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Corporate anorexia et santé: comment faire faire un sale boulot par des gens biens

« While economics is about how people make choice, sociology is about how they don’t have any choice to make. ​ » ​ Bertrand Russell

Le système de santé est entré dans un  processus d’autodestruction bureaucratique

Ce message n’est pas une critique du management mais seulement du mauvais management de la santé, celui qui est décrit par Henry Mintzberg comme un ensemble de mythes dévastateurs érigés en un système de pilotage ubuesque. Nous renvoyons sous ce lien à quelques auteurs qui expliquent cette évolution tragique. Les équipes de soins, lorsqu’elles ne sont pas encore trop atomisées et parviennent encore à rester stables, formées et motivées, possèdent une conscience collective centrée sur le souci de l’autre et sur le résultat clinique qui compte pour le malade. Nul doute qu’elles font au quotidien l’impossible pour que les choses se passent bien en situation de pénurie croissante d’effectifs, de moyens et de coordination. Responsables médicaux et cadres soignants sont au rouet des injonctions paradoxales, un pied dans le soin, l’autre dans une gestion par la carotte et le bâton qui ne sait plus, ne doit plus, écouter les unités opérationnelles du système. Néanmoins il faut poser la question des risques liés aux sous effectifs soignants et au management par l’intimidation qui l’accompagne inévitablement, telle qu’elle se pose dans les pays étrangers. Ceux-ci acceptent plus volontiers de publier des réponses qui dérangent mais qui pourraient aboutir à opposer des garde-fous réglementaires au « tout incitatif ».
Le système de santé est frappé par un processus d’auto-destruction bureaucratique qui conduit inévitablement à « faire faire une sale boulot à des gens biens » (Valérie Ile, Christophe Dejours, Paule Bourret). L’idéologie du tout incitatif régulé à distance par l’état et l’assurance maladie sans connexion réelle avec les besoins des territoires ni pilotage cohérent conduit  aujourd’hui à une effroyable souffrance au travail dont l’évolution est exponentielle jusqu’à la mort d’un service, d’une structure ou d’un établissement. Ces morts ne correspondent pas aux besoins de soins, elles aboutissent à des déserts médicaux qui concernent aujourd’hui bien des activité hospitalières et pas seulement les soins de ville. On cherche vainement une logique d’aménagement du territoire dans cette triste hécatombe. Les comportements prédateurs de survie et les effets d’aubaine sont eux beaucoup plus visibles. Les établissements de soins  ne meurent pas tous, mais tous sont frappés, certes de façon très inégale et très injuste. L’AP-HP n’y échappe pas:

L’AP-HP va supprimer 180 postes non-médicaux en 2018 01.12.2017 Quotidien du Médecin

​Désert médical et capitale : quand les infirmiers remplaceront les médecins de l’AP-HP

Hôpitaux parisiens : une gestion catastrophique (1) 

Cette analyse émane d’un think tank libéral. Si les libéraux buttent encore toujours sur la définition de l’état minimal alors que le néo-libéraux veulent toujours plus d’un état régulateur fort,  leurs analyses sur les défaillances des systèmes hiérarchiques et trop pyramidaux sont à connaître.

L’anorexie organisationnelle, le management par la peur et la perte de sens au travail

Certains analystes du mauvais management, dont on sait qu’il peut tuer l’entreprise privée comme l’organisation à but non lucratif, nous suggèrent un diagnostic. C’est la corporate anorexia, par laquelle l’organisation se détruit elle-même, volontairement ou non, par une mauvaise stratégie managériale imposée d’en haut.
La santé est sous un budget global qui se défend d’en être un, avec l’Ondam dont l’augmentation ne couvre pas l’évolution naturelle des dépenses et conduit à l’asphyxie.
L’économie des incitations, qui mobilise la compétition par indicateurs à court-terme, détourne les acteurs de leurs motivations intrinsèques vers des motivations extrinsèques. Si les incitations extrinsèques fondées sur les théories de l’agence et le contrôle de l’asymétrie d’information n’ont pas de sens pour leur pratiques professionnelles, elles les conduisent à la souffrance et au désespoir.
Les indicateurs hospitaliers ciblent des résultats de sortie de système insignifiants: paiement prospectif par cas au séjour (T2A) ou au parcours (épisode aigu + SSR + ambulatoire) épisodes plus ou moins longs qui ne disent rien de l’outcome ni des processus réel qui constituent la véritable fonction de production des unités de soins, visant le résultat qui fait sens pour le médecin et le patient. Cette situation de l’hôpital a été résumée sous les termes de « machine à guérir », « d’usine à soins » ou d’usine à soins techniques produits à flux tendus ». Nous avons déjà expliqué comment l’absence de captation des déterminants fonctionnels et socio-environnementaux des hospitalisations par un système d’information hospitalier conçu comme purement curatif, dans un système sous haute pression, ne pouvait que conduire à la dégradation des sorties et des admissions qu’il s’agisse d’orientations d’aval ou de retours au domicile.

Tous les nouveaux machins mobiles pluri-professionnels, PRADO et plate-formes de coordination ne peuvent pas aller contre des incitations fondamentalement perverses aux yeux des professionnels confrontés à des besoins de plus en plus complexes et qui ont perdu progressivement les moyens d’assembler les compétences et de faire les liaisons médico-sociales et sociales indispensables. Ce n’est pas seulement un cautère sur une jambe de bois affaiblissant en outre les compartiments activités pour les plus maigres qui ne touchent jamais les enveloppes fléchées. Mais où vont réellement les enveloppes fléchées? C’est bien ce qu’il faut s’abstenir de demander pour ne pas trop déplaire. Attendons le prochain rapport clairvoyant de la Cour des Comptes.

Sans garde-fous imposés par la loi, la pression des tutelles sur un management devenu à la fois hiérarchique et divisionnel depuis la mise ne place des pôles et la loi HPST ne peut conduire qu’à utiliser la seule véritable variable d’ajustement qui reste accessible aux managers, la qualité des soins, surtout par la réduction des effectifs. L’état et les ARS instaurent une concurrence encadrée entre divisions conçues comme centres de résultats.  Mais au sein des divisions, le management devient de plus en plus mécaniste, fondé sur des procédures rigides, des ligne hiérarchiques cloisonnées, en mille-feuille et des centres de coûts. Cela se fait au détriment des collectifs de soins, des logiques professionnelles et des compétences fondamentales de l’organisation à la source même de la production de biens et de services de santé.
Tout cela a été hélas dit et redit par d’excellents analystes sans aucune suite concrète. Pourtant l’utilisation des indicateurs myopes, tant pour la construction des classifications tarifaires que pour le P4P (pay for performance), ne résiste pas une minute à l’analyse. Rappelons que les indicateurs de qualité mobilisés en sont jamais des indicateurs de structure (compétences en qualité et quantité, installations, équipements et organisation), il faudrait alors des ratios opposables. Ce ne sont jamais ou exceptionnellement des indicateurs de processus clés et encore moins de indicateurs de résultats du type outcome, ce qui « compte » vraiment.
La question qui se pose, entre économie et sociologie, c’est comment peut fonctionner le pacte faustien des professionnels et du management au service d’une gestion par l’intimidation, comment se construit l’aveuglement collectif, la résignation coupable et la complicité soumise qui conduisent à un tel gâchis pour les usagers et les professionnels?
Il repose avant tout sur la peur, les stratégies politiques d’ajustement, la normalisation de la déviance et les mécanismes de négation du réel bien décrits par Valérie Iles, Christophe Dejours, Vincent de Gaulejac et tant d’autres.
La peur, la normalisation de la déviance, les méthodes de publicité orientées vers l’intérieur de l’organisation et l’opacification bureaucratique permettent de faire faire une sale boulot à des gens biens, et favorisent l’empilement de strates de pouvoirs intermédiaires qui ont intérêt à accroître leur zone de contrôle et d’expertise en justifiant sans cesse la nécessité d’accroître les institutions dont ils sont les experts (Hayek). Mal français, société bloquée, société de défiance et crise de l’intelligence pour certains, logique du capital économique culturel et politique pour d’autres qui passe de plus en plus par le contrôle de l’accès aux données. Sans accès aux données le soignant est définitivement réduit à n’être qu’un petit technicien de parcours construits en top-down. Échec économique et social assuré.

Ce darwinisme économique et social vulgaire légitimé par les données et qui préside à l’évolution du système de santé doit cesser. J’insiste sur l’enjeu essentiel des données de santé, auxquelles les professionnels de santé ont, malgré les incantations à l’open data, de moins en moins le droit d’accès réel et la possibilité d’interprétation. Un message y sera consacré ultérieurement, en particulier aux mauvaises raisons qui ont rigidifié le système en prétendant le libéraliser.

Il n’y a pas besoin de mobiliser une théorie du complot quand on sait que la bêtise stratégique ou politique ne nécessite ni beaucoup d’intelligence ni beaucoup d’organisation (Michel Rocard),  mais on peut évoquer un mécanisme décrit sous le nom de corporate anorexia ou anorexie entrepreneuriale / organisationnelle. Elle peut être portée par des managers de transition si elle est volontaire et intégrée à une stratégie d’ajustement.
Il faut juste avec Jean de Kervasdoué admettre que le seul patron de l’hôpital n’est pas le directeur mais le Président de la République. HPST était et reste une réforme jupitérienne, la compétition régulée n’étant que secondaire et liée à l’impossibilité d’une gestion mécaniste de haut en bas de l’organisation de la fonction de production et de ses sous-fonctions. Les pseudo-marchés par indicateurs appliqués aux services publics, sans but lucratif ou à but lucratif permettent en outre de séduire les libéraux, malgré la paralysie de l’innovation qu’ils induisent mais cela doit être bien distingué des politiques de commercialisation de l’offre et de l’assurance-maladie. Ne nous y trompons pas, l’hôpital entreprise est ici l’état entreprise, les modèles comptables et économiques sont définis et imposés d’en haut.
La perte de sens pour les acteurs se comprend aisément dès lors que l’on considère les modèles de performance du nouveau management public. Dès lors qu’il n’y a pas d’alignement entre outputs, outcome et impacts économiques et sociaux, management public et économie de marché régulée  continuent inexorablement à vaporiser la logique des professionnels. Je le reproduis à nouveau ici.
L’output est un résultat de sortie de système qui ne reflète pas toujours, mais parfois il peut l’approcher,  les processus fondamentaux de l’organisation (ex acte, T2A, paiement au parcours, P4P sur microprocessus comme la consommation de solutés hydro-alcooliques).
L’outcome intermédiaire est l’outcome individuel dans l’intérêt du patient , c’est ce qui fait sens pour le professionnel et le patient qui lui a fait confiance.
L’outcome final ou impact lui est considéré sous l’angle de l’intérêt collectif avec deux écueils celui de l’utilitarisme qui sacrifie l’intérêt individuel à l’intérêt général et celui des inférences causales de nature politique et idéologique comme dans le cas du ROSP (rémunération aux objectifs de santé publique).
J’ai retrouvé une lettre des présidents de CCM de l’AP-HP à Mme Bachelot. Tout s’est aggravé. Pourquoi? Comment cela a-t-il été possible?

La banalisation du sale boulot

La rationalisation est au départ justifiée par l’idéologie défensive du réalisme économique. La crise est une donnée intangible qui nécessite une innovation de rupture guidée d’en haut. Ensuite vient l’appel à la stratégie de défense face à la crise, une sorte de cynisme viril par lequel la violence managériale devient vertu. La souffrance est reconnue mais tout est fait pour la personnaliser: celui qui tombe est fragile, les facteurs personnels et environnementaux qui lui sont propres seront mis en exergue et la « part maudite du management » (De Gaulejac) ne sera pas réellement mise en cause.

Dès lors le mécanisme de banalisation du « sale boulot » est assez bien décrit par Dejours:

  • Stratégie de distorsion communicationnelle: novlangue managérialiste, suppression des espaces d’échange transversaux entre médecins et/ou paramédicaux, maîtrise des réseaux sociaux internes.
  • Mensonge proprement dit: les réorganisations vont systématiquement permettre de réduire les effectifs pour le bien futur de l’organisation qui survivra grâce aux sacrifices.
  • Redirection de la publicité vers la propagande interne: grand-messes powerpoint que les cadres soignants et les médecins écoutent sans véritable débat. Les questions importantes à l’ordre du jour ne peuvent plus être débattues faute de temps.
  • Effacement des traces: le système d’information ne capte pas par nature ce qui ne rentre pas dans sa conception fragmentée entre soins et social, les hérétiques sont intimidés, découragés ou écartés. Les groupes de travail se succèdent sans jamais reprendre les réflexions précédentes ni les membres qui ont participé aux projets antérieurs (stratégie d’effacement des disques durs)
  • Utilisation des médias et de la communication interne: la communication verticale utilise toutes les NTIC et n’incite surtout pas à la connaissance des données qui permettraient une analyse et une interprétation par ceux que les données regardent. 
  • Rationalisation: crise, courage « viril », innovation de rupture par les techniques managérialistes, mécanismes de rejet des lâches, des faibles et des déviants qui résistent à la banalisation du mal (Dejours mobilise ici les analyses d’Hannah Arendt et de Primo levi).

Le gouvernement à distance par des tutelles fragmentées et des indicateurs aussi myopes qu’insignifiants constituant le « tout incitatif », à l’unité d’oeuvre comptable ou à la fausse qualité, ne peut durer sous cette forme. Il n’y a pas d’evidence based policy, il conduit au malheur des organisations soignantes, aux pertes de chances, à des décès, des limitations fonctionnelles et des situations de handicaps qu’on aurait pu éviter. Il faut changer de logiciel avant tout en restaurant la confiance et la participation des parties prenantes, à tous les niveaux de gouvernance.

Quelques sources relatives aux effectifs paramédicaux

« …une étude dans les hôpitaux américains a montré une réduction de 30% de la mortalité lorsque le ratio est passé de 8 à 6 patients pour un infirmier. … Selon l’étude RN4 Cast (Sermeus, 2015) réalisée dans 488 hôpitaux de 12 pays de l’union européenne et 617 aux USA, le ratio infirmier a été identifié comme un facteur explicatif de la mortalité hospitalière à 30 jours. Il existe une augmentation de 7% du risque de mortalité dans les 30 jours suivant l’admission du patient lorsque la charge de l’infirmière augmente d’un patient. »

Caractéristiques et résultats de l’étude RN4CAST relative aux infirmiers en Europe Characteristics and results of the European registered nurse Forecasting (RN4CAST) study

Nurse–Patient Ratios as a Patient Safety Strategy: A Systematic Review (Merci à Anne Gervais)

Higher nurse to patient ratio is linked to reduced risk of inpatient death

Autres sources – Personnes âgées, psychiatrie et réadaptation


La députée Barbara Pompili « ébranlée » par sa visite à l’hôpital psychiatrique d’Amiens

Qui va s’occuper de nos malades âgés ?

Signalons par ailleurs la dégradation progressive et silencieuse du dispositif de réadaptation français, à l’hôpital, en ville dans le secteur médico-social. Kinésithérapeutes et orthophonistes désertent les hôpitaux et certains territoires de santé. ces activités externes s’effondrent aussi très rapidement dans les hôpitaux. Si l’on considère que ces professionnels constituent le premier niveau  d’accès aux soins en réadaptation après le bricolage de réadaptation communautaire non spécialisée que promeut le bucolisme organisationnel des organisations internationales dans les pays à faible revenu, le second étant la médecine spécialisée en ville ou en établissements, que va-t-il se passer en matière d’épidémiologie  du handicap?
Comment prévoir les besoins de soins de réadaptation alors que la mesure du statut fonctionnel est quasiment absente des système d’information hospitalier français, même en SSR où elle est indigente?
L’organisation et le financement de la réadaptation doivent être de toute urgence repensés hors silos institutionnels, financiers et idéologiques, dans l’intrication étroite de l’aigu, des SSR, des soins de ville et en secteur médico-social.
Notons le superbe isolement de la France est un rare pays où la réadaptation n’est pas identifiée et promue comme une stratégie de santé en lien avec les politiques du handicap, contrairement aux préconisations des organisations internationales consacrée à la santé et au handicap (ONU, OMS, OCDE, Handicap International). Un prochain message y sera consacré.

Corporate anorexia

Le commitment organisationel face au downsizing: quelle stratégie des RH?

Cet article rappelle l’importance de la loyauté des salariés pour les organisations qui veulent bâtir une gestion des ressources humaines efficace. Il s’interroge notamment sur les effets de réduction d’effectifs sur les salariés (les survivants) en particulier sur leur niveau de loyauté. Il souligne que le recours systématique au downsizing serait contre productif, et loin de l’amincissement recherché conduirait à une « anorexie d’entreprise. »

Anorexie d’entreprise au Canada

Faut-il brûler les outils de gestion ? Réflexion autour de l’entreprise libérée (1/2) Les
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Loi de santé: le paternalisme managérial de marché

« Avec les moyens actuels de publicité, une opinion ou une doctrine peut être lancée comme un produit pharmaceutique quelconque. » Gustave Le Bon 1924
Il arrive un moment où il faut s’interroger sur le sens des réformes des politiques publiques de santé.
Ce moment survient quand on s’aperçoit que des réformes faites au nom de la qualité des soins, de l’efficience et de l’égalité d’accès aux soins entraînent leur dégradation de jour en jour en ville, à l’hôpital et dans le secteur médico-social. Qui n’en a pas le témoignage quotidien avec des proches qui sont malades, de plus en plus mal orientés en ville ou en SSR après un séjour hospitalier aigu où tout est fait à la va-vite, sous pression d’un management dont la satisfaction signifie la survie pour une activité, et sans identification possible des besoins après la sortie? Ceux-ci nous appellent à l’aide, désemparés et perdus dans un système devenu incompréhensible même pour les plus habiles.
Il arrive un moment où la propagande qui soutient cette ré-ingénierie disruptive de la « santé » doit être décryptée à la lumière de l’économie, de la sociologie (politique, du travail et des professions), et des sciences de gestion. Nous pouvons essayer de nommer le mal, c’est le « paternalisme managérial de marché », appliqué à l’action publique en santé.
Ce paternalisme managérial de marché, il faudrait dire de « leurres marchands » créés pour mieux inciter homo economicus, cet idiot rationnel de l’économie classique devenu irrationnel – aux rationalités limitées – pour l’économie mainstream, c’est à la fois l’ennemi du libéralisme politique qui protège de l’arbitraire de l’Etat, du libéralisme économique classique qui promeut la liberté d’entreprendre, et du libéralisme médical, ce dernier concept concernant tout autant les médecins dits libéraux que l’indispensable « statut » protecteur de l’autonomie des médecins quand ils sont salariés quel que soit le secteur d’exercice.
Les réformes récentes visent avant tout à la réduction des dépenses de santé dans un contexte de faible croissance et de forte dette.
Les méthodes sont partout inspirées des mêmes modèles internationaux, dans un contexte où les Etat sont conduits à se faire prédateurs de leurs services publics sous la pression des programmes d’ajustement structurels.
L’effet quotidien de ces méthodes low cost, laissées par la gouvernance actuelle sans aucun contre pouvoir médical à un management devenu tout puissant mais sous les fourches caudines des ARS, est désastreux.
Le statut des médecins est un obstacle aux réformes, les réformateurs le savent, en ville ou à l’hôpital en public comme en privé ils n’auront de cesse de le fragiliser pour imposer des modèles industriels simplistes et inappropriés. Il existe des modèles industriels intelligents à condition de savoir concilier flux poussés et flux tirés, dans la considération du résultat attendu par celui qu’on s’évertue à appeler « client », le résultat clinique au terme de la chaîne de soins. Encore faut-il en avoir une vision claire et que celle-ci soit partagée par les parties prenantes. C’est pourquoi le dialogue médecin-patient reste le fondement de la définition du résultat attendu, du résultat qui compte vraiment et qu’on ne sait guère compter à ce jour.
Les trois piliers de l’idéologie qui soutient le management de la « grande santé » sont trois formes dévoyées et sans aucune evidence based policy de trois nobles disciplines:
  1. Santé publique: 
    – Centrage sur les soins primaires assimilés aux soins ambulatoires; nouvelle base de la promotion de la santé, de la prévention, des coopérations entre professionnels de santé et de l’orientation par subsidiarité vers les niveaux de soins supérieurs (gate-keeping contrôlé par les payeurs).
    – Inversion du triangle d’allocation des ressources du curatif vers le préventif, à somme négative pour les dépenses de santé mais on ne le dit, ni ne le justifie.
  2. Economie
    L’économie des incitations et les théories de la firme promeuvent partout comme seul modèle d’efficience la compétition régulée entre « firmes », ce qui implique de créer des pseudo-marchés à l’intérieur des système de protection sociale, que l’offre soit publique ou privée.
  3. Management:
    – Promotion de l’ingénie, de la planification stratégique et de la gestion des risques aboutissant à l’horizontalisation des professions de santé sous la direction des managers (couple infernal intégration/processus si bien dénoncé par François Dupuy dans « lost in management »)
    – Asservissement de toute production à la fonction de production de l’action publique qui fait passer l’individu malade après l’impact des politiques publique sur les indicateurs de bien-être
    – Fragilisation des professions protégées partout dans le monde (médecine) et à « pratiques prudentielles » (Champy, Freidson, Abbott et nos amis sociologues français).
Le résultat est un ensemble de mesure de management public de la santé promues depuis des décennies, mais fortement accélérées par la loi HPST et l’actuelle loi de santé :
  • La démédicalisation même si personne ne peut être contre la prévention ni contre l’évolution des professions, en lien avec les nouvelles technologies et les modèles économiques qui en découlent
  • La dé-spécialisation au nom de « l’intégration des parcours de soins » par les médecins de premier recours et les futurs « coordinateurs de parcours » non médecins (preuves? décision démocratique?).
  • La dés-hospitalisation au nom du virage ambulatoire qui s’annonce sans garde-fous ni l’articulation indispensable avec le médico-social
  • La dé-protection sociale par rapport au risque maladie, la vraie maladie celle qu est bien tangible pour les usagers et dont ils veulent rester protégés.
Ceux qui ne sont pas encore convaincus et restent encore sensibles au patafar politico-médiatique de l’innovation destructrice doivent lire « l’Etat prédateur » de James K. Galbraith, les critiques internationales à l’égard des programmes d’ajustement structurels y compris émanant de l’OMS, les écrits de Claude Rochet sur les mécanismes d’autodestruction bureaucratique de l’Etat, les critiques de l’imposture économique, les critiques du management stratégique, les critiques du Nouveau Management Public et enfin les critiques de la sociologie interactionniste toujours enseignée à l’EHESP.

Qui et au nom de quelle science exacte définit le contenu du « catalogue d’approvisionnement en prestations »? Qui en définit les catégories, si variables d’un pays à l’autre, ce qu’on nomme « programmes » au Canada, par exemple pour la réadaptation des déficiences physiques? Bref en évitant autant que possible le patafar réformateur, qui dans ce grand marché définit le besoins des clients à couvrir? Les compétences clés structurantes des activités? Les modèles économiques? Les organisations le plus efficientes?

Le schéma de Busse

Ce schéma permet de montrer non seulement qu’on va bien vers une intégration de l’offre par les payeurs, mais que ceux-ci sont privatisés (assurances maladies) tandis que la pression bureaucratique de l’Etat sur l’offre, sous la forme d’indicateurs insignifiants et d’injonctions de plus en plus paradoxales, ne cesse d’y produire perte de sens, cynisme, désarroi et désenchantement.

Un plus grande égalité des soins et de l’accès aux soins ne sera pas au rendez-vous, puisqu’on ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont créés.

Source : Busse, R., (2006), Les systèmes de santé en Europe : données fondamentales et comparaison, La Vie économique Revue de politique économique, 12:10-3.

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Loi de santé, stratégies d’ajustement et réduction de la protection sociale


La fonction politique de la promotion de la santé

La thèse que je défends ici est que les politiques publiques de santé déploient sous la contrainte des organisations internationales une stratégie d’ajustement qui légitime l’alignement entre la promotion de la santé dans une vision trop extensive du concept, l’intégration managériale par les sciences de gestion et de l’organisation du travail et les nouveaux modèles économiques appliqués à la santé dont l’économie des incitatifs dans le cadre des théories de la firme. L’objectif pour les uns, le risque non calculé pour les autres, est la déconnexion de la médecine et de la protection sociale en vue ou au risque d’une réduction drastique d’une couverture maladie fondée sur la solidarité nationale.

Diaporama: Réorganiser le système de santé quand les ressources sont rares

Loi de santé, stratégies d’ajustement et réduction de la protection sociale
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GHT: la forme soviétique des Accountable Care Organizations ?

Les Groupements Hospitaliers de Territoire sont l’application française, déconnectée de son modèle dans les discours officiels, des Accountable Care Organizations américaines (ACO).

Le principe des ACO est de mieux faire partager le risque financier entre les payeurs et les offreurs en incitant les offreurs à se regrouper dans l’objectif affiché d’améliorer la qualité et l’efficience des soins pour une population et dans un territoire donnés. Dans ce contexte il est plus que probable que l’intégration directe de l’organisation et de l’offre par les payeurs sera croissante (sécu et/ou assurances complémentaires). Pour garantir la qualité des soins, les payeurs ne devraient pas être à la fois juge et partie, financeurs et organisateurs chargés de définir la qualité et d’évaluer les biens et services produits. 
Ces organisations supposent la mise en œuvre de nouveaux systèmes de paiement: P4P, bundling (par épisodes de soins) et capitation associés aux « shared savings« . Ces économies partagées permettent de « discounter » des soins dans une compétition entre mieux-disant vis à vis des acheteurs de soins, assortie de garanties « qualité ». Ces nouvelles formes de paiement sont étroitement liées à l’organisation des soins et à ses restructurations. 
Tout cela passe de fait par une intégration verticale des « parcours » (autrement dit, de la « fonction de production » en management et la « chaîne de valeur » en économie). Le résultat de la production est de moins en moins aujourd’hui un outcome individuel pour un patient malade selon notre modèle clinique que des impacts économiques et sociaux définis comme « déterminants de santé » par les politiques de santé et dès lors soumis à des arbitrages en termes de coûts d’opportunité. Cette intégration de la médecine à la fonction de production de l’action publique porte le doux nom de « promotion de la santé » en novlangue. Ce modèle importé d’Alma Ata et de la charte d’Ottawa a été généralisé à tous les pays développés par l’OMS et les organisations internationales afin de justifier l’ajustement et l’inversion du triangle d’allocation des ressources des soins curatifs vers les soins primaires. C’est gros, mais ça passe, si bien que l’on y ajoutera les nouveaux métiers et la ‘Patamédecine pour déployer le triptyque low cost encensé par les modèles disruptifs de Christensen : démédicalisation des soins primaires « disruptés » par les nouveaux métiers – déspécialisation du second recours disruptés par les généralistes « augmentés » par la technologie – déshospitalisation disruptée par les spécialistes du fait de l’obsolescence du « magasin de solution ». Exit les missions d’assistance publique par définition non captées dans ces modèles économiques. 
Les conflits d’intérêt sous très forte contrainte budgétaire supposent que le même ne soit pas juge et partie de la « qualité » et de « l’efficience » des soins produits par des réorganisations sommées avant tout de vendre des soins discount aux acheteurs. C’est ce que dénonce à juste titre Kervasdoué dans « l’aveuglement conservateur » des politiques de santé françaises. 

« l’Etat non seulement régule, mais organise, contrôle, et se faisant juge et partie, se paralyse… » Jean de Kervasdoué. Santé : un aveuglement conservateur. Marianne n°934.

