Archives de catégorie : Maltraitance

L’hôpital (APHP) ordinaire. Paris, France, 2016.

Un de mes collègues subit une petite exploration chirurgicale dans un grand hôpital parisien. 
Cinq personnes entrent dans la chambre.
Pas un bonjour. Personne ne se présente.
Une infirmière, sans doute, lui dit qu’il est sortant. On ne lui a pas demandé comment il allait (il va moyen).
C’est tout.
Mon collègue s’adresse à celui qui paraît être le senior :  » Mon cher confrère, vous pourriez au moins dire bonjour au patient quand vous entrez dans une chambre ».

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Et si?

« On n’a pas le temps de parler aux résidents/patients, c’est de la folie! »
« Douze toilettes en trois heures, c’est n’importe quoi! »
« On court tout le temps! »
« On fait tout trop vite! »
« On n’est plus des soignants mais des robots! »
« On maltraite les patients/résidents, on n’a pas le temps de bien faire les choses! »
« Ils se rendent pas compte dans les bureaux, ça se voit qu’ils ne font pas notre travail! »
« Il faudrait plus de soignants, on le dit tous les jours mais personne ne nous écoute! »

Et si on faisait une pause? Si on refusait le rythme imposé? Si on prenait notre temps?

Et si, au lieu de faire le VMF (Visages Mains Fesses) – habillage rapide – hop hop hop on se dépêche avec Madame Pie, on faisait les choses normalement, sans la brusquer? Et si on allait à son rythme au lieu de lui enjoindre d’aller au nôtre? Et si on prenait le temps de lui parler? Et si on s’autorisait à l’attendre quand elle chemine d’un pas lent vers la salle de bain?

Et si, au lieu de nous dépêcher pour finir dans les temps, on ne finissait pas? Si on ne « faisait » que dix patients/résidents au lieu de douze? Si, au moment crucial où nous devrions avoir fini les toilettes et enchaîner sur les repas, nous nous pointions la bouche en coeur dans le bureau de la direction pour dire qu’on n’y arrive pas?

Et si nous donnions à manger aux résidents/patients les plus dépendants lentement au lieu de les gaver comme des canards en période de fêtes? Si nous prenions le temps d’être vraiment avec eux au lieu de courir pour servir tout le monde dans les temps? Si nous leur accordions le temps qu’ils méritent (et qu’ils payent)?

Et si nous faisions la grève du zèle? Si nous faisions notre travail en comptant les heures au lieu de compter les tâches? Si, au lieu de se cacher dans les vestiaires pour critiquer les « administratifs », nous allions crier haut et fort notre ras-le-bol dans le bureau de ces derniers?

Et si, au lieu de dire qu’il faut prendre soin de soi pour prendre soin des autres, on pensait différemment? Et s’il fallait prendre soin des autres pour prendre soin de soi?

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Une question de point de vue

Service de Psychiatrie.
Le repas vient de se terminer et quelques patients sont encore à table. Ils se sont servis un café et parlent de tout et de rien. Sur la table d’à côté, ils ont laissé traîner des origamis commencés ce matin, ainsi que quelques bonbons. Sophie, l’ASH (ASH = Agent de Service Hospitalier), montre des signes d’impatience. Elle aimerait que les tables soient débarrassées pour pouvoir faire la vaisselle et nettoyer la salle. Je ne comprends pas trop son irritation, il n’y a pas de départ prévu aujourd’hui et l’après-midi sera calme, alors on n’est pas à un quart d’heure près. Nous en discutons dans la cuisine.
– Je trouve ça plutôt bien qu’ils traînent un peu, ils discutent, ils rient, ça leur fait du bien aussi non? dis-je avec une naïve bonne volonté.
– Mais justement, non! Ils ne sont pas là pour créer des liens entre eux et s’installer comme s’ils étaient à la maison! Ils sont là pour se recentrer, réfléchir à ce qui les a amenés ici, et sortir de ce service le plus rapidement possible! me répond Sophie du tac au tac.

Trois petites phrases pour échanger sur les valeurs du soin. Et toc!
L’hôpital psychiatrique, lieu de soin et lieu de vie, mais aussi lieu de rencontre entre patients, soignants et valeurs du soin… Finalement, où se trouve le « juste soin »?

PS : je ne sais pas si l’une d’entre nous a raison. Je ne sais pas non plus ce qui est le mieux pour les patients (ce n’est d’ailleurs pas à moi de le savoir). Mes propres valeurs m’encouragent à privilégier le bien-être et la convivialité. Cependant, j’entends également le raisonnement qui fait dire à ma collègue que le lieu de soin ne doit rester qu’un lieu de passage, et qu’il faut avoir envie de le quitter.

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Empathie

Récemment, en parcourant un groupe dédié aux auxiliaires de vie sur Facebook, je suis tombée sur ça :

Instantanément, j’ai pensé à Monsieur B, mais aussi à Madame LDV. J’ai aussi pensé à Madame Pasdbol et à quelques autres qui m’ont laissé un souvenir plus ou moins mitigé. Par curiosité, je suis allée lire les réponses. Au moment où j’écris ce billet, il y a une cinquantaine de commentaires sous ce post, c’est dire si la discussion va bon train. Dans les commentaires, je cherche quelques éléments décrivant un peu mieux la situation. Je découvre quelques précisions données par l’auxiliaire de vie qui témoigne :

« Je les signaler aussitôt le mr est sous tutelle,pas moment il a pas toute sa tête ,il es suivi par un psy.il es handicapée il a eu un avc très jeune .il à 55ans.pas famille »

« Elle a envoyer un mail à la tutrice de je le mois dernier il avait peut un couteau pour ce trancher la gorge on a enlever tout qui était dangereux à domicile »

« il 2frigo 1dans le bâtiment fermer au cadenas et un dans la cuisine nn fermer pour ses repas matin midi soi r prépare »

« ce le à que 12cigarette par jours ,café télé à par cela il fait rien de la journée ces pour au cache la nourriture il mangerai toute la journée. Au juste ces ça seule drogue »

Pour résumer, ce monsieur de 55 ans, célibataire sans enfant, a fait un AVC il y a longtemps, souffre de troubles cognitifs, et est sous tutelle. Il est tabaco-dépendant et semble socialement isolé. Il bénéficie d’une auxiliaire de vie pour les courses (et sans doute d’autres choses) et n’est pas autonome dans la gestion de ses repas. Il peut se montrer violent envers les autres et lui-même. Je pourrais aussi vous dire dans quel département il habite mais c’est sans intérêt pour la suite du billet.

Bon, là c’est résumé dans les grandes lignes.

Maintenant que je comprends un peu mieux le contexte, je relis les commentaires plus attentivement. Beaucoup conseillent de prévenir le/la responsable, de faire une déclaration d’accident du travail et d’exercer un droit de retrait. Des conseils sages au vu de la situation. Mais il me manque quelque chose.

Quand je m’étais trouvée en difficulté face à certains bénéficiaires violents (verbalement et/ou physiquement), j’avais eu la triste impression de ne pas être entendue. Je m’étais retrouvée seule face à des comportements que je ne comprenais pas et auxquels je n’étais pas préparée. Seule et désemparée. L’unique question que je me posais à l’époque était la suivante : comment? Comment réagir? Comment faire? Comment continuer? Je n’avais pas trouvé de réponse idéale et m’étais alors contentée d’étaler mon désarroi ici. Madame Grandchef, en me montrant gentiment la porte après que je lui avais annoncé ma grossesse, m’avait sans le vouloir rendu un grand service. En m’offrant plus de temps libre que ce que mon arrêt maternité m’octroyait, j’avais pu accompagner la fin de vie de mon père et faire une formation d’aide-soignante. Et j’ai compris une chose.

J’ai compris que je ne me posais pas les bonnes questions, ou du moins pas au bon moment. Parce qu’avant de me demander « comment », peut-être aurait-il fallu que je me demande « pourquoi ». Pourquoi Madame LDV ne m’aime-t-elle pas? Pourquoi Monsieur B. est-il aussi agressif? Pourquoi Madame Pasdbol ment-elle continuellement? 
Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?
Si j’avais eu la réponse à ces questions toutes simples, j’aurais peut-être plus facilement trouvé le « comment ». Comment réagir? Comment répondre? Comment faire?

Mais, pour me poser les bonnes questions, encore aurait-il fallu que je réfléchisse autrement. Je réfléchissais avec mes valeurs et ma normalité. Je pensais en tant que Babeth, aide à domicile, 35 ans, mariée, maman, en bonne santé physique et mentale. Mais ma normalité n’était pas la leur. Ma vie n’était pas la leur.
J’aurais pu réfléchir différemment, en me mettant cinq minutes à leur place.
Et si c’était moi, la veuve délaissée par ses enfants, dépendante au point de ne plus pouvoir sortir faire ses courses, à qui l’on impose une auxiliaire un peu trop souriante?
Et si c’était moi, celui qui souffre continuellement, rongé par la dépendance à l’alcool, que plus personne ne vient voir?
Et si c’était moi, la femme mal-aimée, rejetée par sa propre mère, qui n’a pas conscience de ses incohérences et reste persuadée que tout le monde ment autour d’elle?
Si c’était moi, ne serais-je pas agressive moi aussi? Ou méprisante? Ou violente?

Je ne me posais pas les bonnes questions, parce que je ne faisais pas preuve d’empathie. Je croyais être une bonne aide à domicile. J’étais souriante, polie, travailleuse. J’aimais mon travail et je ne comprenais pas pourquoi, malgré toute ma bonne volonté et mes sourires polis, je ne parvenais pas à établir une saine relation d’aide avec certains bénéficiaires. Certains m’étaient sympathiques, d’autres carrément antipathiques, et je ne savais pas me situer professionnellement au milieu de cette cascade d’émotions parasites.
Sympathie et antipathie. Voici les mots qui m’ont piégée. Trop ceci, pas assez cela. Trop proche, trop distante, trop souriante, trop sur la défensive. 

Puis j’ai fait une pause forcée, j’ai eu un enfant, j’ai perdu mon père, je suis devenue aide-soignante, et j’ai repris le travail. Différemment.
J’ai découvert l’empathie.
  

L’empathie (du grec ancien ἐν, dans, à l’intérieur et πάθoς, souffrance, ce qui est éprouvé) est une notion désignant la « compréhension » des sentiments et des émotions d’un autre individu, voire, dans un sens plus général, de ses états non-émotionnels, comme ses croyances (il est alors plus spécifiquement question d’« empathie cognitive »). En langage courant, ce phénomène est souvent rendu par l’expression « se mettre à la place de » l’autre.
Cette compréhension se produit par un décentrement de la personne et peut mener à des actions liées à la survie du sujet visé par l’empathie, indépendamment, et parfois même au détriment des intérêts du sujet ressentant l’empathie. Dans l’étude des relations interindividuelles, l’empathie est donc différente des notions de sympathie, de compassion, d’altruisme ou de contagion émotionnelle qui peuvent en découler. (Wikipédia)

J’ai réalisé que pour comprendre une situation, je dois réfléchir autrement. Non plus avec ma normalité mais avec celle de la personne qui est en face de moi. Je dois déposer mes valeurs et mes idées sur le paillasson de l’entrée et me plonger dans une autre dimension, celle de l’Autre. Je dois pouvoir l’entendre et l’écouter, le voir et le regarder. Je dois me demander ce que je ferais à sa place, avec ses valeurs, ses possibilités, et non ce qu’une personne de « ma » normalité ferait à sa place. Je dois changer de normalité comme je change de patient, voilà tout. C’est à moi de m’adapter à lui et non le contraire. Ça paraît tellement évident quand je l’écris, et je me sens tellement stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt!

Pour en revenir au débat initialement cité, je trouve qu’il illustre parfaitement le sujet. Parce qu’en lisant ce post, la première chose que j’aurais ressentie il y a quelques années, c’est de la sympathie pour la collègue agressée, ou de l’antipathie pour le responsable d’agence qui n’intervient pas. Aujourd’hui, après une naissance, un deuil, une formation et un coup de coeur professionnel (faudra que je vous parle de Naomi Feil un jour, vous m’y ferez penser?), ma première réaction a été de demander pourquoi la nourriture était sous clé, et de me dire que ça devait être terrible de devoir subir une interdiction pareille. Terrible et maltraitant
Ça paraît évident de se poser la question, je sais, mais ça ne l’était pas pour moi il n’y a encore pas si longtemps. Spontanément, ça n’aurait pas été ma priorité. J’aurais demandé « comment » mais pas « pourquoi ». Et je ne me serais pas demandé comment j’aurais réagi à SA place.
Du coup, désolée si je me permets un quart d’heure cocorico (tant pis, j’assume), mais je suis contente du chemin parcouru depuis Monsieur D. et Madame LDV., contente de faire de belles rencontres qui me font voir les choses différemment, et contente de poursuivre ma route en me disant que j’ai encore plein de choses à découvrir.

Et même, j’en profite pour vous balancer un petit lien vers le #mededfr, parce qu’on en avait parlé et que ça avait été un chouette débat :

https://mededfr.wordpress.com/2014/11/13/mededfr-22-lempathie-ca-sapprend/

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Petite mamie

Ce billet fait suite à celui-ci, écrit il y a un petit moment.

Parfois, quand je m’ennuie, ou quand je cherche un peu d’inspiration pour un billet ou un article, je vais regarder du côté des réseaux sociaux et de ce qui se raconte sur les groupes dédiés aux auxiliaires de vie. Ma source principale, je l’avoue, c’est Facebook. Et j’y trouve des trésors.
Hier, une auxiliaire de vie en formation a posé la question suivante :

E. : « Que pensez-vous des personnes âgées? »

La question m’a surprise. C’est comme si je demandais à un médecin « que pensez-vous des patients? » ou à un concessionnaire « que pensez-vous des conducteurs? »
Ma curiosité étant piquée, je suis allée lire les réponses. Et j’ai bien failli tomber de ma chaise!
Un petit florilège des réponses lues sur le fil (je n’ai laissé que les initiales des intervenants mais ai laissé l’orthographe et la syntaxe des réponses, je m’appelle Babeth, pas Bescherelle).

M. : « Attendrissant avec des humeurs varier »

Y. : « Des enfants mais avec de l’expérience. Pas si stupides ni naïfs. Se méfier de certains. Parfois même si j’aime mon travail, certains m’agace… Voilà pour ma franchise. »

« On agit avec eux comme pour ces derniers. Ils nous faut faire preuve de patience, tolérance, explications pour ne pas les brusquer. Reexpliquer à plusieurs reprises.. Être egalement doux mais parfois ferme. Cest un travail très psychologique je trouve. Ils nous faut beaucoup de tempérance mais aussi d’écoute. Ils répètent tous ( comme des gosses dans la cour de recré) et nous font aussi répéter. ^^…sont parfois capricieux, et aimes nous tester. voilà en résumé.. »

« Si on est trop laxiste avec certains, on peut facilement se laisser bouffer. »

A. : « Pour certain je pense que effectivement il faut être ferme pour arriver a ses fins c est malheureux mais moi je suis obligée de l être avec un de mes clients qui fuit les douches et ne jure que par les toilettes du coup soucis dermato apres voila »

À ce stade de la lecture, je commence à bouillonner. Je m’imagine, vieille et dépendante, aux mains d’auxiliaires qui me trouveront « attendrissante » (ou pas) et qui me traiteront comme une enfant capricieuse. Je frémis d’horreur devant l’image d’une bonne femme que je ne connais pas me forcer à finir ma soupe ou à aller prendre ma douche. Je pense déjà aux moqueries que je susciterai quand je demanderai pour la troisième fois en une heure à quelle heure passe le médecin. Du coup, je vais voir les autres fils de discussion. Plus bas sur la page du groupe, je trouve une discussion tout aussi sidérante.

S. : « Bjr merci pour l ajout je suis auxiliaire de vie depuis 1 ans et je m occupe d une petite mémé de 104 ans »

« Quand je dit mémé c est par affection elle est seule et pas famille à proximité nous avons tissé des liens forts« 

M. : « Tu raison de l appeler mémé si elle est d accord se n’est pas un manque de respect et que sa fasse 1ans ou 10ou est le problème »

R. : « Vous partez loin avec vos histoire de mémé c’est pas une nom qui salis une dame c’est pas comme si tu lapeller la vieille .. »

« Bah petite mémé c’est pas nom plus vulgaire faut pas abuser ya rien de chocant enfin pour moi après chacun son avis »

Donc, quand je serai vieille, on m’appellera « mémé » et je n’aurai pas mon mot à dire. Je ne serai plus ni Madame ni Babeth, je ne serai plus qu’une petite mamie à qui on ne demande plus son avis. Une attendrissante petite mamie qui doit finir sa soupe bien gentiment et ne surtout pas manifester le moindre désaccord sous peine de passer pour une infernale vieille bique.

