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Ségur de la santé : en finir avec le grand désenchantement des professionnels de santé?

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Les candidats à la présidentielle, la réadaptation et le handicap

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus

Le handicap est-il un enjeu de santé publique?

Le handicap est-il un enjeu de santé publique? Si vous répondez oui à cette question, comme l’ONU et l’Organisation Mondiale de la Santé, mais aussi des organisations comme Handicap International, alors je vous invite à chercher comment l’on pourrait mieux connecter en France les politiques publiques  de réadaptation et du handicap.

Pour une stratégie nationale de réadaptation fondée sur les droits de l’homme

J’ai réalisé un tableau comparatif des propositions des 5 principaux candidats au regard des politiques du handicap, regroupées en grandes rubriques. On y retrouve beaucoup de points communs, mais aussi des domaines peu ou pas explorés chez certains. Le droit à la réadaptation, reconnu par les organisations et conventions internationales comme partie intégrante des droits des personnes présentant ou susceptibles de présenter un handicap, n’y est pas clairement identifié, laissant la France dans une position très en retrait au regard des droits de l’homme.

Si l’on veut bien se donner la peine de comparer les programmes des candidats à la présidentielle relatifs au handicap, on sera frappé par une déconnexion à nulle autre pareille dans le monde entre deux fonctions de l’action publique partout ailleurs étroitement intriquées, celle de la réadaptation et celle des politiques du handicap. Au lieu de promouvoir une vision moderne et interactive de la santé et du handicap, il est regrettable que les candidats n’aient pas un conseil assez avisé en termes de politiques de réadaptation reliée à la santé (heath related rehabilitation). Par exemple, si le programme du candidat Mélenchon comporte d’excellentes mesures, comment expliquer que ses conseillers sur la question du handicap condamnent une « vision médicalisée et réhabilitatrice » du handicap (Dépêche APMnews du 12 avril 2017) alors même que la fonction de réadaptation n’a jamais été aussi peu promue par nos politiques publiques ? Mais contre qui les conseillers sur la question du handicap qui l’ont inspiré se battent-ils ? Quel intérêt ont-ils à voir persister l’opposition idéologique délétère et génératrice de pertes de chances entre réadaptation et participation? Souhaitent-ils voir se poursuivre l’effondrement tranquille du dispositif de réadaptation français ?
On notera avec intérêt des éléments de connexion entre handicap et réadaptation chez Macron et Mélenchon. Macron cite les professeurs de ma discipline. Je ne peux que m’en réjouir, car cela a le mérite de laisser entendre que politiques de réadaptation et du handicap sont naturellement liées. Mais il faut faire attention à ne pas confondre la réadaptation avec une seule discipline médicale ce qui serait potentiellement à l’origine de crispations catégorielles. Allons! Encore un effort pour rattacher la réadaptation à un vision internationale de la solidarité et des droits de l’homme incluant sa mise en cohérence avec les politiques du handicap.
Une stratégie de santé publique qui promeut la réadaptation comporte selon le rapport sur le handicap OMS Banque Mondiale de 2011:
1. la médecine de réadaptation qui ne se limite pas à la Médecine Physique et de Réadaptation, c’est un concept de santé publique par nature interdisciplinaire,

2. les thérapies de réadaptation pour lesquelles on note des propositions de remboursement chez Mélenchon,
3. les aides techniques (OMS).
Une stratégie nationale de réadaptation doit développer des soins de niveau 1, 2 et 3 avec une organisation et un financement adaptés. Dans les pays où les choses s’organisent ainsi, conformément aux recommandations, aux textes et aux conventions pour les droits des personnes handicapées ou susceptibles de l’être, seuls les niveaux 2 et 3 sont spécialisés. Le niveau 1 pourrait relever en partie de professionnels de premier recours/ primaires non médecins, par exemple des kinésithérapeutes / physiothérapeutes avec accès direct, cette situation d’accès direct étant de plus en plus fréquente fréquente dans le monde. La démédicalisation des soins primaires est souhaitée par les promoteurs de l’innovation de rupture par les soins primaires, notamment Clayton Christensen de la Harvard Business School qui l’attend des NBIC. L’objet de ce message n’est pas de prendre position sur cette question. Les NBIC auront des effets encore très incertains sur les systèmes de santé.
Globalement, malgré les avancées timides de Macron qui cite le concept sans assez l’intégrer à un modèle clair de santé publique et Mélenchon qui défend quelques professions mais sans vision globale du champ de la réadaptation, la France ne se met pas en mesure de respecter les droits de l’homme par son incapacité chronique à développer une stratégie de réadaptation, faute de parvenir à la concevoir en lien avec un handicap qu’on a défini comme purement social. Le principal obstacle semble l’absence de volonté de revenir sur la fracture entre sanitaire et social, les politiques départementales étant trop jalouses de garder leurs « personnes âgées » et « handicapées » dans le domaine des pouvoirs décentralisés de l’état. Plus question de 5ème risque et plus question de revenir sur la fracture ubuesque entre plus et moins de 60 ans ! Comment en est-on arrivé à cette résignation coupable ?

La déconnexion délétère et d’un autre siècle entre réadaptation et handicap, liée à la fragmentation entre soins et social, n’est pas remise en question

Cette cécité politique dans le processus de production des handicaps est d’autant plus étonnante que le simple parcours des rapports internationaux sur les droits des personnes handicapées aurait pu éviter l’anglicisme confus appliqué à la santé des pourfendeurs de la « vision réhabilitatrice », tout au moins si l’on veut bien parler le langage international de l’OMS, qui traduit officiellement rehabilitation par réadaptation. Celle-ci comporte de façon étroitement intriquée, dès le début des soins aigus, lorsqu’il y en a, réadaptation précoce, réadaptation centrée sur la fonction et réadaptation centrée sur l’intégration sociale, familiale, scolaire, professionnelle etc. La réhabilitation, elle, concerne en France les condamnés, les prisonniers, les bâtiments et les monuments historiques.
Hélas, les auteurs des programmes relatifs au handicap ne mesurent guère les conséquences de poursuivre dans une telle voie en cultivant par démagogie et paresse intellectuelle une opposition qui remonte à un autre siècle. On sait pourtant comment les excès du modèle social et de l’antimédecine ont conduit à vider les établissements psychiatriques pour remplir les prisons de schizophrènes, sans parler de ceux qui meurent dans la rue dans un « nouveau moyen-âge psychiatrique ». Alors d’où vient cette cécité socio-sanitaire qui est bien un mal français?
Comment continuer dans cette voie délétère à l’heure où les réformes du financement des soins hospitaliers et ambulatoires risquent d’effondrer les soins de réadaptation, aggravant les conditions chroniques conduisant à des situations de handicap :
· Effondrement des soins de ville notamment kinésithérapie et orthophonie dans certains territoires désertés
· Tarification des soins de ville inadaptée à certains troubles fonctionnels très lourds d’origine neurologique, cognitive, psycho-comportementale notamment
· Effondrement des dispositifs de réadaptation hospitaliers: baisse d’attractivité pour les kinésithérapeutes surtout mais aussi orthophonistes, ergothérapeutes etc. Le salaire n’est qu’une des conditions de cette attractivité.
· Menace sur la tarification des SSR avec une classification médico-économique incapable de soutenir les prises en charges à forte densité de rééducation-réadaptation (exemple du para ou du tétraplégique, accidents vasculaires cérébraux avec séquelles temporaires ou durables, traumatisés complexes, pathologies du rachis etc.)
· Menace sur les soins ambulatoires de réadaptation, hors les soins de ville dont nous avons déjà parlé
· Insuffisance croissante des soins de réadaptation dans le secteur d’hébergement médico-social, quel que soit les tranches d’âge, absence de gestion du passage de l’enfant à l’âge adulte. Séparation absurde du traitement social du handicap entre plus et moins de 60 ans.
· Insuffisance de coordination des transitions médico-sociales dans un système de plus en plus cloisonné par les financements et les logiques managériales centrées sur la production de l’amont. Les délais de traitements des dossiers par les MDPH sont démesurés, sans accompagnement des requérants. Aux urgences le temps se conte en heures, en jours en soins aigus, en semaines en SSR et en mois voire en année dans le secteur médico-social.
· Multiplications des impasses hospitalières conduisant à un manque de lits qui font alors défaut et à des soins inadaptés pour les patients parfois qualifiés de « bed blockers », du fait de modèles de recueil de l’activité (PMSI) et de financement qui, par construction, ignorent l’intrication des déterminants médicaux et sociaux des besoins de soins comme du handicap.
Les soins de réadaptation sont partout dans le monde considérés comme droit fondamental des personnes présentant ou susceptibles de présenter un handicap. Ce droit est rattaché aux droits de l’homme pour les organisations internationales (ONU, OMS, OCDE…)
Il faut cesser d’enfoncer des portes ouvertes. Que le handicap soit une situation et non une essence est une évidence depuis longtemps intégrée aux modèles de santé comme la Classification Internationale du Fonctionnement du Handicap et de la santé (CIF), ou le Processus de Production du Handicap canadien (PPH) et cela depuis de nombreuses années. Un enjeu tout aussi fort que le traitement social du handicap, c’est qu’il faut s’occuper tout autant aujourd’hui, dans une perspective de prévention du handicap :
1. des personnes qui sont au quotidien potentiellement confrontées à ces situations liées à ce qui définit paradoxalement leurs associations, par une maladie (ex. France AVC) ou un trouble fonctionnel (ex. Association des paralysés de France): handicap moteur, sensoriel psychique etc.
2. des personnes qui sont menacées de l’être du fait d’une maladie ou d’un accident et qui nécessitent une réadaptation solidaire financée par la solidarité nationale et non réservée à ceux qui disposent d’une bonne complémentaire. Ces personnes nouvellement touchées par des troubles fonctionnels à risque de handicap se défendent rarement par l’intermédiaire d’associations.
La vision systémique du handicap si bien décrite par Patrick Fougeyrollas au Québec a depuis longtemps surmonté ces vieux débats dépassés mais congelés par la fragmentation française. La cause est politique. Que ne le sait-on en France ? Il y a des raisons à cela.
La France a cloisonné son système socio-sanitaire selon une ligne de fracture qui remonte aux années 70, mais a été consolidé par les lois de décentralisation, avec la séparation entre les français de l’état et ceux du département :
· Institutionnelle: champs sanitaire et de l’action sociale/médico-sociale
· Financière: enveloppes, collecte de données, analyses et modes de financements « en silos »
· Idéologique: vision médicale opposée à la vision sociale du handicap.
Caricaturalement le paraplégique ne peut pas monter l’escalier parce qu’il est paralysé dans le modèle médical, Il ne peut pas le monter parce qu’il n’y a pas d’ascenseur ou de plan incliné dans le modèle social. C’est effroyablement simpliste, un enfant de cinq ans comprendrait que les deux visions sont également vraies et ne s’opposent même pas en terme de paradoxe, mais c’est ainsi qu’on le résume.
Il y a bien longtemps que les pays étrangers, toute considération politique à part, ont compris la nécessité d’une vision systémique du handicap qui concilie les logiques contradictoires des deux modèles, en articulant stratégies nationales de réadaptation et politiques publiques du handicap.
Ceux qui expliquent le mieux les origines et conséquences de ce mal français sont les anthropologues et les sociologues. Je prépare une petite revue de la littérature mais les principales sources sont présentées à la fin de ce message. Il faut analyser les jeux d’acteurs professionnels, économiques et politiques tels qu’ils se sont déployés depuis la séparation des secteurs sanitaires et sociaux. L’idéologie sous-jacente est souvent porteuse d’intérêts économiques. Nous citerons en bibliographie les travaux de Robelet, Claveranne, Pierru, Fougeyrollas.
Ce n’est pas le rapport de la mission présidée par Olivier Véran sur la réforme des financements qui va nous rassurer. Le modèle indigent de Dotation Modulée à l’Activité , qui vient de débuter en SSR, est bien pire que la T2A en aigu, en ce sens qu’il est fondé sur le séjour SSR mais ne reflète en rien des programmes de soins médicaux homogènes, à l’opposé des unités d’œuvres de production hospitalière proposées par Robert Fetter dans lesquelles il voulait tout de même voir une logique médicale sous forme de procédure thérapeutique. Ce modèle stupéfiant, purement comptable et statistique, n’est pas fondamentalement remis en cause et va s’appliquer. Ce n’est pas faute d’avoir averti. Rien ne peut y financer le suivi médical, les équipements et les 3 heures de réadaptation quotidienne nécessaires à certains patients après un accident vasculaire cérébral à l’origine de limitations fonctionnelles sévères, pour ne citer que l’exemple d’une pathologie traceuse qui est aussi l’une des principales causes des situations de handicap de l’adulte.
Nos politiques doivent apprendre à sortir de la politique de l’autruche, et qu’il nous faut rattacher notre pays au monde, en développant une politique nationale de réadaptation reliée à la santé (health related rehabilitation).
La réadaptation est considérée partout comme une fonction fondamentale des systèmes de santé, étroitement intriquée dans un continuum promotion de la santé, prévention, soins curatifs, réadaptation et soutien social.
La réadaptation est un droit fondamental que les pays qui prétendent respecter les droits de l’homme doivent développer dans une stratégie spécifique, ce qui signifie une organisation et un financement appropriés.
Le handicap n’est pas une essence en effet, ce n’est pas une maladie, c’est bien une situation résultant de l’interaction entre possibilités fonctionnelles de la personne et son environnement. Les personnes présentant ou susceptibles de présenter un handicap ne requièrent pas toujours la réadaptation, mais les en priver quand elles en ont besoin, à l’heure où l’on promeut partout la prévention et son financement au détriment des soins curatifs, c’est à coup sûr augmenter les situations de handicap surajoutées et qu’on aurait pu éviter à court terme.
La loi HPST donnait aux ARS la mission de décloisonner les parcours de santé entre secteur sanitaire et secteur de l’action sociale et médico-sociale. La loi de modernisation de notre système de santé veut aussi fluidifier les parcours hospitaliers, de soins, de santé et de vie. Nous avons vu l’effet de l’absence de stratégie de réadaptation sur les différents secteurs des parcours de santé. Qu’attend-on pour décliner des volets de réadaptation dans les projets régionaux de santé, guidés par une stratégie nationale de réadaptation? Pense-t-on développer le virage ambulatoire en laissant s’effondrer en même temps les soins de réadaptation en ville, en établissements sanitaires –en aigu et en SSR – et en établissements médico-sociaux ? La confusion conceptuelle entretenue par la fragmentation socio-sanitaire et par certaines idéologies obsolètes du handicap conduit hélas à la cécité sanitaire, sociale et politique.
Voilà ce que la France devrait faire si elle respectait les conventions internationales auxquelles elle adhère, connectée aux politiques sociales du handicap, visant à l’intégration sociale optimale, à part égales. Voilà ce que les candidats devraient soutenir, pour réduire le handicap, quelles que soit les conditions potentiellement handicapantes, quelles qu’en soit l’étiologie et à n’importe quel âge.

Webographie:

Réadaptation et droits de l’homme









Réadaptation reliée à la santé et handicap: du bon usage des concepts, entre médecine et management


Fery-Lemonnier E. Les parcours, une nécessité. adsp n° 88 septembre 2014

Martinez M. La filière sanitaire et sociale: Le facteur idéologique dans une organisation

Disability, including prevention, management and rehabilitation. WHO 25 mai 2005

Patrick Fougeyrollas: vers un modèle systémique du handicap?
Modèles individuel, social et systémique du handicap: Une dynamique de changement social

Frinault T. La dépendance ou la consécration française d’une approche ségrégative du handicap

Les conceptions du handicap : du modèle médical au modèle social et réciproquement… Jean-Pierre Marissal

Jean-Pierre Claveranne, Magali Robelet, David Piovesan, Benoit Cret, Guillaume Jaubert, et al.. La construction sociale du marché du handicap : entre concurrence associative et régulation politique (1943-2009). 2012.

OECD, Eurostat, WHO (2011), A System of Health Accounts, OECD Publishing.

Richards T let the patient revolution begin. BMJ. 2013 May 14;346:f2614.

Kiefer B. Les dessous de la révolution du patient. Bertrand Kiefer Revue médicale suisse

Pierru F, Rolland C. Bringing the Health Care State Back in – Les embarras politiques d’une intégration par fusion : le cas des Agences Régionales de Santé Revue française de science politique 2016/3 (Vol. 66)

Tiago J et al. Person-centred rehabilitation: what exactly does it mean? Protocol for a scoping review with thematic analysis towards framing the concept and practice of person-centred rehabilitation BMJ Open 2016;6:e011959

Wade D. Community rehabilitation, or rehabilitation in the community? Disability And Rehabilitation Vol. 25 , Iss. 15,2003

Candem C, Levasseur L. Réadaptation à base communautaire versus interventions communautaires de réadaptation et réadaptation dans la communauté : comparaison des concepts, et enjeux québécois et internationaux Développement humain, handicap et changement social « Situations de crise et situations de handicap ». 2010. 18(1) : 45-62

Kendal E et al. Community-based Service Delivery in Rehabilitation: The Promise and the Paradox. Disabil Rehabil. 2000 Jul 10;22(10):435-45.