Les médecins sont de plus en plus « intégrés » par le salariat, quelle que soit la forme de paiement des activités de soins, comme dans le modèle des centres de santé mutualistes, avec adjonction d’une carotte à la performance, et les managers sont intégrés par la gouvernance de ces nouvelles structures régulées. 
Le modèle de valeur officiel est donc centré sur la « promotion de la santé », il y a donc clairement dans les lois de santé successives un alignement entre 
  1. le modèle de santé publique de promotion des soins primaires comme portes d’entrées en exercice regroupé régulant l’accès de premier recours aux niveaux supérieurs, la prévention, la coordination d’appui aux soins et la santé comportementale, 
  2. l’intégration managériale de l’action publique avec une organisation territoriale à base populationnelle et hiérarchisée sur deux ou trois niveaux de la réponse aux besoins et enfin 
  3. les modèles économiques disruptifs / incitatifs de l’économie de la santé. 
Qui peut être contre l’amélioration des soins de proximité, l’engagement des citoyens dans la gestion de leur propre santé, une éducation adaptée aux bons comportements de santé, la prévention et enfin pour ce qu’il faut de virage ambulatoire pour réduire les hospitalisations évitables ? Tout le monde est favorable à l’évaluation de la qualité et pour la recherche du juste soin au moindre coût pour la collectivité. La question n’est donc pas là, mais de savoir quels processus opérants vont gouverner les marchés politiques en contexte de rationnement (rappel du concept: les élus cherchent à assurer leur réélection et maximiser leur fonction d’utilité avant de faire ce pourquoi ils ont été élu en promettant plus qu’ils ne peuvent tenir). Quelles sont les coalitions d’acteurs que l’action publique va mettre en avant au nom des principes- buzzwords qui servent l’ajustement, quand ce n’est pas la création de nouvelles couches de technocrates qui, selon Hayek, n’en finiront plus de promouvoir la croissance des systèmes et institutions dont ils sont les experts. La dés-hospitalisation sera délétère si elle se fait avant d’avoir compris pourquoi les parcours sont si chaotiques et pourquoi l’incoordination règne. 
Le diagnostic sévère de Crozier, pourtant un gentil « sociologue de service » comparé à l’école de Bourdieu, est vérifié plus que jamais dans le domaine de la santé: la société est bloquée essentiellement parce que l’intelligence de l’Etat traverse une crise très profonde. 
Au niveau économique il convient de distinguer deux discours plus ou moins hybridés dans la doxa des réformateurs français, celui de l’innovation disruptive (Christensen) qui cherche à détecter l’émergence de nouveaux modèles économiques viables pour répondre aux nouvelles exigences du marché réel , et l’économie des incitatifs qui confère à l’Etat régulateur la mission de mettre en œuvre une compétition généralisée entre « firmes », dont on attend l’efficience (managed competition). C’est compliqué parce que la régulation macro-économique et le Nouveau Management Public tentent de modeler à la fois les modèles économiques des soins de santé et le comportement micro-économique des acteurs. La réglementation impose la proposition de valeurs-santé pour les bénéficiaires (lois de santé publique successives), les formules de revenus (tarification) et enfin l’architecture des activités de soins (gouvernance, planification, autorisations, ingénierie des compétences clés, labellisation / certification soumises à la chaîne de commandement DGOS > ARS > établissements regroupés en GHT). 
Le terrain d’application privilégié de ces « théories de la firme » est l’ensemble des services publics où la multiplication des agences est interprétée par les uns comme une soviétisation (relations hiérarchiques et procédures industrialisées par l’organisation scientifique du travail à partir de l’EBM) , par les autres comme une marchandisation néo-libérale par essence sous contrôle, selon la « théorie de l’agence » (gestion de l’incomplétude des contrats et de l’asymétrie d’information entre « principal » et « agent »). 
La compétition régulée n’implique pas forcément la privatisation mais au moins l’introduction de pseudo-marchés. La T2A peut être ainsi vue comme un mécanisme de yardstick competition favorisant la survie des « firmes » produisant la meilleure qualité au meilleur coût en les rapprochant d’une firme fantôme au fonctionnement idéal, ou comme un simple mécanisme d’allocation à l’activité dans une perspective comptable (fee for service). Elle n’est plus en France qu’une clé de répartition d’une enveloppe fermée modulo un pilotage brouillon des restructurations, puisque prenant une moyenne pour une norme elle est ensuite globalement rabaissée en fonction de l’ONDAM. 
Comment la certification et l’évaluation de la qualité par les mêmes qui sont chargé de réduire les dépenses et qui sont évalués et promu avant tout sur leur capacité à le faire et cela sans contre-pouvoir effectif des organisations professionnelles pour labelliser les programmes de soins pourraient-elles être autre chose qu’un vaste rêve de fer technocratique? 
Il s’agit bien en fait d’un paternalisme managérial de marché qui, par construction, exclue les professionnels de la conception des processus de soins en leur laissant la place, selon le point de vue d’où on se place, soit d’exécutants de chaînes de montage gérées par les ingénieurs du soin, soit d’idiots aux rationalités trop limitées pour participer aux processus de décision qui les concernent, tout juste bons à « inciter ». Cette exclusion conduit à combiner les défaillances de la main invisible du marché avec celle bien trop visible de la bureaucratie. 

Loi de santé, stratégies d’ajustement et réduction de la protection sociale

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De quoi le néolibéralisme est-il le nom? – Naissance de la ‘Pataclinique


Hello, happy accountables!


« Les modèles économiques servent fréquemment à détourner des questions socialement pressantes. » John Kenneth Galbraith

«…le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d’Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l’Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique.» Frédéric Pierru

« Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.» Pierre Bourdieu

Avant tout, voici un dossier documentaire sur le site d’ubulogie clinique

Naissance de la ‘Pataclinique




Pourquoi parler du néolibéralisme?


« Tout mécanisme de régulation est une théorie du changement social. » Jean de Kervasdoué

« La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs. » Raymond Massé


La sortie de mon état antérieur de « zombie politique » vient de ce que j’ai été stupéfait et horrifié par la submersion rapide de nos hôpitaux, je dirai aujourd’hui plus largement de notre « système de santé », par la iatrogenèse néo-managériale, par sa maltraitance masquée des malades et des soignants, médecins bien sûr, mais sans doute surtout des paramédicaux. Ce qui m’est apparu presque encore plus effroyable, c’est le découplage ubuesque, parce qu’ayant atteint le niveau d’une véritable révolution du sens du soin à l’hôpital, entre d’une part les théories professées par la rhétorique managériale dont la fonction est d’enfumer l’évidence de soins dégradés par un exécrable management low cost, et d’autre part les théories d’usage et méthodes de travail réelles mises en oeuvre par les opérationnels des services (« service » veut dire unité opérationnelle « au service du public »). 

Je déplore qu’entre complaisance résignée et complicité soumise, nous n’en parlions pratiquement plus, entre nous autres « soignants », sur nos lieux de travail, car d’autres en parlent, qui poussent trop souvent à nous transformer en « employés » du faux dialogue social à la française. Je ne reviens pas sur les critiques si pertinentes de Michel Crozier sur le faux dialogue social à la française.

Nos nouvelles Commissions Médicales d’Etablissement (CME), conformément à la prophétie auto-réalisatrice des « réformateurs », en particulier au modèle d’homo economicus, sont devenues des assemblées d’idiots aussi rationnels qu’égoïstes (rational fool d’Amartya Sen), mais aux rationalités plus limitées que jamais, avalant, certes avec quelques effets d’estrade pour se donner un supplément d’âme, la pensée Powerpoint programmés par le « nouveau patron » de l’hôpital et ses succubes. Comme disent les golfeurs, « on est toujours à la merci d’un bon coup ». Une CME ou n’importe quelle structure de la nouvelle gouvernance est toujours à la merci d’une bonne analyse ou d’une bonne décision, quand elle participe encore un peu à la décision. Entendons nous bien, c’est le comportement collectif induit par une gouvernance managérialiste et infantilisante qui est ici critiqué et non le comportement individuel des acteurs qui relève de l’impotentia judicandi.

C’est qu’au classique management by decibels et by lobbying il faut ajouter aujourd’hui le management by bullying ou management par l’intimidation. Qui n’a pas à sauver un projet d’activité qui lui tient à cœur et ne va pas se résigner à « la fermer » pour ne pas sacrifier tout à la fois les soins auxquels il croit pour ses malades, le sens de son travail et son équipe de soins? Servitude volontaire ou servitude induite et bien induite?

Je propose plus bas une brève définition du néo-libéralisme inspirée de Pierre Bourdieu et Frédéric Pierru, peut-être aussi de Michel Foucault si je l’ai jamais compris, pour en finir avec les gogos de l’intégration industrielle de l’usine à soins. Je pense hélas aux nouvelles CME issues de la loi HPST, et tous ceux qui se cachent derrière la critique de la seule composante entrepreneuriale du grand « bordel » pour mieux masquer le « jacobinisme planificateur » inhérent à l’élite néo-mandarinale qui se constitue. « Corriger la lecture jacobine et planificatrice qui a été faite » du service territorial de santé au public, c’est la formulation utilisée par Marisol Touraine pour repousser les critiques de sa loi. Mais qui va se oser se déclarer « jacobin et planificateur » dans un pays ou pourtant la logique « étatique-corporatiste » bien décrite dans la société de défiance peut définir le mal français?
Trop de nos nouveaux médecins gestionnaires se réclament de la stratégie du glaive et du bouclier, proclamant que leur proximité du management officiel va mieux nous protéger de la bureaucratie sanitaire. Mais que vaut le prétendu bouclier quand le glaive de la raison clinique n’est plus qu’un couteau sans lame auquel il manque le manche? Triste sort du prisonnier-fonctionnaire.
Le néo-libéralisme est une idéologie idéaliste « armée », promue par des organisations internationales, au service de certains groupes d’intérêt. Il sert avant tout à la « faisabilité politique de l’ajustement », politique qui induit des comportements « d’Etat prédateur » selon James K. Galbraith. Celui-ci nous explique bien que ce néolibéralisme n’est plus qu’un discours idéologique tenu aussi bien par la droite et la gauche américaine, tout comme chez nous, alors que les universitaires des reaganomics sont aujourd’hui enfermés et oubliés dans leurs universités. Les reaganomics étaient plutôt opposés à la « régulation », mais furent qualifiées par George H. W. Bush « d’économie vaudou ».

La régulation néo-libérale au service de la santé-bonheur a donc de beaux jours devant elle.

Proposition: néolibéralisme, néomanagérialisme et santé publique –  Page complémentaire

Le néo-libéralisme peut être défini comme une technique de gouvernement, historiquement située, qui fonde l’intégration de la société sur le postulat d’efficacité économique de la compétition régulée, dès lors généralisée à toutes les sphères de la vie publique et privée.

La société apparaît comme principe d’auto-limitation de l’Etat, en interface paradoxale entre l’Etat et l’individu, gouvernement et population, au nom à la fois de la liberté qui exclut toute forme de dirigisme et de la promotion de la « santé bonheur ». Autrement dit, ce nouveau « Biopouvoir » ou « Biopolitique » prend en charge non les individus afin de les assujettir par des techniques disciplinaires, mais la population afin de réguler ses processus biologiques.

Le néo-managérialisme assure la régulation de la compétition, le managérialisme étant défini comme l’extension des techniques du management à toutes les sphères de la vie publique et privée.

Le Nouveau Management Public est un patchwork idéologique qui intègre, de façon très variable selon les pays, l’ensemble de ces mythes rationnels dans l’action publique. L’action publique est aujourd’hui sous contrainte internationale de la « faisabilité politique de l’ajustement ». Les systèmes de santé sont une des variables d’ajustement essentielle des déficit publics. Force est de constater avec Raymond Massé que « La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs ».

Le « service territorial de santé au public  » est bien l’autre nom d’une politique de santé qui sert de variable d’ajustement aux dépenses publiques

Cette idéologie vérificationniste et infalsifiable, fondée sur de fausses sciences sociales au service de Machiavel, explique tout, justifie tout, légitime tout, avale tout, à commencer par l’esprit critique des médecins, des managers, des usagers et des élus.

Le reste est anthropologique, captant la médecine dans l’effroyable re-division néo-managériale du travail, décrite par le sociologue américain Eliot Freidson, qui reproduit le triangle mythique de Dumézil: les élites de prêtres « sachants » qui se sont recomposées avec les sciences sociales servent de support légitimateur du management public, les guerriers-gardiens, en intégrateurs et capitaines d’entreprise à leur service, et enfin les producteurs. A propos de ce modèle anthropologique qui ne se résout jamais complètement en « lutte de classes », n’en déplaise à Marx, il faut lire Aristote (contre Platon et les néo-platoniciens) , Dumézil, Veblen, d’iribarne et Galbraith Jr.
Merde! Je ne suis pas un producteur dont le sens de l’action serait défini d’en haut!
Je ne crois pas à la « vue d’hélicoptère », genre De Gaulle survolant l’Île-de-France avec Delouvrier et lui disant, « Delouvrier, mettez moi un peu d’ordre dans ce bordel« .
« Tous les chercheurs travaillant sur l’histoire des villes nouvelles connaissent la légende du « Delouvrier, mettez moi de l’ordre dans ce bordel » qu’aurait prononcé le général de Gaulle, au début des années 1960 lors d’un survol de la région parisienne en hélicoptère. Cette « petite phrase » est justement célèbre parce qu’elle résume à elle seule l’imaginaire des villes nouvelles. « 

Et l’imaginaire du jacobinisme entrepreneurial à la française?

Tentative d’exploration du néo-libéralisme

Voilà, je répugne toujours a utiliser le mot « néolibéralisme » tout en ayant bien le sentiment qu’il est le nom de quelque chose. J’observe au quotidien et dans un désarroi croissant la conjonction des défaillances d’un régime de compétition régulée par une bureaucratie de plus en plus contre-productive au regard de ses objectifs affichés. Résumons le mal du pont de vue « clinique » d’où je l’observe, celui de la médecine de réadaptation: le mythe de la rationalisation comptable s’est accouplé à celui de la concurrence comme forme générale des activités humaines. Il a alors fallu construire un modèle comptable de production des services de santé qui puisse mettre les acteurs dans ce régime de compétition régulée. C’est ainsi modèle de production comptable par construction purement « cure » de la Tarification à l’Activité dans nos hôpitaux (T2A), a servi de modèle d’allocation des ressources en détruisant systématiquement cette part du care qui y était intimement associée pour tous les soignants, cette part d »intégration des soins en vue du résultat final pour le malade, bien différents des outputs de sortie de système autant que des « impacts » socio-économiques attendus du modèle d’intégration de la « fonction de production » par les experts de l’action publique.

Ce modèle de production fragmenté a été naturalisé par la séparation du sanitaire et du social qui a induit l’évaporation en France de la réadaptation comme problématique de l’action publique au profit du modèle exclusif de la participation, de l’activation qui est aussi l’idéologie du workfare. Le nouveau modèle du cure déconcentré pour les « Français de l’Etat » et du care décentralisé pour les « Français du département » excluait la possibilité de promouvoir tout dispositif intégrant les deux logiques autrefois étroitement intriquées. Après la grade fragmentation issue des lois de 1970 et 1975, séparant soins et social, penser la réadaptation comme stratégie nationale ou régionale de santé publique devenait tout simplement impensable, quand tous le pays associent naturellement réadaptation et prévention des situations de handicap, quel que soit l’âge.

En termes d’économie industrielle la supply chain s’est transformée sous l’action de nouveaux business models artificiellement construits par la bureaucratie sanitaire et des faux marchés imaginés par ses pompiers pyromanes. Nous souhaitons tous l’intégration réelle des parcours de soins, tant attendue des incantations réformatrices. Nous la souhaitons comme « centrage patient », et non comme « orientation client » cet acteur rationnel informé, responsabilisé et bien empouvoiré pour mieux répondre à toutes les incitations du marché. Bref avant tout imputable. Nous voulons bien sûr viser le résultat qui compte au terme de la chaîne de soins, l’outcome. Mais le système a évolué vers toujours plus de fragmentation institutionnelle, financière et culturelle en contexte de rationnement, vers des parcours de plus en plus chaotiques transformés en jungle pour des patients toujours plus complexes, toujours moins habiles à s’y mouvoir, vers toujours plus de flux poussés de l’amont vers l’aval et  de restrictions verticales de filières, bien loin de tout choix possible du « client » dès lors captif, quand la personnalisation des parcours impliquerait au contraire l’équilibre entre « flux tirés » et « flux poussés », entre standardisation et individualisation de la réponse la demande, entre « sur-mesure » et « prêt à porter ». Comment pouvait-il en être autrement en organisant une guerre économique de survie ou d’expansion de tous les « idiots rationnels » entre eux, à un même moment ou à différents moments de la chaîne de soins.

L’intégration des soins, telle qu’observée par les acteurs

Cette « innovation destructrice » est-elle portée par des mythologies rationnelles dont personne ne sait maîtriser les conséquences ou par des stratégies politiques d’ajustement visant à rationner les soins et la protection sociale sous enveloppes fermées? Il est bien difficile de trancher. Comment ce nouveau paradigme de gouvernance qualifié de « néo-libéral », nous prive-t-il, nous autres soignants, de toute autonomie permettant de relier le cure du « traitement industrialisé de la nouvelle usine à guérir au care du prendre soin, du souci de l’autre humaniste? Comment et pourquoi tente-t-il de réaliser l’alignement de cette compétition régulée à travers ses multiples niveaux? Pourquoi la future loi de santé nous apparaît-elle de plus en plus comme la loi HPST II quand on en attendait une remise en cause?

  1. Au niveau « macro »: cela peut peut-être se résumer aux principes issus du consensus de Washington: « gouverner pour le marché » considéré comme seule source du progrès, de la paix et de la démocratie, dans le cadre contraint d’un idéalisme libéral trop souvent « armé ».
    Les programmes d’ajustement structurels et les problèmes liés à leur faisabilité en découlent… en contexte de rationnement.
  2. Au niveau « méso »: se déploient des armes de destruction massive de tous les « collectifs » assimilés à « l’esprit de corporation » décrit par le Chapelier, dont le « service hospitalier ». Le service hospitalier par exemple, n’apparaît plus que comme un avatar corporatiste nuisible, un « libéralisme médical à l’hôpital ». Voici que la rationalité managériale pure et son innovation destructrice émergent de la « théorie pure » (texte sur l’essence du néolibéralisme de Bourdieu). Galbraith et Mintzberg sont parmi les auteurs qui ont le mieux décrit l’autonomie et les défaillances tragiques de ces technostructures intermédiaires. Notons qu’elles sont aussi la cible de la corporate governance qui vise à redonner le pouvoir aux actionnaires. Cette logique se généralise à l’Etat entreprise où le management intermédiaire, soumis au « contrôle de gestion », est sommé de rationaliser une fonction de production définie par l’action publique de ce corporate state. Dès lors le niveau « méso » n’a de cesse d’auto-définir les besoins qu’il est censé servir. Le « business model« , la fonction de production imposée d’en haut avec ses objectifs sous enveloppes fermées, précède la définition des produits (résultats myopes comme outputs de sortie de système) et de la re-division du travail. Dès lors naît un cercle vicieux de la perte de sens, qui nie le « travail réel », roue de la perte de sens par laquelle le management n’a de cesse de tailler la réglementation à sa main (planification, définition des « activités de soins », gouvernance, ré-ingénierie des professions). Voilà la triste histoire de la loi HPST et des notes de bas de page que la future loi de santé va y inscrire.
  3. Au niveau « micro »: il ne s’agit pas de « gouverner par le marché » mais plus exactement de « gouverner par les incitations », de généraliser une forme entrepreneuriale purement compétitive, dès lors nécessairement soutenue par un « business model » (un modèle rationalisé de profit, ne serait-ce que pour la survie d’une activité « non lucrative », dans une règle du jeu tarifaire imposée par un faux marché), dans les mécanismes les plus intimes de toute activité humaine. Il s’agit de la « transformation de la concurrence en forme générale des activités de production ». Je ne reviens pas sur la « biopolitique » de Foucault ni sur le workfare ou « Etat social actif », où le travailleur devient entrepreneur de soi, dans l’idéal de devenir si possible un prédateur des autres. Voilà quel Brave new world  nos grands ingénieurs de la santé bonheur ont pensé pour nous!

Mais quel est le sens de la liberté individuelle dans ce paradigme, cette théorie pure du « divin marché »? La liberté individuelle et d’organisation d’activités collectives, qui ne sont pas toujours for profit, comme Adam Smith lui-même le savait, n’y est plus la condition de l’émergence de bonnes solutions pour la cité, elle devient l’objet d’un jeu d’incitations savantes qui doit permettre de ne laisser émerger dans la conscience individuelle et collective que des objectifs bien calibrés dans un cadre prédéfini par les théoriciens purs de l’Etat, leur « dictature du projet » et leurs « contrats » dont leurs agences pilotent les objectifs.
Poussant à l’extrême le pessimisme libéral sur la nature humaine, bien au delà d’Adam Smith et de la plupart des penseurs du libéralisme, la politique néo-libérale se réduit à cette quête de procédures et de principes objectifs, indépendants des motivations des hommes. Mais derrière cette apparente coalition moderne du droit et du marché, il s’agit bien d’une dépossession démocratique et d’un déni de citoyenneté qui n’ont vraiment rien de « libéral » au sens classique du terme. Chaque citoyen producteur y perd toute dignité humaine, n’étant plus convoqué que comme « idiot rationnel » réagissant aux incitations mécaniques prévues par la théorie pure.

Webographie

1. Le consensus de Washington (d’après wikipedia)

Le consensus de Washington, selon John Williamson, résume en 10 points les propositions qu’on qualifie de « néolibérales ».IL est ainsi nommé parce partagé que partagé par les organisations économiques basées dans cette ville (le FMI, la Banque mondiale…(Williamson, John (1990), « What Washington Means by Policy Reform » in John Williamson, ed. Latin American Adjustment: How Much Has Happened? (Washington : Institute for International Economics

  • Politique budgétaire : les déficits n’ont d’effets positifs qu’à court terme sur l’activité et le chômage, alors qu’ils seront à la charge des générations futures. À long terme, ils produisent inflation, baisse de productivité et d’activité. Il faut donc les proscrire, et n’y recourir qu’exceptionnellement lorsqu’une stabilisation l’exige ;
  • Les dépenses publiques doivent se limiter à des actions d’ampleur sur des éléments clefs pour la croissance et le soutien aux plus pauvres : éducation, santé publique, infrastructures… Les autres subventions(spécialement celles dans une logique de guichet) sont nuisibles ;
  • Politique fiscale : les impôts doivent avoir une assiette large et des taux marginaux faibles de manière à ne pas pénaliser l’innovation et l’efficacité ;
  • Politique monétaire : les taux d’intérêts doivent être fixés par le marché ; ils doivent être positifs mais modérés ;
  • Pas de taux de change fixe entre les monnaies ;
  • Promotion de la libéralisation du commerce national et international : cela encourage la compétition et la croissance à long terme. Il faut supprimer les quotas d’import ou export, abaisser et uniformiser les droits de douanes…
  • Libre circulation des capitaux pour favoriser l’investissement ;
  • Privatisation des entreprises publiques, démantèlement des monopoles publics pour améliorer l’efficacité du marché et les possibilités de choix offertes aux agents économiques ;
  • Déréglementation; à l’exception des règles de sécurité, de protection de l’environnement, de protection du consommateur ou de l’investisseur, toutes les règles qui entravent la concurrence, et empêchent les nouveaux compétiteurs d’entrer sur un marché doivent être éliminées ;
  • La propriété doit être légalement sécurisée ;
  • Financiarisation.

2. L’essence du néolibéralisme par Pierre Bourdieu, mars 1998
“Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.” Pierre Bourdieu

3 . De quoi le libéralisme est-il le nom? Jean-Claude Michéa

Résumé dans la revue du Mauss:
Avec cet article, l’auteur prolonge et clarifie quelques-uns des points essentiels de son dernier ouvrage, L’Empire du moindre mal. Il rappelle notamment combien la conception pessimiste de la nature humaine au fondement du libéralisme l’a conduit à plaider pour une morale neutre en valeurs et pauvre en vertus. Et c’est là peut-être l’une des raisons pour laquelle la politique libérale se réduit à cette quête de procédures et de principes objectifs, indépendants des motivations, bonnes ou mauvaises, des hommes. Et l’une des raisons également de l’émergence de cet empire moderne du droit et du marché qui tend aujourd’hui à régner sur nos sociétés contemporaines.

4. Pierre Dardot et Christian Laval « Néolibéralisme et subjectivation capitaliste »

Ce texte me paraît expliquer pourquoi la liberté d’action des « professions libérales à l’hôpital » se trouve directement anéantie par la normalisation de la concurrence, qui vise à naturaliser la « transformation de la concurrence en forme générale des activités de production ».
Le nouveau paradigme est présenté comme hybridation de deux modèle de création de valeur: la rationalisation managériale du profit de type taylorien et l’innovation destructrice de Schumpeter qui ne cesse de mettre cul par dessus tête les marchés soi-disant purs et parfaits des néoclassiques.
On comprend bien ici pourquoi l’action publique n’a pas besoin d’aller jusqu’à la « marchandisation » vraie pour répondre à ces exigences. Ce n’est pas une volonté consciente qui conduit le processus. Cependant de nouvelles coalitions émergent pour sur-légitimer cette nouvelle raison du monde, qui ont « intérêt » à ce nouvel universel néo-libéral, comme les juristes ont, en leur temps, légitimé l’Etat légal rationnel, rendant ainsi inutile et Dieu et le Roi.
L’effet est nécessairement différent entre pays qu ont développé la mythologie de l’autonomie par le « self » contre le vieux continent et le catholicisme et ceux qui avec Rousseau ont laissé l’individu seul face à l’Etat garant de l’autonomie des citoyens en les protégeant de tous les collectifs intermédiaires. le Veau d’or de l’entreprise de soi et des autres affronte toujours déjà la putain du diable, la Déesse Raison. L’individu, pris entre César et Mammon, n’a plus qu’à aller voir son psychothérapeute qui le protégera de la souffrance au travail en développant ses « habiletés sociales ». Mais à quoi? A l’extension opérationnelle de la manipulation de soi et des autres?

Comme le dit Patrick Gibert, dans le Nouveau Management Public ce n’est plus tant le droit et les juristes que les sciences sociales qui dominent la technologie de gouvernement.

Ainsi faut-il voir l’invasion des « agences » par les professionnels patentés de cette nouvelle ingénierie sociale de marché, chargés de la création de l’homme nouveau, ce produit de la biopolitique, la plus parfaite des « ressources humaines », celle dont on se plait à croire qu’elle est née pour la compétition régulée.

Ainsi se déploie le triangle mythologique de Dumézil, explication possible de la transformation de « l’Etat social » en « Etat prédateur » (modèle anthropologique utilisé par Thornstein Veblen, d’Iribarne, Galbraith junior…). Ce triangle s’applique à la reconfiguration de la médecine dans le schéma n°3

Schéma n°1: les trois fonctions mythologiques face à « l’Etat prédateur »

5. La loi Le Chapelier et le rejet des corps intermédiaire. Aux sources du jacobinisme entrepreneurial à la française

Dans l’exposé des motifs de sa célèbre loi (14-17 juin 1791), Le Chapelier, rejetant les corps intermédiaires chers à Montesquieu affirme:
« Il n’y a plus de corporations dans l’Etat; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation »

Dans son discours du 29 septembre 1791:

« Il n’y a de pouvoir que ceux constitués par la volonté du peuple exprimée par les représentants ; il n’y a d’autorités que celles déléguées par lui ; il ne peut y avoir d’action que celle de ses mandataires revêtus de fonctions publiques. »

C’est pour conserver ce principe dans toute sa pureté, que, d’un bout de l’empire
à l’autre, la Constitution a fait disparaître toutes les corporations, et qu’elle n’a plus reconnu que le corps social et des individus. […]

ARTICLE PREMIER

« L’anéantissement de toutes les espèces de Corporations d’un même état et profession étant une des bases fondamentales de la Constitution Française, il est défendu de les rétablir sous quelque prétexe et quelque forme que ce soit. »

ARTICLE SECOND

« Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibération, former des règlements SUR LEURS PRÉTENDUS INTERÊTS COMMUNS. »

« La Loi Le Chapelier, promulguée en France le 14 juin 1791, est une loi proscrivant les organisations ouvrières, notamment les corporations des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage.

La loi contribue, avec le décret du 18 août 1792, à la dissolution de l’Université et des facultés de médecine, au nom du libre exercice de la médecine, sans qu’il soit nécessaire d’avoir fait des études médicales ou d’avoir un diplôme, jusqu’à la création des écoles de santé de Paris, Montpellier et Strasbourg le 4 décembre 1794.

La Loi Le Chapelier a été abrogée en deux temps le 25 mai 1864 par la loi Ollivier, qui abolit le délit de coalition, et le 21 mars 1884 par la loi Waldeck-Rousseau, qui légalise les syndicats.

6. Huard P., Imbault-Huart Marie-José. Concepts et réalités de l’éducation et de la profession médico-chirurgicales pendant la Révolution. In: Journal des savants. 1973, N° pp. 126-150 .
« II vaut mieux manquer de praticiens que d’en avoir de mauvais ». Cabanis (rapport du 29 brumaire en VIII) (21 novembre 1799)

Voir l’opposition entre La Rochefoucauld-Liancourt (« physiocrate méconnu« ) et Guillotin, preuve que le débat entre la santé publique des « physiocrates » et la clinique, entre ces amoureux des modèles abstraits, ces théoriciens du Bien-être, fondateurs du premier modèle économique scientifique, et la médecine n’est pas nouveau :

7. Portrait de médecin: Joseph-Ignace GUILLOTIN – 1738-1814
« Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention ». Victor Hugo

8. La Loi du 30 novembre 1892 par Bernard HŒRNI (suppression des officiers de santé)

9. La santé au régime néo-libéral par Frédéric Pierru.

10. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ?

Figure 2: le pire ennemi du médecin, c’est le médecin

Inspiré de: Frédéric Pierru. Les mandarins à l’assaut de l’usine à soins. Bureaucratisation néolibérale de l’hôpital français et mobilisation de l’élite hospitalo-universitaire (dans la bureaucratisation néolibérale de Béatrice Hibou)

Figure 3: pour ceux qui croient encore à la grande intégration gestionnaire

Inspiré de: Frédéric Pierru LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Le Seuil – Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 – n° 194

L’éthique de l’imputabilité ou le nouvel esprit de l’action publique – La santé publique comme business model de soi et des autres- L’imputabilité comme nouvelle raison du monde

A mon sens, une des sources de l’incompréhension mutuelle des libéraux et républicains face au Nouveau Management Public appliqué à la santé est lié à la place de « l’imputabilité » comme nouvelle religion du monde, et sa façon de détruire tout collectif intermédiaire entre l’individu imputable et la rationalité managériale publique. Bourdieu avait perçu le néolibéralisme avant tout comme une arme de destruction massive des « collectifs ».