J’ai 38 ans. J’ai piloté des planeurs. J’ai fait des études. J’ai fait de la voltige et me suis tenue debout sur un cheval au galop. J’ai lu des livres, plein. J’ai pleuré en écoutant le Faust de Gounod. J’ai appris l’allemand, l’anglais, l’italien, le latin, le grec ancien, le polonais et l’espagnol (mais j’ai presque tout oublié, sauf l’italien). J’ai accompagné mes parents en fin de vie, dans la douleur. J’ai assisté à une vraie évasion de prison, avec hélicoptère et tout et tout! J’ai donné le sein à un enfant qui n’était pas le mien. J’ai accouché sans péridurale, deux fois (et je vous prie de croire que j’aurais préféré l’avoir, cette foutue péridurale!). J’ai assisté, impuissante, aux ravages de l’alcoolisme de mes parents. J’ai vécu, de ce fait, des choses pas très rigolotes qu’une enfant ne devrait pas avoir à vivre. Je m’en suis remise. Sacrée résilience. J’ai emménagé en Bretagne sur un coup de foudre et un coup de tête. J’ai fait des choses dont je suis fière, et d’autres auxquelles je ne préfère pas penser. 
Et quand je serai vieille, toute cette vie, ma vie, sera balayée par une connasse (pardon pour le terme mais je n’en trouve pas d’autre) qui parlera de moi en penchant la tête sur le côté et en disant d’un air sirupeux « elle est mignonne cette petite mamie, mais faut pas que je me laisse bouffer hein, sinon elle va en profiter, c’est sûr ». Et cette connasse, en disant cela, se sentira sans doute supérieure à la petite vieille ratatinée que je serai devenue. Cette connasse se considérera peut-être même comme ma sauveuse, celle qui est là pour mon bien, parce que moi, pauvre petite vieille, je serai bien incapable de prendre la moindre décision me concernant.

J’ai peur. Peur de vieillir et d’être dépendante. Peur qu’on soit ferme avec moi pour mon bien. Peur d’être aux mains d’une connasse qui viendra me caresser la tête un peu trop gentiment en m’enfonçant une cuillère dans la bouche pour que je finisse cette putain de soupe. Peur qu’un jour ma vie tout entière ne se résume plus qu’à cette image de mignonne petite vieille attendant sagement le passage de sa gentille auxiliaire si dévouée. Peur de n’être plus moi, tout simplement.



    
    


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La mésentente

En bleu, c’est Sidonie, auxiliaire de vie diplômée.
En  noir, c’est Madame Couché, épouse de Monsieur Couché.
Sidonie est une soignante, Madame Couché est une aidante. Toutes deux prennent soin de Monsieur Couché.  

Et voilà, je me suis encore fait avoir! J’aurais dû être ferme, j’aurais dû expliquer (une fois de plus) que je suis auxiliaire de vie, pas aide-ménagère, pas bonniche, pas bonne à rien. J’aurais dû lui dire à cette bonne femme, que je suis pas là pour ça. Mais j’ai pas osé. J’avais pas envie. Pas envie de m’énerver dès le matin. Pas envie de parler, pas envie d’expliquer, pas envie d’argumenter. Alors j’ai fait ce qu’elle m’a dit. J’ai obéi, sans discuter, comme si de rien n’était. Comme si c’était normal. 
J’étais censée être là pour Monsieur Couché, pour l’aider à se lever, à se laver, à s’habiller. J’étais censée faire ça, oui, ainsi que le petit-déjeuner. J’avais une heure pour faire tout ça, c’était largement assez. Pour une fois, le plan d’aide permettait vraiment d’intervenir dans de bonnes conditions, et pas au pas de courses comme chez tant d’autres. Mais quand je suis arrivée, à huit heures tapantes comme tous les matins, Monsieur Couché n’était plus couché. Il était levé, lavé et habillé. Il avait même pris son petit-déjeuner! Et moi, j’étais là, complètement inutile, face à ce monsieur qui n’avait déjà plus besoin de moi, à me demander ce que j’allais bien pouvoir faire avec lui. Alors, en bonne professionnelle que j’espère être, je lui ai proposé autre chose. Après tout, si Monsieur Couché se débrouille tout seul pour « les activités de la vie quotidienne », je peux aussi proposer mon aide pour « le maintien de la vie sociale ». J’étais sur le point de lui suggérer de lui lire son journal (il ne peut plus, le pauvre, avec sa DMLA galopante) quand sa femme a surgi de nulle part pour me demander de faire la vaisselle, les lits (oui, LES lits, donc celui de Monsieur et celui de Madame) et un peu de ménage. 
Mais… Mais… Mais?! Mais je suis pas là pour ça! Je suis là pour Monsieur Couché, pour l’aider lui, pas pour la maison, pas pour elle! Je suis auxiliaire de vie, pas aide-ménagère! J’ai fait une formation, j’ai passé un diplôme, c’est pas pour me retrouver à faire du ménage à huit heures du matin alors qu’il y a déjà une aide-ménagère qui vient pour ça deux heures par semaine!
Ça, c’est ce que j’ai pensé très fort… Mais comme tous les matins, je n’ai pas osé le dire. Et comme tous les matins, j’ai fait ce que Madame me demandait de faire. J’ai fait la vaisselle du petit-déjeuner, j’ai fait les lits, j’ai passé un coup de balai et étendu le linge. J’ai fait tout ça en silence, pendant que Madame restait enfermée dans sa chambre. J’ai fait tout ça en retenant mes larmes, parce que je me sentais nulle, et inutile. J’ai fait tout ça en maudissant Madame Couché de me voler mon travail, en maudissant ma responsable de secteur de ne jamais mettre les choses au point avec les bénéficiaires et leurs familles, et en me maudissant d’accepter d’être ainsi rabaissée. J’ai maudit tout le monde, fait signer ma feuille de présence, et suis partie chez Madame Debout, qui allait sans doute me demander de faire la poussière, une fois de plus, alors que je l’ai déjà faite hier…

Ça y est, elle a réussi à me mettre de mauvaise humeur pour la journée! Tous les matins c’est la même chose, et ça fait des mois que ça dure! Elle se pointe à huit heures, la bouche en coeur, avec sa jeunesse effrontée et ses petits bras musclés, et elle se met en tête de s’occuper de mon mari. Sauf que mon mari, merci mais ça va, je m’en occupe. Parce qu’à huit heures, ça fait déjà longtemps qu’il est prêt mon bonhomme! Tu parles, à six heures il est réveillé et il hurle pour que je vienne le lever, alors je vais quand même pas attendre deux heures que Mademoiselle Sidonie se ramène! Je leur ai dit, pourtant, au bureau, que huit heures c’était trop tard, mais ils m’ont dit que personne n’intervenait avant cette heure, et que si je n’étais pas contente je pouvais toujours m’adresser à une infirmière libérale… Sauf que chez nous, les IDEL, elles viennent plus pour les aides à la toilette, alors je fais comment moi? Eh ben je vous le donne en mille : je fais, et puis voilà, c’est pas plus compliqué que ça. Je lève mon mari, parce que tout seul il ne peut plus, et puis je lui fais sa toilette, et puis je l’aide à s’habiller… Et quand tout est fait, il n’est pas sept heures, alors on va pas attendre une heure en se regardant dans le blanc des yeux. Alors forcément, je prépare le petit-déjeuner, et on le prend tous les deux, comme avant. Avant la maladie. Avant la dépendance. Avant la visite du médecin conseil. Avant les plans d’aide qui t’octroient généreusement quelques heures par semaine tout en te faisant bien comprendre que quand même, heureusement qu’on est là hein! Avant la responsable de secteur avec son sourire mielleux et son regard condescendant. Avant Sidonie.
Le café du matin, c’est notre seul moment calme de la journée. Parce qu’après, il y a Sidonie. Et encore après, c’est la course, toujours. Parce que mon bonhomme, c’est toute la journée qu’il a besoin d’aide. Pas juste le matin entre huit heures et neuf heures. Parce que la maladie d’Alzheimer, c’est toute la journée et toute la nuit, tous les jours, tout le temps. Quand il se lève, il est malade. Quand il mange, il est malade. Quand il parle, il est malade. Quand il marche, il est malade. Et quand il dort… il est malade aussi. Et moi je suis malade de sa maladie. Je suis malade de l’aider, de l’entendre crier, de faire à sa place. Je suis malade de notre intimité perdue. Je suis malade de son lit médicalisé qui prend toute la place, et malade de devoir dormir dans une autre pièce, parce qu’il n’y a plus de place pour moi dans la chambre conjugale. Malade de son déambulateur, de sa chaise percée et de la douche adaptée qui a remplacé la baignoire. Malade d’être sa garde-malade avant d’être son épouse. Malade de la famille qui ne vient plus nous voir parce que « c’est compliqué », malade des voisins qui nous évitent parce que « le monsieur est bizarre », malade de Sidonie qui rentre dans notre maison, qui farfouille dans notre cuisine et qui s’adresse à lui comme à un enfant. Qui s’adresse à lui hein, pas à moi. Parce que moi, je n’ai besoin de rien, c’est évident. Moi je suis l’épouse revêche, celle qui vole le travail des gentilles auxiliaires qui ne demandent qu’à aider. Moi je suis la méchante qui demande à la gentille de faire le ménage alors qu’elle est diplômée et pas payée pour ça. Moi je suis celle qui abuse des aides sociales, qui vole l’argent du contribuable pour se faire payer des heures de ménage sur le dos de la dépendance.
Mais je voudrais bien qu’elle comprenne, la gentille Sidonie, que pendant qu’elle fait ce qu’elle appelle les basses besognes, je peux avoir une heure pour moi, une petite heure, une toute petite heure. Une toute petite heure pour me laver et m’habiller. Une toute petite heure pour passer un coup de fil à notre fille à l’autre bout de la France. Une toute petite heure pour courir acheter le pain et son journal. Une toute petite heure pour me reposer quand la nuit a été éprouvante, quand je me suis levée toutes les deux heures pour recoucher mon bonhomme qui déambulait, ou pour nettoyer les toilettes après son passage. Je voudrais bien qu’elle comprenne tout ça Sidonie, qu’elle sache que faire du ménage c’est tout aussi important que le reste, parce que ça allège un peu le quotidien.

Parce que pendant une heure, une petite heure, une toute petite heure, je ne suis plus une aidante. Je suis une épouse pour mon mari, une mère pour notre fille… et une femme.

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La Belle au bois courant

La scène se passe dans une Unité pour Malades Difficiles.

Les patients qui sont ici ne sont pas hospitalisés pour constipation. Ici, c’est du lourd. La crème de la crème des pathologies psychiatriques. Pour ceux qui ne connaissent pas, une UMD (Unité pour Malades Difficiles) c’est un service hospitalier psychiatrique spécialisé dans le traitement des malades mentaux présentant un danger potentiel pour eux-mêmes ou pour autrui. Les patients y sont hospitalisés sous contrainte, pour une durée indéterminée. Ici, on sait quand on rentre, mais pas quand on sort.
L’UMD est située à l’écart d’une petite ville, dans un cadre calme et verdoyant. Mais les patients s’en foutent, car ils ne le voient pas. Ils ne voient que les hauts murs, les portes fermées à double tour et les soignants en blanc. Point d’horizon ici. Quand ils sortiront, ce sera pour retourner en hôpital psychiatrique ou en prison. Pas de retour à la vie « normale ». Trop dangereux, pour eux et pour les autres.
Ici, la plupart des meubles sont scellés au sol. On mange dans des assiettes en plastique. On se lave sous le regard des soignants. Question de sécurité.
Ici, l’équipe soignante est majoritairement masculine. Question de sécurité.

Ce jour-là, il pleut, et les patients déambulent dans le hall. Ça fait une semaine qu’il pleut, ça porte sur les nerfs. Le terrain de foot est impraticable, il fait froid dans la cour, le vent fume les cigarettes à la place des patients. Tout n’est qu’ennui et morosité.
Anne, la belle infirmière, est assise sur le canapé du hall avec trois patients.
Pas très loin se tiennent un infirmier qui fait des mots croisés et une stagiaire aide-soignante qui semble posée là comme un pot de fleurs (scellé au sol).
Anne parle de sport. Elle fait de la course à pied et elle adore ça. Avec moult détails, elle décrit sa dernière séance. Elle est partie courir sous la pluie au petit matin. Elle était trempée en moins de cinq minutes, l’eau ruisselait sur elle, sur son visage, sur ses vêtements qui lui collaient au corps. Elle courait, trempée, parce que c’était agréable, ça la rafraîchissait, ça lui faisait du bien. Elle courait dans la forêt, elle sentait la délicieuse odeur du sous-bois. Tout était calme autour d’elle. Sous ses pieds, la terre amortissait ses foulées et elle ne ressentait aucune fatigue. Dans ses oreilles, les écouteurs diffusaient un groupe qu’elle aimait particulièrement, ça l’aidait à garder le rythme. Elle ne pensait à rien. Elle se sentait bien, tout simplement. Elle a couru longtemps sous la pluie, presque une heure, et à son retour elle s’est précipitée sous la douche. Elle a jeté ses vêtements en vrac par terre, a fait couler de l’eau presque brûlante et est restée là, à sentir l’eau dégouliner sur elle, et ça faisait un bien fou après la pluie fraîche du matin. Elle s’est longuement savonnée, la mousse parfumée ravissait ses narines. Après la douche, elle s’est enveloppée d’une grande serviette chaude et moelleuse et est allée s’asseoir devant la cheminée avec un café. Le bonheur total.
Eux, les patients, ils écoutent et ouvrent des yeux comme des soucoupes. La forêt, ça fait des années qu’ils ne l’ont pas vue, coincés entre les murs, coincés par leur maladie, coincés par leur vie. L’odeur des sous-bois, ils l’ont oubliée. La musique, ils n’en écoutent pas tous, seuls sont qui ont un poste ou un ipod le peuvent, et tous n’y sont pas autorisés. Le silence, c’est quelque chose que tous ne connaissent pas. Ici, c’est bruyant, il y a le bruit des serrures, le bruit des couverts, le bruit de la télé, le bruit des voix des soignants et des patients… Et parfois, le bruit des voix dans la tête, celles qui ne se taisent pas, celles qui te donnent des ordres, celles qui ne te laissent pas de répit.
Une serviette chaude et moelleuse, voilà un luxe qu’ils ont oublié depuis longtemps. Quant au feu de cheminée…
Alors ils écoutent, avec leurs yeux comme des soucoupes et leurs bouches bées. Ils écoutent l’infirmière raconter la course, la douche, la cheminée. Ils écoutent et ils imaginent. La belle infirmière, seule dans le bois, avec ses vêtements de sport moulants. La belle infirmière trempée de sueur et de pluie mélangées. La belle infirmière nue sous la douche. La belle infirmière alanguie près de la cheminée.
On pourrait entendre une mouche voler. Le temps semble suspendu. L’infirmière raconte, les patients écoutent, la stagiaire observe.
Plus tard, la stagiaire-pot-de-fleurs demandera à l’infirmière sportive si elle n’avait pas peur d’éveiller certains désirs inaccessibles en racontant des trucs pareils. Parce que bon, quand même, on sait bien que tout ça, c’est hors de portée pour eux maintenant. La forêt, la longue douche chaude, la cheminée… La liberté, tout simplement.

« Tu ne comprends pas. Je teste leur résistance à la frustration, c’est thérapeutique tu comprends ? »

Ah ben oui. Si c’est thérapeutique alors…

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Leurs histoires, leur histoire.

Premier stage en EHPAD, premier jour. L’aide-soignante me parle un peu des résidents.
– Lui, il a fait une rupture d’anévrisme, ça fait vingt ans qu’il est là, dans cet état. Un légume! C’est pas une vie franchement. Elle, c’est Alzheimer et hémiplégie, elle est complètement à l’ouest! Son mari est pénible, si t’es sympa avec lui cinq minutes il te laissera jamais tranquille! Lui, il vient d’arriver, sa femme vient tous les jours le promener en fauteuil. Elle est super exigeante et jamais contente. Elle, elle était religieuse, elle parle quasiment jamais. Elle est un peu bizarre. Et lui là, au fond, tu verras, il est spécial. Personne ne vient jamais le voir, il paraît qu’il a violé son neveu quand il était gosse, mais ce dernier n’a jamais porté plainte. Du coup sa famille ne veut plus le voir, ça se comprend! Nous, on fait sa toilette le plus vite possible, on trouve qu’il a une drôle de façon de nous regarder et on n’aime pas trop ça. Mais ça, tu le gardes pour toi hein, c’est pas écrit dans son recueil de données.
Ma chère tutrice aide-soignante, voici une information dont je me serais bien passée. Comment je fais maintenant pour m’occuper de ce monsieur sans penser à cette histoire? Comment je fais pour le regarder sans que mes yeux trahissent le dégoût que m’inspire son acte? Comment je fais pour faire preuve d’empathie quand il serait tellement plus facile de le détester?
Et les autres, comment je fais pour m’occuper d’eux alors qu’en moins de cinq minutes ils sont déjà catalogués? Le légume, la folle, le pénible, la râleuse, le pervers… Avais-je vraiment besoin de savoir tout ça?
 
