradition hippocratique.
Entrepreneurs? N’est-ce pas ce que nous étions et qu’on nous interdit d’être aujourd’hui, nous autres hospitaliers, dès lors que nous bataillons jour après jour contre une bureaucratie médico-managériale aussi incompétente qu’humiliante dès que nous voulons développer une nouvelle activité médicale, qu’elle soit individuelle ou collective, de premier, de second recours ou de référence? Quand bien même nous portons un projet en accord avec la vision des besoins selon l’ARS, en accord avec les projets de notre pôle, en accord avec les professions alliées, en accord avec nos financiers internes qui trouvent cela « rentable », en accord avec notre DIM, ce grand prêtre de la lecture de l’avenir dans les rétroviseurs et qui le prédit, au delà du bien et du mal, aux directions , et en accord avec… que sais-je encore, il ne survivra que rarement aux pièges de la pyramide d’Ubu.

C’est qu’il y a cette épouvantable gidouille procédurière qui freine tout et enlise tout à un certain niveau, toujours difficile à identifier quand on regarde cela d’en bas, au sein d’un ubuesque mille-feuille fait d’indécision et d’incompétence. ce qui est sûr est que le petit « porteur de projet », autre nom de l’entrepreneur en novlangue de l’action publique, n’a plus aujourd’hui aucune chance de bien défendre ce qu’il connaît bien devant ceux qui décideront du destin de sa proposition.
Comment cela est-il possible? Lisons Bernard Granger et sa description du désastreux mille-feuille aphp-ien, passé de 3 à 7 niveaux d’enlisement possible des projets intelligents.

L’énarchie de santé publique et l’ingénierie industrielle de la santé


Si ce « chef d’oeuvre industriel » a échoué c’est parce qu’il a été conçu et dessiné par « l’énarchie de santé publique, marquée du juridisme des grands corps et très loin de réalités du terrain, les malades et des réalités scientifiques les médicament et produits de santé ». Debré et Even dans leur oraison funèbre pour l’AFSSAPS


En fait Debré et Even semblent avoir lu Michel Crozier au sujet de la paralysie du système politique par les élites françaises, et sans doute Hayek sur l’Ecole Polytechnique.

Le pire ennemi de l’enthousiasme créatif et de la motivation des médecins n’est pas toujours une coalition d’intérêt adverses, c’est, chaque jour davantage, l’inefficacité foncière du « grand chef d’oeuvre industriel construit par l’énarchie de santé publique. » Hélas, hélas, ses défenseurs ont glorifié un « hôpital entreprise » qui optimise ses « parts de marché » ou bien un « hôpital stratège », mis en gestion descendante par des gestionnaires qui dressent leur propre portrait en « coordinateurs de filières » et qui rationalise ses process au nom de la santé publique et selon des méthodes industrielles  semi-habiles (le « couple infernal intégration / processus » décrit par François Dupuy). Dans les deux cas il s’agit bien de la recherche d’un « avantage compétitif » pensé sans les parties prenantes et sans véritable modèle du produit. Ces ingénieurs shadoks de la « santé au public » ont ainsi laissé déposséder les médecins de toute responsabilité sur l’organisation des soins, par un pacte faustien avec le management. On a ainsi créé des pôles « PIM PAM POUM », ou « Tutti frutti », au sens où dans les pôles dépourvus de cohérence médicale et créés à la hache, l’exécutif du pôle est incapable de se faire ce que le système lui demande, d’être porteur intermédiaire de projets qu’il ne peut comprendre intimement. Pour compléter l’inefficacité, on a créé à complète counter evidence policy, des GH gigantesques où les médecins ne savent bien souvent même plus à quel pôle multisite et tout aussi giigantesque ils appartiennent. Ces GH « Titanic » seront bientôt des GHT obligatoires , carcan dont les CHU pourraient être dispensés au nom de la survie de la recherche et de l’enseignement. On est bien loin des « hôpitaux magnétiques », ceux qui attirent et retiennent les professionnels. Suivons avec intérêt la mission de Jacky Le Menn sur l’attractivité des carrières médicales.
Les « solides chaînes de commandement », de nature quasi militaires, préconisées par Alain Minc (Rapport pour l’an 2000) pour casser toute résistance des médecins, ont été mises en place avec l’asservissement progressif des chaînes d’encadrement paramédicales aux directions, par l’intermédiaire des directions des soins infirmiers de rééducation et médico-techniques. Ne nous y trompons pas, ce phénomène de managérialisation des chaînes d’encadrement ayant pour sommet des directeurs de soins est internationale. Elle correspond à la classique hybridation décrite par Mintzberg de la bureaucratie professionnelle avec la bureaucratie mécaniste. La lecture de Mintzberg montre que les pôles correspondent à une transformation en configuration divisionnelle où l’on passe de la coordination par la standardisation des compétences professionnelles dépendant largement d’organisation externes à l’hôpital, à la coordination par les résultats qui dépend de modèle internes de la fonction de production. Cette divergence est résolue au sommet par la grande intégration gestionnaire qui s’arroge la clairvoyance ultra-jacobine d’être capable de concevoir le « ré-ingénierie des métiers de la santé ». Ce n’est pas l’existence des directions des soins qui pose problème, elles sont inhérentes au modèle international, c’est leur appartenance à une direction de fait totalement démédicalisée, les instances médicalisées de l’hôpital et les CME n’ayant en France plus aucun pouvoir décisionnel ni organisationnel réel face au directeurs-patrons. Qu’on parle d’autonomie des médecins ou d’entreprise médicale toute créativité est étouffée dans l’œuf.

Le management par l’intimidation et le mensonge

Reste aux médecins gestionnaires la complaisance résignée, la complicité soumise et la seule vraie de gestion qui leur reste est celle des effets d’aubaine au profit de leur coalition au sein de « l’arène politique » hospitalière, régionale, nationale où il s’agit de faire émerger à l’agenda des problèmes de santé publique pour attirer les fonds. Les « cadres de santé » lucides – rappelons qu’on a dédifférencié les cadres pour les soumettre corps et âme au management en les éloignant des valeurs professionnelles de leurs métiers de base – y ont bien vu un « miroir aux alouettes ». Contrairement à un chef de service qui a encore le droit de soigner, un « cadre de santé », même si on les identifie toujours par filière métier, est mal vu s’il est encore tenté par le soin même en cas de pénurie dramatique dans son service. S’il donne un coup de main, c’est clandestinement, il risque alors vu d’en haut d’être encore trop contaminé par les valeurs du soin. Pour plaire, il doit devenir un pur manager dans l’âme.
Il ne suffit pas qu’un cadre dise que « deux et deux font cinq », la hiérarchie doit s’assurer qu’il le pense et son évaluation, sa carrière, ses primes, en dépendront. Les médecins ont été depuis longtemps écartés de ces évaluations,hélas sans résistance ou presque. Triste mécanique de la compétence comme construction sociale de l’insignifiance et sombre fabrique de prisonniers fonctionnaires. Vous avez dit risque psychosocial? 
Le cadre est aujourd’hui suspect permanent du « délit statistique », tout comme les médecins et autres professionnels libéraux qui s’en plaignent sur leurs sites: appliquons cela aux ressources humaines.
  • s’il a trop d’effectif il sera accusé par une hiérarchie digne du Goulag d’activités « contre-révolutionnaires », pardon, je veux dire: « contraires au plan d’efficience »
  • s’il a trop peu d’effectif et met la main à la pâte pour aider ses troupes, notamment quand un malade dépendant est laissé trop longtemps cloué au lit sans aide pour en sortir, voire baignant dans ses urines, ce que trop peu de directeurs, mais il y en a tout de même, se déplacent pour observer et analyser,  il sera accusé d’incompétence et de ne pas avoir assez tôt alerté la hiérarchie, quoiqu’il ait dit  ou écrit avant 
  • s’il a juste le compte et réalise juste les objectifs de GRH imposés d’en haut et qu’il est sommé de cacher aux médecins, même s’il en parle en douce. Il sera alors suspecté de truquer de trop belles statistiques
Si les médecins gardent encore une relative liberté de parole, et encore, il n’en va pas de même pour les cadres qui sont ainsi soumis à des pressions psychologiques et un bullying management de plus en plus oppressant. Cette politique de muselage des cadres a bien été promue pour exclure les médecins du management de l’hôpital considérés comme freins au déploiement du managéralisme, dans une stratégie politique de l’ajustement des dépenses de santé. Le management low cost est exceptionnellement efficace. C’est souvent une technique d’euthanasie bureaucratique consciente ou non, là est le problème, d’organisations moribondes qu’on laisse à la main de « managers de transition », souvent de qualité médiocre. Parlons plutôt aujourd’hui de « sédation profonde ». Le résultat est le désenchantement de tout projet, le désespoir d’équipes disloquées et non reconnues, la suppression de toute autonomie, l’impossibilité de se penser en « entrepreneur d’activités », l’exclusion injurieuse et méprisante des processus de décision, à commencer par le choix des collaborateurs paramédicaux, ce qui limite la formation des binômes fonctionnels médecin-cadre, clés de la véritable performance des unités de soins. 

Entrepeneur? Entrepreneur? Est-ce que j’ai une gueule d’entrepreneur? Le management par les balivernes

La médecine a-t-elle à voir avec l’entreprise? Peut-être, mais on s’est sans nul doute trompé d’entrepreneur, ou plutôt de niveau de régulation. Il faut considérer le niveau « micro-économique » de la véritable production opérationnelle des soins, celui des « micro-système cliniques » qui réunissent au quotidien des équipes au contact et au service du public. D’autres parleraient « micro-firmes » au sens microéconomique, confronté aux niveaux méso et macro. Ces microfirmes, en clair nos unités intégrées, peu importe qu’on les nomme « service » comme dans la plupart des pays ou non, mais il n’y pas de honte à le faire quand les « chiens de garde » nous incitent à disqualifier ce concept dans notre splendide isolement français. Ces unités « au service du public » sont toutes les vraies porteuses d’activités de soins, elles sont toutes porteuses de « modèles de création de valeur », fondées sur ce que sait leur main collective. Elles sont toutes le siège, si l’on se tourne vers la Harvard Business Review, des « compétences clés » de nos organisation soignantes, de procédures professionnelles largement tacites et « compilées » au sens où elles restent illisibles aux « ouvreurs de boite noires » mal formatés au plus malhabile baloney management qui soit. 
Elles sont toutes finalement « productrices », car toute action produit quelque chose, mais non des misérables « produits » fictifs inventés pour les besoin des faux marchés, du Benchmarking et de la compétition régulée par les indicateurs (notamment les fameux les « groupes homogènes de malades » de Fetter servant à la T2A). Elles produisent au contraire ce que le management ne sait pas compter, ce qu’Hamel et Prahalad nomment les « cœurs de produits » (core products) et les « noyaux de compétences » (core competence) de l’organisation. Ces produits sont vitaux pour l’avantage compétitif et la capitalisation des connaissances, mais ce ne sont pas ceux qu’on vend, et les nouveaux caniches du management par les coûts qui nous tyrannisent ne savent dès lors pas bien analyser comme « objets de coûts », encore moins comme « objets de marges ».  
Entreprendre pour la création de biens et de services d’intérêt collectif ne passe pas par cette épouvantable dépossession démocratique au nom de la « démocratie sanitaire », ni par ce déni de citoyenneté des médecins, et au delà de l’ensemble des « soignants », au nom d’un vision étriquée de la valeur et de la performance. Il n’y a pas toujours un plan machiavélique, une véritable stratégie d’ajustement, il y a surtout le constat quotidien de la contre-performance au regard de ce qui compte pour nous et nos patients, le résultat clinique (outcome) au delà de l’output de sortie de système, ce petit résultat si peu signifiant mais juste fait pour donner aux jeunes détenteurs d’un MBA l’impression que le management hospitalier est « à la portée des caniches ». C’est le chemin de la destruction des compétences, ces pratiques ubuesques sont nées du mythe néo-managérial, celui de la régulation par la gestion d’une compétition régulée entre des « acteurs de santé ». Glissement sémantique du « médecin » vers le « praticien », du praticien vers le « professionnel de santé », du professionnel vers « l’acteur de santé », cet acteur conçu par les économistes orthodoxes comme un des multiples idiot rationnel bons à inciter par les savants de la République. Voilà l’origine du désastre pour la médecine hospitalière et libérale et les patients qu’elles servent.

Une redéfinition du libéralisme médical commun à tous les modes d’exercice de la médecine est-elle possible?

Il nous faut redéfinir le libéralisme médical sur la notion de « pratiques prudentielles », fondées sur la prudence d’Aristote et non sur la bureaucratie totalitaire des savants-experts de Platon. Le combat est peut-être alors celui du libre entrepreneur médical, bien entendu dans un cadre de protection sociale solidaire dans lequel il prend sa part de responsabilité, au nom des valeurs humanistes de la médecine telles que les rappelle Théodore Fox, mais résolument contre les « entrepreneurs de morale » de la « santé au public ».
Les pratiques prudentielles, compatibles avec la vision d’un EBM non dévoyée par les visions managérialistes qui transforme la médecin scientifique en machine légitimatrice de ses processus industriels, mais dans la ligne d’un vision hippocratique d’un art à la recherche de preuves,  exigent pour la protection de nos patients, pour la création, la transmission de nos connaissances médicales, que nous refusions catégoriquement d’être des employés des managers de santé auxquels il ne resterait plus que le « dialogue social », dont Michel Crozier a bien montré qu’il n’était qu’une des illusions du « phénomène bureaucratique » à la française.
Avec les lendemains qui chantent de la santé numérique, on repense immédiatement à Christensen et à ses « réseaux facilitateurs », son troisième business model en santé, avec le magasin de solution (l’hôpital) et le process à valeur ajoutée (les cliniques).

Les illusions de l’innovation destructrice


La « santé numérique » nous fait immédiatement penser au modèle de réseaux facilitateurs de Clayton Christensen. Le « réseau facilitateur » est un modèle d’affaires qui peut tenter un « entrepreneur » voulant inscrire son avantage compétitif dans cette vision d’oracle de la destruction créatrice de Schumpeter. Rien ne dit que le produit, qui aura une valeur marchande (pertinence pour les payeurs / ayants droits ou shareholders), en aura une au sens médical (pertinence médicale et pour l’ensemble des parties prenantes ou stakeholders). Le trafic de la pire des drogues, comme celui des données de santé les plus frelatées, a aussi un modèle d’affaire et une « valeur » dont l’analyse est complexe. Mais qui l’évaluera?

Aucun business model n’est viable dès lors qu’on ne remet pas l’intendance à sa juste place.
Pour le bien de malades et des usages, nos « tyranneaux », qui n’ont pas tous loin de là demandé à le devenir lors de la loi HPST, doivent être libérés des ARS comme nous même libérés de leurs âneries.

Au delà, dès lors qu’un modèle économique, qui en soi n’est ni bon ni mauvais, devient une arme idéologique au mains de l’énarchie de « santé au public », il faut voir derrière la rhétorique les arrières-pensées politiques sous la boite à double fond de la prévention. Sans vous épuiser avec la Biopolitique de Foucault, voici des auteurs critiques beaucoup plus faciles à aborder:

La prévention comme outil étatique de gestion des déficits au service de l’ajustement


1. Le principe de prévention le culte de la santé et ses dérives. JP Moatti et P Peretti-Watel

« La prévention s’est donné pour mission d’éduquer l’homme pour qu’il ressemble davantage au calculateur autonome et rationnel, soucieux d’optimiser ses conduites afin de préserver son espérance de vie. C’est en cela que le culte contemporain de la santé est une utopie et non une idéologie: pour reprendre la distinction opérée par Kark Mannheim en 1929, non seulement l’utopie ne crée pas la réalité telle qu’elle est, mais elle contribue à changer le monde pour qu’il lui ressemble. Et changer l’homme, c’est une utopie autrement plus ambitieuse que l’obtention d’une « santé parfaite ».» Moatti et Peretti-Watel: « Le principe de prévention »

2. Quelques articles de Raymond Massé

Les sciences sociales au défi de la santé publique

« Ces nouveaux questionnements ne doivent pas faire oublier l’existence de certains dérapages dans les pratiques de santé publique. Il est évident que :
  • la santé publique doit être analysée comme outil de promotion de la valeur santé et le lieu d’un discours visant à justifier l’accroissement et le développement du « marché des soins et services de prévention et de promotion de la santé » ;
  • elle renforce le pouvoir biomédical à travers le créneau de la prévention ;
  • les interventions préventives entraînent des empiètements sur l’autonomie des personnes, sur leur libre-arbitre ou sur leur vie privée ;
  • la prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs.

« Nous pouvons, en revanche, déplorer la polarisation qui s’installe dans les débats éthiques entre, d’un côté, les professionnels de la promotion de la santé qui n’ont de préoccupation que pour une evidence-based preventive medicine et qui invoquent l’objectivité des données épidémiologiques et des devis d’évaluation des programmes pour nier les enjeux éthiques de leurs interventions et, de l’autre, un discours déconstructiviste en sciences sociales qui fait de la santé publique un régime de pouvoir voué à la régulation et à la surveillance des citoyens ou encore un pouvoir occulte qui soumet les individus postmodernes à une tyrannie du devoir-être et du devoir-faire. »

 “La santé publique comme nouvelle moralité.” Raymon Massé

« Le risque en santé publique : pistes pour un élargissement de la théorie sociale » Raymond Massé Sociologie et sociétés, vol. 39, n° 1, 2007, p. 13-27.


Théodore Fox et la médecine humaniste

This 1965 Lancet article by Sir Theodore Fox has lots of great quotes, and so this entry will be a continuation of the last one.

« What a patient needs first is care and relief. In the second place he wants restoration to health […] Since preserving his life is a sine qua non of restoring him to health, it is an end that those who have the care of him pursue, and ought to pursue, as a general rule. But it is not in itself an ultimate. »

« If [a doctor] goes on prolonging a life that can never again have purpose or meaning, his kindness becomes a cruelty […] We shall have to learn to refrain from doing things merely because we know how to do them. In particular we must have courage to refrain from buying patients’ lives at a price they and their friends do not want to pay. »

« The physician is not the servant of science, or of the race, or even of life. He is the individual servant of his individual patients, basing his decisions always on their individual interest. »

« Our purpose is to enlarge human freedom – to set people free, so far as we can, from the disability and suffering that so easily mar their lives and hamper their fulfillment. »

« With all its faults the profession to which [the doctor] belongs is not a body of technologists interested solely in the means by which physical or mental processes can be restored to normal: it is a body of doctors seeking to use these means to an end – to help patients cope with their lives. »

« For a person or a profession, to restore and help one’s neighbor may be no small task. But the purpose is not a small one; nor is the privilege. »

Economie comportementale: du crétin irrationnel à l’idiot utile

Le paternalisme libéral en débat

« Cette dernière précision est importante car c’est elle qui donne sa spécificité (et son aspect a priori paradoxal) au paternalisme libéral : aider les individus à « bien choisir » mais sans choisir à leur place. L’hypothèse fondamentale sous-jacente au paternalisme libéral, et qui est supportée par les résultats de l’économie comportementale, est que les préférences des individus sont dépendantes du contexte, c’est-à-dire qu’elles sont formées par celui-ci. »

Quand nos comportements déroutent les économistes Cyril HEDOIN 

Utilitarisme + économie comportementale = paternalisme

« Engagement et incitations : comportements économiques sous serment »Auteurs: Nicolas Jacquemet, Robert-Vincent Joule, Stéphane Luchini, Antoine Malézieux – Document de Travail n° 2014 – 17 Septembre 2014

Plus:Interactions sociales et comportements économiques Pierre CAHUC, Hubert KEMPF, Thierry VERDIER

ÉVOLUTIONS DU COMPORTEMENT DES FRANÇAIS FACE AU DEVELOPPEMENT DE L’ECONOMIE CIRCULAIRE ANALYSE SYNTHETIQUE DES ETUDES QUANTITATIVES PORTANT SUR LES MODES DE VIE ET LES ASPIRATIONS DE LA POPULATION FRANÇAISE juin 2014

Gary Becker et l’approche économique du comportement humain

Analyse économique des comportements de prévention face aux risques de santé. Augustin Loubatan Tabo

Foucault et l’ordolibéralisme: cours au Collège de France en audio (Naissance de la Biopolitique) – Autre source



Continuer la lecture

Publié dans Action publique, gouvernance, Loi de santé, Nouveau Management Public, performance, Qualité des soins | Commentaires fermés sur Le médecin, entrepreneur ou prisonnier-fonctionnaire?

De quoi le néolibéralisme est-il le nom? – Naissance de la ‘Pataclinique


Hello, happy accountables!


« Les modèles économiques servent fréquemment à détourner des questions socialement pressantes. » John Kenneth Galbraith

«…le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d’Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l’Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique.» Frédéric Pierru

« Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.» Pierre Bourdieu

Avant tout, voici un dossier documentaire sur le site d’ubulogie clinique

Naissance de la ‘Pataclinique




Pourquoi parler du néolibéralisme?


« Tout mécanisme de régulation est une théorie du changement social. » Jean de Kervasdoué

« La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs. » Raymond Massé


La sortie de mon état antérieur de « zombie politique » vient de ce que j’ai été stupéfait et horrifié par la submersion rapide de nos hôpitaux, je dirai aujourd’hui plus largement de notre « système de santé », par la iatrogenèse néo-managériale, par sa maltraitance masquée des malades et des soignants, médecins bien sûr, mais sans doute surtout des paramédicaux. Ce qui m’est apparu presque encore plus effroyable, c’est le découplage ubuesque, parce qu’ayant atteint le niveau d’une véritable révolution du sens du soin à l’hôpital, entre d’une part les théories professées par la rhétorique managériale dont la fonction est d’enfumer l’évidence de soins dégradés par un exécrable management low cost, et d’autre part les théories d’usage et méthodes de travail réelles mises en oeuvre par les opérationnels des services (« service » veut dire unité opérationnelle « au service du public »). 

Je déplore qu’entre complaisance résignée et complicité soumise, nous n’en parlions pratiquement plus, entre nous autres « soignants », sur nos lieux de travail, car d’autres en parlent, qui poussent trop souvent à nous transformer en « employés » du faux dialogue social à la française. Je ne reviens pas sur les critiques si pertinentes de Michel Crozier sur le faux dialogue social à la française.

Nos nouvelles Commissions Médicales d’Etablissement (CME), conformément à la prophétie auto-réalisatrice des « réformateurs », en particulier au modèle d’homo economicus, sont devenues des assemblées d’idiots aussi rationnels qu’égoïstes (rational fool d’Amartya Sen), mais aux rationalités plus limitées que jamais, avalant, certes avec quelques effets d’estrade pour se donner un supplément d’âme, la pensée Powerpoint programmés par le « nouveau patron » de l’hôpital et ses succubes. Comme disent les golfeurs, « on est toujours à la merci d’un bon coup ». Une CME ou n’importe quelle structure de la nouvelle gouvernance est toujours à la merci d’une bonne analyse ou d’une bonne décision, quand elle participe encore un peu à la décision. Entendons nous bien, c’est le comportement collectif induit par une gouvernance managérialiste et infantilisante qui est ici critiqué et non le comportement individuel des acteurs qui relève de l’impotentia judicandi.

C’est qu’au classique management by decibels et by lobbying il faut ajouter aujourd’hui le management by bullying ou management par l’intimidation. Qui n’a pas à sauver un projet d’activité qui lui tient à cœur et ne va pas se résigner à « la fermer » pour ne pas sacrifier tout à la fois les soins auxquels il croit pour ses malades, le sens de son travail et son équipe de soins? Servitude volontaire ou servitude induite et bien induite?

Je propose plus bas une brève définition du néo-libéralisme inspirée de Pierre Bourdieu et Frédéric Pierru, peut-être aussi de Michel Foucault si je l’ai jamais compris, pour en finir avec les gogos de l’intégration industrielle de l’usine à soins. Je pense hélas aux nouvelles CME issues de la loi HPST, et tous ceux qui se cachent derrière la critique de la seule composante entrepreneuriale du grand « bordel » pour mieux masquer le « jacobinisme planificateur » inhérent à l’élite néo-mandarinale qui se constitue. « Corriger la lecture jacobine et planificatrice qui a été faite » du service territorial de santé au public, c’est la formulation utilisée par Marisol Touraine pour repousser les critiques de sa loi. Mais qui va se oser se déclarer « jacobin et planificateur » dans un pays ou pourtant la logique « étatique-corporatiste » bien décrite dans la société de défiance peut définir le mal français?
Trop de nos nouveaux médecins gestionnaires se réclament de la stratégie du glaive et du bouclier, proclamant que leur proximité du management officiel va mieux nous protéger de la bureaucratie sanitaire. Mais que vaut le prétendu bouclier quand le glaive de la raison clinique n’est plus qu’un couteau sans lame auquel il manque le manche? Triste sort du prisonnier-fonctionnaire.
Le néo-libéralisme est une idéologie idéaliste « armée », promue par des organisations internationales, au service de certains groupes d’intérêt. Il sert avant tout à la « faisabilité politique de l’ajustement », politique qui induit des comportements « d’Etat prédateur » selon James K. Galbraith. Celui-ci nous explique bien que ce néolibéralisme n’est plus qu’un discours idéologique tenu aussi bien par la droite et la gauche américaine, tout comme chez nous, alors que les universitaires des reaganomics sont aujourd’hui enfermés et oubliés dans leurs universités. Les reaganomics étaient plutôt opposés à la « régulation », mais furent qualifiées par George H. W. Bush « d’économie vaudou ».

La régulation néo-libérale au service de la santé-bonheur a donc de beaux jours devant elle.

Proposition: néolibéralisme, néomanagérialisme et santé publique –  Page complémentaire

Le néo-libéralisme peut être défini comme une technique de gouvernement, historiquement située, qui fonde l’intégration de la société sur le postulat d’efficacité économique de la compétition régulée, dès lors généralisée à toutes les sphères de la vie publique et privée.

La société apparaît comme principe d’auto-limitation de l’Etat, en interface paradoxale entre l’Etat et l’individu, gouvernement et population, au nom à la fois de la liberté qui exclut toute forme de dirigisme et de la promotion de la « santé bonheur ». Autrement dit, ce nouveau « Biopouvoir » ou « Biopolitique » prend en charge non les individus afin de les assujettir par des techniques disciplinaires, mais la population afin de réguler ses processus biologiques.

Le néo-managérialisme assure la régulation de la compétition, le managérialisme étant défini comme l’extension des techniques du management à toutes les sphères de la vie publique et privée.

Le Nouveau Management Public est un patchwork idéologique qui intègre, de façon très variable selon les pays, l’ensemble de ces mythes rationnels dans l’action publique. L’action publique est aujourd’hui sous contrainte internationale de la « faisabilité politique de l’ajustement ». Les systèmes de santé sont une des variables d’ajustement essentielle des déficit publics. Force est de constater avec Raymond Massé que « La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs ».

Le « service territorial de santé au public  » est bien l’autre nom d’une politique de santé qui sert de variable d’ajustement aux dépenses publiques

Cette idéologie vérificationniste et infalsifiable, fondée sur de fausses sciences sociales au service de Machiavel, explique tout, justifie tout, légitime tout, avale tout, à commencer par l’esprit critique des médecins, des managers, des usagers et des élus.

Le reste est anthropologique, captant la médecine dans l’effroyable re-division néo-managériale du travail, décrite par le sociologue américain Eliot Freidson, qui reproduit le triangle mythique de Dumézil: les élites de prêtres « sachants » qui se sont recomposées avec les sciences sociales servent de support légitimateur du management public, les guerriers-gardiens, en intégrateurs et capitaines d’entreprise à leur service, et enfin les producteurs. A propos de ce modèle anthropologique qui ne se résout jamais complètement en « lutte de classes », n’en déplaise à Marx, il faut lire Aristote (contre Platon et les néo-platoniciens) , Dumézil, Veblen, d’iribarne et Galbraith Jr.
Merde! Je ne suis pas un producteur dont le sens de l’action serait défini d’en haut!
Je ne crois pas à la « vue d’hélicoptère », genre De Gaulle survolant l’Île-de-France avec Delouvrier et lui disant, « Delouvrier, mettez moi un peu d’ordre dans ce bordel« .
« Tous les chercheurs travaillant sur l’histoire des villes nouvelles connaissent la légende du « Delouvrier, mettez moi de l’ordre dans ce bordel » qu’aurait prononcé le général de Gaulle, au début des années 1960 lors d’un survol de la région parisienne en hélicoptère. Cette « petite phrase » est justement célèbre parce qu’elle résume à elle seule l’imaginaire des villes nouvelles. « 

Et l’imaginaire du jacobinisme entrepreneurial à la française?

Tentative d’exploration du néo-libéralisme

Voilà, je répugne toujours a utiliser le mot « néolibéralisme » tout en ayant bien le sentiment qu’il est le nom de quelque chose. J’observe au quotidien et dans un désarroi croissant la conjonction des défaillances d’un régime de compétition régulée par une bureaucratie de plus en plus contre-productive au regard de ses objectifs affichés. Résumons le mal du pont de vue « clinique » d’où je l’observe, celui de la médecine de réadaptation: le mythe de la rationalisation comptable s’est accouplé à celui de la concurrence comme forme générale des activités humaines. Il a alors fallu construire un modèle comptable de production des services de santé qui puisse mettre les acteurs dans ce régime de compétition régulée. C’est ainsi modèle de production comptable par construction purement « cure » de la Tarification à l’Activité dans nos hôpitaux (T2A), a servi de modèle d’allocation des ressources en détruisant systématiquement cette part du care qui y était intimement associée pour tous les soignants, cette part d »intégration des soins en vue du résultat final pour le malade, bien différents des outputs de sortie de système autant que des « impacts » socio-économiques attendus du modèle d’intégration de la « fonction de production » par les experts de l’action publique.

Ce modèle de production fragmenté a été naturalisé par la séparation du sanitaire et du social qui a induit l’évaporation en France de la réadaptation comme problématique de l’action publique au profit du modèle exclusif de la participation, de l’activation qui est aussi l’idéologie du workfare. Le nouveau modèle du cure déconcentré pour les « Français de l’Etat » et du care décentralisé pour les « Français du département » excluait la possibilité de promouvoir tout dispositif intégrant les deux logiques autrefois étroitement intriquées. Après la grade fragmentation issue des lois de 1970 et 1975, séparant soins et social, penser la réadaptation comme stratégie nationale ou régionale de santé publique devenait tout simplement impensable, quand tous le pays associent naturellement réadaptation et prévention des situations de handicap, quel que soit l’âge.