1. Reddition des comptes et santé mentale en France – L’impossible et irrésistible évaluation

2. Résister à l’emprise de la gestion : ce que l’armée du salut nous apprend
Resisting the domination of managerialism: lessons from the Salvation Army. Vassili Joannides et Stéphane Jaumier

3. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ? (on copie le Canada pour la bureaucratisation et les USA pour la marchandisation des assurances)

4. La société du malaise

« La neurasthénie fait apparaître un nouveau type d’expertise que le sociologue Andrew Abbott a appelé « la juridiction des problèmes personnels ». (…) …au cours des années 1920, deux nouveaux personnages apparaissent de façon concomitante: le psychothérapeute et le manager. » Ce dernier émerge de la nouvelle organisation du travail rationalisée, taylorienne puis fordienne (…). Le thérapeute, lui développe le type de capacité dont l’entreprise bureaucratique a besoin (…). les cures consistent à augmenter les capacités relationnelles permettant de répondre aux demandes multiples pouvant s’exercer sur le self sans qu’il soit débordé par elles. » Alain Ehrenberg

On sait que le management public de nos systèmes de santé est tout sauf « performant », même dans un sens acceptable du terme. Allant à l’encontre de son projet affiché, de mauvaises lois en mauvaises lois, l’action publique détruit les compétences clés, paralyse la véritable création de valeur, l’accountability transforme la liberté d’entreprendre (individualisme politique) en obligation morale de compétition (individualisme moral), et réduit tragiquement le service rendu au public. La question que se posent sans cesse les soignants désenchantés est de savoir si cette destruction est volontaire et procède d’un volonté cachée de « marchandisation » ou si elle est le fruit d’un système de croyance, un ensemble de mythes rationnels ou rationalisant a posteriori des choix démunis de preuves, en pratique contre-productifs, et qui auraient pu être différents. Avec l’imputabilité, L’Ethos du profit de Max Weber, ou la conception moderne du self américain selon Alain Erhenberg (« la société du malaise ») ne reviennent-ils pas à la charge dans nos vieux pays européens sous la forme terriblement insignifiante, pour nous autres latins, de civilisation méditerranéenne, d’un Ethos du business model, de la recherche laïcisée du salut par l’entreprise de soi et des autres?

Le salut par la santé Bien-être imposée par la biopolitique et par les modèles médico-économiques  qu’elle impose, sont alors pour nous autres médecins les deux visages de l’horreur d’une démédicalisation qui apparaît synergique de la dé-protection sociale.

Ce tableau ci-dessous, établi par Pierre Fraser, sociologue canadien qui a analysé l’ouvrage d’Ehrenberg, est intéressant pour guider « l’imputable » qui refuse d’être « neurasthénique ».

« Le débat n’est pas : ou la protection ou l’opportunité, mais l’intégration des deux modèles en France. Ce qui suppose une réflexion sur leurs limites réciproques. »
« Alain Erhenberg en réponse à Robert Castel (il fait référence au 2 modèles d’autonomie présentés dans cette page).

« L’économie est la science du raisonnement en termes de modèles et l’art de de choisir les modèles les plus pertinents pour le monde contemporain. » John Maynard Keynes

Esculape vous tienne en joie

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De l’agence tout risque au businhealth model

« Rien ne dessèche tant un esprit que sa répugnance à concevoir des idées obscures. » Cioran

Il est stupéfiant que les réformateurs présentent toujours les choix politiques les plus discutables comme une incarnation de la raison dans l’Histoire, comme si nous étions en route vers un modèle unique connu des seuls oracles.
J’ai essayé de représenter les choix multiples pour échapper au « one best way » par lequel Ubu régulateur nous accable avec son redoutable « cheval à phynances ».
Diapo extraite des systèmes de santé pour les nuls

La marchandisation de l’assurance maladie, combinée à l’hyper-technocratisation territorialisée sous contrôle des ARS ne cesse d’étonner en France. On ne peut comprendre cette évolution que dans le contexte du Nouveau Management Public et de la place qu’il donne à l’Etat disruptif, capable par ses experts d’anticiper la destruction créatrice de Schumpeter. Mais le doute est permis. S’ils se trompaient, s’il n’y a pas de modèle unique et s’ils choisissent le mauvais, et si ceux promus dans les universités américaines s’appliquaient mal dans notre cher et vieux pays, ce serait l’innovation destructrice qui prévaudrait.
C’est que 3 grands mythes nous accablent dans l’ingénierie du système de santé, au risque de la destruction de la solidarité, de la qualité des soins et des compétences: le mythe du marché efficient ou rationalité entrepreneuriale, celui de la rationalisation de l’action publique et enfin celui de l’Etat disruptif. Ce sont hélas les trois piliers qui fondent les politiques internationales d’ajustement des « systèmes de santé » et président à leur démédicalisation.
La prudence médicale doit rappeler à l’action publique l’évidence du « no best way » et l’absence de business modèle unique, l’absence de « businhealth model » en quelque sorte.

Textes en français

Réforme du système de santé : la prescription de l’innovateur

Réformer le secteur de la santé, l’apport indispensable des théories de l’innovation

« Facilitateur de réseau: A la base, un facilitateur de réseau organise l’échange entre participants en créant de la valeur à partir de la notion de mutualisation. Une assurance ou une mutuelle sont des exemples typique de ces acteurs (souligné par moi). Ils se rémunèrent sous forme de cotisation payées par les membres du réseau. On imagine que ce type d’acteur est particulièrement adapté au cas de ceux qui souffrent de maladie chronique, même s’ils ne sont pas encore développés actuellement. Au contraire des médecins qui gagnent de l’argent quand les gens sont malades, les réseaux peuvent être structurés de manière à avoir intérêt à ce que leurs membres soient en bonne santé. En échange d’une cotisation fixe, à charge des réseaux de faire en sorte d’atteindre cet objectif. »

L’INNOVATION DISRUPTIVE DANS LES SYSTEMES DE SANTE

« La disruption est une transformation irréversible du capitalisme » (Clayton Christensen)

Diaporamas et vidéos de Christensen très éclairants sur le modèle

Evolution future des services de santé : analyse de quelques tendances plausibles Auteur : F. Paccaud

« Il faut noter qu’une partie des réformes des services de santé ne vise pas à sortir ces services du giron de l’Etat, mais plutôt à introduire des mécanismes qui miment une situation de marché à l’intérieur même de l’Etat. »

« Mais le marché libre peut susciter des concentrations monopolistiques : c’est d’ailleurs ce que montrent les Etats-Unis où des groupes d’assureurs ont racheté des pans entiers du système de soins. Dans cette perspective, ces concentrations peuvent conduire à la mise sous tutelle des professionnels des soins dans le cadre de structures privées, achevant ainsi une longue transformation des professions soignantes. »

Rationnement des soins Article de F. Paccaud (il faut appeler un chat un chat!)

Evolution future des services de santé : analyse de quelques tendances plausibles Auteur : F. Paccaud

DECLINAISON A LA SANTE DES PRINCIPES ASSURANTIELS

Technologies numériques et réenchantement du monde (Pierre Fraser)

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Communiqué du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public – 15/09/2014

COMMUNIQUE DU MDHP 15/09/2014
Cinq intersyndicales de praticiens hospitaliers appellent à un mouvement de grève le 14 octobre 2014
Le Mouvement de défense de l’hôpital public(MDHP) déplore comme les cinq intersyndicales de praticiens hospitaliers le statu quo prévu par la future loi de santé publique, concernant la gouvernance hospitalière mise en place par la loi HPST et inspirée par la gouvernance des entreprises marchandes. Il réclame comme ces syndicats une remédicalisation de la dite gouvernance. Cette remédicalisation n’a pas un objectif corporatiste. Elle vise à remplacer l’objectif commercial actuel de « rentabilité » et de « gains de parts de marché » par l’objectif éthique du « juste soin au moindre coût » pour répondre aux besoins de la population.
Cette remédicalisation de la gouvernance suppose que les structures de base de l’hôpital soient les structures de soins (au premier rang desquels les services) où travaillent des équipes de soins médicales et paramédicales, sous la responsabilité fonctionnelle d’un médecin et d’un cadre de santé. Les pôles, structures gestionnaires, devraient être facultatifs. Ils n’ont de sens que s’ils s’accompagnent de délégation de moyens
L’objectif de cette remédicalisation de la gouvernance doit être l’amélioration de la qualité des soins mise à mal depuis cinq ans par le tout T2A enserré dans un objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) de plus en plus contraint et qui le sera encore davantage demain. C’est ainsi que chaque année, chaque établissement est condamné à faire plus d’activités avec moins de moyens, et notamment moins de personnels paramédicaux. En augmentant la quantité des soins rentables mais inutiles, on dégrade la qualité des soins nécessaires. La qualité des soins suppose au contraire des équipes avec des personnels en nombre suffisant, formés et habitués à travailler ensemble. Des quotas minimum de personnels présents pour garantir la sécurité des patients doivent être définis pour chaque unité de soins et portés à la connaissance des professionnels et des patients. Il est également indispensable de reconnaître le statut d’infirmières cliniciennes hospitalières spécialisées et créer en conséquence les postes nécessaires. 
La réaffirmation du Service public hospitalier prévu par la loi suppose une définition claire reposant non seulement sur le recensement de ses missions spécifiques et de ses obligations globales (non sélection des patients, égalité d’accès à des soins de qualité, absence de reste à charge pour les patients) mais aussi et surtout sur le statut de l’établissement et des professionnels, assurant leur indépendance à l’égard des financeurs privés comme des industriels de la santé. L’hôpital public doit être au service du public. Les droits des agents du service public ont pour objectif premier de leur permettre d’assurer au mieux leurs devoirs au service des patients.
C’est pourquoi le MDHP se prononce contre le projet de loi de santé publique (malgré un certain nombre de mesures positives comme la possibilité d’action de groupes pour les patients). En l’état, ce projet, cherchant à plaire un peu à tout le monde en changeant les mots plus que les choses, risque de ne satisfaire personne. On est loin de la réforme profonde dont a besoin notre système de santé tiraillé entre santé publique et business. Malgré leurs intentions affichées et les différentes concertations menées, la ministre de la santé et le gouvernement ne semblent pas hélas en mesure aujourd’hui de mener à bien une telle réforme. Deux ans et demi ont été perdus !
Pour le MDHP André Baruchel, Nathalie De Castro, Alain Faye, Anne Gervais, Noël Garabédian, André Grimaldi, Bernard Granger, Julie Peltier

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Petite revue de presse de rentrée par Bernard Granger

Nous publions ici avec son autorisation les « DNF »* du 7 et 8 septembre de Bernard Granger, co-fondateur avec André Grimaldi du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public. Les documents présentés ici sont particulièrement riches d’enseignements sur l’évolution de nos systèmes de santé. Il est donc utile de les partager largement, au delà des destinataires habituels des DNF.
* Dernières nouvelles du front
Les « DNF » du 7 septembre 2014


POUR INFORMATION

Chers collègues,
Voici quelques lectures qui vous intéresseront peut-être.
– Comprendre la sérendipité, ou pourquoi, selon Balzac, « le hasard ne visite jamais les sots ».
– Pourquoi les employeurs financent-ils les assurances santé aux Etats-Unis ? Ce système paraît de plus en plus illogique selon U. W. Reinhardt, qui publie une tribune dans le NYT. C’est sans doute parce qu’il est illogique que ce système s’installe en France.
– Il faudrait donner aux brevets des nouvelles molécules une durée adaptée aux pathologies soignées, sinon les traitements dont les résultats ne peuvent s’évaluer qu’à long terme ne feront jamais l’objet de recherches pharmaceutiques (voir ici).
– Excellente tribune de J.-P. Vernant sur le prix des médicaments (voir ici pour les USA).
– Les données personnelles deviennent un marché en pleine expansion (voir ici ou ), y compris les données personnelles utilisées pour prévoir la consommation de soins (voir ici) ou les données de santé, avec la vogue du moi quantifié (voir ici).
– Les données de santé française visées par les « statactivistes », les industriels et assureurs : quelques éléments du débat, et une réforme en vue à travers la loi de santé, dangereuse pour la confidentialité et le secret médical (cf. texte joint). Aux Etats-Unis, certains s’y intéressent aussi, comme J. Bush, président d’Athenahealth, dans The Atlantic.
– Le fameux impact factor vit-il ses derniers moments et va-t-on s’intéresser au contenu des articles pour évaluer les chercheurs ? Dans son remarquable blog consacré à l’édition médicale et scientifique, Hervé Maisonneuve invite à signer la Declaration on Research Assessment, comme l’ont fait de nombreux chercheurs ainsi que l’INSERM et le CNRS.
– Une fois publiés, certains résultats sont (re)revus par les pairs, et les éventuelles erreurs rapidement débusquées et dénoncées sur Internet (voir ici).
– Pour The Lancet, le classement des meilleurs hôpitaux des USA nous interroge surtout sur les pires. Aux USA toujours, pays où on gagne plus à gérer les soins qu’à les dispenser (les médecins y ont des rémunérations inférieures à celles des « managers »), un étudiant en médecine veut s’attaquer à un médecin ultra-médiatique, le Dr Oz, dont les avis ne sont pas toujours très pertinents (voir ici). Il aurait de quoi faire ailleurs aussi.
– Obamacare : accusée d’être un « job killer », la réforme du système de santé américain a au contraire accéléré la création d’emplois dans le secteur de la santé, selon Forbes ; l’effet sur le pourcentage de non-assurés est déjà important, comme l’indique P. Krugman, qui, plus généralement, dans une tribune intitulée « Zéro sur six » constate que les prévisions des adversaires de l’Obamacare ne se réalisent pas.
– Les médecins évalués et étoilés comme les hôtels et les restaurants par des patients plus ou moins objectifs, voire rétribués : voir ici.
L’atlas démographique 2014 du conseil de l’ordre des médecins donne notamment les effectifs de chaque spécialité, leur répartition géographique, par mode d’exercice, et la pyramide des âges.
– Le rapport intégral de l’Inspection générale des finances sur les professions réglementées mediapart.fr/files/RAPPORT_…
– Restons mesurés face aux promesses des Big Data, ou mégadonnées en bon français (ici pour la prévision pas toujours fiable des épidémies de grippe, ici pour les essais cliniques en Angleterre facilités par les données détenues par le NHS, pour aider les étudiants en difficulté), et face à celle de la e-santé (ici pour un panorama général, pour un exercice concret avec le m-patient hypertendu).
– Transparence et accès au dossier médical : attention à ce que vous écrivez, nous met en garde The Economist.
– Quelques réflexions éclairantes sur l’art de diriger (1, 2 et 3).
– Mauvais management : l’art de mal gérer son temps ou de compliquer ce qui est simple. Faut-il interdire les réunions et supprimer les niveaux intermédiaires inutiles ? The Economist redécouvre la lune. Bien payer ses employés et les laisser travailler tranquillement, sans les surveiller comme le lait sur le feu, reste ce qu’il y a de plus efficace, selon Le Monde.
– La coordination des soins réelle et efficace passe avant tout par la communication de médecin à médecin, et non par des usines à gaz technocratiques, comme le montre le cas décrit par le Dr M. J. Press dans le NEJM.
– Comment allouer les ressources en santé, entre décisions politiques et médecine fondée sur les preuves (voir ici) ?
– La rémunération à la performance ne fait pas la preuve de son utilité à long terme (42 mois) selon une étude menée en Angleterre sur 34 hôpitaux ayant participé au programme de rémunération sur indicateurs de qualité et 137 hôpitaux constituant le groupe contrôle (voir ici).
– Le retour à l’équilibre du CHU de Brest passe par le gel d’une vingtaine de postes de praticiens hospitaliers, selon le Quotidien du Médecin. Plus globalement, selon la FHF, en 2013 les comptes des hôpitaux publics vont encore se dégrader, et les suppressions d’emploi sont encore au programme pour 2015. Par ailleurs, l’ATIH vient de publier un rapport montrant le peu de fiabilité des états des prévisions des recettes et des dépenses (EPRD) et des plans globaux de financement pluriannuel (PGFP) des établissements publics de santé pour la période 2008-2012.
– La future loi de santé (loi Touraine) ne soulève aucun enthousiasme chez les représentants des médecins hospitaliers (voir ici et ). Le Mouvement de défense de l’hôpital public n’est pas en reste. Nous y reviendrons.
– Et toujours l’opposition entre la médecine de papier, celle des bureaucrates, et la médecine de terrain, celle des cliniciens, des soignants et des patients (voir le texte d’Elie Azria sur la standardisation du soin médical, et le formidable blog de notre consœur Armance sur l’évaluation standardisée).
Amitiés, bon courage et excellente rentrée !
Bernard Granger.
Nous ajoutons un lien vers le texte de la psychiatre Claire Gekière, texte qui était en pièce jointe des « DNF »

Nous ajoutons également un envoi du 8 septembre:
« la pensée d’Etat et l’intérêt général »

Chers collègues,

Une interview du consitutionnaliste Dominique Rousseau par Mediapart. Ses propos illustrent bien ce qui cloche avec les lois Bachelot et Touraine.

Extrait :  » Un autre élément très important de cette crise de régime est que ceux qui nous gouvernent sont enfermés dans ce que j’appelle une « pensée d’État ». Ce sont des énarques très compétents, mais formatés à penser les choses de la société à partir d’un a priori sur ce qu’est l’intérêt général. Ils estiment que les citoyens sont incompétents pour définir ce qu’est l’intérêt général de la société et jugent donc normal de définir eux-mêmes ce qu’il est. C’est une pensée tragique pour la France qui a aujourd’hui besoin d’une « pensée de la société. »

Les « gens » sont capables, si on les laisse s’exprimer et délibérer, de produire des règles, de trouver l’intérêt général. Ce ne sera sans doute pas le même que celui produit par la promotion Voltaire, mais ce sera à hauteur des expériences vécues par les gens. La démocratie n’est pas une question d’arithmétique, mais une question d’expériences de vie. Or notre société raisonne à partir d’une pensée d’État abstraite, au moment où elle a besoin d’une pensée des expériences.

Dans les dernières années, toutes les questions importantes ont été sorties non par des députés, mais par les lanceurs d’alerte. La société est capable de mettre sur la place publique non seulement les questions qui font problème, comme la santé, l’alimentation, le logement, mais elle est aussi capable de produire des réponses, d’imaginer des règles nouvelles pour l’intérêt général. »

Amitiés et bon courage.

Bernard Granger. Continuer la lecture

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Communiqué du Mouvement de défense de l’hôpital public sur l’avant-projet de loi de santé

Le Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP) estime que l’avant-projet de loi de santé tel qu’il a été communiqué en juillet se situe dans la continuité de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST), mise en place par le précédent gouvernement. Cet avant-projet ne prend pas en compte les nécessaires réformes préconisées par les rapports Couty et Cordier.

Le service public hospitalier ne retrouve pas sa place. L’article 25 du texte ne prévoit qu’un « bloc d’obligation » pour définir le service public hospitalier : accueil de tous, permanence des soins, sous réserve d’un délai de prise en charge raisonnable, et absence de facturation de dépassements. Ces termes indispensables mais insuffisants ne couvrent pas l’intégralité du service public : soins, enseignement, recherche, tel que le pacte de confiance le recommandait.

Le MDHP juge que la promotion d’une gestion guidée par la recherche de la rentabilité et non par l’application du principe éthique du juste soin au juste coût est délétère pour un fonctionnement de qualité de l’hôpital public. Il déplore :

– 1/ le maintien en l’état des pôles, structures de gestion médico-économique, regroupant plusieurs services et ayant pour objectif la mutualisation des personnels et des moyens, parfois au détriment de la compétence des équipes et de la qualité des soins ;

– 2/ la responsabilité nouvelle dévolue aux Agences Régionales de Santé d’œuvrer pour la maitrise des dépenses de santé et de réaliser des objectifs chiffrés d’économie (article 39) ; cette mission explicitée détourne les agences de leur rôle sanitaire premier : les business plans ne peuvent remplacer la santé publique;

– 3/ l’absence de réforme en profondeur de la gouvernance hospitalière : les conclusions du pacte de confiance soulignaient le malaise des personnels soignants et préconisaient la remédicalisation de l’exécutif hospitalier, l’instauration d’espace de dialogue et de concertation, l’instauration d’un conseil d’établissement ; le pacte de confiance proposait notamment de faire nommer les praticiens responsables des différentes structures conjointement par le directeur et le président de la CME sur une liste d’aptitude établie chaque année par la CME (aucune de ces propositions ne semble retenue) ;

– 4/ l’absence de mesures nouvelles pour assurer un financement équilibré à l’hôpital public.

Le MDHP demande que le texte de loi soit revu pour rester fidèle aux propositions des rapports élaborés après concertation de tous les acteurs du système de santé, personnels, comme usagers.

Paris, le 4 septembre 2014

André Baruchel, Catherine Boileau, Nathalie De Castro, Noël Garabédian, Anne Gervais, Bernard Granger, André Grimaldi, Julie Peltier, Jean-Paul Vernant

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La loi HPST 2 et la nouvelle fabrique de morale – Critique du néolibéralisme jacobin


« La santé, c’est non seulement l’absence de maladie et d’infirmité, mais un complet bien-être physique, mental et social*, sensation que le commun des mortels peut connaître brièvement pendant l’orgasme ou sous l’influence de drogues». Petr Skrabanek (« La fin de la médecine à visage humain« ). * selon la définition de l’OMS

« La parole dépourvue de sens annonce toujours un bouleversement prochain. Nous l’avons appris. Elle en était le miroir anticipé. » René Char

« Le pouvoir étatique n’est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu’il feint de l’émanciper des autorités qui font de l’ombre à la sienne.» Bertand de Jouvenel – « Du pouvoir »

«…le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d’Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l’Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique.» Frédéric Pierru

« Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.» Pierre Bourdieu (L’essence du néo-libéralisme)

Quelques liens relatifs à l’avant projet de loi de santé

1. Politique de santé – L’avant-projet de loi de Santé fait un focus sur la prévention et le parcours de soins

2. Avant projet de loi relatif à la santé

3. La version intermédiaire passée au crible (QdM)

4. Quelles orientations pour la loi de santé ? Madame Marisol Touraine Ministre, 19 juin 2014

5. L’essence du néolibéralisme par Pierre Bourdieu, mars 1998

6. Rapprochement de l’analyse de Pierre Bourdieu sur la « destruction méthodique des collectifs » de la loi Le Chapelier et du rejet des corps intermédiaires

Dans l’exposé des motifs de sa célèbre loi (14-17 juin 1791), Le Chapelier, rejetant les corps intermédiaires chers à Montesquieu affirme:

« Il n’y a plus de corporations dans l’Etat; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation »

Dans son discours du 29 septembre 1791:

« Il n’y a de pouvoir que ceux constitués par la volonté du peuple exprimée par les représentants ; il n’y a d’autorités que celles déléguées par lui ; il ne peut y avoir d’action que celle de ses mandataires revêtus de fonctions publiques.

C’est pour conserver ce principe dans toute sa pureté, que, d’un bout de l’empire à l’autre, la Constitution a fait disparaître toutes les corporations, et qu’elle n’a plus reconnu que le corps social et des individus. […] »

ARTICLE PREMIER: « L’anéantissement de toutes les espèces de Corporations d’un même état et profession étant une des bases fondamentales de la Constitution Française, il est défendu de les rétablir sous quelque prétexe et quelque forme que ce soit. »

ARTICLE SECOND: « Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibération, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs. »

7. The arrogance of preventive medicine. David Sackett 

Merci à « Pharmacritique« , site avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, mais qui est toujours une source de réflexions et d’articles passionnants.

Nous ne critiquerons pas ici la prévention en tant que telle, elle doit être notre souci permanent, mais les enjeux de pouvoir et l’idéologie d’une « médecine préventive » qui prétend attirer les fonds au détriment de la médecine dite prescriptive, et cela dans un contexte de rationnement global des soins de santé.
Notons que le débat entre traitement social et traitement médical occupait déjà les physiocrates comme La Rochefoucauld-Liancourt et les médecins comme Guillotin.

8. Huard P., Imbault-Huart Marie-José. Concepts et réalités de l’éducation et de la profession médico-chirurgicales pendant la Révolution. In: Journal des savants. 1973, N° pp. 126-150 .

« II vaut mieux manquer de praticiens que d’en avoir de mauvais ». Cabanis (rapport du 29 brumaire en VIII) (21 novembre 1799). Voir l’opposition entre La Rochefoucauld-Liancourt (« physiocrate méconnu« ) et Guillotin.

9. Portrait de médecin: Joseph-Ignace GUILLOTIN – 1738-1814

« Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention ». Victor Hugo

10. La Loi du 30 novembre 1892 par Bernard HŒRNI (suppression des officiers de santé)

11. La santé au régime néo-libéral par Frédéric Pierru.

12. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ?

« Les frontières du système de soins doivent s’estomper pour se fondre dans les autres systèmes du système de santé, pour pouvoir parler véritablement de système de soins de santé. Le financement des soins est à présent soumis à des contraintes de « coût d’opportunité » Marc Bremond

Commentaire

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus

La loi HPST II

Ce qui est stupéfiant dans cet avant projet, c’est le degré d’infantilisation managériale et de dégradation rhétorique qui transpire dans les langes de ce que je me permets de nommer la loi « HPST 2 ».
Nous commencions à être habitués, sans toutefois nous y résigner, à la dégradation de ton, de rigueur et de style des rapports sur la santé (rapport Devictor sur le SPTS, rapport Compagnon sur l’An II de la démocratie sanitaire…), mais tout de même! Comment peut-on en arriver à une telle vacuité conceptuelle! On était habitué à cet esperanto-volapük managérial bien manié par les fédérations, nous avions même appris à l’utiliser, mais manifestement une nouvelle espèce de semi-habiles nous parle depuis un univers où l’intelligence pratique semble avoir fait un immense bond en arrière. On ne s’y affronte même plus aux ennemis habituels de la médecine, ceux qu’on avait appris à respecter, l’économisme orthodoxe étendu à toute activité humaine comme nouvelle raison du monde d’une part et la rationalité gestionnaire calculante comme alpha et oméga de l’action publique d’autre part.

La nouvelle nouvelle raison du monde et sa fabrique de morale

HPST 1 c’était le néolibéralisme assumé, le « tout incitatif » pour homo economicus sanitatis, cet « idiot rationnel » imaginé par l’économie de la santé orthodoxe, certes avec retard. C’est que la « nouvelle raison du monde » a déjà du plomb dans l’aile. Ses dégâts, ses victimes et son peu d’efficience, au bon sens du terme, commencent à être reconnus. Mais la droite « bling-bling » voulait faire avec une génération de retard du Reagan ou du Thatcher quand plus personne ne croyait déjà plus outre atlantique à ces méthodes, hormis quelques vieux universitaires néo-cons enfermés dans leurs universités et que plus personne n’écoutait. Ceux qui ne voyait alors dans la loi HPST que le culte simpliste du marché « bling bling » avaient d’ailleurs tort, car les semi-habiles en avaient finalement fait une loi qu’il était au moins aussi légitime de considérer comme essentiellement « soviétique », à la manière de Jean de Kervasdoué (article 1article 2).
La technostructure était bien mise sous tutelle complète des payeurs conformément aux dogmes de la corporate governance mais en transformant les « managers de santé » en tyranneaux de l’offre de soins, déchargés pour pouvoir être « tout à leur affaire » de toute responsabilité de « santé publique » au profit des agences qu’on avait chargé de dire la vérité des besoins et d’organiser la réponse à la demande de biens et de services de santé – comprendre ici rationner au regard de la mise en place de l’Ondam dont la limitation devait s’appuyer sur une logique de dénonciation du gaspillage. Si le concept d’underuse est aussi connu que l’overuse, on parle aussi de misuse, force est de constater que seule la « surmédicalisation » – elle existe et a des causes multiples dont la mauvaise régulation des paiements et de l’industrie pharmaceutique –  semble émouvoir les chiens de garde des médias, et que la sous utilisation pourtant manifeste des services et la sous consommation des biens de santé, bref la sous-médicalisation  ne préoccupent plus guère que les cliniciens de terrain. 
Bien peu parviennent à mettre leurs constats à l’agenda politique, pas plus qu’à l’agenda des établissements (c’est à l’agence de s’en occuper) ou des agences elles-mêmes qui n’ont pas un centime sauf pour quelques fléchages politico-médiatiques créés par des lobbyings « d’en haut » et destinés à pouvoir attraper la « queue du Mickey » des missions d’intérêt général « en bas », un peu d’oxygène pour continuer à faire, le plus souvent, ce qu’on faisait avant mais en adaptant le modèle économique à la compétition pour l’acquisition des ressources.
C’était donner dès lors toute latitude aux directions pour piloter des business models absurdes, issus de manière totalement artificielle des modèles comptables qu’on leur imposait, jouant sans garde-fous aux apprentis sorciers de l’intégration industrielle, dans des modèles simplistes qui ne fonctionnent plus depuis longtemps dans l’industrie réelle. Mais il est vrai, comme on a pu le montrer de façon limpide pour la réforme des autorisations et le financement des SSR, que les fédérations pouvaient influencer les « modèles d’affaires », en pesant à la fois sur les modèles comptables, les systèmes d’informations (PMSI), les modèles d’allocation des ressources (financements à l’activité) et les modèles de segmentation d’activités (spécification des autorisations), pérennisant ainsi les vices du système tout en les validant aux yeux des décideurs publics. 
Il était plus qu’urgent de revenir sur ces modèles de gouvernance publique de la santé. Leurs vices constituent pour les médecins, les soignants, les malades et finalement une très grande partie des managers eux-mêmes un véritable cauchemar technocratique où tout est contrôlé mais où rien n’est plus vraiment piloté. Il fallait remettre en question les balivernes qui les supportaient d’autant que l’evidence based policy internationale ne va guère dans le sens de réels bénéfices, ni pour ce qui a trait à la compétition régulée entre assurances privées, ni s’agissant du « P4P » le paiement à la performance fondé sur des motivations extrinsèques, ni ces usines à gaz de reporting et de contrôle comptables inutilement coûteux qu’ont permis la révolution numérique.