Bloch MA. La coordination dans le champ sanitaire et médico-social Enjeux organisationnels et dynamiques professionnelles. Etude réalisée pour la Fondation Paul Bennetot par le Centre de Gestion Scientifique de Mines-ParisTech. Février 2011

Turner Stokes L. Politics, policy and payment – Facilitators or barriers to person-centred rehabilitation? Disability and Rehabilitation 29(20-21):1575-82 · October 2007

Schwach V. Une prospective des soins de suite et de réadaptation. Gestions Hospitalières. Numéro 530 – novembre 2013

Turner Stokes et al. International casemix and funding models: lessons for rehabilitation Clinical Rehabilitation. 2012. 26(3) 195–208

Ebersold S. L’INCLUSION : DU MODÈLE MÉDICAL AU MODÈLE MANAGÉRIAL ? Reliance. 2005/2 no 16; 43-50

Skempes D et al. Health-Related Rehabilitation and Human Rights: Analyzing States’ Obligations Under the United Nations Convention on the Rights of Persons With Disabilities

Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées

Louise Aronson. Medicare and Care Coordination Expanding the Clinician’s Toolbox JAMA;313(8):797-8

Turner-Stokes L, Williams H, Siegert RJ. The Rehabilitation Complexity Scale version 2: a clinimetric evaluation in patients with severe complex neurodisability. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2010 81: 146-153

Choosing the Right Stroke Rehab Facility Stroke. Guidelines for Adult Stroke Rehabilitation and Recovery. . 2016;47:e98-e169

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Intégration gestionnaire et gouvernance des politiques publiques de santé à l’ère néolibérale


« Le joli mot de « gouvernance » n’est qu’un euphémisme pour désigner une forme dure de domination politique » Jürgen Habermas
« La gouvernementalité est un concept élaboré par Michel Foucault afin de rendre compte des différentes techniques de domination exercées sur les autres et sur soi-même. La gouvernementalité va désigner la manière de gouverner les hommes afin qu’ils se gouvernent eux-mêmes comme on veut qu’ils se gouvernent. »
Extension du domaine du management
« les formulations néolibérales faisant une référence œcuménique aux communautés locales ont atteint un tel point qu’elles sont vues comme une victoire en faveur de la décentralisation et de l’autonomie au lieu d’être considérées comme une euphémisme cynique du démantèlement progressif de l’Etat providence » (Marden, 2003) » 


Les mythes cachés de la loi de santé: populisme bureaucratique, orthodoxie des soins de santé primaire et bucolisme paramédical

Nous savons bien pourquoi les médecins se suicident, libéraux ou salariés, cliniciens de base ou professeurs des universités. Rapidement énoncées, les causes de ce qui conduit du désenchantement au désespoir se résument en sur-administration et spirale de la défiance, défaut de reconnaissance au travail confinant à l’humiliation injurieuse et à l’infantilisation managériale, évaluation intrusive et sous information combinées à l’asservissement croissant à des indicateurs myopes déconnectés des finalités des soins, exclusion des processus de décision qui les concernent, suppression de toute autonomie dans la définition des besoins et de l’organisation des programmes de soins dont ils sont les experts. C’est un sentiment d’absurdité, de perte de sens institutionnalisée, qui se combine à un sentiment d’absence totale de reconnaissance, parfois de l’oeuvre d’une vie entière, et qui finit parfois par devenir insupportable. Hélas, le concept de « souffrance au travail » permet d’individualiser les causes, d’évacuer les déterminants économiques et sociaux en déterminants psychologiques relevant d’une approche individuelle. Celui de « maltraitance » permettra d’accuser quelques lampistes maladroits et « harcelants ». S’il y a bien sûr des situations individuelles à traiter, des maltraitances institutionnelles à combattre et des chefaillons pervers narcissiques à circonscrire, le problème principal, c’est de savoir si le management participatif et son extension à la gouvernance des politiques publiques de santé sous la forme d’un développement participatif territorialisé par les « agences » sont le problème ou la solution.
L’opposition classique entre libéraux et républicains, qui prend trop souvent la forme d’une querelle de fous selon Marcel Gauchet,  ne permet pas de rendre compte de la remarquable continuité existant entre la loi HPST et la nouvelle loi de santé. Dans la loi HPST, les libéraux voient l’hôpital-entreprise enfin libéré des « flâneries bureaucratiques » des salariés grâce au libre marché, tandis que les républicains y voient l’hyper-marchandisation néolibérale. Dans la nouvelle loi de santé, les libéraux ne voient que l’hyper-administration centralisée et la iatrogenèse managériale, quand les républicains y voient le triomphe du développement participatif à partir des soins de proximité, celui de la démocratie sanitaire et de l’accessibilité égale aux soins. Cela ne se résume pas à un débat droite – gauche car il y a toujours eu une droite dirigiste et planificatrice  et une gauche jacobine-libérale, à commencer par Le Chapelier. Pour sortir de l’impasse il faut sans doute en revenir aux penseurs de 1968 tels que définis par Luc Ferry et Alain Renaut, notamment Foucault et Bourdieu et à leurs successeurs. Le sociologue et l’archéologue du savoir permettent de penser le néolibéralisme et le managérialisme au sein d’un même paradigme de « gouvernementalité ». Nous y ajoutons quelques anthropologues moins connus.

Apport des anthropologues: mondialisation, ajustement et techniques de rationnement des soins

Nous empruntons le terme de « déconcentralisation » au sociologue et politiste Frédéric Pierru. C’est un processus par lequel sous une apparence de décentralisation le contrôle hiérarchique du sommet stratégique ne fait que se renforcer sous couvert de contrôle des coûts, de la rationalisation des processus, de la gestion des risques, voire de la « qualité » et de « l’éthique ». Rappellons que Pierru rejoint Bourdieu dans sa vision du néolibéralisme: « …le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d’Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l’Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique. » Frédéric Pierru
Ce terme de déconcentralisation doit être rapproché de l’idéal-type des organisations divisionnelles de Mintzberg fondées sur la standardisation des résultats. La « gouvernance » renvoie au terme ambigu de régulation, à la fois régulation par l’état et autorégulation systémique où les individus et les « firmes » (les entreprises) doivent se conformer au principe de concurrence efficiente. Le paternalisme économique appelle une réingénierie sociale centrale des formes collectives de l’action, afin que les « acteurs » soient conformes à ce qu’en attend la théorie des rationalités limitées et des incitations (Mintzberg).
A l’heure d’une globalisation tantôt présentée comme nécessaire et sans alternative au rationnement des soins (« TINA ») ou au contraire contingente, qui pourrait être autrement qu’elle ne se déploie (« TATA »), l’analyse des politiques coloniales et post-coloniales de santé par les anthropologues permettent de voir comment les techniques managériales importées des pays colonisateurs ont d’abord été expérimentées en terrain colonial, puis dans les pays ex-colonisés sous l’influence des organisations internationales après la seconde guerre mondial, pour enfin être importées dans les pays développés lorsqu’ils ont été soumis à la contrainte des programmes d’ajustement structurels. Tout un arsenal de concepts présents dans les déclarations d’Alma-Ata et la charte d’Ottawa, fondés sur le constat d’un nouvel ordre économique mondial, est ainsi appliqué par les politiques publiques de santé dans le nouveau contexte néomanagérial-néolibéral. Cette approche permet de mieux percevoir la continuité des réformes des politiques de santé derrière les oripeaux politico-médiatiques derrière lesquels se déguisent les partis qui les ont promues pour masquer le rationnement et la destruction de la solidarité: pseudo-libération du marché derrière la loi HPST et pseudo-égalitarisme derrière la nouvelle loi de santé.

Le populisme bureaucratique: Jean-Pierre Chauveau

L’orthodoxie des soins primaires: Bernard Hours

La santé publique entre soins de santé primaires et management Bernard HoursA lire absolument +++ et à rapprocher de:


Le bucolisme paramédical: Michel Foucault, incontournable pour ses approches de la gouvernementalité, de la biopolitique et de l’ordolibéralisme évoquait aussi les risques du bucolisme médical
Le bucolisme paramédical est soutenu par l’innovation de rupture de Clayton Christensen. Il annonce la disruption des anciens modèles économiques de la médecine par les nouveaux modèles économiques de santé numérique. Il est aussi soutenu par le mythe de « l’inversion du triangle d’allocation des ressources » des soins curatifs vers les soins de santé primaires, mythe fondé sur le double détournement 
1. de la « thèse de McKeown » (généralisation des hypothèses d’inefficacité des soins curatifs sur les indicateurs de santé) et
2. de l’Evidence Based Medicine dans sa version pervertie et néo-managériale où elle légitime l’industrialisation par l’organisation scientifique du travail, le déremboursement de ce qui n’est pas pertinent au regard des RCT et la conception de la médecine comme science appliquée à la main des ingénieurs de santé. Cette vision est incontestablement présente dans la campagne de promotion actuelle des « soins de santé primaires » et la ‘Patamédecine non remboursées sauf par les mutuelles, dans la version orthodoxe critiquée par les anthropologues (équivalent du rôle des tradipraticiens dans les modèles post-coloniaux).
McKeown et David Sackett , chers au « Docteur du 16 », valent mieux que cela et doivent se retourner dans leurs tombes!

Crise de la médecine ou crise de l’antimédecine ?

Analyse critique des liens entre santé publique et globalisation: Didier Fassin
Pour poursuivre un survol anthropologique critique des politiques publiques de santé lire aussi  aussi Raymond Massé en lien avec la critique du principe de prévention par Moatti et Peretti-Watel

Néomanagérialisme et néolibéralisme

Les quelques textes présentés ici permettent mettre en lien les différentes approches du New Public Management et les liens étroits entre 

Béatrice Hibou (« la bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale »)

Extension du domaine du management ; néomanagement et néolibéralisme*

« Par sa connexion avec le néolibéralisme le management se convertit en une forme, insuffisamment identifiée, de gouvernementalité globale. Quels éclairages peuvent nous apporter les sciences humaines sur les conséquences de cette extension du discours managérial pour chacun d’entre nous, que nous soyons étudiant, salarié, militant associatif ou patient ? Pourquoi le discours du néomanagement s’est-il imposé aussi facilement ? Quelles conséquences pour la démocratie ? »

Lire l’avant propos +++ (en pièce jointe)

« La gouvernementalité est un concept élaboré par Michel Foucault afin de rendre compte des différentes techniques de domination exercées sur les autres et sur soi-même. La gouvernementalité va désigner la manière de gouverner les hommes afin qu’ils se gouvernent eux-mêmes comme on veut qu’ils se gouvernent. »

Burn-out : plus d’un médecin sur deux dit souffrir d’épuisement professionnel Anne Bayle-Iniguez 15.01.201

Février 2014 Note socio-économique La gouvernance en santé au Québec (plus ça change, plus c’est pareil partout mais avec des spécificités nationales)

La construction dite néolibérale des nouveaux collectifs (comme « firmes » issues à la fois des dynamiques de changement d’en haut et d’en bas) ne peut faire l’économie d’une critique des concepts d’empowerment, du « développement participatif», de l’activation des personnes vulnérables, de l’intégration gestionnaire des « parcours de santé », des soins de santé primaires dans leur version orthodoxe. Il convient de lire les anthropologues critiques de l’utilisation des technologies coloniales de gouvernance de la santé, d’abord utilisées dans les pays pauvres et/ou ex colonisés où l’on a initialement importé des modèles technocratiques constructivistes avant de les instrumentaliser chez nous en vue de l’ajustement / rationnement des soins. Notons que le « parcours » est la traduction angélique du business process ou chaîne de valeur qui sera gérée par les assureurs dirigeant les nouveaux réseaux de santé intégrés. La déconstruction de la solidarité liée à l’ajustement international fait que ces pseudo-chaînes de valeurs intégreront de moins en moins une vision médico-sociale de l’outcome dans les « super-T2A » « au parcours » (bundled payments ou paiements par « épisodes de soins »). Mettant les opérateurs en concurrence sur des modèles économiques artificiels – des unités d’œuvre comptables – fondés sur des parcours étriqués et déconnectés d’une finalité qui fait sens, on ajoutera toujours plus de machins de « coordination d’appui aux soins » pour des activités qu’on a désintégrées.

Le Néolibéralisme : Destruction du collectif et atomisation de l’humain

« Le but, poursuit Bourdieu, étant d’arriver à une armée de réserve de main-d’œuvre docilisée par la précarisation et par la menace permanente du chômage. Cela amène à des situations de détresse extrême qui donne lieu à un stress irréversible qui peut amener à l’autodestruction, il n’est que de se souvenir du feuilleton des suicides de France Télécom. Pour Pierre Bourdieu, le libéralisme est à voir comme un programme de «destruction des structures collectives» et de promotion d’un nouvel ordre fondé sur le culte de «l’individu seul mais libre». Le néolibéralisme vise à la ruine des instances collectives construites de longue date par exemple, les syndicats, les formes politiques, mais aussi et surtout la culture en ce qu’elle a de plus structurant et de ce que nous pensions être pérennes. »

L’essence du néolibéralisme – Le Monde diplomatique (Pierre Bourdieu)

Gouvernementalité néomanagériale et positivisme scientiste 

Farouchement opposé à la colonisation et à son constructivisme technocratique et irénique, Clemenceau s’opposa à Jules Ferry qui déclarait :
« Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » (Discours devant la Chambre des députés, 28 juillet 1885).
Clemenceau lui répondit en ces termes :
« Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu’elles exercent et ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. Voilà, en propres termes, la thèse de M. Ferry et l’on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ! Races inférieures ! C’est bientôt dit. Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation et de prononcer : homme ou civilisation inférieure ! […] Je ne veux pas juger au fond la thèse qui a été apportée ici et qui n’est autre chose que la proclamation de la puissance de la force sur le Droit […] » (Discours devant la Chambre des députés, 30 juillet 1885)

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Loi de santé: qui croit encore au Père-Noël?


« Le pouvoir étatique n’est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu’il feint de l’émanciper des autorités qui font de l’ombre à la sienne.» Bertand de Jouvenel – « Du pouvoir »

Les 7 mythes de la loi de santé

Salut, heureux agents de promotion de la santé!

Cet article récent du Quotidien du Médecin fait état d’un malaise et d’une division des médecins hospitaliers.
« Parmi les représentants des médecins hospitaliers, l’analyse est nuancée, même si la satisfaction domine. »
La  nouvelle gouvernance serait saluée par les PH? Leur impression serait seulement « mitigée » ?
Jusqu’où abusera-t-on de notre patience? Les Praticiens Hospitaliers croient-ils encore au Père-Noël?
En suivant Mintzberg et March qui ont beaucoup écrit sur les mythes du management, on peut identifier 7 mythes dans la loi de santé, en continuité parfaite avec les lois précédentes depuis maintenant quelques décennies.

1. L’existence d’un système de santé

L’existence d’un système de santé est le premier mythe interrogé par Henry Mintzberg. La fonction de production de l’action publique, qui a pour objet la production du bien-être économique et social, englobe depuis la LOLF toutes les autres fonctions qui lui sont asservies dans sa budgétisation, dont la fonction de production hospitalière de Fetter – les « groupes homogènes de malades » (GHM) – les soins de ville, l’action sociale, au delà tous les secteurs de l’action publique impactant la grande santé Bien-être. Le financement de l’action publique est dès lors soumis à des arbitrages budgétaires « experts » en termes de coûts d’opportunité, rien moins que transparents et démocratiques, objets de tous les lobbyings, rien moins que rationnels.  
Cette intégration des fonctions, où les soins sont séparés du social par une triple fragmentation institutionnelle, financière et culturelle, fait du système sanitaire une « usine à soins techniques produits à flux tendus ». Cette industrialisation brouillonne, démunie de tout modèle de valeur signifiant pour l’usager et pour les professionnels de soins,  induit désenchantement et révolte d’être ainsi incité à pratiquer de mauvais soins, classés en unités d’oeuvre comptables à trop courte vue. Why Reforming the NHS Doesn’t Work The importance of understanding how good people offer bad care – Valerie Iles
Le principe de pertinence de soins en secteur sanitaire percute de plein fouet celui d’accès universel et égalitaire du secteur de l’action sociale, dans un cafouillage technocratique qui rend les parcours toujours plus chaotiques. En vérité, nous n’avons pas de système de santé cohérent, pas de modèle économique pour les biens et services de santé, juste un modèle de comptabilité de gestion.

Le système: l’intégration des fonctions de l’action publique d’après Patrick Gibert

2. La crise du système: marché mondial – démocratie locale

C’est le second mythe dénoncé par Mintzberg. Le système clinique est-il en crise ou bien réussit-il mais à un certain prix? Ici se discute le phénomène de la globalisation asymétrique face à une mondialisation bien réelle, et la pertinence des stratégies politiques d’ajustement portées par les organisations internationales.

Le marché, qui gère la liberté individuelle dans les biens privés, est mondial, mais la démocratie qui gère la liberté individuelle dans les biens publics, est locale, tout au moins quand elle existe. Le marché, sans état de droit, conduit au chaos et la liberté individuelle ne peut y conduire qu’au « droit d’être déloyal ». Comment faire pour que les entreprises, au delà toutes les organisations sommées de mettre leur comportement en conformité avec ce qu’attend la théorie économique des « firmes » ne deviennent pas « des collections de mercenaires déloyaux » selon la formule de Jacques Attali? Comment, nous autres soignants, pouvons nous retrouver le droit d’être loyaux envers nous-mêmes et les patients que nous servons?

Le discours de la crise est à rapprocher de la classique « stratégie du choc » et de l’innovation de rupture. Mais qui peut lire l’avenir  et anticiper les résultats de la destruction créatrice de Schumpeter? Attali et Stiglitz se rient à la lecture de ce que les oracles prédisaient à l’aube du XXème siècle.  La crise du système, c’est avant tout celle du Nouveau Management Public de la santé et celle induite par l’effroyable iatrogenèse gestionnaire qu’il impose à nos organisations cliniques en confondant management et compétition par comparaison d’indicateurs myopes.

3. L’ingénierie sociale centralisée

La technologie des sciences sociales est aujourd’hui au centre du management public d’après Patrick Gibert. C’est le niveau « macro » de la régulation. Les sciences biomédicales y sont désormais asservies à cette réingénierie générale de la santé-bonheur, à ce grand chef d’œuvre industriel que seule notre énarchie de santé publique pouvait concevoir sous une forme aussi délétère.

Projet de société, d’entreprise, de sortie, de vie, de soins, de service, d’établissement, d’insertion, professionnel,  de développement personnel etc. Sans projet point de salut. La tyrannie du projet s’impose à tous les niveaux de gouvernance du sommet de l’état jusqu’à l’enfant scolarisé ou jusqu’au plus malheureux des plus malheureux de la Terre. Il convient de la soumettre à une anthropologie critique avec Jean-Pierre Boutinet.

4. La rationalisation gestionnaire

Les NTIC et l’interconnexion des données permettent la généralisation de la comptabilité de gestion et l’expansion du managérialisme, défini comme généralisation des sciences de gestion à toutes les sphères de la vie.
Au niveau « méso » de l’organisation de la santé, elle régule la gouvernance des managers intermédiaires, notamment par le biais du contrôle croissant des directeurs d’hôpitaux par les agences régionales. Les organisations de « managers de santé », notamment celles des managers publics, sont dès lors poussées à réclamer toujours plus de contrôle sur de grands trusts verticaux de survie à la T2A, aujourd’hui les Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) et toujours plus d’intégration des cliniciens au prix d’une précarisation des statuts permettant de réduire leur autonomie, de les rendre plus dociles aux incitations perverses. Ces incitations, les managers ne font que les transmettre d’en haut, souvent à rebours de leurs propres convictions. Mais la fonction publique, autrefois « grande bavarde » au service de l’état providence, se rapproche de plus en plus de la « grande muette » par la loi martiale qu’impose la caporalisation des chaînes de commandement gestionnaires.
Il s’agit partout de rationaliser la production de résultats de sortie de système à court terme (outputs). Dès lors le cost-killing imposé d’en haut  ne sait qu’assurer la réduction de coûts au détriment du résultat clinique qui compte vraiment (outcome). Nul économiste de santé sérieux ne peut prétendre savoir, sous un financement destiné à rationner les soins, assurer la péréquation des coûts et des revenus le long d’une chaîne de soins ou des professionnels libéraux, des centres de santé et des établissements de soins encaissent le remboursement accordé par l’assurance-maladie pour le segment de la chaîne de soins /de valeur dont il ont assuré le fonctionnement. Nul ne peut créer et innover pour mieux rendre un service dès lors que des financements pseudo-marchands déconnectés de l’utilité des biens paralysent toute initiative locale ou d’établissement, et tout investissement.