En termes d’économie industrielle la supply chain s’est transformée sous l’action de nouveaux business models artificiellement construits par la bureaucratie sanitaire et des faux marchés imaginés par ses pompiers pyromanes. Nous souhaitons tous l’intégration réelle des parcours de soins, tant attendue des incantations réformatrices. Nous la souhaitons comme « centrage patient », et non comme « orientation client » cet acteur rationnel informé, responsabilisé et bien empouvoiré pour mieux répondre à toutes les incitations du marché. Bref avant tout imputable. Nous voulons bien sûr viser le résultat qui compte au terme de la chaîne de soins, l’outcome. Mais le système a évolué vers toujours plus de fragmentation institutionnelle, financière et culturelle en contexte de rationnement, vers des parcours de plus en plus chaotiques transformés en jungle pour des patients toujours plus complexes, toujours moins habiles à s’y mouvoir, vers toujours plus de flux poussés de l’amont vers l’aval et  de restrictions verticales de filières, bien loin de tout choix possible du « client » dès lors captif, quand la personnalisation des parcours impliquerait au contraire l’équilibre entre « flux tirés » et « flux poussés », entre standardisation et individualisation de la réponse la demande, entre « sur-mesure » et « prêt à porter ». Comment pouvait-il en être autrement en organisant une guerre économique de survie ou d’expansion de tous les « idiots rationnels » entre eux, à un même moment ou à différents moments de la chaîne de soins.

L’intégration des soins, telle qu’observée par les acteurs

Cette « innovation destructrice » est-elle portée par des mythologies rationnelles dont personne ne sait maîtriser les conséquences ou par des stratégies politiques d’ajustement visant à rationner les soins et la protection sociale sous enveloppes fermées? Il est bien difficile de trancher. Comment ce nouveau paradigme de gouvernance qualifié de « néo-libéral », nous prive-t-il, nous autres soignants, de toute autonomie permettant de relier le cure du « traitement industrialisé de la nouvelle usine à guérir au care du prendre soin, du souci de l’autre humaniste? Comment et pourquoi tente-t-il de réaliser l’alignement de cette compétition régulée à travers ses multiples niveaux? Pourquoi la future loi de santé nous apparaît-elle de plus en plus comme la loi HPST II quand on en attendait une remise en cause?

  1. Au niveau « macro »: cela peut peut-être se résumer aux principes issus du consensus de Washington: « gouverner pour le marché » considéré comme seule source du progrès, de la paix et de la démocratie, dans le cadre contraint d’un idéalisme libéral trop souvent « armé ».
    Les programmes d’ajustement structurels et les problèmes liés à leur faisabilité en découlent… en contexte de rationnement.
  2. Au niveau « méso »: se déploient des armes de destruction massive de tous les « collectifs » assimilés à « l’esprit de corporation » décrit par le Chapelier, dont le « service hospitalier ». Le service hospitalier par exemple, n’apparaît plus que comme un avatar corporatiste nuisible, un « libéralisme médical à l’hôpital ». Voici que la rationalité managériale pure et son innovation destructrice émergent de la « théorie pure » (texte sur l’essence du néolibéralisme de Bourdieu). Galbraith et Mintzberg sont parmi les auteurs qui ont le mieux décrit l’autonomie et les défaillances tragiques de ces technostructures intermédiaires. Notons qu’elles sont aussi la cible de la corporate governance qui vise à redonner le pouvoir aux actionnaires. Cette logique se généralise à l’Etat entreprise où le management intermédiaire, soumis au « contrôle de gestion », est sommé de rationaliser une fonction de production définie par l’action publique de ce corporate state. Dès lors le niveau « méso » n’a de cesse d’auto-définir les besoins qu’il est censé servir. Le « business model« , la fonction de production imposée d’en haut avec ses objectifs sous enveloppes fermées, précède la définition des produits (résultats myopes comme outputs de sortie de système) et de la re-division du travail. Dès lors naît un cercle vicieux de la perte de sens, qui nie le « travail réel », roue de la perte de sens par laquelle le management n’a de cesse de tailler la réglementation à sa main (planification, définition des « activités de soins », gouvernance, ré-ingénierie des professions). Voilà la triste histoire de la loi HPST et des notes de bas de page que la future loi de santé va y inscrire.
  3. Au niveau « micro »: il ne s’agit pas de « gouverner par le marché » mais plus exactement de « gouverner par les incitations », de généraliser une forme entrepreneuriale purement compétitive, dès lors nécessairement soutenue par un « business model » (un modèle rationalisé de profit, ne serait-ce que pour la survie d’une activité « non lucrative », dans une règle du jeu tarifaire imposée par un faux marché), dans les mécanismes les plus intimes de toute activité humaine. Il s’agit de la « transformation de la concurrence en forme générale des activités de production ». Je ne reviens pas sur la « biopolitique » de Foucault ni sur le workfare ou « Etat social actif », où le travailleur devient entrepreneur de soi, dans l’idéal de devenir si possible un prédateur des autres. Voilà quel Brave new world  nos grands ingénieurs de la santé bonheur ont pensé pour nous!

Mais quel est le sens de la liberté individuelle dans ce paradigme, cette théorie pure du « divin marché »? La liberté individuelle et d’organisation d’activités collectives, qui ne sont pas toujours for profit, comme Adam Smith lui-même le savait, n’y est plus la condition de l’émergence de bonnes solutions pour la cité, elle devient l’objet d’un jeu d’incitations savantes qui doit permettre de ne laisser émerger dans la conscience individuelle et collective que des objectifs bien calibrés dans un cadre prédéfini par les théoriciens purs de l’Etat, leur « dictature du projet » et leurs « contrats » dont leurs agences pilotent les objectifs.
Poussant à l’extrême le pessimisme libéral sur la nature humaine, bien au delà d’Adam Smith et de la plupart des penseurs du libéralisme, la politique néo-libérale se réduit à cette quête de procédures et de principes objectifs, indépendants des motivations des hommes. Mais derrière cette apparente coalition moderne du droit et du marché, il s’agit bien d’une dépossession démocratique et d’un déni de citoyenneté qui n’ont vraiment rien de « libéral » au sens classique du terme. Chaque citoyen producteur y perd toute dignité humaine, n’étant plus convoqué que comme « idiot rationnel » réagissant aux incitations mécaniques prévues par la théorie pure.

Webographie

1. Le consensus de Washington (d’après wikipedia)

Le consensus de Washington, selon John Williamson, résume en 10 points les propositions qu’on qualifie de « néolibérales ».IL est ainsi nommé parce partagé que partagé par les organisations économiques basées dans cette ville (le FMI, la Banque mondiale…(Williamson, John (1990), « What Washington Means by Policy Reform » in John Williamson, ed. Latin American Adjustment: How Much Has Happened? (Washington : Institute for International Economics

  • Politique budgétaire : les déficits n’ont d’effets positifs qu’à court terme sur l’activité et le chômage, alors qu’ils seront à la charge des générations futures. À long terme, ils produisent inflation, baisse de productivité et d’activité. Il faut donc les proscrire, et n’y recourir qu’exceptionnellement lorsqu’une stabilisation l’exige ;
  • Les dépenses publiques doivent se limiter à des actions d’ampleur sur des éléments clefs pour la croissance et le soutien aux plus pauvres : éducation, santé publique, infrastructures… Les autres subventions(spécialement celles dans une logique de guichet) sont nuisibles ;
  • Politique fiscale : les impôts doivent avoir une assiette large et des taux marginaux faibles de manière à ne pas pénaliser l’innovation et l’efficacité ;
  • Politique monétaire : les taux d’intérêts doivent être fixés par le marché ; ils doivent être positifs mais modérés ;
  • Pas de taux de change fixe entre les monnaies ;
  • Promotion de la libéralisation du commerce national et international : cela encourage la compétition et la croissance à long terme. Il faut supprimer les quotas d’import ou export, abaisser et uniformiser les droits de douanes…
  • Libre circulation des capitaux pour favoriser l’investissement ;
  • Privatisation des entreprises publiques, démantèlement des monopoles publics pour améliorer l’efficacité du marché et les possibilités de choix offertes aux agents économiques ;
  • Déréglementation; à l’exception des règles de sécurité, de protection de l’environnement, de protection du consommateur ou de l’investisseur, toutes les règles qui entravent la concurrence, et empêchent les nouveaux compétiteurs d’entrer sur un marché doivent être éliminées ;
  • La propriété doit être légalement sécurisée ;
  • Financiarisation.

2. L’essence du néolibéralisme par Pierre Bourdieu, mars 1998
“Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.” Pierre Bourdieu

3 . De quoi le libéralisme est-il le nom? Jean-Claude Michéa

Résumé dans la revue du Mauss:
Avec cet article, l’auteur prolonge et clarifie quelques-uns des points essentiels de son dernier ouvrage, L’Empire du moindre mal. Il rappelle notamment combien la conception pessimiste de la nature humaine au fondement du libéralisme l’a conduit à plaider pour une morale neutre en valeurs et pauvre en vertus. Et c’est là peut-être l’une des raisons pour laquelle la politique libérale se réduit à cette quête de procédures et de principes objectifs, indépendants des motivations, bonnes ou mauvaises, des hommes. Et l’une des raisons également de l’émergence de cet empire moderne du droit et du marché qui tend aujourd’hui à régner sur nos sociétés contemporaines.

4. Pierre Dardot et Christian Laval « Néolibéralisme et subjectivation capitaliste »

Ce texte me paraît expliquer pourquoi la liberté d’action des « professions libérales à l’hôpital » se trouve directement anéantie par la normalisation de la concurrence, qui vise à naturaliser la « transformation de la concurrence en forme générale des activités de production ».
Le nouveau paradigme est présenté comme hybridation de deux modèle de création de valeur: la rationalisation managériale du profit de type taylorien et l’innovation destructrice de Schumpeter qui ne cesse de mettre cul par dessus tête les marchés soi-disant purs et parfaits des néoclassiques.
On comprend bien ici pourquoi l’action publique n’a pas besoin d’aller jusqu’à la « marchandisation » vraie pour répondre à ces exigences. Ce n’est pas une volonté consciente qui conduit le processus. Cependant de nouvelles coalitions émergent pour sur-légitimer cette nouvelle raison du monde, qui ont « intérêt » à ce nouvel universel néo-libéral, comme les juristes ont, en leur temps, légitimé l’Etat légal rationnel, rendant ainsi inutile et Dieu et le Roi.
L’effet est nécessairement différent entre pays qu ont développé la mythologie de l’autonomie par le « self » contre le vieux continent et le catholicisme et ceux qui avec Rousseau ont laissé l’individu seul face à l’Etat garant de l’autonomie des citoyens en les protégeant de tous les collectifs intermédiaires. le Veau d’or de l’entreprise de soi et des autres affronte toujours déjà la putain du diable, la Déesse Raison. L’individu, pris entre César et Mammon, n’a plus qu’à aller voir son psychothérapeute qui le protégera de la souffrance au travail en développant ses « habiletés sociales ». Mais à quoi? A l’extension opérationnelle de la manipulation de soi et des autres?

Comme le dit Patrick Gibert, dans le Nouveau Management Public ce n’est plus tant le droit et les juristes que les sciences sociales qui dominent la technologie de gouvernement.

Ainsi faut-il voir l’invasion des « agences » par les professionnels patentés de cette nouvelle ingénierie sociale de marché, chargés de la création de l’homme nouveau, ce produit de la biopolitique, la plus parfaite des « ressources humaines », celle dont on se plait à croire qu’elle est née pour la compétition régulée.

Ainsi se déploie le triangle mythologique de Dumézil, explication possible de la transformation de « l’Etat social » en « Etat prédateur » (modèle anthropologique utilisé par Thornstein Veblen, d’Iribarne, Galbraith junior…). Ce triangle s’applique à la reconfiguration de la médecine dans le schéma n°3

Schéma n°1: les trois fonctions mythologiques face à « l’Etat prédateur »

5. La loi Le Chapelier et le rejet des corps intermédiaire. Aux sources du jacobinisme entrepreneurial à la française

Dans l’exposé des motifs de sa célèbre loi (14-17 juin 1791), Le Chapelier, rejetant les corps intermédiaires chers à Montesquieu affirme:
« Il n’y a plus de corporations dans l’Etat; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation »

Dans son discours du 29 septembre 1791:

« Il n’y a de pouvoir que ceux constitués par la volonté du peuple exprimée par les représentants ; il n’y a d’autorités que celles déléguées par lui ; il ne peut y avoir d’action que celle de ses mandataires revêtus de fonctions publiques. »

C’est pour conserver ce principe dans toute sa pureté, que, d’un bout de l’empire
à l’autre, la Constitution a fait disparaître toutes les corporations, et qu’elle n’a plus reconnu que le corps social et des individus. […]

ARTICLE PREMIER

« L’anéantissement de toutes les espèces de Corporations d’un même état et profession étant une des bases fondamentales de la Constitution Française, il est défendu de les rétablir sous quelque prétexe et quelque forme que ce soit. »

ARTICLE SECOND

« Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibération, former des règlements SUR LEURS PRÉTENDUS INTERÊTS COMMUNS. »

« La Loi Le Chapelier, promulguée en France le 14 juin 1791, est une loi proscrivant les organisations ouvrières, notamment les corporations des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage.

La loi contribue, avec le décret du 18 août 1792, à la dissolution de l’Université et des facultés de médecine, au nom du libre exercice de la médecine, sans qu’il soit nécessaire d’avoir fait des études médicales ou d’avoir un diplôme, jusqu’à la création des écoles de santé de Paris, Montpellier et Strasbourg le 4 décembre 1794.

La Loi Le Chapelier a été abrogée en deux temps le 25 mai 1864 par la loi Ollivier, qui abolit le délit de coalition, et le 21 mars 1884 par la loi Waldeck-Rousseau, qui légalise les syndicats.

6. Huard P., Imbault-Huart Marie-José. Concepts et réalités de l’éducation et de la profession médico-chirurgicales pendant la Révolution. In: Journal des savants. 1973, N° pp. 126-150 .
« II vaut mieux manquer de praticiens que d’en avoir de mauvais ». Cabanis (rapport du 29 brumaire en VIII) (21 novembre 1799)

Voir l’opposition entre La Rochefoucauld-Liancourt (« physiocrate méconnu« ) et Guillotin, preuve que le débat entre la santé publique des « physiocrates » et la clinique, entre ces amoureux des modèles abstraits, ces théoriciens du Bien-être, fondateurs du premier modèle économique scientifique, et la médecine n’est pas nouveau :

7. Portrait de médecin: Joseph-Ignace GUILLOTIN – 1738-1814
« Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention ». Victor Hugo

8. La Loi du 30 novembre 1892 par Bernard HŒRNI (suppression des officiers de santé)

9. La santé au régime néo-libéral par Frédéric Pierru.

10. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ?

Figure 2: le pire ennemi du médecin, c’est le médecin

Inspiré de: Frédéric Pierru. Les mandarins à l’assaut de l’usine à soins. Bureaucratisation néolibérale de l’hôpital français et mobilisation de l’élite hospitalo-universitaire (dans la bureaucratisation néolibérale de Béatrice Hibou)

Figure 3: pour ceux qui croient encore à la grande intégration gestionnaire

Inspiré de: Frédéric Pierru LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Le Seuil – Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 – n° 194

L’éthique de l’imputabilité ou le nouvel esprit de l’action publique – La santé publique comme business model de soi et des autres- L’imputabilité comme nouvelle raison du monde

A mon sens, une des sources de l’incompréhension mutuelle des libéraux et républicains face au Nouveau Management Public appliqué à la santé est lié à la place de « l’imputabilité » comme nouvelle religion du monde, et sa façon de détruire tout collectif intermédiaire entre l’individu imputable et la rationalité managériale publique. Bourdieu avait perçu le néolibéralisme avant tout comme une arme de destruction massive des « collectifs ».

1. Reddition des comptes et santé mentale en France – L’impossible et irrésistible évaluation

2. Résister à l’emprise de la gestion : ce que l’armée du salut nous apprend
Resisting the domination of managerialism: lessons from the Salvation Army. Vassili Joannides et Stéphane Jaumier

3. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ? (on copie le Canada pour la bureaucratisation et les USA pour la marchandisation des assurances)

4. La société du malaise

« La neurasthénie fait apparaître un nouveau type d’expertise que le sociologue Andrew Abbott a appelé « la juridiction des problèmes personnels ». (…) …au cours des années 1920, deux nouveaux personnages apparaissent de façon concomitante: le psychothérapeute et le manager. » Ce dernier émerge de la nouvelle organisation du travail rationalisée, taylorienne puis fordienne (…). Le thérapeute, lui développe le type de capacité dont l’entreprise bureaucratique a besoin (…). les cures consistent à augmenter les capacités relationnelles permettant de répondre aux demandes multiples pouvant s’exercer sur le self sans qu’il soit débordé par elles. » Alain Ehrenberg

On sait que le management public de nos systèmes de santé est tout sauf « performant », même dans un sens acceptable du terme. Allant à l’encontre de son projet affiché, de mauvaises lois en mauvaises lois, l’action publique détruit les compétences clés, paralyse la véritable création de valeur, l’accountability transforme la liberté d’entreprendre (individualisme politique) en obligation morale de compétition (individualisme moral), et réduit tragiquement le service rendu au public. La question que se posent sans cesse les soignants désenchantés est de savoir si cette destruction est volontaire et procède d’un volonté cachée de « marchandisation » ou si elle est le fruit d’un système de croyance, un ensemble de mythes rationnels ou rationalisant a posteriori des choix démunis de preuves, en pratique contre-productifs, et qui auraient pu être différents. Avec l’imputabilité, L’Ethos du profit de Max Weber, ou la conception moderne du self américain selon Alain Erhenberg (« la société du malaise ») ne reviennent-ils pas à la charge dans nos vieux pays européens sous la forme terriblement insignifiante, pour nous autres latins, de civilisation méditerranéenne, d’un Ethos du business model, de la recherche laïcisée du salut par l’entreprise de soi et des autres?

Le salut par la santé Bien-être imposée par la biopolitique et par les modèles médico-économiques  qu’elle impose, sont alors pour nous autres médecins les deux visages de l’horreur d’une démédicalisation qui apparaît synergique de la dé-protection sociale.

Ce tableau ci-dessous, établi par Pierre Fraser, sociologue canadien qui a analysé l’ouvrage d’Ehrenberg, est intéressant pour guider « l’imputable » qui refuse d’être « neurasthénique ».

« Le débat n’est pas : ou la protection ou l’opportunité, mais l’intégration des deux modèles en France. Ce qui suppose une réflexion sur leurs limites réciproques. »
« Alain Erhenberg en réponse à Robert Castel (il fait référence au 2 modèles d’autonomie présentés dans cette page).

« L’économie est la science du raisonnement en termes de modèles et l’art de de choisir les modèles les plus pertinents pour le monde contemporain. » John Maynard Keynes

Esculape vous tienne en joie

Continuer la lecture

Publié dans Action publique, gouvernance, Loi de santé, loi HPST, Nouveau Management Public | Commentaires fermés sur De quoi le néolibéralisme est-il le nom? – Naissance de la ‘Pataclinique

Le managérialisme en "santé au public", ou comment faire réaliser de mauvais soins par des gens bien

Loi de santé : appel à la résistance


Hello, happy accountables!
« Nous devons être jugés sur des résultats. C’est le sens des décisions que j’ai prises récemment sur les statistiques mensuelles. Nous devons entrer dans la culture du résultat avec tout ce que cela suppose de risque et d’inconfort . » (Discours de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales, adressé aux responsables territoriaux de la Gendarmerie nationale, vendredi 5 juillet 2002)

« La réforme de la gestion publique passe par le développement d’une nouvelle culture, celle du résultat . » (C. Sinnassamy, Le Figaro, 23 juin 2005)

La managérialisme: une fonction de production avant tout contre productive


Pourquoi la loi de santé suscite-t-elle tant de réactions hostiles? Est-ce encore une fois le désolant spectacle des noces de l’incompétence technocratique et des collusions d’intérêt, comme pour l’incroyable ingénierie du Développement Professionnel Continu à la française? Loin de sortir de cette culture du résultat et d’incitation de l’idiot rationnel, la future loi de santé risque de promouvoir une santé malade d’une double hémiplégie, d’une part celle du néo-managérialisme hégémonique, arrogant et auto-vérificateur issu des organismes internationaux et qui a abouti à la LOLF et d’autre part la paralysie intellectuelle de nos élites sclérosées, incapables d’arrêter les paquebots technocratiques les plus dévastateurs, même s’il sont été conçus il y a trente ou quarante ans avec les modèles d’hier, quand les apprentis économistes de santé croyaient que l’offre de soins induisait mécaniquement la demande.

Voir sous ce lien les réactions hostiles à la loi de santé

La guerre que doivent mener les soignants, les élus, les usagers et avant tout les managers eux-même, contre le managérialisme est une guerre mondiale (définitions sous le lien). Rappelons qu’ils forment la « bande des quatre » qu’on a jeté en pâture à l’opinion, les coupables de dépenses jugées disproportionnées par les experts. Sans aucune preuve que des « histoires de chasse » et d’habituelles brebis galeuses habilement montées en généralité par la propagande, on généralise la défiance envers les professionnels,  on ne parle que d’overuse induit et de sur-consommateurs, et nos entrepreneurs de morale, nos ingénieurs en éthique publique, qui envahissent les agences pour nous accabler de platitudes, s’empressent d’oublier l’inertie clinique, la sous consommation, l’underuse qui s’aggrave d’autant plus vite que les parcours de soins réels sont toujours plus chaotiques, avec des ruptures de prises en charge marquant l’arrêt pur et simple de certains soins pourtant indispensables.
Ce management généralisé, appliqué à toutes les sphères privées ou publiques n’est peut-être qu’une « stratégie du choc » destiné à sidérer les acteurs à des fins d’ajustement des dépenses publiques, et l’on peut toujours voir un ennemi derrière l’ennemi au risque de se perdre en conjectures. Une attitude lucide me semble être de promouvoir une résistance sans faille qui parvienne à « nommer les choses » que nous voyons au quotidien, contre la doublepensée engendrée par la sacralisation résignée et soumise de la novlangue des textes français. 
Ce qu’il faut sans cesse rappeler, notamment par les lectures de Robert Locke, c’est que le managérialisme est avant tout contre-productif, à la fois en termes de qualité et de maîtrise des coûts, du moins dès qu’on cesse de penser à court terme. La nécessité, inhérente au managérialisme en santé, de construire des modèles de processus et de résultats myopes, fondés sur des impacts supposés à long terme sur la « santé bonheur » (OMS), tel qu’il est pratiqué au Québec, en Angleterre ou en France, n’ont aucun sens pour les acteurs qui, eux, pensent à l’outcome, le résultat pour le patient qui leur a fait confiance. La budgétisation par objectifs et la gestion par les résultats aussi mécaniquement plaquées sur un système de santé paralysent toute organisation créatrice d’innovation et de connaissances, au prix de la baisse tendancielle du taux de motivation et de la véritable qualité. Nul n’est contre l’efficience, à condition d’une définition partagée des objectifs et des résultats intermédiaires qui comptent. Comme le disait Einstein et comme le savent aussi les bons managers, ce ne sont pas toujours ces produits clés de l’organisation qu’on peut compter.

Pourquoi la réforme du NHS ne fonctionne pas: l’importance de comprendre comment de bonnes personnes offrent de mauvais soins


Nous attirons l’attention de nos lecteurs vers ce livre en anglais publié en ligne.

L’auteure tente une généalogie de la gidouille des réformes du NHS qui rejoint de très près nos analyses du managérialisme et de ses avatars dans le système français. Il nous semble salutaire de promouvoir une ubulogie comparée entre les réformes du NHS et notre future loi de santé. Celle-ci apparaît beaucoup plus comme un couronnement de la loi HSPT, dans la droite ligne du managérialisme issu de la LOLF – comment pourrait-il en être autrement sauf à reconsidérer les fondamentaux de la budgétisation par objectifs et la gestion par les résultats – que comme la refonte promise face à des soignants désemparés, démotivés, humiliés, qui ne continuent à y voir que perte de sens et triomphe de la iatrogenèse  technocratique.

Les cinq facteurs du cercle vicieux

Au deuxième chapitre, Valérie Iles décrit les facteurs d’un cercle vicieux qui affecte la nature même des soins de santé:
  1. La révolution digitale
  2. La culture de l’audit
  3. Le triomphe de la raison et du managérialisme
  4. Le changement dans la nature de l’action publique 
  5. Le rôle de l’anxiété

« With the dominance of market principles in public services, leadership has increasingly shifted to those who do not perceive or understand gift economies. This is a new phenomenon. Previously management teams in health care included numbers of historians and philosophers, and others from the liberal arts and humanities, as well as members of the professions themselves. No longer, and as a result the lens through which health care leaders see the service is now that of the economist working within an audit culture. This is a point worth emphasizing: the very way that healthcare leaders conceive of health care has changed. The language may stay the same but it means something different. Words which have one meaning in a world that has an understanding of and commitment to human, non-market values take on a different meaning when seen through the cynical self interested lens of the economist. »

Quelques définitions du managérialisme

Définition de Linda Rouleau

Idéologie qui veut étendre les principes de la gestion à toutes les sphères de la vie sociale et humaine. Le managérialisme prône la gestion rationnelle des entreprises et l’imitation de leur pratique dans toutes les sphères de la vie sociale et privée. Linda Rouleau: théorie des organisations. On notera la proximité de cette définition de celle donnée par certains auteurs au « néo-libéralisme » (Bourdieu, Pierru et même Foucault).

Définition de Robert Locke

Managerialism: What occurs when a special group, called management, ensconces itself systemically in organizations and deprives owners and employees of decision-making power (including the distribution of emoluments) – and justifies the takeover on the grounds of the group’s education and exclusive possession of the codified bodies of knowledge and know-how necessary to the efficient running of organizations. – Locke 1996

Nous vous invitons à compléter cette lecture par d’autres définitions sous ce lien

Servitude volontaire des médecins et iatrogenèse managériale

Plus les médecins seront persuadés qu’il faut laisser le management à des managers professionnels et qu’il faut simplement revenir au temps où « l’intendance suivait » la cavalerie médicale au prix de quelques concessions à la culture du contrôle et du résultat, plus ils s’en remettront au grands prêtres de la gestion des statistiques et de l’information, et plus vite ils seront écartés de l’arène politique par les nouveaux monopoles. Ces monopoles internes ou externes sont nés de la multiplication des couches de la pyramide bureaucratique avec l’apparition de nouveaux satrapes marginaux-sécants et fragmenteurs des réseaux réels en mondes virtuels.
En position de bridging le marginal-sécant peut choisir d’appuyer son pouvoir sur la force des liens faibles entre mondes de l’organisation. Le cloisonnement du système de soins et des parcours, aggravé par les pôles hospitaliers sans pouvoir de gestion et une intégration purement verticale à des fins économiques, multiplient ces positions et les barrages à la communication transversale, horizontale et verticale, entre soignants, entre structures, entre les professionnels, les managers et les tutelles. Le managérialisme, loin d’apporter les mécanismes de coordination complémentaires de la différenciation ne sait qu’aggraver les effets des « tuyaux d’orgue » disciplinaires, des « boite à œufs » professionnelles qui ne doivent pas se toucher, de la concurrence entre établissements et de mille-feuilles hiérarchiques toujours plus épais.

Burt Ronald S. (1995), « Le capital social, les trous structuraux et l’entrepreneur », Revue française de sociologie, XXXVI-4, octobre-décembre, pp. 599-628

Ces nouveau dignitaires, Trissotins de l’information, Knocks de la santé parfaite et autres Diafoirus du Bien-être, nous les avons imprudemment laissé émerger et ils s’auto-légitiment par les boucles auto-référentielles issues des catégories de leurs modèles erronés. Ces modèles de santé sont avant tout malades de ne pas savoir définir les objectifs ni les processus de soins médicaux tout en prétendant le contraire. Ah les ingénieurs de santé! Ah les petits maîtres de l’information et de la quantophrénie médicale, toujours en faveur de plus de professionnalisation… du codage, au nom de la « gestion des risques. Ils n’ont de cesse de se multiplier, tout comme les experts sont, selon Hayek, toujours partisan de l’expansion des institutions dont ils sont les experts. C’est la loi de Parkinson d’expansion du travail administratif, mais elle se fait à moyens constants au détriment des postes soignants, de la qualité et de la sécurité des soins.
Inquiétant: à l’ATIH, les DIM eux même-semblent aujourd’hui avoir largement perdu le pouvoir au profit des statisticiens. Le monde des idées se reproduit en vase clos, il n’a plus besoin du réel.

Inscription, prescription, sanction : Les « entre-faire » d’une norme dans le processus d’informatisation du dossier de soin Anne Mayère, Vasquez Consuelo, Bazet Isabelle, Roux Angélique (page 8 du document « Communiquer dans un monde de normes »)

Les praticiens de base qui tentent de s’impliquer au delà d’une simple succession de tâches standardisées et postées dans laquelle les managers ne veulent plus voir que le travail d’un « employé » dont ils modèlent les « compétences » à leur gré, il en va de même pour le Pr. des universités « de base » en charge d’une unité de soins, vivent au quotidien l’humiliation, l’intimidation, la dissimulation voire le mensonge institutionnel.  Ils vivent l’arrogance injurieuse et intrusive d’une chaîne de commandement qui a asservi et managérialisé l’encadrement paramédical, ils vivent l’inaccessibilité croissante à l’information, ils vivent la déresponsabilisation dans l’organisation des soins, dans les projets et dans la gestion de l’établissement, ils vivent enfin l’absence de délibération et de participation aux processus de décision. L’enquête des intersyndicales de praticiens sur les pôles a bien montré tout cela, que nous savions déjà.
Ce bullying management vient d’un management décomplexé qu’on a déchargé de la responsabilité des besoins de soins, aujourd’hui transférée aux agences, et dont la seule mission reste de rationner sous forte pression budgétaire mais sans garde-fous des soins low cost qui impliquent pour les soignants le sacrifice du complexe, par essence incertain et difficile à valoriser en termes de coûts, au « rentable » facile à analyser et à tarifer. 
Management by bullying – La corruption organisationnelle
On se contente de ferrailler sur la représentation médicale au niveau institutionnel et la nomination des chefs, ce qui est certes important, mais on laisse aller comme un chien crevé au fil de l’eau tout ce qui concerne les « opérations » (la clinique, la coordination réelle des chaînes de soins complexes), laissant détruire les compétences réelles, celles qui émergent d’équipes stables , formées, motivées et dotées d’un minimum de possibilité d’auto-organisation. Mais qu’y-a-t-il de commun entre la vision des « opérations » et de la coordination des « parcours de soins » par le chirurgien, l’interniste, le radiologue, l’anesthésiste, le gériatre, le psychiatre? J’abuse du terme « réel » tant le management construit sans cesse des représentations destinées à enfumer le « travail réel » et les théories d’usage dans leur décalage avec le « prescrit », les théories professées et imposées par l’idéalisme armé du modèle d’en haut.