HPST 2, la future loi de santé, c’est le néolibéralisme honteux, celui qui « culpabilise » et se dissimule, celui qui croit encore à la concurrence efficiente quand, selon Galbraith Jr. et Stiglitz, même la droite y a renoncé (« L’Etat prédateur »). C’est un néolibéralisme pour politiques aux abois, dépourvus de vision au delà de leurs pauvres indicateurs myopes et court-termistes, un néolibéralisme dont il faut encore plus enfouir la nature profonde dès lors qu’il vient coloniser notre vieux modèle social-catholique latin, même laïcisé (vision que représente une organisation comme l’ALASS face à la vision anglo-saxonne des systèmes de soins).

La novlangue s’y fait alors encore plus obscure, ne se hasardant plus à la moindre définition, contrairement à la bureaucratie sanitaire canadienne, notamment québécoise, qu’on copie beaucoup mais qui défend au moins une cohérence intellectuelle à laquelle la France a renoncé depuis longtemps. Le prêchi-prêcha déclamé lors des grand-messes Powerpoint en devient encore plus filandreux, jusqu’à la nausée. Les fumigènes de la version 2 d’HPST, la version Touraine, sont en gros les mêmes que dans la version Bachelot. Notons d’emblée que ces buzwords n’ont pas de « contraire » ou « d’opposés dialogiques ». Novlangue et « mots terroristes » oblige.Du point de vue du bon management – nous supposons donc qu’il en existe un bon, mais dans une forêt de paradoxes, pas dans celle enchantée des bisounours – selon François Dupuy (« la fatigue des élites » et « Lost in management »), cette approche quasi religieuse demandée aux acteurs ne peut conduire qu’au cynisme et au désarroi.

Qu’entend-on par « mots-valises »? Il s’agit de concepts souvent importés depuis des sciences où ils ont un sens précis (exemple: filières, réseaux) mais redéfinis par un mur de mots qu’on élevé autour d’un terrain vague d’idées, et auquel personne ne peut s’opposer. Ce sont ces boîtes à double fond des débats démocratiques décrites par Tocqueville dans lequelles on met et d’où l’on retire ce qu’on veut.

« stratégie partagée », est un mot-valise où il faut voir comment la tyrannie du « projet » transforme les acteurs en producteurs qui ont un destin. Derrière Stratégie nationale de santé il faut lire « programme d’ajustement », ou Stratégie Nationale de Strangulation et de rationnement.
« intégration des soins », ou médecine intégrée doit se lire comme « managed care » ou compétition régulée, ou encore comme privatisation de la « sécu » en faveur des assurances privées, mais elle doit se lire aussi comme  intégration industrielle verticalepromotion de la santé pour nouvelle entreprise de morale et définition des nouveaux « déviants ». Les sociétés démocratiques segmentent en catégories ceux qui sont atteints « d’infortune que le vice a produit », ici par leur incapacité à se faire entrepreneur d’eux-mêmes et des autres.,
Ce buzzword mobilise avec la rationalité managériale toute l’holistique « new age » du « grand tout » bio-psychosocial. C’est un modèle séduisant auquel tout le monde adhère mais qui n’en est pas un (un modèle au sens scientifique). Pourtant, tout le monde se résigne à voir ce beau parcours holistique coordonné par les savants-philosophes et autres commissaires éthiques brandissant les définitions de l’OMS appuyées par le consensus de Washington: FMI, Banque Mondiale et OCDE. 
« parcours » voilà le nouveau mot-valise qui succède à filière et réseaux, trop « usés ». Il sous-tend l’intégration par la normalisation comptable des tous les calculs égoïstes des acteurs, les seuls dont serait capable le petit peuple soignant modélisé « d’en haut ». Le parcours est l’autre nom du couple infernal intégration / processus (François Dupuy) maintenant étendu hors les murs de l’hôpital et au delà de ses « chemins cliniques ». Le modèle implicite est le suivant. Les nouveaux techniciens de santé, guidés par des contremaîtres, appliquent et contrôlent les standards conçus par les ingénieurs des bureaux des méthodes en fonction des fonds octroyés par les payeurs, des enveloppes fixées par les experts et de leurs clés de répartition débattues dans l’arène politique.
« prévention », nous y reviendront quant à l’arrogance de la médecine préventive qui a bien compris quel soutien elle pouvait apporter au rationnement des soins, tout en dénonçant l’arrogance de la médecine moderne, symbolisée par le bon Dr House. C’est vrai qu’il y du House en nous comme le relève si finement Bertrand Kiefer 
« démocratie sanitaire », nous savons comment l’empowerment du client dans « l’Etat social actif  » peut être séduisant notamment par l’importation du « self » anglo-saxon (Alain Ehrenberg: « la société du malaise »). Transformant l’usager en bras armé du nouveau management public tout comme la corporate governance fait du client le bras armé de l’actionnaire, ce concept est d’autant plus alléchant pour le public qu’on aura franchi les différentes boucles de la spirale de la défiance. Et voici que contre le ghost management et le « microcosme des marionnettes de l’industrie » les pompiers pyromanes, plutôt qu’une régulation efficace, ne proposent comme solution, parmi un ensemble de « machins » démagogiques plaqués sur un système qu’on a renoncé à changer que « L’expertise citoyenne sur les médicaments » (pharmacritique). L’expertise d’usage est bien une réalité, mais en se limitant à de tels remèdes, les rentes informationnelles de plus en plus opaques ont de beaux jours devant elles.

Entendons nous bien, il ne s’agit pas de défendre ici une médecine « paternaliste » fondée sur l’idéologie de la bienfaisance, ni d’ignorer les défaillances du marché, en particulier de l’industrie pharmaceutique, mais à condition de ne pas tomber dans l’indignation sélective, une des armes les plus redoutables de la propagande de l’ajustement, de ne pas fermer les yeux sur les nouveaux aspects qui ont trait notamment aux activités de « conseil », au « trafic de données » et les nouveaux « modèles d’affaires » nés de la révolution digitale (souvent nommés, d’une façon bien angélique, « réseaux facilitateurs » sanctifiés au nom de l’innovation disruptive). Je renvoie au livre de Gérard Reach, « L’inertie clinique: une critique de la raison médicale«  pour comprendre ce que peut être une relation participative entre médecins, disons plus largement cliniciens, et usagers, fondée sur l’expérience les preuves et l’alliance thérapeutique, sans pour autant faire des usagers-clients des agents de la « police sanitaire » au service de l’Etat social actif, le workfare state, et de ses nouvelles options managériales.

Mais qui voit encore le moindre « libéralisme » dans ce modèle économique où les mêmes, les assureurs , seront à la fois acheteurs et payeurs voire producteurs des soins dans la rhétorique des « parcours », couvrant des risques qu’ils s’efforcent de connaître à l’avance, avant même la signature des contrats d’assurances? Ces parcours « intégrés », comme on l’a bien observé aux USA avec les HMO et le cafouillage récent de la mise de place de l’Obamacare, seraient nous disent les politiques, mieux gérés par les assureurs privés promus en intégrateurs de parcours, au nom, bien sûr, puisqu’on vous le dit, mon brave, des maladies chroniques, de la défragmentation bureaucratique débureaucratisée par les néo-bureaucrates (qui se sont achetés une conduite pour faire oublier leur responsabilité?), de la prise en charge qui pourra être enfin holistique et bio-psychosociale.
Les mécanismes de ce qui est bien une « démédicalisation » sont déployés dans un contexte de rationnement général des biens et services de soins, d’éducation et des services sociaux, d’arbitrages de coûts d’opportunité au détriment des soins de santé et de transfert du curatif vers le préventif largement confié à un secteur assistantiel territorialisé et low cost. Ils ne trompent personne dès que l’on observe les modèles comptables, ce qu’ils prennent en compte, ce qu’ils ignorent et ce qu’ils rémunèrent. Mais il faut faire ce travail intellectuel et d’observation, hélas peu prisé des chercheurs, pour résister à ce bla-bla nauséabond, ce ramassis de « foutaises managériales » fondé sur le culte du grand tout globalisé et indifférencié. Il fleure si bon la mystique systémique quand sa fonction est surtout d’être un réducteur de coûts induits par les blouses blanches, qu’il se vend bien chez le gogo bien portant en mal d’orientalisme. Tout comme il se vend bien chez l’outsider de santé, le professionnel qui se sent à tort ou raison « dominé » et qui se verrait bien en « intégrateur » à la vision globale, pourfendant l’excessive différenciation des spécialistes, ces trop « différentiés », ces trop « fragmentés » à la vue si étroite qu’elle ne peut que mériter d’être balayée par la révolution managériale, l’incarnation de la raison innovante. Vieille tension managériale entre différenciation et intégration qui est toujours instrumentalisée par les uns ou les autres.
Il se vend bien avant tout chez les élus qui veulent être réélus.
Machiavel sait mieux que tout autre diviser pour régner et ainsi va la santé, tout droit vers les soins low cost, résultat inévitable d’un modèle de performance publique fondé sur la défiance.

L’immense entreprise de morale socio-sanitaire qui vise à imposer la concurrence comme forme de toute activité humaine y reste bien présente en toile de fond,

  • ce premier mythe la concurrence efficiente est constitutif de la doxa managériale de santé avec les deux autres qui sont: 
  • le mythe du « passager clandestin », ce déviant, ce mal radical, construit par toute entreprise de morale, avec la dénonciation des boucs émissaires que sont le malade irresponsable et le bureaucrate wéberien qu’il soit manager de santé, médecin ou soignant, 
  • le troisième étant le mythe du « projet » et de la rationalisation managériale, allant même jusqu’à prétendre à la capacité de prédire le visage de la « destruction créatrice », suprême volonté de puissance de la République de Platon au risque du « bougisme » et de « l’innovation destructrice ».

    Les trois piliers de la médecine dévoyée

    La « démédicalisation » est une « révolution », en quelque sorte, en ce sens qu’elle reproduit après un cycle les modes de pensée de l’époque de la Convention et la haine destructrice des collectifs. Bourdieu fait à juste titre de la destruction méthodique des collectifs le cœur du néolibéralisme jacobin de marché. La démédicalisation qu’on a appelé à tort médicalisation de la société, à la suite de lectures superficielles de Foucault et Illitch, se décline selon les trois piliers de la médecine dévoyée où les mots créent les choses:

    Médecine préventive: « mieux vaut prévenir que guérir », personne ne peut mettre cela en doute. Mais sur quelles preuves doit s’appuyer une médecine de moins en moins fondée sur les pratiques cliniques, qui prétend capter les ressources de plus en plus rares de la médecine dite « prescriptive », quand l’ensemble des dépenses de santé est soumis à un réexamen général en termes de « coûts d’opportunité »? Le tout préventif se joint au tout incitatif pour composer une nouvelle version de la « police sanitaire », l’avenir de la police médicale de Foucault, qui veille avec ses gardiens à la ré-ingénierie des comportements selon les normes de l’économisme orthodoxe, au constructivisme socio-sanitaire, mais aussi à la négation systématique des déterminants sociaux dans les modèles de production de la santé publique, qui cultive l’art d’ignorer les différences d’habiletés sociales que l’on n’a de cesse de naturaliser (ou capabilités d’Amartya Sen)

    Médecine prédictive: traduire ici par logique de risques financiers, calculabilité actuarielle, reddition de comptes calquée sur la normalisation comptable, exclusion calculée et rationalisée de ceux qui n’auront pas la « grâce » génétique, comportementale et /ou sociale d’être un faible inducteur de coûts. La médecine prédictive multiplie les marqueurs permettant dépister des maladies de plus en plus tôt, même et surtout s’il n’y a pas de thérapeutique, à partir de la génétique, des comportements à risque ou d’un environnement social dont il faudra attribuer la faute à « l’assuré » pour pouvoir déconstruire la solidarité et légitimer du point de vue de l’assureur l’aléa moral (je sélectionne les risques faibles et je fais payer à prix d’or les gros risques que je connais grâce aux informations que je détiens, notamment par le réseau interconnecté des Big Data que je fais tout pour maîtriser) et de la sélection adverse (je refuse de signer certains contrats trop risqués). Avec Akerlov (« the market of lemons »), il faut raisonner comme pour un marché de voiture d’occasions pour comprendre les limites de la théorie de l’agence appliquée à la santé.

    Médecine prescriptive: on aurait pu dire « curative« , celle qui diagnostique, traite (cure) et même soigne les maladies (care) quand on ne la pervertit par de modèles comptables absurdes, mais cette dénomination n’était pas assez péjorative, pas assez dévalorisante. Cette médecine est disqualifiée par la logique d’ajustement, trop coûteuse, trop axée sur l’autorité et la bienfaisance médicalisée, paternaliste, ce qui est vrai mais ne doit pas faire jeter le bébé avec l’eau du bain. 
    Enjeu permanent pour les assureurs, l’industrie pharmaceutique (qui investit aujourd’hui très vite le domaine du préventif) et les Big Data, elle est présentée comme cette médecine qui « normalise les être humains, uniformise et standardise, extirpe la différence dans les comportements (la psychodiversité…), devient un moyen de contrôle social et un gardien de l’ordre » (Phamacritique). Elle est, vice suprême, insuffisamment participative quand il faut « empouvoirer » le client et en faire un consommateur responsable de ses choix, même les pires. Elle est aussi insuffisamment scientifique au sens de l’EBM dévoyée et industrialisée par les nouveaux ingénieurs sociaux, pas assez intégrée car trop spécialisée, hospitalo-centriste, mandarinal-patrimonial-notarial-boutiquier, j’en passe et des meilleures etc. etc.

    Les risques du workfare et de l’évaporation holistique de la médecine 

    La médecine prescriptive est accusée de tous les maux, dont la « surmédicalisation » et la médicalisation de la société, un fantasme surtout cher au bien-portants quand il ignore aussi superbement une sous-fourniture de soins tout aussi préoccupante, sans parler des mésusages largement liées à la iatrogénie managériale. Le traitement social, la suppression qu’il permet d’une partie des déterminants des maladies, c’est bien, c’est indispensable. Mais prenons garde, face à ceux qui sautent comme des cabris en criant à l’hyper-médicalisation après Foucault et Illitch à ce que « l’art d’ignorer les pauvres » si bien décrit par Galbraith ne se dissimule pas aujourd’hui derrière une anti-médecine aux arrière pensées économiques de l’évaporation « holistique » de la médecine dans le social.
    Surtout, la médecine prescriptive, celle qui traite et soigne les « maladies » des « malades » (cure et care), ce concept considéré suranné et obscurantiste, que tous les professionnels de santé doivent oublier au nom de la nouvelle santé Bien-être définie par l’OMS en 1946 et raillée par Skrabanek, c’est bien ce dont il faudra parvenir à priver progressivement les citoyens, dans l’ordre décroissant défini implicitement par les politiques d’ajustement:
    • 1. Les ré-employables qui pourront rentrer « dans le jeu », mais qui verront inévitablement augmenter leur « reste à charge », à géométrie variable selon les assurances, ce d’autant plus qu’ils deviendront vieux et improductifs. Ils auront recours nous disent les réformateurs cyniques, avec tous les prétendus faux malades à la ‘pataclinique des fausses médecines alternatives.
      Nous assistons hélas à la Transformation de « l’universel » de la protection sociale solidaire en « assurantiel » à géométrie variable. Loin d’être une concession française de De Gaulle aux communistes comme le dit Kessler quand il caricature la « sécu », cette protection universelle est un pilier de ce que voulait promouvoir le conservateur Beveridge et qui a été rendu un temps possible par le « pacte keneysien », au lendemain de la deuxième guerre mondiale.
    • 2. Les malheurs immérités: risque vieillesse et risque dépendance/handicap. Extension de l’assistantiel (non « universel » mais dépendant des revenus, solidarité pour les pauvres devenant donc pauvre solidarité) pour les français du département ou des futurs avatars territoriaux de santé. Ceux là sont dores et déjà de plus en plus « démédicalisés » quand certaines associations crient encore à la limitation du « pouvoir médical » ou d’une réadaptation qui n’existe déjà plus tant elle a vite été remplacée par l’activation low cost  et les « filets de sécurité » du workfare.
    • 3. Les infortunes que le vice a produit (difficiles à distinguer selon la formule de Tocqueville), les déviants selon la nouvelle entreprise de morale sanitaire, les mauvais pauvres, les diabétiques mangeurs de gâteaux sous insuline, les mal observants, des traitements comme des injonctions de « l’éducation thérapeutique », les classes dangereuses, les futurs déremboursés… C’est là le futur reste à charge de la bonne vieille charité qui a quand même du bon quand tout le reste fout le camp et dont l’hôpital devrait enfin cesser de se foutre. Il devrait commencer avant tout par revoir d’urgence son modèle de normalisation comptable, ce veau d’or qui lui a fait depuis trop longtemps abandonner ses missions « d’assistance publique ».

    Une médecine intégrée, mais par qui? Attention aux faux amis!

    Répétons le, nul d’entre nous, à moins d’être misanthrope ou aveugle au problèmes du vieillissement et des maladies chroniques, ne peut être contre une « médecine intégrée », qui prévient, qui guérit et qui soigne, et qui serait, selon André Grimaldi « à la fois biomédicale, pédagogique, psychologique et sociale, où l’éducation thérapeutique du patient, et si nécessaire de son entourage, est essentielle. Médecine intégrée, mais aussi coordonnée entre les professionnels et entre la ville et l’hôpital. » 
    Cure et care voilà la grande affaire, mais de quoi s’agit-il concrètement? Dans deux remarquables articles publiés en 2001 dans Health Care Management review, Henry Mintzberg explorait la difficile articulation du cure et du care dans les système de santé:

    Managing the care of health and the cure of disease–Part I: Differentiation
    Health Care Manage Rev. 2001 Winter;26(1):56-69; discussion 87-9.
    Managing the care of health and the cure of disease–Part II: Integration
    Health Care Manage Rev. 2001 Winter;26(1):70-84; discussion 87-9.

    Mais voilà, la « médecine intégrée » elle même a plusieurs facettes selon le modèle d’articulation entre opérateurs organisateurs et financeurs (voir Figure 1). C’est aussi ce dont les « réseaux intégrés de soins » se font le chantre avec le managed care, le tout intégratif par les payeurs, unique ou mis en concurrence. Elle signifie aussi l’association de la médecine dite conventionnelle aux médecines alternatives non conventionnelles. On retrouve ici la tentation « holistique ». Cette acception ne me semble pas être « partie intégrante » du modèle de Grimaldi. Nous avons assez par ailleurs alerté le lecteur sur l’éternel combat entre médecins et charlatans, quand les nouveaux sophistes de santé, par leur rhétorique irresponsable, font la promotion de la ‘patamédecine dans laquelle ils entrevoient des soins low cost, sans doute pour malades imaginaires. Rien n’empêche toutefois que certaines de ces médecins acquièrent le statut de médecine factuelle, c’est parfois le cas (hypnose).
    Bref, l’intégration appelle à une juste coordination, à des mécanismes de liaison entre activités de plus en plus différenciées et segmentées le long d’une chaîne logistique de plus en plus complexe où il faut en même temps standardiser (push) et personnaliser des « produits » finaux (pull) dont la définition en santé est un enjeu de pouvoir trop peu rationnel pour ne pas être avant tout une arène politique. Quelle place sera laissée aux professionnels, aux collectifs, aux microsystèmes cliniques au contact du public? L’intégration est synonyme de contrôle et les contrôles tentent d’incorporer dans l’habitus des acteurs les modèles qui les fondent. N’en doutons pas, ils pourraient être autrement qu’ils ne sont.
    Je vous propose ici une traduction critique des « titres » de l’avant projet à partir du lexique fourni ci-dessus.
    Qui contrôlera les contrôleurs? Qui intégrera les intégrateurs? Qui gardera les gardiens?

    TITRE LIMINAIRE: RASSEMBLER LES ACTEURS DE LA SANTE AUTOUR D’UNE STRATEGIE PARTAGEE

    Liminaire ou fabrique du crétin sanitaire?

    C’était qu’avant, tous ces pauvres disciples d’Hippocrate, ils étaient divisés, égoïstes, uniquement mus par l’appât du gain, l’auri sacra fames, pour ce qui est des médecins libéraux, mais passagers clandestins et paresseux de la bureaucratie pour ce qui est des salariés. On les écrit comme tous enfermés dans leur logique étroite de petits boutiquiers, logique pourtant paradoxalement aggravée par la doxa néo-managériale, en pauvres enfants perdus privés du savoir des gnostiques des sciences sociales. On les caricature comme raisonnant primitivement dans une mentalité prélogique, attendant les lumières de la rationalisation néo-managériale. Enfin vint la lumière et voilà que la novlangue, ce terrible véhicule de la fabrique du crétin socio-sanitaire, put enfin éclairer les rejetons des corporations, perdus pour l’humanité depuis le désastre de la tour de Babel.

    TITRE I: RENFORCER LA PREVENTION ET LA PROMOTION DE LA SANTE

    Correction: entendre ici la promotion d’une certaine vision de la santé publique comme « entreprise de morale » (pour la sociologie critique, le terme est attribué à Howard Becker), une « police sanitaire » et biopolitique (Foucault), d’une société de contrôle (Deleuze, de l’activation néolibérale du « client » et du producteur (consumer empowerment du management orthodoxe). Nous l’avons déjà dit, suivant en cela bien d’autres, en assimilant avec une arrogance toute révolutionnaire la définition santé au bonheur des peuples, l’objet de la politique, l’OMS asservit la médecine à une vision utilitariste de l’action publique. Voilà en toute beauté le brave new world d’Huxley dont nul ne se demande plus « qui gardera les gardiens ». C’est à se demander où est passé le libéralisme politique.


    TITRE II: FACILITER AU QUOTIDIEN LES PARCOURS DE SANTE

    Correction: entendre ici promotion du managed care assurantiel, selon deux tendances la vente par tranche de salami de la sécu (les payeurs multiples remplaçant le payeur unique) et la capitation (dépenses fixées par des experts et par tête de pipe). Oser parler d’intégration des « parcours » quand les mythes rationnels utilisés conduisent à construire successivement des modèles de production dénués de sens pour les acteurs, une normalisation comptable qui en est issue en vue d’une reddition de comptes sous forme d’outputs myopes, une fausse qualité alibi qui renforce les catégories précédentes et les métiers qui en sont issus en boucles auto-référentielles, des business models de simple survie ou d’expansion, fondés sur les modèles d’allocation de ressources pseudo-marchands issus de cette normalisation: c’est vraiment marcher sur la tête.

    Surtout quand les pompiers pyromanes, prétendant par leur beau système aussi vérificationniste qu’infalsifiable libérer les merveilles de productivité de la « concurrence encadrée » ou « compétition régulée », parviennent à multiplier à la fois les défaillances de la main invisible du marché et de la main trop visible des managers. Comment mieux définir HPST 1 « l’arrogante » et HPST 2 la « coupable », « l’inavouée »?

    Comment peut-on nous faire croire à la rationalité de réformes aussi manifestement stupides à vue d’acteurs des soins? La technocratie qui reste fondamentalement allergique à l’esprit de profit dans l’action publique et la promotion défensive des trust anti-T2A paralysent ce que le libre marché pourrait éventuellement avoir de vertueux, je dis cela pour ceux qui y croient encore en santé, mais, en même temps, la concurrence encadrée par des résultats myopes et la religion des incitatifs vise à s’incorporer de façon irréversible dans l’habitus des soignants. Cela doit se faire s’il le faut en détruisant jusqu’au « ressort des âmes », pour paraphraser Renan, en y traquant l’altruisme, le souci de l’autre, l’humanisme médical du serment d’Hippocrate, comme on veut, jusqu’à l’extermination.

    Cela donne crédit à ceux qui prétendent que la faisabilité de l’ajustement autrement dit du rationnement  passe par la sidération complète des acteurs, fusse en les accablant d’indicateurs d’autant plus rémunérés qu’ils sont dénués du moindre sens. Bref plus c’est absurde et plus l’économie se fera à court terme, personne n’y verra rien et les élus seront ré-élus.

    Figure 1: petit guide de déniaisement sur la rhétorique des parcours

    TITRE III: INNOVER POUR GARANTIR LA PERENNITE DE NOTRE SYSTEME DE SANTE
    Correction: voilà la fameuse innovation disruptive de Schumpeter, mais ici miraculeusement domestiquée par le management public! Le corporate state se met au management stratégique. Mais Héraclite la bien dit: « le changement c’est tout le temps! »

    TITRE IV: RENFORCER L’EFFICACITE DES POLITIQUES PUBLIQUES ET LA DEMOCRATIE SANITAIRE


    Vielle ficelle de la rhétorique des nouveaux groupes « d’intérêt à l’universel », et des prédateurs qui les suivent: masquer les intérêts derrière l’enchantement et la mystification de mots dévoyés par des adjectifs.

    Nul ne peut douter que Georges Clemenceau, ce brillant esprit, aurait aujourd’hui dit son mot à propos de l’usage de l’adjectif « sanitaire », déjouant aussi aisément les pièges de l’infantilisation managériale qu’il avait bien vite démonté l’esprit de colonisation pédagogique, le déni de citoyenneté et la dépossession démocratique des peuplades soi-disant attardées défendus par Jules Ferry au nom d’un rationalité supérieure.
    Mais attention, aujourd’hui, la légitimité n’est plus ce qu’elle était. Pour ce qui a trait à l’action publique, la « proclamation de la primauté de la force sur le droit » que dénonce Clemenceau dans les discours de Jules Ferry, doit être légitimée par la rationalité des sciences sociales (Patrick Gibert).

    « la technologie de l’action publique, c’est la maîtrise des sciences sociales et non celle du droit ». Patrick Gibert

    « Il suffit d’ajouter « militaire » à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi la justice militaire n’est pas la justice, la musique militaire n’est pas la musique». Clemenceau

    « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes». Bossuet

    FIgure 2: La roue de la perte de sens (adaptation d’un schéma de Christian Morel)


    Quelques citations éclairantes pour finir

    « La promotion santé est un commerce d’avenir. Parce que son objet est le bonheur de tous, elle est à l’abri des critiques. Seuls les misanthropes ou les imbéciles pourraient d’ailleurs en formuler. La théorie est élaborée dans les départements universitaires par des experts et des consultants au service du gouvernement. » « La fin de la médecine à visage humain » de Petr Skrabanek – Extraits

    « Les buts que se donnent les mouvements de promotion de la santé sont si vagues par exemple « l’association quelle qu’elle soit d’une politique d’éducation de la santé et d’interventions organisationnelles, politiques et économiques destinées à faciliter l’adaptation des conduites et la modification de l’environnement qui améliore la santé » que le champ est grand ouvert à la construction de vastes pyramides administratives. La santé est vendue avec les mêmes méthodes qu’une nouvelle marque de poudre à laver. » Petr Skrabanek

    « On fait de la santé l’équivalent scientifique du bonheur. Le bio-stylisme remplace la droiture, le respect des convenances sociales et même des bonnes manières. Ce sont l’épidémiologie et la statistique qui ont fourni le gros des experts en bio-stylisme. Pour la réalisation de leur projet, ces hommes demandent et reçoivent sans peine l’appui des organes coercitifs de l’Etat. Ils sont épaulés par une armée de bureaucrates et d’assistants, là encore volontiers fournis en échange d’une parcelle de pouvoir. Petr Skrabanek

    Comme l’écrit Jouvenel: « Partout la gestion des intérêts généraux est confiée à une classe qui a un besoin physique de certitudes et adopte des vérités incertaines avec le même fanatisme qu’autrefois les hussites et les anabaptistes ». Aujourd’hui, l’épidémiologie est une source inépuisable de vérités douteuses que des tours de passe-passe statistiques changent en certitude. » (« Une médecine coercitive »). Petr Skrabanek

    « D’une façon générale, l’évolution des réformes et de leur mode d’implantation, montre que ce qui est en cause n’est pas la disparition d’une éthique des moyens au profit d’une éthique des résultats (celle-ci est d’ailleurs déjà présente dans d’autres contextes nationaux). En matière de régulation et de rationalisation de l’activité médicale, la tension se situe entre une éthique que l’on pourrait qualifier de « proximité », car soucieuse de l’intérêt du patient visible, et une éthique de « santé publique », car prenant en compte les intérêts de la population. Dans le premier paradigme, le médecin se place en agent de son patient ; dans le deuxième il se place en agent de la société. » Philippe Mossé . La rationalisation des pratiques médicales, entre efficacité et effectivité


    « Les frontières du système de soins doivent s’estomper pour se fondre dans les autres systèmes du système de santé, pour pouvoir parler véritablement de système de soins de santé. Le financement des soins est à présent soumis à des contraintes de « coût d’opportunité »» Marc Brémond



    Esculape vous tienne en joie,

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    Publié dans Action publique, gouvernance, loi HPST, Nouveau Management Public, Parcours de soins | Commentaires fermés sur La loi HPST 2 et la nouvelle fabrique de morale – Critique du néolibéralisme jacobin

    Haro sur l’hôpital public! La Cour des comptes préconise de s’attaquer à l’hôpital

    « La gouvernementalité désigne l’activité qui permet de gouverner par la liberté, de manière à ce que les individus « en viennent à se conformer d’eux-mêmes à certaines normes » Michel Foucault

    Que l’on lise le rapport de la Cour des Comptes sur la situation des finances publiques , ou que l’on écoute les « chiens de garde » politico-médiatiques qui veulent nous faire passer d’un modèle solidaire de protection sociale à un modèle de « vente de soins et de services » dans l’objectif de mieux nous soumettre aux règles de la concurrence européenne, l’hôpital est un nid de feignants, de sous-efficience mécaniquement dysorganisée, par le pouvoir médical, par l’incompétence de directeurs encore insuffisamment soumis aux agences, par l’inconséquence des patients gaspilleurs et des élus locaux avides d’hôpitaux inutiles …
    Le discours est bien huilé. Il apporte un soutien indéfectible aux programmes d’ajustement structurels. Mais la vérité est que la réduction des dépenses publiques qui dépend de l’Etat ne peut aisément taper que sur les fonctionnaires qui dépendent de l’Etat et non sur les collectivités locales. L’hôpital, exsangue et désespéré de passer de réforme non évaluée en réforme non évaluée, est donc toujours une cible de choix pour le rationnement, la réduction des masses salariales, les restructurations à la serpe et la réorganisation low cost par des MBA qu’on a le plus possible éloignés du soin. Ils ont parfaitement appris d’ailleurs à ne jamais répondre à nos courriers. Haro!