Monsieur Pivoine a 78 ans. Bel homme, il a conservé une certaine prestance. C’était une figure locale, il a fait toute sa carrière comme professeur de sport dans le collège de la ville. À sa retraite, il s’est beaucoup investi dans le club de foot dont il était entraîneur. Il accompagnait les jeunes pour les matchs, les encourageait, et les consolait lors de leurs défaites. Les parents l’ont toujours aimé, il était tellement disponible, tellement serviable. Il allait même jusqu’à raccompagner les gamins chez eux après les cours ou l’entraînement quand leurs parents ne pouvaient pas venir les chercher.
Parfois, avant de ramener un petit garçon, il s’enfermait avec lui dans le vestiaire et faisait des choses. Mais ça, ça n’est pas écrit dans le recueil de données.

Madame Rose a 82 ans, dont 59 de mariage. Un beau mariage, et trois enfants. Son époux est mort il y a peu et c’est une veuve inconsolable, qui pleure du matin au soir et du soir au matin. Elle refuse de se lever, refuse de manger, refuse de vivre. Inquiets, les soignants du service ont essayé d’alerter les enfants. Leur mère va mal, il faudrait venir. Ses fils habitent tout près, dans la même ville. Sa fille est à Paris. Les soignants ont rencontré le fils aîné, une fois, quand il venu installer ses parents à l’EHPAD. C’était il y a trois ans. Depuis, aucun des enfants n’est jamais venu. Pas une seule fois. À Noël, personne. Aux anniversaires, personne. À la fête des familles organisée une fois par an, personne. Aucun des enfants, aucun des petits-enfants. L’équipe est perplexe. Quand on pense que sitôt les parents placés les enfants se sont empressés de vendre la maison! Et depuis, aucune visite, pas un coup de téléphone, pas une lettre, rien! Et maintenant, Madame Rose se meurt, et personne ne vient la voir, personne ne vient lui tenir la main. Quelle tristesse!
Tous les soirs, quand Monsieur Rose rentrait du travail, il tabassait ses gosses. Et Madame Rose laissait faire, parce qu’ainsi elle évitait que les coups ne tombent sur elle. Mais ça, ça n’est pas écrit dans le recueil de données.

Monsieur Narcisse a 93 ans. C’est un monsieur affable et toujours souriant. Il est veuf depuis plus de trente ans déjà. Ses enfants sont très présents et viennent le voir toutes les semaines. Il avait beaucoup d’amis, il était toujours prêt à donner un coup de mains aux uns ou aux autres. Il a travaillé dur toute sa vie, il a pu payer de belles études à ses enfants et ils lui en sont reconnaissants.
Pendant la guerre, il a des dénoncé ses voisins juifs. Ils ont été arrêtés, déportés, et gazés. En presque aussi peu de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Mais ça, ça n’est pas écrit dans le recueil de données.

Nous, les soignants, nous prenons soin des gens. Ils sont vieux, handicapés, malades, dépendants. Nous prenons soin d’eux à un moment donné de leur vie, quand ils en ont besoin. Nous ne savons pas toujours ce qui s’est passé dans leur vie avant qu’ils nous soient confiés. Nous nous faisons une idée d’eux avec les éléments que nous avons, le fameux recueil de données. Souvent, il nous manque beaucoup d’informations…
Dois-je savoir que Monsieur Pivoine était pédophile?
Dois-je savoir que Monsieur Rose était un père violent et que Madame Rose n’a rien fait pour l’en empêcher?
Dois-je savoir que Monsieur Narcisse était un collabo?
Le passé des gens dont nous nous occupons doit-il toujours être présent à notre esprit?
Parfois, j’aimerais savoir pour comprendre. Parfois, j’aimerais ne pas savoir pour ne pas être dans le jugement.

Difficile de trier les informations utiles à notre prise en soin. Difficile de comprendre une situation qui nous semble choquante quand on ne connaît pas le contexte. Difficile de se dire que le passé a fait son temps et que seul compte le présent.

Difficile d’être soignant, parfois. Continuer la lecture

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Venez comme vous êtes (mais sans votre utérus)

Premier jour de stage, laïus du patron aux internes, l’une de nous est en surnombre pour grossesse : « Bon, les filles, j’espère que personne ne compte tomber enceinte ce semestre ! » Je suis PH. Comme chaque année depuis cinq ans, je demande … Lire la suite Continuer la lecture

Publié dans accouchement, Après la thèse, Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP), Blague de merde, Café du commerce, Carrière, Centre Hospitalo-Universitaire (CHU), Chantage, Congé de paternité, Congé maternité, CONTRACEPTION, démographie médicale, enfants, externat, Faculté, Foutage de gueule, Gastro-entérite, grossesse, Gynécologie-Obstétrique, Hôpital, internat, Maltraitance, maternité, médecine libérale, médecins blogueurs, paternalisme, Pr Formol, Pr Pustule, Prématurité, PUPH, Recherche / science, Rentrée des classes, respect, Serviettes hygiéniques, Sexisme ordinaire, Temps de travail, Têtes à claque, TMTC | Commentaires fermés sur Venez comme vous êtes (mais sans votre utérus)

Petites maltraitances ordinaires

En tant qu’aidante quand mes parents ont été malades, en tant que patiente hier et demain, en tant que soignante aujourd’hui, je vois et je vis ce que j’appelle des « petites maltraitances ordinaires ». Vous savez, ces petites phrases prononcées nonchalamment au détour d’un couloir hospitalier, ces petites négligences dans les soins, ces petites maladresses qu’on croit sans conséquences…

On n’ose pas dire au médecin qu’un mot nous a fait mal.
On ne se plaint pas d’un soignant qu’on trouve parfois un peu brusque.
On serre les dents quand on souffre.

Mais au fait, pourquoi ne dit-on rien? De quoi a-t-on peur au juste?
Pourquoi ne pas raconter, pourquoi ne pas dire ce qui nous fait souffrir?

Je suis soignée, tu es soignant.
Je suis soignante, tu es soigné.
Parfois, nous ne nous comprenons pas. Parfois, il suffit juste de se parler, de dire qu’un geste était maladroit, d’expliquer qu’une parole était malvenue.
Parfois, c’est suffisant. Et si ça ne l’est pas, ça aura au moins le mérite d’être posé et, qui sait, de servir à d’autres.

Voilà, c’est un tout petit billet, c’est juste pour vous présenter ce nouveau blog : http://petitesmaltraitancesordinaires.blogspot.fr/

Un blog participatif, où vous pouvez venir raconter vos expériences, pour que ça puisse servir.

Parce qu’en tant que patiente, j’aurais parfois aimé qu’on me considère autrement.
Parce qu’en tant qu’aidante, j’aurais souvent eu besoin d’explications.
Parce qu’en tant que soignante, j’ai encore tant et tant à apprendre.

Vous pouvez déposer vos témoignages à l’adresse suivante : vieuxetmerveilles@hotmail.fr

Et pour ceux que le sujet intéresse, sachez qu’il y aura bientôt un #mededfr sur le sujet.

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Le matin rose et la dame pipi

Avant de vous raconter la suite de mes débuts (ou le début de la suite), il faut à tout prix que je vous relate une petite anecdote (sous la pression de @GeluleMD qui a explosé de rire quand je lui ai raconté cette scène).

L’histoire se passe un dimanche. Ce jour-là, c’est relâche. Le week-end, pas de grandes toilettes ni de douches, l’équipe est en sous-effectif alors on va au principal. Bref, pour résumer, le week-end c’est VMF. Vous ne connaissez pas l’expression?
VMF = Visage Mains Fesses. Le reste attendra lundi (inutile de vous dire que je n’aime pas travailler le lundi). Forcément, comme on en fait moins, on a plus de temps. On pourrait utiliser ce temps gagné pour faire des trucs qu’on n’a pas le temps de faire en semaine : des animations, du temps passé avec les résidents, un toucher-massage… Bref, toutes ces petites choses agréables qui font qu’une aide-soignante n’est pas qu’un simple agent nettoyant. Sauf que… (ben oui, vous le voyez venir le piège).
Sauf que le dimanche, le truc le plus important, ça n’est pas les cinq minutes de papote consacrées à Madame Mésange ou le quart d’heure de marche avec Monsieur Albatros. Non. Le truc le plus important, c’est la pause d’une heure avec l’équipe, tous ensemble dans le réfectoire. Oui, une heure. Une heure pendant laquelle nous sommes payés à travailler. Bref.
Ce jour-là, comme à mon habitude (j’avoue), je suis en retard sur mes soins. Je manque encore cruellement d’organisation, je me perds dans les étages et ne reconnais toujours pas les 60 résidents. Je suis de « matin rose », ce qui veut dire que j’ai l’horaire du matin (6h30-14h30) et que je suis au deuxième étage (dont les murs sont roses). Facile non? Mes collègues sont partis en pause, je suis seule à l’étage, je rêve d’un café. Alors que je m’apprête à descendre, Madame Mésange m’interpelle.
« S’il vous plaît, j’ai envie de faire pipi. »
Madame Mésange, sur le palier du deuxième étage, en fauteuil roulant dont les roues sont bloquées, continente, à 20 mètres  de sa chambre, ne peut se déplacer seule. Ça me prendra cinq minutes de l’amener aux toilettes, et j’irai prendre mon café après. Je m’empare donc des poignées du fauteuil et, alors que nous nous mettons en route, ma collègue « matin gris » surgit derrière moi.
« Ben qu’est-ce que tu fais? » me demande-t-elle interloquée.
« Euh… (là, je me dis que j’ai fait une connerie, mais je ne sais pas encore laquelle), j’amène Madame Mésange aux toilettes, pourquoi? »
« Mais non! C’est pas à toi de le faire! C’est à la coupe orange! » (NDLR : la « coupe orange » travaille en horaires de coupe et est affectée à certains résidents du deuxième et et du  troisième étage)
« Oui, mais elle est en pause, et Madame Mésange a envie de faire pipi, alors puisque je suis là… »
« Mais non! Tu ne peux pas faire ça! Madame Mésange sait très bien que c’est à la coupe orange de l’amener aux toilettes! Là ce n’est pas l’heure. Donc elle attend, de toute façon elle a une protection! »
« … » (j’ai envie de répliquer un truc super intelligent mais je suis tellement abasourdie par cette réponse que je reste plantée là bêtement sans rien dire)
« Oui mais exceptionnellement, puisque je suis là… »
« NON! Si tu fais ça, demain elle demandera encore, et après elle va prendre l’habitude, et on va pas s’en sortir! Y a un plan de soins, faut le respecter! Elle attend! »

Voilà. La vie en EHPAD, c’est quand le matin rose veut t’emmener aux toilettes alors que c’est à la coupe orange de le faire et que le matin gris t’enjoint de te retenir parce que merde, le plan de soins c’est pas fait pour les chiens! Continuer la lecture

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La vie rêvée de l’aide à domicile

On leur a dit que c’était le plein emploi.
On leur a dit qu’elles pourraient choisir leurs horaires.
On leur a dit qu’avec le diplôme elles auraient un salaire correct et une reconnaissance sociale.
Alors elles se sont engouffrées dans cette voie, les yeux fermés et le coeur vaillant.
Certaines sont retournées sur les bancs de l’école.
Elles ont passé le DEAVS (Diplôme d’État d’Auxiliaire de Vie Sociale).
D’autres ont été embauchées sans diplôme, sur la seule base de leur bonne volonté. Mais on leur a promis qu’on leur ferait faire une formation en cours d’emploi.
Elles ont découvert le monde merveilleux de l’aide à domicile.
Désenchantement.
Les situations racontées ici sont issues de divers forums de discussions consacrés aux auxiliaires de vie. Les noms et les détails des situations ont été changés pour préserver l’anonymat de celles qui témoignent.

Hier j’ai eu un accident de voiture. Je me retrouve sans véhicule et mon contrat se termine demain. Je devais être renouvelée, mais sans véhicule c’est impossible.

Le fils d’une personne chez qui je dois intervenir ce soir à 19h me reproche d’être en arrêt maladie. À l’entendre il ne peut pas compter sur moi et ne comprend pas pourquoi je suis en arrêt aujourd’hui alors que je n’avais pas l’air malade hier. Il m’a demandé d’en savoir plus sur mon arrêt.

J’ai refusé une intervention de 30mn tous les soirs à 40 km de chez moi et jai eu un avertissement.


Marre qu’ils me rajoutent des heures sur mes repos. Même pas un appel, juste un planning reçu sur mes mails en me rajoutant deux missions demain alors que je n’ai plus de voiture actuellement. Je pète les plombs.


J’ai réussi l’écrit et l’oral pour le DEAVS et on me dit qu’on ne peut plus me financer la formation. C’était vraiment mon projet, je me sens mal.


Je suis aide à domicile. Mes employeurs me demandent de signer un autre contrat qui ferait passer les indemnités kilométriques de 0.45€ à 0.15€. Les autres filles ont signé mais j’hésite.


D’habitude je suis en repos le jeudi mais cette semaine on m’a envoyée en formation jeudi donc m’ont on  m’a mis en repos lundi dernier à la place. Je travaille ce week-end et mon prochain repos est jeudi prochain donc ça me fait neuf jours de travail à la suite.


Intervenir chez une personne dont les seules informations transmises sont l’adresse, la pathologie (hémiplégie) et, je cite, « est très exigeante ». Il s’avère que la personne est également aphasique. Je me suis sentie bien démunie face à cette dame que je suis censée aider et soulager alors que l’intervention n’a été que source de stress et de frustration pour toutes les deux.

Comment faites-vous pour gérer une personne atteinte d’Alzheimer? J’ai beaucoup de mal, elle est très agressive avec moi. Hier quand je suis partie de chez elle j’en avais mal au ventre tellement j’en avais pris pour mon grade, du style que je suis là pour nettoyer sa merde et que je suis payée pour ça. J’ai essayé d’en discuter avec ma responsable mais elle me dit que c’est la maladie qui veut ça.


Une de mes collègues a refusé une intervention ce week-end car elle n’avait pas les moyens de faire garder son fils. Pas assez d’heures mensuelles, pas de compagnon, seule pour élever son enfant. Elle a le statut d’aide à domicile et on lui demande de travailler le soir pour repas et mise au lit.
Je viens d’appeler mon chef de secteur pour déplacer un rendez-vous pour la préparation de mon prochain oral pour passer la VAE du DEAVS et il me répond que si c’est accordé ils me prennent un congé payé.

Ils ont LE DROIT , ou devrais-je dire TOUS les DROITS. La journée de congé payé ils la prennent alors que vous êtes en formation oui oui ils ont le DROIT. Je craque, je craque et je les HAIS!


Je suis auxiliaire de vie à temps plein dans une association. Arrivant en fin d’année, nous avons passé une année avec des plannings surchargés. J’ai plus de 200 heures supplémentaires. Ils nous disent qu’au bout de deux refus d’interventions nous aurons un blâme et au bout de trois blâmes une mise à pied.

Je suis en congés du lundi 22 au dimanche 28 (congés acceptés par ma responsable). Or, en recevant mon planning des interventions des week-end, je constate que je dois travailler le dimanche 28.


Je suis embauchée depuis mai en CDI, ils m’ont fait plein de promesses. Au début, j’ai remplacé les absentes et j’ai fait beaucoup d’heures (au moins 50h/semaine). À présent je fais peu d’heures car les absentes sont revenues, elles ont repris « leurs » bénéficiaires. Ils embauchent des nouvelles au lieu de me rajouter des heures, je ne comprends pas leur façon de faire. Je ne fais que du ménage et je remplace souvent quand il n’y a personne d’autre. Je suis démotivée, d’autant plus que je suis la seule à avoir le DEAVS, et en plus payée au SMIC. Sur ma fiche de paye, la qualification, le coef, néant, il y a juste marqué assistante.


Je suis aide à domicile. Nous devrions avoir 11h/an de temps de soutien. À ce jour j’ai eu deux réunions d’une heure, que je ne nommerai pas de temps de soutien car concrètement il s’agit plutôt de rappels à l’ordre de la direction. En même temps il y a des choses que j’aimerais exprimer et que je garde sur le cœur car je ne me sens pas d’en parler pendant ces réunions.


Je suis aide à domicile, je dois me rendre chez un client mais pour cela il faut que je passe avant au bureau chercher les clés. Après la prestation je dois retourner au bureau rendre les clés avant de me rendre chez le client suivant. Ce n’est pas compté en temps de travail effectif et les kilomètres ne sont pas indemnisés.


Chez nous la remise des plannings et le temps pour les transmissions d’informations ne sont pas comptés.


La dame chez qui j’interviens me fait sans cesse des reproches et ne me dit même pas bonjour quand j’arrive. Elle est tout le temps derrière moi à se plaindre et à me dire que je ne sais pas travailler. Elle me fait lessiver les murs, nettoyer la cuisinière, les faïences, la baignoire… « pour me faire chier » (ce sont ses mots). À force de me faire humilier et rabaisser j’en ai parlé à ma responsable car je refusais d’y retourner. Il y a eu confrontation, la bénéficiaire est allée jusu’à gifler ma responsable… mais je dois quand même y retourner. J’en suis malade.