Ce que tue le management axé sur les résultats c’est l’innovation, l’adaptabilité, la créativité, le rôle clé des hérétiques dans l’organisation dès lors qu’on sait les écouter (Crozier, Christian Morel…). Porté par l’illusion qu’on peut construire un échelle de Jacob et accéder à la vérité à partir des Big Data, voilà qu’il réhabilite la vieille chaîne absolutiste: savants-ingénieurs de la société / gardiens / travailleurs de la République de Platon au détriment de trois principes beaucoup plus propices à l’émergence de soins de santé performants: auto-organisation / diversité* / interdépendance.
*Diversité: j’ajoute incertitude radicale, contingence, délibération des parties prenantes, pluralisme, savoir-comment et pas seulement savoir-quoi, gestion du « chaos » (ou complexité) quand manque à la fois valeurs partagées et certitudes.
Si les médecins français restent frileux dans leurs revendications sur la gouvernance c’est parce leurs organisations représentatives ne parviennent pas réellement à admettre que le modèle de gestion axée sur les résultats conduit inévitablement à la démédicalisation du système de santé et à notre transformation en techniciens de santé. La division médicale fait que nous ne parvenons pas, contrairement à d’autres pays, à « nommer » une base de revendication qui serait de l’ordre de la lutte pour la responsabilité médicale au service d’un public, contre la dé-professionnalisation, contre la démédicalisation managériale, pour la reconnaissance des « pratiques prudentielles » (j’évite ici pour ne froisser personne la notion de « profession libérale à l’hôpital ») et la nécessaire autonomie des médecins, tant pour la qualité que l’efficience, ce qui suppose d’avoir défini la chaîne de résultats et les possibilités (ou impossibilités) de son évaluation. 
Machiavel régulateur sait bien jouer entre les organisations soignantes, entre celles
  • qui jouent la culture de l’outsider, anti-mandarinale et l’appel à la « démocratie sanitaire ». Mais contrôlée comment? Inévitablement par les résultats, pardi, le tour est joué, et la gouvernance par les incitations et le flicage est bien installée!
  • et celles qui au lieu de se demander ce qu’il faut faire se positionnent sur l’échiquier en fonction d’intérêts stratégiques à court terme et/ou en voulant passer pour le gentil réformiste, avec les limites si bien décrites par Crozier face à l’Etat Raminagrobis (ou « prédateur »).
Se tromper d’ennemi ou mal le définir (confusion entre mondialisation des marchés, néolibéralisme, managérialisme et ses avatars liés à la sclérose intellectuelle des élites françaises) conduit à ne pas mesurer le poids du management par les résultats dont les modèles sont bien « alignés » en pleine continuité entre OCDE, UNESCO, OMS, LOLF, gestion publique de la santé. La stratégie d’ajustement et de promotion de la servitude volontaire chez les résistants potentiels (« au changement ») a été décrite il y a bien longtemps et est appliquée sans faille! (« La faisabilité politique de l’ajustement – Cahiers de politique économique OCDE 1996« )

Crozier et le management

Rappelons que pour MIchel Crozier:

« Une organisation bureaucratique serait une organisation qui n’arrive pas à se corriger en fonction de ses erreurs et dont les dysfonctions sont devenues un des éléments essentiels de l’équilibre » (Michel Crozier)

« L’autorité absolue et arbitraire est maintenue dans son principe et comme dernier et rassurant recours, mais elle est rendue inoffensive par la centralisation qui l’éloigne et la stratification qui protège l’individu contre elle. »

(Variante: « Tout est contrôlé mais rien n’est sous contrôle. » François Dupuy)

« On ne se parle pas de bastille à bastille, de donjon à donjon, même si l’on organise ce simulacre de rencontre qu’est le dialogue social tel qu’il est pratiqué par tous les gouvernements, de droite comme de gauche et par toutes les organisations patronales et syndicales. Lorsqu’il a voulu entreprendre la modernisation de l’administration publique, Michel Rocard, par exemple a fait une erreur stratégique majeure. Il a choisi comme priorité le développement du dialogue social. Ce faisant, il donnait l’impression de vouloir obtenir des syndicats qu’ils échangent des éléments traditionnels de protection que constituent souvent des règles anachroniques contre une participation au management. Cette démarche pouvait donner à penser que les employés, les fonctionnaires et leurs syndicats étaient les premiers responsables des blocages et de l’inefficacité de l’administration publique alors que la responsabilité première est celle du management. »

« Dans une société comme la notre paralysée par les cloisonnements hiérarchiques et catégoriels, le dialogue social a épuisé toutes ses vertus. Un tel système, en apparence participatif et démocratique, est en fait bureaucratique et oppressif car il entrave la communication et transforme le parler-vrai en langue de bois. » La crise de l’intelligence – Essai sur l’impuissance des élites à se réformer » publié en 1995 par Michel Crozier

On peut reprocher à Crozier, qui se décrit d’ailleurs, un peu désabusé, comme le « sociologue de service », de ne pas être assez loin dans la critique sociale et d’être resté dans la posture du transgresseur contrôlé bien décrite par Bourdieu. 
C’est qu’il y a en santé la micro-gidouille (la destruction de la clinique), la méso-gidouille (le rôle autonome de la technocratie au niveau institutionnel) et la macro-gidouille au niveau sociétal (l’action publique dans un contexte de mondialisation des technologies du bonheur).
Question à nos sociologues « macro » qui se mouillent beaucoup plus que Crozier dans la critique sociale: pourquoi le terme de « managérialisme », si présent dans les écrits anglo-saxons et francophones hors l’hexagone est-il si absent des textes « français de France »? J’ai ma petite idée mais je crois qu’il convient de distinguer « managérialisme » et « Nouveau Management Public ». 
Il serait néanmoins trop facile, avec les néo-platoniciens du managérialisme et leurs mutins de Panurge, éternels cocus des réformes de santé qui les soutiennent sur le mode du dialogue défini plus haut par Crozier, autant voire plus complètement par Bourdieu avec son couple habitus/champ, de penser que le Nouveau Management Public est le synonyme de « néolibéralisme », mais qu’une fois dépouillé de sa composante entrepreneuriale, le positivisme scientiste porté par la connaissance des plans du « grand architecte » et par les programmes de ses ingénieurs-économistes de la santé-bonheur pourrait enfin triompher.

Liens utiles sur la gestion par les résultats et critiques du managérialisme

1. Le management axé sur les résultats (GAR/RBM)

Approche de la programmation, de la gestion et du suivi axés sur les résultats (GAR/RBM) telle qu’elle est appliquée à l’UNESCO Principes directeurs Bureau de la planification stratégique

Guide pratique de la LOLF Comprendre le budget de l’État Édition juin 2012 – Cellule communication de la direction du Budget 

Lexique de la gestion axée sur les résultats (Québec)

Note: tous les modèles de performance ne placent pas efficacité et efficience de la même manière que ci-dessus. Certains modèles font état de résultats intermédiaires. L’outcome fait référence à un modèle systémique [ input – process – output – outcome] et l’impact socio-économique d’un programme à un modèle de causalité.
Il y a donc confusion des concepts entre théorie des organisation et théories de l’action publique. La notion « d’impact » permet de promouvoir une rationalité politique à dire d’experts fondée sur les « inférences causales ».

Schéma: Gestion par les résultats: la chaîne d’imputabilité

Les cadres de référence OCDE et LOLF (guide pratique de la LOLF)
LA DÉMARCHE DE PERFORMANCE : STRATÉGIE, OBJECTIFS, INDICATEURS Guide méthodologique pour l’application de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF)

Schéma: Gestion par les résultats: la chaîne d’imputabilité

Mesure des performances pour l’amélioration des systèmes de santé – Document OMS – EuropeA confronter au modèle du système socio-sanitaireL’un des problèmes les plus ardus de « l’imputabilité » est l’attribution et la causalité des variations de performance dans les modèles.

La France bonne élève de l’OCDE

Quelque éléments critiques

« les dispositifs de management modifient les comportements, mais aussi les manières d’être, agissant ainsi comme des méthodes de conduite de soi » Anne et Eric Pezet dans « La société managériale ». 

« de telles méthodes ne mènent-elles pas inévitablement le service public à contracter les pathologies bien connues des anciennes administrations soviétiques, fondées à la fois sur les objectifs et sur la terreur ? » (Hood, 2005). A propos du New Public Management.

Culture du résultat et pilotage par les indicateurs dans le secteur public Stéphanie Chatelain-Ponroy Samuel Sponem Maîtres de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers

Hoopes, James. « MANAGERIALISM: ITS HISTORY AND DANGERS ». The Historical Society. Retrieved 5 November 2012.

Word for Wednesday: managerialism (definition)

In particular, managerialism and neoliberalism are at one in their rejection of notions of professionalism. Both managerialists and neoliberals reject as special pleading the idea that there is any fundamental difference between, say, the operations of a hospital and the manufacturing and marketing of soft drinks. In both cases, it is claimed the optimal policy is to design organisations that respond directly to consumer demand, and to operate such institutions using the generic management techniques applicable to corporations of all kind.
The main features of managerialist policy are incessant organisational restructuring,,sharpening of incentives, and expansion in the number, power and remuneration of senior managers, with a corresponding downgrading of the role of skilled workers, and particularly of professionals.

The Rise of Managerialism

Reform of finance education in US business schools: An historian’s view Robert R. Locke [University of Hawaii, USA] Copyright:Robert R. Locke, 2011

Managerialism and the demise of the Big Three Robert R Locke [Emeritus, University of Hawaii, USA] 

Out went measurement, in came references to the three principles that characterize the efficient “operation of all natural living systems in the universe (Johnson & Bröms: 73): 
  • 1. Self-Organization: Creative energy continually and spontaneously materializing in self-organizing forms that strive to maintain their unique self-identity. …. 
  • 2. Interdependence: Interdependent natural systems interacting with each other through a web of relationships that connects everything in the universe, relationships, which express the essential nature of reality everything exists ‘in the context of something else’) 
  • 3. Diversity: resulting from the continual interaction of unique identities always related to one another.”

Confronting Managerialism How the Business Elite and Their Schools Threw Our Lives Out of Balance Robert R. Locke and J.-C. Spender

Payment by results or payment by outcome? The history of measuring medicine JOURNAL OF THE ROYAL SOCIETY OF MEDICINE Volume 99 May 2006

LE NOUVEAU MANAGEMENT PUBLIC ET LA BUREAUCRATIE PROFESSIONNELLE Florence Ganglof

Dépasser un managérialisme insoutenable – Christophe Dunand

« Comme l’a souvent dit Vincent de Gaulejac, tout effort de résistance est confronté au risque d’épuisement. Les fédérations professionnelles dans les différents secteurs sociaux (… ) ont rarement la capacité à mener ce genre de combats. Les syndicats, divisés, n’ont pu remettre en question la progression du managérialisme. (…) nous avons souvent été étonnés par la position adaptée voire soumise de certains jeunes étudiants. Ce qui indigne certains étonne à peine les autres. » 
« Le managérialisme ne peut être freiné de l’intérieur. »

Et bien sûr:

Textes de Frédéric Pierru

L’hôpital en réanimation

Page ubulogique sur le NMP

Le managérialisme : un vieux débat

Continuer la lecture

Publié dans Action publique, gouvernance, Nouveau Management Public, performance, Qualité des soins | Commentaires fermés sur Le managérialisme en "santé au public", ou comment faire réaliser de mauvais soins par des gens bien

Innovation disruptive et projet de loi de santé: Knock à la Harvard Business School

La faisabilité politique de l’ajustement des dépenses de santé

« La « médicalisation » de la société, avec l’avènement d’une cléricature de la thérapeutique et la volatilisation de la maladie dans un milieu corrigé, organisé et sans cesse surveillé, constitue, depuis l’avènement des États modernes, les deux modèles extrêmes entre lesquels schématiquement s’organise le débat public sur les politiques de soins (de santé). » Marc Brémond (« Peut-on parler d’une politique de soins?« ) 

« Les frontières du système de soins doivent s’estomper pour se fondre dans les autres systèmes du système de santé, pour pouvoir parler véritablement de système de soins de santé. Le financement des soins est à présent soumis à des contraintes de « coût d’opportunité » Marc Brémond

L’action publique en quête des business models d’Harvard


Pour ceux qui n’auraient pas perçu les liens étroits entre la future loi de santé et les modèles économiques (traduction acceptable de business model dont il ne fat pas abuser) de Clayton Christensen, de la Harvard Business School, célèbre pour ses travaux sur l’innovation disruptive en santé, nous publions ce diaporama intitulé:

 Innovation disruptive et projet de loi de santé: Knock à la Harvard Business School

Ouvrir le diaporama dans une nouvelle fenêtre

N’y-a-t-il pas une incompatibilité majeure entre d’une part le principe du « tout incitatif » promu par les économistes standard et par lequel les politiques publiques ont persuadé les citoyens de les laisser mener les médecins – entendre l’ensemble des professions soignantes – par la carotte et le bâton, et d’autre part le principe d’innovation disruptive qui prétend maîtriser la « destruction créatrice » de Schumpeter dans un marché sous tension. Ce marché, qu’il ne faut pas diviniser, et qui n’est pas efficient partout, a fortiori s’il n’est pas ou mal régulé, ne peut le faire sans laisser l’autonomie nécessaire aux compétences clés pour se recombiner et inventer de nouvelles « propositions de valeur ». Mais quand on a dit « valeur », on n’a encore rien dit!
Apollon et Dionysos n’en ont pas fini d’être à l’origine de la tragédie sanitaire.

Knock a gagné, mais il n’est plus médecin!

« Tout homme malade est un bien portant qui s’ignore. »
On reconnaîtra là l’inversion de la formule célèbre du Dr. Knock. Elle pourrait résumer la prévention triomphante qui prévaut dans le projet de loi de santé. Ah, si ce pauvre malade avait bénéficié de la prévention, de la promotion de la santé, de l’éducation thérapeutique! Ah s’il avait été convenablement empouvoiré, responsabilisé, pro-activé par les nouveaux ingénieurs des attitudes et des comportements que le « principe de prévention » porte au nues? Il ne serait pas tombé malade, aux prix de dépenses de santé à un fric fou, que ce mauvais citoyen irresponsable aurait pu éviter. On dépenserait si peu avec une bonne prévention. 
Nul ne peut être contre la prévention et les vaccins sont là pour nous rappeler ses succès. Mais voilà, où sont les preuves de la pertinence de l’extension du tout préventif au détriment des fonds dédiés aux soins curatif? D’où vient l’arrogante certitude qu’on peut remplacer les médecins généralistes par de nouveaux métiers de proximité? Les spécialistes par des généralistes upgradés par les nouvelles technologies et les vieux « magasins de solutions hospitalières » par des spécialistes new look? Le care, oui, mais que vaut-il sans le cure, si l’on asphyxie les soins curatifs habilement diabolisés derrière le terme de « bio-médico-techniques »?
Qui n’a pas un proche pouvant témoigner de la dégradation générale du système de soins français, quel que soit le secteur, en établissement public, privé lucratif ou non, en médecine libérale, dans le secteur médico-social.
Si le discours dégoulinant d’empathie sur la prise en charge globale et sur l’intégration des « parcours de soins » ne sert qu’à réduire le périmètre des soins relevant de la protection sociale solidaire et à promouvoir l’angélique intégration par les complémentaires santé, ce discours n’est-il pas que la pure manifestation d’une extension indéfinie du domaine de la manipulation (Marzano)?
Quelle evidence based management pour soutenir ce rouleau compresseur du tout préventif au détriment du curatif, du tout incitatif, à la promotion de la ‘Patamédecine par l’Etat et bientôt du déremboursement des « mauvais malades » enfin reconnus comme responsables d’un malheur que le vice a produit? Et ces comportements et attitudes « à risques », ne sont-ce pas déjà des maladies, plutôt des pré-maladies que les épidémiologistes, lecteurs experts des déterminants génétiques, psychologiques et de l’environnement social « nommeront » comme ils l’entendent. L’overuse, la sur-consommation la demande induite du crétin rationnel vers le crétin irresponsable et gaspilleur sont partout dénoncées par la propagande et ses grands ou petits succubes. Trop peu, comme Gérard Reach, dénoncent l’inertie clinique, l’underuse, la sous-consommation de soins et d’aides de tous eux qui n’ont souvent même plus les habiletés sociales pour accéder à des soins et services auxquels ils ont droit!
Malade, fais gaffe à ton système de soins! Citoyen, fais gaffe à tes aides si tu es dépendant!
Les profils à risques seront dès lors estampillés comme pathologiques et classés comme tels dans les nosologies officielles, comme la dernière version du DSM. 
Des traitements seront proposés par l’industrie pharmaceutique comme pour le « syndrôme dysphorique prémenstruel » ou son double humoristique, le « trouble dysphorique du lundi matin ». Ah les coûts de la santé! Ah, ceux des nouveaux métiers! Ceux de la ‘Patamédecine et du charlatanisme! Ceux de la médecine défensive! Ceux de fausses maladies et de médicaments inutiles (voir maladies à vendre). Ceux du bullshit management!
On retrouve bien ici confirmée la formule initiale de Knock: 
« Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore. »
Knock ou le triomphe de la médecine – Jules Romain.

Marché, Etat et professions


Nous avons renoncé dans ce blog à identifier un complot machiavélique qui gouvernerait clandestinement les politiques d’ajustement internationales promues par diverses organisations à travers le prisme méthodologique du Nouveau Management Public.
Comment en effet nommer ce mal? Néo-libéralisme, jacobinisme entrepreneurial, pensée  managériale de marché?
Il y a cependant un idéalisme néo-libéral armé et un idéalisme néo-managérialiste de l’action publique qui se combinent en un étrange patchwork idéologique. Ce puzzle doctrinal variable d’un pays à l’autre produit du malheur, une inaccessibilité croissante aux soins de première nécessité, faute de bien nommer les choses dans une extension indéfinie de la novlangue filandreuse de « l’intégration ». 
Il y a des choses qui sont autrement qu’elles ne devraient être, qu’on prétend inévitables quand elles sont contingentes et pourraient être autrement qu’elles ne sont. C’est bien ce qui définit la nécessité du débat politique quand « l’expertisme » généralisé tend à le confisquer en nommant nécessité ce qui relève un peu de l’incompétence, un peu de la domination et sans doute beaucoup du développement inégal.
Ce qu’il faut considérer ici, c’est comment les politique publique de santé françaises tentent maladroitement de s’inspirer tout en le cachant de modèles d’affaires issus d’une culture économique et politique bien différente de la notre. On peut se demander si les modèles de Harvard, discutables en eux-même, qu’il s’agisse de ceux de Michaël Porter (la chaîne de valeur, la filière intégrée, les cinq forces de l’entreprise), de Christensen (l’innovation disruptive) ou des autres, ne sont pas ici instrumentalisés à des fins d’ajustement et de sidération des acteurs. L’objectif est avant tout le rationnement des soins remboursés par la solidarité, la dé-professionnalisation qui vise la mise en oeuvre rapide de soins low cost par un management mis sous contrôle et l’inaccessibilité croissante de soins pour les classes moyennes, qu’on aura habilement masquée derrière le cache-misère des filets de sécurité pour les plus vulnérables. Ceux-ci sont d’ailleurs le plus souvent de l’ordre du droit formel plus que de celui des libertés réelles.
Nous continuerons progressivement à traduire les modèles en français. La faisabilité politique de l’ajustement des dépense de santé relevant de la solidarité nationale s’appuie aujourd’hui sur trois piliers qui sont autant de mythes rationnels:

  1. Le mythe de concurrence efficiente (rendue efficiente par la régulation)
  2. La rationalisation managériale de la fonction de production du bien-être (tout est « entreprise » de soi ou des autres, une « boite noire » que la systémique peut ouvrir et ordonnancer)
  3. La spirale de la défiance envers les professionnels, modélisés en idiots rationnels calculateurs égoïstes, décrits comme inducteurs de demande de soins par les « économistes standard » (en fait co-inducteurs avec les patients irresponsables)
Nul ne peut être contre l’entreprise, mais une entreprise fait des propositions de valeur. Quand on a dit valeur on n’a encore rien dit. La valeur de l’actionnaire n’est ni celle du manager, ni celle du patient, ni celle du médecin qui reste l’avocat de son patient tant qu’il n’est pas soumis à des injections paradoxales d’agence par lesquelles il est sommé de servir les indicateurs aussi myopes qu’insignifiants (voir Christian Morel: la roue de la perte de sens).

Le principe de prévention et ses 5 paradoxes


« La prévention s’est donné pour mission d’éduquer l’homme pour qu’il ressemble davantage au calculateur autonome et rationnel, soucieux d’optimiser ses conduites afin de préserver son espérance de vie. C’est en cela que le culte contemporain de la santé est une utopie et non une idéologie: pour reprendre la distinction opérée par Kark Mannheim en 1929, non seulement l’utopie ne crée pas la réalité telle qu’elle est, mais elle contribue à changer le monde pour qu’il lui ressemble. Et changer l’homme, c’est une utopie autrement plus ambitieuse que l’obtention d’une « santé parfaite ».»

 Moatti et Peretti-Watel: « Le principe de prévention »

Quel usage font donc aujourd’hui les politiques publiques de la prévention à l’heure de la rationalisation du management public, du rationnement des soins et de l’extension du modèle de l’entrepreneur de soi, calculateur et hyper-rationnel? Les pourfendeurs de ce qu’ils nomment « néolibéralisme » sont parfois surprenants de naïveté dans leur soutien d’un Etat prédateur et régulateur.

Il faut lire le livre de Jean-Paul Moatti et Patrick Peretti-Watel. On verra néanmoins que la solution proposée pour gérer les paradoxes bien décrits dans le livre est, préconisation assez classique des sciences sociales, la démédicalisation et la refonte de la prévention par création de nouveaux métiers dédiés. Car après en avoir bien décrit les dangers, les auteurs ne présentent pas d’autre modèle que la ré-ingénierie des attitudes et des comportements. Par les experts des sciences sociales?
Encore un exemple de la difficulté de prescrire un bon traitement même après un assez bon diagnostic. En résumé cinq paradoxes avant tout d’ordre moral et politique sont signalés par les auteurs:
  1. La course effrénée pour repousser les limites de la mort
  2. La tyrannie de l’expertise (les entreprises de morale ont aussi leurs cabinets e conseil!)
  3. Le spectre de la privation totale (homo medicus)
  4. Les effets contre-productifs
  5. La moralisation délétère
Le principe de prévention. Le culte de la santé et ses dérives. alternatives économiques

LE PRINCIPE DE PREVENTION (Le culte de la santé et ses dérives) diaporama des auteurs ( JP Moatti, P Peretti-Watel)

« Analyses de livres », Santé Publique 2/ 2010 (Vol. 22), p. 265-269

Le principe de prévention Le culte de la santé et ses dérives

«LE PRINCIPE DE PRÉVENTION : CLÉ DU SYSTÈME DE SANTÉ DE DEMAIN OU NORME MORALE ?»
Entretien croisé en 2009 entre Marisol Touraine, alors secrétaire nationale du Parti socialiste à la santé et à la sécurité sociale et Patrick Peretti-Watel

La prévention sanitaire ou la mise en risque du monde Entretien avec Patrick Peretti-Watel, sociologue.

Le stigmate, une arme préventive contre les conduites à risque ?

Pour une éthique de la prévention

Quelques avis sur l’origine de la gidouille sanitaire

Les économistes contre la démocratie par Jacques Sapir (Alternatives économiques)

L’amour de la servitude chez certains économistes, ou comment la politique économique peut tuer la démocratie (chapitre d’introduction)

Pourquoi les économistes classiques ne comprennent pas les défauts du système qu’ils promeuvent ? (Blog)

L’origine de la crise : le monétarisme et école de Chicago (Blog)

Webographie; l’innovation de rupture en général




L’INNOVATION À L’EPREUVE DES PEURS ET DES RISQUES OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES RAPPORT sur L’INNOVATION À L’EPREUVE DES PEURS ET DES RISQUES 24 janvier 2012
UN PRINCIPE ET SEPT AMBITIONS POUR L’INNOVATION Commission sous la présidence d’Anne Lauvergeon. Commission installée par le Président de la République en avril 2013 – Médecine individualisée par 33 à 45

Innovation de rupture en santé

1. Will disruptive innovation cure healthcare? C. Christensen harvard Business review sept. oct. 2000

2. L’innovation disruptive dans les systèmes de santé

3. Disruptive innovation in integrated Care Delivery Systems

4. Evolution future des services de santé : analyse de quelques tendances plausibles Auteur : F. Paccaud

« Il faut noter qu’une partie des réformes des services de santé ne vise pas à sortir ces services du giron de l’Etat,44 mais plutôt à introduire des mécanismes qui miment une situation de marché à l’intérieur même de l’Etat. »

« Mais le marché libre peut susciter des concentrations monopolistiques : c’est d’ailleurs ce que montrent les Etats-Unis où des groupes d’assureurs ont racheté des pans entiers du système de soins. Dans cette perspective, ces concentrations peuvent conduire à la mise sous tutelle des professionnels des soins dans le cadre de structures privées,52,53 achevant ainsi une longue transformation des professions soignantes. »

5. Rationnement des soins Article de F. Paccaud (il faut appeler un chat un chat!)

6. Epineux partage des rôles entre les professions de santé Le Monde du 22 octobre 2014

La pyramide des besoins du médecin revisitée par la propagande managérialiste

Continuer la lecture

Publié dans Action publique, économie de la santé, gestion des risques, Nouveau Management Public | Commentaires fermés sur Innovation disruptive et projet de loi de santé: Knock à la Harvard Business School

Future loi de santé: la fonction de production du parcours de vie

La future loi de santé: illusion néo-libérale ou néo-jacobine?


« La vie est une maladie sexuellement transmissible et constamment mortelle.» Woody Allen


« La santé, c’est non seulement l’absence de maladie et d’infirmité, mais un complet bien-être physique, mental et social» – sensation que le commun des mortels peut connaître brièvement pendant l’orgasme ou sous l’influence de drogues ». Petr Skrabanek (« La fin de la médecine à  visage humain »)


1. PROJET DE LOI DE SANTE Changer le quotidien des patients et des professionnels de santé 15 octobre 2014

2. PROJET DE LOI relatif à la santé Analyse du SRH

3. APM : Projet de loi de santé: le syndicat des DIM alerte sur le risque d’échec des GHT


Présentation ici et aussi ici

5. L’éthique, un autre nom du management public?

Fin de vie : les médecins ne doivent plus être les seuls à décider, selon le CCNE (QdM 23/10/2014)
Ce qui est surtout intéressant dans le texte est la présentation du nouveau modèle shadok de santé, qui va justifier sans doute l’introduction prochaine d’experts entrepreneurs de morale et de commissariats éthiques dans les structures de soins. La médecine devient un microprocessus presque accidentel, presque superflu, au sein du grand
process de vie conçu d’en haut par un grand architecte et organisé par les ingénieurs du care Voir figure 1.

« Il faut un continuum : les soins de support sont la base de la médecine, au sens de prendre de soin, auxquels peuvent s’ajouter des thérapeutiques », explicite Jean-Claude Ameisen.


Commentaires


Nous avons dit à plusieurs reprises sur ce blog que le discours dominant les médias sur l’intégration des parcours de soins est porté par une logique d’assureur. Nous avons vu aussi le saucissonnage de la protection sociale débitée en tranches de salami au profit des complémentaires santé (Tabuteau). Nul ne peut être contre des parcours bien coordonnés, puisque force est de constater que leur complexité empêche de plus en plus les personnes elle-mêmes de coordonner leurs soins, de se sortir d’une jungle inextricable et chaque jour un peu plus hostile, notamment en termes de reste à charge. 
Mais la coordination étant un mot valise, qui peut aisément être remplacé par pilotage, intégration, contrôle, ou encore régulation, on n’a encore rien dit de qui pilote, qui oriente, qui définit la stratégie thérapeutique, qui ouvre l’accès aux soins, qui finance et selon quelles règles, quelles unités d’oeuvre, qui répartit en particulier les fonds entre les acteurs etc. 
Nous avons surtout observé qu’ayant renoncé à changer un système qu’ils ont de plus en plus fragmenté, entre soins et social d’une part, engendrant des parcours toujours plus chaotiques et entre acteurs d’autre part par une guerre de tous contre tous dues à des des pseudo-marchés aussi myopes dans leurs modèles comptables qu’imbéciles dans la conception dénuée de sens clinique des activités de soins qu’ils induisent, les pompiers pyromanes ne savent qu’ajouter de nouveaux « machins » technocratiques pour réparer leurs méfaits (bed management, MSAP, PRADO etc.). 
Et surtout, qui intégrera les intégrateurs, selon l’antique question que Juvénal adressait à la République de Platon (« Qui gardera les gardiens? »).