    « Chiens de garde » et matons de Panurge – La stratégie des insiders et le mystère du mutisme des outsiders.

    Télés, presse et radios, asservies au modèle du marché efficient en santé et aux promoteurs du « parcours intégré » comme idéologie armée des assurances privées, ne cessent de laisser entendre qu’il y a trop de gras à l’hôpital. Des cabinet d’audit sont d’ailleurs très grassement rémunérés pour démontrer ce résultat attendu au détriment du financement de postes soignants. L’imposture, scientifique ou non, ne gêne plus personne en la matière. De même il n’y aurait en France que surconsommation de soins (overuse) mais jamais de sous consommation (underuse) à rebours des constats quotidiens des soignants. Mais qui les écoute encore quand les experts et les Big Data disent les « besoins de soins »?
    Prenons garde que le concept de médecine intégrée d’André Grimaldi, personne ne peut évidemment être contre face aux nouveaux besoins de soins et au constat des parcours cloisonnés, ne devienne le prétexte d’une intégration verticale de l’offre par les business models, comme c’est le cas avec les verticalités de groupes. Les trusts de survie aux pseudo-marchés de la T2A du type des méga-Groupes Hospitaliers de l’AP-HP, dotés de surcroît de pôles monstrueux multi-sites et ingérables, en sont l’exemple le plus ubuesque. Ils asservissent leur aval en « flux poussés » et restrictions internes de filières , souvent à rebours complet des besoins territoriaux, notamment en SSR. Ces « trusts », dérives non régulées voire encouragées par les tutelles seraient le début d’une intégration par les agences qui prétexteront les parcours chaotiques et la non-qualité ainsi induits pour les patients par ces filières industrielles inversées. Toutes ces errances préludent à l’objectif final d’intégration par les payeurs dont chacun peut constater que ce ne sera plus un « payeur unique » de type « sécurité sociale ». Rendons encore hommage à Grimaldi, Granger et Pierru entre autres qui font partie des trop rares dénonciateurs de cette incroyable trahison des politiques publiques. Bébéar (AXA et Institut Montaigne) et les lobbys des assurances déguisées en mutuelles, les think tank de santé en faveur de la marchandisation des soins de santé come l’IFRAP et le MEDEF sont en train de gagner!
    Intégration, parcours, filières, réseaux, coordination, complexité, qualité, risques, production, efficience, performance, sont des mots sérieux, mais aussi des mots « valise », de simples outils qu’il faut définir, en analysant quelles coalitions les manipulent et pour créer quelles enceintes mentales. 
    « Bientraitance », « démocratie sanitaire » (c’est l’an II !), « holistique » et autres variantes de la « globalité » sont évidemment des mots « terroristes », de la pure « novlangue » au service d’appareils idéologiques de santé. Ils ne servent qu’à la propagande néo-managériale destinée à mettre au pas les soignants en les divisant. Selon le « schéma tensif » des sémiologues, les « insiders » sont toujours trop « bio-médico-techniques », le modèle imposé de production de la « machine à guérir » les poussant vers un fonctionnement trop exclusivement cure. Les « outsiders » sont eux toujours plus « holistiques », entendre plus « intégrateurs ». Ils se présentent toujours comme à la fois cure et care même si le cure laisse alors trop souvent à désirer par les cloisonnements induits. Ce schéma tensif existe entre spécialités médicales et bien sûr aussi entre managers, médecins, paramédicaux travailleurs sociaux, système sanitaire et médico-social, séparant Français de l’Etat et Français du département… 
    Maintenant que nous constatons l’échec cuisant de la loi HPST, pour certains trop soviétique, pour d’autres ultralibérale, mais les deux, en fait, dès lors que l’on a compris la « déconcentralisation » inhérente au modèle du NMP, pensons à ce que le rapport Larcher nommait « fragmentation culturelle », s’ajoutant à la fragmentation institutionnelle et financière entre soins et social.

    Des preuves?

    Ecoutez le « C dans l’air » : des trous dans les comptes de l’Etat – Haro!

    Ecoutez aussi « le téléphone sonne »: toutes les facettes de l’AP-HP – Haro!

    Dans cette dernière émission, voici qu’hélas, alors que le Directeur Général venait de contredire un auditeur curieusement choisi et donnant la vision la plus caricaturale qui soit d’une réadaptation hospitalière pourtant en voie de destruction systématique – toutes disciplines et métiers concernés, je ne parle pas que de ma seule spécialité de MPR – le président de la CME de l’AP-HP lui a donné raison. Pris d’un accès de zèle éthiconomique il appelle à « faire des analyses d’organisation lucides et honnêtes et remettre les gens en répartition équitable de travail ». En réalité, le « truc » cache-misère des incroyables satrapes du siège de l’AP-HP, c’est de réduire toute stratégie de réadaptation aux concepts ultra-réducteurs du « polyhandicap » et du « multihandicap » (dernière trouvaille idéologique) , de même qu’on réduit par ailleurs toute complexité des cas et déterminants de l’hospitalisation à la seule « précarité », ce qui permet une politique de filet de sécurité en pied de coupe à champagne. Je vous ai déjà fait le schéma ci-dessous. C’est André Grimaldi qui avait attiré notre attention sur cette métaphore critique de politiques de santé conduisant à la destruction de la solidarité et à l’explosion des inégalités face aux soins de santé. Est-ce ce que nous voulons?

    Nos présidents de CME parleront-ils bientôt comme Pauline Joncas-Pelletier (« Les Invasions barbares »). C’est hélas déjà si souvent le cas de nos directeurs.

    Pierru nous enseigne pourquoi les insiders médicaux suivent aujourd’hui comme un seul homme le modèle de l’usine à soins normalisée par l’EBM, la comptabilité à l’activité, la fausse qualité et aujourd’hui la « bientraitance ». Mais les outsiders qui devraient se révolter au nom de l’humanisme médical et leur dépossession de toute participation aux processus de décision et d’information qui les concernent, pourquoi suivent-ils? 
    Si Gramsci donne la réponse à Marx, Nicolas Belorgey donne aussi des réponses dans « l’hôpital sous pression, enquête sur le Nouveau Management Public », complémentaires de celles de Pierru.
    La lecture conjointe des deux sociologues est indispensable pour comprendre comment le niveau de « l’activité de soin », aujourd’hui reconstruit artificiellement sur des modèles comptables, est écrasé entre la médecine gestionnaire/ normalisée dans laquelle les insiders reconfigurent leur pouvoir, et des outsiders médecins et cadres dont la stratégie est de soutenir les réformes managériales. Au milieu, c’est la figure du médecin en organisateur de soins qui disparaît du fait de la dissociation entre conception normalisée et exécution procédurière inhérente au modèle du NMP.

    Comment réduire les budgets sans en avoir l’air… au détriment des patients et de la Sécu (Blog de Nicolas Belorgey)

    Je ne reviens pas ici sur l’asphyxie programmée des effectifs soignants de l’AP-HP par l’intermédiaire de la chaîne [contrôle de gestion – DRH – hiérarchie soignante]. Cette dernière a été dissociée à dessin en 1991 de l’organisation médicale. Je ne reviens pas non plus sur le malaise croissant des cadres, surtout « de pôles » sommés de mentir au médecins et de promouvoir les plans de fausse efficience et les ratios indigents de la hiérarchie, descendant du siège, sous peine de voir leur carrière brisée. Nous avons déjà dit tout cela, nous avons insisté sur les exemples étrangers canadiens, américains, anglais, d’ailleurs, qui montrent qu’on va droit dans le mur, toujours en vain.
    On ne donne pas à boire à un âne avant qu’il n’ait soif. Et les ânes français qui font la ré-ingénierie du système de santé se piquent de savoir mieux concevoir la médecine que les médecins. Mais qu’est-ce que le savoir?
    N’est-il que déclaratif, accessible aux savants-philosophes de Platon qui doivent gouverner la cité, ou est-il plus largement non déclaratif et relié à l’action sur le mode des pratiques prudentielles d’Aristote s’agissant en particulier de la santé?

    Pauvre hôpital public!

    « Entre l’opinion et la connaissance scientifique on peut reconnaître l’existence d’un niveau particulier qu’on propose d’appeler celui du savoir (…); il comporte (…) des règles qui lui appartiennent en propre. » Michel Foucault.


    Adaptation d’un modèle anglais de cercle vicieux: 

    Brève webographie

    La Cour des comptes préconise de s’attaquer à l’hôpital

    Comment réduire les budgets sans en avoir l’air… au détriment des patients et de la Sécu (Blog de Nicolas Belorgey)

    LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT (Frédéric Pierru)
    Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Frédéric Pierru – Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 – n° 194 pages 32 à 51

    Frédéric Pierru – Réforme du financement de la santé: la raison politique prime sur la raison économique

    La réforme du système de santé vise avant tout à préserver des équilibres politiques qui s’inscrivent dans la longue durée

    Santé : « La protection est d’autant moins coûteuse qu’elle est universelle » Didier Tabuteau sur lemonde.fr

    La privatisation rampante du système de santé. 2013 (André Grimaldi)

    Les réseaux de soins mutualistes en débat. André Grimaldi

    Solidarité ou business: lettre ouverte au mouvement mutualiste. André Grimaldi et Frédéric Pierru

    Pour le Pr Granger, mutuelles et assurances sont « dangereuses pour la santé »

    Une santé moins solidaire. Didier Tabuteau (la politique du salami)

    La réforme de l’Etat contre la démocratie locale L’exemple de la « déconcentralisation » de la politique de santé Frédéric Pierru Paru dans Savoir/Agir, n° 11, 2010

    L’humain face à la standardisation du soin médical par Élie Azria , le 26 juin 2012

    Philippe Svandra. LE SOIN EST-IL SOLUBLE DANS LA BIENTRAITANCE ? Gérontologie et société 2010/2 (n°133)

    « Comment être contre la bientraitance ! Pourtant, de la même manière que l’enfer est pavé de bonnes intentions, la bientraitance, sous prétexte de lutter contre la maltraitance, peut nous entraîner vers une normalisation excessive de la relation de soin. La vigilance est donc, ici comme ailleurs, salutaire. »

    Faut-il avoir peur de la bientraitance ? Retour sur une notion ambiguë. Philippe Svandra et al.

    « Cherchant à dépasser les discours convenus, les auteurs de cet ouvrage proposent une analyse critique de la bientraitance qui éclaire le lecteur sur les enjeux éthiques et les conséquences pratiques de la diffusion de cette notion ambiguë. »

    Esculape vous tienne en joie

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    Petit lexique de la marchandisation – Recherche solidarité désespérément

    L’Europe, l’Europe, l’Europe et la santé: qui veut encore défendre un modèle solidaire en France?

    « Je n’aime pas les socialistes parce qu’ils ne sont pas socialistes. 
    Je n’aime pas les communistes parce qu’il sont communistes. 
    Je n’aime pas les miens parce qu’ils pensent trop à l’argent. » De Gaulle
    « Ne confondons pas «patient centred» avec «client oriented». Etre centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine. » Bertrand Kiefer. Les dessous de la révolution du patient. Rev Med Suisse 2013;9:1656.
    La communauté européenne distingue au sein des services d’intérêt général (SIG) des service économiques d’intérêt général (SEIG) et des services non économiques d’intérêt général (SNEIG) (1) selon un certain nombre de critères, définis dans le texte sous ce lien, un modèle de santé « solidaire » et un modèle « économique » fondé sur la « vente de biens et de services » (2). Dès lors il est salutaire de constituer un petit lexique de vigilance critique articulé à ces nouvelles catégories.

    Petit lexique de la marchandisation

    La novlangue du Nouveau Management Public repose sur des mots terroristes, parfois appelés buzzwords. Conformément aux principes définis par Orwell, la novlangue doit opérer une réduction du vocabulaire pour limiter le développement de la pensée critique. Se déclarer méfiant face à un buzzword est extrêmement dangereux et la novlangue piège ceux à qui elle s’impose. Ainsi, nul ne peut vouloir mal entreprendre. Personne ne chantera les louanges de parcours de soins chaotiques. Qui rêve de désintégrer les trajectoires de soins? Celles-ci sont décrites a priori ou a posteriori en filières qui ne peuvent être pensées que comme fluides. Qui veut lutter contre l’efficience? Qui se fera le chantre de l’incoordination entre acteurs? Enfin personne ne portera aux nues le refus de la démocratie sanitaire. Voilà la force de la novlangue, l’absence de contraire! On sait, en bon management, qu’un concept qui n’a pas de contraire est soit inutile soit idéologique au service de coalitions d’intérêts dont le caractère collectif est rien moins qu’assuré.  Pire, il ne peut provoquer chez ses destinataires que perte de sens, injonctions paradoxales, cynisme et désarroi. (François Dupuy: « la fatigue des élites »)
    Un concept managérial est utile si l’on perçoit simultanément son opposé dialogique, celui avec lequel il forme le plus souvent un paradoxe: la connaissance et l’action se trouvent alors mieux éclairées par deux concepts en apparence inconciliables, comme la théorie ondulatoire et la théorie corpusculaire de la lumière.
    Ainsi, l’intégration des soins a un opposé dialogique, la différenciation des activités à la mesure des besoins, la centralisation s’oppose à la décentralisation, les motivations extrinsèques s’opposent aux motivations intrinsèques, l’internalisation s’oppose à l’externalisation, les connaissances tacites, implicites et procédurales, s’opposent aux connaissances déclaratives, enfin, la marchandisation des soins s’oppose à la solidarité.
    La véritable gouvernance ne peut être faite que de choix entre grands inconvénients, discutés entre parties prenantes. Dans un paradoxe, les réalités opposées ne sont pas vues comme exclusives mais comme hybridées, dans une relation dialectique. Qu’on le veuille ou non, les soins de santé sont une forêt de paradoxes. Ils ne peuvent se satisfaire de l’infantilisation managériale.
    • L’usage du mot « entreprise » dans le texte européen, bien qu’une entreprise puisse être publique, renvoie au modèle dit « économique » des systèmes de santé. La notion « d’hôpital entreprise » ne signifie pas la recherche partagée d’une organisation économe, efficace et efficiente répondant aux besoins de la population servie, mais bien la transformation de l’établissement délivrant des soins de santé en une organisation dédiée à la « vente de biens et de services ».
    • La « marchandisation », parfois nommée « commercialisation », peut être définie comme une dynamique qui fait passer les soins de santé d’un pays du modèle « solidaire » vers le modèle « économique ». Il peut s’agir de l’offre de soins ou des payeurs (assurances). Les motivations des politiques publiques ne seront pas abordées ici.
    • Le rappel de ces définition peut permettre aux libéraux et aux républicains, au sens français, de s’entendre. Mais n’oublions pas que le mot « libéral » est un mot piégé et ô combien polysémique.
    • la « filière » est un concept d’économie industrielle (chaîne de valeur ou filière intégrée de Porter, mais aussi supply chain ou chaîne d’approvisionnement). Il favorise l’intégration verticale de l’offre,   mais permet aussi d’externaliser ce qui n’est pas considéré comme avantage compétitif. L’environnement conduit l’intégration verticale à s’accélérer au détriment de l’indispensable différentiation horizontale des activités, sous les contraintes de survie à la T2A et la formation des grandes verticalités de groupes. L’intégration verticale suit les contraintes de la planification et des business models imposés par l’Etat (définition des « résultats » de la production des soins, planification des autorisations, gouvernance, modèles comptables et systèmes de paiement) et l’amont prend le contrôle de l’aval sous forme de « filières inversées ».
    • La « coordination » est un mot valise synonyme de contrôle et d’intégration. L’évolution de la demande de soins et l’incapacité des soins extra-hospitaliers à réagir à une variation brutale d’autonomie, quelle qu’en soit la cause, entraîne un afflux croissant de patients aux urgences d’un hôpital dont le modèle reste purement « curatif ». Cette « machine à guérir » s’interdit d’analyser les déterminants des hospitalisations ne relevant pas des process comptables de « l’usine à soins », cure,  mais de ceux du care (secteur social et médico-social, séparé du sanitaire par les lois successives à l’origine de la fragmentation institutionnelle et financière à la française). Ses flux sont alors « poussés » par les besoins de la chaîne de production (push), et non « tirés » selon le résultat attendu par le malade au terme de la chaîne de valeur (pull, visant l’outcome).
    • Bed et buffer management paralysent et dénaturent un hôpital qui ignore par construction la lutte contre le handicap évitable et les déterminants socio-environnementaux de la santé. Survie économique oblige et la formation de collusions et de trusts sous contrôle des payeurs est partout favorisée, au nom de la défragmentation du système, sous l’habillage rhétorique de la « coordination » (accountable care organizations aux USA et ailleurs). Les pompiers pyromanes alimentent encore et encore le cercle vicieux de la dépendance évitable et de l’institutionnalisation au détriment du financement des soins extra-hospitaliers.
    • Entre le marché et la hiérarchie il y a le « réseau », plus souple que la bureaucratie mais minimisant les coûts de transaction. Les réseaux « d’en haut » ne marchent pas, les réseaux d’en bas si, pour peu qu’on ne les détruise pas par des machins de coordination bureaucratique, car ils dépendent d’équipes socio-sanitaires et de liens d’autant plus fragiles qu’elles sont instables.
    • Le « parcours » est un concept assurantiel qui vise par le managed care, à prendre le contrôle de l’offre et mettre en place des casemix de type « groupes homogènes de parcours » définis à partir de processus standardisés, pour des « épisodes de soins » artificiellement délimités, a fortiori pour les maladies chroniques. Ces parcours seront mis en concurrence dans une value based competition (Porter) nouveau modèle d’assainissement asphyxiant des faux marchés ainsi créés au profit de la véritable marchandisation. Cette managed competition sera supportée par les paiements prospectifs par épisode de type bundled payments, maintenant que la T2A est usée, n’a pas fait ses preuves et montré ses effets pervers surtout quand elle n’est pas régulée par des garde-fous. Plus l’unité de paiement couvre un épisode long, plus le risque est supporté par l’offreur au profit du payeur. Voilà le cœur du modèle invisible auquel nos élus semblent s’être résignés.
    • La démocratie sanitaire est la transposition rhétorique de la gouvernance d’entreprise (corporate governance) où le patient devient le bras armé des ayant-droit, les shareholders ou « payeurs », qui ont tous les droits et doivent être protégés en priorité selon Milton Friedman.
    • Le dialogue social et la responsabilité sociale des organisations, associés à la démocratie sanitaire, sont la transposition rhétorique de la réingénierie générale des emplois et compétences par un Etat stratège qui s’arroge au nom des nouvelles expertises de santé tout le contrôle du modèle de production de l’action publique. Le principe de cette innovation disruptive (Christensen) est de substituer les motivations intrinsèques et le « tout incitatif » aux motivations intrinsèques des acteurs du soin à commencer par les médecins dont il faut sidérer par tous les moyens la revendication d’autonomie professionnelle.
    • Plus que jamais la sophistique du Nouveau Management Public confond « orientation client » et « centrage patient« , dans sa prétendue « révolution du patient« , enfin placé, dit-on, « au cœur du processus de soins » (Bertrand Kiefer).

    Entre libéraux, républicains et néo-cons: l’art d’ignorer la solidarité

    Attention aux « faux amis ».

    Ne confondons pas secteur libéral en médecine et secteur commercial: pour un médecin libéral dont les honoraires sont remboursés selon des tarifs conventionnels, le caractère variable de sa rémunération selon l’activité  ne suffit pas à classer son activité dans un système commercial.
    Il ne faut pas non plus confondre comptabilité basée sur l’activité selon les nouveaux modèles hospitaliers, même en cas de pseudo-marchés avec des tarifs (T2A), et « modèle économique » au sens de l’Europe. 
    Mais dès lors qu’on parle de « tarifs », il faut être très vigilant sur les interprétations européennes qui viseraient à ne plus y voir que du « tout lucratif ». Pensons ici aux attaques régulières de la FHP au sujet de la convergence tarifaire et la prétendue concurrence déloyale du secteur public, en feignant d’oublier que justement il n’est pas (encore) dans un secteur concurrentiel. Ces prétendues atteintes à la libre concurrence s’inscrivent dans les modèles promus par le consensus de Washington, appliqués au sein de l’ALENA et des programmes d’ajustements structurels. Mais les « tarifs » de la T2A, tout comme les « actes » en libéral, ne sont que de clés de répartition comptables d’enveloppes désormais fermées, elle ne reflètent rien d’un véritable marché qui n’existe pas en l’occurrence et en aucun cas ne peuvent être assimilés au prix de la vente de biens et de service.
    L’absence de revalorisation des honoraires en secteur 1 pousse évidemment le secteur libéral à évoluer vers un système plus commercial avec augmentation du reste à charge, remboursement variable selon des assurances privées déguisées en mutuelles au prix d’une inégalité croissante d’accès aux soins. De même la multiplication de produits marchands comme la vente des chambres seules, même rémunérées par les assurances privées, dans les hôpitaux publics ou PSPH est inquiétante. Peut-on encore parler de mutuelles quand, « soumises à la concurrence des assureurs privés, les mutuelles sont contraintes à des regroupements/restructurations et à mimer le fonctionnement des compagnies d’assurance privées qui gagnent des parts de marché. « (Grimaldi)

    La marchandisation de la santé, dans une recherche google rapide ne semble pas être un problème pour les partis politiques français, en dehors du PCF et du parti de gauche.
    Mais enfin, cela signifie-t-il qu’il n’y a plus en France ni droite sociale ni gauche de gouvernement attachée aux principes de solidarité et d’universalité de 1945 ?
    Comment en sommes nous arrivés là dans ce pays qui se pique de « droits de l’homme » et ne semble plus capable que d’accorder de pseudo-droits formels sous forme de cache-misère?

    Tous ces partis dits « de gouvernement » semblent acquis au mythe du marché efficient en santé. Marché efficient, incitatifs pour calculateurs égoïstes, mais bien entendu régulés par « l’Etat stratège » qui dresse son portrait en despote éclairé par les nouvelles sciences et techniques de gouvernance. Assurément un nid de sages philosophes éclairés par la raison selon le vœu de Platon. C’est la définition du néo-libéralisme! Il y a véritablement une maladie de la pensée politique de gauche comme de droite au sujet du marché, comme l’a montré James K. Galbraith dans l’Etat prédateur.
    Nos socialistes ont tellement peur d’être les derniers marxistes qu’ils seront les derniers néo-cons.
    Et si on cessait de nous sur-administrer tout en nous accablant de leurres marchands, en nous faisant un peu plus confiance, à nous autres médecins, comme aux autres parties prenantes?

    Webographie

    1. Contre la marchandisation des soins de santé: où l’on voit qu’il y a en France un complot du silence qui cache les assurances privés derrière les « mutuelles »

    Marchandisation et mondialisation des soins de santé: Les leçons des recherches de l’UNRISD

    Frédéric Pierru – Réforme du financement de la santé: la raison politique prime sur la raison économique

    La réforme du système de santé vise avant tout à préserver des équilibres politiques qui s’inscrivent dans la longue durée

    La privatisation rampante du système de santé. André Grimaldi

    Comment financer la croissance des dépenses de santé ? Brigitte Dormont
    Voir aussi les dépenses de santé un augmentation salutaire (Cepremap)

    La santé n’est pas à vendre Bruxelles Santé n°68 – octobre 2012

    Le 25 mai, défendons la santé !

    Manifeste du « Réseau européen contre la privatisation et la commercialisation de la santé et de la protection sociale » Bruxelles, le 07 février 2014

    Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophone

    2. Rappel des textes européens

    2.1. Les services d’intérêt économique général: SIG, SEIG et SNEIG

    Les SIEG sont une partie des SIG
    « Parmi eux (les SIG) figurent les SIEG, qui, comme leur nom l’indique, comprennent uniquement aux services économiques, c’est-à-dire correspondant à la vente de biens ou de services. Le Livre blanc de la Commission en donne quelques exemples : « les services fournis par les grandes entreprises de réseaux, comme les transports, les services postaux, l’énergie et la communication ». Ces services-ci restent soumis aux lois du marché et de la concurrence, dans une certaine mesure seulement. Ils peuvent y déroger si cela est nécessaire à l’accomplissement de leur mission d’intérêt général. »

    2.2. Des compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général

    « Dans certains États membres, les hôpitaux publics font partie intégrante d’un service de santé national et leur fonc­tionnement repose presque intégralement sur le principe de solidarité ( 10 ). Ces hôpitaux sont financés directement par les cotisations de sécurité sociale et d’autres ressources d’État et fournissent leurs services gratuitement à leurs affi­liés sur la base d’une couverture universelle ( 11). La Cour de justice et le Tribunal ont confirmé que lorsqu’une telle structure existe, les organismes en question n’agissent pas en qualité d’entreprises ( 12 ). »

    2.3 La sécurité sociale: un modèle solidaire, compatible avec les règles européennes de la concurrence, car celles-ci ne lui sont pas applicables

    3. Une explication? L’état prédateur James K. Galbraith, Seuil, 2009

    Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant, Paris, Seuil, coll. « Économie humaine », 2009, 311 p. 
    « Galbraith montre comment briser l’emprise magique des conservateurs sur les esprits de gauche. » Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie.

    5. Portrait du MEDEF en appareil idéologique de santé – La déconstruction de la solidarité

    La médecine de parcours? Ce n’est pas la médecine intégrée et centrée patient à laquelle nous aspirons tous mais l’autre nom du managed care, ici le plus injuste et le plus créateur d’inégalités inacceptables d’accès aux soins. Voilà en clair ce beau modèle:
    « Nous avons le souci de préserver le modèle de la sécurité sociale basé sur une prise en charge collective, tout en proposant des pistes d’évolution. Notre modèle réaliste met l’accent sur un premier pilier, qui est le panier de soins financé par le régime général de sécurité sociale, recentré sur les soins et services essentiels, qui pourrait être allégé d’une dizaine de milliards d’euros pour faire rentrer davantage les complémentaires dans le système, puisqu’elles sont revenues obligatoires pour les salariés, dans le cadre de l’accord ANI. Le tout sans fermer la porte à une option de sur-complémentaire d’assurance, individuelle, qui pourrait être encouragée par l’Etat. »

    Le MEDEF a de la suite dans les idées.

    Concluons comme nous avons commencé

    « Il faut prendre les choses comme elles sont car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités.
    Bien entendu on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en criant, l’Europe, l’Europe, l’Europe, mais cela n’aboutit à rien et ne signifie rien.
    Je le répète il faut prendre les choses comme elles sont. Comment sont-elles…? » De Gaulle


    Le cercle vicieux (adapté de: the coming of age Website: www.audit-commission.gov.uk)



    Esculape vous tienne en joie.

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    Intégration par les payeurs: la sophistique de l’Etat prédateur

    Le parcours de vie, le territoire et la démocratie sanitaire ou la construction politique de l’insignifiance
    « Qu’aucune chose ne soit, là ou le mot faillit. » Stefan George (Das Wort)

    « Il n’y a rien de si difficile à distinguer que les nuances qui séparent un malheur immérité d’une infortune que le vice a produit.» Tocqueville

    Un commentaire des deux monuments de novlangue accessibles plus bas

    Cela devait arriver. A force d’utiliser les nouvelles techniques de propagande et de marketing social, les politiques publiques de santé publique en viennent à produire des rapports inconsistants, filandreux, écrits sur du vent théorique, articulant des concepts si ambigus et si instables que les professionnels, les managers, les élus et les usagers ne peuvent plus y trouver que la perte du sens du soin et l’imminence de nouvelles catastrophes gestionnaires. Hélas, trop peu d’entre eux oseront le dire. Voici pourquoi:

    L’intégration de la médecine, oui, mais par qui?

    Chacun ne peut que souhaiter que les parcours soient intégrés autour des patients et cela dans un cadre territorial. Qui se ferait le chantre de la fragmentation ou le champion de filières surréalistes déconnectées des territoires comme celles qui traversent l’Île-de-France, concentrant tous les gros équipements dans Paris? L’intégration est un buzzword , un mot-valise, potentiel support de toutes les balivernes. Il s’agit avant tout de savoir qui est l’intégrateur et quels sont ses motivations.

    Il est plus que probable que la configuration décrite par Frédéric Pierru dans son article intitulé « le Mandarin, le gestionnaire et le consultant » va continuer à se mettre en place, avec ce que cela implique de complaisance résignée et de complicité soumise pour les médecins. Les médecins français resteront trop divisés pour affronter le double rouleau compresseur du Nouveau Management Public et d’une déprotection sociale déployée par un Etat prédateur qui avance masqué pour ne pas avouer le rationnement des soins. Trop de collègues se prosternent déjà ou feront allégeance au modèle dans la vénération du discours ambiant sur l’intégration des « parcours de soins » et « l’intégration territoriale » par les agences promotrices de la « démocratie sanitaire ». 
    La belle affaire! Personne n’y avait pensé avant, à cette révolution du patient qui le met, avec ses nouveaux besoins au cœur des processus de soins. Nos révolutionnaires de santé, avec leurs promesses de lendemains qui chantent, nous rejouent la scène primitive de l’anti-médecine à la fois utilitariste et hyper-libérale, au nom de l’intérêt collectif face auquel l’intérêt individuel doit rester seul (Le Chapelier) et au nom de l’extermination des savoirs intermédiaires, toujours d’emblée disqualifiés par le positivisme scientiste.
    Une intégration excessive, idéologique et surtout guidée par la prétendue connaissance des coûts d’opportunité d’une politique de plus en plus utilitariste, va hélas produire son pendant, bien connu en management. Plus elle est pétrie de l’arrogance et de la toute puissance planificatrice issue des Big Data, plus elle reste ignorante des finalités cliniques individuelles pour le patient et du fonctionnement intime des systèmes cliniques. C’est le chemin de la dédifférenciation des structures, de la destruction des compétences, des cautères gestionnaires mis sur les jambes de bois qu’ils ont amputé eux-mêmes, de la perte de sens de la motivation et de l’attractivité face au management low cost déguisé en lean. C’est aussi la voie toute tracée de la contre-performance à moyen terme qui peut conduire à l’extinction totale ou partielle de l’organisation, qu’elle soit voulue et organisée par des managers de transition ou non. 