J’ai eu un PV de 17€ pour stationnement car temps dépassé. C’était pendant une intervention à domicile. Nous n’avons pas de macaron et mon employeur refuse de m’indemniser.


Je suis en déficit d’heures depuis quatre mois et ma responsable de secteur me dit qu’ayant le diplôme je coûte plus cher. Les collègues n’ayant pas de diplôme coûtent moins cher et sont, elles, en excédent d’heures. Elle me met une certaine pression en me rappelant de rattraper cela, quitte à faire des heures et des kilomètres.

J’interviens chez une dame en GIR1. Les limites de mes compétences sont largement dépassées. J’ai fait une fiche de signalement mais mon asso ne veut pas que j’arrête le dossier car ça me ferait perdre des heures. Il n’y a pas de lit médicalisé et la personne est vraiment difficile à manipuler du fait de sa maladie. Il faudrait y aller à deux mais personne ne veut rien savoir, mon supérieur a menacé de me licencier si je continuais à me plaindre.


Mon employeur est décédé. Son frère, qui était son tuteur, ne m’a pas payée le dernier mois, ce qui représente 176 heures. De plus, il ne m’a pas remis le document de fin de contrat. Il me dit que le compte est bloqué et que c’est le notaire qui s’occupera de tout ça. Je n’ai plus de travail, rien pour le prouver, et pas de salaire. Que faire ?


Planning du lundi : 9h15 – 10h15 puis 12h30 – 13h15 puis 16h30 – 17h puis 20h – 20h30. 2H45 de payées et 3h de déplacements non indemnisées.


Ma responsable m’a appelée à 10h pour me donner une mission de 15h à 17h. N’ayant personne pour aller chercher mon fils à l’école, j’ai dû refuser. Elle me soutient qu’étant en dessous de mon quota d’heures pour le mois, si je refuse cette mission elle m’enlèvera deux heures sur mon salaire.


J’interviens 5 fois par semaine chez un monsieur qui s’alcoolise et qui a des gestes déplacés (tentatives d’attouchements). J’ai prévenu ma responsable mais celle-ci continue de m’envoyer chez lui car personne d’autre ne veut y aller. Je me sens mal, je ne peux plus rien avaler, j’ai mal au ventre. Je ne me sens ni écoutée ni soutenue.


Je travaille du 5 au 15 mars inclus, sans interruption, ce qui fait 55h de travail sans un jour de repos. Puis du 25 au 31, sans repos également. Ça me fatigue d’avance, je ne suis pas sûre de tenir.


Je suis AVS. Lors du transfert d’un patient mon dos s’est bloqué. Le médecin m’a prescrit un arrêt. Suite à cet accident j’ai demandé à mon employeur (le patient qui m’emploie en CESU) un lève-malade mais cela a été refusé. Je le soupçonne de vouloir me licencier car d’après lui je ne peux plus effectuer les tâches qui me sont demandées. En a-t-il le droit ?


Ça fait deux semaines que je bosse pour une association et je n’en peux plus. Je suis épuisée, lessivée. Je commence tous les jours à 8h pour finir à 20h avec un trou de 14h à 17h.
Je suis aide à domicile sans diplôme. J’interviens chez une personne pour une toilette complète au lit. Elle a fait un AVC et ne peut même pas tenir un gant. Je lui mets les médicaments au coin de la bouche pour qu’elle les avale. Que se passe-t-il en cas de problème?
J’ai obtenu le DEAVS grâce à une VAE que j’ai effectuée en dehors de mon temps de travail, avec financement personnel. Mon employeur refuse de changer ma fiche de poste car il m’a embauchée en tant qu’aide à domicile et non en tant qu’auxiliaire de vie. Huit ans d’ancienneté dans cette boîte.
Commencer à 7h et finir à 20h30. Je suis fatiguée.
D’après ma responsable de secteur il est tout à fait normal de ne pas avoir de repos quand on travaille le week-end, ce qui nous fait donc douze jours d’affilée. C’est normal?
J’ai un week-end de repos pour quatre semaines de travail, c’est normal?
Mon employeur ne me fournit pas de gants, ni pour le ménage ni pour les toilettes, et encore moins de solution hydro-alcoolique. J’achète tout moi-même.
Je n’ai mon planning que le jeudi ou le vendredi pour la semaine suivante, ça me pose souvent des problèmes d’organisation.
Je suis auxiliaire de vie. J’ai un contrat de 120h/mois mais mon patron veut le réduire. Comme j’ai refusé, il m’a quand même enlevé une trentaine d’heures et me fait faire le ménage dans les bureaux.
J’ai mon diplôme d’auxiliaire de vie mais suis payée en tant qu’aide ménagère.
Je suis aide à domicile non diplômée. J’interviens chez une dame handicapée très dépendante. Je prépare son pilulier, écrase les médicaments, les lui donne, la fais manger, lui fais sa toilette, l’habille, fais son ménage, son repassage… Si je compte les heures de présence effective et de présence responsable, ça me fait du 6€ de l’heure.
Dans mon association les nouvelles font deux jours de tournée avec une ancienne puis sont larguées sans fiche de poste. Elles ont juste une adresse et doivent se débrouiller avec. Elles sont jeunes, souvent débutantes, et sont stressées.
C’est en passant au bureau à midi que j’ai vu que mon planning avait changé. J’aurais dû me trouver chez une nouvelle bénéficiaire pour une aide au repas à 11h30, mais je n’étais pas prévenue. J’y suis allée en vitesse, je n’ai pas eu de pause-repas.
Une bénéficiaire refuse que j’ouvre les fenêtres car elle a peur que ses chats se sauvent. Le sol est couvert d’urine et d’excréments de chats et de chiens. J’ai prévenu ma responsable mais celle-ci me dit que c’est à moi d’être plus convaincante. 
Des témoignages de ce genre, il y en a des dizaines, que dis-je, des centaines. Ces femmes sont « le pilier du maintien à domicile », tant vantées par nos chers élus. Elles sont celles qui viennent aider votre grand-père, veuf depuis peu, à préparer ses repas. Celles qui viennent aider votre mère à s’habiller tous les matins. Celles qui font les courses de votre voisine. Celles qui écoutent patiemment votre tante raconter pour la cent-douzième fois comment elle a perdu son chat. Celles qui emmènent votre grand-oncle voir la mer parce que tout seul, sans voiture, il ne peut plus. Celles à qui on a promis un travail et une valorisation de celui-ci et qui se retrouvent à nettoyer la merde du chat chez une alcoolique acariâtre. Celles qui élèvent seules leurs gosses et qui n’ont pas le droit de se plaindre quand Pervers Pépère leur tripote les fesses en passant. Celles à qui l’on conseille une formation professionnelle diplômante mais à qui le financement est refusé. Celles qui ne prennent pas de congés parce qu’elles jonglent entre trop d’employeurs. Celles qui mangent froid tous les jours parce qu’elles n’ont même pas une salle de repos à leur disposition. Celles qui doivent parfois se cacher pour aller aux toilettes chez les bénéficiaires parce que certains leur refusent ce droit. Celles qui se reposent dans leur voiture parce qu’elles habitent trop loin pour rentrer. Celles qui refusent un arrêt-maladie parce qu’elles n’ont pas les moyens de ne pas travailler. Celles qui donnent leur salaire à la nounou pour qu’elle s’occupe de leur famille pendant qu’elles s’occupent de celle des autres. Celles qui rentrent épuisées chez elles après une journée passée dehors pour laquelle elles ne seront payées que quatre heures. Celles qui, malgré tout, aiment leur métier car il est riche de belles rencontres.
On parle beaucoup de maltraitance envers les personnes âgées, on parle moins de maltraitance envers les aides à domicile. Et pourtant, elle existe. Conditions de travail indignes, salaires de misère, horaires à rallonge… Mépris, humiliations, indifférence.
« Le travail c’est la santé »
Ah bon?

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Bravoooooo! (suite)

Bon… Il faut que je revienne sur le billet Bravoooooo!

Je comptais faire une réponse reprenant quelques commentaires tirés de facebook mais j’avoue que je n’ai pas le courage de les recopier ici (c’est surtout que je manque de temps en fait, ça me prendrait des heures!)
J’avoue avoir été surprise par la violence de certaines réactions. Juste pour le plaisir, en voici quand même quelques unes :
« Ahah ça se voit qu’elle n’est qu étudiante parce qu’elle n’a rien compris. Elle parle de sujets qu’elle ne connaît pas et elle généralise.« 
« texte aussi idiot inutile et dénué de connaissances. »
« vous compter dire au soignants ce qu’ils faut dire aux soignés sans leur laisser parler avec leur spontanéité et leur coeur ? »
« Que de caricature dans ce texte… Hâte de vous voir en poste« 
« Sans intérêt….. Encore un étudiant qui se sent mieux pensant que les soignants… « 
« Pffff et elle se croit drôle avec son mot de pseudo esprit…. « 
« on verra bien quand elle sera diplômée depuis plusieurs année comment elle se comportera spontanément! »
« Et je pense que cette personne à écrit ce texte plus pour faire plaisir ou bien paraitre au yeux de sa formatrice . ( donner des petits surnoms ou être amical et familier relève d’une sorte de maltraitance ) . Que pour elle même . »
Car avec l’expérience elle changera surement d’avis » (celui-là je l’adore!)

« Oui on les infantilise et alors ?? » (celui-là aussi)

J’arrête ici, j’ai le tournis. Vous pouvez lire la suite ici et . Et en passant, je rebondis sur ce commentaire : 
« J’espère au moins que tous ces commentaires, lui permettront de se questionner, de questionner les soignants, pour ensuite un second texte avec un peu plus de professionnalisme. « 
Donc, allons-y pour un texte un peu plus « professionnel ».

1) Oui, je me questionne. Et même, je ne fais que ça. Tout le temps. Au boulot. En voiture. À la maison. En faisant mes courses. En mangeant ma purée… 
Beaucoup de mes phrases commencent « Au fait je pensais à un truc tout à l’heure… »  
C’est fatigant. Pour moi comme pour les autres (j’avoue). Je ne souhaite à personne d’être dans ma tête, parce que toutes ces questions tournent et retournent sans cesse. Et pour toutes ces questions, il me faut des réponses. Alors je lis, j’interroge, je réfléchis. Et ça aussi c’est fatigant. D’ailleurs, parfois, j’aimerais bien me poser un peu moins de questions. Ça me rendrait la vie plus facile. Et le boulot aussi. Surtout le boulot d’ailleurs. Parce que bon, faut quand même que je précise une « petite » chose, et j’en arrive au…

2) Non je ne suis pas une jeune étudiante écervelée qui arrive en fanfare pour sortir son discours prêchi-prêcha aux soignants aguerris. Je suis aide-soignante, diplômée (bon, le site infirmiers.com est resté sur l’ancienne présentation, pas grave, les réactions concernant ces branleurs d’étudiants étaient très intéressantes), et je travaille en EHPAD.
Avant ça, j’étais auxiliaire de vie, non diplômée, et je travaillais à domicile avec des personnes âgées.
Encore avant j’étais monitrice-éducatrice, diplômée, et je travaillais en institution avec des personnes handicapées.
Encore encore avant j’étais « rien du tout », non diplômée, et je travaillais en crèche avec des enfants.
Accessoirement, j’ai deux enfants, mais ça on s’en fout (un peu). J’en arrive donc au…

3) Avec tout ça, ça commence à faire un certain nombre d’années que je travaille avec des publics dits « fragiles », et ça fait tout autant d’années que j’exècre le parler-bébé et la gagatisation. Et quand bien même je serais une jeune étudiante fraîchement arrivée dans son IFAS, qu’est-ce que ça changerait? Il n’y a que les professionnels diplômés ayant dix ans d’expérience qui ont le droit de parler? Les autres doivent attendre leur tour? Belle mentalité. Je comprends mieux la souffrance des stagiaires… À en croire certains, il y aurait donc d’un côtés les jeunes cons prétentieux, et de l’autre les vieux sages aguerris? Et c’est moi qu’on taxe de manichéisme?

4) Ce billet, je l’ai écrit un peu à la va-vite, je l’avoue. Alors oui, il est sans doute caricatural (j’assume), peut-être prêchi-prêcha (j’assume aussi), mais « idiot », « inutile », « dénué de sens et de connaissances »… ça, Votre Honneur, je proteste! Parce que bon, je suis peut-être une jeune conne arrogante dénuée de bon sens, mais le sujet traité ici n’est pas pour autant si dénué d’intérêt que ça, n’en déplaise à tous les parfaits professionnels qui l’ont commenté. D’ailleurs, l’infantilisation des personnes âgées a déjà été traitée de nombreuses fois, c’est donc qu’il y a matière à y réfléchir non? En cherchant un peu, il y a plein d’articles disponibles un peu partout. Rassurez-vous, ils n’ont pas été écrits par des étudiants arrogants mais par des psychologues, des médecins, des aidants… Bref, des gens qui ne sont pas forcément des élèves arrogants et imbus d’eux-mêmes.
Comme je suis sympa, je vous mets quelques liens : 

http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=JDP_256_0034

http://www.soignantenehpad.fr/pages/maltraitance/le-parler-pepe-et-meme-en-e-h-p-a-d.html

http://www.soignantenehpad.fr/pages/maltraitance/ou-commence-la-maltraitance.html

http://www.evolute.fr/relation-aide/infantilisation-personnes-agees 

5) Il y a un truc que j’aime bien, c’est la communication. Apprendre à donner un point de vue et à recevoir celui de l’autre. Apprendre à se parler sans s’agresser. Apprendre à écouter des arguments. Apprendre à s’informer aussi. S’il y a bien un métier où je trouve la communication essentielle, c’est celui de soignant. Parce qu’on travaille avec et pour d’autres. Parce qu’on s’enrichit de nos expériences. Parce qu’on essaie de progresser. Parce qu’on peut se tromper. Je suis sans doute une incorrigible naïve, mais je crois dur comme fer aux bienfaits du dialogue et de l’échange d’idées, dans le calme et le respect de chacun. Il ne me viendrait pas à l’esprit d’aller pourrir un(e) collègue parce que je ne suis pas d’accord avec ses idées. Mais bon… Je suis une incorrigible naïve.

6) J’écris sur ce blog depuis un petit moment. J’y raconte une expérience, la mienne, j’y parle de valeurs, les miennes. Je ne force personne à venir lire, je n’oblige personne à être d’accord avec ce que j’écris. C’est un espace de liberté, mon espace. Et quand je vois des collègues utiliser le parler pépé-mémé avec des résidents, je ne les prends pas dans un coin pour leur dire ma façon de penser. C’est leur façon de faire, leur façon d’être, ça ne me regarde pas. Par contre, si on aborde le sujet et qu’ils/elles me parlent d’une étude expliquant que c’est bénéfique, je pense que j’aurai la décence d’aller lire l’étude en question afin de confronter nos points de vue.

7) Je fais des erreurs, comme tout le monde. J’essaie, je me trompe, j’essaie autre chose. Parfois je me trompe encore. Je tâtonne, je cherche, j’apprends. Et j’espère apprendre pendant longtemps encore. J’espère n’avoir jamais de certitudes, laisser mon esprit ouvert à d’autres apprentissages, d’autres façons de faire. J’essaie de faire comme Socrate : en admettant que je ne sais pas, j’accepte d’apprendre. Alors que si je suis sûre de savoir, je dois d’abord désapprendre pour pouvoir apprendre à nouveau. Et si un jour je suis pétrie de certitudes, si j’estime que je n’ai de leçon à recevoir de personne, je ne manquerai pas d’aller le clamer sur les réseaux sociaux en incendiant les élèves et les débutants, ces morveux qui croient tout savoir mieux que tout le monde!
 
PS : je ne parle même pas des pseudo-références scientifiques qui justifieraient l’infantilisation, étant donné qu’aucune source n’était citée. Continuer la lecture

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Bravoooooo!

Imaginez : vous êtes un jeune parent, complètement fou d’amour et gagatisant pour votre enfant. Cet enfant, forcément, c’est le plus beau, le plus intelligent, le plus mignon, le plus gentil, bref, le plus tout! Aujourd’hui est un jour miraculeux qui vous emplit de joie car l’enfant, le chérubin, l’élu, a mangé TOUTE sa purée tout seul, comme un grand! Et vous, vous l’heureux parent qui avez engendré cette merveille de la nature, vous vous extasiez – à juste titre – devant cet exploit.
– Bravoooooo, dites-vous en tapant dans vos mains avec un sourire jusqu’aux oreilles.
Votre enfant, voyant votre enthousiasme débordant pour un truc somme toute assez banal (il a mangé sa purée), vous sourit en retour. Il sourit, vous souriez, la vie est merveilleuse.