Parcours de vie

Mais il faut aller plus loin.
C’est bien aujourd’hui  de l’intégration des « parcours de vie » qu’il est question, avec l’extension infinie du domaine de la « grande santé ». On ne peut pas ne pas revenir sur les réflexions de Michel Foucault. La politique de santé finit par rejoindre la définition que donnaient les anciens de la politique tout court: « l’art de rendre les peuples heureux ».
Il s’agit bien de contrôler les corps, à rebours de l’injonction à l’autonomie autant que de la proclamation de la liberté de l’individu-roi. La vie n’est qu’une suite de risques que la morale nous oblige à éviter, dans une perspective de rationalisation utilitariste des attitudes et des comportements.
Il faudrait en venir, pour homo medicus à désirer l’absence de tout désir conduisant au moindre risque. Il faudra donc contrôler à la fois les corps et les esprits. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que l’environnement politique et social conduit de nombreux citoyens sans travail et nés dans la civilisation des loisirs à se nourrir de pizzas et hamburgers devant la télévision ou les jeux vidéo, et en même temps d’entendre le discours filandreux de l’auto-activation visant sans cesse à personnaliser la responsabilité à propos de sa propre santé, responsabilité fort bonne de soi j’en conviens, mais portée par une propagande de prévention qui en réalité ne touchera que les populations les moins vulnérables et les moins exposées au risque tout en justifiant le déremboursement des soins aux irresponsables.
Mais la « démocratie sanitaire » a ceci de particulier qu’elle concentre en elle tous les paradoxes de la gestion des risques. Je conseille à tous de lire le livre de Patrick Peretti-Watel et jean-Paul Moatti intitulé « Le principe de prévention ». Il explique pourquoi l’actuelle politique pousse à l’extrême des paradoxes qu’elle ne sait gérer: 
Jusqu’à quel point la santé fait-elle le bonheur?
Quelle vérité doit-on aux citoyens et à quel prix faut-il les éduquer?
Il n’est plus temps de se demander si les réformateurs sont des néo-libéraux ou si ce sont des néo-platoniciens qui se sont armés des Big Data pour enfin permettre à la République des savants de construire l’échelle de Jacob et de mettre le monde en équilibre et en harmonie.
Quelle différence y aurait-il entre un Etat soviétique qui mettrait des faux marchés partout dans ses services au nom du mythe de la libre concurrence efficiente et un Etat néolibéral qui prétendrait savoir rationaliser la régulation d’une forme entrepreneuriale qu’il étendrait partout jusqu’à la gestion de soi et de son petit capital santé?
C’est sous cet angle qu’il faut reconnaître l’extension du domaine de la biopolitique et de la manipulation par la ré-ingénierie sociale, que certains nomment constructivisme social.
On peut s’inquiéter des mythes rationnels et murs d’évidence défendus par les grand-prêtres de la santé publique. Citons Didier Tabuteau dans un récent article du Monde (« L’épineux partage des rôles entre professions de santé) :
 » Aujourd’hui, nécessité fait loi, estime le chercheur. Il faut aller vers plus de responsabilités pour les autres professions. La baisse de la démographie médicale impose de revoir la répartition des tâches et l’organisation des soins. «  .
Nous avons vu la difficulté de se prononcer sur l’état de la démographie démographie médicale à l’horizon de 2030. Ce qui est sûr, c’est que la baisse d’attractivité pour l’exercice médical et l’abandon provoqué de domaines entiers autrefois couverts par la médecine permettra aux politiques publiques de décréter que « nécessité fait loi ». Certains pays découvrent qu’une organisation trop pyramidale des niveaux de recours induit des surcoûts par sur-prescription « défensive ». (1)
L’accès aux Big Data semble avoir rendu fous les experts et les gestionnaires de risques. Ces post-modernes, qui ont remplacé le droit par les sciences sociales, se croient en mesure de rendre les peuples heureux malgré eux, à partir de leur quantophrénie statistique, là ou les modernes « divisent la politique en droit naturel, droit public, droit de la paix, droit de la guerre, etc., et appellent l’ensemble de ces connaissances, science des gouvernements ». (2) Notons enfin que contrairement aux modernes, Platon et Aristote ne séparaient jamais la politique de la morale.
Hélas, les libéraux voient dans ces réformes le triomphe de l’innovation de rupture, la fin des résistances bureautiques au changement. Ils gobent le discours de la propagande qui leur laisse croire que nos élus, aux abois et enfoncés dans un court-termisme inhérent aux programmes d’ajustement qui s’imposent à eux, sont capables de prévoir les bienfaits économiques d’un système de soins de santé soumis à une destruction créatrice contrôlée. De l’autre coté, les républicains abandonnent le fondement des services publics caricaturés en incurable bureaucratie wéberienne à la quantophénie semi-habile des comptables des actuaires et des statisticiens. Mais seul et isolé dans sa toute puissance, ce management par les nombres ne sait que s’appuyer sur des catégories myopes réifiant la fragmentation institutionnelle (c’est du soin « curatif », c’est de la « dépendance », c’est du « social ») et des boucles auto-référentielles qu’elles engendrent.

Biopolitique et intégration politique de la santé


J’ai essayé de modéliser ainsi le modèle biopolitique de l’intégration: Figure 1

« Prendre de soin » est peut-être une coquille du texte, mais on ne sait jamais avec la novlangue.

« Guérir quelquefois, soigner souvent, consoler toujours » disaient nos anciens. On ne sait pas bien à quand remonte cette citation, d’ailleurs, peut-être aux Asclépiades. (3)

    Fragmentation

    La puissance publique a voulu avec les lois de 1970 et 1975 un hôpital curatif et un secteur médico-social consacré à la dépendance improductive (vieux, handicapés) et pour les classes dangereuses, « les infortunes que le vice a produit », rattaché aux départements.
    Les familles y ont vu l’opportunité d’échapper à une médicalisation excessive. Mais le résultat c’est la managérialisation à outrance d’un secteur aujourd’hui trop démédicalisé (médecins et paramédicaux). Ce nouveau secteur, fier de son indépendance à l’égard du monde bio-médico-technique n’a souvent fait que remplacer, certes souvent aujourd’hui trop souvent en complémentarité avec la prison, les anciens services de « défectologie » qui existaient en psychiatrie. La fin du « grand enfermement » a avant tout été une opportunité d’économies majeures pour l’Etat, même si le mouvement favorisant l’inclusion en milieu ordinaire garde toute sa valeur. Combien de parents de schizophrènes ont alors été culpabilisés dans une discours idéologique qui ne faisait que justifier le fait qu’on ne pouvait plus, même en situation critique, accepter leur enfant en institution. Que de situation tragiques.
    Ils n’avaient plus alors qu’à supporter leur désarroi dans la double peine de s’en voir imputer la faute.
    Les lois de décentralisation ont aggravé la situation c’est à dire la fragmentation institutionnelle financière et culturelle. Cette fragmentation concerne tous les personnes vivant avec des conditions chroniques où s’intriquent de façon variable des déterminants bio-psycho-sociaux.

    Avec les nouveaux parcours de soins assurantiels on aura peut-être un business model complet de la prévention puis de la dépendance, la vie n’étant en quelque sorte qu’une longue « durée de séjour », agrémenté de quelques « inducteurs de coûts » thérapeutiques en attendant le « projet de sortie », le grand, vous savez, celui qui transforme la vie en destin.

    Qui intégrera ces « intégrateurs de continuum »?

    Mais les intégrera-t-on par le libre marché régulé ou par des procédures bureaucratiques?
    Et si on laissait enfin les acteurs du soin bien faire ce qu’ils savent faire, avec les équipes qui portent des compétences clés de l’organisation des soins, la vraie, celle qui émerge au service du public, qui peut gérer au juste coût et rendre de comptes de sa gestion,. Mais elle ne peut le faire qu’une fois débarrassée des incitatifs externes et des indicateurs absurdes importés en santé par des économistes et des cabinets de conseil qui en ont fait leur terrain de jeu et de pouvoir au service des promoteurs de programmes d’ajustement structurels. Un système d’indicateurs doit avoir du sens pour celui qui s’y regarde comme dans un miroir. Il ne se conçoit que dans une vision de la performance qui intègre la participation aux processus de décision, ce que les indicateurs doivent impérativement mesurer, de même que la reconnaissance au travail, l’état d’esprit au travail, l’autonomie des centres de responsabilité nécessaire à l’expression des compétences clés.
    « L’opposition entre le libéralisme et l’étatisme qui occupe tant les essayistes, ne résiste pas une seconde à l’observation.» Pierre Bourdieu

    (1) Nurses Are Not Doctors Dans le New York Times du 29 avril.

    « Nurse practitioners have been promoted as a cost-effective way to meet this need. Medicare currently reimburses nursepractitioners only 85 percent of the amount that it reimburses primary-care physicians. Paying less for the same work would appear to be a way to save health care dollars. »
    « But are nurse practitioners actually more cost-effective? There is a dearth of good recent empirical research on this question, but some studies have suggested that the answer is no. »

    (3) « Guérir quelquefois, Soulager souvent, Consoler toujours » L. M. PAYNE Brit. med. J7., 1967, 4, 47-48

    Continuer la lecture

    Publié dans Action publique, économie de la santé, Ethique, gestion des risques, gouvernance, Nouveau Management Public | Commentaires fermés sur Future loi de santé: la fonction de production du parcours de vie

    De l’agence tout risque au businhealth model

    « Rien ne dessèche tant un esprit que sa répugnance à concevoir des idées obscures. » Cioran

    Il est stupéfiant que les réformateurs présentent toujours les choix politiques les plus discutables comme une incarnation de la raison dans l’Histoire, comme si nous étions en route vers un modèle unique connu des seuls oracles.
    J’ai essayé de représenter les choix multiples pour échapper au « one best way » par lequel Ubu régulateur nous accable avec son redoutable « cheval à phynances ».
    Diapo extraite des systèmes de santé pour les nuls

    La marchandisation de l’assurance maladie, combinée à l’hyper-technocratisation territorialisée sous contrôle des ARS ne cesse d’étonner en France. On ne peut comprendre cette évolution que dans le contexte du Nouveau Management Public et de la place qu’il donne à l’Etat disruptif, capable par ses experts d’anticiper la destruction créatrice de Schumpeter. Mais le doute est permis. S’ils se trompaient, s’il n’y a pas de modèle unique et s’ils choisissent le mauvais, et si ceux promus dans les universités américaines s’appliquaient mal dans notre cher et vieux pays, ce serait l’innovation destructrice qui prévaudrait.
    C’est que 3 grands mythes nous accablent dans l’ingénierie du système de santé, au risque de la destruction de la solidarité, de la qualité des soins et des compétences: le mythe du marché efficient ou rationalité entrepreneuriale, celui de la rationalisation de l’action publique et enfin celui de l’Etat disruptif. Ce sont hélas les trois piliers qui fondent les politiques internationales d’ajustement des « systèmes de santé » et président à leur démédicalisation.
    La prudence médicale doit rappeler à l’action publique l’évidence du « no best way » et l’absence de business modèle unique, l’absence de « businhealth model » en quelque sorte.

    Textes en français

    Réforme du système de santé : la prescription de l’innovateur

    Réformer le secteur de la santé, l’apport indispensable des théories de l’innovation

    « Facilitateur de réseau: A la base, un facilitateur de réseau organise l’échange entre participants en créant de la valeur à partir de la notion de mutualisation. Une assurance ou une mutuelle sont des exemples typique de ces acteurs (souligné par moi). Ils se rémunèrent sous forme de cotisation payées par les membres du réseau. On imagine que ce type d’acteur est particulièrement adapté au cas de ceux qui souffrent de maladie chronique, même s’ils ne sont pas encore développés actuellement. Au contraire des médecins qui gagnent de l’argent quand les gens sont malades, les réseaux peuvent être structurés de manière à avoir intérêt à ce que leurs membres soient en bonne santé. En échange d’une cotisation fixe, à charge des réseaux de faire en sorte d’atteindre cet objectif. »

    L’INNOVATION DISRUPTIVE DANS LES SYSTEMES DE SANTE

    « La disruption est une transformation irréversible du capitalisme » (Clayton Christensen)

    Diaporamas et vidéos de Christensen très éclairants sur le modèle

    Evolution future des services de santé : analyse de quelques tendances plausibles Auteur : F. Paccaud

    « Il faut noter qu’une partie des réformes des services de santé ne vise pas à sortir ces services du giron de l’Etat, mais plutôt à introduire des mécanismes qui miment une situation de marché à l’intérieur même de l’Etat. »

    « Mais le marché libre peut susciter des concentrations monopolistiques : c’est d’ailleurs ce que montrent les Etats-Unis où des groupes d’assureurs ont racheté des pans entiers du système de soins. Dans cette perspective, ces concentrations peuvent conduire à la mise sous tutelle des professionnels des soins dans le cadre de structures privées, achevant ainsi une longue transformation des professions soignantes. »

    Rationnement des soins Article de F. Paccaud (il faut appeler un chat un chat!)

    Evolution future des services de santé : analyse de quelques tendances plausibles Auteur : F. Paccaud

    DECLINAISON A LA SANTE DES PRINCIPES ASSURANTIELS

    Technologies numériques et réenchantement du monde (Pierre Fraser)

    Continuer la lecture

    Publié dans Action publique, économie de la santé, loi HPST, Nouveau Management Public, performance | Commentaires fermés sur De l’agence tout risque au businhealth model

    Petite revue de presse de rentrée par Bernard Granger

    Nous publions ici avec son autorisation les « DNF »* du 7 et 8 septembre de Bernard Granger, co-fondateur avec André Grimaldi du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public. Les documents présentés ici sont particulièrement riches d’enseignements sur l’évolution de nos systèmes de santé. Il est donc utile de les partager largement, au delà des destinataires habituels des DNF.
    * Dernières nouvelles du front
    Les « DNF » du 7 septembre 2014


    POUR INFORMATION

    Chers collègues,
    Voici quelques lectures qui vous intéresseront peut-être.
    – Comprendre la sérendipité, ou pourquoi, selon Balzac, « le hasard ne visite jamais les sots ».
    – Pourquoi les employeurs financent-ils les assurances santé aux Etats-Unis ? Ce système paraît de plus en plus illogique selon U. W. Reinhardt, qui publie une tribune dans le NYT. C’est sans doute parce qu’il est illogique que ce système s’installe en France.
    – Il faudrait donner aux brevets des nouvelles molécules une durée adaptée aux pathologies soignées, sinon les traitements dont les résultats ne peuvent s’évaluer qu’à long terme ne feront jamais l’objet de recherches pharmaceutiques (voir ici).
    – Excellente tribune de J.-P. Vernant sur le prix des médicaments (voir ici pour les USA).
    – Les données personnelles deviennent un marché en pleine expansion (voir ici ou ), y compris les données personnelles utilisées pour prévoir la consommation de soins (voir ici) ou les données de santé, avec la vogue du moi quantifié (voir ici).
    – Les données de santé française visées par les « statactivistes », les industriels et assureurs : quelques éléments du débat, et une réforme en vue à travers la loi de santé, dangereuse pour la confidentialité et le secret médical (cf. texte joint). Aux Etats-Unis, certains s’y intéressent aussi, comme J. Bush, président d’Athenahealth, dans The Atlantic.
    – Le fameux impact factor vit-il ses derniers moments et va-t-on s’intéresser au contenu des articles pour évaluer les chercheurs ? Dans son remarquable blog consacré à l’édition médicale et scientifique, Hervé Maisonneuve invite à signer la Declaration on Research Assessment, comme l’ont fait de nombreux chercheurs ainsi que l’INSERM et le CNRS.
    – Une fois publiés, certains résultats sont (re)revus par les pairs, et les éventuelles erreurs rapidement débusquées et dénoncées sur Internet (voir ici).
    – Pour The Lancet, le classement des meilleurs hôpitaux des USA nous interroge surtout sur les pires. Aux USA toujours, pays où on gagne plus à gérer les soins qu’à les dispenser (les médecins y ont des rémunérations inférieures à celles des « managers »), un étudiant en médecine veut s’attaquer à un médecin ultra-médiatique, le Dr Oz, dont les avis ne sont pas toujours très pertinents (voir ici). Il aurait de quoi faire ailleurs aussi.
    – Obamacare : accusée d’être un « job killer », la réforme du système de santé américain a au contraire accéléré la création d’emplois dans le secteur de la santé, selon Forbes ; l’effet sur le pourcentage de non-assurés est déjà important, comme l’indique P. Krugman, qui, plus généralement, dans une tribune intitulée « Zéro sur six » constate que les prévisions des adversaires de l’Obamacare ne se réalisent pas.
    – Les médecins évalués et étoilés comme les hôtels et les restaurants par des patients plus ou moins objectifs, voire rétribués : voir ici.
    L’atlas démographique 2014 du conseil de l’ordre des médecins donne notamment les effectifs de chaque spécialité, leur répartition géographique, par mode d’exercice, et la pyramide des âges.
    – Le rapport intégral de l’Inspection générale des finances sur les professions réglementées mediapart.fr/files/RAPPORT_…
    – Restons mesurés face aux promesses des Big Data, ou mégadonnées en bon français (ici pour la prévision pas toujours fiable des épidémies de grippe, ici pour les essais cliniques en Angleterre facilités par les données détenues par le NHS, pour aider les étudiants en difficulté), et face à celle de la e-santé (ici pour un panorama général, pour un exercice concret avec le m-patient hypertendu).
    – Transparence et accès au dossier médical : attention à ce que vous écrivez, nous met en garde The Economist.
    – Quelques réflexions éclairantes sur l’art de diriger (1, 2 et 3).
    – Mauvais management : l’art de mal gérer son temps ou de compliquer ce qui est simple. Faut-il interdire les réunions et supprimer les niveaux intermédiaires inutiles ? The Economist redécouvre la lune. Bien payer ses employés et les laisser travailler tranquillement, sans les surveiller comme le lait sur le feu, reste ce qu’il y a de plus efficace, selon Le Monde.
    – La coordination des soins réelle et efficace passe avant tout par la communication de médecin à médecin, et non par des usines à gaz technocratiques, comme le montre le cas décrit par le Dr M. J. Press dans le NEJM.
    – Comment allouer les ressources en santé, entre décisions politiques et médecine fondée sur les preuves (voir ici) ?
    – La rémunération à la performance ne fait pas la preuve de son utilité à long terme (42 mois) selon une étude menée en Angleterre sur 34 hôpitaux ayant participé au programme de rémunération sur indicateurs de qualité et 137 hôpitaux constituant le groupe contrôle (voir ici).
    – Le retour à l’équilibre du CHU de Brest passe par le gel d’une vingtaine de postes de praticiens hospitaliers, selon le Quotidien du Médecin. Plus globalement, selon la FHF, en 2013 les comptes des hôpitaux publics vont encore se dégrader, et les suppressions d’emploi sont encore au programme pour 2015. Par ailleurs, l’ATIH vient de publier un rapport montrant le peu de fiabilité des états des prévisions des recettes et des dépenses (EPRD) et des plans globaux de financement pluriannuel (PGFP) des établissements publics de santé pour la période 2008-2012.
    – La future loi de santé (loi Touraine) ne soulève aucun enthousiasme chez les représentants des médecins hospitaliers (voir ici et ). Le Mouvement de défense de l’hôpital public n’est pas en reste. Nous y reviendrons.
    – Et toujours l’opposition entre la médecine de papier, celle des bureaucrates, et la médecine de terrain, celle des cliniciens, des soignants et des patients (voir le texte d’Elie Azria sur la standardisation du soin médical, et le formidable blog de notre consœur Armance sur l’évaluation standardisée).
    Amitiés, bon courage et excellente rentrée !
    Bernard Granger.
    Nous ajoutons un lien vers le texte de la psychiatre Claire Gekière, texte qui était en pièce jointe des « DNF »

    Nous ajoutons également un envoi du 8 septembre:
    « la pensée d’Etat et l’intérêt général »

    Chers collègues,

    Une interview du consitutionnaliste Dominique Rousseau par Mediapart. Ses propos illustrent bien ce qui cloche avec les lois Bachelot et Touraine.

    Extrait :  » Un autre élément très important de cette crise de régime est que ceux qui nous gouvernent sont enfermés dans ce que j’appelle une « pensée d’État ». Ce sont des énarques très compétents, mais formatés à penser les choses de la société à partir d’un a priori sur ce qu’est l’intérêt général. Ils estiment que les citoyens sont incompétents pour définir ce qu’est l’intérêt général de la société et jugent donc normal de définir eux-mêmes ce qu’il est. C’est une pensée tragique pour la France qui a aujourd’hui besoin d’une « pensée de la société. »

    Les « gens » sont capables, si on les laisse s’exprimer et délibérer, de produire des règles, de trouver l’intérêt général. Ce ne sera sans doute pas le même que celui produit par la promotion Voltaire, mais ce sera à hauteur des expériences vécues par les gens. La démocratie n’est pas une question d’arithmétique, mais une question d’expériences de vie. Or notre société raisonne à partir d’une pensée d’État abstraite, au moment où elle a besoin d’une pensée des expériences.

    Dans les dernières années, toutes les questions importantes ont été sorties non par des députés, mais par les lanceurs d’alerte. La société est capable de mettre sur la place publique non seulement les questions qui font problème, comme la santé, l’alimentation, le logement, mais elle est aussi capable de produire des réponses, d’imaginer des règles nouvelles pour l’intérêt général. »

    Amitiés et bon courage.

    Bernard Granger. Continuer la lecture

    Publié dans économie de la santé, loi HPST, Nouveau Management Public, Qualité des soins | Commentaires fermés sur Petite revue de presse de rentrée par Bernard Granger

    Communiqué du Mouvement de défense de l’hôpital public sur l’avant-projet de loi de santé

    Le Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP) estime que l’avant-projet de loi de santé tel qu’il a été communiqué en juillet se situe dans la continuité de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST), mise en place par le précédent gouvernement. Cet avant-projet ne prend pas en compte les nécessaires réformes préconisées par les rapports Couty et Cordier.

    Le service public hospitalier ne retrouve pas sa place. L’article 25 du texte ne prévoit qu’un « bloc d’obligation » pour définir le service public hospitalier : accueil de tous, permanence des soins, sous réserve d’un délai de prise en charge raisonnable, et absence de facturation de dépassements. Ces termes indispensables mais insuffisants ne couvrent pas l’intégralité du service public : soins, enseignement, recherche, tel que le pacte de confiance le recommandait.

    Le MDHP juge que la promotion d’une gestion guidée par la recherche de la rentabilité et non par l’application du principe éthique du juste soin au juste coût est délétère pour un fonctionnement de qualité de l’hôpital public. Il déplore :

    – 1/ le maintien en l’état des pôles, structures de gestion médico-économique, regroupant plusieurs services et ayant pour objectif la mutualisation des personnels et des moyens, parfois au détriment de la compétence des équipes et de la qualité des soins ;

    – 2/ la responsabilité nouvelle dévolue aux Agences Régionales de Santé d’œuvrer pour la maitrise des dépenses de santé et de réaliser des objectifs chiffrés d’économie (article 39) ; cette mission explicitée détourne les agences de leur rôle sanitaire premier : les business plans ne peuvent remplacer la santé publique;

    – 3/ l’absence de réforme en profondeur de la gouvernance hospitalière : les conclusions du pacte de confiance soulignaient le malaise des personnels soignants et préconisaient la remédicalisation de l’exécutif hospitalier, l’instauration d’espace de dialogue et de concertation, l’instauration d’un conseil d’établissement ; le pacte de confiance proposait notamment de faire nommer les praticiens responsables des différentes structures conjointement par le directeur et le président de la CME sur une liste d’aptitude établie chaque année par la CME (aucune de ces propositions ne semble retenue) ;

    – 4/ l’absence de mesures nouvelles pour assurer un financement équilibré à l’hôpital public.

    Le MDHP demande que le texte de loi soit revu pour rester fidèle aux propositions des rapports élaborés après concertation de tous les acteurs du système de santé, personnels, comme usagers.

    Paris, le 4 septembre 2014

    André Baruchel, Catherine Boileau, Nathalie De Castro, Noël Garabédian, Anne Gervais, Bernard Granger, André Grimaldi, Julie Peltier, Jean-Paul Vernant

    Continuer la lecture

    Publié dans Action publique, loi HPST, Nouveau Management Public, Parcours de soins | Commentaires fermés sur Communiqué du Mouvement de défense de l’hôpital public sur l’avant-projet de loi de santé

    La loi HPST 2 et la nouvelle fabrique de morale – Critique du néolibéralisme jacobin


    « La santé, c’est non seulement l’absence de maladie et d’infirmité, mais un complet bien-être physique, mental et social*, sensation que le commun des mortels peut connaître brièvement pendant l’orgasme ou sous l’influence de drogues». Petr Skrabanek (« La fin de la médecine à visage humain« ). * selon la définition de l’OMS

    « La parole dépourvue de sens annonce toujours un bouleversement prochain. Nous l’avons appris. Elle en était le miroir anticipé. » René Char

    « Le pouvoir étatique n’est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu’il feint de l’émanciper des autorités qui font de l’ombre à la sienne.» Bertand de Jouvenel – « Du pouvoir »

    «…le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d’Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l’Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique.» Frédéric Pierru

    « Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.» Pierre Bourdieu (L’essence du néo-libéralisme)

    Quelques liens relatifs à l’avant projet de loi de santé

    1. Politique de santé – L’avant-projet de loi de Santé fait un focus sur la prévention et le parcours de soins

    2. Avant projet de loi relatif à la santé

    3. La version intermédiaire passée au crible (QdM)

    4. Quelles orientations pour la loi de santé ? Madame Marisol Touraine Ministre, 19 juin 2014

    5. L’essence du néolibéralisme par Pierre Bourdieu, mars 1998

    6. Rapprochement de l’analyse de Pierre Bourdieu sur la « destruction méthodique des collectifs » de la loi Le Chapelier et du rejet des corps intermédiaires

    Dans l’exposé des motifs de sa célèbre loi (14-17 juin 1791), Le Chapelier, rejetant les corps intermédiaires chers à Montesquieu affirme:

    « Il n’y a plus de corporations dans l’Etat; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation »

    Dans son discours du 29 septembre 1791:

    « Il n’y a de pouvoir que ceux constitués par la volonté du peuple exprimée par les représentants ; il n’y a d’autorités que celles déléguées par lui ; il ne peut y avoir d’action que celle de ses mandataires revêtus de fonctions publiques.

    C’est pour conserver ce principe dans toute sa pureté, que, d’un bout de l’empire à l’autre, la Constitution a fait disparaître toutes les corporations, et qu’elle n’a plus reconnu que le corps social et des individus. […] »

    ARTICLE PREMIER: « L’anéantissement de toutes les espèces de Corporations d’un même état et profession étant une des bases fondamentales de la Constitution Française, il est défendu de les rétablir sous quelque prétexe et quelque forme que ce soit. »

    ARTICLE SECOND: « Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibération, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs. »

    7. The arrogance of preventive medicine. David Sackett 

    Merci à « Pharmacritique« , site avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, mais qui est toujours une source de réflexions et d’articles passionnants.

    Nous ne critiquerons pas ici la prévention en tant que telle, elle doit être notre souci permanent, mais les enjeux de pouvoir et l’idéologie d’une « médecine préventive » qui prétend attirer les fonds au détriment de la médecine dite prescriptive, et cela dans un contexte de rationnement global des soins de santé.
    Notons que le débat entre traitement social et traitement médical occupait déjà les physiocrates comme La Rochefoucauld-Liancourt et les médecins comme Guillotin.

    8. Huard P., Imbault-Huart Marie-José. Concepts et réalités de l’éducation et de la profession médico-chirurgicales pendant la Révolution. In: Journal des savants. 1973, N° pp. 126-150 .

    « II vaut mieux manquer de praticiens que d’en avoir de mauvais ». Cabanis (rapport du 29 brumaire en VIII) (21 novembre 1799). Voir l’opposition entre La Rochefoucauld-Liancourt (« physiocrate méconnu« ) et Guillotin.

    9. Portrait de médecin: Joseph-Ignace GUILLOTIN – 1738-1814

    « Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention ». Victor Hugo

    10. La Loi du 30 novembre 1892 par Bernard HŒRNI (suppression des officiers de santé)

    11. La santé au régime néo-libéral par Frédéric Pierru.

    12. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ?

    « Les frontières du système de soins doivent s’estomper pour se fondre dans les autres systèmes du système de santé, pour pouvoir parler véritablement de système de soins de santé. Le financement des soins est à présent soumis à des contraintes de « coût d’opportunité » Marc Bremond

    Commentaire

    « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus

    La loi HPST II

    Ce qui est stupéfiant dans cet avant projet, c’est le degré d’infantilisation managériale et de dégradation rhétorique qui transpire dans les langes de ce que je me permets de nommer la loi « HPST 2 ».
    Nous commencions à être habitués, sans toutefois nous y résigner, à la dégradation de ton, de rigueur et de style des rapports sur la santé (rapport Devictor sur le SPTS, rapport Compagnon sur l’An II de la démocratie sanitaire…), mais tout de même! Comment peut-on en arriver à une telle vacuité conceptuelle! On était habitué à cet esperanto-volapük managérial bien manié par les fédérations, nous avions même appris à l’utiliser, mais manifestement une nouvelle espèce de semi-habiles nous parle depuis un univers où l’intelligence pratique semble avoir fait un immense bond en arrière. On ne s’y affronte même plus aux ennemis habituels de la médecine, ceux qu’on avait appris à respecter, l’économisme orthodoxe étendu à toute activité humaine comme nouvelle raison du monde d’une part et la rationalité gestionnaire calculante comme alpha et oméga de l’action publique d’autre part.

    La nouvelle nouvelle raison du monde et sa fabrique de morale

    HPST 1 c’était le néolibéralisme assumé, le « tout incitatif » pour homo economicus sanitatis, cet « idiot rationnel » imaginé par l’économie de la santé orthodoxe, certes avec retard. C’est que la « nouvelle raison du monde » a déjà du plomb dans l’aile. Ses dégâts, ses victimes et son peu d’efficience, au bon sens du terme, commencent à être reconnus. Mais la droite « bling-bling » voulait faire avec une génération de retard du Reagan ou du Thatcher quand plus personne ne croyait déjà plus outre atlantique à ces méthodes, hormis quelques vieux universitaires néo-cons enfermés dans leurs universités et que plus personne n’écoutait. Ceux qui ne voyait alors dans la loi HPST que le culte simpliste du marché « bling bling » avaient d’ailleurs tort, car les semi-habiles en avaient finalement fait une loi qu’il était au moins aussi légitime de considérer comme essentiellement « soviétique », à la manière de Jean de Kervasdoué (article 1article 2).
    La technostructure était bien mise sous tutelle complète des payeurs conformément aux dogmes de la corporate governance mais en transformant les « managers de santé » en tyranneaux de l’offre de soins, déchargés pour pouvoir être « tout à leur affaire » de toute responsabilité de « santé publique » au profit des agences qu’on avait chargé de dire la vérité des besoins et d’organiser la réponse à la demande de biens et de services de santé – comprendre ici rationner au regard de la mise en place de l’Ondam dont la limitation devait s’appuyer sur une logique de dénonciation du gaspillage. Si le concept d’underuse est aussi connu que l’overuse, on parle aussi de misuse, force est de constater que seule la « surmédicalisation » – elle existe et a des causes multiples dont la mauvaise régulation des paiements et de l’industrie pharmaceutique –  semble émouvoir les chiens de garde des médias, et que la sous utilisation pourtant manifeste des services et la sous consommation des biens de santé, bref la sous-médicalisation  ne préoccupent plus guère que les cliniciens de terrain. 
    Bien peu parviennent à mettre leurs constats à l’agenda politique, pas plus qu’à l’agenda des établissements (c’est à l’agence de s’en occuper) ou des agences elles-mêmes qui n’ont pas un centime sauf pour quelques fléchages politico-médiatiques créés par des lobbyings « d’en haut » et destinés à pouvoir attraper la « queue du Mickey » des missions d’intérêt général « en bas », un peu d’oxygène pour continuer à faire, le plus souvent, ce qu’on faisait avant mais en adaptant le modèle économique à la compétition pour l’acquisition des ressources.
    C’était donner dès lors toute latitude aux directions pour piloter des business models absurdes, issus de manière totalement artificielle des modèles comptables qu’on leur imposait, jouant sans garde-fous aux apprentis sorciers de l’intégration industrielle, dans des modèles simplistes qui ne fonctionnent plus depuis longtemps dans l’industrie réelle. Mais il est vrai, comme on a pu le montrer de façon limpide pour la réforme des autorisations et le financement des SSR, que les fédérations pouvaient influencer les « modèles d’affaires », en pesant à la fois sur les modèles comptables, les systèmes d’informations (PMSI), les modèles d’allocation des ressources (financements à l’activité) et les modèles de segmentation d’activités (spécification des autorisations), pérennisant ainsi les vices du système tout en les validant aux yeux des décideurs publics. 
    Il était plus qu’urgent de revenir sur ces modèles de gouvernance publique de la santé. Leurs vices constituent pour les médecins, les soignants, les malades et finalement une très grande partie des managers eux-mêmes un véritable cauchemar technocratique où tout est contrôlé mais où rien n’est plus vraiment piloté. Il fallait remettre en question les balivernes qui les supportaient d’autant que l’evidence based policy internationale ne va guère dans le sens de réels bénéfices, ni pour ce qui a trait à la compétition régulée entre assurances privées, ni s’agissant du « P4P » le paiement à la performance fondé sur des motivations extrinsèques, ni ces usines à gaz de reporting et de contrôle comptables inutilement coûteux qu’ont permis la révolution numérique.