    Une typologie inspirée de Philip Muray

    Parmi les médecins, les managers, les cadres et autres professionnels confrontés à la « ré-ingénierie disruptive », on distinguera suivant la terminologie inspirée de Philip Muray:

    • Les « moutons de Panurge »: ils sont par nature confiants vis à vis des politiques publiques et s’émerveillent de toute nouveauté portée par la sophistique managériale au nom de l’Etat social qu’ils croient encore en progrès et/ou au nom du « changement disruptif » qui apportera enfin le marché en santé, sans doute rendu efficient par le reporting.
    • Les « matons de Panurge »: ils savent de quoi il retourne, mais ils le cachent car ils ont besoin de nouer des alliances avec le nouveau management ou risquent simplement la porte et/ou la maltraitance, notamment pour les cadres de santé. En cas d’intolérance trop forte à l’ambiguïté les matons de Panurge rejoindront le premier groupe par le phénomène de rationalisation des motivations et des souricières cognitives.
    • Les « mutins de Panurge » sont chargés du rôle des « transgresseurs contrôlés », garant d’un faux débat démocratique, pour mieux valider le modèle hégémonique. Ils sont partout, en indispensables « chiens de garde ».
    • Les « autres », les résistants, au changement bien sûr, et tous les petits techniciens de santé de base sont privés de parole, sinon de cadres de pensée par absence d’accès aux données, sur le sens de leur action dans des « activités » désormais conçues ailleurs notamment par le marketing social. Ils n’ont qu’à bien se tenir entre « exit, loyalty or voice », si donner de la voix reste encore possible face aux petits tyranneaux du New Public Management. En bons petits exécutants ils doivent être tolérants aux injonctions paradoxales et leurs compétences seront évaluées sur leur « savoir-être » face à ces injonctions par leurs employeurs managers de santé. Il ne leur reste qu’à entrer dans le jeu des pseudo-marchés et de la concurrence régulée par des résultats myopes, à renoncer à leurs motivations intrinsèques pour ne plus suivre que les carottes motivationnelles extrinsèques pour « idiots rationnels » (l’acteur théorique de l’économie orthodoxe selon Amartya Sen). 

    L’organisation malade du management: un système ultrapyramidal

    Nous ne reviendrons pas ici sur la question de la fixation de l’Ondam et du budget des services sociaux, ni sur la définition nécessaire d’un panier de protection sociale universel, ni sur les multiples pertes de chances induites par une hyper-rationalisation technocratique du système de soins qui n’a jamais fait ses preuves.  Nous ne reviendrons pas non plus sur les moyens possibles d’améliorer la performance en s’appuyant sur les partie prenantes alliées, motivées, loyalement informées, impliquées dans les processus de décision qui les concernent et reconnues plutôt qu’engagées dans une guerre de tous contre tous, à l’opposé de leurs valeurs, pour la production de résultats à courte vue. Sous enveloppe financière trop contrainte tous les systèmes de paiement sont mauvais, conduisant à l’inflation de actes,  à la sélection des malades « rentables », aux sorties d’hôpital ne visant que le « déstockage » le plus rapide permettant la valorisation d’un nouveau séjour. Le bed management, les ubuesques PRADO organisés par les payeurs en lieu et place d’équipes de soins désintégrées, qu’on a rendues exsangues et dépourvues de moyens pour optimiser les parcours hospitaliers complexes et les sorties difficiles, voire le buffer management ou déstockage en unités de soins de suite « tampons » parachèvent le placage de machins gestionnaires sur un système qu’on n’a eu de cesse de détériorer en ne le considérant que comme une pure « usine à soins ».

    Il nous aujourd’hui que non seulement on interdit aux cliniciens de se soucier du résultat clinique à long terme (outcome) mais que de plus, on leur en ôte les moyens, prétendant sans la moindre preuve y pallier autrement. La fragmentation institutionnelle et financière, en particulier celle des soins et du social, ne sait produire que son auto-aggravation.

    Insistons seulement sur la métaphore organique de l’entreprise, celle du management et d’une planification stratégique qui sait tout, voit tout, peut tout, détermine d’en haut les objectifs et les exécute en les contrôlant. Elle permet d’entrevoir les causes du mal qui ronge l’organisation de notre système de santé: une conception managérialiste et mortifère de l’exécution des politique de santé, descendant dans un « système pyramidal » dont on multiplie les couches pendant qu’il est privé de toutes ses boucles de régulation, de leurs afférences et de leurs efférences vitales. C’est une organisation rendue volontairement « parkinsonnienne » en quelque sorte, qui va perdre l’équilibre en courant après son modèle comptable. Une véritable euthanasie bureaucratique des services publics et de la protection sociale solidaire, pour reprendre l’expression de Claude Rochet.

    « O vous qui avez l’entendement sain
    Voyez la doctrine qui se cache
    Sous le voile des vers étranges
    Dante, L’enfer, chant IX, 61-63.

    Essai de modélisation du New public Management comme résultant de l’alliance de la technocratie industrielle et du marché contre les professionnels. L’alliance de l’Etat industriel et du marché assure le contrôle de l’offre par les payeurs, les « shareholders », de la corporate governance de santé. Exit l’intérêt des partie prenantes (stakeholders)

    Quand les politiques publiques confondent la santé avec le bonheur et prennent le contrôle de la médecine, c’est alors « l’hôpital se fout de la charité »!

    Les documents

    Florilège de novlangue n°1

    PARCOURS DE SOINS PARCOURS DE SANTE PARCOURS DE VIE

    Exercice: citez les think tanks de santé repérables dans le document, comme l’Institut Montaigne (Claude Bébéar, promotion du managed care par les assurances, mises en concurrence…)

    « La notion de parcours répond à la nécessaire évolution de notre système de santé afin de répondre notamment à la progression des maladies chroniques qui sont responsables de la majorité des dépenses et de leur progression. Leur prise en charge transversale implique de multiples intervenants et réduit la place historiquement majeure des soins aigus curatifs au profit des autres prises en charge. La spécialisation croissante des professionnels de santé amplifie le phénomène. L’optimisation des parcours des patients et des usagers s’impose ainsi progressivement comme un axe transversal structurant des systèmes de santé. (…) Les parcours ont une notion temporelle (organiser une prise en charge coordonnée et organisée tout au long de la maladie du patient) et spatiale (organiser cette prise en charge sur un territoire, dans la proximité de son domicile). »

    Florilège de novlangue n°2

    Stratégie nationale de santé : Marisol Touraine reçoit le rapport Devictor sur le service public territorial de santé 23 avril 2014

    et quelques autres illustrations du problème…

    L’ennemi interne par Jean-Claude Desforges sur le site « Hôpital et Territoires »

    Le retour raté du service public territorial de santé dans la Lettre de Galilée Les perles de la sophistique managériale y sont surlignées en jaune

    « La coopération se construit dans l’amont de la rencontre avec le patient ».
    « Il s’agit de mettre au travail des soignants rompus à l’exercice singulier, sur un amont de cet exercice qui est de niveau organisationnel et de les amener à questionner leurs pratiques en se confrontant à d’autres modes d’exercice que le leur et à d’autres façons de répondre que la leur »

    LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT (en ligne!)

    Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Frédéric Pierru – Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 – n° 194 pages 32 à 51

    « La rhétorique managériale finit même par adopter des formulations à ce point vide de contenu qu’elles n’ont pas de contraire. Avoir l’ambition d’être un leader est engageant, mais qui souhaite adopter la posture du suiveur? Etre le champion de l’excellence est sans doute motivant mais qui rêve d’être celui de la médiocité? Non seulement les mots mais aussi la parole perdent leur sens, générant chez ceux qui écoutent cynisme et désarroi. » François Dupuy « La fatigue des élites« 

    Esculape vous tienne en joie.

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    Publié dans Action publique, loi HPST, Nouveau Management Public, Parcours de soins | Commentaires fermés sur Intégration par les payeurs: la sophistique de l’Etat prédateur

    Des défaillances du méso-management ou vers l’irresponsabilité sociale de l’entreprise hôpital


    Servitude 2.0: quand le constructivisme social rencontre la responsabilité sociale des entreprises


    « Je ne cesse de le répéter depuis deux ans : nous les Entrepreneurs, nous pouvons être à ce siècle encore tout jeune, ce que les instituteurs ont été à notre IIIè République. L’école était chargée de former le citoyen, c’est à l’entreprise aujourd’hui de lui apprendre le nouveau monde. Les instituteurs étaient les messagers de l’universel républicain, les entrepreneurs sont aujourd’hui les porteurs de la diversité de la mondialisation. Les instituteurs détenaient la clé de la promotion populaire. Nous, les entrepreneurs, nous sommes les moteurs de l’ascension sociale. Comme eux, nous devons contribuer à rendre le monde lisible. » Laurence Parisot. (L’entreprise comme nouveau modèle éducatif : quels enjeux, quelles conséquences ?)

    Les documents :

    1. Le manager intermédiaire ou la GRH mise en scène. Anne Dietrich

    2. Gestion par les compétences et nouvelles formes d’organisation du temps et de l’espace. Valérie Devos Laurent Taskin.

    Le commentaire :

    Cet article bien documenté décrit la cadre du management intermédiaire et comporte une analyse critique intéressante de la gestion des ressources humaines. Il nous laisse aussi sur notre faim et nous amène à nouveau au constat que ces concepts s’appliquent toujours très mal aux organisations hybrides, «professionnelles», par nature très décentralisées horizontalement et verticalement comme l’hôpital ou l’université. Il s’agit de celles où, au sens de Mintzberg, les professionnels sont les experts.
    Pour juger du bon usage des outils du management dans les systèmes de soins, il faut distinguer les finalités de rationnement «d’en haut» de l’habillage rhétorique manipulé par les «professionnels de l’Etat-providence», en quelque sorte « de droit divin ». 
    • La Gestion des Ressources Humaines (GRH) défend les objectifs du top management en prétendant défendre les employés. Elle vise à internaliser le contrôle de la notion de «compétence» en l’asservissant à la notion de performance interne (outputs myopes) et en la faisant échapper à toute régulation extérieure (aux organisations professionnelles entre autres). 
    • Le contrôle de gestion défend les objectifs du top management en prétendant défendre les « payeurs » et/ou les contribuables qui sont éventuellement en amont. Le modèle, toujours arbitraire, des « objets de coûts » détermine le découpage des « activités » consommées par la « production » et ce découpage détermine la réingénierie des compétences. En comptabilité « il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations », selon le mot célèbre de Nietzsche. 
    • La bureaucratie de la qualité top down défend les objectifs du top management en prétendant défendre les usagers, d’où «l’effondrement tranquille de la qualité» (Daniel Lozeau). 
    Nous avons vu que le management intermédiaire est une des cibles principales du Nouveau Management Public. Les comportements des managers intermédiaires, je pense ici à nos directeurs d’hôpitaux, était prévisible dès lors qu’on en a fait les seuls patrons de l’hôpital mais sous les incitatifs d’agence doublé d’un système hiérarchique.
    Le mal qui accable le système de soins, qui détruit aujourd’hui les compétences, la qualité qui compte souvent très éloignée de celle qu’on compte, les motivations et partant l’attractivité, ne vient donc pas uniquement du management, ensemble d’outils qui peuvent être bien ou mal utilisés, mais des politiques macro-économiques et de la «régulation» macro. Elles mettent les managers sous «incitatifs» (HPST a été décrite comme une loi du «tout incitatif») et écartent comme des gêneurs les médecins de la gestion, de la conception même des «activités», en ignorant au risque de les détruire toutes les habiletés organisationnelles, les vraies compétences clés, à la fois collectives mais aussi très largement liées aux disciplines d’exercice, concept dont je concède qu’il reste à préciser. Peut-on nous accable davantage de ce counter-evidence management? Nul ne peut être contre la performance, mais c’est le modèle de performance publique et son mode de contrôle qu’il nous faut interroger.
    Il s’agit dans la corporate governance ou gouvernance d’entreprise de protéger les payeurs contre un management jugé irresponsable d’un argent qui n’est pas le sien, idée ancienne déjà présente dans l’œuvre d’Adam Smith. Appliqué à l’action publique ce paradigme impose de construire un «modèle de production». Celui-ci est double, composé du modèle de Fetter de « l’usine à soins », intégré à un modèle «d’impacts» économique et sociaux construit par les sciences sociales à partir du modèle de santé «tout politique» de l’OMS. Celui-ci ne peut conduire qu’à une explosion de l’utilitarisme et à ses inférences politiques. Rien ne permet d’affirmer qu’elle peut être conduite par petite une caste de clercs aristocratiques qui échapperaient miraculeusement aux lois des marchés politiques et s’arrogeraient le monopole du Bien commun. C’est ainsi que le service public de droit divin, dont le principe théocratique d’infaillibilité est issue de l’ancien régime et du droit canon, s’autodétruit à grande vitesse, se fait prédateur de lui-même, certes aidé par le vrai marché qui se régale de ses dépouilles.
    Les modèles orthodoxes « macro » étant ce qu’ils sont, guidés par une raison instrumentale hautement limitée, c’est alors que le méso-management ajoute ses propres défaillances en créant des faux besoins, de la sous- qualité fumigène, de la contre-efficience et du non-sens, comme Drucker, Galbraith, Mintzberg et bien d’autres l’ont dénoncé. Mintzberg a toujours suggéré qu’on associe les «professionnels» qui connaissent intimement les «méthodes», les habiletés procédurales, à la gestion. Nulle autorité omnisciente, même soutenue par un reporting 2.0 maquillé en démocratie horizontale et en innovation disruptive, ne garantit celle des experts d’en haut conte des parties prenantes bonnes à asservir, à surveiller et à punir. Je suis plutôt partisan d’un payeur unique et contre la vente par appartements de la protection sociale aux assureurs mais s’il est sans doute souhaitable de réduire le bicéphalisme entre « sécu » et DGOS, n’oublions pas que ce n’est qu’une toute petite partie du problème. On ne peut guère améliorer l’efficience , elle qui serait supportée par un modèle pluraliste, sans en remettre en cause ni les modèles mécanistes descendants ni la gestion macro-économique.
    Le problème du méso-management est soit complètement ignoré, soit trop considéré comme la source exclusive du mal quand il faudrait incriminer l’Etat-machine de droit divin à la française et le mythe des pseudo-marchés régulés qu’il utilise actuellement comme arme de destruction massive des microsystèmes cliniques, mais… au profit ou par l’intermédiaire du libre marché? Rappelons-nous l’Evangile selon Sainte-Laurence cité en préambule. Dans la «guerre des dieux» de Max Weber, quel est celui qui se cache derrière la «sainte» et parle par sa bouche? Certainement pas Esculape.
    La T2A, a fortiori en laissant libre, voire en encourageant si ce n’est en rendant «obligatoire» (dernières propositions de la FHF) la constitution de collusions et trusts de survie qui limitent d’emblée les effets théoriques de «compétition régulée», a montré qu’elle n’était qu’un moyen de mettre la gestion des hôpitaux «à portée des caniches», pour mieux rationner les soins, en écrasant toute résistance du sens de l’action de la part des professionnels, mais certainement pas un triomphe du marché. Le mythe du marché efficient n’était qu’un prétexte.
    La solution? Interdire l’opium aux intellectuels, arrêter de croire au père Noël de la République de Platon, aplatir le Mille-feuille et tenter de se mettre à l’intelligence territoriale en y incluant par exemple et entre autres les professionnels de l’hôpital, les vrais, pas les MBA!

    Webographie sur la GRH et la fabrication des compétences

    1. Quelques définitions et citations à propos des compétences

    2. De la fabrication des compétences

    3. A. DIETRICH (2002) «Les paradoxes de la notion de compétence en gestion des ressources humaines», Economie et Sociétés, série Sciences de Gestion, n° 31 (nécessite un compte SCRIBD; sinon voir référence 9: Didier Cazal et Anne Dietrich)

    4. Où en est le paradigme corporatiste ?

    5. La logique de compétence. Stéphane Haefliger

    6. Les enjeux de la logique de compétence. Jean-Pierre Durand

    7. Incitations comportementales et environnement – centre d’analyse stratégique

    8. Connaissances et compétences – Education le chantier en ruine

    9. COMPETENCES ET SAVOIRS : ENTRE GRH ET STRATÉGIE ?

    10. La performance comme dispositif de gestion ou la construction sociale de l’insignifiance. Jean-Luc Metzger. en pdf: http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RES_134_0263
    et
    http://www.cairn.info/revue-reseaux-2005-6-page-263.htm

    11. L’ensorcelante ambiguïté de « savoir, savoir-être et savoir-faire «. Jean-Jacques Guilbert

    12. LES APPROCHES CRITIQUES DE LA « RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE » ET LEURS RETOMBEES OU « RESPONSABILITE SOCIALE DES ENTREPRISES ? »

    13. Savoir, Savoir-faire et savoir-être : repenser les compétences de l’entreprise. Thomas Durand

    14. Exigences de qualité et nouvelles formes d’aliénation. Sami dassa, Dominique Maillard

    15. Savoir-être et compétences (1/2 et 2/2) mercredi 16 janvier 2008, Charlène Durand

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    Le contrôle de gestion des ressources humaines: perte de sens et pertes de chances à l’hopital

    Le document

    Le contrôle de gestion sociale à l’hôpital Interview de Jérôme Lartigau

    Le commentaire


    « La parole dépourvue de sens annonce toujours un bouleversement prochain. Nous l’avons appris. Elle en était le miroir anticipé.» René Char

    « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Antonio Gramsci

    La T2A, nouvelle composante financière du système hospitalier, s’associe à d’autres composantes fondamentales qui constituent avec elle le puzzle du Nouveau Management Public en santé: le contrôle de gestion (notamment de la masse salariale) s’y nomme « gouvernance » (pouvoir des payeurs) et « dialogue social » (pouvoir des employeurs) , la planification par objectifs s’y nomme « démocratie sanitaire » et la rationalisation managériale s’y nomme « qualité » ou « performance ». Ces mots sont transformés en buzzwords et dévoyés par la sophistique managériale.
    Les effectifs des hôpitaux étant considérés comme une des sources majeures du surcoût d’établissements décrits en permanence comme pléthoriques et mal gérés, après identification des boucs émissaires, dont la gestion « patrimoniale » des services, les pouvoirs publics et leurs pompiers pyromanes ont décidé d’y appliquer les nouvelles méthodes de contrôle de gestion. Il est essentiel de comprendre le risque inhérent à ces modèles qui reconfigurent les activités à partir d’une représentation des coûts, par nature toujours arbitraire. Le risque majeur est de construire un modèle de production imaginaire où les groupes homogènes de produits remplacent le résultat clinique. Ces produits imaginaires sont, en termes de performance, insignifiants pour ses acteurs et contre-performant en termes de « résultats de santé ». Dès lors toute tentative d’alignement / intégration des niveaux macro, méso et micro est illusoire et produit surtout des synergies négatives.

    Insistons sur les effets délétères et le sentiment de perte de sens qui conduit de plus en plus de professionnels à l’exit, confrontés à la certitude de ne plus pouvoir répondre aux besoins des malades tout autant qu’à celle de leur faire courir des risques de pertes de chances non captés par le modèle:

    • Réduction des effectifs sans garde fous en termes de conditions techniques, la qualité ne jugeant que de processus fondés sur les finalités intrinsèques à l’organisation: production de groupes homogènes de « produits » en minimisant les risques. Nous avons vu le mécanisme d’imputabilité des problèmes d’organisation, nécessairement appuyé sur la dérégulation des conditions techniques de fonctionnement (ex. ratios médicaux,  infirmiers, d’autres professions, locaux et équipements…). Les associations de patients doivent être vigilantes sur ces sujets, les agents, notamment les cadres, étant sommés de se taire ou de partir (exit, loyalty or voice).
    • Destruction des cœurs de compétences garants de la qualité et de la sécurité des soins par application malhabile des méthodes de production low cost que sont la flexibilité, la polycompétence et la mutualisation. On lira avec profit Nicolas Belorgey, Paule Bourret et le collectif des Dr Blouses.
    • Reconfiguration des activités fondamentales selon des modèles comptables sans identification des processus clés de l’organisation, alors qu’il sont fondés sur les méthodes spécifiques adaptées aux finalités externes (outcome:  résultat clinique recherché par le médecin et le patient et non le simple output de sortie de système mesuré par le modèle de performance)
    • Remplacement progressif des habiletés de gestion procédurales centrées sur la demande (pull) par des habiletés gestionnaires standard de type « MBA » braquées sur l’offre (push) dans la logique du New Public Management, avec la rationalisation de la « gestion sociale »
    • La coordination au sein d’une unité opérationnelle étant fondé essentiellement sur la supervision et l’ajustement mutuel (Mintzberg), la division verticale des métiers, la domination des lignes paramédicales par le contrôle de gestion et la reconfigutation comptable des activités aboutit à l’absence de pilotage réel des unités de soins au contact du public qu’elles sont censées servir. Les malades doivent le savoir.
    Cela ne veut pas dire qu’il faut rejeter toute analyse de la performance ni qu’il faut renoncer à toute gestion axée sur les résultats, ni toute stratégie nationale, régionale ou territoriale de santé, cela signifie qu’il faut élaborer un modèle de valeur avec les parties prenantes en se gardant d’une application brouillonne et inadaptée de la chaîne de valeur de Porter tout autant que d’une vision qui occulterait les véritables avantages compétitifs au regard des finalités de l’hôpital. Le modèle actuel tend à détruire les compétences fondamentales plus qu’il ne conduit à les identifier, à les capitaliser et à les intégrer à un système plus performant, plus conscient de ses processus clés.
    Si « ce qui a un prix n’a pas de valeur » (Kant), au moins faut-il que la valeur précède la construction toujours artificielle du prix dans le système de santé. Le modèle actuel est incapable de considérer les finalités extrinsèques du système auquel il s’applique, il ne connaît que les indicateurs myopes, issus de ses finalités intrinsèques, qui numérisent ses modèles de coûts. Le NMP prend ses objectifs pour des résultats et ces résultats pour de la performance. Il est temps  de passer à un modèle « centré patient », ou « pull » en abandonnant les logiques de filières inversées braquées sur l’offre (push), quand bien même leur rhétorique de promotion les qualifient « d’orientées client ».

    Webographie: comment cela a-t-il été possible?

    1. Le financement des hôpitaux un choix politique. André Grimaldi
    http://www.revueforum.fr/2011/09/le-financement-des-hopitaux-un-choix-politique/
    http://www.revueforum.fr/wp-content/uploads/2011/09/2011-octobre_Revue-Forum-01_Grimaldi1.pdf

    2. Une nouvelle grille d’analyse pour le contrôle de gestion hospitalier : le contrôle intégré de Simons
    http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/65/05/43/PDF/Lartigau_Nobre.pdf
    Jérôme LARTIGAU, Directeur d’hôpital, Chercheur associé à l’ERFI, Institut des Sciences de l’Entreprise et du Management, Université de Montpellier 1, jeldds@hotmail.fr
    Thierry NOBRE, Professeur des Universités, Ecole de Management Strasbourg thierry.nobre@unistra.fr

    3. LA MODERNISATION DU PILOTAGE DES RH DANS LA FONCTION PUBLIQUE HOSPITALIERE : CAS DE LA GESTION DE LA MASSE SALARIALE
    http://www.reims-ms.fr/agrh/docs/actes-agrh/pdf-des-actes/2013-cappelletti-alii.pdf

    4. Bibliographie: fonction publique et gestion des ressources humaines
    http://www.ena.fr/index.php?/fr/content/download/3999/30559/file/bib_fp_et_grh_csi_2008.pdf

    5. L’EMPLOI HOSPITALIER : UNE QUESTION TABOUE ?
    http://www.senat.fr/rap/r07-403/r07-40315.html

    6. La méthode ABC

    7. Mesurer et piloter la performance. Nicolas Berland Professeur à l’Université Paris-Dauphine
    E-book Source : www.management.free.fr
    http://www.crefige.dauphine.fr/publish/berland/performance.pdf

    8 Les méthodes de comptabilité analytique
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Comptabilit%C3%A9_analytique

    9 Échelles nationales de coûts
    ENC à méthodologie commune MCO
    10 Modèle de comptabilité hospitalière: télécharger le guide en pdf
    ……………………………………………………..
    Le contrôle de gestion sociale à l’hôpital Interview de Jérôme Lartigau

    Fatigue des élites: contrôle de gestion et cadres de santé

    La mise en place du contrôle de gestion à l’hôpital, tout particulièrement celui de la gestion sociale et de la masse salariale, suppose la prise de contrôle de la ligne hiérarchique paramédicale et l’éviction des médecins de l’organisation des soins. Tout problème d’effectif peut dès lors être transformé en problème d’organisation, imputé au cadre de santé sommé d’adapter les organisation à des enveloppes fixées sans aucun garde-fous par dérégulation des conditions techniques de fonctionnement.


    La professionnalisation des cadres infirmiers : l’effet de l’action publique en France et en Grande-Bretagne. Isabelle Feroni et Anémone Kober-Smith. Revue française de sociologie 2005/3 (Vol. 46)

    LES CADRES DE SANTÉ FACE À LA LOGIQUE MANAGÉRIALE Sophie Divay et Charles adea E.N.A. –  Revue française d’administration publique 2008/4 – n° 128 pages 677 à 687
    Schweyer François-Xavier, « Santé, contrat social et marché : la fonction publique hospitalière en réformes », Revue française d’administration publique, 2009/4 n° 132, p. 727-744.
    Domin Jean-Paul, « La nouvelle gouvernance sauvera-t-elle les hôpitaux publics ? », Mouvements, 2004/2 n° 32, p. 55-59

    Quand la performance pilote le management … Les effets du tournant gestionnaire sur le management de proximité dans une clinique Anouk Grevin LEMNA, Université de Nantes Polytech Nantes, Rue Christian Pauc, BP 50609, 44306 Nantes cedex 3 Tel : 02 51 85 74 37 anouk.grevin.at.univ-nantes.fr

    Résumé: http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=JGEM_127_0469

    Si le terme de management est fréquemment associé aux transformations du secteur de la santé, c’est le plus souvent en référence au « tournant gestionnaire » qui traverse bien des secteurs aujourd’hui et notamment celui des établissements de santé. L’activité managériale à proprement parler participe cependant, elle aussi, de ces mutations. Nous proposons d’analyser l’impact du tournant gestionnaire sur l’activité de management des cadres de santé. Après avoir mis en évidence dans la littérature l’impact du tournant gestionnaire sur les établissements de santé et sur le travail des acteurs, nous nous appuierons sur une étude de cas réalisée dans une clinique privée, pour comprendre la manière dont les exigences de performance affectent le rôle du management et son activité concrète. Nous verrons combien le souci de la performance et l’alimentation de ses batteries d’indicateurs conduit progressivement à absorber les managers dans un interminable travail de gestion, dans un « macromanagement » (Mintzberg, 2011) à distance, et par conséquent à délaisser le management du travail, au moment précisément ou celui-ci devient le plus nécessaire.

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    Publié dans Action publique, loi HPST, Nouvelle Gestion Publique, Parcours de soins, performance | Commentaires fermés sur Le contrôle de gestion des ressources humaines: perte de sens et pertes de chances à l’hopital

    Coup de froid polaire sur l’hôpital: Mintzberg versus Porter?


    Mintzberg contre Porter: professionnalisme vs value-based competition


    « On ne peut résoudre les problèmes en utilisant les mêmes modes de pensée que ceux qu’on a utilisé pour les créer. » Albert Einstein

    « Entre l’opinion et la connaissance scientifique on peut reconnaître l’existence d’un niveau particulier qu’on propose d’appeler celui du savoir (…); il comporte (…) des règles qui lui appartiennent en propre. » Michel Foucault


    « Tout a ou bien un prix, ou bien une dignité. On peut remplacer ce qui a un prix par son équivalent; en revanche ce qui n’a pas de prix, et donc pas d’équivalent, c’est ce qui possède une dignité. » Kant fondements de la métaphysique des mœurs 1785

    Les documents

    Pôles hospitaliers : réforme pertinente mais inaboutie, selon les Conférences 
    Un article de Delphine Chardon dans le « Quotidien du médecin ». La dé-professionnalisation galopante et la fracture sociale opérée par le management des hôpitaux y est ainsi résumée:
    « Les PH hostiles aux pôles, les Conférences veulent leur généralisation. »

    Bilan et évaluation du fonctionnement des pôles dans les établissements de santé, conférences hospitalières, mars 2014

    Sondage adressé à tous les praticiens hospitaliers (tous statuts) à l’initiative des intersyndicales afin de produire une évaluation des pôles par les acteurs de terrain.