Une activité centrée patient (outcome oriented) nécessiterait que les équipes de soins soient encore autorisées – et non incitées comme des idiots rationnels qu’on gouverne à distance –  à une approche humaniste, qu’elles puissent encore se mobiliser pour le résultat qui compte pour le patient, après la sortie ou en prévenant son hospitalisation, dans son environnement propre. C’est bien là le droit d’être loyal envers le patient par une action qui a du sens, au delà de la production d’un acte ou d’un groupe homogène de malade (GHM), même modulé par je ne sais quel « machin » de paiement à la performance. Mais quelle logique comptable peut fixer sérieusement la fin d’un épisode de soins, fin qui marquerait le point où l’on peut définir une unité d’oeuvre comptable qui fait sens? Certainement pas celle des « financements au parcours » qui couvriraient un épisode s’arrêtant devant l’abîme qu’on a créé entre soins et social. Elle imposerait encore davantage aux Soins de Suite et de Réadaptation une fonction de déstockage dans une logistique poussée depuis la production d’amont et une mission impossible de « dernière station avant le désert » soumise à l’injonction du virage ambulatoire, alors que le modèle « d’usine à soins » a réduit toute possibilité de coordination médico-sociale précoce pour les équipes de soins en sanitaire! En réalité la promotion actuelle des « financements au parcours », au nom de l’intégration des soins, personne ne pouvant être contre, est un bon moyen de laisser le contrôle des offreurs aux mains des payeurs qui en l’occurrence sont de plus en plus les assureurs privés.

Les spécialistes du management, les vrais, savent que pour certaines organisations, notamment cliniques,  la standardisation des processus ou des résultats, dès lors qu’on ne parvient pas à les définir assez bien pour capter le sens de ses activités fondamentales, ne peut conduire qu’à des résultats économiques médiocres. Cette transformation du système clinique en organisation divisionnelle est pourtant ce qui a guidé la restructuration des établissements en pôles, le plus souvent sans cohérence médicale, sans autre réelle logique que de casser l’autonomie d’organisation des équipes, les couper de l’information et des processus de décision pour mieux réduire leurs ressources. Efficience n’est pas performance, c’en est seulement une composante.

De la vieille « rationalisation des choix budgétaires » il reste bien les choix budgétaires et la fermeture de l’ONDAM. En découle une direction descendante des nouvelles chaînes de commandement pilotées par un contrôle de gestion de plus en plus déconnecté des réalités du terrain, des pratiques et des besoins de soins. Tuer les coûts pour rester dans l’enveloppe est le seul objectif.

La principale mission assignée aux nouveaux gestionnaires n’est plus de bien rendre le service attendu mais de réduire les coûts, coûte que coûte en quelque sorte. Ces extrait des débats du 18 septembre 2015 au Sénat explicitent bien ces mécanismes de prise de contrôle par les Groupements Hospitaliers de Territoires, ces nouvelles grandes verticalités de territoires chargées d’accélérer  le cost-killing. 

Dès lors se déploient les  plus grossières méthodes d’économies d’échelle, de mutualisation, de flexibilité, de destruction des compétences et processus clés au nom de la polycompétence, sans aucun garde-fou consistant au regard de la dégradation d’un service rendu que chacun peut constater au quotidien en ville, dans les établissements de soins et dans le secteur médico-social.

L’autonomie des professionnels et la participation réelles des usagers ne sont plus considérés comme une source de performance des soins mais deviennent contre-efficients pour les indicateurs ubuesques d’une gestion qui a inversé les fins et les moyens, qui prend les ressources humaines, soignants et patients non comme une fin, mais comme les intrants de sa fonction de production.

5. Le mythe du « leader héroïque »

C’est la figure du visionnaire qui promeut l’innovation de rupture en lisant l’avenir (March, Mintzberg). Ce capitaine d’entreprise, charismatique, parfois qualifié de génialissime dans un culte quasi soviétique de la personnalité, voit à travers les murs et guide le troupeau.
Joint au mythe de la rationalité gestionnaire il justifie une régulation hiérarchique, mécaniste, top down, celle du couple intégration / processus décrite comme plaie du management par François Dupuy (« Lost in management »).

6. Le mythe de l’optimum historique ou la compétition efficiente

C’est la théorie « micro » des motivations et de la décision. Elle est indispensable pour légitimer les politiques « macro ».
La compétition, pour être efficiente, doit y être régulée par les incitations selon les théories économiques de la « firme », elle justifie la commercialisation de l’offre de soins et des assurances maladies.
L’utilisation systématisée de la forme « firme » (ou entreprise) comme support d’une compétition généralisée à toutes les sphères de la vie publique et privée que l’état a pour mission de réguler; est parfois qualifiée de « néo-libéralisme ». Elle est donc indissociable du managérialisme d’un état régulateur puissant. C’est tout le contraire de « l’état minimal », certes introuvable, des libéraux classiques.
Ce mythe représente l’acteur économique « micro », usager, médecin, directeur, élu local etc. comme un idiot rationnel, ou plutôt aux « rationalités limitées », que les régulateurs éclairés par les sciences sociales et les Big Data pilotent vers le bon sens de l’histoire économique et sociale.
Ce pilotage est possible grâce aux NTIC et à l’asymétrie d’information qui permet l’intégration des divers niveaux de gouvernance.
Hélas, dans un système de médecine administrée, planifiée et rationnée par des enveloppes budgétaires fermées il ne peut y avoir de réel modèle économique. La « commercialisation » entraîne bien des profits pour des entreprises privées en cas de privatisation de l’offre de soins ou des assurances complémentaires , mais il s’agit de faux marchés, sans modèle de valeur/ utilité au sens économique, quelle que soient les part respectives des secteurs publics et privés.
Les modèles de revenus y sont artificiellement créés, pour des unités d’œuvre comptables trop souvent insignifiantes en termes de résultats cliniques (exemple de la production de groupes homogènes de malades dans la T2A).
Ces faux business models sans résultats signifiants pour les parties prenantes, loin de constituer un vrai marché, placent les acteurs dans « une guerre hobbesienne de tous contre tous » (Frédéric Pierru) quand il faudrait qu’ils soient libres de collaborer en vue d’un résultat clinique partagé, celui qui compte pour l’usager au terme d’un parcours de soin. Une super-T2A par épisode, mettant en compétition des « groupes homogènes de parcours » gérés par les assureurs n’y changerait rien, au contraire.

7. Le mythe du développement inclusif et l’orthodoxie des soins de santé primaires

C’est le mythe qui légitime les réformes au nom de la défense de l’égalité et de l’autonomie à base communautaire.
La « santé » y est définie comme processus régulé de développement social et d’émancipation des communautés, dans la plus parfaite orthodoxie des Soins de Santé Primaires, à l’heure où le techno-cafouillage socio-sanitaire n’a jamais autant affaibli les soins de premier recours. La loi de santé cherche à appliquer aujourd’hui les modèles postcoloniaux inopérants aux pays en voie d’ajustement des dépenses de santé (Bernard Hours). Cela justifie la promotion des médecines alternatives, l’action de nouveaux acteurs de développement communautaire se rapprochant de plus en plus des logiques d’action sociale. Cela légitime l’ajustement des dépenses et le rationnement des soins remboursés par l’assurance maladie par l’inversion du triangle d’allocation des ressource, des soins secondaires et tertiaires hospitaliers ou ambulatoires vers des soins de santé primaires qu’on promeut comme la panacée. Au nom de l’égalité et de la liberté, mais au service des stratégies politiques d’ajustement, cette révolution culturelle de la promotion de la santé, avec ses comités territoriaux, ses tradipraticiens, ses nouveaux cliniciens conçus par des ingénieurs, connectés et ubérisés qui remplaceront les médecins, après avoir tout fait pour asphyxier et rendre inattractifs les soins de premier recours, est en mesure de détruire un système de protection solidaire contre la maladie qui avait fait ses preuves
Dans ce nouveau monde de la santé bien-être, comme le suggérait Canguilhem « la santé a remplacé le salut ». Entre biopolitique et bio-ascèse, le sujet activé, empouvoiré par les agents de promotion de la santé, se sentira libre d’adhérer à des normes dont il espérera qu’elles lui permettent d’optimiser son capital de ressources humaines au sein d’un système de firmes régulées rationnellement, en vue du bien-être économique et social. L’autonomie n’est souvent qu’un soleil trompeur.

Brave new world!

Joyeux Noël

Webographie : Kit de dé-niaisement accéléré

James March: « Les 4 mythes du Pr. March »

Henry Mintzberg: « Mythologie du management de la santé »

Jean-Pierre Boutinet: « Anthropologie du projet »

Maya Beauvallet: « Les stratégies absurdes »

Christian Morel: « Les décisions absurdes 1 et 2 »

François Dupuy: « la fatigue des élites », « Lost in management »

Frédéric Pierru: « Hippocrate malade des ses réformes »

Florent Champy: « sociologie des professions »

Nicolas Belorgey: « l’hôpital sous pression, enquête sur le Nouveau Management Public»

Didier Fassin: « L’espace politique de la santé», « Enjeux politiques de la santé »

Bernard Hours: « l’orthodoxie des Soins de Santé Primaires »

Michèle Marzano: « Extension du domaine de la manipulation »

Dany Robert Dufour: « le divin marché »

Valérie Iles « Comment d’honnêtes gens peuvent dispenser de mauvais soins? »

Why Reforming the NHS Doesn’t Work The importance of understanding how good people offer bad care – Valerie Iles

•Retrouvez ces auteurs et d’autres sur le florilège des ubulogues

Sénat: Séance du 18 septembre 2015 (compte rendu intégral des débats) à propos des Groupements Hospitaliers de territoires

Loi Santé: la Ministre comptable de sa politique! Par Frédéric Bizard
« L’état accroît son emprise tout en privatisant la gestion du risque. »

Jacques Attali & Joseph E Stiglitz, LHFORUM 2013 (FR)

Une dernière référence s’impose dans ce contexte:

Discours de la servitude volontaire Étienne de La Boétie


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Les deux mamelles de la comptabilité de gestion – De l’ingénierie sociale des leurres marchands


« S’il n’y a pas de solution, il n’y a pas de problème. » Devise shadok (Jacques Rouxel)

Machiavel régulateur

Il est aujourd’hui assez clair en France que la tarification à l’activité (T2A), ce système qui rémunère au forfait des séjours hospitaliers selon un recueil de caractéristiques des patients (PMSI) et de marqueurs d’activité, loin d’être une marchandisation de la santé n’est qu’une forme de la comptabilité de gestion déclinée sous forme de leurres marchands. Ces leurres sont issus de la révolution technologique de l’information qui a fait de la comptabilité basée sur l’activité un des piliers de la nouvelle comptabilité de gestion. Ils sont à l’évidence instrumentalisés pour sidérer les logiques professionnelles, médicales, paramédicales mais aussi celles des managers qui se prenaient avant HPST et la tutelle des ARS pour une profession de l’état providence. Machiavel est bien trop intelligent pour avoir cru à l’application de la théorie de l’agence pour les soins de santé. On savait depuis le début qu’elle échouerait d’abord par l’incapacité à trouver un modèle de résultat robuste. Les modèles économiques sous protection sociale sont tous artificiellement construits à partir des systèmes d’information et dès lors soumis à des cercles vicieux constitutionnels. Mais en quelques décennies de tentatives de maîtrise des coûts de santé, le conseiller du Prince a laissé le champ libre aux théoriciens de l’économie de la santé, du management public et de la santé publique, qui en ont fait leur terrain d’expérimentation avec une seule contrainte, le cost killing. Il serait temps d’en faire le bilan.
Les ultra-jacobins restent persuadés par leurs chers axiomes que les disciplines médicales ne portent pas de savoir-faire spécifiques, ils rejettent toute logique de pratiques prudentielles qu’ils qualifient d’emblée de corporatistes. Pour eux, il faut juste laisser faire l’industrialisation managériale en gueulant simplement qu’on ne veut pas du « marché » en santé. C’est le meilleur moyen de laisser passer le néo-libéralisme, cette formidable régulation généralisée des pseudo-marchés par l’état, au profit des vrais « prédateurs » (« L’état prédateur » de James K. Galbraith).
Je ne reviens pas sur le diagnostic partagé avec André Grimaldi des risques européens. Il faut à tout prix éviter de prendre de faux marchés « tarifés » pour de vrais systèmes commerciaux en législation européenne de la protection sociale.
Seulement voilà: si l’on veut bien s’intéresser à la comptabilité de gestion (management accounting) qui domine aujourd’hui les réflexions de toutes les organisations internationales en s’abritant derrière l’idéologie d’émancipation sociale par la grande santé portée par Alma-Ata et Ottawa, on verra qu’elle a deux bras, la compétition par comparaison d’indicateurs (benchmarking) et l’ingénierie sociale. On peut ajouter « ingénierie sociale de marché » comme dans la formule d’André Grimaldi dénonçant la « pensée managériale de marché », à condition de ne pas oublier que ce n’est pas un vrai marché selon les libéraux classiques. Il s’agit ici d’une compétition régulée entre producteurs de leurres marchands créés par le régulateur où l’on prétend appliquer les principes d’ailleurs contradictoires des diverses théories de la firme, dont celle de l’agence (l’agent – le soignant, le malade, le manager, l’élu même – y apparaît comme un idiot irrationnel – entendre aux rationalités limitées – qu’il faut manipuler par les incitations et l’asymétrie d’information). Que soignants et patients soient souvent désespérés et en quête de sens n’est donc guère étonnant. Blues des blouses blanches.

Les deux mamelles de la comptabilité de gestion 

1. Le benchmarking, nous en connaissons les effets pervers et les limites, notamment si les résultats sont myopes au regard du sens des activités, il devrait se confondre avec le modèle économique,  et si l’on intègre pas l’état d’esprit au travail dans les balanced scorecards.
2. L’ingénierie des activités, et là, pas grand monde n’a vu arriver ce constructivisme pédagogique à pilotage international par les organisations mondiales, digne des pires moments de l’idéalisme intrusif que certains iraient jusqu’à qualifier de néo-colonialiste (FMI, banque mondiale, Organisation mondiale du commerce, bureau international du travail, OCDE, OMS…). Après l’échec de l’idéologie d’Alma-Ata et d’Ottawa dans les pays en voie de développement, la loi de santé, suivant les injonctions de l’OCDE et de l’OMS, les importe dans un pays qui avait des soins de santé et une protection sociale avancés.
La trouvaille, le coup de force idéologique? Le mythe de « l’innovation de rupture » de la Harvard Business School grâce à la promotion de « soins primaires » portés par la médecine numérique et connectée où le médecin passera la main aux pratiques cliniques avancées, bien moins coûteuses. Ou bien on passera la main à la ‘Patamédecine qui ne sera remboursée que par certaines mutuelles qui en font un argument commercial. Où sont les preuves, pendant que l’on détruit au nom des lendemains qui chantent la médecine de ville et hospitalière qu’elle soit généraliste ou spécialisée? Favorisons encore quelques années les déserts médicaux en décourageant les professionnels et l’on pourra alors décréter l’état d’urgence, la « stratégie du choc », le changement disruptif d’en haut. Parmi les plus aveugles figurent les gogos libéraux qui croient que la libéralisation de la créativité est advenue et les gogos jacobins qui croient toujours à l’échelle de Jacob accédant par la science aux mondes des Idées, que les catégories des Healthcare data permettent enfin de tracer les cieux de la santé d’alignements et de catégories éternelles. Patient, malade, usager, client, consommateur, nomme-toi comme tu le souhaites mais fais gaffe, ta médecine fout le camp!
Mais voilà, les nouveaux systèmes d’information créent les activités à partir de catégories dont il suffit de lire les rapports internationaux, notamment sur les comptes de santé, pour se rendre compte que ce sont des constructions artificielles, très hétérogènes d’un pays à l’autre, des réalités hypostasiées comme disent les philosophes, dans « l’ontologie » des systèmes d’information. Les catégories naissent et meurent au gré des modes, des paradigmes, des lobbyings des chemins de dépendance propres à chaque pays, mais trop rarement en fonction de données probantes ou comparables d’un pays à l’autre. 
Ma pensée sur le sujet vaut ce qu’elle vaut, mais elle vient directement de ce que j’ai vu advenir pour la réingénierie des Soins de Suite et de Réadaptation, laissée à la main des fédérations hospitalières et d’une vision économique industrielle d’état excluant les professionnels. Chacun devrait en dresser le bilan dans le domaine qu’il connait bien, pourvu que l’expertise qu’il en tirera ne le réduise pas promptement au silence systémique contre lequel son expertise sera sollicitée. La « grande muette » n’est plus depuis longtemps le synonyme de la seule armée.
L’inducteur de coût n’est pas une « commande » du patient qui induit un service rendu (outcome driven), mais c’est l’arrivée du malade en « stock », qui induit des coûts et qui conditionne l’ingénierie des activités par les « management accountables« . 
Le système d’information est construit selon un modèle fragmenté des soins et de l’accompagnement social qui épouse la fragmentation institutionnelle et qui valorise par construction une « usine à soins techniques produits à flux tendus ». 
On comprend aisément comment la construction des catégories de la comptabilité à l’activité, sans l’apport des compétences clés structurantes des activités réelles, peut conduire à une déstructuration ubuesque des programmes de soin réels, aux pertes de chances et de sens du soin, à l’insuffisance des soins qu’ils soient préventifs, curatifs, de réadaptation ou de soutien social. 

Machiavel et Faust: la faisabilité politique de l’ajustement par la division

Entre les prisonniers hospitalo-universitaires du pacte faustien (« à nous, scientifiques, la recherche, à vous managers professionnels la gestion ») qui les contraint aux respect collectif des règles du champ et donc au silence coupable sur la dégradation des soins et les éternels disciples de Le Chapelier qui attendent des « Healhcare data miners » le triomphe tant attendu du rationalisme scientiste et de ses ingénieurs sur les corporations, l’avenir est sombre. La route est belle pour les nouveaux directeurs de soins et cadres experts que la doxa du management hospitalier nous présente comme les nouveaux ingénieurs de process, et pour l’effondrement tranquille du management de cette part de la médecine qui était liée à la protection sociale contre la maladie.
Ceux qui réclament l’autonomie des médecins, plus généralement des cliniciens, des équipes ou collectifs de soins, devraient bien pouvoir sortir de ce mal français en s’unissant au lieu de se laisser diviser à l’infini. Ne pas en sortir conduirait à soutenir encore et encore le même système bureaucratique qui s’aggrave, s’épaissit, se fragmente, se cloisonne et qui est en échec.
Vous trouverez dans la webographie jointe quelques articles clés si jamais certains sentent en eux s’insinuer le venin du doute. Vous y comprendrez les mécanismes de construction comptable des « activités » qui sont tout sauf des évidences ainsi que les modèles de base qui ont guidé l’équipe de Robert Fetter. Le problème fondamental reste la définition du concept d’activité en soins.
« En politique, le désespoir est une sottise absolue. » Jacques Bainville

Tarification, benchmarking, pilotage et ingénierie des activités


Extrait de: Le concept de comptabilité de gestion à base d’activités Richard Milkoff

Webographie: comptabilité de gestion

Peut-on gérer le couple coût-Valeur? Malleret

Les fondements conceptuels de l’ABC à la française. Alcouffe Malleret

Le balanced scorecard revisité. Philippe Lorino

Un coût? Quels coûts? Robert Launois

A la recherche de la valeur perdue : construire les processus créateurs de valeur dans le secteur public Philippe Lorino

Le « carré magique ». Philippe Lorino
Synthèse du groupe de travail sur« Le pilotage de la performance globale »

Le concept de comptabilité de gestion à base d’activités Richard Milkoff

La mise en œuvre de la comptabilité par activités dans les entreprises françaises : caractéristiques et facteurs d’adoption et de succès Ahmed Rahmouni


ABC/ABM en santé

La pensée de la CAH résumée par l’ARS Ile-De-France

« A l’inverse de la comptabilité générale qui affecte les charges par nature, la comptabilité analytique affecte les charges par destination. Ainsi, la CAH permet aux établissements de santé de connaître l’affectation interne de leurs ressources afin d’identifier leurs activités sur coûtantes ou encore leurs gisements de performance. »
Hélas, hélas, hélas, cela supposerait d’avoir un modèle robuste de définition des activités de soins et des résultats, ce qui n’est évidemment pas le cas. Le mal administratif français met la charrue avant les bœufs.