    HPST 2, la future loi de santé, c’est le néolibéralisme honteux, celui qui « culpabilise » et se dissimule, celui qui croit encore à la concurrence efficiente quand, selon Galbraith Jr. et Stiglitz, même la droite y a renoncé (« L’Etat prédateur »). C’est un néolibéralisme pour politiques aux abois, dépourvus de vision au delà de leurs pauvres indicateurs myopes et court-termistes, un néolibéralisme dont il faut encore plus enfouir la nature profonde dès lors qu’il vient coloniser notre vieux modèle social-catholique latin, même laïcisé (vision que représente une organisation comme l’ALASS face à la vision anglo-saxonne des systèmes de soins).

    La novlangue s’y fait alors encore plus obscure, ne se hasardant plus à la moindre définition, contrairement à la bureaucratie sanitaire canadienne, notamment québécoise, qu’on copie beaucoup mais qui défend au moins une cohérence intellectuelle à laquelle la France a renoncé depuis longtemps. Le prêchi-prêcha déclamé lors des grand-messes Powerpoint en devient encore plus filandreux, jusqu’à la nausée. Les fumigènes de la version 2 d’HPST, la version Touraine, sont en gros les mêmes que dans la version Bachelot. Notons d’emblée que ces buzwords n’ont pas de « contraire » ou « d’opposés dialogiques ». Novlangue et « mots terroristes » oblige.Du point de vue du bon management – nous supposons donc qu’il en existe un bon, mais dans une forêt de paradoxes, pas dans celle enchantée des bisounours – selon François Dupuy (« la fatigue des élites » et « Lost in management »), cette approche quasi religieuse demandée aux acteurs ne peut conduire qu’au cynisme et au désarroi.

    Qu’entend-on par « mots-valises »? Il s’agit de concepts souvent importés depuis des sciences où ils ont un sens précis (exemple: filières, réseaux) mais redéfinis par un mur de mots qu’on élevé autour d’un terrain vague d’idées, et auquel personne ne peut s’opposer. Ce sont ces boîtes à double fond des débats démocratiques décrites par Tocqueville dans lequelles on met et d’où l’on retire ce qu’on veut.

    « stratégie partagée », est un mot-valise où il faut voir comment la tyrannie du « projet » transforme les acteurs en producteurs qui ont un destin. Derrière Stratégie nationale de santé il faut lire « programme d’ajustement », ou Stratégie Nationale de Strangulation et de rationnement.
    « intégration des soins », ou médecine intégrée doit se lire comme « managed care » ou compétition régulée, ou encore comme privatisation de la « sécu » en faveur des assurances privées, mais elle doit se lire aussi comme  intégration industrielle verticalepromotion de la santé pour nouvelle entreprise de morale et définition des nouveaux « déviants ». Les sociétés démocratiques segmentent en catégories ceux qui sont atteints « d’infortune que le vice a produit », ici par leur incapacité à se faire entrepreneur d’eux-mêmes et des autres.,
    Ce buzzword mobilise avec la rationalité managériale toute l’holistique « new age » du « grand tout » bio-psychosocial. C’est un modèle séduisant auquel tout le monde adhère mais qui n’en est pas un (un modèle au sens scientifique). Pourtant, tout le monde se résigne à voir ce beau parcours holistique coordonné par les savants-philosophes et autres commissaires éthiques brandissant les définitions de l’OMS appuyées par le consensus de Washington: FMI, Banque Mondiale et OCDE. 
    « parcours » voilà le nouveau mot-valise qui succède à filière et réseaux, trop « usés ». Il sous-tend l’intégration par la normalisation comptable des tous les calculs égoïstes des acteurs, les seuls dont serait capable le petit peuple soignant modélisé « d’en haut ». Le parcours est l’autre nom du couple infernal intégration / processus (François Dupuy) maintenant étendu hors les murs de l’hôpital et au delà de ses « chemins cliniques ». Le modèle implicite est le suivant. Les nouveaux techniciens de santé, guidés par des contremaîtres, appliquent et contrôlent les standards conçus par les ingénieurs des bureaux des méthodes en fonction des fonds octroyés par les payeurs, des enveloppes fixées par les experts et de leurs clés de répartition débattues dans l’arène politique.
    « prévention », nous y reviendront quant à l’arrogance de la médecine préventive qui a bien compris quel soutien elle pouvait apporter au rationnement des soins, tout en dénonçant l’arrogance de la médecine moderne, symbolisée par le bon Dr House. C’est vrai qu’il y du House en nous comme le relève si finement Bertrand Kiefer 
    « démocratie sanitaire », nous savons comment l’empowerment du client dans « l’Etat social actif  » peut être séduisant notamment par l’importation du « self » anglo-saxon (Alain Ehrenberg: « la société du malaise »). Transformant l’usager en bras armé du nouveau management public tout comme la corporate governance fait du client le bras armé de l’actionnaire, ce concept est d’autant plus alléchant pour le public qu’on aura franchi les différentes boucles de la spirale de la défiance. Et voici que contre le ghost management et le « microcosme des marionnettes de l’industrie » les pompiers pyromanes, plutôt qu’une régulation efficace, ne proposent comme solution, parmi un ensemble de « machins » démagogiques plaqués sur un système qu’on a renoncé à changer que « L’expertise citoyenne sur les médicaments » (pharmacritique). L’expertise d’usage est bien une réalité, mais en se limitant à de tels remèdes, les rentes informationnelles de plus en plus opaques ont de beaux jours devant elles.

    Entendons nous bien, il ne s’agit pas de défendre ici une médecine « paternaliste » fondée sur l’idéologie de la bienfaisance, ni d’ignorer les défaillances du marché, en particulier de l’industrie pharmaceutique, mais à condition de ne pas tomber dans l’indignation sélective, une des armes les plus redoutables de la propagande de l’ajustement, de ne pas fermer les yeux sur les nouveaux aspects qui ont trait notamment aux activités de « conseil », au « trafic de données » et les nouveaux « modèles d’affaires » nés de la révolution digitale (souvent nommés, d’une façon bien angélique, « réseaux facilitateurs » sanctifiés au nom de l’innovation disruptive). Je renvoie au livre de Gérard Reach, « L’inertie clinique: une critique de la raison médicale«  pour comprendre ce que peut être une relation participative entre médecins, disons plus largement cliniciens, et usagers, fondée sur l’expérience les preuves et l’alliance thérapeutique, sans pour autant faire des usagers-clients des agents de la « police sanitaire » au service de l’Etat social actif, le workfare state, et de ses nouvelles options managériales.

    Mais qui voit encore le moindre « libéralisme » dans ce modèle économique où les mêmes, les assureurs , seront à la fois acheteurs et payeurs voire producteurs des soins dans la rhétorique des « parcours », couvrant des risques qu’ils s’efforcent de connaître à l’avance, avant même la signature des contrats d’assurances? Ces parcours « intégrés », comme on l’a bien observé aux USA avec les HMO et le cafouillage récent de la mise de place de l’Obamacare, seraient nous disent les politiques, mieux gérés par les assureurs privés promus en intégrateurs de parcours, au nom, bien sûr, puisqu’on vous le dit, mon brave, des maladies chroniques, de la défragmentation bureaucratique débureaucratisée par les néo-bureaucrates (qui se sont achetés une conduite pour faire oublier leur responsabilité?), de la prise en charge qui pourra être enfin holistique et bio-psychosociale.
    Les mécanismes de ce qui est bien une « démédicalisation » sont déployés dans un contexte de rationnement général des biens et services de soins, d’éducation et des services sociaux, d’arbitrages de coûts d’opportunité au détriment des soins de santé et de transfert du curatif vers le préventif largement confié à un secteur assistantiel territorialisé et low cost. Ils ne trompent personne dès que l’on observe les modèles comptables, ce qu’ils prennent en compte, ce qu’ils ignorent et ce qu’ils rémunèrent. Mais il faut faire ce travail intellectuel et d’observation, hélas peu prisé des chercheurs, pour résister à ce bla-bla nauséabond, ce ramassis de « foutaises managériales » fondé sur le culte du grand tout globalisé et indifférencié. Il fleure si bon la mystique systémique quand sa fonction est surtout d’être un réducteur de coûts induits par les blouses blanches, qu’il se vend bien chez le gogo bien portant en mal d’orientalisme. Tout comme il se vend bien chez l’outsider de santé, le professionnel qui se sent à tort ou raison « dominé » et qui se verrait bien en « intégrateur » à la vision globale, pourfendant l’excessive différenciation des spécialistes, ces trop « différentiés », ces trop « fragmentés » à la vue si étroite qu’elle ne peut que mériter d’être balayée par la révolution managériale, l’incarnation de la raison innovante. Vieille tension managériale entre différenciation et intégration qui est toujours instrumentalisée par les uns ou les autres.
    Il se vend bien avant tout chez les élus qui veulent être réélus.
    Machiavel sait mieux que tout autre diviser pour régner et ainsi va la santé, tout droit vers les soins low cost, résultat inévitable d’un modèle de performance publique fondé sur la défiance.

    L’immense entreprise de morale socio-sanitaire qui vise à imposer la concurrence comme forme de toute activité humaine y reste bien présente en toile de fond,

    • ce premier mythe la concurrence efficiente est constitutif de la doxa managériale de santé avec les deux autres qui sont: 
    • le mythe du « passager clandestin », ce déviant, ce mal radical, construit par toute entreprise de morale, avec la dénonciation des boucs émissaires que sont le malade irresponsable et le bureaucrate wéberien qu’il soit manager de santé, médecin ou soignant, 
    • le troisième étant le mythe du « projet » et de la rationalisation managériale, allant même jusqu’à prétendre à la capacité de prédire le visage de la « destruction créatrice », suprême volonté de puissance de la République de Platon au risque du « bougisme » et de « l’innovation destructrice ».

      Les trois piliers de la médecine dévoyée

      La « démédicalisation » est une « révolution », en quelque sorte, en ce sens qu’elle reproduit après un cycle les modes de pensée de l’époque de la Convention et la haine destructrice des collectifs. Bourdieu fait à juste titre de la destruction méthodique des collectifs le cœur du néolibéralisme jacobin de marché. La démédicalisation qu’on a appelé à tort médicalisation de la société, à la suite de lectures superficielles de Foucault et Illitch, se décline selon les trois piliers de la médecine dévoyée où les mots créent les choses:

      Médecine préventive: « mieux vaut prévenir que guérir », personne ne peut mettre cela en doute. Mais sur quelles preuves doit s’appuyer une médecine de moins en moins fondée sur les pratiques cliniques, qui prétend capter les ressources de plus en plus rares de la médecine dite « prescriptive », quand l’ensemble des dépenses de santé est soumis à un réexamen général en termes de « coûts d’opportunité »? Le tout préventif se joint au tout incitatif pour composer une nouvelle version de la « police sanitaire », l’avenir de la police médicale de Foucault, qui veille avec ses gardiens à la ré-ingénierie des comportements selon les normes de l’économisme orthodoxe, au constructivisme socio-sanitaire, mais aussi à la négation systématique des déterminants sociaux dans les modèles de production de la santé publique, qui cultive l’art d’ignorer les différences d’habiletés sociales que l’on n’a de cesse de naturaliser (ou capabilités d’Amartya Sen)

      Médecine prédictive: traduire ici par logique de risques financiers, calculabilité actuarielle, reddition de comptes calquée sur la normalisation comptable, exclusion calculée et rationalisée de ceux qui n’auront pas la « grâce » génétique, comportementale et /ou sociale d’être un faible inducteur de coûts. La médecine prédictive multiplie les marqueurs permettant dépister des maladies de plus en plus tôt, même et surtout s’il n’y a pas de thérapeutique, à partir de la génétique, des comportements à risque ou d’un environnement social dont il faudra attribuer la faute à « l’assuré » pour pouvoir déconstruire la solidarité et légitimer du point de vue de l’assureur l’aléa moral (je sélectionne les risques faibles et je fais payer à prix d’or les gros risques que je connais grâce aux informations que je détiens, notamment par le réseau interconnecté des Big Data que je fais tout pour maîtriser) et de la sélection adverse (je refuse de signer certains contrats trop risqués). Avec Akerlov (« the market of lemons »), il faut raisonner comme pour un marché de voiture d’occasions pour comprendre les limites de la théorie de l’agence appliquée à la santé.

      Médecine prescriptive: on aurait pu dire « curative« , celle qui diagnostique, traite (cure) et même soigne les maladies (care) quand on ne la pervertit par de modèles comptables absurdes, mais cette dénomination n’était pas assez péjorative, pas assez dévalorisante. Cette médecine est disqualifiée par la logique d’ajustement, trop coûteuse, trop axée sur l’autorité et la bienfaisance médicalisée, paternaliste, ce qui est vrai mais ne doit pas faire jeter le bébé avec l’eau du bain. 
      Enjeu permanent pour les assureurs, l’industrie pharmaceutique (qui investit aujourd’hui très vite le domaine du préventif) et les Big Data, elle est présentée comme cette médecine qui « normalise les être humains, uniformise et standardise, extirpe la différence dans les comportements (la psychodiversité…), devient un moyen de contrôle social et un gardien de l’ordre » (Phamacritique). Elle est, vice suprême, insuffisamment participative quand il faut « empouvoirer » le client et en faire un consommateur responsable de ses choix, même les pires. Elle est aussi insuffisamment scientifique au sens de l’EBM dévoyée et industrialisée par les nouveaux ingénieurs sociaux, pas assez intégrée car trop spécialisée, hospitalo-centriste, mandarinal-patrimonial-notarial-boutiquier, j’en passe et des meilleures etc. etc.

      Les risques du workfare et de l’évaporation holistique de la médecine 

      La médecine prescriptive est accusée de tous les maux, dont la « surmédicalisation » et la médicalisation de la société, un fantasme surtout cher au bien-portants quand il ignore aussi superbement une sous-fourniture de soins tout aussi préoccupante, sans parler des mésusages largement liées à la iatrogénie managériale. Le traitement social, la suppression qu’il permet d’une partie des déterminants des maladies, c’est bien, c’est indispensable. Mais prenons garde, face à ceux qui sautent comme des cabris en criant à l’hyper-médicalisation après Foucault et Illitch à ce que « l’art d’ignorer les pauvres » si bien décrit par Galbraith ne se dissimule pas aujourd’hui derrière une anti-médecine aux arrière pensées économiques de l’évaporation « holistique » de la médecine dans le social.
      Surtout, la médecine prescriptive, celle qui traite et soigne les « maladies » des « malades » (cure et care), ce concept considéré suranné et obscurantiste, que tous les professionnels de santé doivent oublier au nom de la nouvelle santé Bien-être définie par l’OMS en 1946 et raillée par Skrabanek, c’est bien ce dont il faudra parvenir à priver progressivement les citoyens, dans l’ordre décroissant défini implicitement par les politiques d’ajustement:
      • 1. Les ré-employables qui pourront rentrer « dans le jeu », mais qui verront inévitablement augmenter leur « reste à charge », à géométrie variable selon les assurances, ce d’autant plus qu’ils deviendront vieux et improductifs. Ils auront recours nous disent les réformateurs cyniques, avec tous les prétendus faux malades à la ‘pataclinique des fausses médecines alternatives.
        Nous assistons hélas à la Transformation de « l’universel » de la protection sociale solidaire en « assurantiel » à géométrie variable. Loin d’être une concession française de De Gaulle aux communistes comme le dit Kessler quand il caricature la « sécu », cette protection universelle est un pilier de ce que voulait promouvoir le conservateur Beveridge et qui a été rendu un temps possible par le « pacte keneysien », au lendemain de la deuxième guerre mondiale.
      • 2. Les malheurs immérités: risque vieillesse et risque dépendance/handicap. Extension de l’assistantiel (non « universel » mais dépendant des revenus, solidarité pour les pauvres devenant donc pauvre solidarité) pour les français du département ou des futurs avatars territoriaux de santé. Ceux là sont dores et déjà de plus en plus « démédicalisés » quand certaines associations crient encore à la limitation du « pouvoir médical » ou d’une réadaptation qui n’existe déjà plus tant elle a vite été remplacée par l’activation low cost  et les « filets de sécurité » du workfare.
      • 3. Les infortunes que le vice a produit (difficiles à distinguer selon la formule de Tocqueville), les déviants selon la nouvelle entreprise de morale sanitaire, les mauvais pauvres, les diabétiques mangeurs de gâteaux sous insuline, les mal observants, des traitements comme des injonctions de « l’éducation thérapeutique », les classes dangereuses, les futurs déremboursés… C’est là le futur reste à charge de la bonne vieille charité qui a quand même du bon quand tout le reste fout le camp et dont l’hôpital devrait enfin cesser de se foutre. Il devrait commencer avant tout par revoir d’urgence son modèle de normalisation comptable, ce veau d’or qui lui a fait depuis trop longtemps abandonner ses missions « d’assistance publique ».

      Une médecine intégrée, mais par qui? Attention aux faux amis!

      Répétons le, nul d’entre nous, à moins d’être misanthrope ou aveugle au problèmes du vieillissement et des maladies chroniques, ne peut être contre une « médecine intégrée », qui prévient, qui guérit et qui soigne, et qui serait, selon André Grimaldi « à la fois biomédicale, pédagogique, psychologique et sociale, où l’éducation thérapeutique du patient, et si nécessaire de son entourage, est essentielle. Médecine intégrée, mais aussi coordonnée entre les professionnels et entre la ville et l’hôpital. » 
      Cure et care voilà la grande affaire, mais de quoi s’agit-il concrètement? Dans deux remarquables articles publiés en 2001 dans Health Care Management review, Henry Mintzberg explorait la difficile articulation du cure et du care dans les système de santé:

      Managing the care of health and the cure of disease–Part I: Differentiation
      Health Care Manage Rev. 2001 Winter;26(1):56-69; discussion 87-9.
      Managing the care of health and the cure of disease–Part II: Integration
      Health Care Manage Rev. 2001 Winter;26(1):70-84; discussion 87-9.

      Mais voilà, la « médecine intégrée » elle même a plusieurs facettes selon le modèle d’articulation entre opérateurs organisateurs et financeurs (voir Figure 1). C’est aussi ce dont les « réseaux intégrés de soins » se font le chantre avec le managed care, le tout intégratif par les payeurs, unique ou mis en concurrence. Elle signifie aussi l’association de la médecine dite conventionnelle aux médecines alternatives non conventionnelles. On retrouve ici la tentation « holistique ». Cette acception ne me semble pas être « partie intégrante » du modèle de Grimaldi. Nous avons assez par ailleurs alerté le lecteur sur l’éternel combat entre médecins et charlatans, quand les nouveaux sophistes de santé, par leur rhétorique irresponsable, font la promotion de la ‘patamédecine dans laquelle ils entrevoient des soins low cost, sans doute pour malades imaginaires. Rien n’empêche toutefois que certaines de ces médecins acquièrent le statut de médecine factuelle, c’est parfois le cas (hypnose).
      Bref, l’intégration appelle à une juste coordination, à des mécanismes de liaison entre activités de plus en plus différenciées et segmentées le long d’une chaîne logistique de plus en plus complexe où il faut en même temps standardiser (push) et personnaliser des « produits » finaux (pull) dont la définition en santé est un enjeu de pouvoir trop peu rationnel pour ne pas être avant tout une arène politique. Quelle place sera laissée aux professionnels, aux collectifs, aux microsystèmes cliniques au contact du public? L’intégration est synonyme de contrôle et les contrôles tentent d’incorporer dans l’habitus des acteurs les modèles qui les fondent. N’en doutons pas, ils pourraient être autrement qu’ils ne sont.
      Je vous propose ici une traduction critique des « titres » de l’avant projet à partir du lexique fourni ci-dessus.
      Qui contrôlera les contrôleurs? Qui intégrera les intégrateurs? Qui gardera les gardiens?

      TITRE LIMINAIRE: RASSEMBLER LES ACTEURS DE LA SANTE AUTOUR D’UNE STRATEGIE PARTAGEE

      Liminaire ou fabrique du crétin sanitaire?

      C’était qu’avant, tous ces pauvres disciples d’Hippocrate, ils étaient divisés, égoïstes, uniquement mus par l’appât du gain, l’auri sacra fames, pour ce qui est des médecins libéraux, mais passagers clandestins et paresseux de la bureaucratie pour ce qui est des salariés. On les écrit comme tous enfermés dans leur logique étroite de petits boutiquiers, logique pourtant paradoxalement aggravée par la doxa néo-managériale, en pauvres enfants perdus privés du savoir des gnostiques des sciences sociales. On les caricature comme raisonnant primitivement dans une mentalité prélogique, attendant les lumières de la rationalisation néo-managériale. Enfin vint la lumière et voilà que la novlangue, ce terrible véhicule de la fabrique du crétin socio-sanitaire, put enfin éclairer les rejetons des corporations, perdus pour l’humanité depuis le désastre de la tour de Babel.

      TITRE I: RENFORCER LA PREVENTION ET LA PROMOTION DE LA SANTE

      Correction: entendre ici la promotion d’une certaine vision de la santé publique comme « entreprise de morale » (pour la sociologie critique, le terme est attribué à Howard Becker), une « police sanitaire » et biopolitique (Foucault), d’une société de contrôle (Deleuze, de l’activation néolibérale du « client » et du producteur (consumer empowerment du management orthodoxe). Nous l’avons déjà dit, suivant en cela bien d’autres, en assimilant avec une arrogance toute révolutionnaire la définition santé au bonheur des peuples, l’objet de la politique, l’OMS asservit la médecine à une vision utilitariste de l’action publique. Voilà en toute beauté le brave new world d’Huxley dont nul ne se demande plus « qui gardera les gardiens ». C’est à se demander où est passé le libéralisme politique.


      TITRE II: FACILITER AU QUOTIDIEN LES PARCOURS DE SANTE

      Correction: entendre ici promotion du managed care assurantiel, selon deux tendances la vente par tranche de salami de la sécu (les payeurs multiples remplaçant le payeur unique) et la capitation (dépenses fixées par des experts et par tête de pipe). Oser parler d’intégration des « parcours » quand les mythes rationnels utilisés conduisent à construire successivement des modèles de production dénués de sens pour les acteurs, une normalisation comptable qui en est issue en vue d’une reddition de comptes sous forme d’outputs myopes, une fausse qualité alibi qui renforce les catégories précédentes et les métiers qui en sont issus en boucles auto-référentielles, des business models de simple survie ou d’expansion, fondés sur les modèles d’allocation de ressources pseudo-marchands issus de cette normalisation: c’est vraiment marcher sur la tête.

      Surtout quand les pompiers pyromanes, prétendant par leur beau système aussi vérificationniste qu’infalsifiable libérer les merveilles de productivité de la « concurrence encadrée » ou « compétition régulée », parviennent à multiplier à la fois les défaillances de la main invisible du marché et de la main trop visible des managers. Comment mieux définir HPST 1 « l’arrogante » et HPST 2 la « coupable », « l’inavouée »?

      Comment peut-on nous faire croire à la rationalité de réformes aussi manifestement stupides à vue d’acteurs des soins? La technocratie qui reste fondamentalement allergique à l’esprit de profit dans l’action publique et la promotion défensive des trust anti-T2A paralysent ce que le libre marché pourrait éventuellement avoir de vertueux, je dis cela pour ceux qui y croient encore en santé, mais, en même temps, la concurrence encadrée par des résultats myopes et la religion des incitatifs vise à s’incorporer de façon irréversible dans l’habitus des soignants. Cela doit se faire s’il le faut en détruisant jusqu’au « ressort des âmes », pour paraphraser Renan, en y traquant l’altruisme, le souci de l’autre, l’humanisme médical du serment d’Hippocrate, comme on veut, jusqu’à l’extermination.

      Cela donne crédit à ceux qui prétendent que la faisabilité de l’ajustement autrement dit du rationnement  passe par la sidération complète des acteurs, fusse en les accablant d’indicateurs d’autant plus rémunérés qu’ils sont dénués du moindre sens. Bref plus c’est absurde et plus l’économie se fera à court terme, personne n’y verra rien et les élus seront ré-élus.

      Figure 1: petit guide de déniaisement sur la rhétorique des parcours

      TITRE III: INNOVER POUR GARANTIR LA PERENNITE DE NOTRE SYSTEME DE SANTE
      Correction: voilà la fameuse innovation disruptive de Schumpeter, mais ici miraculeusement domestiquée par le management public! Le corporate state se met au management stratégique. Mais Héraclite la bien dit: « le changement c’est tout le temps! »

      TITRE IV: RENFORCER L’EFFICACITE DES POLITIQUES PUBLIQUES ET LA DEMOCRATIE SANITAIRE


      Vielle ficelle de la rhétorique des nouveaux groupes « d’intérêt à l’universel », et des prédateurs qui les suivent: masquer les intérêts derrière l’enchantement et la mystification de mots dévoyés par des adjectifs.

      Nul ne peut douter que Georges Clemenceau, ce brillant esprit, aurait aujourd’hui dit son mot à propos de l’usage de l’adjectif « sanitaire », déjouant aussi aisément les pièges de l’infantilisation managériale qu’il avait bien vite démonté l’esprit de colonisation pédagogique, le déni de citoyenneté et la dépossession démocratique des peuplades soi-disant attardées défendus par Jules Ferry au nom d’un rationalité supérieure.
      Mais attention, aujourd’hui, la légitimité n’est plus ce qu’elle était. Pour ce qui a trait à l’action publique, la « proclamation de la primauté de la force sur le droit » que dénonce Clemenceau dans les discours de Jules Ferry, doit être légitimée par la rationalité des sciences sociales (Patrick Gibert).