Même enfant, même parent. Cette fois-ci l’enfant, le chérubin, l’élu, a fait caca dans son pot. Psychologiquement, c’est un grand jour : en pleine période du non, l’enfant cède, il « donne » son caca à ses parents et, en comprenant toute la symbolique de cet acte crucial, vous sautez de joie.
– Bravoooooo, dites-vous en agrémentant votre dernier statut Facebook d’une magnifique photo de l’étron divin.
Votre enfant, dépassé par ce qui vient de se jouer dans son pot, vous sourit en retour. Il sourit, vous souriez, la vie est fabuleuse.

Maintenant, imaginez ces deux scènes, à quelques détails près, avec non plus un enfant et un parent mais une personne âgée et un soignant. Relisez la scène à haute voix, en y mettant le ton. Même sur le « Bravoooooo ». Surtout sur le « Bravoooooo ». Vous sentez le malaise? Vous voyez toute l’infantilisation de la personne âgée qui a fini sa purée ce midi? Vous supportez le compliment odieux sur le caca lâché dans le montauban?

Monsieur M. a été torturé par la Gestapo, les soldats lui ont brisé les phalanges une par une.
Madame C. ne sait plus quand elle est née, ni où. Elle ne sait presque plus rien en fait. Et ça lui fait peur. Terriblement peur.
Monsieur V. a survécu à deux cancers.
Madame H. a perdu son fils et ses deux petits-enfants dans un accident de voiture. Elle ne s’en est jamais remise.

Ces gens, ils ont une histoire, des histoires. Ils ont aimé, souffert, donné la vie, vécu la maladie, et tant d’autres choses. Des choses merveilleuses et d’autres dramatiques. Des choses qu’on n’ose parfois même pas imaginer. Et aujourd’hui, au crépuscule de leur vie, il y a des soignants qui les félicitent niaisement parce qu’ils ont mangé toute leur purée. Ou parce qu’ils ont fait caca. Vous le sentez le paradoxe? Continuer la lecture

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ALLÔ MAMAN BOBO !


J’ai pour habitude de mettre une pointe d’humour ou de dérision dans chacun de mes billets, mais là, je n’essaierai pas, tout du moins pas trop. Quoique, pourquoi pas ? Je vais aborder un sujet grave, dramatique, qui met en émoi la population dès qu’un fait divers est traité par les médias, avec cette même question qui revient de façon plus ou moins sous-entendue et sous forme de procès d’intention : « Mais que font les services sociaux ?! »
 
Mais oui tiens, voilà qu’elle est bonne cette question, que font-ils ? Qui sont-ils ? Où se trouvent-ils ? On y reviendra.

Il y a quelques semaines, un reportage a été diffusé sur une grande chaîne publique dans une célèbre émission, genre qui passe le jeudi en prime time, abordant le sujet de la maltraitance à enfants. Trois situations dramatiques ont été relatées, trois faits divers atroces, trois enfants morts sous les coups ou la barbarie d’adultes. A posteriori, les journalistes que l’on peut qualifier d’envoyés spéciaux (si tu ne vois pas de quelle émission il s’agit, tu vis probablement sur une autre planète) mènent l’enquête et retracent le parcours de ces enfants jusqu’à leur dernier jour de vie. Si tu as vu ce reportage sans avoir ressenti le moindre émoi, ton cas est désespéré et désespérant. Tout est détricoté, passé en revue, la vieille voisine qui n’a rien vu, rien entendu, le pédiatre consulté peu de temps avant le drame, interrogé et filmé en caméra cachée, l’assistante maternelle, et ces satanés services sociaux… Mais que font-ils bordel de merde ?!
 

Paradoxalement, l’autre phrase qui revient régulièrement avant le stade dramatique, dans le contexte où l’on se questionne lorsqu’on est préoccupé par un enfant que l’on soupçonne d’être en danger est : « Roh ben non quand même, je ne vais pas alerter les services sociaux, des fois qu’ils retirent l’enfant de sa famille, hein, quand même, c’est pas la peine d’aggraver la situation »…………..
 

Voilà en gros, en résumant et caricaturant ce qui se passe souvent dans la tête des gens, le grand paradoxe : « Le pauvre, si j’alerte et qu’on le place, roh ben quand même », puis une fois le drame arrivé et médiatisé « Putain de services sociaux de mes deux ! »
 

Alors si on avançait un peu ?
 

Les services sociaux : Où ? Qui ? Quoi ? Comment ?
 

Des services sociaux, y en a plein, y a un service social dans les hôpitaux, dans les communes, à la sécurité sociale, etc… Donc quand on parle des services sociaux, c’est vague. La DDASS ? Non perdu, ça n’existe plus et même quand ça existait encore, c’était plus ça. Tu entends pourtant régulièrement et peux même lire dans certains journaux : « les enfants d’la DDASS ». C’est faux.
 

Les services sociaux en question sont (pour le moment encore mais ça risque de changer : réforme territoriale oblige) les services du Conseil Général. Le Président du Conseil Général est le pivot de la protection de l’enfance. Par exemple et vraiment au hasard, jusqu’en 2012 en Corrèze c’était M’sieur François Hollande. Encore un autre exemple vraiment au hasard hein. Plouf plouf : 92. Dans le département des Hauts-de-Seine jusqu’en 2007, c’était M’sieur Nicolas Sarkozy. C’est drôle le hasard ! Plouf plouf.
 
Bon en pratique, t’inquiète, c’est pas le Président du Conseil Général en personne qui s’occupe de ça, il a un service dédié, car vu qu’en plus d’être Président de CG il est souvent député ou sénateur voire se prépare pour l’élection présidentielle plus tout ce qu’on ne sait pas trop, il délègue. C’est bien normal. Il y a donc au sein de chaque conseil général un service dédié à la protection de l’enfance.
 
Mais ce service (on parle plus de mission que de service) du Conseil Général n’est ni la police ni la justice. Il ne met personne sur écoute téléphonique, il n’installe pas de caméras chez les gens pour surveiller ce qui s’y passe. Cette mission s’appelle l’Aide Sociale à l’Enfance, ASE dans le jargon, à prononcer «AZEU».
 
Personnellement, en tant que médecin, je n’ai pas le sentiment d’avoir été beaucoup sensibilisé ni correctement formé durant mes études sur le sujet de la maltraitance à enfant. On peut en conclure que je n’ai pas été très studieux ou que je n’ai pas bien compris le cours si cours il y eut mais en discutant avec des confrères formés ailleurs, le sentiment semble plutôt partagé. Pendant longtemps, les quelques notions que j’avais étaient qu’en cas de maltraitance, il fallait avertir le Procureur de la République sans tarder, point barre. Donc pour déranger ce grand monsieur moi qui suis un grand timide, je me disais qu’il fallait un dossier costaud, donc que l’enfant soit relativement bien amoché. M’enfin, je n’allais pas le déranger pour pas grand-chose le Proc, voyons. D’ailleurs, je me suis souvent demandé comment le joindre ce type. Parce que dans l’affolement d’une situation d’enfant maltraité, je me suis toujours dit que ça serait mieux d’anticiper et d’avoir son N° sous le coude. Dans les pages jaunes à : Procureur de la République ? Bref, je me suis souvent posé des questions, je n’y ai jamais vraiment répondu et j’ai eu la chance de ne jamais rencontrer d’enfants suffisamment amochés pour appeler le Proc. Ou alors je suis passé à côté…
 
En pratique, un médecin qui n’a quasiment aucun doute qu’un enfant soit maltraité peut DOIT (1)le signaler, c’est un cas de dérogation au secret médical (2), c’est le signalement (3). Pour joindre le Procureur, il suffit d’appeler le tribunal le plus proche ou encore la police qui communiquera le N°. Finalement c’est assez simple. Sauf que ça, c’est la situation extrême, et fort heureusement pas la plus fréquente.
 
Il y a toutes ces situations où « p’t’ête bien qu’oui mais p’t’ête bien qu’non ». Ces situations où l’on se pose la question, on connaît la famille, ses difficultés de tout type, ces situations où le papa est lui-même toubib, la maman avocate, alors quand même, pas eux, c’est pas possible, c’est que chez les « cas sociaux » normalement… Toutes ces situations où le môme n’est pas physiquement fracassé mais où on est tout de même préoccupé. Pour tout ça, à partir du moment où on se pose la question, on peut faire appel aux services des conseils généraux pour communiquer une information préoccupante. Dans chaque département, il y a une cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. En fonction des éléments transmis, les professionnels de l’Aide Sociale à l’Enfance (principalement éducateurs spécialisés et assistants sociaux) iront évaluer la situation. Si finalement aucun élément inquiétant n’est relevé, il n’y aura aucune suite. En cas de difficultés, ils proposeront différents types d’aides notamment éducatives. En cas de difficultés avérées mais refus des aides proposées, aucune adhésion de la famille, ou encore en cas de danger avéré et plus important que ce que ne pouvait laisser entendre l’information préoccupante initiale, la justice est saisie. C’est à elle que revient l’éventuelle décision de placement.
 
Le signalement au Procureur comme la transmission d’une information préoccupante au Président du Conseil Général ne débouche donc pas systématiquement sur le placement de l’enfant mais plus souvent sur des propositions d’aides. Il faut également savoir que le professionnel à l’origine d’une de ces deux procédures (transmission d’un signalement ou d’une information préoccupante) doit en informer les détenteurs de l’autorité parentale sauf s’il évalue que cela pourrait aggraver la situation.
 
Pour faire le parallèle avec un truc bien concret, nous les toubibs on aime le concret, c’est un peu comme l’infarctus du myocarde. Tu es sûr et certain qu’un patient présente un infarctus, ou tu le suspectes fortement, tu ne chipotes pas pendant des plombes, tu appelles le 15 et roulez bolides ! Si en revanche, tu n’as pas d’éléments objectifs et nets, tu es certain qu’il ne fait pas un infarct mais que quand même, il a des risques, tu ne le sens pas, ben oui parfois en médecine c’est un peu ça, y a des trucs que tu sens et des trucs que tu ne sens pas, « c’est p’t’ête pas pour tout de suite mais y a des petits signaux d’alarme et si ça continue ça pourrait bien lui tomber derrière les oreilles », tu évalues ces risques, tu peux l’envoyer chez le cardio pour affiner le problème, confirmer ou infirmer tes préoccupations, et mets tout en place pour éviter qu’il n’en présente un un jour en cas de risques avérés. Parfois, le mec pour lequel tu as appelé le 15 tellement tu étais sûr de toi ne va pas si mal, il ne se retrouve pas forcément en soins intensifs de cardio. Au contraire, il arrive que le type adressé sans urgence chez le cardio qui n’a rien trouvé soit rassuré mais fasse son infarct sur le paillasson en sortant du cabinet de cardiologie. Voilà un très grossier parallèle histoire de simplifier ou sentir le truc afin de comprendre la différence entre le signalement et l’information préoccupante.
 
Pour le commun des mortels et afin de ne pas s’embrouiller l’esprit avec ces différentes procédures qui sont plutôt destinées aux médecins ainsi qu’à tous les professionnels de l’enfance, on ne compose pas le 15 lorsque l’on est inquiet ou que l’on est témoin qu’un enfant est en danger, le seul N° à retenir est le 119 (4).
 
Voilà de façon simplifiée comment ça se passe :
 
Pour les professionnels de l’enfance en fonction de leur organisation propre et de leur hiérarchie et pour les médecins :

-Enfant en danger (y a pas à chier, il faut le protéger) = signalement au Procureur (justice)

-Enfant possiblement en danger (oui mais non enfin peut-être) = information préoccupante (Conseil Général)

Pour tous les autres citoyens et toutes les situations = 119
 
Et si malgré tout tu te mélanges les pédales, c’est pas bien grave car Procureur/Conseil Général/119 communiquent entre eux et peuvent rectifier le tir.

Évidemment, en pratique, l’histoire n’est pas si simple et dès qu’un drame survient les «services sociaux» sont régulièrement pointés du doigt. Premièrement, il ne faut pas oublier que la protection de l’enfance est l’affaire de tous, professionnels et citoyens. Ne pas signaler par crainte de placement semble être un écueil fréquent. Il peut donc être utile d’avoir en tête que le placement est loin d’être systématique, et si c’est le seul moyen pour protéger un enfant, eh ben voilà, c’est comme ça. Un placement n’est pas figé dans le marbre, il n’est pas forcément permanent encore moins définitif même si parfois il peut l’être ou le devenir. Il peut être proposé par l’Aide Sociale à l’Enfance mais est ordonné par la justice. Ensuite, comme dans tous les autres domaines, tout cela nécessite de l’argent et des moyens… Quand l’évaluation de la situation débouche sur une proposition d’aide éducative acceptée par la famille mais que les délais de mise en place de cette aide sont de 6 mois, ça craint. Quand un placement est ordonné mais que faute de place, le bout d’ chou se retrouve bringuebalé d’abord dans un foyer d’accueil, puis chez une assistante familiale de secours en attendant de trouver la famille d’accueil définitive, c’est archi nul pour ne pas dire maltraitant. On peut aussi avoir l’esprit mal placé comme je l’ai pour faire la réflexion de la guéguerre des financeurs de toute cette histoire. La justice c’est le budget de l’Etat, l’ASE c’est le budget du Conseil Général, les deux services doivent bosser main dans la main avec une des mains sur le cœur pour protéger au mieux les enfants, mais quand même, quand c’est l’autre qui paye, c’est mieux. Je sais, c’est nul d’avoir l‘esprit mal placé, mais ceci n’est qu’une simple réflexion très probablement bien éloignée de la réalité. Alors occultons l’aspect financier de cette histoire…
 
Une fois de plus on peut faire le parallèle entre ces dysfonctionnements et certains délais de prise en charge médicale ou le manque de places dans certains services hospitaliers sans parler ô grand dieu de l’aspect financier de la santé puisque nous venons de dire que mieux valait l’occulter pour la protection de l’enfance donc occultons. On pourrait hurler : « Mais que font les soignants de ces services hospitaliers bordel ! ». Ben dans la majorité des cas ils bossent et font ce qu’ils peuvent non ? Donc à l’ASE (AZEU !) c’est pareil. Les agents bossent et font leur possible pour éviter le pire avec les moyens et les délais dont ils disposent, et les informations qu’on leur donne, quand on leur donne…

Quelques liens et références sur ce sujet pas très marrant mais tellement important :

 
– (1) Obligation déontologique pour le médecin de signaler un enfant en danger :

article 44 du code de déontologie médicale

– (2) dérogation au secret médical : article 226-14 du code pénal
 
– (3) modèle de signalement établi par le Conseil National de l’Ordre des Médecins
 
– (4) le 119 : allo 119
 
loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance
 
 
Observatoire National de l’Enfance en Danger : ONED

Merci à Agathe Lemoine, psychologue de l’association L’enfant bleu qui m’a permis de découvrir d’autres liens intéressants ici et de rappeler que la Haute Autorité en Santé a planché sur le cas particulier du repérage et signalement de l’inceste par les médecins.

Ajouté le 18/11/2014 : Recommandation HAS : Maltraitance des enfants y penser pour repérer, savoir réagir pour protéger

 
 
 
 

 


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Monsieur Bitàlair (5)

Résumé de l’épisode précédent
Babeth, l’auxiliaire à couettes, doit faire « l’entretien du logement et l’aide à la toilette » chez Monsieur Bitàlair. La maison est plutôt délabrée, le bénéficiaire aussi, Babeth est sur le point de renoncer…
À la fin de l’épisode précédent, Monsieur Bitàlair est tranquillement assis dans sa cuisine, crachant presque voluptueusement sa fumée de clope à la figure de cette bonne à rien envoyée par la mairie (moi), tandis que cette dernière refoule silencieusement sa colère (pardon, sa haine) derrière un masque qu’elle veut impavide (et ouais, t’as vu ça un peu comme ça en jette quand une auxiliaire de vie te raconte la scène!).