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Lost in management 2 – Kit de survie à la faillite de la pensée managériale

La faillite de la pensée managériale : Lost in management 2. François Dupuy. Seuil. Date de parution 08/01/2015.

« La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : Rien ne fonctionne… et personne ne sait pourquoi ! » Albert Einstein
L’une des causes majeures de la crise du système de santé, outre l’impécuniosité des politiques publiques, c’est la déconnexion stupéfiante entre les nouveaux concepteurs du « système de santé » et les pratiques professionnelles. Cette déconnexion délétère est aujourd’hui reconnue et analysée par toutes les écoles sociologiques des organisations même celle de Crozier, plus indulgente dans la critique sociale que celles plus proches de Bourdieu (Pierru, Belorgey…). Pardon pour ceux que j’oublie, n’étant pas sociologue.

Voici une clé « 4G » ou kit de survie à cette Grande Gidouille Gestionnaire Généralisée:

1. lire de François Dupuy: la fatigue des élites, Lost in management 1 et 2 :

la faillite de la pensée managériale. Cliquer aussi ici et ici. Lire un extrait

2. Lire aussi de Christian Morel « les décisions absurdes 1 et 2 »;

3. Lire de Maya Beauvallet « les stratégies absurdes ».

4. Lire De Florent Champy « sociologie des professions » qui met en cause l’alliance entre les sociologies interactionnistes enseignées aux managers de santé et le nouveau management public et enfin

5. Lire de Jean-Pierre Boutinet « psychologie des conduites à projet » pour comprendre comment on en est arrivé là.

6. Lire d’Henry Mintzberg cet article et celui-ci (en texte intégral)

Voici pour terminer un petit détournement de dessin humoristique pour illustrer ce modeste kit.


« Pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton. » Albert Einstein

Esculape vous tienne en joie 

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L’autonomie des médecins est plus fragile que jamais – Ce que nous devons aux bons sociologues – Les deux visages du MDHP

Hello, happy accountables!
​Il est plus que jamais nécessaire de défendre la représentation des logiques médicales et l’autonomie des médecins face à l’emprise croissante de l’économisme des incitations, des sciences de gestion et des sciences sociales sur ce qu’on nomme aujourd’hui « système de santé », système dont Henry Mintzberg doute toujours de l’existence. Nous dénonçons sans relâche dans ce blog  les dérives de la comptabilité à l’activité quand elle fait fi des processus clés qui font sens pour les cliniciens et les usagers, les décisions absurdes d’un contrôle de gestion dominé par un utilitarisme aussi forcené qu’inhumain dans la gestion des « ressources humaines », et enfin une gestion des risques ubuesque, dominée par une perspective essentiellement myope, tueuse de sens et de motivation pour les acteurs parce que trop court-termiste.
Je résumerai ainsi ma pensée, en adaptant Churchill:

« Les disciplines médicales sont le pire système de représentation de la logique professionnelle médicale face aux tutelles, à l’exclusion de tous les autres. »


Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas de syndicats, qu’ils s’agisse des syndicats professionnels ou grandes centrales, bien au contraire. Mais les organisations professionnelles ne se limitent pas aux syndicats. A l’extérieur des établissements, cabinets libéraux, centres et maison de santé, l’articulation entre sociétés savantes, collèges d’enseignants, ordre professionnels, nouveaux conseils nationaux professionnels et syndicats est chose délicate, que sait parfaitement manier Machiavel régulateur de santé, fût-ce au nom du bien commun. A l’intérieur des établissements le fonctionnement des communautés médicales d’établissement CME doit pouvoir faire valoir des principes réglementaires, scientifiques, déontologique, éthiques, qui doivent échapper à la toute puissance des managers locaux a fortiori lorqu’ils ont le couteau budgétaire sous la gorge. Nous avons par ailleurs expliqué à plusieurs reprises dans ce blog pourquoi la « qualité » officielle est aujourd’hui un trompe l’œil destiné à masquer que la comptabilité à l’activité et le contrôle de gestion ne disent rien de la qualité. On n’évalue ni les moyens de structures, sachant qu’un minimum de conditions technique de fonctionnement devrait être certifié par des organisation autonomes. On n’évalue pas plus les processus clés, ou programmes de soins toujours oubliés au profit de processus courts, évalués par des indicateurs insignifiants et inefficaces parce qu’ils tombent inévitablement sous le coup de la loi de Goodhart. Enfin, on évalue encore moins les résultats cliniques, l’outcome qui, au delà du simple résultat myope de sortie de système, la « sortie » qui donne lieu à une facturation au séjour, compte vraiment pour les soignants et les usagers au terme de la chaîne de soins. Inutile de rappeler ici l’absurdité des indicateurs du Point, un business rentable, donc un « affaire sérieuse » comme dirait Frédéric Pierru. Ne soignez plus les malades compliqués et à risque et ainsi vous améliorerez vos indicateurs! Mais de qui se moque-t-on?
Enfin ce qu’on évalue le moins, et qui est sans doute le plus important pour la performance d’une organisation, c’est l’état d’esprit au travail. Ou plutôt on n’ose publier les résultats et en tirer les leçons. 
La performance de l’organisation , en bon management – oui ça existe -, c’est le produit des compétences par l’état d’esprit au travail. 
Mais essayez aujourd’hui d’aller expliquer cela à votre directeur?!

La loi HPST et la naissance du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public

Plusieurs courants de pensée ​sont présents ​chez les médecins ​sympathisants ​du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public (MDHP). Ces courants, qui partagent tous la défense d’un service public de santé robuste et d’une sécurité sociale pilier intangible d’un système de soins accessibles et solidaires, ont toutefois sur de nombreux points une approche hétérogène du management du système de santé et de la nouvelle loi de santé. Le mouvement est né de l’émotion suscitée lors de la préparation de la loi HPST par l’éviction des médecins du management de l’hôpital, sous forme d’un coup de force spécifiquement français,  qualifié de néolibéral ou de soviétique selon les analystes. 
La loi HPST témoignait d’une volonté néo-managérialiste, fortement soutenue par les « managers de santé », non seulement de faire du directeur d’établissement un tyranneau tout puissant vers le bas, vers les soignants, et  impuissant vers le haut, vers les agences régionales de santé, mais encore d’achever de casser la brique de base du travail de soins, le « service » ou « unité fonctionnelle » considérée comme le frein principal à l’efficience et à l’innovation de rupture annoncée par les économistes de santé. Ces curieux prophètes avaient gagné le droit de faire de la santé un terrain d’expérimentation pour apprentis sorciers. Ils adorent notamment augmenter le « reste à charge » au nom de la responsabilisation de l’usager, ils en mettent la responsabilité sur les médecins malgré la paralysie des tarifs en secteur 1, ils appellent les assurances privées déguisées en mutuelles comme sauveteurs et ils cultivent mieux que quiconque ce que le vieux Galbraith appelait « l’art d’ignorer les pauvres », mais avec des pages et des pages de mathématiques masquant l’indigence de leurs postulats et les limites de leurs modèles théoriques.
Ces briques de base des systèmes de santé ou « microsystème clinique » au contact du public, sont fondées sur les disciplines médicales académiques ou d’exercice, si bien décrite par Henry Mintzberg comme l’indispensable lieu d’articulation, dans un système professionnel complexe où les compétences sont les principaux actifs de l’organisation, entre la logique de fonction (technologie et compétences clés) et celle de regroupement de clientèle relevant de programmes de soins proches (profils homogènes de patients). Les disciplines évoluent dans le temps, ne sont pas immortelles, et rien n’empêche des hybridations, des unités mixtes, des structures transversales pluridisciplinaires voire « matricielles » pour mieux intégrer les cas complexes. Ces mécanismes de liaison et d’intégration n’ont besoin ni de la mystique holistique de la « globalité » ou de la trans-méta-multi-interdisciplinarité, ces foutaises pour gogos qui découvrent le concept d’intégration des process. Ils sont depuis bien longtemps reconnus comme nécessaires dans le management de toute organisation complexe comme en économie industrielle, ils ne sont pas nés d’une invention récente de je ne sais quel gourou promu pour formater les esprits dans les écoles des cadres. Ils n’ont jamais impliqué la destruction des unités de base et de leurs cœurs de compétences collectives, sources des évolutions technologiques et porteuses d’innovation. Qui veut-on abuser? Et jusqu’où abusera-t-on ne notre patience?
Le mouvement de défense de l’hôpital public est donc hétérogène dans sa composition, co-animé par deux personnalités fortes que l’histoire a réuni, André Grimaldi et Bernard Granger​. Le mouvement a une audience nationale, il est présent sur les réseaux sociaux en narrowcasting et en broadcasting sur Internet, il permet des échanges rapides, des réflexions fécondes et des rencontres interdisciplinaires réunissant tous les parties prenantes à la rénovation du système de santé. Il est dès lors un interlocuteur incontournable des décideurs face aux multiples think tanks de santé qui, malgré un fort pouvoir de lobbying, n’ont pas toujours la puissance et la diversité des apports des contributeurs aux travaux du MDHP.
Nous allons ici tenter de décrire deux courants qui partagent le MDHP dans son ensemble​, courants qui peuvent être rapprochés des deux périodes de l’évolution du sociologue américain Freidson​ que Frédéric Pierru et Florent Champy nous permettent fort heureusement de bien connaître en France.
  1. ​Une vision ​du « ​corporatis​m​e​ » médical​ que conservent les jacobins ​traditionnels tout comme les jacobins de « pseudo-marché » ​qui ne jurent que par la tarification à l’activité (T2A) et la compétition régulée. Ces « républicains » au sens ou Marcel Gauchet les oppose aux « libéraux » en dénonçant une querelle de fous, ​partagent au sujet des médecin la vision anticorporatiste de Le Chapelier​, ainsi que ​la ​défiance de tradition​ rousse​au​iste ​envers les cor​ps​ intermédiaire​. Ce qui domine ici c’est la volonté de laisser l’individu seul ​face à l’Etat afin de le protéger​ ​de ​ ce​s corps intermédiaires ​par nature suspects. ​On lira avec intérêt Hassenteufel sur l’évolution du paradigme corporatiste et les relations des médecins avec la régulation de la santé à l’étranger.
  2. ​Une vision ​du « ​professionnalis​m​e »​​ qui ​ dénie à l’Etat,​ ​surtout quand il devient prédateur de ses services publics (James K. Galbraith), ​la possibilité d’un​e​ réingénierie ​descendante ​de l’offre de soins et de son financ​e​ment qui fasse l’économie ​de la participation ​de professions ​ appliquant​, pour reprendre l’expression de Champy,​ ​ »​des savoirs abstraits à des cas concrets​ » et ce dès les premiers niveaux de gouvernance​. Champy, tout comme Pierru, cite aussi abondamment Abbott​,  pour ses profondes analyses des marchés et juridictions professionnelles.

L’évolution de Freidson

Le débat est sérieux et ne peut être évacué d’un revers de main. Citons Freidson:

« Tel est le grave défaut de l’autonomie professionnelle: en permettant et en encourageant la création d’institutions qui se suffisent à elles-même, elle conduit la profession à se faire une idée trompeuse de l’objectivité et de la fiabilité de son savoir, ainsi que des vertus de ses membres; elle entraîne en outre à se considérer comme la seule à posséder savoir et vertu, à mettre en doute les capacités techniques et morales des autres professions, à avoir, à l’égard de sa clientèle , une attitude au mieux paternaliste, au pire méprisante.
Eliott Freidson

C’est ​ ici la meilleure expression du « premier » Freidson dont les critiques sont tout à fait justifiées et 
​que ​nous devrions afficher dans nos salles de consultation​ pour nous rappeler à l’humilité​ et au bon sens. Toutefois, Pierru et Champy nous expliquent très bien comment cette vision critique​ a ​permis​ aux sociologues interactionnistes enseignés ​prioritairement ​à l’EHESP, l’école des directeurs d’hôpitaux,​ ​à nier la nécessité d’un​e​ protection spécifique de la profession médicale comme des autres professions à ​ »​pratiques prudentielles​ »​ ​par essence ​fragiles​. On peut aussi parler de la protection ​nécessaire ​de ​ »​l’autonomie des médecins​ » et ainsi justifier avec Mintzberg leur association incontournable à la gestion dès les premiers niveaux de gouvernance, c’est à dire l’équipe clinique au contact du public, véritable porteuse des compétences fondamentales et processus clés de l’organisation, que ce soit en médecine libérale ou en établissement de soins.
Cette première vision​ ​a laissé place chez Freidson à une forte perception de la nécessité de défendre le professionnalisme. Il tire cette conclusion par l’observation d’une part de l’instrumentalisation progressive ​de l’interactionnisme sociologique ​par ​les « réformateurs » de santé au nom de la faisabilité politique de ​ »l’ajustement »​,​ au sens des programmes économiques et politiques de réduction des dépenses de santé, ​et d’autre ​​part par ​le ​Nouveau ​M​anagement ​P​ublic​, ​en particulier dans ​l’alliance entre l’Etat et le marché ​qu’il tend à réaliser ​contre les professions. Il invite les médecins à soutenir cette « troisième logique » en forgeant une nouvelle alliance avec les usagers, débarrassée des oripeaux du vieux paternalisme médical. Comment ne pas lui donner raison?
Ne nous y trompons pas, il y a une continuité parfaite entre la LOLF, la loi HPST et la nouvelle loi de santé. Elle menace l’autonomie des médecins, des autres soignants et des équipes de soins, et partant leur efficacité, leurs compétences, la qualité et la sécurité des soins, et peut-être pire à plus long terme, la production, la combinaison et la transmission des savoirs, une fonction essentielle que Michel Foucault reconnaissait à la clinique.
Malade, patient, usager, client, prends garde à toi et pense à protéger l’autonomie de ton médecin pour te mieux protéger! Ta santé est peut-être à ce prix.

Webographie


​Pierru

Champy

Freidson

​Abbott​

​Mintzberg​

Esculape vous tienne en joie, ​ et en vigilance​ critique

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La santé pour tous ou la maladie pour chacun?

« Avec les moyens actuels de publicité, une opinion ou une doctrine peut être lancée comme un produit pharmaceutique quelconque. »  Gustave Le Bon 1924

Essai ubulogique sur la loi de santé

Solidarité, santé et protection sociale

Ce billet est né du constat que la nouvelle loi de santé s’appuie sur tous les principes de la déclaration d’Alma-Ata et de la charte d’Ottawa et que paradoxalement, cette promotion de droits purement formels à la santé assimilée au « bien-être » en vient à masquer une dégradation de l’accessibilité réelle aux dispositifs de protection contre la maladie. Le titre est inspiré d’un article cité en webographie.

Dès lors il faut interroger la quasi-impossibilité d’une approche critique de la déclaration d’Alma-Ata et de la charte d’Ottawa dont les principes incantatoires, qui sous-tendent notre nouvelle loi de santé, semblent érigés en mythes intouchables. Ces mythes sont par ailleurs tantôt inscrits dans la théodicée d’un nouvel « ordre économique international » qui légitime le managérialisme des organisation internationales et tantôt dans le cadre d’une alternative illusoire que nous tenterons de déconstruire: Alma-Ata et la comprehensive health care approach comme porteuse de la logique publique contre le néolibéralisme et la neoliberal approach qui, seule, mettrait l’emphase sur le secteur privé.

Énumérons quelques uns de ces mythes et leur lien avec l’économisme orthodoxe

  • La santé bien-être, voilà défini l’objectif auquel est asservie la protection contre la maladie, laquelle relève dès lors de calculs de coûts d’opportunité entre les secteurs de l’économie du bien-être, au nom d’une fausse neutralité scientifique.
  • Le nouvel ordre économique international, mais est-ce un processus inéluctable qui exclut toute contingence, toute incertitude dans le chemin vers l’optimum historique attendu ou un projet qui légitime idéalisme intrusif et ingénierie sociale de la part des institutions?
  • La rationalisation managériale par les organisations internationales, c’est le managérialisme appliqué à la gourvernance mondiale, dans le cadre économique de la compétition régulée par comparaison d’indicateurs du Nouveau management public (mythe d’optimum d’efficience).
  • La disruption de la biomédecine par les soins primaires, est un mythe conforté par la disruptive innovation de Christensen, les nouvelles technologies permettant la substitution de médecins par des praticiens cliniques moins coûteux voire des « tradipraticiens » appliquant  des médecines non conventionnelles. Où sont les preuves? Mais un mythe ne se discute pas!
  • La confusion des concepts entre soins primaires, soins communautaires, soins de proximité et soins ambulatoires: on est très frappé par l’inexistence des réseaux de « second recours » dans la loi de santé, pourtant une clé de la qualité des soins,
  • Le contrôle de l’accès à des niveaux de soins soumis à une hiérarchisation territoriale (« gate keepers« , cliniciens, managed care par les managers de parcours ou assureurs),
  • L’inversion du triangle d’allocation des ressources des soins curatifs vers la promotion de la santé (« réorientation des services  santé » dans la charte d’Ottawa) au nom même de la lutte contre les inégalités face aux déterminants de santé et de la « marche vers l’avenir »,
  • La coordination externe des équipes par des complexes bureaucratiques publics ou privés, pouvant associer offreurs et payeurs, chargés de d’organiser les composantes de la multidisciplinarité et d’allouer les ressources entre les étapes du processus de soins en partageant les risques (ce mythe est conforté par la value based competition de Porter).
  • La réduction des inégalités entre pays, ce qui en contexte d’ajustement et de rationnement des dépenses de santé ne peut conduire qu’à une convergence vers le bas, non vers le haut avec une réduction des inégalités réelles au regard de soins définis comme fondamentaux.
​Nul ne peut être contre la promotion de la santé, nul ne peut raisonnablement s’opposer à ​l’organisation à base territoriale de soins primaires accessibles à tous. Nul ne peut se faire le chantre d’une biomédecine qui ignorerait radicalement les déterminants des maladies qu’elle soigne, et toute action possible sur ces déterminants et les inégalités de santé qu’il engendrent. Enfin nul ne peut se faire le champion de l’incoordination des parcours de soins. Pourtant l’idéologie d’Alma-Ata, dès lors qu’elle se présente comme un alternative illusoire au « néolibéralisme », devient l’instrument du managérialisme légitimé par le « nouvel ordre économique » décrit dans la déclaration, et qui suppose une régulation, une gouvernance internationale… dans un contexte orienté de globalisation et d’ajustement. Faire de la déclaration d’Alma-Ata et de la charte d’Otawa une arme des faibles contre les forts, une garantie contre les défaillances du marché quand les politiques d’ajustement internationales sont dominées par une logique d’idéalisme libéral de plus en plus intrusive, c’est renoncer à la douloureuse mais salutaire épreuve des faits. Quand on érige en mythe des principes généreux mais incantatoires, on risque de les transformer en une redoutable arme de propagande pour les coalitions dominantes qui sauront les absorber et s’en réclamer pour mieux s’autolégitimer.