      « la technologie de l’action publique, c’est la maîtrise des sciences sociales et non celle du droit ». Patrick Gibert

      « Il suffit d’ajouter « militaire » à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi la justice militaire n’est pas la justice, la musique militaire n’est pas la musique». Clemenceau

      « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes». Bossuet

      FIgure 2: La roue de la perte de sens (adaptation d’un schéma de Christian Morel)


      Quelques citations éclairantes pour finir

      « La promotion santé est un commerce d’avenir. Parce que son objet est le bonheur de tous, elle est à l’abri des critiques. Seuls les misanthropes ou les imbéciles pourraient d’ailleurs en formuler. La théorie est élaborée dans les départements universitaires par des experts et des consultants au service du gouvernement. » « La fin de la médecine à visage humain » de Petr Skrabanek – Extraits

      « Les buts que se donnent les mouvements de promotion de la santé sont si vagues par exemple « l’association quelle qu’elle soit d’une politique d’éducation de la santé et d’interventions organisationnelles, politiques et économiques destinées à faciliter l’adaptation des conduites et la modification de l’environnement qui améliore la santé » que le champ est grand ouvert à la construction de vastes pyramides administratives. La santé est vendue avec les mêmes méthodes qu’une nouvelle marque de poudre à laver. » Petr Skrabanek

      « On fait de la santé l’équivalent scientifique du bonheur. Le bio-stylisme remplace la droiture, le respect des convenances sociales et même des bonnes manières. Ce sont l’épidémiologie et la statistique qui ont fourni le gros des experts en bio-stylisme. Pour la réalisation de leur projet, ces hommes demandent et reçoivent sans peine l’appui des organes coercitifs de l’Etat. Ils sont épaulés par une armée de bureaucrates et d’assistants, là encore volontiers fournis en échange d’une parcelle de pouvoir. Petr Skrabanek

      Comme l’écrit Jouvenel: « Partout la gestion des intérêts généraux est confiée à une classe qui a un besoin physique de certitudes et adopte des vérités incertaines avec le même fanatisme qu’autrefois les hussites et les anabaptistes ». Aujourd’hui, l’épidémiologie est une source inépuisable de vérités douteuses que des tours de passe-passe statistiques changent en certitude. » (« Une médecine coercitive »). Petr Skrabanek

      « D’une façon générale, l’évolution des réformes et de leur mode d’implantation, montre que ce qui est en cause n’est pas la disparition d’une éthique des moyens au profit d’une éthique des résultats (celle-ci est d’ailleurs déjà présente dans d’autres contextes nationaux). En matière de régulation et de rationalisation de l’activité médicale, la tension se situe entre une éthique que l’on pourrait qualifier de « proximité », car soucieuse de l’intérêt du patient visible, et une éthique de « santé publique », car prenant en compte les intérêts de la population. Dans le premier paradigme, le médecin se place en agent de son patient ; dans le deuxième il se place en agent de la société. » Philippe Mossé . La rationalisation des pratiques médicales, entre efficacité et effectivité


      « Les frontières du système de soins doivent s’estomper pour se fondre dans les autres systèmes du système de santé, pour pouvoir parler véritablement de système de soins de santé. Le financement des soins est à présent soumis à des contraintes de « coût d’opportunité »» Marc Brémond



      Esculape vous tienne en joie,

      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, gouvernance, loi HPST, Nouveau Management Public, Parcours de soins | Commentaires fermés sur La loi HPST 2 et la nouvelle fabrique de morale – Critique du néolibéralisme jacobin

      Nouvelle loi de santé: extension du domaine de la bureaucratie et destruction de la solidarité

      Autisme de l’action publique et micro-économie de la santé

      « Le management n’est pas une technique neutre mais une activité indissolublement liée à la politique, aux politiques publiques, aux droits et aux enjeux de la société civile. Il est toujours sous-entendu par des valeurs et/ou des idéologies. » Christopher Pollitt et Geert Bouckaert « Public Management Reform, a Comparative Analysis », 2004. Cité par Claude Rochet

      « La nouvelle santé publique, loin d’être neutre au plan des valeurs sur lesquelles elle s’appuie, s’inspire des valeurs de rationalité et d’efficience qui fondent l’intervention planifiée et justifient une technocratie du savoir (Gordon, 1991), tout en flirtant avec les mouvements idéologiques et sociaux qui les critiquent. » Raymond Massé 

      « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » Bossuet

      Ce qu’il faut retenir du projet de loi de santé de Marisol Touraine

      Loi de santé: une version intermédiaire passée au crible

      Présentation des orientations du projet de loi de santé : intervention de Marisol TOURAINE

      Loi de santé : la colère gagne les praticiens hospitaliers qui n’excluent pas un mouvement en septembre


      Les 4 points de crispation: Gouvernance contre les pleins pouvoirs aux directeurs – L’attractivité des hôpitaux oubliée – Les praticiens remplaçants, une « rustine » – Contre la constitution forcée des groupements hospitaliers de territoire

      Managérialisme et théorie de l’idiot rationnel

      La nouvelle loi de santé est marquée par la remarquable stabilité des enceintes mentales qui paralysent toute évolution du système de soin depuis des décennies. Aucune remise en cause substantielle de la très soviétique loi HPST n’est attendue. Cette loi donne pourtant pouvoir de vie et de mort sur des activités de soins à des directeurs soumis à des agences pourtant dépourvues des moyens d’évaluer les besoins territoriaux.
      Il ne faut guère espérer non plus de réforme importante de cet ersatz de départements hospitaliers à la française, les « pôles » qui auraient nécessité de très profondes réformes. Après de multiples réunions de concertation et les rapports qui en sont issus, la montagne a accouché d’une souris. Les conditions de fonctionnement des pôles à la française, souvent trop gros, parfois multisites et contre-productifs, assemblés souvent de façon obligatoire et à la hâte, sans cohérence médicale et donc sans pilotage fonctionnel,  ne semblent pas devoir beaucoup changer, au désespoir des chefs de services et responsables d’unités, et ce malgré les enquêtes aux résultats désastreux quant à la participation et la circulation de l’information. Mais les conférences de présidents de CME, de chefs de pôles et les fédérations en ont minimisé les défauts.
      On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont créé, ni avec ceux qui en ont bénéficié.
      La doxa n’a pas changé. L’efficience doit toujours naître de la rationalité managériale, des économies d’échelle permise par les nouveaux trusts obligatoires que sont les GHT. On ne rétablit pas le service public hospitalier mais un « machin » à coordination technocratique, peu ou pas médicalisé nommé Service Public Territorial de Santé. Les Départements d’Information Médicale (DIM), déjà menacés dans leur autonomie, dépendront de niveaux hiérarchiques ou nulle commission médicale ne pourra plus les protéger. Loin de « débureaucratiser » on aggrave encore la lourdeur effroyable et l’épaisseur de la pyramide sanitaire. On se gargarise de quelques mesures de prévention comme source miraculeuse d’économies substantielles et des « parcours », qui vont, après les « réseaux », réenchanter le paysage socio-sanitaire. et ses pratiques professionnelles. Comme si personne n’y avait pensé avant, à défragmenter, à décloisonner, alors que cela remonte au moins à l’époque on l’on a pensé le secteur psychiatrique. Personne n’avait non plus pensé à faire des lettres de sortie pour les malades quittant ou entrant à l’hôpital. De qui se moque-t-on?
      Mais les pompier pyromanes n’ont eu de cesse de dresser les acteurs les uns contre les autres dans une guerre de tous contre tous, par une série de réformes qui, depuis les années soixante dix, ont aggravé la fragmentation institutionnelle, temporelle, culturelle et financière entre hôpitaux soins de ville et secteur de l’action sociale/médico-sociale. 
      On enfume le vide abyssal de cette loi par une démagogie en direction des usagers, avec un peu de lutte contre les dépassements à l’hôpital, quelques filets de sécurité, le tiers payant et les actions de groupe, tout cela pour mieux masquer la destruction de la solidarité, l’augmentation vertigineuse du reste à charge et des inégalités réelles d’accès aux soins à rebours des incantations officielles. Il s’agit surtout de masquer le transfert scandaleux de l’organisation et du financement des « parcours » aux assurances privées à qui on vend la solidarité nationale par « tranches de salami » (Tabuteau). 

      L’ère du vide

      Ce prêchi-prêcha indigeste est à l’image des rapports qui l’ont précédé. Cet assemblage hétéroclite de vent, de démagogie, de « nouveaux métiers » digne d’un inventaire de Philip Muray et de novlangue digne de l’holistique new age ne doit pas nous empêcher de mesurer l’essentiel. Les « boucs émissaires » n’ont pas changé. Ce sont toujours le médecin calculateur égoïste, le manager exécrable gestionnaire d’un argent qui n’est pas le sien, l’élu local inculte en santé publique tout obsédé de ses administrés et de son hôpital et enfin l’usager irresponsable aux comportements à risque, qui ne pense qu’à surconsommer (overuse) des soins qui sont induits par l’offre selon l’économie orthodoxe. 
      Curieusement on ne voit guère les propagandistes de la « démocratie sanitaire » mettre en avant des modèles économiques de sous-consommation (underuse) et de mésusage des soins (misuse) alors que c’est bien le constat alarmant des soignants au quotidien, ceux qui pourraient décrire le caractère de plus en plus chaotique des parcours réels, faits d’abandon de suivi et de renoncements aux soins.
      La fausse solution, itérative, redondante et monotone tombe, toujours la même, toujours portée par la spirale de la défiance mais habillée de quelques nouveaux oripeaux de novlangue: faire la guerre à outrance à ces résistants au changement par l’innovation disruptive, par la répétition ad nauseam du dernier buzzword pas encore usé jusqu’à la corde, le « parcours » qu’on va décliner en supply chain management – entendre surtout réduire les temps de passage aux urgences et les temps d’hospitalisation en aigu et en SSR, par le contrôle de gestion, la comptabilité par activité, par la fermeture d’enveloppes financières jugées inutilement surdimensionnées, par le reporting, par la bureaucratie caporalisée, par la « déconcentralisation » (Pierru) qui paralyse les acteurs en les éloignant des processus de décision et d’information, la délation numérique des conflits d’intérêt (Sycophante 2.0 ?), par les incitatifs insignifiants, par la gestion fondée sur des indicateurs myopes, par la réduction de toute initiative décentralisée, de toute délégation réelle de gestion aux gens qui savent faire fonctionner des choses qu’ils connaissent intimement.

      L’ubulogie clinique: pour la vigilance critique et l’ingérence organisationnelle


      La première étape de l’ubulogie clinique, que nous définissons comme généalogie des régulations absurdes en médecine, est de mettre en évidence les trois grandes sources d’imposture scientifique que sont la rationalisation managériale, le régime de vérité sur la santé « Bien-être » et la microéconomie de la santé. Ces boites à outils peuvent bien sûr être objet de discours scientifiques, mais ce qui en fait un instrument d’imposture sont avant tout instrumentalisés dans des jeux de pouvoirs par des coalitions aux intérêts complexes et des appareils idéologiques de santé. Nous pensons qu’il s’agit de trois systèmes de « mythes rationnels » irréductibles l’un à l’autre, en premier lieu la maîtrise calculable du risque, en second lieu l’efficience supposée des incitations de « l’idiot rationnel » pour produire l’intérêt général et enfin la « grande santé » comme Bien-être économique et social et comme finalité de la politique. Le puzzle doctrinal qui associe managérialisme, économisme orthodoxe et cet holisme socio-sanitaire se combine de façon variable aux niveaux micro, méso et macro de la gouvernance publique. Rationalité marchande, bureaucratie managériale et « biopolitique », trois piliers de la nouvelle gestion publique en santé, ne peuvent sans doute pas être réduits à une seule et même logique. Chaque pays décline ainsi sa propre version du New Public Management.
      La seconde étape de la démarche ubulogique est d’expliquer pourquoi, malgré l’évidence de la supercherie pseudo-scientifique qui sous tend les politiques publiques de santé, jusqu’au contrôle par les appareils idéologiques d’Etat de la définition de la santé, de sa « fonction de production » et des ses « résultats », les acteurs continuent à faire comme s’ils ne savaient pas qu’on leur présente des simulacres de réalité à des fins de rationnement. La nouvelle santé publique, support idéologique de la fonction de production du Bien-être, de la culpabilisation de la victime du « workfare« , de l’intériorisation de la contrainte par le « consumer empowerment » et de la construction utilitariste du risque est le système de valeur qui sous-tend la rationalité des nouvelles politiques publiques de santé.
      .
      La question est donc de savoir pourquoi cette réalité de second ordre, socialement construite, leur convient. Pourquoi les parties prenantes des systèmes de santé, ces classes théoriques, qui ne sont que potentielles, à commencer par les médecins, entre autres « professionnels de santé », ne se constituent-elles pas en classe comme groupe mobilisé en vue d’objectifs communs? Éternelle question qui fait l’objet du dialogue entre Gramsci et Marx, au delà, des stratégies de « faisabilité politique de l’ajustement » ainsi que des travaux des sociologues et anthropologues qui tentent de les dévoiler.
      La webographie présentée ci-dessous commence par la critique de la théorie de « l’idiot rationnel » par Sen et par quelques autres textes clés. La critique des postulats fondateurs de la micro-économie de la santé, sous sa forme orthodoxe, pourrait éviter bien des bavardages mathématiques inutiles. Qui sont-ils censés tromper et à quelles fins?

      Webographie

      Textes en anglais

      3. The market of lemons. George Akerlov (nos corps sont-ils des voitures d’occasion?)

      Textes en français

      Micro-économie
      8. Micro-économie de la santé au Québec

      Santé publique, action publique, économie et biopolitique

      1. “La santé publique comme nouvelle moralité.” Raymond massé

      2. « Pas de philosophie, SVP, nous sommes des managers» Claude Rochet

      3. Du calcul économique à l’évaluation organisationnelle des politiques de santé Sophie Béjean et Maryse Gadreau

      4. Les formes contemporaines de la biopolitique Thibault Bossy et François Briatte

      5. Les sources libérales de la biopolitique Jérôme Lamy

      6. Le bio-pouvoir aujourd’hui. mardi 15 mai 2012, par Nikolas Rose, Paul Rabinow
      « Dans ce contexte, il est bon de se rappeler que la médecine est peut-être le site le plus ancien où l’on peut observer le jeu de la vérité, du pouvoir et de l’éthique en relation à un sujet ou aux possibilités du bien, ou, comme le disaient les Grecs, de la vie bonne. »
      7. Biopolitique, utilitarisme et libéralisme John Stuart Mill et les Contagious Diseases Acts Vincent Guillin Dans Archives de Philosophie 2010/4 (Tome 73)

      8. L’économique face à la santé

      Cette thèse montre comment l’Économique intègre la santé dans son corps théorique alors que l’économie de la santé peut être considérée comme une sous-discipline organisée de l’Économique. Il s’agit plus précisément de documenter cette étape du raisonnement économique où l’économiste doté d’un corps théorique et de méthodes économiques doit y incorporer l’objet étudié, ici la santé. Deux questions de recherche sont posées : 1) quelles sont les interactions entre l’Économique et la santé dans l’élaboration de théories économiques et 2) quels sont les choix de pratique qui se posent à l’économiste à cette étape du raisonnement économique où il intègre la santé aux théories économiques ? La réponse ne peut se faire que par une bonne connaissance de la santé. La première étape de cette thèse consiste donc à réunir et articuler des connaissances multidisciplinaires sur la santé. La santé est d’abord saisie au niveau individuel et est vue comme un lien normatif entre l’individu biologique et l’individu psychosocial. Elle est ensuite interprétée comme une norme collective et l’on voit une santé en quête d’État. On examine alors quel a été le traitement de la santé en économie de la santé. On constate que l’Économique a retenu certaines dimensions de la santé comme l’incertitude, les externalités et l’asymétrie d’information. Mais en même temps, elle a imposé une dimension économique à la santé en l’interprétant parfois comme une fonction de production ou une variable économique. Enfin, au niveau méthodologique, il apparaît que l’économiste fait des choix de pratique dont quatre ont été développés dans cette thèse : 
      1) le choix d’une conception particulière de la santé, 
      2) un choix éthique qui porte aussi bien sur les fins poursuivies par l’individu et par la société que sur un critère particulier d’allocation des ressources dépendant de la conception de la santé retenue, 
      3) un choix entre l’orthodoxie économique et la multidisciplinarité quant aux dimensions de la santé retenues, et 
      4) le choix d’un certain niveau de réalisme des hypothèses sur la santé.

      Dans notre prochain billet, nous analyserons la nouvelle division de la DGOS en sous directions et en bureaux




      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, économie de la santé, gestion des risques, gouvernance, Nouveau Management Public | Commentaires fermés sur Nouvelle loi de santé: extension du domaine de la bureaucratie et destruction de la solidarité

      Petit lexique de la marchandisation – Recherche solidarité désespérément

      L’Europe, l’Europe, l’Europe et la santé: qui veut encore défendre un modèle solidaire en France?

      « Je n’aime pas les socialistes parce qu’ils ne sont pas socialistes. 
      Je n’aime pas les communistes parce qu’il sont communistes. 
      Je n’aime pas les miens parce qu’ils pensent trop à l’argent. » De Gaulle
      « Ne confondons pas «patient centred» avec «client oriented». Etre centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine. » Bertrand Kiefer. Les dessous de la révolution du patient. Rev Med Suisse 2013;9:1656.
      La communauté européenne distingue au sein des services d’intérêt général (SIG) des service économiques d’intérêt général (SEIG) et des services non économiques d’intérêt général (SNEIG) (1) selon un certain nombre de critères, définis dans le texte sous ce lien, un modèle de santé « solidaire » et un modèle « économique » fondé sur la « vente de biens et de services » (2). Dès lors il est salutaire de constituer un petit lexique de vigilance critique articulé à ces nouvelles catégories.

      Petit lexique de la marchandisation

      La novlangue du Nouveau Management Public repose sur des mots terroristes, parfois appelés buzzwords. Conformément aux principes définis par Orwell, la novlangue doit opérer une réduction du vocabulaire pour limiter le développement de la pensée critique. Se déclarer méfiant face à un buzzword est extrêmement dangereux et la novlangue piège ceux à qui elle s’impose. Ainsi, nul ne peut vouloir mal entreprendre. Personne ne chantera les louanges de parcours de soins chaotiques. Qui rêve de désintégrer les trajectoires de soins? Celles-ci sont décrites a priori ou a posteriori en filières qui ne peuvent être pensées que comme fluides. Qui veut lutter contre l’efficience? Qui se fera le chantre de l’incoordination entre acteurs? Enfin personne ne portera aux nues le refus de la démocratie sanitaire. Voilà la force de la novlangue, l’absence de contraire! On sait, en bon management, qu’un concept qui n’a pas de contraire est soit inutile soit idéologique au service de coalitions d’intérêts dont le caractère collectif est rien moins qu’assuré.  Pire, il ne peut provoquer chez ses destinataires que perte de sens, injonctions paradoxales, cynisme et désarroi. (François Dupuy: « la fatigue des élites »)
      Un concept managérial est utile si l’on perçoit simultanément son opposé dialogique, celui avec lequel il forme le plus souvent un paradoxe: la connaissance et l’action se trouvent alors mieux éclairées par deux concepts en apparence inconciliables, comme la théorie ondulatoire et la théorie corpusculaire de la lumière.
      Ainsi, l’intégration des soins a un opposé dialogique, la différenciation des activités à la mesure des besoins, la centralisation s’oppose à la décentralisation, les motivations extrinsèques s’opposent aux motivations intrinsèques, l’internalisation s’oppose à l’externalisation, les connaissances tacites, implicites et procédurales, s’opposent aux connaissances déclaratives, enfin, la marchandisation des soins s’oppose à la solidarité.
      La véritable gouvernance ne peut être faite que de choix entre grands inconvénients, discutés entre parties prenantes. Dans un paradoxe, les réalités opposées ne sont pas vues comme exclusives mais comme hybridées, dans une relation dialectique. Qu’on le veuille ou non, les soins de santé sont une forêt de paradoxes. Ils ne peuvent se satisfaire de l’infantilisation managériale.
      • L’usage du mot « entreprise » dans le texte européen, bien qu’une entreprise puisse être publique, renvoie au modèle dit « économique » des systèmes de santé. La notion « d’hôpital entreprise » ne signifie pas la recherche partagée d’une organisation économe, efficace et efficiente répondant aux besoins de la population servie, mais bien la transformation de l’établissement délivrant des soins de santé en une organisation dédiée à la « vente de biens et de services ».
      • La « marchandisation », parfois nommée « commercialisation », peut être définie comme une dynamique qui fait passer les soins de santé d’un pays du modèle « solidaire » vers le modèle « économique ». Il peut s’agir de l’offre de soins ou des payeurs (assurances). Les motivations des politiques publiques ne seront pas abordées ici.
      • Le rappel de ces définition peut permettre aux libéraux et aux républicains, au sens français, de s’entendre. Mais n’oublions pas que le mot « libéral » est un mot piégé et ô combien polysémique.
      • la « filière » est un concept d’économie industrielle (chaîne de valeur ou filière intégrée de Porter, mais aussi supply chain ou chaîne d’approvisionnement). Il favorise l’intégration verticale de l’offre,   mais permet aussi d’externaliser ce qui n’est pas considéré comme avantage compétitif. L’environnement conduit l’intégration verticale à s’accélérer au détriment de l’indispensable différentiation horizontale des activités, sous les contraintes de survie à la T2A et la formation des grandes verticalités de groupes. L’intégration verticale suit les contraintes de la planification et des business models imposés par l’Etat (définition des « résultats » de la production des soins, planification des autorisations, gouvernance, modèles comptables et systèmes de paiement) et l’amont prend le contrôle de l’aval sous forme de « filières inversées ».
      • La « coordination » est un mot valise synonyme de contrôle et d’intégration. L’évolution de la demande de soins et l’incapacité des soins extra-hospitaliers à réagir à une variation brutale d’autonomie, quelle qu’en soit la cause, entraîne un afflux croissant de patients aux urgences d’un hôpital dont le modèle reste purement « curatif ». Cette « machine à guérir » s’interdit d’analyser les déterminants des hospitalisations ne relevant pas des process comptables de « l’usine à soins », cure,  mais de ceux du care (secteur social et médico-social, séparé du sanitaire par les lois successives à l’origine de la fragmentation institutionnelle et financière à la française). Ses flux sont alors « poussés » par les besoins de la chaîne de production (push), et non « tirés » selon le résultat attendu par le malade au terme de la chaîne de valeur (pull, visant l’outcome).
      • Bed et buffer management paralysent et dénaturent un hôpital qui ignore par construction la lutte contre le handicap évitable et les déterminants socio-environnementaux de la santé. Survie économique oblige et la formation de collusions et de trusts sous contrôle des payeurs est partout favorisée, au nom de la défragmentation du système, sous l’habillage rhétorique de la « coordination » (accountable care organizations aux USA et ailleurs). Les pompiers pyromanes alimentent encore et encore le cercle vicieux de la dépendance évitable et de l’institutionnalisation au détriment du financement des soins extra-hospitaliers.
      • Entre le marché et la hiérarchie il y a le « réseau », plus souple que la bureaucratie mais minimisant les coûts de transaction. Les réseaux « d’en haut » ne marchent pas, les réseaux d’en bas si, pour peu qu’on ne les détruise pas par des machins de coordination bureaucratique, car ils dépendent d’équipes socio-sanitaires et de liens d’autant plus fragiles qu’elles sont instables.
      • Le « parcours » est un concept assurantiel qui vise par le managed care, à prendre le contrôle de l’offre et mettre en place des casemix de type « groupes homogènes de parcours » définis à partir de processus standardisés, pour des « épisodes de soins » artificiellement délimités, a fortiori pour les maladies chroniques. Ces parcours seront mis en concurrence dans une value based competition (Porter) nouveau modèle d’assainissement asphyxiant des faux marchés ainsi créés au profit de la véritable marchandisation. Cette managed competition sera supportée par les paiements prospectifs par épisode de type bundled payments, maintenant que la T2A est usée, n’a pas fait ses preuves et montré ses effets pervers surtout quand elle n’est pas régulée par des garde-fous. Plus l’unité de paiement couvre un épisode long, plus le risque est supporté par l’offreur au profit du payeur. Voilà le cœur du modèle invisible auquel nos élus semblent s’être résignés.
      • La démocratie sanitaire est la transposition rhétorique de la gouvernance d’entreprise (corporate governance) où le patient devient le bras armé des ayant-droit, les shareholders ou « payeurs », qui ont tous les droits et doivent être protégés en priorité selon Milton Friedman.
      • Le dialogue social et la responsabilité sociale des organisations, associés à la démocratie sanitaire, sont la transposition rhétorique de la réingénierie générale des emplois et compétences par un Etat stratège qui s’arroge au nom des nouvelles expertises de santé tout le contrôle du modèle de production de l’action publique. Le principe de cette innovation disruptive (Christensen) est de substituer les motivations intrinsèques et le « tout incitatif » aux motivations intrinsèques des acteurs du soin à commencer par les médecins dont il faut sidérer par tous les moyens la revendication d’autonomie professionnelle.
      • Plus que jamais la sophistique du Nouveau Management Public confond « orientation client » et « centrage patient« , dans sa prétendue « révolution du patient« , enfin placé, dit-on, « au cœur du processus de soins » (Bertrand Kiefer).

      Entre libéraux, républicains et néo-cons: l’art d’ignorer la solidarité

      Attention aux « faux amis ».

      Ne confondons pas secteur libéral en médecine et secteur commercial: pour un médecin libéral dont les honoraires sont remboursés selon des tarifs conventionnels, le caractère variable de sa rémunération selon l’activité  ne suffit pas à classer son activité dans un système commercial.
      Il ne faut pas non plus confondre comptabilité basée sur l’activité selon les nouveaux modèles hospitaliers, même en cas de pseudo-marchés avec des tarifs (T2A), et « modèle économique » au sens de l’Europe. 
      Mais dès lors qu’on parle de « tarifs », il faut être très vigilant sur les interprétations européennes qui viseraient à ne plus y voir que du « tout lucratif ». Pensons ici aux attaques régulières de la FHP au sujet de la convergence tarifaire et la prétendue concurrence déloyale du secteur public, en feignant d’oublier que justement il n’est pas (encore) dans un secteur concurrentiel. Ces prétendues atteintes à la libre concurrence s’inscrivent dans les modèles promus par le consensus de Washington, appliqués au sein de l’ALENA et des programmes d’ajustements structurels. Mais les « tarifs » de la T2A, tout comme les « actes » en libéral, ne sont que de clés de répartition comptables d’enveloppes désormais fermées, elle ne reflètent rien d’un véritable marché qui n’existe pas en l’occurrence et en aucun cas ne peuvent être assimilés au prix de la vente de biens et de service.
      L’absence de revalorisation des honoraires en secteur 1 pousse évidemment le secteur libéral à évoluer vers un système plus commercial avec augmentation du reste à charge, remboursement variable selon des assurances privées déguisées en mutuelles au prix d’une inégalité croissante d’accès aux soins. De même la multiplication de produits marchands comme la vente des chambres seules, même rémunérées par les assurances privées, dans les hôpitaux publics ou PSPH est inquiétante. Peut-on encore parler de mutuelles quand, « soumises à la concurrence des assureurs privés, les mutuelles sont contraintes à des regroupements/restructurations et à mimer le fonctionnement des compagnies d’assurance privées qui gagnent des parts de marché. « (Grimaldi)

      La marchandisation de la santé, dans une recherche google rapide ne semble pas être un problème pour les partis politiques français, en dehors du PCF et du parti de gauche.
      Mais enfin, cela signifie-t-il qu’il n’y a plus en France ni droite sociale ni gauche de gouvernement attachée aux principes de solidarité et d’universalité de 1945 ?
      Comment en sommes nous arrivés là dans ce pays qui se pique de « droits de l’homme » et ne semble plus capable que d’accorder de pseudo-droits formels sous forme de cache-misère?

      Tous ces partis dits « de gouvernement » semblent acquis au mythe du marché efficient en santé. Marché efficient, incitatifs pour calculateurs égoïstes, mais bien entendu régulés par « l’Etat stratège » qui dresse son portrait en despote éclairé par les nouvelles sciences et techniques de gouvernance. Assurément un nid de sages philosophes éclairés par la raison selon le vœu de Platon. C’est la définition du néo-libéralisme! Il y a véritablement une maladie de la pensée politique de gauche comme de droite au sujet du marché, comme l’a montré James K. Galbraith dans l’Etat prédateur.
      Nos socialistes ont tellement peur d’être les derniers marxistes qu’ils seront les derniers néo-cons.
      Et si on cessait de nous sur-administrer tout en nous accablant de leurres marchands, en nous faisant un peu plus confiance, à nous autres médecins, comme aux autres parties prenantes?

      Webographie

      1. Contre la marchandisation des soins de santé: où l’on voit qu’il y a en France un complot du silence qui cache les assurances privés derrière les « mutuelles »

      Marchandisation et mondialisation des soins de santé: Les leçons des recherches de l’UNRISD

      Frédéric Pierru – Réforme du financement de la santé: la raison politique prime sur la raison économique

      La réforme du système de santé vise avant tout à préserver des équilibres politiques qui s’inscrivent dans la longue durée

      La privatisation rampante du système de santé. André Grimaldi

      Comment financer la croissance des dépenses de santé ? Brigitte Dormont
      Voir aussi les dépenses de santé un augmentation salutaire (Cepremap)

      La santé n’est pas à vendre Bruxelles Santé n°68 – octobre 2012

      Le 25 mai, défendons la santé !

      Manifeste du « Réseau européen contre la privatisation et la commercialisation de la santé et de la protection sociale » Bruxelles, le 07 février 2014

      Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophone

      2. Rappel des textes européens

      2.1. Les services d’intérêt économique général: SIG, SEIG et SNEIG

      Les SIEG sont une partie des SIG
      « Parmi eux (les SIG) figurent les SIEG, qui, comme leur nom l’indique, comprennent uniquement aux services économiques, c’est-à-dire correspondant à la vente de biens ou de services. Le Livre blanc de la Commission en donne quelques exemples : « les services fournis par les grandes entreprises de réseaux, comme les transports, les services postaux, l’énergie et la communication ». Ces services-ci restent soumis aux lois du marché et de la concurrence, dans une certaine mesure seulement. Ils peuvent y déroger si cela est nécessaire à l’accomplissement de leur mission d’intérêt général. »

      2.2. Des compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général

      « Dans certains États membres, les hôpitaux publics font partie intégrante d’un service de santé national et leur fonc­tionnement repose presque intégralement sur le principe de solidarité ( 10 ). Ces hôpitaux sont financés directement par les cotisations de sécurité sociale et d’autres ressources d’État et fournissent leurs services gratuitement à leurs affi­liés sur la base d’une couverture universelle ( 11). La Cour de justice et le Tribunal ont confirmé que lorsqu’une telle structure existe, les organismes en question n’agissent pas en qualité d’entreprises ( 12 ). »

      2.3 La sécurité sociale: un modèle solidaire, compatible avec les règles européennes de la concurrence, car celles-ci ne lui sont pas applicables

      3. Une explication? L’état prédateur James K. Galbraith, Seuil, 2009

      Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant, Paris, Seuil, coll. « Économie humaine », 2009, 311 p. 
      « Galbraith montre comment briser l’emprise magique des conservateurs sur les esprits de gauche. » Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie.

      5. Portrait du MEDEF en appareil idéologique de santé – La déconstruction de la solidarité

      La médecine de parcours? Ce n’est pas la médecine intégrée et centrée patient à laquelle nous aspirons tous mais l’autre nom du managed care, ici le plus injuste et le plus créateur d’inégalités inacceptables d’accès aux soins. Voilà en clair ce beau modèle:
      « Nous avons le souci de préserver le modèle de la sécurité sociale basé sur une prise en charge collective, tout en proposant des pistes d’évolution. Notre modèle réaliste met l’accent sur un premier pilier, qui est le panier de soins financé par le régime général de sécurité sociale, recentré sur les soins et services essentiels, qui pourrait être allégé d’une dizaine de milliards d’euros pour faire rentrer davantage les complémentaires dans le système, puisqu’elles sont revenues obligatoires pour les salariés, dans le cadre de l’accord ANI. Le tout sans fermer la porte à une option de sur-complémentaire d’assurance, individuelle, qui pourrait être encouragée par l’Etat. »

      Le MEDEF a de la suite dans les idées.

      Concluons comme nous avons commencé

      « Il faut prendre les choses comme elles sont car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités.
      Bien entendu on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en criant, l’Europe, l’Europe, l’Europe, mais cela n’aboutit à rien et ne signifie rien.
      Je le répète il faut prendre les choses comme elles sont. Comment sont-elles…? » De Gaulle


      Le cercle vicieux (adapté de: the coming of age Website: www.audit-commission.gov.uk)



      Esculape vous tienne en joie.

      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, loi HPST, Nouveau Management Public, Parcours de soins | Commentaires fermés sur Petit lexique de la marchandisation – Recherche solidarité désespérément

      Intégration par les payeurs: la sophistique de l’Etat prédateur

      Le parcours de vie, le territoire et la démocratie sanitaire ou la construction politique de l’insignifiance
      « Qu’aucune chose ne soit, là ou le mot faillit. » Stefan George (Das Wort)

      « Il n’y a rien de si difficile à distinguer que les nuances qui séparent un malheur immérité d’une infortune que le vice a produit.» Tocqueville

      Un commentaire des deux monuments de novlangue accessibles plus bas

      Cela devait arriver. A force d’utiliser les nouvelles techniques de propagande et de marketing social, les politiques publiques de santé publique en viennent à produire des rapports inconsistants, filandreux, écrits sur du vent théorique, articulant des concepts si ambigus et si instables que les professionnels, les managers, les élus et les usagers ne peuvent plus y trouver que la perte du sens du soin et l’imminence de nouvelles catastrophes gestionnaires. Hélas, trop peu d’entre eux oseront le dire. Voici pourquoi:

      L’intégration de la médecine, oui, mais par qui?