Je suis donc là, face à ce type qui ne bouge pas. Lui assis, moi debout. Lui, avec ce calme arrogant de celui qui a tout son temps et moi, avec cette colère sourde de celle qui n’en peut plus. Lui, vieux, malade. Moi, moins vieille, enceinte. Oui, enceinte. Parce que c’est tellement plus drôle d’envoyer les femmes enceintes chez les fumeurs alcooliques violents. Parce que Madame Grandchef, c’est pas trop son problème tout ça. Parce qu’on fait pas le ménage avec notre utérus après tout !
La journée a été longue et j’ai hâte de rentrer chez moi. J’accélère le mouvement. Il ne veut pas bouger ? Pas grave. C’est moi qui vais bouger. Je m’approche. Il lève les yeux. Je me rapproche. Il me regarde. Je suis près de lui. Il ouvre la bouche. Je suis tout près. Il gueule.
« – Qu’est-ce tu veux encore ? Dégage !
– Je vais vous aider à enlever vos vêtements Monsieur Bitàlair. Je commence par le haut »
Sans lui demander son avis, je passe derrière lui et commence à retirer son t-shirt. Il résiste un peu, j’insiste un peu. Finalement, il capitule. Si on m’avait dit qu’un jour j’obligerais un homme à se déshabiller !
Je continue. Pantalon, slip, chaussettes. Je vous épargne la description des vêtements imprégnés d’urine et de selles, je mettrai les nausées sur le compte de la grossesse !
Monsieur Bitàlair est nu, face à moi (je sens comme une tension sexuelle dans cette phrase, non?)
Cet homme qui nous insulte, qui nous méprise, qui a fait fuir les infirmières libérales et pleurer certaines de mes collègues, se tient là, face à moi, dans son simple appareil et, à ce moment précis, n’a plus rien de redoutable. Ce n’est qu’un amas de chair et de peau et, au creux de cette chair, quelques organes, en plus ou moins bon état. Ce n’est qu’un homme.
La tâche me semble soudain d’une simplicité foudroyante. Je dois laver cet homme et cette maison, rien de plus. Je dois finir mon heure, remplir le cahier de liaison et faire signer ma feuille de présence. Quand j’aurai fini, je rentrerai chez moi, je retrouverai ma maison propre et ma famille normale. Lui restera ici, au milieu de sa crasse et de sa haine. Demain, tout recommencera. Une auxiliaire viendra frapper à sa porte, il l’insultera, elle fera quand même son boulot. Qu’importent ses insultes, sa crasse et son mépris. Qu’importent notre fatigue, notre colère et notre peur. On a un boulot, on le fait, et si ça ne nous plaît pas, libre à nous de postuler ailleurs.
Aujourd’hui, c’est moi, Babeth, 34 ans (à l’époque) enceinte.
Hier c’était Amandine, 19 ans et jolie comme un coeur.
Avant-hier c’était Martine, 50 ans et pas très envie de jouer.
Et demain? Peut-être Julie, 25 ans, enceinte elle-aussi?
Peut-être Sonia, 42 ans, débutante?
En tout cas, certainement pas Madame Grandchef! Pas elle, non, avec son joli petit tailleur et ses talons aiguilles. Pas elle, avec son brushing impeccable et sa voiture de fonction. Pas elle, avec son regard froid et sa voix trop posée. Et d’ailleurs, que ferait-elle, elle, la grande dame, face à ce corps nu? Comment s’y prendrait-elle pour le faire aller de la cuisine à la douche? Comment supporterait-elle la fumée et l’odeur? Comment garderait-elle son calme dans cette situation?
Il faudra que je lui demande un jour. Mais pas maintenant. D’abord, il faut que je lave Monsieur Bitàlair.

À suivre…

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Monsieur Bitàlair (4) (version corrigée)

Avant de continuer les aventures de ce charmant monsieur, voici la version corrigée de l’épisode 4, dont la fin diffère « un peu » de ce billet.

Monsieur Bitàlair (4)

Résumé de l’épisode précédent
Babeth, l’auxiliaire à couettes, doit faire « l’entretien du logement et l’aide à la toilette » chez Monsieur Bitàlair qui, comme son nom l’indique… Bref.
Problème numéro un : l’état du logement.
Problème numéro deux : l’état du bénéficiaire
Problème numéro trois : les deux ensemble.
Bref, c’est pas gagné.
À la fin de l’épisode précédent, Monsieur Bitàlair a accepté de sortir de son lit. Babeth doit maintenant profiter de l’occasion pour lui proposer une aide à la toilette (autrement dit, une douche et un change complet).

Monsieur Bitàlair se tient maintenant devant moi. Debout, il est moins impressionnant. Faut dire qu’il est vieux… et tout tordu… et pas très stable sur ses jambes. Mais il est toujours aussi en colère. Les insultes pleuvent. Inutile de répondre, ça ne ferait qu’envenimer la situation. Pourtant ça me démange. J’ai tout à la fois envie de soupirer, l’insulter, rigoler, partir en claquant la porte, gueuler un bon coup, manger un sandwich (oui, j’ai faim).
Mais je ne fais rien. Je le regarde et j’attends. Et je le lui dis.
– Je suis payée pour venir vous faire une aide à la toilette, Monsieur Bitàlair. J’ai tout mon temps, vous êtes le dernier sur mon planning, alors je vais attendre que vous ayez fini de m’insulter mais je ne partirai pas d’ici sans avoir fait mon travail.
Purée, parfois, je m’épate moi-même! Oui parce qu’en vrai j’ai plutôt envie de lui dire « casse-toi pov’con! » mais ça ne serait pas très professionnel, et puis il est chez lui, c’est plutôt à moi de partir.
Silence. Monsieur Bitàlair est venu à bout de son stock d’injures. Il avance vers moi, je m’écarte pour le laisser passer tout en lui demandant où se trouve la salle de bain. Pas de réponse. Forcément, après les injures, le mépris. Bien bien bien, je vais chercher toute seule alors. Pendant que Monsieur Bitàlair se grille une clope dans la cuisine (la douce odeur de tabac/pisse/crasse, un délice qui me fait immédiatement passer ma petite fringale), je trouve la salle de bain. Je prépare des vêtements propres (enfin, je prépare ce que je trouve), règle l’eau de la douche… et j’attends. Monsieur Bitàlair ne bouge pas. Bon, si le bénéficiaire ne vient pas à toi, tu iras vers le bénéficiaire (proverbe inventé à l’instant).
– Monsieur Bitàlair, vos affaires sont prêtes, on peut y aller?
– Non! Casse-toi salope!
– Monsieur Bitàlair, vous me l’avez déjà demandé tout à l’heure, et je vous ai déjà répondu que je n’en ferais rien. Je vous attends.
Mon calme m’étonne. C’est le calme avant la tempête.
Parce qu’en vrai, je le regarde, et il me donne envie de vomir.
En vrai, il est sale, il est moche, il pue, d’ailleurs tout est sale et moche et pue chez lui, une heure ne suffira jamais, il faudrait des jours pour venir à bout de la crasse ambiante.
En vrai, je suis épuisée, la journée a été longue, la semaine aussi, j’ai hâte de rentrer chez moi, au calme, et surtout, au propre.
En vrai, je suis démoralisée, parce que la situation me semble totalement irréelle. Je me tiens debout dans la cuisine d’un type que je ne connais pas et qui me crache sa putain de fumée au visage en m’insultant. Et le pire, c’est que je ne trouve rien d’autre à faire que de rester plantée là à attendre qu’il daigne bouger son séant de cette maudite chaise !
En vrai, j’ai juste envie de l’insulter, de lui hurler dessus, de lui éructer la haine et le dégoût qu’il m’inspire, puis d’appeler Madame Grandchef et de lui dire ce que je pense de sa façon de traiter son équipe. Parce que le pire dans l’histoire, ce n’est pas l’attitude de Monsieur Bitàlair. Il est odieux, irrévérencieux, dégoûtant, agressif et j’en passe, mais à la limite, on pourrait (presque) s’y habituer.
Le pire dans l’histoire, c’est que Madame Grandchef sait tout cela. Elle le sait depuis longtemps, et elle ne fait rien.
Elle sait que nous sommes insultées à chaque intervention chez lui.
Elle sait que Monsieur Bitàlair nous menace.
Elle sait aussi qu’il peut se montrer violent.
Elle sait surtout que les infirmières, pour toutes ces raisons, n’y mettent plus les pieds.
Elle sait tout cela, et elle nous laisse nous débrouiller avec. Elle nous laisse seules face à Monsieur Bitàlair. Elle nous laisse seules face à son mépris, à sa crasse, à sa maison puante, à sa violence.
Elle nous laisse seules et nous acceptons cela. Nous acceptons d’être insultées et méprisées. Nous acceptons de patauger dans l’urine et de travailler dans une atmosphère enfumée. Nous acceptons ce que les infirmières ont fini par refuser. Nous acceptons tout ça pour un salaire de misère. Nous acceptons et nous faisons notre boulot (presque) comme si de rien n’était.

Finalement, qui est le pire ?
Monsieur Bitàlair qui nous insulte ?
Madame Grandchef qui ferme les yeux ?
Ou nous qui nous résignons ?

À suivre.

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Ça pique ?

– Putain ça caille. – … – Allez fais pas cette tête, si ça se trouve c’est rien, et puis si c’est pas rien on recommencera. Attends, j’ai vraiment dit ça ???? Des fois, plus la situation est dure, plus les … Lire la suite &#8594… Continuer la lecture

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Incompétente! (2)

J’ai été envoyée chez des personnes malades, alcooliques, démentes.
J’ai été envoyée chez des personnes diabétiques, cardiaques, cancéreuses.
J’ai été envoyée chez des personnes amputées, handicapées, endeuillées.
J’ai été envoyée chez toutes sortes de personnes, avec toutes sortes d’histoires, sans presque rien savoir d’elles.
Que savais-je des pathologies de la vieillesse, de l’alcoolisme, de la démence?
Que connaissais-je du diabète, des cardiopathies, des cancers?
Qu’avais-je appris sur les personnes amputées, le handicap, le deuil?
Rien. Je ne savais rien, ou presque. Je ne connaissais que ce que j’avais vécu, de près ou de loin, à travers l’histoire de mes parents, ou la mienne, ou ma maigre expérience professionnelle.
Je suis allée chez toutes ces personnes, j’ai travaillé chez elles. J’ai fait à manger à des diabétiques, je suis allée marcher avec des cardiaques, j’ai parlé avec des déments.
Madame Grandchef leur a dit que toutes les auxiliaires étaient diplômées et expérimentées… sans leur préciser de quel diplôme et quelle expérience elle parlait. Toutes ces personnes m’ont plus ou moins fait confiance, elles m’ont confié leurs menus, leur intérieur, leur personne. J’ai fait des repas, des courses, des promenades, du ménage, des toilettes, chez des personnes dont l’histoire de vie se résumait parfois à deux lignes sur une fiche de liaison. Secret médical oblige, je ne savais (presque) rien d’elles. Le strict nécessaire : nom, prénom, adresse, mission. À la limite, la pathologie principale (Alzheimer, diabète…) et le nom du médecin traitant, et encore, pas toujours. Je glanais quelques infos à droite à gauche, auprès des collègues, de la famille, des infirmières libérales, mais ça restait de l’anecdotique, de l’ordre de la débrouille. Et puis, faut avouer que le projet de vie, la globalité de la personne aidée, tout ça, c’est pas franchement ouvert aux auxis hein! Une nana qui prépare la soupe et refait le lit a-t-elle vraiment besoin de savoir autant de choses?
Eh bien figurez-vous que oui! J’aurais aimé savoir ce qu’il fallait faire à manger pour Fernand, diabétique insulinodépendant. J’aurais aimé savoir communiquer avec Marie-Hélène, qui souffrait de la maladie d’Alzheimer depuis une dizaine d’années. J’aurais aimé aider Raymond, amputé d’une jambe, à se remonter dans son lit. J’aurais aimé connaître la bonne attitude à avoir avec Jean, endeuillé depuis peu, quand il me parlait de son épouse. J’aurais aimé pouvoir déceler les signes de souffrance chez Suzanne, qui souffrait d’une insuffisance cardiaque. Mais je ne savais pas, et j’ai sans doute fait et dit un paquet de conneries!
Vieillir chez soi, c’est bien. Vieillir chez soi avec un médecin traitant qui vous connaît bien et des infirmières qui prennent soin de vous, c’est encore mieux. Vieillir chez soi avec une auxiliaire de vie qui ne va pas vous envoyer au cimetière plus tôt que prévu parce qu’elle n’est ni formée ni informée… c’est la moindre des choses non? Continuer la lecture

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Est-ce que tu viens pour les vacances ?

Un vendredi soir, aux urgences. « Allo, je voudrais parler à madame Aude Allajoy. Ah c’est vous ? Bonsoir, je suis l’interne de garde aux urgences de l’hôpital du coin où votre mère a été déposée tout à l’heure. Bonne nouvelle, elle … Lire la suite Continuer la lecture

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Alcools

Tout n’est pas cirrhose dans la vie, comme dit l’alcoolique.
Frédéric Dard
Aucune nouvelle de Madame Pasdbol depuis quatre mois. Finalement, pour construire une famille, il faut qu’il y ait une envie réciproque. Ça n’est pas le cas. Pas grave. Je passe pourtant souvent pas très loin de chez elle. Mais je n’ai pas envie de m’arrêter. Pas envie de voir le cubis de rouge posé par terre. Pas envie de disséquer ses mensonges. Pas envie de voir les souvenirs de mon père dans sa maison. Pas envie de l’écouter se plaindre, encore et toujours. Et malgré cette non-envie de la voir, je ne peux m’empêcher de culpabiliser. Parce que je la sais alcoolique, et que l’alcoolisme est une maladie. Parce que je ne sais pas si elle l’était déjà avant de rencontrer mon père. Parce que je me demande si ce qu’elle est en est une conséquence directe ou non. Parce que j’ai fait une promesse à mon père. Parce qu’elle est seule. Parce qu’elle est la mamie de mes enfants. Parce que, pour finir, je sais qu’il est possible d’aller mieux. Ou pas.
Monsieur Carcinome est un patient « compliqué ». Parce qu’il est alcoolique. Parce qu’il est dément. Parce qu’il a une cirrhose. Parce qu’il est sous tutelle. Parce qu’il est placé contre son gré. Et puis, avouons-le, parce qu’il est pénible.
Monsieur Carcinome a une fracture. Dans un service de chirurgie, c’est plutôt classique. 
Ce qui l’est moins, par contre, c’est le contretemps lié à la tutelle. Parce qu’il faut une autorisation écrite pour l’opérer. Parce que ladite autorisation n’arrive pas. Parce que la tutrice, qui n’est autre que la fille de Monsieur Carcinome, ne semble pas pressée de s’en occuper. Parce qu’elle habite loin. Parce qu’elle est difficilement joignable. Parce qu’elle dit qu’elle n’a pas le temps et qu’elle a autre chose à faire. 
Alors Monsieur Carcinome attend. Et nous aussi. Le patient est coincé au lit tant que l’autorisation d’opérer ne sera pas arrivée au courrier. Le voici donc entièrement dépendant des soignants. Imaginez la scène : il est dément, il est immobilisé, il ne comprend pas pourquoi il n’est pas opéré, d’ailleurs il ne sait même pas où il est. À chaque passage de soignant dans sa chambre, Monsieur Carcinome pose les mêmes questions : 
« Où suis-je? »
« Est-ce que je peux avoir du vin avec mon repas? »
« Est-ce que je peux avoir une cigarette? »
« Quand est-ce que je rentre chez moi? »
« Pourquoi on ne s’occupe pas de moi? »
Alors, à chaque passage, on réexplique : 
« Vous êtes à l’hôpital »
« Non »
« Non »
« Il faut attendre d’avoir été opéré »
« On attend le courrier de votre fille. »
Une fois. Deux fois. Trois fois. Dix fois. Toute la journée. Tous les jours. C’est usant. Pour lui comme pour nous.
Répondre poliment. Être rassurante. Rester calme. Sourire. Se montrer disponible. J’ai beau savoir tout ça, j’avoue que j’ai du mal. Je n’arrive pas à être neutre avec lui. Ma bienveillance reste à la porte de sa chambre pour tenir compagnie à mon empathie. Je ne vois chez Monsieur Carcinome que l’alcoolique chronique qui sonne toutes les cinq minutes, qui pose toujours les mêmes questions, qui ne comprend pas les réponses, qui fait des allusions salaces, qui renverse son urinal. Je ne vois que ça, et ça me dégoûte. Cet homme me dégoûte, son corps me dégoûte, son discours me dégoûte. Et plus je regarde son dossier, plus il me dégoûte. Parce qu’il a été marié et père de famille, et que je ne peux m’empêcher de m’imaginer ce qu’a pu être sa vie de famille. J’imagine l’alcool, la violence, le surendettement. J’imagine sa femme. J’imagine les gosses au milieu. Pour être honnête, j’imagine mon père, et ma mère, et les gosses au milieu. Je le vois, lui, le dément, et je vois ce à quoi ont échappé mes parents en mourant jeunes. Ce à quoi n’échappera peut-être pas Madame Pasdbol. Et ça m’effraie.
Forcément, j’ai du mal à prendre soin de lui correctement. Parce que quand je vais le voir, je n’ai qu’une hâte : repartir au plus vite! Je lui réponds sèchement, je le regarde à peine, j’évite de le toucher. La toilette est une épreuve. Le repas aussi. Chaque acte de soin est une épreuve. Je ne suis ni bienveillante ni bientraitante.
Quatre jours. Quatre jours à répondre aux mêmes questions, à changer ses draps souillés d’urine, à attendre cette fichue autorisation qui n’arrive pas. Et puis, le cinquième jour, le déclic. Monsieur Carcinome a sonné pour la énième fois, et pour la énième fois il me demande s’il peut fumer. Pour la énième fois je m’apprête à lui répondre que non, il ne peut pas fumer, ni dans son lit ni à la fenêtre ni dehors. Et c’est à ce moment-là que je croise son regard, et que je m’y arrête. 
Il a peur. Il a cet air affolé qu’aurait un enfant perdu dans un supermarché. Exit Monsieur Carcinome et son alcoolisme, ses réflexions salaces et son histoire de vie, j’ai en face de moi un patient qui a peur, un patient qui ne comprend pas ce qui lui arrive, un patient qui souffre et qui voudrait qu’on l’aide. Empathie et Bienveillance, qui attendaient sagement à la porte, entrent sur la pointe des pieds. Je regarde Monsieur Carcinome. Dans les yeux. Je vois le patient, celui dont il faut que je m’occupe, sans le juger, en le respectant. Je vois l’instant présent, les soins, le dialogue. Je vois ses yeux et il voit les miens.
Je peux enfin prendre soin de lui.