Droits formels et accessibilité effective

On a oublié que depuis Aristote, la politique, « art de rendre les peuples heureux », n’a cessé d’être confrontée à l’opposition entre justice commutative et distributive,  Leibnitz distinguait les libertés de fait et les libertés de droit et Marx n’a cessé cessé de dénoncer la confusion entre égalité formelle, juridique et statutaire (droits – liberté) et égalité réelle qui garantit l’accessibilité effective (droits  -créances) à une protection entre autres domaines, d’emploi, de santé, de services sociaux, de logement,  d’enseignement etc.. On peut certes discuter ​longuement​ sur ce que doit être l’égalité, sur les rapports entre liberté et égalité et sur le périmétrage d’une protection sociale universelle. Là n’est pas mon propos.
On a oublié aussi que concernant l’assurance maladie s’appliquait le principe d’universalité qui définit les conditions d’une égalité réelle d’accès aux soins de la maladie pour tous, dans le cadre de soins fondamentaux définis par un choix politique et couverts par un protection universelle, sans s’opposer pour autant au vœu formel du »bien-être » pour tous:

« Chacun paie selon ses moyens, et reçoit selon ses besoins. »

Dès lors il devient évident que trop ​d’égalité formelle tue l’égalité réelle, comme les mauvaises lois affaiblissent les bonnes et ce d’autant plus que s’impose une politique internationale d’ajustement qui contraint les organisations internationales à s’en faire peu ou prou les appareils idéologiques. Autrement dit l’idéalisme intrusif de l’économie mainstream appliqué à la santé tue la diversité des réalisations concrètes, paralyse l’innovation faute de modèle économiques viables et détruit irrémédiablement des compétences clés au détriment des usagers.

Ubulogie clinique des lois de santé française

Voici un diaporama (15 dias) qui se propose d’être une  « ubulogie clinique » des lois de santé française, la dernière de ces lois, couronnant une approche qui combine dans une remarquable synergie négative  économisme et managérialisme. Elle s’inscrit dans la droite ligne non seulement de la loi HPST, qui combinait la subordination des cliniciens aux managers et par leur intermédiaire aux agences à l’imposition d’un modèle économique du « tout incitatif ». Elle s’inscrit à plus long terme dans une politique de soins de santé minée par la « crise de l’intelligence » bien française si bien décrite par Crozier autant, sous un aspect différent, que par l’école de Bourdieu.
Il faut considérer l’effet d’autogénération des objectifs par les indicateurs de gestion (coûts, « qualité ») et d’inégalités à la fois. (voir INPES sur l’Europe et la France page 78+++)

L’invention de l’escalier Shadok

Jacques Rouxel, l’inventeur des Shadoks, en avait rêvé, le BIT a fini par inventé l’escalier shadok. Ce modèle est prévu pour les pays en voie de développement mais il faut bien constater qu’il est aujourd’hui préconisé dans les pays où la protection sociale était bien plus avancée. Il fait dès lors descendre de manière plus inégale ce qui était fait pour faire monter tout en réduisant les inégalités…

Webographie

​Déclaration d’Alma-Ata sur les soins de santé primaires

« La Conférence réaffirme avec force que la santé, qui est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité, est un droit fondamental de l’être humain, et que l’accession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social extrêmement important qui intéresse le monde entier et suppose la participation de nombreux secteurs socioéconomiques autres que celui de la santé. »
« Le développement économique et social, fondé sur un nouvel ordre économique international, revêt une importance fondamentale si l’on veut donner à tous le niveau de santé le plus élevé possible et combler le fossé qui sépare sur le plan sanitaire les pays en développement des pays développés. »
« Les soins de santé primaires sont des soins de santé essentiels fondés sur des méthodes et des techniques pratiques, scientifiquement valables et socialement acceptables, rendus universellement accessibles à tous les individus et à toutes les familles de la communauté avec leur pleine participation et à un coût que la communauté et le pays puissent assumer à tous les stades de leur développement dans un esprit d’autoresponsabilité et d’autodétermination . « 

Rapport sur la protection sociale dans le monde 2014/15 Vers la reprise économique, le développement inclusif et la justice sociale

​ »​Les pays à revenu élevé ont réduit l’éventail de prestations de protection sociale et limité l’accès à des services publics de qualité. Allant de pair avec un chômage persistant, des salaires réduits et des impôts plus élevés, ces mesures contribuent à l’augmentation de la pauvreté et de l’exclusion sociale, qui touche actuellement 123 millions de personnes dans l’Union européenne, soit 24 pour cent de la population, dont beaucoup d’enfants, de femmes, de personnes âgées et de personnes handicapées. Les coupes budgétaires ont été déclarées inconstitutionnelles par plusieurs tribunaux européens. Le coût de l’ajustement est supporté par les populations, qui sont confrontées à des suppressions d’emplois et des revenus plus faibles depuis plus de cinq ans. Les faibles niveaux de revenu des ménages donnent lieu à une baisse de la consommation intérieure et de la demande, ce qui freine la reprise. Ces réformes d’ajustement à court terme viennent miner les réussites du modèle social européen, qui avait su réduire considérablement la pauvreté et favoriser la prospérité après la Seconde Guerre mondiale. »

​Concepts en Santé Publique​ « La SP est donc « populationnelle » et non « individuelle

​ »Attention la santé publique n’est pas uniquement une médecine de prévention par opposition à une médecine de soins qui n’est pas uniquement curative.​ »

Réduire les inégalités sociales en santé ​ Europe page 74​

​Retour à Alma-Ataa. Margaret Chan​ Sur les interprétations possibles d’Alma Ata

Myths of community-based health care. Carl E. Taylor

Community-based health care and development: exploring the myths. A.A. Hyder

​Health promotion, power and political science Valéry Ridde and Patrick Cloos​ – La Charte d’Ottawa : un manifeste pour « le manifestant » ? Michel O’Neill

Twenty-five Years After the Ottawa Charter: The Critical Role of Health Promotion for Public Health Louise Potvin, PhD Catherine M. Jones, BA

Sociopolitical Determinants of International Health Policy = Dé​finition de l’alternative illusoire​: ​Alma-Ata ou le néolibéralisme​

​ »​For decades, two opposing logics have dominated the health policy debate: a comprehensive health care approach, with the 1978 Alma Ata Declaration as its cornerstone, and a private competition logic, emphasizing the role of the private sector. We present this debate and its influence on international health policies in the context of changing global economic and sociopolitical power relations in the second half of the last century. The neoliberal approach is illustrated with Chile’s health sector reform in the 1980s and the Colombian reform since 1993. The comprehensive “public logic” is shown through the social insurance models in Costa Rica and in Brazil and through the national public health systems in Cuba since 1959 and in Nicaragua during the 1980s. These experiences emphasize that health care systems do not naturally gravitate toward greater fairness and efficiency, but require deliberate policy decisions. »

Neoliberalism and its Consequences. The World Health Situation Since Alma​ Alternative illusoire – Confusion entre « biomédecine » et « domination​ »

​ »​Neoliberalism could have not been expanded had it not been for the alliance of the dominant classes of the rich countries with the so-called “poor” countries. There are no poor countries in the world. But there are a lot of countries with a lot of very poor people. And 20% of the richest people in the world live in so-called poor countries. The dominant classes of the so-called poor countries benefit from the neoliberal policies. The promotion of neoliberalism in the health sector is supported not only by the dominant classes of the North, but also by the dominant classes of the South. The active promotion of the privatization of health care, the aggressive sold of the private conservative insurance, the support of the biomedical hospito-centric model of medicine, and many other neoliberal health policies are supported by the dominant classes of the North and of the South. »

La santé au cœur des lendemains qui chantent et qui déchantent (Commentaire)​ ​In: Sciences sociales et santé. Volume 21, n°2, 2003. pp. 109-114.

Soins de santé primaires: mythes et réalités

​D’où vient le concept d’égalité réelle ? 

« Il ne peut y avoir ni vraie liberté, ni justice dans une société, si l’égalité n’y est pas réelle ; et il ne peut y avoir d’égalité, si tous ne peuvent acquérir des idées justes sur les objets dont la connaissance est nécessaire à la conduite de leur vie » ​ Condorcet​

​Tizio Stéphane, Flori Yves-Antoine. L’initiative de Bamako : santé pour tous ou maladie pour chacun ?. In: Tiers-Monde. 1997, tome 38 n°152. pp. 837-858.​

Remarquables modèles de cercle vicieux ​parfaitement applicables aux pays développés: analyse réaliste du rôle des rentes économiques comme freins au succès des différents modèles de gestion.

Esculape vous tienne en joie

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Loi de santé: le paternalisme managérial de marché

« Avec les moyens actuels de publicité, une opinion ou une doctrine peut être lancée comme un produit pharmaceutique quelconque. » Gustave Le Bon 1924
Il arrive un moment où il faut s’interroger sur le sens des réformes des politiques publiques de santé.
Ce moment survient quand on s’aperçoit que des réformes faites au nom de la qualité des soins, de l’efficience et de l’égalité d’accès aux soins entraînent leur dégradation de jour en jour en ville, à l’hôpital et dans le secteur médico-social. Qui n’en a pas le témoignage quotidien avec des proches qui sont malades, de plus en plus mal orientés en ville ou en SSR après un séjour hospitalier aigu où tout est fait à la va-vite, sous pression d’un management dont la satisfaction signifie la survie pour une activité, et sans identification possible des besoins après la sortie? Ceux-ci nous appellent à l’aide, désemparés et perdus dans un système devenu incompréhensible même pour les plus habiles.
Il arrive un moment où la propagande qui soutient cette ré-ingénierie disruptive de la « santé » doit être décryptée à la lumière de l’économie, de la sociologie (politique, du travail et des professions), et des sciences de gestion. Nous pouvons essayer de nommer le mal, c’est le « paternalisme managérial de marché », appliqué à l’action publique en santé.
Ce paternalisme managérial de marché, il faudrait dire de « leurres marchands » créés pour mieux inciter homo economicus, cet idiot rationnel de l’économie classique devenu irrationnel – aux rationalités limitées – pour l’économie mainstream, c’est à la fois l’ennemi du libéralisme politique qui protège de l’arbitraire de l’Etat, du libéralisme économique classique qui promeut la liberté d’entreprendre, et du libéralisme médical, ce dernier concept concernant tout autant les médecins dits libéraux que l’indispensable « statut » protecteur de l’autonomie des médecins quand ils sont salariés quel que soit le secteur d’exercice.
Les réformes récentes visent avant tout à la réduction des dépenses de santé dans un contexte de faible croissance et de forte dette.
Les méthodes sont partout inspirées des mêmes modèles internationaux, dans un contexte où les Etat sont conduits à se faire prédateurs de leurs services publics sous la pression des programmes d’ajustement structurels.
L’effet quotidien de ces méthodes low cost, laissées par la gouvernance actuelle sans aucun contre pouvoir médical à un management devenu tout puissant mais sous les fourches caudines des ARS, est désastreux.
Le statut des médecins est un obstacle aux réformes, les réformateurs le savent, en ville ou à l’hôpital en public comme en privé ils n’auront de cesse de le fragiliser pour imposer des modèles industriels simplistes et inappropriés. Il existe des modèles industriels intelligents à condition de savoir concilier flux poussés et flux tirés, dans la considération du résultat attendu par celui qu’on s’évertue à appeler « client », le résultat clinique au terme de la chaîne de soins. Encore faut-il en avoir une vision claire et que celle-ci soit partagée par les parties prenantes. C’est pourquoi le dialogue médecin-patient reste le fondement de la définition du résultat attendu, du résultat qui compte vraiment et qu’on ne sait guère compter à ce jour.
Les trois piliers de l’idéologie qui soutient le management de la « grande santé » sont trois formes dévoyées et sans aucune evidence based policy de trois nobles disciplines:
  1. Santé publique: 
    – Centrage sur les soins primaires assimilés aux soins ambulatoires; nouvelle base de la promotion de la santé, de la prévention, des coopérations entre professionnels de santé et de l’orientation par subsidiarité vers les niveaux de soins supérieurs (gate-keeping contrôlé par les payeurs).
    – Inversion du triangle d’allocation des ressources du curatif vers le préventif, à somme négative pour les dépenses de santé mais on ne le dit, ni ne le justifie.
  2. Economie
    L’économie des incitations et les théories de la firme promeuvent partout comme seul modèle d’efficience la compétition régulée entre « firmes », ce qui implique de créer des pseudo-marchés à l’intérieur des système de protection sociale, que l’offre soit publique ou privée.
  3. Management:
    – Promotion de l’ingénie, de la planification stratégique et de la gestion des risques aboutissant à l’horizontalisation des professions de santé sous la direction des managers (couple infernal intégration/processus si bien dénoncé par François Dupuy dans « lost in management »)
    – Asservissement de toute production à la fonction de production de l’action publique qui fait passer l’individu malade après l’impact des politiques publique sur les indicateurs de bien-être
    – Fragilisation des professions protégées partout dans le monde (médecine) et à « pratiques prudentielles » (Champy, Freidson, Abbott et nos amis sociologues français).
Le résultat est un ensemble de mesure de management public de la santé promues depuis des décennies, mais fortement accélérées par la loi HPST et l’actuelle loi de santé :
  • La démédicalisation même si personne ne peut être contre la prévention ni contre l’évolution des professions, en lien avec les nouvelles technologies et les modèles économiques qui en découlent
  • La dé-spécialisation au nom de « l’intégration des parcours de soins » par les médecins de premier recours et les futurs « coordinateurs de parcours » non médecins (preuves? décision démocratique?).
  • La dés-hospitalisation au nom du virage ambulatoire qui s’annonce sans garde-fous ni l’articulation indispensable avec le médico-social
  • La dé-protection sociale par rapport au risque maladie, la vraie maladie celle qu est bien tangible pour les usagers et dont ils veulent rester protégés.
Ceux qui ne sont pas encore convaincus et restent encore sensibles au patafar politico-médiatique de l’innovation destructrice doivent lire « l’Etat prédateur » de James K. Galbraith, les critiques internationales à l’égard des programmes d’ajustement structurels y compris émanant de l’OMS, les écrits de Claude Rochet sur les mécanismes d’autodestruction bureaucratique de l’Etat, les critiques de l’imposture économique, les critiques du management stratégique, les critiques du Nouveau Management Public et enfin les critiques de la sociologie interactionniste toujours enseignée à l’EHESP.

Qui et au nom de quelle science exacte définit le contenu du « catalogue d’approvisionnement en prestations »? Qui en définit les catégories, si variables d’un pays à l’autre, ce qu’on nomme « programmes » au Canada, par exemple pour la réadaptation des déficiences physiques? Bref en évitant autant que possible le patafar réformateur, qui dans ce grand marché définit le besoins des clients à couvrir? Les compétences clés structurantes des activités? Les modèles économiques? Les organisations le plus efficientes?

Le schéma de Busse

Ce schéma permet de montrer non seulement qu’on va bien vers une intégration de l’offre par les payeurs, mais que ceux-ci sont privatisés (assurances maladies) tandis que la pression bureaucratique de l’Etat sur l’offre, sous la forme d’indicateurs insignifiants et d’injonctions de plus en plus paradoxales, ne cesse d’y produire perte de sens, cynisme, désarroi et désenchantement.

Un plus grande égalité des soins et de l’accès aux soins ne sera pas au rendez-vous, puisqu’on ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont créés.

Source : Busse, R., (2006), Les systèmes de santé en Europe : données fondamentales et comparaison, La Vie économique Revue de politique économique, 12:10-3.

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Esculape vous tienne en joie,

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Loi de santé, stratégies d’ajustement et réduction de la protection sociale


La fonction politique de la promotion de la santé

La thèse que je défends ici est que les politiques publiques de santé déploient sous la contrainte des organisations internationales une stratégie d’ajustement qui légitime l’alignement entre la promotion de la santé dans une vision trop extensive du concept, l’intégration managériale par les sciences de gestion et de l’organisation du travail et les nouveaux modèles économiques appliqués à la santé dont l’économie des incitatifs dans le cadre des théories de la firme. L’objectif pour les uns, le risque non calculé pour les autres, est la déconnexion de la médecine et de la protection sociale en vue ou au risque d’une réduction drastique d’une couverture maladie fondée sur la solidarité nationale.

Diaporama: Réorganiser le système de santé quand les ressources sont rares

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GHT: la forme soviétique des Accountable Care Organizations ?

Les Groupements Hospitaliers de Territoire sont l’application française, déconnectée de son modèle dans les discours officiels, des Accountable Care Organizations américaines (ACO).

Le principe des ACO est de mieux faire partager le risque financier entre les payeurs et les offreurs en incitant les offreurs à se regrouper dans l’objectif affiché d’améliorer la qualité et l’efficience des soins pour une population et dans un territoire donnés. Dans ce contexte il est plus que probable que l’intégration directe de l’organisation et de l’offre par les payeurs sera croissante (sécu et/ou assurances complémentaires). Pour garantir la qualité des soins, les payeurs ne devraient pas être à la fois juge et partie, financeurs et organisateurs chargés de définir la qualité et d’évaluer les biens et services produits. 
Ces organisations supposent la mise en œuvre de nouveaux systèmes de paiement: P4P, bundling (par épisodes de soins) et capitation associés aux « shared savings« . Ces économies partagées permettent de « discounter » des soins dans une compétition entre mieux-disant vis à vis des acheteurs de soins, assortie de garanties « qualité ». Ces nouvelles formes de paiement sont étroitement liées à l’organisation des soins et à ses restructurations. 
Tout cela passe de fait par une intégration verticale des « parcours » (autrement dit, de la « fonction de production » en management et la « chaîne de valeur » en économie). Le résultat de la production est de moins en moins aujourd’hui un outcome individuel pour un patient malade selon notre modèle clinique que des impacts économiques et sociaux définis comme « déterminants de santé » par les politiques de santé et dès lors soumis à des arbitrages en termes de coûts d’opportunité. Cette intégration de la médecine à la fonction de production de l’action publique porte le doux nom de « promotion de la santé » en novlangue. Ce modèle importé d’Alma Ata et de la charte d’Ottawa a été généralisé à tous les pays développés par l’OMS et les organisations internationales afin de justifier l’ajustement et l’inversion du triangle d’allocation des ressources des soins curatifs vers les soins primaires. C’est gros, mais ça passe, si bien que l’on y ajoutera les nouveaux métiers et la ‘Patamédecine pour déployer le triptyque low cost encensé par les modèles disruptifs de Christensen : démédicalisation des soins primaires « disruptés » par les nouveaux métiers – déspécialisation du second recours disruptés par les généralistes « augmentés » par la technologie – déshospitalisation disruptée par les spécialistes du fait de l’obsolescence du « magasin de solution ». Exit les missions d’assistance publique par définition non captées dans ces modèles économiques. 
Les conflits d’intérêt sous très forte contrainte budgétaire supposent que le même ne soit pas juge et partie de la « qualité » et de « l’efficience » des soins produits par des réorganisations sommées avant tout de vendre des soins discount aux acheteurs. C’est ce que dénonce à juste titre Kervasdoué dans « l’aveuglement conservateur » des politiques de santé françaises. 

« l’Etat non seulement régule, mais organise, contrôle, et se faisant juge et partie, se paralyse… » Jean de Kervasdoué. Santé : un aveuglement conservateur. Marianne n°934.