      Chacun ne peut que souhaiter que les parcours soient intégrés autour des patients et cela dans un cadre territorial. Qui se ferait le chantre de la fragmentation ou le champion de filières surréalistes déconnectées des territoires comme celles qui traversent l’Île-de-France, concentrant tous les gros équipements dans Paris? L’intégration est un buzzword , un mot-valise, potentiel support de toutes les balivernes. Il s’agit avant tout de savoir qui est l’intégrateur et quels sont ses motivations.

      Il est plus que probable que la configuration décrite par Frédéric Pierru dans son article intitulé « le Mandarin, le gestionnaire et le consultant » va continuer à se mettre en place, avec ce que cela implique de complaisance résignée et de complicité soumise pour les médecins. Les médecins français resteront trop divisés pour affronter le double rouleau compresseur du Nouveau Management Public et d’une déprotection sociale déployée par un Etat prédateur qui avance masqué pour ne pas avouer le rationnement des soins. Trop de collègues se prosternent déjà ou feront allégeance au modèle dans la vénération du discours ambiant sur l’intégration des « parcours de soins » et « l’intégration territoriale » par les agences promotrices de la « démocratie sanitaire ». 
      La belle affaire! Personne n’y avait pensé avant, à cette révolution du patient qui le met, avec ses nouveaux besoins au cœur des processus de soins. Nos révolutionnaires de santé, avec leurs promesses de lendemains qui chantent, nous rejouent la scène primitive de l’anti-médecine à la fois utilitariste et hyper-libérale, au nom de l’intérêt collectif face auquel l’intérêt individuel doit rester seul (Le Chapelier) et au nom de l’extermination des savoirs intermédiaires, toujours d’emblée disqualifiés par le positivisme scientiste.
      Une intégration excessive, idéologique et surtout guidée par la prétendue connaissance des coûts d’opportunité d’une politique de plus en plus utilitariste, va hélas produire son pendant, bien connu en management. Plus elle est pétrie de l’arrogance et de la toute puissance planificatrice issue des Big Data, plus elle reste ignorante des finalités cliniques individuelles pour le patient et du fonctionnement intime des systèmes cliniques. C’est le chemin de la dédifférenciation des structures, de la destruction des compétences, des cautères gestionnaires mis sur les jambes de bois qu’ils ont amputé eux-mêmes, de la perte de sens de la motivation et de l’attractivité face au management low cost déguisé en lean. C’est aussi la voie toute tracée de la contre-performance à moyen terme qui peut conduire à l’extinction totale ou partielle de l’organisation, qu’elle soit voulue et organisée par des managers de transition ou non. 

      Une typologie inspirée de Philip Muray

      Parmi les médecins, les managers, les cadres et autres professionnels confrontés à la « ré-ingénierie disruptive », on distinguera suivant la terminologie inspirée de Philip Muray:

      • Les « moutons de Panurge »: ils sont par nature confiants vis à vis des politiques publiques et s’émerveillent de toute nouveauté portée par la sophistique managériale au nom de l’Etat social qu’ils croient encore en progrès et/ou au nom du « changement disruptif » qui apportera enfin le marché en santé, sans doute rendu efficient par le reporting.
      • Les « matons de Panurge »: ils savent de quoi il retourne, mais ils le cachent car ils ont besoin de nouer des alliances avec le nouveau management ou risquent simplement la porte et/ou la maltraitance, notamment pour les cadres de santé. En cas d’intolérance trop forte à l’ambiguïté les matons de Panurge rejoindront le premier groupe par le phénomène de rationalisation des motivations et des souricières cognitives.
      • Les « mutins de Panurge » sont chargés du rôle des « transgresseurs contrôlés », garant d’un faux débat démocratique, pour mieux valider le modèle hégémonique. Ils sont partout, en indispensables « chiens de garde ».
      • Les « autres », les résistants, au changement bien sûr, et tous les petits techniciens de santé de base sont privés de parole, sinon de cadres de pensée par absence d’accès aux données, sur le sens de leur action dans des « activités » désormais conçues ailleurs notamment par le marketing social. Ils n’ont qu’à bien se tenir entre « exit, loyalty or voice », si donner de la voix reste encore possible face aux petits tyranneaux du New Public Management. En bons petits exécutants ils doivent être tolérants aux injonctions paradoxales et leurs compétences seront évaluées sur leur « savoir-être » face à ces injonctions par leurs employeurs managers de santé. Il ne leur reste qu’à entrer dans le jeu des pseudo-marchés et de la concurrence régulée par des résultats myopes, à renoncer à leurs motivations intrinsèques pour ne plus suivre que les carottes motivationnelles extrinsèques pour « idiots rationnels » (l’acteur théorique de l’économie orthodoxe selon Amartya Sen). 

      L’organisation malade du management: un système ultrapyramidal

      Nous ne reviendrons pas ici sur la question de la fixation de l’Ondam et du budget des services sociaux, ni sur la définition nécessaire d’un panier de protection sociale universel, ni sur les multiples pertes de chances induites par une hyper-rationalisation technocratique du système de soins qui n’a jamais fait ses preuves.  Nous ne reviendrons pas non plus sur les moyens possibles d’améliorer la performance en s’appuyant sur les partie prenantes alliées, motivées, loyalement informées, impliquées dans les processus de décision qui les concernent et reconnues plutôt qu’engagées dans une guerre de tous contre tous, à l’opposé de leurs valeurs, pour la production de résultats à courte vue. Sous enveloppe financière trop contrainte tous les systèmes de paiement sont mauvais, conduisant à l’inflation de actes,  à la sélection des malades « rentables », aux sorties d’hôpital ne visant que le « déstockage » le plus rapide permettant la valorisation d’un nouveau séjour. Le bed management, les ubuesques PRADO organisés par les payeurs en lieu et place d’équipes de soins désintégrées, qu’on a rendues exsangues et dépourvues de moyens pour optimiser les parcours hospitaliers complexes et les sorties difficiles, voire le buffer management ou déstockage en unités de soins de suite « tampons » parachèvent le placage de machins gestionnaires sur un système qu’on n’a eu de cesse de détériorer en ne le considérant que comme une pure « usine à soins ».

      Il nous aujourd’hui que non seulement on interdit aux cliniciens de se soucier du résultat clinique à long terme (outcome) mais que de plus, on leur en ôte les moyens, prétendant sans la moindre preuve y pallier autrement. La fragmentation institutionnelle et financière, en particulier celle des soins et du social, ne sait produire que son auto-aggravation.

      Insistons seulement sur la métaphore organique de l’entreprise, celle du management et d’une planification stratégique qui sait tout, voit tout, peut tout, détermine d’en haut les objectifs et les exécute en les contrôlant. Elle permet d’entrevoir les causes du mal qui ronge l’organisation de notre système de santé: une conception managérialiste et mortifère de l’exécution des politique de santé, descendant dans un « système pyramidal » dont on multiplie les couches pendant qu’il est privé de toutes ses boucles de régulation, de leurs afférences et de leurs efférences vitales. C’est une organisation rendue volontairement « parkinsonnienne » en quelque sorte, qui va perdre l’équilibre en courant après son modèle comptable. Une véritable euthanasie bureaucratique des services publics et de la protection sociale solidaire, pour reprendre l’expression de Claude Rochet.

      « O vous qui avez l’entendement sain
      Voyez la doctrine qui se cache
      Sous le voile des vers étranges
      Dante, L’enfer, chant IX, 61-63.

      Essai de modélisation du New public Management comme résultant de l’alliance de la technocratie industrielle et du marché contre les professionnels. L’alliance de l’Etat industriel et du marché assure le contrôle de l’offre par les payeurs, les « shareholders », de la corporate governance de santé. Exit l’intérêt des partie prenantes (stakeholders)

      Quand les politiques publiques confondent la santé avec le bonheur et prennent le contrôle de la médecine, c’est alors « l’hôpital se fout de la charité »!

      Les documents

      Florilège de novlangue n°1

      PARCOURS DE SOINS PARCOURS DE SANTE PARCOURS DE VIE

      Exercice: citez les think tanks de santé repérables dans le document, comme l’Institut Montaigne (Claude Bébéar, promotion du managed care par les assurances, mises en concurrence…)

      « La notion de parcours répond à la nécessaire évolution de notre système de santé afin de répondre notamment à la progression des maladies chroniques qui sont responsables de la majorité des dépenses et de leur progression. Leur prise en charge transversale implique de multiples intervenants et réduit la place historiquement majeure des soins aigus curatifs au profit des autres prises en charge. La spécialisation croissante des professionnels de santé amplifie le phénomène. L’optimisation des parcours des patients et des usagers s’impose ainsi progressivement comme un axe transversal structurant des systèmes de santé. (…) Les parcours ont une notion temporelle (organiser une prise en charge coordonnée et organisée tout au long de la maladie du patient) et spatiale (organiser cette prise en charge sur un territoire, dans la proximité de son domicile). »

      Florilège de novlangue n°2

      Stratégie nationale de santé : Marisol Touraine reçoit le rapport Devictor sur le service public territorial de santé 23 avril 2014

      et quelques autres illustrations du problème…

      L’ennemi interne par Jean-Claude Desforges sur le site « Hôpital et Territoires »

      Le retour raté du service public territorial de santé dans la Lettre de Galilée Les perles de la sophistique managériale y sont surlignées en jaune

      « La coopération se construit dans l’amont de la rencontre avec le patient ».
      « Il s’agit de mettre au travail des soignants rompus à l’exercice singulier, sur un amont de cet exercice qui est de niveau organisationnel et de les amener à questionner leurs pratiques en se confrontant à d’autres modes d’exercice que le leur et à d’autres façons de répondre que la leur »

      LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT (en ligne!)

      Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Frédéric Pierru – Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 – n° 194 pages 32 à 51

      « La rhétorique managériale finit même par adopter des formulations à ce point vide de contenu qu’elles n’ont pas de contraire. Avoir l’ambition d’être un leader est engageant, mais qui souhaite adopter la posture du suiveur? Etre le champion de l’excellence est sans doute motivant mais qui rêve d’être celui de la médiocité? Non seulement les mots mais aussi la parole perdent leur sens, générant chez ceux qui écoutent cynisme et désarroi. » François Dupuy « La fatigue des élites« 

      Esculape vous tienne en joie.

      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, loi HPST, Nouveau Management Public, Parcours de soins | Commentaires fermés sur Intégration par les payeurs: la sophistique de l’Etat prédateur

      La réingénierie disruptive des professions de santé


      « Rien n’est permanent sauf le changement. » Héraclite

      Documents: innovation disruptive et stratégie du choc

      1. Infirmière clinicienne spécialisée : éléments de cadrage pour les missions, la formation et l’emploi (ARS-IDF 2013)

      2. Nurse Practitioners and Primary Care. Federal and state laws and other policies limit how these professionals can help meet the growing need for primary care. 

      (“Health Policy Brief: Nurse Practitioners and Primary Care,” Health Affairs, October 25, 2012.)

      3. L’infirmière clinicienne en bonne voie d’être reconnue… (Infirmiers.com 13.11.13) 

      4. Vers une pratique avancée pour les professions paramédicales (Infirmiers.com, 31 mars 2014)

      5. Débat autour du futur métier d’infirmière clinicienne (Actusoins, 28 mai 2014)

      voir aussi Future Loi de Santé : l’UNOF­CSMF dit NON aux infirmières cliniciennes

      6. Nurses Are Not Doctors Dans le New York Times du 29 avril.

      « Nurse practitioners have been promoted as a cost-effective way to meet this need. Medicare currently reimburses nursepractitioners only 85 percent of the amount that it reimburses primary-care physicians. Paying less for the same work would appear to be a way to save health care dollars. »
      « But are nurse practitioners actually more cost-effective? There is a dearth of good recent empirical research on this question, but some studies have suggested that the answer is no. »
      Harv Bus Rev. 2000 Sep-Oct;78(5):102-12, 199. Christensen CM, Bohmer R, Kenagy J.
      Traduction d’un extrait de l’article de Christensen et al.
      Will disruptive Innovation cure Healthcare? Harv Bus Rev. 2000 Sep-Oct;78(5):102-12, 199. Christensen et al.

      Le commentaire: Quand la Harvard Business School réinvente les officiers de santé

      « Rien n’est permanent sauf le changement » nous enseigne Héraclite. Les professions ne sauraient échapper à cette loi, certaines disparaissent et d’autres naissent, en santé comme ailleurs. Si Schumpeter a décrit la « destruction créatrice », les écoles de management tentent de l’apprivoiser avec le concept d »innovation disruptive, en prétendant imprimer au devenir le caractère de l’être. Mais la prévision reste un art difficile, surtout quand elle concerne l’avenir.
      Dans leurs efforts pour prétendre maîtriser l’entropie du monde, il est stupéfiant de voir à quel point les grands architectes de la santé nous prennent pour des ânes! C’est encore plus évident lorsque les réformateurs importent sans le dire des modèles de management et d’économie industrielle des universités américaines ou canadiennes. Nous avions eu droit à la « chaîne de valeur » de Michaël Porter, à sa « filière intégrée » transformée en « filière de soins ». Le terme de « filière » qui assimile les patients aux produits d’un chaîne de production, est exceptionnellement utilisé à l’étranger tant il fait penser à la filière bovine où l’usager a tout sauf son mot à dire. C’est notamment le cas quand la qualité de la chaîne d’aval se détériore sous l’action d’une stratégie poussée de déstockage des hospitalisés et d’une intégration verticale guidée avant tout par l’efficience comptable. L’élasticité à la qualité de l’aval n’est pas la même après AVC et prothèse totale de hanche. Le lieu de rééducation après prothèse se négocie à l’avance, mais pas celui qui suit un AVC.
      Les mots s’usent et dès lors qu’ils ne trompent plus grand monde ils ne sont plus guère opérationnels. Place donc, aujourd’hui, au « réseau facilitateur » de Clayton Christensen, le salut des malades perdus dans des « parcours de soins », trop fragmentés par les pompiers pyromanes qui prétendent résoudre les problèmes avec les modèles qui les ont créés, viendra des nouveaux réseaux en ligne type Google et Youtube. Ces nouveaux réseau sociaux créeront, dit-on, de l’intelligence collective, supportée par le futur customer empowerment
      Tout ce beau « knowledge marketing« , ces Marketing & information and communication technologies (MICT) qui s’inscrivent dans la perpective  de « Transformative Consumer Research« , prétendent mieux valoriser les « expertises d’usages » pour intégrer les consommateurs dans la création de valeur au sein d’un marché. Pourquoi pas? Mais cela suppose pour avoir un minimum de sens:

      1. que le produit ne soit pas défini artificiellement et à court terme à partir des données du reporting par une économie industrielle en « filières inversées », poussée à partir de l’amont,
      2. qu’il réponde, dans une contexte d’asymétrie d’information aux vrais besoins des malades en termes d’outcome, en tenant compte de leur complexité réelle, celle qui n’est pas justement pas captée par le système d’information, et en tenant compte des déterminants réels de l’hébergement hospitalier.
      3. que si l’outcome individuel du patient ne se dilue pas dans la guimauve de « l’impact » décrit en termes de santé Bien-être. Ce modèle de fonction de production utilitariste de l’action publique, qui confond santé et bonheur des peuples, asservit inéluctablement la médecine à la politique, comme il asservit l’intérêt individuel à l’intérêt collectif. 
      La sophistique managériale avec ses mots-valises, déploie ce changement disruptif dans une atmosphère de crise. La stratégie du choc sidère les acteurs par des indicateurs aussi myopes que ce que le système est fragmenté. Cela se traduit par une complaisance résignée à une prochaine déshospitalisation foudroyante, par la complicité soumise à un virage ambulatoire qui risque de singer la version canadienne des « Invasions barbares » laissant bien des malades sans système de soins ni d’accompagnement pérenne. Si un virage ambulatoire est possible, il ne peut se réduire à des soins low cost, particulièrement au regard d’une réadaptation dont la couverture sociale est menacée.
      Quelle evidence based policy supporte ces décisions? Il ne s’agit encore une fois que de mythes rationnels, au service de la rationalisation d’un rationnement des soins encore couverts par la solidarité nationale, rationnement dont la nécessité économique n’est même pas prouvée.
      Voici que la Harvard Business School a réinventé les « officiers de santé », et nos politiques publiques trouvent cela bien séduisant, bien propre à enfumer usagers professionnels et élus, en dépit des prévisions relatives à la démographie médicale. Que feront tous ces médecins rendus inutiles? L’auto-soin, guidé par le consumer empowerment et par la ré-ingénierie des attitudes et des comportements de santé, permettra des économies substantielles, l’infirmière clinicienne guidée par les process industriels remplacera les généralistes qui, éclairés par l’EBM, remplaceront les spécialistes. Ceux-ci rejoindront sans doute alors un hôpital transformé en grand plateau ambulatoire où l’on gardera quelques lits pour les malades qu’on ne peut pas ne pas coucher et pour les incurables, les inéducables, et n’en doutons pas, considérés comme inrééducables.
      Plus que jamais le patient, promu en « client » « empouvoiré », sommé de faire des choix de consommateur averti face à d’ubuesques palmarès produits à cet effet, sera le bras armé du payeur, mais n’en sera pas moins laissé pour compte.
      Les parcours ne seront pas moins chaotiques dans un système toujours plus fragmenté, entre universel et assistantiel ou soins et social, entre santé physique et mentale, entre premier, second et énième recours, entre aigu et SSR etc. quand on les aura accablés de nouvelles et coûteuses coordinations bureaucratiques, de reporting exponentiel et de nouveaux trusts sanitaires de survie à la T2A (les « coordinations obligatoires ») plaqués au-dessus du mille-feuille et des tuyaux d’orgue actuels.
      Michaël Porter, avec son modèle de « value based competition« , viendra compléter la légitimité de la prise de pouvoir des payeurs, puisqu’il s’agit d’étendre le modèle de la T2A à l’échelle des parcours, des « groupes homogènes de filières » en quelque sorte. Ce sont les bundled payments par épisodes de soins (aigu post-aigu et ambulatoire), qui minimise le risque pour les payeurs, et dont la gestion ne pourra plus se faire à l’échelle d’un établissement à taille humaine mais seulement à celle d’une grande organisation imputable (Accountable Care Organizations ou ACO) comme dans l’Obamacare. Inutile de préciser que les assureurs vont proposer de larges regroupement d’offreurs intégrés avec les acheteurs de soins. (A Working ACO Model: Integrate Health Care Purchasers and Providers to Lower Costs)
      Médecine intégrée, oui, mais par qui?

      « Ne confondons pas «patient centred» avec «client oriented». Etre centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine. »
      Esculape vous tienne en joie,

      Source: Healthcare System Overview (Khan Academy)

      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, économie de la santé, Nouveau Management Public, Parcours de soins, performance | Commentaires fermés sur La réingénierie disruptive des professions de santé

      Quand l’art de la médecine se perd dans l’art de subsister

      Les documents

      1. Tarifs journaliers des hôpitaux : des écarts considérables « inadmissibles », dénonce une enquête

      2. A l’hôpital, des frais opaques et inégaux facturés aux patients

      3. Arrêté n °2013137-0005 signé par Directeur général de l’agence régionale de santé de l’île de France le 17 Mai 2013 Agence régionale de santé Tarifs journaliers de prestation 2013 APHP

      4. L’hospitalisation d’un émir relance le débat sur l’accueil de riches patients étrangers LE MONDE – 19.05.2014 à 10h37

      5.Tarifs journaliers pour 2013, établissements publics et privés non lucratifs en Île-de-France. Le fichier existe en format Excel, vous pouvez essayer de le demander à l’ARS- Île-de-France ou aux Fédérations d’établissements.

      6. T2Amours, mon pays et Paris

      Le commentaire

      Pour les malades non pris en charge par l’assurance maladie, les tarifs sont négociés entre établissements et Agences Régionales de Santé (ARS), comme l’indique l’arrêté concernant l’AP-HP. 
      Professionnels et usagers devraient avoir accès aux données du tableau des tarifs franciliens comme des autres régions, réalisé par les ARS, accessible aux directions d’établissements. Cet accès doit être favorisé dans le cadre plus général de l’accessibilité aux données de santé, clé d’une véritable démocratie.
      Pour les étrangers payants, qu’ils soient émirs ou non, ces tarifs journaliers peuvent aboutir à des montants supérieurs à trois fois le tarif « sécu », si l’on considère les tarifs en T2A pour les soins aigus. 
      Ils servent aussi de base au calcul du ticket modérateur de 20 % (article du QdM)
      Il en est de même pour les SSR si l’on considère le prix de journée recalculé à partir de la DAF, malgré son opacité totale, et notamment pour les hôpitaux de jour.
      Les émirs et autres patients payants, y compris ceux réglant seulement le « tiers payant », sont donc bien rentables. Ils permettent de compenser partiellement l’asphyxie financière programmée des établissements publics et privés non lucratifs que ces tarifs journaliers concernent. 
      Ce qui serait inacceptable pour les soignants, ce serait de voir cohabiter des soins de luxe pour les malades payants et des soins low cost pour les malades relevant de la solidarité nationale.
      Il y a déjà trop de renoncement aux soins, alors que les éthiconomes nous rebattent les oreilles de la surmédicalisation et des gains d’efficience attendus de la réduction des soins, prescriptions et examens inutiles.
      La réalité tangible qui émerge de nos constats quotidiens au contact de nos patients, c’est que si l’on réduisait la sous consommation (underuse) avec autant de vigueur qu’on dénonce la surconsommation, les dépenses de santé augmenteraient, même en s’organisant mieux, ce qui supposerait ce stopper le processus de « déconcentralisation » actuel et d’associer les médecins à la gestion dès le niveau « micro ». Il faut alors mieux définir les contours de la solidarité nationale et le niveau des recettes nécessaires en se libérant des fausses expertises asservies aux lois des marchés politiques. Science et politique sont deux choses différentes. L’oublier conduit au déni de citoyenneté et de la dépossession démocratique. L’oublier conduit à une hyper-bureaucratie débridée, légitimée par une EBM dévoyée de ses objectifs par les modèles d’économie industrielle qui nous accablent depuis les années soixante-dix, bien cachés derrière une prétendue « démocratie sanitaire » sous contrôle des agences et de l’Etat régulateur.
      Nier la demande en ne considérant que la demande induite par l’offre n’a jamais été la solution.
      Des agences? Peut-être, mais au service des parties prenantes (stakeholders), usagers, professionnels et payeurs et non au service des seuls payeurs (shareholders), priorité réelle du beau modèle de pertinence de l’OCDE: « Mesure selon laquelle les objectifs de l’action de développement correspondent aux attentes des bénéficiaires, aux besoins du pays, aux priorités globales, aux politiques des partenaires et des bailleurs de fonds. »
      Esculape vous tienne en joie,

      Quelques textes de Frédéric Pierru pour comprendre les paradoxes de la loi HPST

      Frédéric Pierru – Réforme du financement de la santé: la raison politique prime sur la raison économique
      La réforme du système de santé vise avant tout à préserver des équilibres politiques qui s’inscrivent dans la longue durée

      LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT (enfin en ligne!)
      Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Frédéric Pierru – Le Seuil; Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 – n° 194 pages 32 à 51

      L’«hôpital-entreprise» Une self-fulfilling prophecy avortée

      Hospital Inc. Le secteur hospitalier à l’épreuve de la gouvernance d’entreprise – Frédéric Pierru


      Napoléon au pays du Nouveau Management Public. Frédéric Pierru. L’exemple de la « déconcentralisation » de la politique de santé

      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, économie de la santé, Ethique, gouvernance, Nouveau Management Public | Commentaires fermés sur Quand l’art de la médecine se perd dans l’art de subsister

      Abrégé de décomposition sanitaire: les paradoxes de la loi HPST


      « La rhétorique managériale finit même par adopter des formulations à ce point vide de contenu qu’elles n’ont pas de contraire. Avoir l’ambition d’être un leader est engageant, mais qui souhaite adopter la posture du suiveur? Etre le champion de l’excellence est sans doute motivant mais qui rêve d’être celui de la médiocité? Non seulement les mots mais aussi la parole perdent leur sens, générant chez ceux qui écoutent cynisme et désarroi. » François Dupuy « La fatigue des élites

      « Ne confondons pas «patient centred» avec «client oriented». Etre centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine.» Bertrand Kiefer, revue médicale suisse.
      Entre la main invisible du marché et la main trop visible de l’Etat, il y a « ce que sait la main », qu’on a trop longtemps ignoré

      Nous débutons ce florilège par deux texte de Jean de Kervasdoué. Ils permettent de comprendre pourquoi personne n’est vraiment prêt à toucher à la loi HPST, les libéraux y voyant la promotion de la main invisible du marché et les républicains celle bien trop visible de l’Etat. Nous poursuivons avec quelques autres textes qui illustrent pourquoi cet immobilisme provoque une fuite en avant dans le management public le plus destructeur qui soit. Les politiques publiques « macro » sous forte contrainte d’ajustement retentissent inévitablement sur le méso-management des établissements et sur les micro-systèmes fragiles que sont les équipes de soins. La destruction des savoirs professionnels qu’ils soient individuels ou collectifs est en marche (figure 1). Les pertes de chances pour les patients sont l’effet de choix tragiques  rationalisés par les politiques publiques que l’on demande aux médecins et au delà à tous les soignants d’assumer (figure 2).


      3.L’ennemi interne de Jean Claude Desforges  ou le blues du directeur d’hôpital: Texte paru dans  » Hôpital et Territoires » écrit par un ancien directeur.


      4. HÔPITAL: La réorganisation des soins viendra de l’intérieur – NEJM

      Comment un tel prêchi-prêcha de comptoir pour MBA de la santé  a-t-il pu s’insinuer au plus haut sommet de l’Etat? Les sophistes et les énarques savaient au moins nous enfumer dans les règles.
      (…) »la coopération se construit dans l’amont de la rencontre avec le patient ».
      « Il s’agit de mettre au travail des soignants rompus à l’exercice singulier, sur un amont de cet exercice qui est de niveau organisationnel et de les amener à questionner leurs pratiques en se confrontant à d’autres modes d’exercice que le leur et à d’autres façons de répondre que la leur »
      6. « A Doctor’s Declaration of Independence »
      It’s time to defy health-care mandates issued by bureaucrats not in the healing profession. » (Une tribune du Wall street journal du 28/04/14)

      7. Chine: comment produire des statistiques fiables (la question des Etats quantophréniques)

      Rappelons à cet égard la loi de Goodhart qui s’applique à chaque niveau de gouvernance (macro, méso et micro).
      « As soon as the government attempts to regulate any particular set of financial assets, these become unreliable as indicators of economic trends. » 
      Ou plus simplement « Quand une mesure devient un indicateur, elle cesse d’être une mesure ».

      8. Une profession de l’Etat providence: le directeur d’hôpital.  François-Xavier Schweyer


      9. Loi HPST: l’entrée dans le paradigme du tout incitatif en question. Elsa Boubert

      Pour comprendre 



      13. L’avènement de la gestion par pôle Dernier avatar de la lutte de pouvoir à l’hôpital? Robert Holcman

      14. Le mandarin, le gestionnaire et le consultant Frédéric Pierru.  

      Une explication sociologique de la « trahison des clercs »- Retour sur une mobilisation improbable : l’action collective des hospitalo-universitaires contre la réforme de l’hôpital public

      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, économie de la santé, gouvernance, Nouveau Management Public, Parcours de soins | Commentaires fermés sur Abrégé de décomposition sanitaire: les paradoxes de la loi HPST

      Des défaillances du méso-management ou vers l’irresponsabilité sociale de l’entreprise hôpital


      Servitude 2.0: quand le constructivisme social rencontre la responsabilité sociale des entreprises


      « Je ne cesse de le répéter depuis deux ans : nous les Entrepreneurs, nous pouvons être à ce siècle encore tout jeune, ce que les instituteurs ont été à notre IIIè République. L’école était chargée de former le citoyen, c’est à l’entreprise aujourd’hui de lui apprendre le nouveau monde. Les instituteurs étaient les messagers de l’universel républicain, les entrepreneurs sont aujourd’hui les porteurs de la diversité de la mondialisation. Les instituteurs détenaient la clé de la promotion populaire. Nous, les entrepreneurs, nous sommes les moteurs de l’ascension sociale. Comme eux, nous devons contribuer à rendre le monde lisible. » Laurence Parisot. (L’entreprise comme nouveau modèle éducatif : quels enjeux, quelles conséquences ?)