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In love

Première semaine du premier stage, à l’EHPAD AVFF*, j’écrivais ceci : 
Si ce matin vous croisez une aide-soignante avec UN gros sein qui sent le chou, c’est moi! #NichonPower 🙂

 
1er jour du 1er stage fini. \o/

 
La petite phrase du jour en EHPAD :

Mme A. :

-j’ai envie de faire pipi.

L’AS :

– Vous avez une protection, faites dedans.

Euh… Non, rien.

 
Bon, je note des petites choses et je vous fais un billet en fin de semaine, ça vous va?

 
Et sinon, saviez-vous que certains, en EHPAD, étaient levés à 9h et couchés à 15h?

 
Et si les décideurs venaient habiter à l’EHPAD une petite semaine? Hein? 🙂

 
Je crois que les familles ont peur des « représailles ». C’est fort dommage.

 
Oui, mais putain ça fait peur pour nos parents… Ah ben non, c’est vrai, ils sont morts!

 
À quand une télé-réalité intitulée #PapyBoom? Avec des AS qui courent entre les déambulateurs et les sonnettes en folie toute la journée?

 
On abandonne nos vieux. On ferme les yeux.

   
Il faut raconter. Écrire, être lu, relayer. Parce que ce n’est pas CET EHPAD en particulier qui dysfonctionne, je crois que c’est la façon dont on s’occupe de nos vieux en général. 
 
La phrase du jour en EHPAD?

Une AS à un résident :

– Ça va pas bien dans votre tête!

Euh… Non, rien 🙁

 
Télé dans toutes les chambres, radio dans le hall, conversations, portes, chariots, sonnettes… Que de bruit! Grosse migraine ce soir.

 
Sachez-le, si vous bossez en EHPAD et que vous avez oublié votre gamelle, faites des pédiluves, vous trouverez à boire et à manger 😉


Première semaine du quatrième stage, à l’EHPAD CEETG*, je tweete cela : 
Demain, nouveau stage. EHPAD formé en humanitude. Hâte et peur. Et sur ces bonnes paroles, bonne nuit.

Dans une heure, nouveau stage, nouvel EHPAD. Sainte Bientraitance, priez pour moi!

1ère journée de stage : je découvre que la Bientraitance n’est pas un vain mot!

 
Et vous savez quoi? Truc de fou : dans cet EHPAD, les gens sont habillés!!!! Oui oui oui! Pas en chemise de nuit!!!

 
Je suis sur le cul! Et même, un autre truc de fou : les gens ils ont des brosses à dents!!!!

 
4ème jour de stage. Je pars avec le sourire, je rentre avec le sourire.

 
Résumons : l’accueil des stagiaires est génial, l’équipe est géniale, la prise en soins est géniale… il est où le piège?


J’en reviens pas. Tout comme le 1er EHPAD (de merde), c’est un établissement public. Comme quoi c’est possible!

 
Finalement, ce qui différencie la bientraitance de la maltraitance, ne serait-ce pas tout simplement une question de bienveillance?


 
Voilà. Deux EHPAD, deux équipes, deux stages. Maltraitance et bientraitance. Dégoût et émerveillement. Indifférence et bienveillance.
Je ferai un billet plus long sur cet EHPAD. Parce qu’il le mérite. Parce que tous les EAS devraient avoir la chance de tomber sur ce genre d’endroit. Parce qu’il me réconcilie avec la formation d’AS. Parce que j’ai plus appris en une semaine ici qu’en un mois là-bas. Parce que je sais maintenant que j’ai fait le bon choix. Parce que je me sens bien, tout simplement.

* AVFF : Allez Vous Faire Foutre
* CEETG : Cet Endroit Est Trop Génial

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La dérive des incontinents

D’autres ont déjà évoqué la difficulté de soigner les gens qu’on connaît bien, qu’on aime trop, le manque de recul pourtant nécessaire. Le risque de déni face des symptômes pourtant alarmants ou la compréhensible inclinaison à penser au pire. A … Lire la suite Continuer la lecture

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Témoignage d’EAS, en vers (3)

Max, élève aide-soignant. Après la prose…

Démons blancs

Un matin, un soin pour un centenaire,
Deux démons blancs, et le jeune stagiaire.
Après un siècle d’existence
Marqué au fer par la souffrance,
On vient resserrer l’étau de nos chairs
Sur tes membres meurtris par le temps,
Ton esprit fragile comme du verre
Combat ardemment ces démons blancs.
Pardonne-moi, pardonne-moi…
D’avoir torturé ton vieux corps.
Cent ans de science et de savoir
Qui dansent désormais avec la mort.
Cent ans de souvenirs lavés dans la violence,
Car peut-être n’es-tu qu’un vieux sans importance.
Luttant avec ferveur comme à la guerre,
En assaillant de coups tes adversaires
Contre ces bourreaux qui t’enchaînent,
Pâles représentations humaines,
Tu luttes encore pour la sérénité.
Mais par un souci de gain de temps,
Tes deux démons blancs se sont dissipés
Réclamer d’autres renforts violents.


Pardonne-moi, pardonne-moi…
D’avoir torturé ton vieux corps.
Cent ans de science et de savoir
Qui dansent désormais avec la mort.
Cent ans de souvenirs lavés dans la violence,
Car peut-être n’es-tu qu’un vieux sans importance.
Place ta main entre les miennes,
Je te prouverai la chaleur
Dans cet univers si glacé.
Mais c’est en attendant Éden
Que tu subiras la froideur
Des quatre démons immaculés.
Pardonne-moi, pardonne-moi…
D’avoir torturé ton vieux corps.
Cent ans de science et de savoir
Qui dansent désormais avec la mort.
Cent ans de souvenirs lavés dans la violence,
Car peut-être n’es-tu qu’un vieux sans importance.
Max. Tous droits réservés. 

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De l’autre côté de la frontière

Le 25 février 2014, Martin Winckler twittait une phrase qui lui vaudra une volée de bois vert sur la twittosphère : « La maltraitance est un viol ». La bloggosphère ne tardera pas à prendre le relais, chaque partie voulant (ou étant invitée…

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Témoignage d’EAS (2)

Témoignage de Max, élève aide-soignant

Un matin, une toilette, un centenaire.
On débarque à trois dans la chambre : deux aides-soignants et moi, le stagiaire. Ils ont débarqué en lui expliquant à peine ce qu’ils vont faire : « On va faire ta toilette, Aimé! »
Seule et unique phrase. Il ne comprend pas, il appréhende, il refuse, il se débat. Les deux aides-soignants tentent de l’immobiliser en lui lançant quelques phrases plates et inutiles : « Calme-toi, laisse-nous faire! »
Il riposte. On me demande d’immobiliser ses jambes. Je me dégoûte de l’avoir fait… Il se débat encore plus fort. Finalement, les deux aides-soignants estiment que nous ne sommes pas assez nombreux. Alors ils sortent « chercher du renfort ».
Je suis maintenant seul avec lui. Il ne comprend toujours pas. Je m’avance vers lui, au risque de me ramasser une gifle ou une droite. Je lui parle calmement, d’une voix basse, en lui prenant la main et en le regardant dans les yeux. Je lui explique qu’il s’agit d’une toilette, que c’est un soin d’hygiène et de confort, que ce sera sans doute mieux pour lui. Il écoute, et commence à se détendre au fur et à mesure de mes explications. Je continue de lui parler, en lui souriant. Encore deux minutes et il aurait peut-être accepté le soin…
Sauf que quatre aides-soignants ont déboulé dans la chambre. Continuer la lecture

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Témoignage d’EAS (1)

Témoignage de Corinne, élève aide-soignante

Premier stage.
Ça y est la ligne de stage est tombée. Chouette, le premier à 20 min de chez moi, à 5 min de ma ville d’origine, autant dire chez moi. C’est une USLD (Unité de Soins Longue Durée) qui dépend de l’hôpital psychiatrique le plus proche. À l’école on me dit que c’est de la géronto-psy. Comme une bonne élève, je me renseigne sur les pathologies psy les plus courantes avant d’y aller, et je remplis mes objectifs de stage; le premier : « découverte de la géronto-psy ». Première erreur!

Première semaine. Quand je suis accueillie par la cadre et que je lui montre mes objectifs, elle me rétorque « ici ce n’est pas de la géronto-psy, ce sont des personnes qui sont toutes passées par l’hôpital psy et qui ne peuvent y rester parce qu’elles sont trop âgées, mais ce n’est pas de la géronto-psy. »
Ok je me dis je verrai, on me présente à mes tuteurs, et je commence le deuxième secteur avec mon tuteur, enfin commence, en fait j’ai regardé. On me dit de poser des questions je le fais. Ah, mais j’ai oublié de préciser le service est très lourd, alors ne pas poser les questions ni pendant les pauses, ni pendant qu’on s’occupe des patients. Là je commence à être vraiment perdue, puisque quand le personnel ne fait pas les toilettes il est en pause, quand il ne donne pas à manger il est en pause, en fait ils sont très souvent en pause.

Deuxième semaine. J’ai pris mes patientes en charge, une première démence de type Alzheimer, qui fait ses besoins près de son lit et les cache sous celui-ci, personne ne me l’a dit. Je l’aide à faire sa toilette, l’encourage à faire seule, à s’habiller puis la laisse aller au salon avec les autres résidents. Puis je vais m’occuper de mon autre patiente. Quand j’ai fini, une ASH (Agent de Service Hospitalier) me tope et me dit d’aller chercher ma première patiente parce que, je cite, « elle a encore chié par terre et caché sa merde sous le lit, les autres lui font ramasser donc faut qu’elle ramasse ». Ok, je suis surprise, essaie de voir un aide-soignant pour lui en parler, mais ils sont tous avec les patients et faut pas les déranger. Donc je vais chercher des gants pour moi et la patiente et ramasse avec elle. Puis j’en parle avec l’équipe à la pause (pas le choix) et là, désaccord total, il y a ceux qui disent « moi je lui fais ramasser pour qu’elle apprenne » et ceux qui disent  » mais le besoin apprendre est perturbé elle a Alzheimer. » Ok et moi je me place où dans tout ça même quand l’équipe n’est pas d’accord?

Troisième semaine. Repas du midi, une table de 3 patientes, il y en a une qui crie et une qui se marre en regardant la patiente en face d’elle. Je regarde cette patiente, elle a du mal à respirer : fausse route. Je m’approche, lui tapote le dos, ça ne passe pas, je panique un peu, j’appelle à l’aide, une AS arrive et dit d’aller chercher la gériatre, et là la cadre et la gériatre prennent la patiente par les bras (ben oui on va pas l’emmener dans son fauteuil au poste de soins c’est mieux de la traîner) et ils étaient 2 IDE, la cadre, la gériatre, et 3 AS dans le poste de soins à regarder la patiente s’étouffer et à essayer de la sauver. Au bout d’un quart d’heure ils y arrivent, mais je ne suis pas allée voir, je considérais ça comme du voyeurisme au vu de la pathologie de la patiente (hyper angoissée).

Quatrième semaine. Cadre en vacances, je dois donner un bain à une patiente suicidaire à qui il manque une jambe et les bras sont peu utilisables. Ok tout se passe bien, on me laisse seule (bizarre) et l’AS dit à la patiente « ne faite pas exprès de vous laisser glisser de la chaise! » (bizarrerie n°2). Je commence donc tranquillement, tout se passe bien on discute et à la fin quand je laisse la patiente se détendre avant qu’elle ne sorte, elle glisse, j’essaie de la remonter mais impossible, donc je la porte et la tiens par derrière, mes bras sous les siens pour lui maintenir la tête hors de l’eau et réfléchir calmement à une solution. Première solution : sonner pour appeler à l’aide. Souci, la sonnette est sur le mur d’en face, pas à côté de la baignoire, à deux ou trois mètres de distance, autant dire que si je lâche la patiente pour sonner et que je reviens, elle aura la tête sous l’eau et je ne suis pas sûre de pouvoir la remonter. Deuxième solution : vider la baignoire me diriez-vous, ah oui mais dans la panique j’y ai pas pensé (que c’est bête ces stagiaires!). Donc au final j’ai tenu la patiente jusqu’à ce que l’AS arrive et m’aide, elle m’a demandé pourquoi je ne l’ai pas lâchée pour vider la baignoire, ou appeler à l’aide et moi de lui répondre « ben j’ai pensé sécurité du patient, si je la lâchais elle n’était plus en sécurité donc j’ai attendu. » Pas de commentaires.

Fin du stage, retour à l’école, j’appelle la cadre pour le bilan de stage, je vais à mon RDV et là je tombe de très haut. J’ai été maltraitante avec la patiente quand je lui ai fait ramasser ses excréments, j’ai pas été voir comment ils ont sauvé la patiente qui s’étouffait, j’ai pas su gérer une situation d’urgence la dernière semaine. Je devrais songer à changer de projet professionnel, je ne ferai jamais une bonne AS, je ne sais pas donner une toilette, je ne respecte pas les patients et j’en passe…

Heureusement, mon deuxième stage s’est très bien passé, et sans avoir changé ma technique de soins on m’a dit que c’était bien, MSP (Mise en Situation Professionnelle) au troisième stage y a plus qu’à valider et décrocher ce diplôme. Pour une mauvaise élève je m’en sors plutôt bien pour le moment

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Incompétente!