Les médecins sont de plus en plus « intégrés » par le salariat, quelle que soit la forme de paiement des activités de soins, comme dans le modèle des centres de santé mutualistes, avec adjonction d’une carotte à la performance, et les managers sont intégrés par la gouvernance de ces nouvelles structures régulées. 
Le modèle de valeur officiel est donc centré sur la « promotion de la santé », il y a donc clairement dans les lois de santé successives un alignement entre 
  1. le modèle de santé publique de promotion des soins primaires comme portes d’entrées en exercice regroupé régulant l’accès de premier recours aux niveaux supérieurs, la prévention, la coordination d’appui aux soins et la santé comportementale, 
  2. l’intégration managériale de l’action publique avec une organisation territoriale à base populationnelle et hiérarchisée sur deux ou trois niveaux de la réponse aux besoins et enfin 
  3. les modèles économiques disruptifs / incitatifs de l’économie de la santé. 
Qui peut être contre l’amélioration des soins de proximité, l’engagement des citoyens dans la gestion de leur propre santé, une éducation adaptée aux bons comportements de santé, la prévention et enfin pour ce qu’il faut de virage ambulatoire pour réduire les hospitalisations évitables ? Tout le monde est favorable à l’évaluation de la qualité et pour la recherche du juste soin au moindre coût pour la collectivité. La question n’est donc pas là, mais de savoir quels processus opérants vont gouverner les marchés politiques en contexte de rationnement (rappel du concept: les élus cherchent à assurer leur réélection et maximiser leur fonction d’utilité avant de faire ce pourquoi ils ont été élu en promettant plus qu’ils ne peuvent tenir). Quelles sont les coalitions d’acteurs que l’action publique va mettre en avant au nom des principes- buzzwords qui servent l’ajustement, quand ce n’est pas la création de nouvelles couches de technocrates qui, selon Hayek, n’en finiront plus de promouvoir la croissance des systèmes et institutions dont ils sont les experts. La dés-hospitalisation sera délétère si elle se fait avant d’avoir compris pourquoi les parcours sont si chaotiques et pourquoi l’incoordination règne. 
Le diagnostic sévère de Crozier, pourtant un gentil « sociologue de service » comparé à l’école de Bourdieu, est vérifié plus que jamais dans le domaine de la santé: la société est bloquée essentiellement parce que l’intelligence de l’Etat traverse une crise très profonde. 
Au niveau économique il convient de distinguer deux discours plus ou moins hybridés dans la doxa des réformateurs français, celui de l’innovation disruptive (Christensen) qui cherche à détecter l’émergence de nouveaux modèles économiques viables pour répondre aux nouvelles exigences du marché réel , et l’économie des incitatifs qui confère à l’Etat régulateur la mission de mettre en œuvre une compétition généralisée entre « firmes », dont on attend l’efficience (managed competition). C’est compliqué parce que la régulation macro-économique et le Nouveau Management Public tentent de modeler à la fois les modèles économiques des soins de santé et le comportement micro-économique des acteurs. La réglementation impose la proposition de valeurs-santé pour les bénéficiaires (lois de santé publique successives), les formules de revenus (tarification) et enfin l’architecture des activités de soins (gouvernance, planification, autorisations, ingénierie des compétences clés, labellisation / certification soumises à la chaîne de commandement DGOS > ARS > établissements regroupés en GHT). 
Le terrain d’application privilégié de ces « théories de la firme » est l’ensemble des services publics où la multiplication des agences est interprétée par les uns comme une soviétisation (relations hiérarchiques et procédures industrialisées par l’organisation scientifique du travail à partir de l’EBM) , par les autres comme une marchandisation néo-libérale par essence sous contrôle, selon la « théorie de l’agence » (gestion de l’incomplétude des contrats et de l’asymétrie d’information entre « principal » et « agent »). 
La compétition régulée n’implique pas forcément la privatisation mais au moins l’introduction de pseudo-marchés. La T2A peut être ainsi vue comme un mécanisme de yardstick competition favorisant la survie des « firmes » produisant la meilleure qualité au meilleur coût en les rapprochant d’une firme fantôme au fonctionnement idéal, ou comme un simple mécanisme d’allocation à l’activité dans une perspective comptable (fee for service). Elle n’est plus en France qu’une clé de répartition d’une enveloppe fermée modulo un pilotage brouillon des restructurations, puisque prenant une moyenne pour une norme elle est ensuite globalement rabaissée en fonction de l’ONDAM. 
Comment la certification et l’évaluation de la qualité par les mêmes qui sont chargé de réduire les dépenses et qui sont évalués et promu avant tout sur leur capacité à le faire et cela sans contre-pouvoir effectif des organisations professionnelles pour labelliser les programmes de soins pourraient-elles être autre chose qu’un vaste rêve de fer technocratique? 
Il s’agit bien en fait d’un paternalisme managérial de marché qui, par construction, exclue les professionnels de la conception des processus de soins en leur laissant la place, selon le point de vue d’où on se place, soit d’exécutants de chaînes de montage gérées par les ingénieurs du soin, soit d’idiots aux rationalités trop limitées pour participer aux processus de décision qui les concernent, tout juste bons à « inciter ». Cette exclusion conduit à combiner les défaillances de la main invisible du marché avec celle bien trop visible de la bureaucratie. 

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Loi de santé: quand le néo-libéralisme avance masqué


Hôpitaux magnétiques, professionnalisme et régulation professionnelle


« Le bien imposé du dehors aboutit au mal suprême, qui est pour une nation la léthargie, le matérialisme vulgaire, l’absence d’opinion, la nullité officielle, sous l’empire de laquelle on ne sait rien ni n’aime rien. L’administration détruit le ressort des âmes. » Ernest Renan

Le cadavre du professionnalisme bouge encore


« La clinique apparaît comme une dimension essentielle de l’hôpital. J’entends ici par clinique l’organisation de l’hôpital comme lieu de formation et de transmission du savoir. » Michel Foucault.

Les menaces qui pèsent sur professionnalisme médical font aujourd’hui l’objet de nombreux travaux. La France, isolée dans ses enceintes mentales, peine à les intégrer dans ses réformes du système de santé.
Il est urgent de reconnaître la légitimité d’une régulation professionnelle, à tous les niveaux de gouvernance, qui puisse nous protéger, nous et nos patients, de l’infantilisation économisciste et managérialiste qui préside aux lois de santé successives. L’actuel projet est bien une loi HPST 2, il ne faut pas s’y tromper. Les sources internationales de l’affaiblissement du rôle de la profession médicale dans l’organisation des soins de santé peuvent se résumer par le terme de « néo-libéralisme », à condition de bien le définir. A la différence du libéralisme classique qui met en avant les bienfaits de la liberté d’entreprendre mais se trouve confronté à l’impossible définition de l’Etat minimal, le néolibéralisme, lui, réclame un Etat fort, régulateur au nom d’un savoir d’experts scientifiques, de la compétition entre des entités individuelles ou collectives toutes considérées comme des « firmes ». 
Ainsi, d’une part l’économie orthodoxe , par ses théories de la firme, fait de nous de la chair à incitation pour optimiser l’efficience dans la compétition entre entités-firmes, tandis que d’autre part le managérialisme veut nous transformer en techniciens de santé appliquant des procédures mécanistes rationalisées et explicitées d’en haut par des « experts ». La gouvernance « intégrée », définie par les organismes internationaux, se donne pour objectif d’aligner les différents niveaux de « firmes »: Organisation mondiale, République-entreprise ou Etat-stratège, organisation-entreprise, sous organisations et individus entreprises. Le combat classique entre libéraux et républicains devient donc à la fois une « querelle de fous » (Marcel Gauchet) mais surtout un combat de dupes soigneusement entretenu par la propagande du rationnement.

Une guerre généralisée entre firmes, régulée par l’Etat-Léviathan


« La gouvernementalité désigne l’activité qui permet de gouverner par la liberté, de manière à ce que les individus « en viennent à se conformer d’eux-mêmes à certaines normes »


Ce paradigme de l’objectivation quantifiée justifiant le pouvoir légitime du régulateur d’entreprises mises en compétition et celui tout aussi légitime de la normalisation des procédures, ne peut trouver qu’un étalon universel, l’argent. L’ingénierie de l’homme nouveau dans ce meilleur des mondes suppose des attitudes conformes à la généralisation de cette forme entrepreneuriale à toutes les sphères de la vie implique que le sujet se croie libre de ses choix (Foucault), tandis que le management veut avant tout contrôler des sujets dociles aux procédures standardisées définies par les bureaux des méthodes et au comportement soumis à l’autorité. Le managérialisme promeut des méthodes rationalisées et intégrées par la hiérarchie, ayant vocation là encore à envahir toutes les sphères de la vie publique et privée, au nom du calcul d’impacts sur le Bien-être collectif et du principe de prévention. Voilà la source de la quanto-schizophrénie qui multiplie à l’infini les injonctions paradoxales, le désenchantement de l’ensemble de ceux qu’on nomme « professionnels de santé » face à des indicateurs myopes toujours plus insignifiants.
L’économie, science de la production des biens et des services, opère une fusion délétère avec le management, science de rationalisation des activités sociales au service de la « santé bonheur ». Nous n’avons été que trop longtemps passifs et culpabilisés par le discours de l’anti-médecine face aux effets désastreux que cette chimère provoque sur les prises en charge des patients, sur la formation, la combinaison et la transmission des savoirs individuels et collectifs. Ces savoirs en action et par l’action ne trouvent plus de voie pour s’appliquer correctement à des cas concrets, singuliers, imprévisibles et complexes de nos patients. Nous n’avons pas assez vite perçu la destruction de la médecine à visage humain, centrée sur l’intérêt individuel du patient,  derrière l’idéologie et la propagande les stratégies politiques d’ajustement et les inférences utilitaristes douteuses qui les supportent.
Nous constatons au quotidien les conséquences du mépris, institutionnalisé en dogme, du lien essentiel entre savoirs professionnels et la segmentation des activités au sein de l’organisation. Nous ne pouvons que déplorer l’occultation contre-productive et obsédée de production low cost,  de la qualité et de la sécurité réelles qu’apportent des équipes stables, formées et motivées, structurées par ces savoirs et ces pratiques prudentielles. Nous voici enfermés dans la cage d’acier de Max Weber. Il fallait pour cela que la médecine soit avalée toute crue par la politique et que les activités de soins soient asservies à la « fonction de production » de l’action publique.

La nouvelle sociologie des professions


« Entre l’opinion et la connaissance scientifique on peut reconnaître l’existence d’un niveau particulier qu’on propose d’appeler celui du savoir (…); il comporte (…) des règles qui lui appartiennent en propre. » Michel Foucault.

La nouvelle sociologie critique, avec Freidson, Champy, Pierru et Belorgey a intégré les menaces qui pèsent sur le professionnalisme. Elle y jette un regard nouveau face aux impasses de l’interactionnisme critique (Champy). Elle aborde les professions à pratiques prudentielles dans des termes différents de ce qui est enseigné officiellement à l’EHESP, dans les écoles de cadres voire dans les formations pour médecins gestionnaires, reconnaissant le besoin à la fois d’une protection et d’une régulation professionnelle rénovée dans ses partenariats renouvelés avec les usagers, le marché, les managers et les politiques de santé.
L’articulation des connaissances, des activités et de l’organisation n’a pas de modèle unique. Pour sortir de l’impasse actuelle de la gouvernance néo-managériale, le modèle des « hôpitaux magnétiques » fait partie de ceux qui peuvent nous éclairer. Pour repenser la régulation professionnelle et ses liens nécessaires avec les parties prenantes, il est fécond de s’appuyer aussi sur la description des configurations organisationnelles de Minzberg et sur les théories de la « firme », elles-mêmes multiples et contradictoires, notamment sur celles qui mettent en avant les organisations créatrices de connaissances et les noyaux de compétences clés de la véritable performance de l’organisation (core competence).
L’économie, les sciences sociales et les sciences de gestion portent en elles les ressources qui permettent de prévenir leur pouvoir de mystification sur les semi-habiles et de lutter contre leur instrumentalisation par le Prince ou par les ploutocrates.

Les hôpitaux magnétiques : un hôpital où il fait bon travailler en est un où il fait bon se faire soigner. Yvon Brunelle

UNE SOURCE D’ENSEIGNEMENTS : LES HÔPITAUX « MAGNÉTIQUES » AMÉRICAINS Par Yvon Brunelle Direction de l’organisation des services médicaux et technologiques Ministère de la Santé et des Services sociaux

Mayo Clinic: Multidisciplinary Teamwork, Physician-Led Governance, and Patient-Centered Culture Drive World-Class Health Care

Des Hôpitaux magnétiques : pour une gouvernance à visage humain !

La bureaucratie professionnelle. Henry Mintzberg. Structure et dynamique des organisation.

The core competence of the corporation. Hamel Pralahad

Sociologie des professions. Florent Champy. PUF 2ème edition 2012


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Loi de santé: Marisol Touraine ou la faisabilité politique de l’ajustement

La logique de l’Etat prédateur

Bonne et heureuse année à tous!


« Avec les moyens actuels de publicité, une opinion ou une doctrine peut être lancée comme un produit pharmaceutique quelconque. » Gustave Le Bon 1924

« Les grands groupes peuvent rester inorganisés et ne jamais passer à l’action même si un consensus sur les objectifs et les moyens existent. » Mancur Olson

Le sous titre d’un livre de James K. Galbraith intitulé « l’Etat prédateur », paru en 2009, était le suivant:
« Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant ».
Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, y ajoutait ce commentaire: « Galbraith montre comment briser l’emprise magique des conservateurs sur les esprits de gauche. »

Force est de constater que cette description de la dégénérescence ploutocratique de l’Etat providence vers une « république-entreprise » au service des intérêts de coalitions agissant en « prédateurs » vis-à-vis des institutions existantes convient parfaitement à l’analyse de la loi de santé.  « Il ne s’agit pas d’une lutte entre « l’État » et le « marché », comme l’illustre le secteur de la santé. » Les principales activités lucratives de ces prédateurs, soutenus par l’Etat, concurrencent en tout ou partie les grands services publics. « Il n’est pas question de rendre ce dernier en totalité au privé, mais de trouver des solutions institutionnelles permettant de maximiser les profits des entreprises pharmaceutiques et des compagnies d’assurances privées. » (Galbraith)

Quels sont les objectifs principaux de la loi de santé? Soumettre le médecin pour mieux rationner sans en avoir l’air et vendre la « sécu » par appartements pour augmenter en douce le reste à charge et passer à un régime commercial de protection sociale, le managed care de réseaux intégrés de soins sous l’emprise des assurances privées.

Je me suis permis de détourner un dessin de www.viedecarabin.com pour en faire une analyse partageable entre les divers modes d’exercice de la médecine. Cela peut encore être amélioré.
Que ceux qui partagent un peu cette vision lisent l’excellent blog de Christian Lehmann
De quoi Marisol Touraine est-elle le nom? (à lire absolument)
 

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Loi de santé: l’unité manquée des médecins, CQFD


1. Fédérations d’établissements et médecins n’ont pas la même stratégie

2. Le silence des agneaux

D’après cet article du Figaro, seuls les urgentistes, les libéraux et les cliniques prives sont hostiles à la loi de santé
L’inaction des médecins des établissements tend à accréditer la thèse de la promotion d’un « hospitalo-centrisme » public par un gouvernement de gauche voulant « casser » le privé.
Cette vision du Figaro, certes critiquable et idéologique, témoigne tout de même des risques inhérents à l’inaction des hospitaliers et à la division des médecins.
Hors force est de constater que ce sont tous les secteurs de la médecine qui sont visés. Le principal travail de réingénierie low cost, les principales économies (voir sous ce lien la répartition annoncée des « efforts » et écoutez les propos des économystificateurs de « C dans l’air »), notamment par la déshospitalisation et le transfert de fonds des soins curatifs vers la prévention, voire la ‘patamédecine, visent principalement l’hôpital.
La « marchandisation », non comme fantasme politique, mais selon la définition claire des textes européens, avec les risques que cela comporte au regard du Droit européen, ceux du passage d’un régime dit « fondé sur la solidarité » à un régime dit « économique », est un bon moyen de baisser les investissements de l’Etat et de masquer le rôle du régulateur central de la concurrence encadrée derrière des agences pseudo-indépendantes.
La vente de la « sécu » aux complémentaires santé – par tranches de salami comme dirait Didier Tabuteau – montre bien que la classique lecture droite / gauche ne convient pas. 
C’est l’analyse des outils idéologique économiques et managérialistes du Nouveau Management Public qui convient, et pourquoi les marchés politiques les achètent en contexte d’ajustement.

3. L’arrogance méprisante des experts et des pompiers pyromanes

« C dans l’air »: les médecins en colère

Un médecin, Jean-Paul Hamon, affronte seul une palanquée d’experts auto-proclamés qui savent tout en lisant des rapports et en appliquant des modèles. L’auteur de « la démocratie sanitaire » reste prudent sur la loi de santé, prompt tout de même à prôner une réforme systémique globale vue d’en haut. Le journaliste du « Point », François Malye, est épouvantable, pontifiant en grand donneur de leçons à l’hôpital sur son inorganisation abracadabrante et aux libéraux sur leur corporatisme archaïque. Le plus difficile à comprendre c’est que le discours du CISS, toujours pour plus de flicage et plus de contrôle par l’administration quoique il en coûte, s’appuie pour soutenir la loi sur la mutualité d’Etienne Caniard! Le bon argument contre le TPG n’est pas la demande induite et inflationniste, comme le signale Tabuteau, c’est la théorie des coûts de transaction, qui exploseront dans l’usine à gaz actuelle des multiples régimes obligatoires et complémentaires. 86 opérateurs gèrent 14 régimes obligatoires, et l’on compte 698 organismes d’assurance-maladie complémentaire fin 2011 (rapport IGF / IGAS septembre 2013).

Un chiffre intéressant donné par Jean-Paul Hamon (FMF): 0,3 salariés – notamment secrétaires – par médecin libéral en France contre 2,4 en moyenne européenne. Pourquoi une telle différence?
D’autres chiffres étonnants sont donnés par Didier Tabuteau, sur l’extravagant coût de gestion des « complémentaires santé » au regard du fait que ce coût correspond à peu près au montant du « trou de la sécu » (7 milliards d’euros)! Voici pour s’en convaincre quelques éléments du rapport IGF IGAS.

Extrait du rapport intitulé: « Les coûts de gestion de l’assurance-maladie. »  IGF-IGAS septembre 2013

Comment expliquer cette politique de promotion des complémentaires qui va manifestement à contre sens de l’evidence based policy? La faisabilité politique de l’ajustement ne suffit pas, il faut intégrer à l’explication de ce sacrifice de soins de santé accessibles et solidaires la loi d’airain de l’oligarchie telle que Galbraith nous la décrit. Le désengagement de la « sécu » au profit des complémentaires nous confronte à un certain nombre de risques: 

  • La réduction progressive des soins relevant de l’AMO avec la distinction délétère entre soins « courants » mais indispensables qui seront considérés comme de « confort » (cas de l’optique et des soins dentaires) et les soins de première nécessité, alors qu’il faut déterminer par des choix politiques ce qui relève de la solidarité nationale et ce qui n’en relève pas.
  • Le renoncement croissant à des soins courants considérés comme non prioritaires et non couverts par les complémentaires low cost
  • La tentation de sélection des mauvais risques et les frais de recherche des données de santé pour opérer cette gestion optimale des risques, avec ce que cela implique pour le secret médical
  • Les frais de gestion, de publicité etc. induits par la concurrence
  • L’obligation des patients de choisir sur de listes préétablies de praticiens qui, eux, perdront en autonomie de prescription.