    Le commentaire

    L’immobilisme en marche: la loi HPST fige la glaciation polaire

    Après l’absence de réforme substantielle de la loi HPST, les promesses n’engageant que ceux qui les écoutent, voici que la politique de l’autruche s’étend au bilan de l’organisation en pôles de l’hôpital. Ceux qui ont voulu les pôles ou en ont bénéficié ne sont pas prêts à leur juste réforme, en dépit des résultats très sévères de l’enquête des intersyndicales de PH. Celle-ci ne fait que refléter une fois de plus le « grand désenchantement hospitalier ». Voici que la nouvelle technocratie sanitaire reconfigure les coalitions hégémoniques. La France reproduit son vieux système de « logique de l’honneur »: les nouveaux « clercs » du modèle de la santé publique sont issus des sciences sociales alors que les sciences médicales sont sommées de dévoyer l’EBM en support légitime d’une ré-ingénierie industrielle des soins. Les nouveaux « chevaliers », dont on dresse le portrait en capitaines d’industrie, sont les chefs de pôle, les présidents de CME, les directeurs des établissements et les nouveaux « préfets » des agences régionales (DGARS). Ils se partageront la tâche d’inciter les nouveaux « paysans », homo economicus sanitatis, « idiots rationnels » censés n’être à la poursuite que de leurs intérêts égoïstes. Devenus simples exécutants, ils sont privés de toute autonomie de décision par un modèle où toute conception des finalités et des processus soins ne peut émaner que de l’Etat, de ses agences et de ses ingénieurs. Triomphe du scientisme jacobin et de la république de Platon.
    En vérité les pôles sont construit sur un modèle bien classique d’organisation divisionnelle de l’entreprise, centrée sur la standardisation des résultats (Henry Mintzberg, « Structure et dynamique des organisations »). Ces résultats de la production hospitalière modélisés par Fetter et al. sont perçus comme insignifiants au regard des finalités réelles de l’hôpital, celles des acteurs qui portent ses compétences clés. Ils ne sont pas définis par ce que les acteurs du soin y font réellement, mais par une normalisation comptable fondée sur la religion de la direction par objectifs. Celui-ci est d’origine américaine et non soviétique même si l’étatisme l’y a fortement mis en avant. Cette normalisation comptable reconstruit artificiellement par la « ré-ingénierie », les activités, les connaissances et les organisations. Plus le modèle de comptabilité par activités est éloigné de ce qui est signifiant pour les acteurs, plus il est contraint par un dirigisme assoiffé de cost killing « méso », lui-même sous pression du rationnement des soins « macro », plus il détruit rapidement les fondements micro-économiques des « organisations professionnelles » de Mintzberg. Celles-ci sont fondées sur les pratiques cliniques prudentielles et les noyaux de compétences « disciplinaires », certes jamais figées et toujours reconfigurées. Mais le nouveau management public ne sait plus organiser des unités dont Mintzberg a bien montré qu’elles s’étaient à la fois construites par « fonction » et par « marché » pour optimiser les solutions à des problèmes complexes, non gérables par une standardisation de procédures (exemple d’un service de cardiologie qui réunit les compétences en cardiologie et reçoit les malades requérant des soins complexes pour des affections cardiaques). 
    La gestion axée sur les résultats, bureaucratico-mécanique et simpliste, qui en découle achève la destruction du sens pour les acteurs.

    Le but d’un tel management n’est pas l’expansion de l’entreprise pour répondre à des besoins, autrement dit un « marché », mais sa réduction à un filet de sécurité minimaliste.

    La fin des services? Dé-différenciation et désintégration

    Le « service », différencié sur la base des processus clé et des besoins, est nécessairement associé à des mécanismes d’intégration et de liaison complémentaires que suppose toute organisation complexe (Lawrence et Lorsch). Il est donc absurde que l’on continue à le dé-différencier par la ré-ingénierie « à portée de caniches » qu’apporte aux semi-habiles l’actuel modèle comptable. La dé-différenciation qui détruit les compétences a été promue par une idéologie bien systématisée au nom de la lutte contre le « patrimonialisme » des chefs de service (Robert Holcman), si bien qu’on a jeté le bébé des compétences des collectifs professionnels avec l’eau du bain des mandarins à l’ancienne (« mes murs, mes infirmières, mes lits »). Erreur funeste de la technocratie quantophrénique, car le service reste et restera le lieu de contact des équipes au « service du public où se construisent réellement les « méthodes », c’est à dire les vérités les plus précieuses. Ce sont les méthodes clés ou « processus clés », à 80% implicites dans les organisation complexes, qui déterminent le mystère de la performance issue de la trilogie activités / connaissances / organisation (Hamel & Prahalad: « The core competence of the corporation« ).
    Les pôles des plus grands trusts hospitaliers, constitués pour optimiser la résistance aux effets concurrentiels de la T2A, cumulent les défauts suivants, ce qui y rend les acteurs, encore plus désenchantés face à la construction managériale de l’insignifiance institutionnelle qui les accable:

    • Absence de délégation réelle de gestion en particulier pour les ressources humaines ce qui enlève aux pôles tout le sens d’une gestion autonome
    • Épaississement extravagant de la pyramide hiérarchique, qui empêche le système de s’écouter, et accroît la toute puissance du nouveau directeur-tyranneau, la sous information et la sous participation des acteurs aux processus de décision, paramédicaux ou médicaux même responsables de « structures internes », universitaires ou non.
    • Gigantisme et assemblage PIM PAM POUM, là où il semble que dans certains hôpitaux une logique médicale compatible avec la logique des services soit préservée, à condition d’éviter les gigantopôles ubuesques et ingérables dépassant largement 300 agents et souvent multi-sites.
    Un des maux fondamentaux du modèle, c’est d’ôter, au nom du veau d’or toujours debout et bien droit dans ses bottes de la comptabilité de santé publique éclairée par les NTIC, toute responsabilité et toute légitimité d’évaluation des besoins de soins aux acteurs de l’hôpital pour les transférer aux très chères agences.

    Les raisons de la casse: la lutte contre le « patrimonialisme » ou le rationnement des soins?

    Pourquoi était-il si urgent de « casser » les services? A l’évidence pour créer une ligne décisionnelle parallèle qui pourrait, en affaiblissant la résistance médicale supprimer plus aisément les postes paramédicaux. Les Directions de soins infirmiers médico-techniques et de rééducation (DSIRMT) n’ont pas eu le choix. Elles sont dès lors contraintes de justifier ces suppressions par leur rôle d’optimisation des organisations paramédicales. Leur expertise organisationnelle paramédicale des soins est utilisée par le contrôle de gestion et la DRH pour agir sur la principale masse budgétaire réductible: celle du personnel paramédical. Leurs compétences sont instrumentalisées comme levier d’économies pour la révision des organisations paramédicales des unités cliniques, ce qui incite pour éviter les conflits à une moindre concertation avec les chefs de service qui pourtant restent responsables de l’organisation technique. Les chefs de service, aujourd’hui responsables des « structures internes », sont face à des des injonctions  paradoxales. Ils doivent améliorer en permanence les recettes au nom d’un modèle d’efficience qui ne dit rien de la qualité, mais avec de moins en moins de d’autonomie au regard des moyens à mobiliser, avec du personnel non médical en diminution, une réduction des surfaces occupées ce qui permet d’économiser en termes RH et logistique. Le poids de la suppression du personnel administratif les oblige dans certains cas à assurer leur propre secrétariat et prise de rendez-vous. 
    Cette expertise organisationnelle des DSIRMT justifie la rationalisation des effectifs présents au lit du malade dans un modèle où elles sont des « ingénieurs de soins » voire des « parcours de soins ». Le rôle que leur assigne le nouveau management de l’hôpital est de transformer tout demande d’effectif en problème d’organisation. Alors que les effectifs quotidiens sont déjà au seuil minimal de fonctionnement, lorsque de nombreux arrêts se produisent le pôle est seul responsable face au contrôle de gestion et à la DRH, le recours à l’intérim ou aux CDD de remplacement sera autorisé ou non. En l’absence de ces remplacements, toute fermeture est imputée à une mauvaise gestion du pôle tandis que ne pas fermer de lits contraint à prendre le risque d’une production sans garde-fou au regard de la qualité et de la sécurité des soins. Nous voyons ici s’ébaucher un cercle vicieux d’épuisement et d’insatisfaction des personnels aux travail, source de démotivation et de nombreux départs. Certains viendront diminuer les tableaux des emplois rémunérés et justifieront si la production n’a pas faibli la suppression d’effectifs considérés alors comme inutiles et contre-efficients. La qualité des soins et leur sécurité s’érodent ainsi de manière insidieuse et progressive. Ce cercle vicieux aboutit à fermer « temporairement » des lits sans considération pour les besoins réels de soins des territoires desservis. Plus le temps passe et plus leur réouverture sera difficile.

    Dans le cadre des moyens de remplacement, le « service » est obligé de prioriser les métiers d’infirmiers (IDE) et d’aides soignants (AS) face aux autres personnels de soins dont les professionnels rares à l’hôpital (rééducateurs, psychologues assistantes sociales,…)  pour assurer les prestations que l’unité doit fournir. Nous avons déjà souvent évoqué dans ce blog les mécanismes de production administrative du handicap engendrés par l’industrialisation vicieuse de la mission de l’hôpital public. Aujourd’hui le service ne peut plus organiser son fonctionnement technique selon les besoins propres à l’exercice de sa discipline. L’unité de soins dont dépend la vie de malades, est un navire sans pilote, il n’y a plus de maître à bord, ni de la qualité ni de la sécurité de la prise en charge des patients qu’elle sert. En fonction des intérêts des interlocuteurs, le niveau de la décision oscille entre l’unité clinique, le pôle, le Groupe Hospitalier, l’agence régionale, exposant toute tentative de management stratégique à une série de pièges cognitifs dans lesquels il est quasi impossible de ne pas tomber. Doté de l’autonomie nécessaire dans le cadre d’une délégation appropriée, incluant les aspects organisationnels, financiers et humains, il le ferait de manière plus efficiente en pouvant conserver une équipe stable, formée et motivée.

    Il faut rappeler que les tableaux prévisionnels des emplois rémunérés (TPER), se sont trop souvent créés au management by decibels ou au management by lobbying, validant pour certaines unités un existant devenu intangible quoique excédentaire au regard des besoins, en laissant ainsi d’autres unités dramatiquement démunies. Quelque années plus tard les contraintes budgétaires ont mis au bord de l’inanition les plus maigres alors que les plus gros n’en étaient qu’à la première phase du régime.
    C’est le modèle de la fonction de production de l’action publique, clé du NMP, qui est à revoir: changer de logiciel ou de système d’exploitation des « rameurs » de la santé numérique?

    La dé-professionnalisation de la santé en détruit ses cœurs de métiers. Mais que veut-elle « produire » au juste, des gains financiers pour les shareholders  ou de la valeur pour les parties prenantes?

    Webographie: différenciation et intégration dans le système de soins

    5. Michaël Porter et la value-based competition – Redefining Healthcare Porter et Teisberg

    • Diagnosis and Solutions
    • Identifying the Root Causes
      – 
      « Zero-sum competition in health care is manifested in a number of ways, none of which creates value for patients:
      – Competition to shift costs
      – Competition to increase bargaining power
      – Competition to capture patients and restrict choice
      – Competition to reduce costs by restricting services »

    Stratégie extérieur intérieur ou intérieur extérieur

    Portefeuille de compétences ou portefeuille de produits?

    Source : Hamel et Pralahad, Les grands groupes ne connaissent pas leur métier, Harvard-Expansion, Hiver 1990-1991.

    L’analogie de l’arbre

    « Dans l’omette au lard, la poule est concernée et le cochon est impliqué. »

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    Machiavel régulateur – Quand les politiques publiques de santé se convertissent au gouvernement des "idiots rationnels".

    Salut, heureux imputables,

    Voici pour les amateurs un essai de synthèse graphique entre analyse de la division médicale et plus largement des professionnels, pensée d’André Grimaldi et une touche personnelle d’ubulogie clinique.
    « Machiavel régulateur » a avant tout pour objectif d’aider les politiques publiques à mettre en oeuvre le rationnement masqué des soins de santé tout en continuant à faire croire à l’extension de l’Etat providence. Trois méthodes complémentaires sont utilisées:
    1. la fermeture des enveloppes (Ondam) par les « experts »,
    2. l’hyper-rationalisation technocratique qui peut utiliser des incitatifs divers dont les « leurres marchands » pour mieux sidérer les acteurs au niveau micro-économique,
    3. enfin la vente par appartements de l’offre de soins et des assurances-maladie au marché, au risque d’accroître démesurément le reste à charge et les inégalités de santé. 
    La rhétorique officielle, qui se qualifie de « réformatrice », déploie la propagande et sa novlangue à destination des boucs émissaires, habilement divisés et dressés les uns contre les autres, que sont les usagers, les professionnels, les managers et les élus locaux. Le problème? Les élus promettent plus qu’ils ne peuvent tenir et veulent être réélus, à l’aide de Machiavel. 
    Mais ne nous y trompons pas, le paradigme hégémonique de la « fonction de production » n’est pas celui de l’entreprise à but lucratif, il est devenu, grâce aux NTIC et aux sciences sociales, celui de l’action publique. Les libéraux et les républicains devraient en tirer la leçon pour sortir de leurs querelles de fous. Roland Gori l’explique assez bien dans « la Fabrique des imposteurs » au Chapitre III: Raisons et logiques de la bureaucratie d’expertise.

     » Nous nous trouvons devant une prolétarisation généralisée de l’existence dont les signes les plus patents sont les procédures de normalisation matérielles et symboliques des pratiques professionnelles […] Technicisation, quantification, fragmentation, rationalisation, formalisation numérique, normes gestionnaires agissent alors de concert dans cette prolétarisation des savoirs et des métiers et assurent une hégémonie culturelle nécessaire au pouvoir. […] »

    « Il s’agit de faire du « vrai médecin » une « denrée rare » qui doit apporter une valeur ajoutée aux autres soignants auxquels il aura délégué ses compétences incorporées dans des protocoles standardisés. Chacun des professionnels censés remplacer le médecin dispose d’une liste de questions à poser, d’actes à accomplir en suivant le « protocole ». […] Cette rationalité technique est le caractère coercitif de la société aliénée. « 

    (2) Roland Gori – La fabrique des imposteurs – Les Liens qui Libèrent – Pages 134-135
    Source: http://alternative21.blog.lemonde.fr/2013/05/21/hopital-haute-technicite-peu-dhumanite/

    Nous représentons ci-dessous comment l’hyper-rationalisation technocratique  favorise la division et la dé-professionnalisation de la médecine hospitalière et pourquoi il lui est difficile de résister

    « Dans la réalité, la différence des talents naturels entre les individus est bien moindre que nous ne le croyons, et les aptitudes si différentes qui sem­blent distinguer les hommes de diverses professions quand ils sont parvenus à la maturité de l’âge, ne sont pas tant la cause que l’effet de la division du travail, en beaucoup de circonstan­ces. La différence entre les hommes adon­nés aux professions les plus opposées, entre un philosophe, par exemple, et un portefaix, semble provenir beaucoup moins de la nature que de l’habitude et de l’éducation. » Adam Smith (note: Marx a un peu développé cette idée par la suite…)

    La loi HPST, où triomphent les modèles de la bureaucratie d’expertise et du « tout incitatif  » peut être représentée ainsi:

    Images intégrées 1

    Quand les politiques publiques de santé se convertissent au gouvernement des « idiots rationnels »


    « Nous n’attendons pas notre guérison de la bienveillance du médecin, de l’infirmière ou du directeur de l’hôpital, mais de ce que ceux-ci considèrent leur propre intérêt. Ce n’est pas à leur humanité que nous nous adressons, mais à leur égoïsme; nous ne leur parlons jamais de nos propres besoins mais de leur avantage.» Adapté d’Adam Smith (« guérison » remplace « dîner », « médecin » remplace « boucher », « infirmière » remplace « brasseur », « directeur » remplace « boulanger »)

    Étendons cette théorie de la main invisible au « marché politique »

    « Les agents de l’Etat ont pour but principal de satisfaire leur utilité, c’est à dire de servir leurs intérêts personnels dans le cadre de certaines limites institutionnelles et ensuite seulement se préoccupe de la politique que l’opinion attend d’eux.» Gordon Tullock « Le marché politique: analyse économique des processus politiques»

    Bref, comme dirait Montaigne, nous sommes au rouet.

    Esculape vous tienne en joie.

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    L’art d’ignorer les besoins de soins ou le blues de l’idiot rationnel

    Jean-Pascal Devailly, praticien réflexif et qui entend le rester.
    « Tous les systèmes sont vrais dans ce qu’ils affirment ; il ne sont faux que dans ce qu’ils nient. » Leibnitz
    «L’homme purement économique est à vrai dire un vrai demeuré social. La théorie économique s’est beaucoup occupée de cet idiot rationnel, drapé dans la gloire de son classement unique et multifonctionnel de préférences. » Amartya Sen

    Voici que le site COMPAQ-HPST affiche fièrement son projet de « paiement à la qualité ». Sommes nous résignés à nous déprendre de notre autonomie de jugement clinique et du sens de notre action pour entrer ainsi dans l’ère des motivations par la carotte et le bâton selon Bertrand Kiefer (« difficile motivation »)?
    Le premier sentiment qui nous envahit est qu’on nous prend encore une fois, nous autres médecins, pour des imbéciles ou des boucs émissaires. Bouc émissaires oui, nous ne sommes pas les seuls, mais « imbéciles », ce n’est pas exactement cela. La querelle de fous qu’évoque Marcel Gauchet entre « libéraux » et « républicains » fait hésiter les politiques publiques de santé entre deux théories de la motivation: celle de « l’idiot rationnel » calculateur et égoïste dont les vices privés bien « incités » produiraient les vertus publiques et d’autre part le crétin paresseux et démotivé bon à « contrôler » de la théorie « X » de Mc Gregor. Incitation ou contrôle? Reste néanmoins à explorer en santé la théorie « Y », l’état d’esprit au travail en synergie avec les compétences comme clé de la performance.
    Plutôt que de tenter une nouvelle « généalogie de l’amoral », déjà largement écrite par les médecins, sociologues économistes et théoriciens des organisations, plutôt que de reprendre la critique des mauvais indicateurs bien résumée par Dominique Dupagne sur son blog, sortons un moment de France pour mieux y revenir avec quelques articles médico-économiques pour y chercher veulent masquer ces fumigènes des semi-habiles de la « qualité d’en haut ». C’est bien entendu le fait que les « incitatifs » incitent à tout, sauf à la qualité des soins, surtout lorsqu’ils ont avant tout été conçus pour les rationner. Le fee-for-service et les paiements prospectifs séquentiels sont accusés d’effets pervers, mais les paiements au parcours (bundling) n’ont pas fait leurs preuves (1). Certains économistes prédisent tout autant d’effets pervers de ces « paiements au parcours », avec de nouvelles rentes informationnelles, de nouvelles formes d’intégration verticale, de nouveaux business models s’y adaptant avec des coûts de transaction / contrôle potentiellement démesurés. Au sein des technocraties pseudo-marchandes qui s’installent un peu partout avec le New Public Management, le secteur des soins post-aigu, au carrefour des soins et du social, est dans tous les pays où il a explosé du fait de la pression croissante sur les lits aigus, un des plus fidèles indicateurs de la gidouille induite par la mauvaise gestion des parcours de soins. Il témoigne parfaitement des effets pervers et anti-coopératifs de mécanismes incitatifs pervers, à rebours de ce que serait une logique « centrée patient », c’est à dire centrée sur l’objectif final au terme d’un « épisode de soin » véritablement signifiant pour le patient proactif et la chaîne de professionnels qui le servent (2,3,4).
    La T2A à la française n’est pas un vrai marché mais une clé de répartition à l’activité d’une enveloppe fermée, perpétuellement perturbée par des logiques de régulation régionale et d’intégration verticale (Pouvourville). Cela donne à nos politiques publiques de santé un talent d’incompétence tout particulier par la synergie négative à nulle autre pareille entre défaillances du marché et de la bureaucratie. Le paiement prospectif par « cas », notre « T2A » qu’il faut traduire en anglais par prospective payment system, n’est qu’une forme particulière du fee-for-service. Les médecins hospitaliers, les autres soignants, les directeurs, « profession de l’Etat-providence » devenant Etat-prédateur par ses programmes d’ajustement, sont soumis à une logique de valeur ajoutée à laquelle ils prétendaient échapper. Mais cette valeur est pour eux dépourvue de sens. Ils n’y reconnaissent pas leur propre vision de la qualité, centrée sur l’outcome pour le patient, non sur l’output myope de sortie de système, ni seulement « l’impact » économique et social inféré par les experts des politiques publiques, même si tout médecin doit le prendre en considération. Je renvoie ici à la définition de la qualité de l’IOM*. C’est la rhétorique managériale qui met sans cesse en avant le mythe du marché efficient, un discours obligé mais déconnecté des croyances réelles des décideurs comme l’a souligné James K. Galbraith (« l’Etat prédateur »). la T2A n’est donc en réalité qu’un modèle comptable d’allocation de ressource à l’activité, qui a bien un effet restructurant sur les activités et sur leur conception même, et qui entraîne nécessairement des comportements de concurrence de tous contre tous (une « guerre hobbesienne » dit Frédéric Pierru). Le modèle sous-jacent n’est pas la yardstick competition voulue par les croyants du marché efficient mais l’activity based costing (ABC) ou l’activity based management (ABM) porté par la révolution numérique. A l’usage, ces systèmes incitent avant tout les acteurs à ne pas coopérer dans l’intérêt du patient, bien loin de ce que prédisait l’économie orthodoxe. Comment faire pour ne pas sombrer dans une nouvelle erreur issue d’un nouveau modèle?
    En fait, il y a aujourd’hui dans chaque région une « grande assistance publique régionale » (expression prophétique du rapport Couanau) mais il en a deux en Île-de-France!) chargée du rationnement le moins transparent qui soit, le mot étant tabou en France. Cette agence, selon la théorie éponyme, transforme non seulement chaque hôpital mais encore le système de soins régional en « arène politique », la forme la plus inefficace de l’organisation selon Mintzberg. La communauté médico-soignante se dissout en guerre de tous contre tous pour survivre à la T2A et attraper le premier la queue du Mickey des enveloppes complémentaires. La théorie de « l’idiot rationnel » qui résume l’économie mainstream selon Amartya Sen et qui sert de postulat idéologique à l’économie de la santé dominante, joue comme une machine infernale. C’est bien une prophétie auto-réalisatrice, on ne naît ni « marchand » ni « idiot utile » mais on le devient, c’est bien ce qui a dramatiquement disqualifié les disciplines médicales dans le triste exemple de la décomposition actuelle de l’AP-HP (disqualification des collégiales), comme dans celui de la domination actuelle du discours managérial intermédiaire par les fédérations hospitalières et conférences de présidents de CME au détriment de la place indispensable des logiques des connaissances disciplinaires dans l’organisation, que le nouveau management peut aujourd’hui balayer sans aucun scrupule. En ignorant les « pratiques prudentielles » (Champy) ou « réflexives » (Schön) du fait d’une conception erronée des « résultats » et donc de sa performance, la nouvelle organisation des soins ignore au moins 80% de ses processus réels, et plus grave détruit ses processus et ses compétences clés (Hamel et Prahalad).
    Comme on se rend bien compte qu’on ne peut plus, malgré les appareils idéologiques de santé, masquer aux gens que cette ré-ingénierie des activités selon les coûts et non selon les résultats cliniques s’avère ubuesque, il faut développer une théorie des incitations non plus seulement au « profit » à l’activité, profit qui est en en fait, pour un directeur ou un chef de pôle salarié, la survie de l’activité l’expansion ou la gloire, mais aussi aujourd’hui au profit à la « qualité » (pay for performance).
    La sophistique de rationnement n’a cessé de dresser le portrait du petit praticien de santé du malade, du directeur et même de l’élu local en idiots rationnels, et juste « bon à inciter » par des motivations extrinsèques conçues par les bureaux des méthodes et la bonne vieille organisation scientifique du travail. Le praticien n’étant plus considéré comme « réflexif », n’a plus officiellement aucune responsabilité managériale d’organisation des soins et des équipes de soins au contact du public, ni aucun discours légitime sur la réponse aux besoins de soins territoriaux, voilà bien le cœur idéologique de la guerre technocratique contre les « services », il ne lui restera sans doute que le bon vieux « paiement à la pièce ».
    Le paiement à la fausse qualité, sans indicateur ni de structure, ni de résultat sans lesquels on ne peut parler de performance, ni même de « processus clé », n’est que le complément indispensable à l’enfumage vantant les fausses vertus d’un paiement à l’activité mal conçu, coûteux et engraissant les nouveaux marchés de l’exégèse, du conseil et du trafic de données hors de prix ou très difficilement accessibles, mal régulé et trop souvent mal analysé tant par ses partisans que par ses détracteurs.
    L’article sur le Québec de Marc Renaud (5) montre que l’action publique n’a pas besoin de la « pensée de marché » pour construire une bureaucratie sanitaire, mais qu’on en a un besoin idéologique pressant dès qu’on veut rationaliser le rationnement.
    Pour conclure, rappelons aux pompiers pyromanes que le Diable est autant dans les cloisons que dans les détails. Soulignons avec Jean-Pierre Escaffre (6) et Didier Castiel qu’on ne pourra envisager d’organiser de véritables parcours « centrés patients » que lorsqu’on acceptera de les construire à partir des déterminants réels de l’hospitalisation, fondant un modèle renouvelé de la fonction de production de l’hôpital. Le modèle fetterien de « l’usine à soins » ou « machine à guérir » remonte aux années soixante et il a vécu. Il ne faut pas confondre « centré patient » et « orienté client » (Bertrand Kiefer) ni confondre filière centrée patient et filière industrielle inversée (John K. Galbraith). Loin de l’actuel bed management en flux poussé depuis l’aigu , loin de la délétère tentation de transformer les Soins de Suite et de Réadaptation, le secteur post-aigu hospitalier français, en unités tampons (buffer management) pour y déstocker des malades devenus les vecteurs encombrants après production des « groupes homogènes de malades », ces produit hospitaliers dont ils ont été l’intrant, loin de la pathétique gestion des malades qu’on nomme « bed blockers » dans certaines régions comme l’Île-de-France qui du fait de leur équation particulière sont frappées de quasi-cécité socio-sanitaire, nous pouvons affirmer avec force que la juste articulation entre prévention, traitement de la maladie, réadaptation et inclusion sociale ne fera pas l’économie d’un changement de paradigme.
    « L’initiative de décider ce qui devra être produit n’appartient pas au consommateur souverain […] les ordres ne vont pas seulement du consommateur au producteur ; ils vont aussi du producteur au consommateur conformément aux besoins de la technostructure. C’est ce que nous appelons la filière inversée. » J.-K. Galbraith, Le Nouvel État industriel.


    « Les libéraux formulent une critique juste en disant que les agents se sont appropriés les services publics aux dépens des citoyens. Ils en tirent une conclusion hâtive en prônant leur liquidation. De l’autre côté, les « républicains », au nom d’une défense juste du principe du service public, justifient tous les abus. Pour avancer, il faut sortir de ces querelles de fous. S’agissant de l’éducation, c’est la même chose, le blocage intellectuel est complet. » Marcel Gauchet, in Le Point, 17/08/06

    1. US Approaches to Physician Payment: The Deconstruction of Primary Care Robert A. Berenson, MD1 and Eugene C. Rich, MD The Urban Institute, Washington, DC, USA; 2 Creighton University, Omaha, NE, USA; 3 Mathematica Policy Research, Washington, DC, USA.


    2. Perspective Post-Acute Care Reform — Beyond the ACA D. Clay Ackerly, M.D., and David C. Grabowski, Ph.D. N Engl J Med 2014; 370:689-691 February 20


    3. Medicare’s Post-Acute Care Payment: A Review of the Issues and Policy Proposals. December 7, 2012


    4. Modèle de détermination du coût de revient des usagers référés dans une programme de réadaptation en déficiences physiques. Michèle Coulmont Chantal Roy, Patrick Fougeyrollas (Université de sherbrooke et Laval)

    5. Marc RENAUD Sociologue, département de sociologie, Université de Montréal (1995) “Les réformes québécoises de la santé ou les aventures d’un État «narcissique»”
    A lire absolument!

    6. Escaffre Jean-Pierre. Analyse de clientèle à l’hôpital public : la sociabilité est-elle un facteur essentiel de l’hospitalisation ?. In: Politiques et management public, vol. 12 n° 3, 1994. pp. 37-63.

    Counter-evidence based policy

    Projet de paiement à la qualité – COMPAQ-HPST
    http://www.compaqhpst.fr/fr/paiement-a-la-qualite

    La sophistique du rationnement aux USA
    Blumenthal D et al. Health care spending- a giant slain or sleeping ? N Engl J Med 2013; 26:2551-7

    Pour aller plus loin dans le dé-niaisement organisationnel

    Les paradoxes des démarches qualité dans les hôpitaux publics: modélisation de formes d’ancrage rivales (Daniel Lozeau) – Lire Lozeau mais aussi Magali Robelet
    …………………………………………………………………….

    *Crossing the quality chiasm: the IOM Healthcare Quality Initiative
    The Institute of Medicine has defined quality as « the degree to which health services for individuals and populations increase the likelihood of desired health outcomes and are consistent with current professional knowledge. »
    Qu’on peut traduire par: « la mesure dans laquelle les services de santé pour les individus et les populations augmentent la probabilité des résultats souhaités en santé et sont conformes aux connaissance professionnelles actuelles ». Point important: le modèle de l’IOM ne fait pas entrer de considérations d’efficience dans la définition de la qualité, l’efficience étant une autre dimension, distincte, de la mesure de la « performance ».