« Madame C : aide à la toilette et préparation du petit-déjeuner. »
En langage auxiliaire de vie, ça veut dire que la personne aidée est relativement autonome mais a besoin d’être accompagnée.
En langage commun ça veut dire que la personne aidée a besoin que tu lui beurres ses tartines et que tu lui savonnes le dos.
En langage Madame Grandchef ça veut dire qu’en vrai tu vas en chier.
Moi, j’étais naïve et débutante, je ne me suis absolument pas méfiée en voyant cette consigne sur mon planning. Une demi-heure pour beurrer des tartines et savonner le dos (et attention hein, pas le contraire!), hop hop hop, facile!
Sauf que…
Sauf qu’il y avait un piège. Car en vrai, réfléchissons un peu. Beurrer des tartines, c’est facile et tout le monde peut le faire, nous sommes d’accord. Savonner le dos, pareil. Oui mais attendez! Vous vous imaginez quand même pas que Madame C. allait gentiment m’attendre, dos nu, devant ses petites tranches de pain sagement alignées sur la table? Hein? Si? Ben non!
En vrai, il fallait frapper doucement à la porte, attendre, re-frapper doucement, re-attendre, entrer, se rendre compte que Madame C. dormait profondément, ouvrir les volets doucement, la réveiller tout aussi doucement, l’aider à se redresser dans le lit, l’aider à s’asseoir, lui mettre ses chaussons, l’aider à se lever, l’amener, à petits pas, jusqu’à la chaise, l’installer devant la table, faire chauffer de l’eau, beurrer les fameuses tartines pendant ce temps, servir la Ricoré avec les tartines, l’aider à prendre ses médicaments, puis, pendant qu’elle déjeunait, faire le lit et préparer les vêtements. Après le petit-déjeuner, aider Madame C. à se relever, l’accompagner à la salle de bain, l’aider à se déshabiller, l’aider à faire sa toilette (et nous arrivons au très attendu savonnage de dos), l’aider à s’habiller, la raccompagner dans la chambre, l’aider à s’asseoir confortablement. Puis débarrasser la table du petit-déjeuner, faire la vaisselle, au-revoir madame et à demain. Ajoutez à cela l’envie pressante du matin (donc avant le petit-déjeuner), la désorientation, (Où suis-je? Qui êtes-vous? Que fait-on?), le cahier de liaison à remplir et la fiche de présence à signer, les bas de contention, plus quelques autres petites broutilles inhérentes au métier d’auxiliaire de vie… Vous avez une demi-heure.
Personnellement, le matin, pour me lever/manger/me laver/m’habiller/émerger je mets pas loin d’une heure. Et encore, faut pas m’emmerder! Parce que je suis pas du matin. Alors quand j’aurai 85 ans, le corps et le cerveau ralentis et l’humeur chagrine, faudra pas me demander de faire la même chose en une demi-heure.
À l’époque, je débutais, et j’étais pas très douée. Pas organisée, pas habituée, pas formée. Du coup, l’aide à la toilette et le petit-déjeuner, en une demi-heure, ça me semblait moyennement faisable. Alors j’ai essayé plusieurs techniques.
Technique numéro un : soyons fous, faisons tout! Oui mais non, en une demi-heure ça tient pas, même en allant vite, même en mangeant sa biscotte dans la salle de bain (non, rassurez-vous, je suis pas allée jusque là… faut pas déconner quand même!).
Technique numéro deux : lever/pipi/toilette/habillage/installation petit-déjeuner, au-revoir Madame à demain. Mouais, c’est pas mal, sauf que… Laisser la dame toute seule à table, alors qu’elle ne peut pas se lever seule… Hem… Pas terrible ça. Sans compter le risque de fausse route, le risque de chute, et la vaisselle pas faite.
Technique numéro trois : lever/pipi/petit-déjeuner/petite toilette/habillage. Ok, ça passe. C’est un peu juste, mais en arrivant cinq minutes plus tôt et en repartant cinq minutes plus tard c’est jouable. Sauf que c’est la course, pour tout, que c’est mal fait, et que c’est stressant, pour la dame comme pour moi.
Technique numéro quatre : petit-déjeuner/toilette/habillage au lit… Non, je déconne.
Technique numéro cinq : aller voir Madame Grandchef et lui expliquer/avouer qu’en une demi-heure j’y arrive pas. Se faire engueuler parce que les collègues qui font le week-end y arrivent, elles. Argumenter/chouiner en disant que la dame n’est pas très en forme en ce moment, qu’elle est ralentie, qu’il y a un risque de chute… et maudire les collègues d’avoir toutes choisi l’option trois en se taisant.
J’ai finalement choisi la technique numéro cinq et j’ai obtenu une précieuse demi-heure supplémentaire. L’histoire pourrait être simple, mais elle ne l’est pas. Car avant d’arriver à cette simple conclusion qu’il me fallait plus de temps, j’ai hésité, tergiversé, essayé différentes façons de faire. Et qui a servi de cobaye? Madame C. bien sûr! Tous les matins, Madame C. a supporté avec bienveillance ma totale incompétence. Elle est restée souriante malgré ma maladresse, patiente malgré mes hésitations, indulgente malgré mes erreurs. Madame C. a été la première dame avec laquelle je me suis vraiment sentie auxiliaire de vie. Avec elle, j’ai pris le temps d’apprendre, de me tromper, de refaire, de découvrir.
Et tout en apprenant, tout en me trompant et tout en refaisant, j’ai été maltraitante. Maltraitante par négligence et par incompétence. Maltraitante dans ma façon d’être et ma façon de faire. Parce que je n’avais ni les bons mots ni les bons gestes. Parce que je ne savais pas. Parce que je croyais bien faire. Parce que je ne me posais pas les bonnes questions. Parce que j’étais non diplômée et non expérimentée. Parce que je travaillais bien au-delà de mes compétences sans me l’avouer. Parce que j’aimais beaucoup Madame C. et que je n’imaginais pas un seul instant être à côté de la plaque. Parce que je me sentais investie dans ce que je faisais. Parce que j’aimais mon travail, tout simplement.

La maltraitance se fait parfois avec la plus grande gentillesse qui soit. En voulant et en croyant bien faire. L’enfer est pavé de bonnes intentions.

À lire sur le même thème : 

http://lacrabahuteuse.fr/2013/11/maltraitance/

Vous avez cinq minutes? Vous voulez participer à un beau projet qui parle de maltraitance et de bientraitance? Un petit clic, quelques petites questions, et le tour est joué!

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Petites maltraitances ordinaires. IV

Deux aides-soignantes autour du lit d’une dame très âgée. Les AS changent sa protection pour la nuit. Dialogue.
– Oh la la qu’est-ce qu’elle a comme pertes celle-là, regarde-moi ça c’est vraiment dégueulasse!
– Ah ouais putain et puis ça pue en plus!
– Eh ben, j’aimerais pas voir son vagin, ça doit pas être joli joli là-dedans!
Soupir. Je ne dis rien. Je regarde la dame, qui regarde ailleurs.

Deux aides-soignantes et une dame hémiplégique. Et que je te tourne, et que je te retourne et… hurlement de douleur de la résidente manipulée avec brusquerie. Réponse cinglante de l’AS :
– Vous n’avez qu’à la faire toute seule votre toilette!
Ben oui, facile.

Une aide-soignante, une stagiaire et une dame alitée. Toilette au lit, habillage et maquillage. L’aide-soignante s’applique à mettre du blush, du fard à paupières et du rouges à lèvres.
– Tu vois, cette dame est très coquette, alors je prends le temps de la maquiller, c’est important pour elle. Et puis c’est de la bientraitance, tu comprends?
Je comprends surtout que si on prend le temps de la maquiller, on peut aussi prendre le temps de lui brosser les dents non? Ah non, pardon, ça n’entre pas dans le cadre de la bientraitance ça!

Une aide-soignante et un homme en fin de vie. Une autre aide-soignante entre dans la chambre sans frapper, se dirige sans un mot vers la penderie, prend un pantalon, et, en ressortant :
– Je prends ça pour Simon, de toute façon Jean n’en a plus besoin, on le lève plus!
Ben ouais, vas-y, fais comme chez toi!

Trois aides-soignantes dans l’office, parlant de Monsieur et Madame Adorable :
– Il m’énerve, lui, il est là tout le temps, toujours à nous demander des trucs pour sa femme!
– Pfff, j’aurais pas aimé avoir un mari comme ça, quel pot de colle!
– Remarque, on sait pas ce qu’ils font dans la chambre tous les deux quand la porte est fermée. Si ça se trouve…
– Ah mais arrête, t’es dégueulasse! Avec elle faut pas être dégoûté quand même hein!
Gloussements et mines faussement dégoûtées, qu’est-ce qu’on rigole ici!

Une aide-soignante et une dame assez forte, qui a du mal à se lever.
– Allez Madame, on bouge son popotin!
Euh… Non, rien.

À suivre…

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Roméo et Juliette

Réunion de crise dans l’office pour parler de la stagiaire. Il y a là l’équipe du matin, celle de l’après-midi et… la cadre. Attention, ça rigole pas. La stagiaire? Pas conviée. Elle attend dehors, dans le couloir. Elle aurait dû renvoyer sa feuille d’évaluation à l’IFAS il y a deux jours mais… l’équipe n’avait pas encore parlé, pas encore coché les petites cases, pas encore mis son appréciation. C’est que ça prend du temps tout ça, il faut se mettre d’accord et savoir choisir ses mots.

La stagiaire attend. Dix minutes. Vingt minutes. Une demi-heure. Pour passer le temps, elle va dire au revoir à Madame Amour. Son mari est là, comme toujours, et comme toujours, il se tient à côté d’elle et leurs mains sont entrelacées. En apprenant son départ, il se met à pleurer. C’est malin, elle aussi a envie de pleurer maintenant!

Pendant ce temps, l’équipe écrit : « Manque de motivation. Manque de curiosité intellectuelle. » Voilà qui devrait lui faire passer l’envie de devenir aide-soignante!

Monsieur Amour pleure. La stagiaire pleurniche. C’est pas très sérieux tout ça.

Dans l’office, ça parle encore. Une heure que ça parle. De la stagiaire? Du stage? D’autre chose?

Dans la chambre de Madame Amour, la stagiaire remarque soudain quelque chose de nouveau : de la musique! Ce matin, elle avait suggéré à Monsieur Amour de ramener quelques disques à écouter avec sa femme, histoire de changer un peu de la télé qui vomit ses émissions débilisantes à longueur de journée. Sur la commode, elle vient de voir quelque chose : le « Roméo et Juliette » de Gounod! Elle chantonne : « Je veux vivre dans ce rêve… » Monsieur Amour sourit, Madame Amour applaudit, la stagiaire rit.

Qu’est-ce qu’on disait déjà? Ah oui : « Manque de motivation. Manque de curiosité intellectuelle. »

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Quinze minutes

« Une toilette, c’est 15 minutes, pas plus! »

Voilà. Cette phrase, prononcée ce matin par une aide-soignante, je l’ai reçue comme un uppercut. Parce que je venais de finir ma première toilette au lit, seule, chez une dame hémiplégique (plus quelques autres broutilles), et que j’ai galéré.
Parce que je n’étais pas organisée. Parce que je n’étais pas douée. Parce que je n’étais pas pressée.
Parce qu’il y avait le change, et puis la toilette, et puis l’habillage, et puis le coiffage, et puis le brossage de dents… et puis le papotage!
Parce qu’il y avait une rougeur suspecte, et que la crème que j’étais censée appliquer était périmée depuis un an, alors forcément je pouvais pas.
Parce que je suis allée chercher l’infirmière, qui est venue, qui a regardé, et qui est revenue avec un pansement.
Parce que forcément, tout ça, ça m’a pris plus que 15 minutes.

Parce que j’aurais pu « oublier » le brossage de dents, « ignorer » la petite rougeur suspecte,  « omettre » deux ou trois petites choses (voire plus) et peut-être que oui, j’aurais fini en temps et en heure.

Parce que finalement, malgré mes efforts pour bien faire, je me suis sentie nulle, à côté de la plaque.

Parce que toute la journée il y a eu plein de choses qui m’ont donné envie de pleurer.

Parce que putain, quand je serai vieille et dépendante, plutôt crever que d’aller dans ce genre d’endroit!

Parce que putain de merde, avoir traversé la guerre, avoir enfanté dans la douleur, avoir travaillé, sué, souffert, et finir là, plus tout à fait vivant mais pas tout à fait mort, non, vraiment, non, non, NON!!!! Continuer la lecture

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Première semaine

Première semaine du premier stage. Je l’avoue, j’avais un peu peur. Pas des personnes âgées, non, au contraire ça me rassurait de commencer par un EHPAD. Non, LE truc qui me faisait flipper, c’était l’équipe. Parce que chez les AS y a surtout des filles. Donc des équipes de filles. Patati et patata, blablabli et blablabla.
Du coup, pour réussir mon intégration, je me fais stagiaire discrète. Sourires et humilité. Écouter, regarder, poser des questions… Noter plein de choses dans mon cahier, celui qui peut être lu par l’équipe, et noter des petites choses dans mon carnet, celui qui reste dans ma poche. Une petite phrase, un petit geste. Quelques exemples?

Jour 1
Mme A. : « J’ai envie de faire pipi. »
L’AS : « Vous avez une protection, faites dedans. » (euh… non, rien)

Jour 2
Tiens… certains sont couchés à 15h… Oh merde, c’est sérieux là?

Jour 3
Une AS à un résident : « Ça va pas bien dans votre tête vous! »

Jour 4
Une AS, parlant des résidents : « Oh, c’est comme des gosses en fait! » (ben non, en fait)

Jour 5
Une AS, à une personne hémiplégique qui crie de douleur pendant la toilette : « Vous n’avez qu’à la faire toute seule votre toilette! » (ha ha, très drôle)

Bon, je vais continuer dans le rôle de la stagiaire discrète, je sens que c’est préférable. Et planquer mon carnet. Et pleurer.

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[QCM] #PrivésDeMG c’est : (A)2 jours avant la veille du surlendemain d’après-demain? (B)Des lustres que ça nous pend au nez? (C)Les deux?

09 septembre 2013, amphithéâtre 1 Il est 7:45h, l’attroupement met du temps à s’écouler au travers des doubles portes qui viennent de s’ouvrir. Ces têtes de toutes les formes, plutôt chevelues et peu ridées, Émilie leur trouve un air un chouilla plus jeunot que l’année passée. Après avoir joué des coudes c’est son tour de passer […] Continuer la lecture

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Combien vaut ta vie?

Elle a trois ans. C’est une adorable petite fille. Une adorable petite fille avec un adorable sourire. Une adorable petite fille avec une putain de leucémie.
Plus d’un an qu’elle est à l’hôpital. Chimios, greffe, chambre stérile… Drôle de vie pour une enfant. Une vie loin de chez elle, loin de sa soeur et de son père, avec pour seul horizon les murs blancs de sa chambre d’hôpital, pour seule compagnie sa mère et l’équipe soignante.
Et puis, une pause. La petite fille peut rentrer chez elle. Oh, pas longtemps, juste une petite semaine, histoire de recharger un peu les batteries avant les prochains traitements. Une petite semaine qui lui ferait du bien, chez elle, dans sa chambre, avec sa famille. Il y a juste un petit détail à régler. Oh, un tout petit détail, mais un détail avec des poils et des pattes : les chiens. Il y en a trois à la maison, ainsi qu’un chat, et ça, le médecin, il est un peu sceptique. Pour une raison d’hygiène, il vaudrait mieux que les animaux soient éloignés quelque temps, ce serait plus simple. Simple? Pas tant que ça.
« Les animaux étaient là avant ma fille », dit le père. Tout est là, dans cette petite phrase. Les animaux sont prioritaires, la petite fille ne rentrera pas chez elle. Tant pis. De toute façon, c’est pas grave, elle est morte quelques mois après… Sans être rentrée chez elle.

Entre ta fille et tes chiens, choisis ton camp camarade!

Elle a cinquante-sept ans. Elle prend soin d’elle. Elle mange bio et fait du sport. C’est une belle femme qui respire la santé. Son mari, lui, est bel homme et respire le tabac. Lui, le bio et le sport, c’est pas sa passion. Au tofu/footing il préfère le whisky/clope. Chacun son truc. Elle court dehors, il fume dedans. C’est souvent un sujet de discorde entre eux. Elle passe trop de temps dans les bois, il passe trop de temps dans la fumée. N’empêche, le cancer, il sera pour elle, pas pour lui. Cancer du poumon, chez une non-fumeuse, c’est dommage. Parfois la vie est ironique. Cerise sur le gâteau, elle sera incinérée.

Entre ta femme et tes clopes, choisis ton camp camarade!

Elle a quatre-vingt-treize ans.Elle est veuve et sans enfant. Elle est aussi aveugle et paraplégique. Mais son mari, lui, avait des enfants d’un premier mariage, elle n’est donc pas vraiment seule. Deux solutions : placer mamie en maison de retraite ou laisser mamie à la maison. La maison de retraite, c’est cher, et puis qui va payer? Rester à la maison, finalement, c’est une bonne solution. Une auxiliaire de vie matin, midi et soir pour les levers/repas/couchers, un passage infirmier par jour, et pour le reste, on mettra la télé, ça fera de la compagnie. Tant qu’à faire, on va demander à Nicole, la nièce du mari décédé, de faire le boulot. Vu qu’elle est au chômage ça lui fera un petit revenu. Tant pis si elle n’est pas formée pour ça, tant pis si c’est mal fait, tant pis si mamie serait mieux ailleurs avec des gens qui lui parlent que coincée chez elle avec la télé toute la journée.

Entre ton fric et ton humanité, choisis ton camp camarade!

Et toi, combien vaut ta vie? Vaut-elle celle d’un chien? Celle d’un paquet de clopes? Celle d’un compte en banque?

Qui s’occupe de toi? Qui te tient la main quand tu as peur? Qui te sourit? Qui te console?

Qui te fera à manger quand tu ne pourras plus le faire? Qui viendra t’aider à te lever chaque matin? Qui viendra te raconter la vie de dehors?

Qui te fermera les yeux? Continuer la lecture

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Signalement et Information préoccupante

1/signalement ou information préoccupante? Consulter en ligne sur le site du CNOM (2010) « Le signalement est un terme juridique réservé à la transmission au procureur de la république de faits […] Continuer la lecture

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Grand écart

Ça fait 4 ans que je m’occupe de Denise. Au début, elle était chez elle, dans une maison de village, puis au foyer logement, et maintenant en maison de retraite. Faut dire que c’était pas toujours facile, quand elle attendait que le prince de Monaco accoste au bas du foyer logement pour venir la chercher […] Continuer la lecture

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Le travail, c’est la santé

À la tête qu’elle fait en salle d’attente, je sais déjà qu’elle ne vient pas pour une angine ou sa contraception. Ses yeux sont rivés sur ses chaussures, et quand elle les lève vers moi quand je viens chercher le patient suivant, elle ressemble à un animal pris dans les phares d’une voiture, en pleine […] Continuer la lecture

Publié dans La vie n'est pas un long fleuve tranquille, Maltraitance, Souffrance au travail | Commentaires fermés sur Le travail, c’est la santé

Saturday night fever

Week-end de garde.   Matinée à thème « il a 5 ans et 40° de fièvre, qu’est-ce que vous allez lui donner comme antibio? » C’est la grippe, ma pauvre Simone, je sais bien qu’elle est tardive cette année, elle n’en nécessite pas pour autant des antibiotiques, et il te faudra patienter quelques jours avec Enzo/Lucas/Mathis qui […] Continuer la lecture

Publié dans Etrangers, Garde, La vie n'est pas un long fleuve tranquille, Maltraitance | Commentaires fermés sur Saturday night fever