4. Soumettre le médecin pour contenir la dépense, puis désengager la sécurité sociale et augmenter la part du remboursement complémentaire

On confrontera ici deux texte d’inspiration bien différente mais dont une partie de l’analyse est commune.

Pourquoi nous demandons le retrait de la loi de santé (UFML)

« Le noeud Gordien de la loi est donc là : soumettre le médecin pour contenir la dépense, puis désengager la sécurité sociale et augmenter la part du remboursement complémentaire. Ainsi, le but est de faire de la médecine, en quelques mois, une profession dont le remboursement par la sécurité sociale deviendrait minoritaire permettant de lever l’obstacle à son entrée dans les réseaux de soin. »

5. Pour sortir de l’économystification de la santé: quelques mises à jour

Steve Keen: l’imposture économique
Recension 2Recension 3Recension de Jean Gadrey

L’État prédateur. Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant. James K. Galbraith, Paris, Seuil, 2009, 311 pages 

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Lettre au Père-Noël

Jean-Pascal Devailly, le 23 décembre 2014
Ô Père-Noël, s’il te plaît, écoute ma complainte et exauce mes souhaits.
Au commencement était le programme d’ajustement structurel. 
La santé en fut la cible privilégiée car nul ne s’en souciait. Ainsi fut-elle rapidement rationnée.
Mais l’ajustement avait besoin d’une stratégie du choc, afin que le rationnement des soins fût rationalisé.
La crise justifia la réduction autoritaire des dépenses de santé par le Nouveau Management Public. Il s’aida de l’expansion de l’offre privée lucrative et des complémentaires-santé déguisées en mutuelles.
La réduction des investissements publics fut associée au transfert des coûts vers un reste à charge variable selon les assurances. Cela mettait en pièces le principe de solidarité mais l’ajustement était encore loin du compte. Le cœur du problème était l’inducteur de la demande excessive, de l’overuse : le médecin.
La sous-consommation, ou underuse, fut systématiquement niée par les chiens de garde de la doxa managérialiste. Les inégalités de santé furent enfumées par des droits souvent purement formels car trop inaccessibles aux plus vulnérables, occultant ainsi la question de l’accès aux soins des classes moyennes.
Il fallut disqualifier les médecins, trop dépensiers car trop attachés à l’intérêt individuel du patient, pour les asservir à une logique utilitariste de gestion des populations. Tel fut le sens de la stratégie de « santé au public » qui suivit en cela l’orthodoxie de la LOLF, direction par objectifs et gestion axée sur les résultats.
Pour venir à bout des médecins, il fallut diriger contre eux les professions alliées, destinées à former un nouveau réservoir de main d’œuvre moins onéreux pour l’agence régionale, la nouvelle entreprise territoriale de « santé au public ».
Il fallut aussi diriger contre eux les usagers et les élus. La propagande prônant la démédicalisation de la prévention et des parcours de soins en fut chargée, avec le support des sciences sociales dont les matons de Panurge semi-habiles envahirent ministères, agences et cabinets de conseil. Le médecin était devenu un simple exécutant, inapte à décrire les besoins de soins comme à concevoir les réponses, suspect tout désigné de délit statistique, un traître corporatiste à l’humanisme de façade, mais aux motivations impures. Il devenait tout juste bon à inciter par le bâton des chaînes de commandement aux ordres du nouveau patron et par la carotte du paiement à la performance (P4P). 
La prévention devint la panacée, gérée par l’Etat et les nouveaux marchés de la promotion de la santé. Au nom de la santé bonheur et du principe de prévention, elle devint un outil de gestion des déficits induits par les soins curatifs, en ville ou à l’hôpital, dont on mit systématiquement les bénéfices en doute.
Alors put se déployer la grande intégration gestionnaire de la santé.
La rationalisation gestionnaire avait besoin d’une légitimité indiscutable, de droit quasi divin, ce fut la fonction de l’Evidence-based medicine (EBM), progressivement dévoyée et généralisée en Evidence-based practice par le positivisme scientiste qui légitimait le Nouveau Management Public. La ré-ingénierie des soins, alors décomplexée, s’appuya sur de grossières méthodes d’économie industrielle et de restructuration à la hache. L’unité clinique structurée par discipline cessait d’être créatrice, transformatrice, reproductrice et enfin lieu de combinaison de connaissances, sauf à participer à la production de l’EBM et à la légitimation de la rationalité du rationnement. Ce fut la fin de la clinique et la naissance de la ‘Pataclinique.
Pour sidérer les acteurs, les usagers et les élus, les réformateurs s’appuyèrent sur un appareil idéologique cohérent, l’économie de la santé, dont les modèles approximatifs et travestis de mathématiques trouvèrent grâce aux yeux de multiples think-tanks : les acteurs étaient tantôt considérés comme idiots rationnels calculateurs et égoïstes, tantôt comme des crétins irrationnels mus par des rationalités limitées dont les choix devaient être régulés par un savant système d’incitatifs.
Ce grand projet paternaliste de construction sociale des attitudes et comportements, porté par l’économie des incitatifs et l’énarchie de santé publique, aboutit alors à la multiplication désastreuse des injonctions paradoxales. Ces contraintes contradictoires permettaient de diviser aisément les médecins entre eux. La confusion générale et la guerre de tous contre tous régulée par Ubu rendaient enfin possible la faisabilité politique de l’ajustement. Républicains et libéraux y trouvaient matière à poursuivre leurs querelles de fous.
L’industrialisation dont on attendait qu’elle produisit des soins low cost put alors se déployer sans qu’on ne fût jamais obligé de prononcer le mot de rationnement. Toute demande de moyen se transformait, par la magie de la sophistique managériale, en problème d’organisation sous-efficiente.
Restait à définir la cible des incitatifs de l’agence, la cible de régulation des multiples théories de la « firme ». La firme cible fut choisie, ce fut la firme-hôpital et son chef d’entreprise le directeur patron, à la fois fusible et porte flingue de l’agence, tyranneau tout puissant vers le bas et d’autant plus maltraitant qu’il devenait impuissant vers le haut, alors qu’il se pensait encore naguère en « profession de l’Etat-providence ».
Ce chef, lui-même sous la coupe de l’agence, de ses programmes, de ses objectifs et de ses contrats imposés, devint ainsi le garant de la pertinence des soins et de la qualité des méthodes. Il fut chargé de diviser les portefeuilles d’activités par pôles ou centres de résultats. La tarification à l’activité fut alors vantée comme le meilleur incitatif destiné aux managers-patrons de la firme-hôpital ou « hôpital-entreprise ».
Le niveau de « l’entreprise » cible des théories de la firme appliquées au système de santé étant fixé, restait à y déployer le contrôle de gestion et la réingénierie des activités basée sur les coûts. L’intégration systémique devenue folle, nia alors le principe complémentaire de la différenciation des activités. Le système avait perdu son sens. « Lost in management », il était irrémédiablement malade du couple infernal intégration / processus qui résume les politiques de qualité top-down, aussi chronophages et coûteuses qu’insignifiantes pour les soignants. Ainsi s’engagea une véritable euthanasie bureaucratique du système de soins par la destruction, au nom de la qualité et de l’efficience, de ses activités fondamentales et de ses cœurs de compétences cliniques.
La désagrégation des équipes cliniques, naguère stables, formées et motivées, ainsi que la destruction des compétences clés et des noyaux durs médicaux et paramédicaux autrefois intégrés, furent la conséquence inéluctable de cette politique. Elle persistait par construction dans l’ignorance des mécanismes fondamentaux de la constitution d’une connaissance efficace en médecine, celle qui conditionne l’organisation des soins, l’animation et la responsabilité des équipes soignantes au contact du public qu’elles servent.
Si l’on veut bien considérer que le microsystème clinique créateur de valeur, c’est à dire de biens et de services de santé, est une unité de soins structurée sur la base des connaissances, en ville comme dans les établissements, alors force est de constater que la puissance publique s’est trompée de « firme » en voulant promouvoir cette misérable régulation à portée des caniches.
Ô Père-Noël, libère-nous de l’infantilisation managériale. Libère-nous de la mystification économique qui justifie la transformation du système de santé en fabrique du crétin sanitaire. Epargne à nos patients cette effroyable iatrogenèse gestionnaire. Libère-nous de l’intimidation quotidienne, de l’humiliation de ne plus pouvoir participer aux décisions qui nous concernent, de l’exclusion méprisante des circuits d’information qui comptent. Libère-nous de l’empêchement quotidien de faire ce que nous savons bien faire et de créer ce que nous pourrions créer en organisant le juste soin au meilleur coût. Laisse-nous la liberté de soigner les patients, et non des indicateurs myopes, insignifiants pour nous mais sur lesquels seront promus les nouveaux pères fouettards. Délivre-nous des injonctions paradoxales et du paiement à la performance, qui nulle part n’a fait ses preuves, Libère-nous enfin de la multiplication de couches bureaucratiques coûteuses et inutiles qui paralysent toute création et stérilisent toute initiative.
Esculape te tienne en joie, Ô grand Père-Noël

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Publié dans Action publique, économie de la santé, Ethique, gouvernance, Loi de santé, Nouveau Management Public, performance, Qualité des soins | Commentaires fermés sur Lettre au Père-Noël

Le médecin, entrepreneur ou prisonnier-fonctionnaire?

Hippocrate malade du paternalisme libéral ou la fabrique de l’idiot utile

« La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs. »»  Raymond Massé

« Le médecin n’est pas au service de la science, de la race ou de la vie. C’est un individu au service d’un autre individu, le patient. Ses décisions se fondent toujours sur l’intérêt individuel.» Theodore Fox. Purposes of medicine. The Lancet. 1965. Volume 286, No. 7417, 801–805

Inspiré de:


L’entreprise médicale face à la grande intégration gestionnaire de la santé


Entreprendre, c’est vouloir créer des biens ou des services. C’est donc faire « une proposition de valeur ». Une proposition de valeur porte aussi le nom de modèle économique, au sens noble de l’économie, meilleure traduction de business model. Un business model n’est ni bon ni mauvais il supporte toute activité économique, et ne peut jamais être considéré sous le seul aspect de la recherche du profit pour des investisseurs. Un modèle économique ne dit a priori ni si l’activité qu’il supporte ou supportera est ou sera organisée de façon rationnelle selon les canons du management, ni si elle est ou sera rentable même si ses promoteurs en espère la viabilité, ni enfin si elle contribue ou non à l’intérêt collectif. Les porteurs du modèle prétendront toujours qu’il y contribue, dans le cadre de la promotion du développement durable et d’une responsabilité sociétale, en vue de subventions, d’une image valorisante et/ou d’une simple tolérance réglementaire.

La santé numérique nous promet des lendemains qui chantent. Nous avons parlé dans un message précédent des modèles « disruptifs » de Christensen. Nous sommes tous fascinés, pleins d’espoir mais aussi effrayés par les possibilités ouvertes. Les conséquences aujourd’hui envisagées par les experts sont comme toujours bien éloignées des effets réels que personne ne sait réellement prévoir. Ceci se conçoit sous le triple aspect de nouveaux marchés portés par de nouveaux modèles d’affaires, de nouvelles possibilités de soins réellement utiles, de nouvelles tentations de contrôle, de gouvernance de la société et de la « santé au public » par les Big Data.
La santé numérique, qui a un avenir aussi inévitable qu’incertain, est largement idolâtrée comme un veau d’or, dressé sur toutes les places médiatiques par les pompiers pyromane du Nouveau Management Public de la santé. Cette sophistique (ou stratégie?) du choc numérique, portée par une armée de « chiens de garde » chargés d’en découdre avec toute mise en doute de la doxa, sert le grand projet de transformation des médecins en prisonniers-fonctionnaires. Pourquoi, parce que les stratégies de faisabilité politique de l’ajustement pensées par les politiques publiques de santé n’ont pas trouvé d’autre moyen que la coercition infantilisante, la division et l’intimidation.

L’économie comportementale et l’ascension du paternalisme libéral


Le prisonnier-fonctionnaire est une figure de la critique sociale que j’emprunte à Primo Levi et Hannah Arendt. Elle permet d’analyser le glissement progressif vers ce que Pierre Bourdieu nomme « la complaisance résignée et la complicité soumise » appliqué à un système qui se propose de faire l’ingénierie sociale des attitudes et des comportements, au risque d’une dérive totalitaire. Cette dérive est certes douce et tranquille,  chacun s’y croyant libre, sur le mode de Brave New World plus que sur celui de 1984. Vouloir comprendre c’est avant tout se garder d’obscurcir sa pensée par la religion de je ne sais quel mal radical aux source des motivations du « prisonnier », c’est se pencher résolument sur un système d’incitations perverses et déshumanisantes, c’est cultiver l’impotentia judicandi chère à Primo Levi dans sa sociologie du Lager. Vouloir comprendre n’est pas vouloir donner raison.

Le médecin doit-il gérer ses propres paradoxes ou les confier aux prétendus experts de son inconscient social? Mais voilà que je patauge encore lamentablement dans les marécages de ce concept étrange qu’on appelle la liberté.
Hélas, contrairement au doux rêve de certains de mes collègues, il ne peut pas ne pas n’y avoir aucun conflit d’intérêt, la vie n’est qu’une forêt de paradoxes. 
La question est de savoir s’il vaut mieux que le médecin gère lui-même ce que le pouvoir nomme ses « conflits d’intérêt » où si ceux-ci doivent être gérés par des tutelles conduites par des modèles économiques dangereux, notamment quand ils conduisent au « paternalisme libéral » qui nous accable, mais que nous refusons trop souvent d’analyser.
Pourquoi les sciences sociales ont-elles pris tant d’importance dans l’action publique et dans les agences de santé? Parce qu’on n’en est plus à l’économie libérale de papa. « L’idiot rationnel », homo economicus,  a du plomb dans l’aile et l’Etat (néo-libéral?) s’est maintenant donné pour grande mission de construire des idiots utiles, de se transformer en fabrique du crétin irrationnel. Celui-ci, dont on n’attend plus tout à fait que les vices privés conduisent au Bien commun,  sera scientifiquement incité par les ingénieurs sociaux des attitudes et des comportements. Il favorisera le développement durable en prêtant un beau serment attestant de son engagement pour la « responsabilité sociale » de son entreprise. Les pages de mathématiques d’économie des comportements seront là, fidèles au poste, pour consolider ces fumisteries de la psychologie économique et servir l’ajustement.

La science, plus précisément les sciences sociales, en dominant le Droit, vont de plus en plus légitimer les lois qui disent ce qu’il faut penser, ce qu’il faut enseigner aux enfants, à commencer par l’Histoire etc. Comme le préconisait Laurence Parisot, cette « entreprise » là, sera pensée non pas comme lieu de libre de création de valeur mais comme lieu d’intégration sociale des comportements par l’Etat paternaliste. Les nouveaux hussards noirs de l’Etat biopolitique, ces nouveaux instituteurs de de la « santé-bonheur » n’enseigneront pas la liberté d’entreprendre du libéralisme classique, mais le mythe de la compétition efficiente, la nouvelle religion sociétale de l’entreprise de soi et des autres dans toutes les sphères de la vie publique et privée.

« Je ne cesse de le répéter depuis deux ans : nous les Entrepreneurs, nous pouvons être à ce siècle encore tout jeune, ce que les instituteurs ont été à notre IIIè République. L’école était chargée de former le citoyen, c’est à l’entreprise aujourd’hui de lui apprendre le nouveau monde. Les instituteurs étaient les messagers de l’universel républicain, les entrepreneurs sont aujourd’hui les porteurs de la diversité de la mondialisation. Les instituteurs détenaient la clé de la promotion populaire. Nous, les entrepreneurs, nous sommes les moteurs de l’ascension sociale. Comme eux, nous devons contribuer à rendre le monde lisible. » Laurence Parisot assemblée générale du MEDEF 2005

L’équation qui dit à quoi ressemblerait le monde s’il était conforme à la théorie, est la suivante:

Utilitarisme + économie comportementale = paternalisme (Cyril HEDOIN)

Il s’agit aujourd’hui pour les usagers et les élus de choisir entre des médecins autonomes, donc libres de faire passer en premier l’intérêt individuel du patient et des médecins transformés en « agents doubles » par les injonctions contradictoires. Ces doubles contraintes opposent chaque jour davantage le serment d’Hippocrate, le patient d’abord, à la gestion utilitariste des populations par des machineries technocratiques d’essence totalitaire, engendrant cynisme et désarroi.

Pourquoi est-ce important? C’est un choix politique fondamental qu’aucune commission d’expert n’est là pour éclairer.

Pourquoi? Parce que ces injonctions paradoxales visent à transformer les médecins en petits techniciens exécutants employés des directions (le « rêve de fer » des managers de santé  a fortiori quand ils ont le « couteau à phynances » du père Ubu sous la gorge). Parce que que cette folie a mis en quelque sorte « l’intendance », le soutien logistique de l’action en lieu et place de la « cavalerie ». Les objectifs périphériques de support aux activités (« qualité » comme évaluation de l’intégration des processus transversaux par des cadres experts, gestion des risques, contrôle de gestion, rationalisation de la productivité, production exponentielle d’indicateurs) sont ainsi devenus centraux au point de reconfigurer les activités dans une inversion critique des fins et des moyens,  dans les établissements, bientôt les futurs Groupements Hospitaliers de Territoire, dans les territoires de « santé au public », et les régions désormais sous la coupe des grandes assistances publiques régionales (les ARS). Ces injonctions et cette hiérarchie infantilisante et arrogante stérilisent toute tentative « d’entreprise médicale », individuelle ou collective, qui laisserait plus libres de s’organiser entre elles des « professions alliées », en ville comme dans les établissements de santé.

Ce mal engendre l’amnésie organisationnelle dans les meilleures équipes en y détruisant les « savoirs procéduraux » des collectifs professionnels, cette « information structure » des équipes dont on sait qu’elle est à 80% tacite et qui en fait les compétences clés et qui ne peut jamais se transformer tout à fait en « information circulante », en savoir « déclaratif ». Les talents d’incompétence triomphent et sont promus. Les professions, normalement alliées autour du patient, n’ont de cesse de lutter les unes contre les autres, à chaque niveau de gouvernance, pour obtenir toujours plus de juridiction de la hiérarchie et de l’Etat dans le cercle vicieux étatiste-corporatiste décrit dans la société de défiance (Algan et Cahuc). Guerre hobbesienne gérée par l’Etat- Léviathan?

Ce mal n’est pas managérial, car il existe un bon management, qui n’est évidemment pas celui enseigné à nos managers de santé, c’est avant tout un mal bureaucratique franco-français appliquant des modèles internationaux imposés d’en haut par une technocratie dont la formation l’enferme dans ses enceintes mentales. L’énarchie de santé publique française a du mal à échouer par elle-même.
Ce mal n’est qu’un peu plus précoce et réglementé dans le secteur public, a fortiori dans les groupes hospitaliers « Titanic », dont on devrait faire l’audit avant de généraliser les GHT, car la vision managérialiste du monde et son couple infernal intégration / processus frappent autant la gestion du secteur privé que du secteur public. (« Lost in management » François Dupuy)

Un portrait du médecin en entrepreneur?