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    Publié dans Action publique, économie de la santé, gouvernance, loi HPST, Nouvelle Gestion Publique, Qualité des soins, Réadaptation | Commentaires fermés sur L’art d’ignorer les besoins de soins ou le blues de l’idiot rationnel

    La T2A: rationalité marchande ou rationalité managériale?

    « Les réformes managériales dans le secteur de la santé ont en elles deux potentialités qui correspondent aux deux grandes interprétations qui en ont été faits jusqu’à présent: la maîtrise des dépenses et l’optimisation de la production des soins d’un coté, la réduction de la couverture sociale de l’autre. » 
    Nicolas Belorgey – L’hôpital sous pression: enquête sur le Nouveau Management Public


    «…le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d’Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l’Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique.» Frédéric Pierru


    « L’alliance entre des entreprises qui pensent avoir le droit moral de faire ce qu’elles veulent et une théorie économique qui les conforte en érigeant en dogme le mythe du marché efficient nous a conduits à la catastrophe » Henry Mintzberg 


    « L’opposition entre le libéralisme et l’étatisme qui occupe tant les essayistes, ne résiste pas une seconde à l’observation. » Pierre Bourdieu

    Je suis partagé entre d’une part la critique des effets profondément délétères des « leurres marchands » introduits par la T2A, critique dans laquelle excelle André Grimaldi notamment dans son dernier texte cosigné avec Bernard Granger, Anne Gervais et Nathalie de Castro en réaction à des propos de Gérard Vincent sur les effets vertueux de la T2A, et d’autre part l’opinion que je partage avec la FHF qu’il faut rapidement une part de financement à l’activité en SSR dont la dotation globale tue l’activité à très grande vitesse.
    C’est que la T2A est l’objet d’instrumentations, d’interprétations et de fantasmes multiples, macro, méso ou micro-économiques ou systémiques.

    • Pour les uns c’est une sorte de paiement au mérite, une « carotte » incitative qui récompense les bons travailleurs, c’est ici une théorie des motivations au travail qui est mobilisée, en l’occurrence des motivations « extrinsèques ». Ceux-ci opposeraient même ses vertus à une loi HPST trop managérialiste et « soviétique ». Vieille théorie X de Mc Gregor à laquelle il oppose la théorie Y.
    • D’autres la considère comme un outil de transparence qui protège l’activité, c’est ici une volonté de défense contre l’opacité de la bureaucratie allocative et le lissage de coûts réels non captés.
    • Pour les autres c’est la vérité des coûts dans un bon management basé sur l’activité, avec une juste allocation des ressources, c’est une théorie de la rationalisation managériale qui est mobilisée
    • Pour d’autres c’est un outil d’optimisation de l’efficience et des restructurations par la concurrence, c’est une théorie micro-économique sur le comportement des acteurs (théorie de l’idiots rationnel, homo economicus de l’économie mainstream selon Amartya Sen »).
    • Pour d’autres c’est un paiement séquentiel entraînant une guerre de tous contre tous et incitant avant tout les acteurs à ne pas coopérer, à rebours de toute logique de parcours intégré. Cela conduit les pompiers pyromanes à superposer des « coordinations » toujours plus bureaucratiques.
    • Pour d’autres c’est une application à la santé de la gestion néo-libérale, c’est une théorie d’économie politique, voir un moyen de domination par les programmes d’ajustement structurels
    • Pour d’autres c’est un moyen de prise de pouvoir des managers sur les professionnels
    • Pour d’autres enfin, c ‘est une technique générale de rationnement fondée sur une direction par objectifs et la gestion axée sur les résultats (LOLF) qui maximise la fonction d’utilité des politiques.
    Dans les dernières interprétations il y a plutôt une continuité et une remarquable cohérence du rationnement et de la déconstruction de la solidarité nationale entre numerus clausus apparu dans les années soixante dix, loi de 1991, planification sanitaire, logiques des » contrats » (d’objectifs sans moyens garantis pour les centres de responsabilité), pseudo-marchés de la T2A, pôles d’activités et loi HPST, et l’intégration industrielle verticale opérée par la création des « grandes assistances publiques régionales » que sont les ARS.
    Un modèle de coûts sert à trois choses fort différentes, contrôler la gestion au niveau de centres de responsabilités, améliorer l’efficience d’allocation des ressources et enfin optimiser la prise des décisions. Chaque finalité impose un modèle différent, nous disent les experts.

    Mais quelle finalité donne-t-on à la T2A? Quel est aujourd’hui le niveau du centre de responsabilité pertinent? Quel niveau de gouvernance répartit les ressources? Lequel décide des créations et restructurations répondant aux besoins de soins?
    Au delà de l’idéologie, la T2A semble surtout être une clé de répartition budgétaire très mal ficelée et inutilement complexe d’une enveloppe contrainte. Elle aurait du avant tout être simple, en considérant qu’elle serait inéluctablement fausse, comme tout modèle de coûts couplé à une allocation budgétaire. Il aurait fallu ne pas l’introduire sous la forme de ce veau d’or managérial vénéré par la propagande officielle, afin de ne pas générer trop de coûts de transaction et lui permettre d’être mieux associée à de véritables mécanismes complémentaires ou hybrides.

    Il est clair que la T2A ne prend son sens ou ne produit tout ses contresens que par son mode d’intrication avec les autres piliers du Nouveau Management Public:

    • la planification rationnelle au stade de la conception des « besoins » et des « produits », dès lors dissociée de l’exécution
    • l’allocation basée sur l’activité, (au risque de construire les activités sur les modèles de coûts, qui dépendent des modèles de résultats et non sur les compétences clés de l’organisation)
    • la gestion des nouveaux exécutants, devenus techniciens de santé, par les résultats et la comparaison d’indicateurs dans le cadre d’une gouvernance industrielle / entrepreneuriale qui dirige d’en haut la ré-ingénierie des « compétences »,
    • enfin un contrôle de gestion à croissance exponentielle, fondé sur le numérique, qui prend le nom de qualité (rôle de la « certification » dans la théorie de l’agence pour pallier l’asymétrie d’information, en prenant l’exemple du marché des voitures d’occasion) et de gestion des risques.

    En se focalisant trop sur la T2A, l’affrontement récent MDHP vs FHF occulte peut-être l’essentiel de la « bureaucratisation du monde » sanitaire et de ses interprétations possibles.

    « Le pouvoir étatique n’est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu’il feint de l’émanciper des autorités qui font de l’ombre à la sienne.» Bertrand de Jouvenel – « Du pouvoir » 

    « La rhétorique managériale finit même par adopter des formulations à ce point vide de contenu qu’elles n’ont pas de contraire. Avoir l’ambition d’être un leader est engageant, mais qui souhaite adopter la posture du suiveur? Être le champion de l’excellence est sans doute motivant mais qui rêve d’être celui de la médiocité? Non seulement les mots mais aussi la parole perdent leur sens, générant chez ceux qui écoutent cynisme et désarroi. » François Dupuy « La fatigue des élites.


    « Tout ce qui est simple est faux, tout ce qui est compliqué est inutilisable. » Paul Valéry

    Webographie

    1. Gérard Vincent : « La tarification à l’activité a sauvé le service public en lui donnant un intérêt à agir » – voir aussi Rapport FHF sur la T2A
    2. Une réaction du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public aux propos de Gérard Vincent
    3. DREES: réforme du financement des hôpitaux quel impact sur leur niveau d’activités?
    4. Evaluation de la tarification des soins hospitaliers et des actes médicaux, IGF (avril 2012)
      « … la T2A et la CCAM tendent progressivement, et sous l’effet de corrections techniques répétées, à perdre leur logique médico-économique. (…)
      La T2A s’oriente vers une simple clé de répartition budgétaire de plus en plus éloignée de toutes références économiques. »
      « L’objectif d’efficience productive ne peut être rempli du fait de la mauvaise qualité du signal-prix. »
      En d’autres termes le rapport reproche à la T2A de ne pas avoir respecté le modèle américain de concurrence par comparaison (yardstick competition) dont il postule, sans aucune preuve, l’efficacité. Les auteurs du rapport proposent sans surprise de « revenir aux fondamentaux » des outils que sont la T2A et la CCAM.
    5. Position de la FHF sur le financement à l’activité des SSR
      « La FHF défend l’idée d’un changement à court terme du modèle de financement du SSR. Le système actuel, fondé sur la dotation annuelle de fonctionnement pour les établissements publics, pénalise le secteur des soins de suite et de réadaptation depuis trop longtemps. Il devient urgent de le faire évoluer. Le recours à un modèle de financement intégrant une part d’activité est indispensable mais la classification actuelle, décrivant les séjours, n’est pas assez robuste. »
    6. T2A ou financement à l’activité en SSR? Un habillage cosmétique selon le blog T2A Conseil
      – Ne dîtes plus T2A SSR mais réforme du financement en SSR !
      – La FHF demande la T2A SSR dès 2015
    7. La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, ou la managérialisation des sociétés industrielles au XXe siècle ? – (site de Thibaut Le Texier)

      A propos du livre « La bureaucratisation du monde à l’ère néo-libérale » de Béatrice Hibou. Paris. La Découverte, 2012,

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    Ubu, le grand désenchantement de la médecine et l’art d’ignorer la solidarité

    « Si les faits cadrent pas avec la théorie, changez les faits. » Albert Einstein
    Les réformes de la gouvernance rendent les hôpitaux de moins en moins attractifs. Les médecins, universitaires ou non, les autres professionnels de santé, fuient de plus en plus les hôpitaux publics. Si la rémunération joue un rôle, c’est essentiellement l’effroyable politique du numerus clausus et la démotivation au travail qui en sont la cause. L’article du blog de Dominique Dupagne, l’origine de la pénurie des médecins en France, fait le point sur la triste histoire du numerus clausus et le récent rapport Véran montre l’ampleur d’une désaffection qui se traduit par l’explosion du recours à l’Intérim, la seule solution qui reste aux directions pour préserver la continuité des soins. Le fantasme de la maîtrise des coûts par la réduction de l’offre médicale n’est pas abandonné, certains prétendant réduire les coûts par la « promotion de la santé » en faisant semblant d’ignorer que personne ne maîtrise les facteurs socio-environnementaux, par l’ingénierie de nouveaux métiers moins payés et enfin par le développement dérégulé de la ‘Patamédecine moins remboursée… faute de preuves, sauf par des complémentaires qui en font un produit d’appel. Quand à la baisse tendancielle du taux de motivation, elle est liée à l’empêchement croissant de faire ce qu’on sait bien faire, d’organiser ce qu’on sait bien organiser et à l’infantilisation managériale qui s’abat sur les soignants avec un mépris et une arrogance extravagants. Le mal est-il limité à l’hôpital? Que nenni! La médecine générale traverse une crise gravissime de motivation, de même que l’ensemble de la médecine libérale et de la médecine salariée.

    Voici un schéma général explicatif de
    l’effondrement de la qualité et de la motivation des soignants

    Le Nouveau Management Public feint de croire au marché efficient en santé pour mieux rationner les soins

    La cause est une modélisation systémique vicieuse, une représentation de la « fonction de production » de l’action publique appliquée aux soins de santé, inventée par Machiavel pour faire réélire les élus en période de raréfaction des ressources publiques. C’est avant tout un dispositif rhétorique, une « extension du domaine de la manipulation » (Michela Marzano)  qui repose sur la généralisation du management stratégique aux politique publiques. C’est la dissociation clé dans le Nouveau Management Public entre une prétendue « conception » des experts d’en haut et une « exécution » qui ne cesse de déresponsabiliser des acteurs qu’on prend pour des techniciens de santé alors qu’ils voient bien au quotidien qu’on répond de moins en moins aux besoins de soins réels. Il y a bien loin entre ce qu’ils constatent mais qui n’est plus audible, les directeurs renvoyant toute responsabilité d’évaluation des besoins à « l’agence » et les réponses officielles engluées dans un synergie négative entre fléchages politico-médiatiques sous influence de groupes d’intérêt et des pseudo-marchés fait de coûts mal ficelés et de résultats comptables myopes. Ces leurres marchands sont censés apporter l’efficience par la concurrence de tous contre tous. Si les effets pervers de la T2A sans garde-fous sont patents, les directions pouvant réduire les effectifs jusqu’à la limite des risque médico-légaux et supprimer sans limite des activités utiles non repérées comme telles par les agences, personne ne croit à ses effets attendus en terme d’efficience du marché au vu de l’interventionnisme bureaucratique et du pilotage par les tarifs qui lui est associé. Ces mauvaises synergies sont trop souvent le résultat des représentations technocratiques et numérisées construites sur des boucles auto-référentielles et des données inaccessibles aux acteurs qu’elles regardent.

    La destruction des compétences et des motivations fondamentales

    Loin d’identifier et de valoriser ses compétences fondamentales qui font la force compétitive des ses équipes, par leur savoirs collectifs, ce nouveau management se santé le plus bête du monde appliqué à « l’hôpital entreprise » ne sait que détruire les compétences clés et les motivations. La religion de « l’innovation disruptive » qu’on croit maîtriser a justifié la guerre à outrance déclarée aux équipes de soins, autrefois stables, formées et motivées mais jugées trop médicalisées. Les responsables d’unité n’ont pratiquement plus aucune autonomie budgétaire ni d’organisation. Il n’y a de moins en moins de cadres de proximité ou bien ils sont submergés par les réunions transversales et le reporting amplifiés par l’incontinence réglementaire. Plus de « cadre supérieurs », il n’y a plus que des « cadres experts » transversaux, de plus en plus coupés du monde médical. Ces unités opérationnelles expertes qui faisaient la force de nos hôpitaux ont été laminées par importation des méthodes industrielles appliquées aux entreprise mourantes, c’est à dire, non comme on l’a dit trop souvent, des méthodes qui marchent bien dans le privé mais bien de celles qui ne fonctionnent pas non plus dans le privé, le cost killing précédant souvent l’extinction. Henry Mintzberg (« managers, not MBA ») se désole qu’on continue à les enseigner aux nouveaux MBA partout dans le monde. François Dupuy les a décrites dans « Lost in management« , avec en particulier les 16 pages repérées par André Grimaldi sur la genèse des épouvantables groupes hospitaliers de l’AP-HP. On ne sait plus que détruire les motivations intrinsèques de médecins et autres soignants pour les remplacer par les incitations extrinsèques, la carotte et le bâton.

    Hôpitaux: la politique du chien crevé au fil de l’eau

    Après la mise en place de la politique catastrophique du numerus clausus, les politiques publiques de santé sont marquées par la continuité plus que par la rupture. Après le déploiement du modèle de planification rationnelle de 1991 et 1996, mis sous enveloppes fermées par la LOLF avec la norme de plus en plus dure de l’ONDAM, trois grandes réformes récentes de gouvernance des hôpitaux n’en finissent pas d’aggraver la baisse tendancielle du taux de motivation des médecins hospitaliers.

    1. la création des « grandes assistances publiques régionales » chargées d’évaluer les besoins et de planifier les réponses (un risque aujourd’hui avéré des ARS qui avait été formulé dans le rapport Couanau) , 
    2. celle des centres de coûts sans consistance médicale ni autonomie réelle que sont la plupart du temps les pôles d’activité à la française
    3. celle de la toute puissante chaîne bureaucratique descendante qui permet enfin la gestion top down par les objectifs et les résultats créée par la loi HPST. 
    Elle parachève l’asservissement des « cliniciens de base » à la logique managériale et à une médecine scientifique qui, obligée de reconfigurer son pouvoir, abandonne les idéaux de l’université pour servir de légitimation à la « mise en gestion » (Freidson, Pierru).
    On lira avec attention les résultats des baromètres et enquêtes relatives à ces réformes. Il faudra considérer avec attention les résultats à venir du baromètre AP-HP pour les personnels non médicaux.

    La carotte et le bâton

    Deux solutions éternelles s’affrontent selon qu’on croit que les médecins fonctionnent plutôt à la théorie X ou a théorie Y de Mc Gregor: renforcer encore et toujours la bureaucratisation sous prétexte d’un contrôle et d’un reporting encore insuffisants, en contraignant les médecins à travailler dans des déserts médicaux ou des hôpitaux qui détruisent chaque jour davantage leur état d’esprit au travail, ou bien renforcer l’attractivité d’hôpitaux et de territoires rendus plus « magnétiques » pour les professionnels de santé. Cela passe pour les médecins comme pour l’ensemble des professionnels par la reconnaissance au travail, l’autonomie professionnelle nécessaire à la vraie qualité des soins, pas la fausse qui ne sert actuellement qu’à maquer le rationnement des soins, et la participation effective aux processus de décision et donc d’information. On ne pourra évacuer la nécessité de réhabiliter la brique constitutive de la qualité et de l’organisation des soins, l »équipe opérationnelle au contact du public, ce « micro-système clinique » qu’il faut cesser de diviser et de décourager en laissant appliquer des méthodes de standardisation technocratiques totalement ubuesques. Cela ne veut pas dire que rien ne doit être standardisé et/ou optimisé, nul ne veut se faire le chantre de l’inefficience, mais qu’il faut associer les professionnels à la gestion et leur laisser l’autonomie pour faire ce qu’il savent faire, inventer ce qui peut être inventé, transmettre ce qui peut être transmis.
    Il n’y aura sans doute pas de grosse différence entre les baromètres internes de l’AP-HP et des baromètres externes. L’AP-HP ne fait qu’amplifier et anticiper l’incurie managériale et l’art d’ignorer l’assistance publique au profit d’un système à peine occulte de captation des ressources vers 4 ou 5 de ses hôpitaux. Il faut mettre en relation le baromètre social et l’enquête récente des intersyndicales de médecins des hôpitaux sur les pôles d’activités. Les résultats sont sans appel. La prétendue « démocratie sanitaire » s’est bien transformée en « démocrature sanitaire » par l’adjonction intempestive d’un nouvel adjectif manipulé par la propagande néo-managérialiste.
    Une mesure qui n’est pas encore devenu un indicateur officiel et qui n’est pas encore soumis à la loi de Goodhart, celle de l’intensité du recours à l’intérim, reflète sans doute assez bien l’épidémie de blues actuelle des médecins hospitaliers.

    Il est urgent de changer le logiciel. Après quarante ans d’érosion continue du système de soins, il y d’autres pistes pour la santé publique que ce rationnement numérisé, inégal et aveugle qui ne sait que déconstruire la solidarité, dégrader la qualité des soins et désespérer les acteurs (Grimaldi, Pierru, Sedel).

    Webographie et questionnaire d’évaluation

    Petite histoire du numerus clausus et de la régulation de la démographie médicale sur le site de Dominique Dupagne.

    2. Le rapport d’Olivier Véran sur l’intérim à l’hôpital (pièce jointe)

    L’article des Dr Blouses dans la revue du MAUSS – Qu’est devenu les grand désenchantement hospitalier10 ans après le rapport Couanau?

    4. Résultats de l’enquête commune des intersyndicales de médecins des hôpitaux sur les pôles d’activités

    5. Baromètre interne de l’AP-HP (site de la CME)

    Baromètre social (A. Solom, IPSOS, un diaporama est disponible sur le site de la CME sous ce lien).
    « Un tiers des médecins titulaires ont répondu au questionnaire diffusé le printemps dernier : ils aiment leur métier mais beaucoup éprouvent un sentiment de démotivation (manque de reconnaissance, difficultés d’organisation interne, imperfection des moyens à disposition) ; ils expriment un fort sentiment d’appartenance à l’AP-HP et à leur service, mais beaucoup moins aux pôles et aux GH, sur les projets desquels ils se sentent mal informés. Les résultats de cette enquête, qui a coûté 280 k€, ont été mis à la disposition des GH et des pôles pour que chacun puisse analyser ses résultats.

    6. Et ailleurs…, la Suisse et le Canada
    Le désenchantement croissant des médecins genevois

    Revue médicale suisse: difficile motivation – Bertrand Kiefer

    Le regard du cinéma québécois sur l’hyper-rationalisation technocratique de ses hôpitaux,avec le texte d’une scène culte des « invasions barbares ». Répondez pour terminer à ce questionnaire amusant qui ne sort pas de l’EHESP mais de l’Université de York:

    Voici le «monologue» de Pauline Joncas-Pelletier, directrice des hôpitaux alors que Rémy lui demande d’ouvrir un lit dans une aile fermée de l’hôpital, pour y admettre son père atteint d’un cancer.
    « C’est formidable! C’est une démarche qui s’inscrit tout à fait dans le contexte de nos programmes de sensibilisation des intervenants familiaux. Mais malheureusement, les mises en disponibilité de nos infrastructures ont été ciblées en fonction des directives du ministère dans le cadre du virage ambulatoire. Alors c’est absolument impossible de prioriser des éléments de solution au niveau du bénéficiaire individuel, hum? […]
    Écoutez : il faut que vous compreniez que nos allocations de ressources sont axées sur un mode de dispensation des soins, géré en fonction des paramètres de dépistages identifiés par la table de concertation de la région administrative 0-2 hum? »
    Répondre aux questions suivantes!

    1. Quel registre de langue Mme Joncas-Pelletier emploie-t-elle ?
    2. Dans quel but ce registre de langue est-il utilisé ?
    3. Soulignez les termes du jargon administratif que Madame Joncas-Pelletier a utilisés.
    4. De quel ministère s’agit-il ici ?
    5. Comment appelle-t-on le malade ? l’argent ? les administrateurs ?
    6. Qu’est-ce que le virage ambulatoire ?
    7. En somme, quelle est la réponse donnée au fils de Rémy ?

    « La politique c’est l’art d’empêcher les gens de s’occuper de ce qui les regarde. » Paul Valéry

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    La DGère de l’AP-HP victime de la grande gidouille hospitalière – La formule d’Ubu


    «Rien n’est plus semblable à l’identique que ce qui est pareil à la même chose.» Pierre Dac

    « Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. » Francis Blanche

    « Quand les parents ont un projet, les enfants ont un destin.»  Jean-Paul Sartre

    1. Position du problème et formule d’Ubu


    La directrice générale de l’AP-HP vient d’être débarquée et remplacée par Martin Hirsch. Pourtant, le président de la CME de l’AP-HP, le Pr. Loïc Capron, la vice-présidente Anne Gervais, le Pr. Bernard Granger, coanimateur du Mouvement de défense de l’hôpital public  et le Pr. Philippe Juvin considèrent avec beaucoup d’autres observateurs et avec des opinions variables sur la qualité de sa gestion, qu’elle joue ici le rôle du parfait bouc émissaire dans la triste affaire du projet de l’Hôtel-Dieu.
    Comment expliquer ce malaise profond qui traduit bien, quelles que soient les convictions et obédiences professionnelles, politiques ou syndicales de chacun, un désenchantement croissant de la communauté médico-soignante de l’AP-HP?
    Nous proposons ici une analyse ‘pataclinique à ce phénomène, que nous espérons à la fois suffisamment grotesque et sérieuse. Elle est composée de quelques variations énigmatiques sur le thème de la « gidouille », fondées sur un cadre conceptuel très robuste, dit formule d’UBU:

    Paradigme de la santé « Bien-être » 
    + Rationnement des soins 
    + Rationalisation industrielle des soins 
    + Mythe du marché efficient

    2. Genèse de la « pensée managériale de marché » ou la mise en gestion des soins « à portée des caniches ». 

    Histoire de faussaires: faux résultats, faux produits, faux processus, faux marché et fausses compétences… La faisabilité politique de l’ajustement des dépenses, entendre ici le rationnement des soins, a conduit l’action publique encadrée par la LOLF à se représenter partout les « résultats » de sa « fonction de production ». Ainsi en est-il de la T2A à la française qui a prétendu représenter la production des soins par des groupes homogènes de malades. Sa sophistication absurde jointe à l’absence de régulation de ses effets pervers ne pouvait conduire qu’au sacrifice progressif des compétences fondamentales de l’organisation soignante, au fétichisme des coûts des faux « produits » qu’on a inventé à la hâte à partir de simples outputs de sortie de système pour justifier un fonctionnement en pseudo-marché conforme à la doxa.
    Au commencement était l’élu.

    Et l’élu devait être réélu.

    Il devait réduire les dépenses de santé

    Alors l’élu créa le programme d’ajustement

    Du programme naquirent les objectifs

    Des objectifs naquirent les résultats cyclopes*

    Des résultats naquit le nouveau management

    Du management naquit la fonction de production

    Le produit fut nommé groupe homogène de malades

    Et les produits furent vendus aux assureurs

    Le management et les assureurs conçurent le pseudo-marché

    Le marché fut nommé besoins de santé

    Ainsi fut inventé le business model public

    Ses prêtres le baptisèrent modèle médico-économique

    Le marketing d’Etat se fit prédateur du savoir des Asclépiades

    Et l’élu le nomma démocratie sanitaire.

    C’est ainsi qu’advint la gidouille.

    *variante: indicateurs myopes

    3. Adaptation à toute configuration hospitalière: la genèse de la gidouille hospitalière


    Au commencement était le plan.

    Et puis vinrent les hypothèses.

    Et les hypothèses étaient sans forme.

    Et le plan était sans fondement.

    Et les ténèbres étaient sur la face des médecins et de tous les soignants.

    Et ils parlaient entre eux en disant:

    « Il s’agit d’un tas de conneries et il pue déjà ».

    Et les médecins s’en allèrent voir leurs chefs de pôle, les soignants leurs cadres, et ils dirent:

    « Il s’agit d’un seau de fumier et nul ne peut en supporter l’odeur. »

    Et les chefs de pôle joints aux cadres allèrent vers leurs directeurs d’établissement et dirent:

    « Il s’agit d’un conteneur d’excréments et il est si fort que nul ne peut demeurer à proximité. »

    Et les directeurs d’établissement s’en allèrent vers leurs directeurs de Groupes Hospitaliers, en disant:

    « Il s’agit d’un navire d’engrais, et nul ne peut en supporter la force. »

    Et les directeurs de GH parlaient entre eux, se disant les uns aux autres,

    « Il contient un principe qui aide la croissance des activités et il est très fort. »

    Et les directeurs de GH allèrent vers les Directeurs adjoints du siège, et leur dirent:

    « Il favorise la croissance et est très puissant. »

    Et les Directeurs adjoints s’en allèrent vers le Directeur Général, en lui disant:

    « Le nouveau plan favorisera la croissance des parts de marché et la vigueur de la société, avec des effets puissants. »

    Et le Directeur Général regarda le plan et vit que cela était bon.

    Et le plan est devenu politique.

    C’est ainsi que la gidouille advint.

    4. Traduction non adaptée: la genèse du bullshit management


    Au commencement était le plan.

    Et puis vinrent les hypothèses.

    Et les hypothèses étaient sans forme.

    Et le plan était sans fondement.

    Et les ténèbres étaient sur la face des travailleurs.

    Et ils parlaient entre eux en disant:

    « Il s’agit d’un tas de conneries et il pue déjà».

    Et les ouvriers s’en allèrent voir leurs chefs d’équipe et dirent:

    « Il s’agit d’un seau de fumier et nul ne peut en supporter l’odeur. »

    Et les chefs d’équipes allèrent vers leurs gestionnaires et dirent:

    « Il s’agit d’un conteneur d’excréments et il est si fort que nul ne peut demeurer à proximité. »

    Et les gestionnaires s’en allèrent vers leurs administrateurs, en disant:

    « Il s’agit d’un navire d’engrais, et nul ne peut en supporter la force. »

    Et les administrateurs parlaient entre eux, se disant les uns aux autres,

    « Il contient un principe qui aide la croissance des semences et il est très fort. »

    Et les administrateurs allèrent vers les vice-présidents, et leur dirent:

    « Il favorise la croissance et est très puissant. »

    Et les vice-présidents s’en allèrent vers le président, en lui disant:

    « Le nouveau plan favorisera la croissance et la vigueur de la société, avec des effets puissants. »

    Et le président regarda le plan et vit que cela était bon.

    Et le plan est devenu politique.

    C’est ainsi que la merde* advint.

    Variante d’Alfred Jarry: « merdre »

    5. La source: « How a plan becomes policy »

    In the beginning was the plan

    Au terme de cette lecture, vous avez compris que la ‘pataclinique est une affaire sérieuse et une formidable protection intellectuelle contre la sophistique managériale.

    « Changement d’herbage réjouit les veaux. » Proverbe berrichon
    « Le changement de chef fait la joie des sots. » Proverbe roumain

    Brève bibliographie sérieuse


    The core competence of the corporation. G Hamel & CK Prahalad 
    (attention à ne pas sacrifier les compétences fondamentales de l’organisation au fétichisme du coûts des faux « produits » qu’on a inventé à la hâte pour justifier un fonctionnement en pseudo-marché)
    Le mystère de l’assemblage des compétences clés dans l’organisation: « une sorte de bleu« 
    (exercice: définir les compétences fondamentales mises en oeuvre dans ce sextet de Miles Davis)

    Mintzberg: grandeur et misère du management stratégique
    http://hbr.harvardbusiness.org/1994/01/the-fall-and-rise-of-strategic-planning/ar/1
    Fiche de lecture CNAM

    Mintzberg – Des managers, des vrais, pas des « MBA »
    http://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782708130845/des-managers-des-vrais-pas-des-mba
    Extraits: http://www.scribd.com/doc/49700751/Des-Managers-Des-Vrais-Pas-Des-MBA
    Fiche de lecture CNAM

    Jean-Pierre Boutinet – Anthropologie du projet – PUF . Paris 1990 – Site de l’auteur – Couverture
    http://www.unige.ch/fapse/life/livres/alpha/B/Boutinet_1993_A.html

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