      Les documents :

      1. Le manager intermédiaire ou la GRH mise en scène. Anne Dietrich

      2. Gestion par les compétences et nouvelles formes d’organisation du temps et de l’espace. Valérie Devos Laurent Taskin.

      Le commentaire :

      Cet article bien documenté décrit la cadre du management intermédiaire et comporte une analyse critique intéressante de la gestion des ressources humaines. Il nous laisse aussi sur notre faim et nous amène à nouveau au constat que ces concepts s’appliquent toujours très mal aux organisations hybrides, «professionnelles», par nature très décentralisées horizontalement et verticalement comme l’hôpital ou l’université. Il s’agit de celles où, au sens de Mintzberg, les professionnels sont les experts.
      Pour juger du bon usage des outils du management dans les systèmes de soins, il faut distinguer les finalités de rationnement «d’en haut» de l’habillage rhétorique manipulé par les «professionnels de l’Etat-providence», en quelque sorte « de droit divin ». 
      • La Gestion des Ressources Humaines (GRH) défend les objectifs du top management en prétendant défendre les employés. Elle vise à internaliser le contrôle de la notion de «compétence» en l’asservissant à la notion de performance interne (outputs myopes) et en la faisant échapper à toute régulation extérieure (aux organisations professionnelles entre autres). 
      • Le contrôle de gestion défend les objectifs du top management en prétendant défendre les « payeurs » et/ou les contribuables qui sont éventuellement en amont. Le modèle, toujours arbitraire, des « objets de coûts » détermine le découpage des « activités » consommées par la « production » et ce découpage détermine la réingénierie des compétences. En comptabilité « il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations », selon le mot célèbre de Nietzsche. 
      • La bureaucratie de la qualité top down défend les objectifs du top management en prétendant défendre les usagers, d’où «l’effondrement tranquille de la qualité» (Daniel Lozeau). 
      Nous avons vu que le management intermédiaire est une des cibles principales du Nouveau Management Public. Les comportements des managers intermédiaires, je pense ici à nos directeurs d’hôpitaux, était prévisible dès lors qu’on en a fait les seuls patrons de l’hôpital mais sous les incitatifs d’agence doublé d’un système hiérarchique.
      Le mal qui accable le système de soins, qui détruit aujourd’hui les compétences, la qualité qui compte souvent très éloignée de celle qu’on compte, les motivations et partant l’attractivité, ne vient donc pas uniquement du management, ensemble d’outils qui peuvent être bien ou mal utilisés, mais des politiques macro-économiques et de la «régulation» macro. Elles mettent les managers sous «incitatifs» (HPST a été décrite comme une loi du «tout incitatif») et écartent comme des gêneurs les médecins de la gestion, de la conception même des «activités», en ignorant au risque de les détruire toutes les habiletés organisationnelles, les vraies compétences clés, à la fois collectives mais aussi très largement liées aux disciplines d’exercice, concept dont je concède qu’il reste à préciser. Peut-on nous accable davantage de ce counter-evidence management? Nul ne peut être contre la performance, mais c’est le modèle de performance publique et son mode de contrôle qu’il nous faut interroger.
      Il s’agit dans la corporate governance ou gouvernance d’entreprise de protéger les payeurs contre un management jugé irresponsable d’un argent qui n’est pas le sien, idée ancienne déjà présente dans l’œuvre d’Adam Smith. Appliqué à l’action publique ce paradigme impose de construire un «modèle de production». Celui-ci est double, composé du modèle de Fetter de « l’usine à soins », intégré à un modèle «d’impacts» économique et sociaux construit par les sciences sociales à partir du modèle de santé «tout politique» de l’OMS. Celui-ci ne peut conduire qu’à une explosion de l’utilitarisme et à ses inférences politiques. Rien ne permet d’affirmer qu’elle peut être conduite par petite une caste de clercs aristocratiques qui échapperaient miraculeusement aux lois des marchés politiques et s’arrogeraient le monopole du Bien commun. C’est ainsi que le service public de droit divin, dont le principe théocratique d’infaillibilité est issue de l’ancien régime et du droit canon, s’autodétruit à grande vitesse, se fait prédateur de lui-même, certes aidé par le vrai marché qui se régale de ses dépouilles.
      Les modèles orthodoxes « macro » étant ce qu’ils sont, guidés par une raison instrumentale hautement limitée, c’est alors que le méso-management ajoute ses propres défaillances en créant des faux besoins, de la sous- qualité fumigène, de la contre-efficience et du non-sens, comme Drucker, Galbraith, Mintzberg et bien d’autres l’ont dénoncé. Mintzberg a toujours suggéré qu’on associe les «professionnels» qui connaissent intimement les «méthodes», les habiletés procédurales, à la gestion. Nulle autorité omnisciente, même soutenue par un reporting 2.0 maquillé en démocratie horizontale et en innovation disruptive, ne garantit celle des experts d’en haut conte des parties prenantes bonnes à asservir, à surveiller et à punir. Je suis plutôt partisan d’un payeur unique et contre la vente par appartements de la protection sociale aux assureurs mais s’il est sans doute souhaitable de réduire le bicéphalisme entre « sécu » et DGOS, n’oublions pas que ce n’est qu’une toute petite partie du problème. On ne peut guère améliorer l’efficience , elle qui serait supportée par un modèle pluraliste, sans en remettre en cause ni les modèles mécanistes descendants ni la gestion macro-économique.
      Le problème du méso-management est soit complètement ignoré, soit trop considéré comme la source exclusive du mal quand il faudrait incriminer l’Etat-machine de droit divin à la française et le mythe des pseudo-marchés régulés qu’il utilise actuellement comme arme de destruction massive des microsystèmes cliniques, mais… au profit ou par l’intermédiaire du libre marché? Rappelons-nous l’Evangile selon Sainte-Laurence cité en préambule. Dans la «guerre des dieux» de Max Weber, quel est celui qui se cache derrière la «sainte» et parle par sa bouche? Certainement pas Esculape.
      La T2A, a fortiori en laissant libre, voire en encourageant si ce n’est en rendant «obligatoire» (dernières propositions de la FHF) la constitution de collusions et trusts de survie qui limitent d’emblée les effets théoriques de «compétition régulée», a montré qu’elle n’était qu’un moyen de mettre la gestion des hôpitaux «à portée des caniches», pour mieux rationner les soins, en écrasant toute résistance du sens de l’action de la part des professionnels, mais certainement pas un triomphe du marché. Le mythe du marché efficient n’était qu’un prétexte.
      La solution? Interdire l’opium aux intellectuels, arrêter de croire au père Noël de la République de Platon, aplatir le Mille-feuille et tenter de se mettre à l’intelligence territoriale en y incluant par exemple et entre autres les professionnels de l’hôpital, les vrais, pas les MBA!

      Webographie sur la GRH et la fabrication des compétences

      1. Quelques définitions et citations à propos des compétences

      2. De la fabrication des compétences

      3. A. DIETRICH (2002) «Les paradoxes de la notion de compétence en gestion des ressources humaines», Economie et Sociétés, série Sciences de Gestion, n° 31 (nécessite un compte SCRIBD; sinon voir référence 9: Didier Cazal et Anne Dietrich)

      4. Où en est le paradigme corporatiste ?

      5. La logique de compétence. Stéphane Haefliger

      6. Les enjeux de la logique de compétence. Jean-Pierre Durand

      7. Incitations comportementales et environnement – centre d’analyse stratégique

      8. Connaissances et compétences – Education le chantier en ruine

      9. COMPETENCES ET SAVOIRS : ENTRE GRH ET STRATÉGIE ?

      10. La performance comme dispositif de gestion ou la construction sociale de l’insignifiance. Jean-Luc Metzger. en pdf: http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RES_134_0263
      et
      http://www.cairn.info/revue-reseaux-2005-6-page-263.htm

      11. L’ensorcelante ambiguïté de « savoir, savoir-être et savoir-faire «. Jean-Jacques Guilbert

      12. LES APPROCHES CRITIQUES DE LA « RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE » ET LEURS RETOMBEES OU « RESPONSABILITE SOCIALE DES ENTREPRISES ? »

      13. Savoir, Savoir-faire et savoir-être : repenser les compétences de l’entreprise. Thomas Durand

      14. Exigences de qualité et nouvelles formes d’aliénation. Sami dassa, Dominique Maillard

      15. Savoir-être et compétences (1/2 et 2/2) mercredi 16 janvier 2008, Charlène Durand

      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, économie de la santé, gouvernance, loi HPST, Nouveau Management Public | Commentaires fermés sur Des défaillances du méso-management ou vers l’irresponsabilité sociale de l’entreprise hôpital

      Critique de la bureaucratie compétitive

      Prendre soin du travail*: contre le flicage, le fichage et les indicateurs myopes


      « L’administration par objectif est efficace si vous connaissez les objectifs. Mais 90% du temps vous ne les connaissez pas. » Peter Drucker

      « Une organisation bureaucratique serait une organisation qui n’arrive pas à se corriger en fonction de ses erreurs et dont les dysfonctions sont devenues un des éléments essentiels de l’équilibre. » Michel Crozier

      Les documents

      1. « A Doctor’s Declaration of Independence »

      It’s time to defy health-care mandates issued by bureaucrats not in the healing profession. » (Une tribune du Wall street journal du 28/04/14, transmise par Anne Gervais)

      2. Plafonner les dépenses de santé n’a plus de sens (Le Monde, accès limité)
      Comment financer la croissance des dépenses de santé ? Brigitte Dormont

      3. L’hôpital Robert Debré fichait ses agents

      Mais «on peut conformément à la loi suivre l’activité de chaque salarié», plaide Martin Hirsch «pour assurer aux Français que l’argent mis à l’hôpital est bien utilis黫On est comptable de l’activité des personnes qui travaillent à l’AP-HP, vis-à-vis des patients» qui s’y font soigner, dit-il.
      Il y a quelques jours, sortait l’affaire des médecins, fichés comme « corrects » en bleu ou « faiblards » en jaune, à l’hôpital Georges Pompidou. Cette fois, ce sont 43 aides-soignants et puéricultrices de la maternité de Robert-Debré qui sont fichés selon leur comportement, révèle Le Canard Enchaîné.
      Du côté des médecins hospitaliers, le Pr Bernard Granger juge ce fichier« illégal », « scandaleux » et « diffamatoire ». Selon le psychiatre de l’hôpital Cochin (Paris), d’autres fichiers de ce type suscitent « préoccupations et interrogations » de la communauté médicale. L’hôpital de Brest et les hôpitaux parisiens de Cochin et Sainte-Anne sont cités. Et le praticien de conclure, fataliste : « en réalité, il y en a partout ».
      « Que fait l’ARS (Agence régionale de santé), que fait la ministre devant ce flicage aussi illégal que diffamatoire de l’administration hospitalière de l’AP-HP? Auront-elles le front de couvrir ces « outils de management » comme le fait la direction générale de l’AP-HP? », s’interroge-t-il.

      5. What managers really do? Henry Mintzberg. Wall Street Journal. 2009

      (le « deeming »: le management « à portée des caniches »)

      « Today I think we have much too much managing through information—what I call « deeming. » People sit in their offices and think they’re very clever because they deem that you will increase sales by 10%, or out the door you go. Well, I can do that. My granddaughter could do that; she’s four. It doesn’t take genius to say: Increase sales or out you go. That’s the worst of managing through information. »

      6. La surveillance et le people processing (Blog de Pierre Fraser)

      7. Hôpital : l’évaluation des médecins par les directeurs est un abus de pouvoir potentiellement dangereux pour les patients et que dénonce le SNAM-HP

      8. EVALUER LES MEDECINS SUR DES QUANTITES D’ACTES: CONTRE DES PRATIQUES MANAGERIALES INADAPTEES A L’HOPITAL PUBLIC

      9. La déontologie médicale face aux impératifs de marché

      « Le contexte normatif marchand, créé par la politique publique, influence la conception d’une activité médicale adéquate. Elle peut donc produire des effets non désirés : augmenter les dépenses et accroître les problèmes d’accès aux soins. »

      10. Marchandiser les soins nuit gravement à la santé – Revue du Mauss

      Le commentaire

      La médecine face au cercle vicieux bureaucratique

      La déclaration d’indépendance du Dr Craviotto doit être considérée comme une alerte de plus dans un système bloqué et devenu incapable de s’écouter. Mais que faire sans une théorie de l’action, sans une critique radicale du phénomène bureaucratique qui frappe aujourd’hui nos systèmes de santé?
      Henry Mintzberg, dans « What managers really do« , en bon médecin des organisations, décrit une maladie du management actuel, peut-être une maladie infantile des Big Data, autrement dit de la collecte démesurée de données interconnectées permise par les NTIC et les nouveaux systèmes d’information, qu’il nomme « deeming« . On peut traduire ce terme par management à l’évaluation. De nombreux sociologues des organisations dont François Dupuy insistent sur ces maladies du reporting et les méfaits de ce qu’il nomme le  « couple infernal intégration-processus » (« Lost in management »)
      Rappelons ci-dessous le schéma du cercle vicieux bureaucratique de Crozier – Vous trouverez un schéma plus complexe du cercle vicieux bureaucratique sous ce lien
      « Une organisation bureaucratique serait une organisation qui n’arrive pas à se corriger en fonction de ses erreurs et dont les dysfonctions sont devenues un des éléments essentiels de l’équilibre » (Michel Crozier)



      Typologie des zones d’incertitudes
      Il y a quatre types de sources d’incertitude (et donc quatre grandes sources de pouvoirs) pertinents pour une organisation :
      1) celle découlant de la maîtrise d’une compétence particulière et de la spécialisation fonctionnelle
      2) celle qui sont liées aux relations entre une organisation et ses environnements
      3) celles qui naissent de la maîtrise de la communication et des informations
      4) celles qui découlent de l’existence de règles organisationnelles générales
      Une variante intéressante

      La guerre des dieux et « l’extension du domaine de la manipulation »

      «Le médecin n’est pas au service de la science, de la race ou de la vie. C’est un individu au service d’un autre individu, le patient. Ses décisions se fondent toujours sur l’intérêt individuel.» Théodore Fox, ancien rédacteur en chef du Lancet
      La raison instrumentale a par nature la capacité d’ingérer ou plutôt d’intégrer tous les concepts: dans le schéma suivant, les « objectifs » peuvent être définis d’en haut et planifiés par le management stratégique, les règles peuvent être définies par les « experts » sans les parties prenantes concernées, les compétences peuvent être définies par et pour le contrôle de gestion comptable et les valeurs peuvent être définies comme valeurs « instrumentales », au service de l’entreprise dont la promotion est pilotée par le management stratégique.
      A l’inverse, les compétences peuvent être approchées comme compétences distinctives de l’organisation, source des véritables processus clés et d’apprentissage de nature procédurale et largement implicite, et les valeurs peuvent renvoyer à la « rationalité en valeur » de Max Weber. La rationalité en valeur doit être rapprochée de la rationalité « procédurale », non déclarative. Elle s’oppose à la rationalité substantielle d’un acteur ou d’une organisation supposé capable d’une calcul et d’une prédiction qui pourrait tout programmer à partir des finalités ultimes, transformant ainsi en moyens une succession de finalités intermédiaires. Les résultats de ces micro-processus sont alors transformés en indicateurs dépourvus de sens pour les professionnels. 
      La rationalité procédurale (implicite, sous-tendue par des schémas perceptifs et d’action appris « en faisant ») est à la fois norme déontologique qui contraint, faute de procédures déclaratives applicables et appropriées à chaque situation, et en même temps « manière de faire » qu’on désire, selon l’état de l’art et « ce que sait la main ». Faute d’un chemin prédéfini pour nos décisions et nos malades dans un contexte par nature incertain et contingent, le chemin ne peut se construire qu’en marchant.
      Concevoir les hôpitaux comme des chaînes de montage de produits définis par des ingénieurs dans le cadre d’une planification industrielle et se représenter les acteurs du soin comme des idiots rationnels et égoïstes mis en concurrence par des indicateurs myopes, tout cela appartient à un modèle cohérent où tout se tient mais qui ne pouvait conduire qu’à des résultats médiocres, à une gestion contre-performante, qu’il s’agisse de pertinence des soins, d’efficacité ou d’efficience. Elle ne pouvait aboutir qu’à la baisse simultanée du taux de motivation et de la qualité des soins.
      Dans le langage de la « guerre des dieux » de Weber, il faut concilier la rationalité de l’action publique, prompte aux dérives utilitaristes et comptables au nom du Bien-être collectif, les rationalité du marché, prompte à ignorer les externalités négatives dans la dynamique du profit et la rationalité prudentielle des médecins et des professions soignantes promptes à ignorer des dérives catégorielles au nom de l’humanisme et du résultat individuel pour le patient qu’ils servent.
      On peut dire aussi qu’il faut concilier trois marchés ayant des logiques radicalement différentes: celui des payeurs, celui des talents et celui des bénéficiaires.
      Attention les logiciels de la rationalisation managériale mangent tout. Tout concept est un outil qui peut être transformé en buzzword.

      La société bloquée. Comment sortir de ces querelles de fous?

      Jamais le constat de Marcel Gauchet d’une « querelle de fous » entre « libéraux et républicains » n’a été aussi éclairant. Le cafouillage managérial et marchand qui nous accable dans la version française du Nouveau Management Public est désastreux pour le système de sons, pour les malades et pour tous les acteurs du soin. Face à l’absence persistante d’evidence based policy, face aussi aux défaillances que nous constatons dans l’organisation et la qualité des soins, force est de constater que la compétition régulée repose sur un système aussi artificiel que délétère de « produits » et de catégories du reporting. Ces modèles ont été définis pour servir l’illusion d’une rationalisation instrumentale « d’en haut », dont l’autre nom est cette bonne vieille « direction par objectifs ». Elle peut dès lors se gérer par les « résultats »  à courte vue de « processus » dont ont peut économiser les « ressources », autrement dit « faire du chiffre » au moindre coût. Cette rationalisation, qui est en même temps une série d’inférences causales de nature politique servie par les sciences sociales, ne peut descendre que sous la forme d’un managérialisme calculant et comptable. L’alliance avec le marché, le vrai, celui des cabinets de conseil, des gestionnaires de données, des offreurs de soins, des assurances et de l’industrie pharmaceutique n’est que de circonstance. Le marché, mal régulé dans ses externalités, ajoute ses propres défaillances à celles du modèle de production de l’action publique.

      • Aujourd’hui les « républicains » proposent une bureaucratie dé-marchandisée et respectueuse des injonctions et modèles internationaux des programmes d’ajustement structurels
      • Les « libéraux » proposent fidèles à eux-même un marché libre et débureaucratisé sous la régulation d’un Etat qu’ils voudraient minimal mais dont ils n’ont jamais pu penser les limites.
      • Le problème non réglé, le paradigme perdu, c’est que font, savent, apprennent en faisant collectivement et organisent les médecins et professionnels de santé au contact du public. 
      Hors des modèles simplistes, Céline dirait « à portée des caniches », de management « bisounours » pour MBA*, cette réalité encore tangible qu’est la relation médecin patient, celle qui donne sens à l’action, ne se réduit à une chaîne de montage des parcours de soins. Elle exclut toute possibilité de tout gérer à partir d’une rationalité instrumentale « d’en haut », même quand la rhétorique envahissante de l’intégration des soins tente de s’approprier la « performance », les « valeurs », la « responsabilité sociale » et « l’éthique ». Cette raison descendante de droit divin ne peut être qu’une raison politique masquée et nécessite des contre-pouvoirs. 
      Elle exclut aussi toute possibilité maintes fois avérée que transformer les médecins, plus généralement les soignants, en « idiots rationnels », incitables à la carotte et au bâton selon les croyances du micro-management leurs nouveaux vices privés à produire des vertus publiques.
      La médecine devrait bénéficier d’un droit d’ingérence humanitaire dans cette épouvantable « guerre des Dieux » qui oppose Déesse Raison hyper-numérisée et Divin Marché hyper-mondialisé.

      Management décomplexé et dialogue social à l’hôpital

      S’agissant des fichiers de Georges Pompidou, de Robert Debré ou de Brest, ils ne sont que la partie émergée de cette forme de « baloney management » ou management par les balivernes que MIntzberg nomme « deeming ».
      La classification faite à Robert Debré selon notre bon vieux « Canard » distingue les leaders négatifs, les comportements négatifs, les sociables, la minorité silencieuse et les experts.
      Après l’affaire du fichage des chirurgiens « faiblards » de l’HEGP et de Brest, on peut dire que « ça la fiche mal« .
      Sans parler de l’indépendance menacée des médecins DIM qui s’organisent.
      Un peu de « rééducation » sera sans doute bientôt proposée aux mauvais sujets.
      L’indispensable apport de Dilbert: deeming et performance review
      « Tout système est une entreprise de l’esprit contre lui-même. Une oeuvre exprime non l’être d’un auteur, mais sa volonté de paraître, qui choisit, ordonne, accorde, masque, exagère.  » Paul Valéry
      Social cafouillage (selon l’expression de Thomas Picketty): dessin paru dans le monde du 27 avril

      Plus encore …

      *Des managers, des vrais, pas des « MBA » (ouvrage en ligne)



      Esculape vous tienne en joie, et prenons bien soin du travail.
      Le 1er mai 2014

      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, économie de la santé, gouvernance, Nouveau Management Public | Commentaires fermés sur Critique de la bureaucratie compétitive

      L’hôpital malade de la performance publique – Humanisme vs utilitarisme


      « On dit qu’une action est conforme au principe d’utilité, quand la tendance qu’elle a d’augmenter le bonheur de la communauté l’emporte sur celle qu’elle a de le diminuer » Jeremy Bentham

      « Par principe d’utilité, il faut entendre le principe qui approuve ou désapprouve quelque action que ce soit en fonction de sa tendance à augmenter ou diminuer le bonheur de la partie dont l’intérêt est en jeu. » Jeremy bentham 
      (cité dans l’art d’ignorer les pauvres de John K. Galbraith)

      Les documents

      1. Faiblards versus corrects: quand l’hôpital note ses médecins

      2. Hôpital Pompidou : sept médecins portent plainte pour fichier illégal

      3. Fichier nominatif à l’hôpital Pompidou : Martin Hirsch tente de calmer le jeu, les médecins restent crispés – 16/04/2014

      4. Un fichier secret met le feu à Pompidou (JIM.fr le 16/04/2014)

      5. Diaporama: la performance publique pour les nuls ou « Ubu régulateur »
      « Un dessin vaut mille mots »

      Le commentaire

      la performance publique en question

      Ces pratiques mises à jour à l’hôpital Georges Pompidou sont inacceptables. Ce n’est là que le sommet émergé de l’iceberg contre lequel s’écrase notre système de soins. Ces méthodes, opaques, vicieuses dans leurs modèles d’analyse de l’activité, fausses jusque dans leurs chiffres, et contre-performantes quand elles se prétendent justes et transparentes sont assorties de jugements de valeur qui ne respectent pas la déontologie professionnelle et sont discriminatoires. Ce type de fichier à déjà été sanctionné chez des employeurs privés. Plus grave, ces pratiques qui ne concernant pas que la seule AP-HP découlent d’une nouvelle vision de la performance publique. L’un des principes du Nouveau Management Public, la dissociation de la conception et de l’exécution, conduit à écarter les médecins cliniciens, et au delà l’ensemble des « soignants », des processus de décision stratégiques à tous les niveaux de gouvernance. L’hôpital et le système de soins de santé en général traversent une crise profonde qui résulte de la confrontation de cette nouvelle conception managérialiste de l’action publique avec les organisations soignantes, comme nous allons tenter de le démontrer par un brève analyse des dimensions de la performance (voir en complément les planches du diaporama).

      Les dimensions de la performance

      1. L’efficacité, c’est bien rendre le service attendu. Elle met en relation les résultats avec les finalités de l’organisation. Les acteurs médico-soignants, dans leur rationalité en valeurs, visent des finalités externes. C’est l’outcome du classique modèle de Donabedian qui ne se réduit évidemment pas à l’ouput de sortie de système, en l’occurrence de sortie de l’hôpital. Le résultat clinique à moyen et long terme qui dépend de facteurs externes à l’organisation soignante est ce qui fonde la qualité des soins pour ses acteurs. Ce ne sont pas, usagers et élus doivent bien le comprendre, les finalités internes qui sous-tendent le modèle de production actuel des soins, fondé sur des groupes homogènes de malades qui ont été construits sur des catégories médicales à court terme. Ce modèle est incompatible avec une médecine véritablement intégrée par ses parties prenantes à laquelle nous aspirons tous pour peu que l’intégration ne soit pas qu’un buzzword destiné à promouvoir des filières industrielles inversées, en flux purement poussés (modèle de l’Etat industriel de Galbraith). A l’échelle d’un territoire les acteurs se reconnaissent non seulement, à l’échelon individuel, une responsabilité dans l’intégration des parcours de soins dans lesquels ils recherchent spontanément la coopération pour peu que la gestion n’y mette pas avec acharnement des obstacles pseudo-marchands (effets dogmatiques et vicieux du managed care) s’ajoutant à la fragmentation entre sanitaire et social, mais ils revendiquent et se reconnaissent également une responsabilité populationnelle qui se traduit bien dans la définition équilibrée de la qualité selon l’IOM.
      2. L’efficience c’est de rendre le service avec une moindre consommation de ressources ou augmenter la production en partant du même volume de ressources. Louable en soi, la recherche d’efficience n’a de sens que si l’efficacité est mesurable et peut être préservée, faute de quoi tout gain d’efficience risque d’entraîner une réduction de la qualité qui a du sens pour les acteurs, au regard des finalités externes.
      3. L’économie c’est de fournir les ressources nécessaires à la production des résultats au moindre coût. Avec un pilotage inapproprié de l’efficience et de l’efficacité, faute d’indicateurs appropriés, l’économie conduira immanquablement à la recherche de ressources de moindre qualité au regard des finalités. En termes d’équipes de soins, la fragilisation viendra de l’application aveugle de la mutualisation, de la flexibilité et de poly-compétence sous qualifiée et des restructurations comptables des activités (Activity Based Costing) qui supportent les pratiques de management low cost que nous supportons au quotidien, sans aucun garde-fous en termes de conditions techniques de fonctionnement, notamment pour les effectifs paramédicaux. En acceptant trop vite et trop souvent, voire parfois en « croyants » et en « matons de Panurge », de démissionner de leur rôle dans l’organisation des soins conformément à la doxa managérialiste, les médecins, les « badges rouges » ont largement contribué à qui fait aujourd’hui le désespoir des « badges bleus », les paramédicaux et à la destruction des valeurs du soin.
      4. Aux classiques 3 « E » s’ajoute la pertinence qui est la dimension la plus difficile à définir puisque qu’elle met en relation les moyens avec les finalités. La « pertinence » est le degré mesurable d’adéquation entre les moyens et les finalités (modèle de Gilbert). C’est pourquoi la faisabilité politique de l’ajustement des dépenses de santé tend à diluer la notion de « santé » dans celle de Bien-être économique et social. Il s’agit ici d’une relation de rationalité en termes d’inférences causales, qui entre plus généralement dans le processus de rationalisation de l’action publique, ou des « activités sociales ». La façon dont l’action publique rationalise sa double fonction de production (1. celle des organisations d’intérêt collectif 2. celle du Bien être collectif) fait l’objet de multiples analyses critiques, dont celles du Nouveau Management Public et de ses diverses modalités internationales. La pertinence est définie par l’OCDE comme: 
      « Mesure selon laquelle les objectifs de l’action de développement correspondent aux attentes des bénéficiaires, aux besoins du pays, aux priorités globales, aux politiques des partenaires et des bailleurs de fonds. »

      Utilitarisme versus humanisme médical: la confusion de la santé et du social

      La crise de la gouvernance tient au fait que les acteurs hospitaliers, médico-soignants et managers à la française, ex-« professions de l’Etat providence » aujourd’hui privés de leur missions de santé publique par une gouvernance purement top down, sont aujourd’hui disqualifiés de toute participation à la définition, d’une part, des besoins territoriaux et d’autre part, de toute réflexion sur l’adéquation de la qualité des résultats tels que mesurés aux finalités qui font sens pour eux et pour les malades. L’utilitarisme et l’arbitrage expert entre les coûts d’opportunité l’emportent sur l’humanisme médical et l’intérêt individuel du patient quand les deux approches devraient au moins s’équilibrer dans une démocratie pluraliste et plus soucieuse des parties prenantes.
      Nous avons voulu ici montrer que la crise du management hospitalier est une crise du management public et de la performance publique. Peu importe dès lors les modes de nomination des chefs de pôle, des chefs de service ou de structure interne. Ils seront par nature asservis à cette logique de ré-ingénierie des activités, des besoins et des résultats selon les seules perspectives comptables, à une direction par objectifs trop politiques (faire réélire les élus) et à une gestion axée sur des résultats trop myopes. C’est ce modèle vécu comme ubuesque par les usagers et les professionnels, qu’on qualifie de hard management quand il faudrait le nommer bullshit management au regard de ce que serait un management médicalisé. Les directeurs ne sont plus que des exécutants de gestion asservis aux objectifs de rationnement des agences. Les chefs de pôle ne sont plus que les directeurs comptables de centres de coûts donnant caution médicale au véritable pouvoir interne qui est celui du contrôle de gestion. Enfin les responsables d’unité, parfois dotés du titre aujourd’hui illusoire de « chef de service », ne sont plus que de petits contremaîtres, rôle qu’il partagent avec les cadres de santé, eux même directement sous la main de fer du contrôle de gestion par l’intermédiaire des nouvelles chaînes de commandement paramédicales.
      Les médecins et au delà l’ensemble des soignants sont bel et bien enfermés dans la cage d’acier de Max Weber. Peut-on en sortir?

      Vous avez dit transparence? 

      La transparence promise par ce nouveau management pour semi-habile est un leurre. Jamais l’accès aux données n’a été aussi difficile pour les acteurs. Ce qui est transparent c’est la carotte et le bâton qu’on infère à partir des Big data et qu’on nomme « alignement » ou hélas « intégration » des divers niveaux de gouvernance. 
      Ce qui est transparent, c’est la maltraitance quotidienne des malades, ce sont les parcours chaotiques, les rendez-vous annulés et reportés aux calendes grecques, la détresse de malades et de familles qui ne sont plus accompagnés du fait de l’incoordination induite par une vision erronée de la mission des hôpitaux, plus largement du secteur « sanitaire », c’est la baisse tendancielle de la qualité des soins et de la motivation, ce sont les risques cliniques non gérés dont celui de handicap surajouté et pourtant évitable, ce sont les équipes exsangues gérées comme de chaînes de montage et dont on détruit les compétences collectives par une ré-ingénierie ubuesque, ce sont les cadres épuisés et sommés de nous mentir sur nos futurs effectifs paramédicaux, ce sont les infirmières intérimaires placées à la hâte qui ne connaissent ni les procédés de travail des équipes ni les systèmes d’information dès lors remplacés par des bouts de papier qui viendront encombrer des dossiers de plus en plus inutilisables. Ce qui est transparent en bref, c’est l’incapacité croissante du système à s’écouter et prévenir ses dysfonctionnements les plus graves.
      Le rationnement des soins est peut-être nécessaire, mais dans ce cas il faut appeler un chat un chat et redéfinir les contours d’une protection sociale solidaire qui ne peut par nature être rentable à court terme. Il faut cesser de faire croire qu’une République des experts ou à l’inverse une miraculeuse spontanéité du marché efficient peuvent faire descendre des cieux néo-managériaux, soit la « gestion rationnelle », soit la « régulation du marché » par l’intermédiaires des agences. Aujourd’hui hyper-bureaucratiques autant qu’infantilisantes, fondées sur la calculabilité et la prévisibilité par instrumentalisation de sciences inexactes des comportements d’acteurs qu’on prend pour des idiots égoïstes, rationnels et donc « incitables », ces structures qui nous promettaient des lendemains qui chantent ne savent que priver les parties prenantes légitimes de toute participation concrète à l’intelligence territoriale et la promotion d’un hôpital humaniste. Changeons de logiciel.

      « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours comme une fin, et jamais simplement comme un moyen » Emmanuel Kant

      Esculape vous tienne en joie.

      Continuer la lecture

      Publié dans Action publique, gestion des risques, gouvernance, Nouveau Management Public, performance, Qualité des soins | Commentaires fermés sur L’hôpital malade de la performance publique – Humanisme vs utilitarisme