J’ai été frappé, lors des récents « états généraux de la médecine spécialisée », de voir comment les médecins libéraux, décrivant avec émotion, indignation et parfois désespoir ce qu’ils vivent dans la dégradation de leurs rapports avec les tutelles, se définissent avant tout et à juste titre comme des « entrepreneurs ». Ces plaintes, je suis frappé aussi de pouvoir les reproduire, sans réserves et avec les mêmes mots, s’agissant de ce que nous visons à l’hôpital ou de ce que vivent des collègues dans les établissements privés. Comment ne pas partager entre médecins de tous modes d’exercice et avec les autres professionnels de santé ce sentiment de manque de respect injurieux, de iatrogenèse managériale, de baisse induite de la qualité des soins, non par la recherche du juste soin au moindre coût, mais par les pires méthodes de rationnement, de management par l’intimidation, de défiance instituée en dogme, de manque de reconnaissance, d’exclusion des chaînes d’information qui comptent vraiment, d’exclusion de la gestion, des processus de décision qui nous concernent. Voilà ce que vivent de la même façon nos confrères libéraux et nous-autres salariés des établissements. Et c’est souvent bien pire pour les paramédicaux, notamment les cadres.
Dans ce portait du médecin en entrepreneur, on peut voir une opposition radicale avec la critique du concept « d’hôpital entreprise » portée par de nombreuses organisations d’hospitaliers. Autant je me sens solidaire des médecins libéraux, autant je partage pleinement les pages excellentes écrites par André Grimaldi pour dénoncer avec talent la notion « d’hôpital entreprise », si délétère et si destructrice de motivations, ainsi que la critique sociologique des origines de ces grands mythes rationnels que sont d’un coté « l’hôpital entreprise » et de l’autre l’hôpital « usine à soins »  que nous livre avec brio Frédéric Pierru.

Mais alors? La division des médecins est-elle inéluctable, au prix de leur servitude programmée? Peut-on sortir de ces murs d’évidence?

Le dilemme du prisonnier fonctionnaire

Comment sortir alors du dilemme du prisonnier-fonctionnaire? La contradiction ne pourrait être qu’apparente si l’on ne s’attache pas tant au nominalisme, si l’on s’attache à ne pas continuer à faire la guerre aux mots valises, boites à double fond de Tocqueville (entreprise, business model, performance, marché, rentabilité etc.) « Les mots sont les jetons des sages (…) et la monnaie des sots » (Hobbes). Ils sont avant tout manipulés par la rhétorique des coalitions dominantes, et l’on doit tenter de les détourner, d’en subvertir le sens donné par la pensée adverse pour bâtir une rhétorique défensive de l’autonomie des professionnels. Mais s’agissant du concept d’entreprise, il faut dès lors bien vouloir considérer la question essentielle du « niveau de gouvernance ». Car enfin, qui peut-être contre l’entreprise, la création de valeur, la créativité enthousiaste qui n’est pas toujours au service de Mammon mais peut être au service de l’autre dans une perspective humaniste?
L’entreprise médicale? Si cette notion avait un sens, nous ne la souhaiterions ni au service de Mammon, l’Ethos du profit tel que Max Weber en a tracé les contours, ni au service de César et de son empire bureaucratique dégénéré en Biopolitique, mais bien au service de l’humanisme médical de tradition hippocratique.
Entrepreneurs? N’est-ce pas ce que nous étions et qu’on nous interdit d’être aujourd’hui, nous autres hospitaliers, dès lors que nous bataillons jour après jour contre une bureaucratie médico-managériale aussi incompétente qu’humiliante dès que nous voulons développer une nouvelle activité médicale, qu’elle soit individuelle ou collective, de premier, de second recours ou de référence? Quand bien même nous portons un projet en accord avec la vision des besoins selon l’ARS, en accord avec les projets de notre pôle, en accord avec les professions alliées, en accord avec nos financiers internes qui trouvent cela « rentable », en accord avec notre DIM, ce grand prêtre de la lecture de l’avenir dans les rétroviseurs et qui le prédit, au delà du bien et du mal, aux directions , et en accord avec… que sais-je encore, il ne survivra que rarement aux pièges de la pyramide d’Ubu.

C’est qu’il y a cette épouvantable gidouille procédurière qui freine tout et enlise tout à un certain niveau, toujours difficile à identifier quand on regarde cela d’en bas, au sein d’un ubuesque mille-feuille fait d’indécision et d’incompétence. ce qui est sûr est que le petit « porteur de projet », autre nom de l’entrepreneur en novlangue de l’action publique, n’a plus aujourd’hui aucune chance de bien défendre ce qu’il connaît bien devant ceux qui décideront du destin de sa proposition.
Comment cela est-il possible? Lisons Bernard Granger et sa description du désastreux mille-feuille aphp-ien, passé de 3 à 7 niveaux d’enlisement possible des projets intelligents.

L’énarchie de santé publique et l’ingénierie industrielle de la santé


Si ce « chef d’oeuvre industriel » a échoué c’est parce qu’il a été conçu et dessiné par « l’énarchie de santé publique, marquée du juridisme des grands corps et très loin de réalités du terrain, les malades et des réalités scientifiques les médicament et produits de santé ». Debré et Even dans leur oraison funèbre pour l’AFSSAPS


En fait Debré et Even semblent avoir lu Michel Crozier au sujet de la paralysie du système politique par les élites françaises, et sans doute Hayek sur l’Ecole Polytechnique.

Le pire ennemi de l’enthousiasme créatif et de la motivation des médecins n’est pas toujours une coalition d’intérêt adverses, c’est, chaque jour davantage, l’inefficacité foncière du « grand chef d’oeuvre industriel construit par l’énarchie de santé publique. » Hélas, hélas, ses défenseurs ont glorifié un « hôpital entreprise » qui optimise ses « parts de marché » ou bien un « hôpital stratège », mis en gestion descendante par des gestionnaires qui dressent leur propre portrait en « coordinateurs de filières » et qui rationalise ses process au nom de la santé publique et selon des méthodes industrielles  semi-habiles (le « couple infernal intégration / processus » décrit par François Dupuy). Dans les deux cas il s’agit bien de la recherche d’un « avantage compétitif » pensé sans les parties prenantes et sans véritable modèle du produit. Ces ingénieurs shadoks de la « santé au public » ont ainsi laissé déposséder les médecins de toute responsabilité sur l’organisation des soins, par un pacte faustien avec le management. On a ainsi créé des pôles « PIM PAM POUM », ou « Tutti frutti », au sens où dans les pôles dépourvus de cohérence médicale et créés à la hache, l’exécutif du pôle est incapable de se faire ce que le système lui demande, d’être porteur intermédiaire de projets qu’il ne peut comprendre intimement. Pour compléter l’inefficacité, on a créé à complète counter evidence policy, des GH gigantesques où les médecins ne savent bien souvent même plus à quel pôle multisite et tout aussi giigantesque ils appartiennent. Ces GH « Titanic » seront bientôt des GHT obligatoires , carcan dont les CHU pourraient être dispensés au nom de la survie de la recherche et de l’enseignement. On est bien loin des « hôpitaux magnétiques », ceux qui attirent et retiennent les professionnels. Suivons avec intérêt la mission de Jacky Le Menn sur l’attractivité des carrières médicales.
Les « solides chaînes de commandement », de nature quasi militaires, préconisées par Alain Minc (Rapport pour l’an 2000) pour casser toute résistance des médecins, ont été mises en place avec l’asservissement progressif des chaînes d’encadrement paramédicales aux directions, par l’intermédiaire des directions des soins infirmiers de rééducation et médico-techniques. Ne nous y trompons pas, ce phénomène de managérialisation des chaînes d’encadrement ayant pour sommet des directeurs de soins est internationale. Elle correspond à la classique hybridation décrite par Mintzberg de la bureaucratie professionnelle avec la bureaucratie mécaniste. La lecture de Mintzberg montre que les pôles correspondent à une transformation en configuration divisionnelle où l’on passe de la coordination par la standardisation des compétences professionnelles dépendant largement d’organisation externes à l’hôpital, à la coordination par les résultats qui dépend de modèle internes de la fonction de production. Cette divergence est résolue au sommet par la grande intégration gestionnaire qui s’arroge la clairvoyance ultra-jacobine d’être capable de concevoir le « ré-ingénierie des métiers de la santé ». Ce n’est pas l’existence des directions des soins qui pose problème, elles sont inhérentes au modèle international, c’est leur appartenance à une direction de fait totalement démédicalisée, les instances médicalisées de l’hôpital et les CME n’ayant en France plus aucun pouvoir décisionnel ni organisationnel réel face au directeurs-patrons. Qu’on parle d’autonomie des médecins ou d’entreprise médicale toute créativité est étouffée dans l’œuf.

Le management par l’intimidation et le mensonge

Reste aux médecins gestionnaires la complaisance résignée, la complicité soumise et la seule vraie de gestion qui leur reste est celle des effets d’aubaine au profit de leur coalition au sein de « l’arène politique » hospitalière, régionale, nationale où il s’agit de faire émerger à l’agenda des problèmes de santé publique pour attirer les fonds. Les « cadres de santé » lucides – rappelons qu’on a dédifférencié les cadres pour les soumettre corps et âme au management en les éloignant des valeurs professionnelles de leurs métiers de base – y ont bien vu un « miroir aux alouettes ». Contrairement à un chef de service qui a encore le droit de soigner, un « cadre de santé », même si on les identifie toujours par filière métier, est mal vu s’il est encore tenté par le soin même en cas de pénurie dramatique dans son service. S’il donne un coup de main, c’est clandestinement, il risque alors vu d’en haut d’être encore trop contaminé par les valeurs du soin. Pour plaire, il doit devenir un pur manager dans l’âme.
Il ne suffit pas qu’un cadre dise que « deux et deux font cinq », la hiérarchie doit s’assurer qu’il le pense et son évaluation, sa carrière, ses primes, en dépendront. Les médecins ont été depuis longtemps écartés de ces évaluations,hélas sans résistance ou presque. Triste mécanique de la compétence comme construction sociale de l’insignifiance et sombre fabrique de prisonniers fonctionnaires. Vous avez dit risque psychosocial? 
Le cadre est aujourd’hui suspect permanent du « délit statistique », tout comme les médecins et autres professionnels libéraux qui s’en plaignent sur leurs sites: appliquons cela aux ressources humaines.
  • s’il a trop d’effectif il sera accusé par une hiérarchie digne du Goulag d’activités « contre-révolutionnaires », pardon, je veux dire: « contraires au plan d’efficience »
  • s’il a trop peu d’effectif et met la main à la pâte pour aider ses troupes, notamment quand un malade dépendant est laissé trop longtemps cloué au lit sans aide pour en sortir, voire baignant dans ses urines, ce que trop peu de directeurs, mais il y en a tout de même, se déplacent pour observer et analyser,  il sera accusé d’incompétence et de ne pas avoir assez tôt alerté la hiérarchie, quoiqu’il ait dit  ou écrit avant 
  • s’il a juste le compte et réalise juste les objectifs de GRH imposés d’en haut et qu’il est sommé de cacher aux médecins, même s’il en parle en douce. Il sera alors suspecté de truquer de trop belles statistiques
Si les médecins gardent encore une relative liberté de parole, et encore, il n’en va pas de même pour les cadres qui sont ainsi soumis à des pressions psychologiques et un bullying management de plus en plus oppressant. Cette politique de muselage des cadres a bien été promue pour exclure les médecins du management de l’hôpital considérés comme freins au déploiement du managéralisme, dans une stratégie politique de l’ajustement des dépenses de santé. Le management low cost est exceptionnellement efficace. C’est souvent une technique d’euthanasie bureaucratique consciente ou non, là est le problème, d’organisations moribondes qu’on laisse à la main de « managers de transition », souvent de qualité médiocre. Parlons plutôt aujourd’hui de « sédation profonde ». Le résultat est le désenchantement de tout projet, le désespoir d’équipes disloquées et non reconnues, la suppression de toute autonomie, l’impossibilité de se penser en « entrepreneur d’activités », l’exclusion injurieuse et méprisante des processus de décision, à commencer par le choix des collaborateurs paramédicaux, ce qui limite la formation des binômes fonctionnels médecin-cadre, clés de la véritable performance des unités de soins. 

Entrepeneur? Entrepreneur? Est-ce que j’ai une gueule d’entrepreneur? Le management par les balivernes

La médecine a-t-elle à voir avec l’entreprise? Peut-être, mais on s’est sans nul doute trompé d’entrepreneur, ou plutôt de niveau de régulation. Il faut considérer le niveau « micro-économique » de la véritable production opérationnelle des soins, celui des « micro-système cliniques » qui réunissent au quotidien des équipes au contact et au service du public. D’autres parleraient « micro-firmes » au sens microéconomique, confronté aux niveaux méso et macro. Ces microfirmes, en clair nos unités intégrées, peu importe qu’on les nomme « service » comme dans la plupart des pays ou non, mais il n’y pas de honte à le faire quand les « chiens de garde » nous incitent à disqualifier ce concept dans notre splendide isolement français. Ces unités « au service du public » sont toutes les vraies porteuses d’activités de soins, elles sont toutes porteuses de « modèles de création de valeur », fondées sur ce que sait leur main collective. Elles sont toutes le siège, si l’on se tourne vers la Harvard Business Review, des « compétences clés » de nos organisation soignantes, de procédures professionnelles largement tacites et « compilées » au sens où elles restent illisibles aux « ouvreurs de boite noires » mal formatés au plus malhabile baloney management qui soit. 
Elles sont toutes finalement « productrices », car toute action produit quelque chose, mais non des misérables « produits » fictifs inventés pour les besoin des faux marchés, du Benchmarking et de la compétition régulée par les indicateurs (notamment les fameux les « groupes homogènes de malades » de Fetter servant à la T2A). Elles produisent au contraire ce que le management ne sait pas compter, ce qu’Hamel et Prahalad nomment les « cœurs de produits » (core products) et les « noyaux de compétences » (core competence) de l’organisation. Ces produits sont vitaux pour l’avantage compétitif et la capitalisation des connaissances, mais ce ne sont pas ceux qu’on vend, et les nouveaux caniches du management par les coûts qui nous tyrannisent ne savent dès lors pas bien analyser comme « objets de coûts », encore moins comme « objets de marges ».  
Entreprendre pour la création de biens et de services d’intérêt collectif ne passe pas par cette épouvantable dépossession démocratique au nom de la « démocratie sanitaire », ni par ce déni de citoyenneté des médecins, et au delà de l’ensemble des « soignants », au nom d’un vision étriquée de la valeur et de la performance. Il n’y a pas toujours un plan machiavélique, une véritable stratégie d’ajustement, il y a surtout le constat quotidien de la contre-performance au regard de ce qui compte pour nous et nos patients, le résultat clinique (outcome) au delà de l’output de sortie de système, ce petit résultat si peu signifiant mais juste fait pour donner aux jeunes détenteurs d’un MBA l’impression que le management hospitalier est « à la portée des caniches ». C’est le chemin de la destruction des compétences, ces pratiques ubuesques sont nées du mythe néo-managérial, celui de la régulation par la gestion d’une compétition régulée entre des « acteurs de santé ». Glissement sémantique du « médecin » vers le « praticien », du praticien vers le « professionnel de santé », du professionnel vers « l’acteur de santé », cet acteur conçu par les économistes orthodoxes comme un des multiples idiot rationnel bons à inciter par les savants de la République. Voilà l’origine du désastre pour la médecine hospitalière et libérale et les patients qu’elles servent.

Une redéfinition du libéralisme médical commun à tous les modes d’exercice de la médecine est-elle possible?

Il nous faut redéfinir le libéralisme médical sur la notion de « pratiques prudentielles », fondées sur la prudence d’Aristote et non sur la bureaucratie totalitaire des savants-experts de Platon. Le combat est peut-être alors celui du libre entrepreneur médical, bien entendu dans un cadre de protection sociale solidaire dans lequel il prend sa part de responsabilité, au nom des valeurs humanistes de la médecine telles que les rappelle Théodore Fox, mais résolument contre les « entrepreneurs de morale » de la « santé au public ».
Les pratiques prudentielles, compatibles avec la vision d’un EBM non dévoyée par les visions managérialistes qui transforme la médecin scientifique en machine légitimatrice de ses processus industriels, mais dans la ligne d’un vision hippocratique d’un art à la recherche de preuves,  exigent pour la protection de nos patients, pour la création, la transmission de nos connaissances médicales, que nous refusions catégoriquement d’être des employés des managers de santé auxquels il ne resterait plus que le « dialogue social », dont Michel Crozier a bien montré qu’il n’était qu’une des illusions du « phénomène bureaucratique » à la française.
Avec les lendemains qui chantent de la santé numérique, on repense immédiatement à Christensen et à ses « réseaux facilitateurs », son troisième business model en santé, avec le magasin de solution (l’hôpital) et le process à valeur ajoutée (les cliniques).

Les illusions de l’innovation destructrice


La « santé numérique » nous fait immédiatement penser au modèle de réseaux facilitateurs de Clayton Christensen. Le « réseau facilitateur » est un modèle d’affaires qui peut tenter un « entrepreneur » voulant inscrire son avantage compétitif dans cette vision d’oracle de la destruction créatrice de Schumpeter. Rien ne dit que le produit, qui aura une valeur marchande (pertinence pour les payeurs / ayants droits ou shareholders), en aura une au sens médical (pertinence médicale et pour l’ensemble des parties prenantes ou stakeholders). Le trafic de la pire des drogues, comme celui des données de santé les plus frelatées, a aussi un modèle d’affaire et une « valeur » dont l’analyse est complexe. Mais qui l’évaluera?

Aucun business model n’est viable dès lors qu’on ne remet pas l’intendance à sa juste place.
Pour le bien de malades et des usages, nos « tyranneaux », qui n’ont pas tous loin de là demandé à le devenir lors de la loi HPST, doivent être libérés des ARS comme nous même libérés de leurs âneries.

Au delà, dès lors qu’un modèle économique, qui en soi n’est ni bon ni mauvais, devient une arme idéologique au mains de l’énarchie de « santé au public », il faut voir derrière la rhétorique les arrières-pensées politiques sous la boite à double fond de la prévention. Sans vous épuiser avec la Biopolitique de Foucault, voici des auteurs critiques beaucoup plus faciles à aborder:

La prévention comme outil étatique de gestion des déficits au service de l’ajustement


1. Le principe de prévention le culte de la santé et ses dérives. JP Moatti et P Peretti-Watel

« La prévention s’est donné pour mission d’éduquer l’homme pour qu’il ressemble davantage au calculateur autonome et rationnel, soucieux d’optimiser ses conduites afin de préserver son espérance de vie. C’est en cela que le culte contemporain de la santé est une utopie et non une idéologie: pour reprendre la distinction opérée par Kark Mannheim en 1929, non seulement l’utopie ne crée pas la réalité telle qu’elle est, mais elle contribue à changer le monde pour qu’il lui ressemble. Et changer l’homme, c’est une utopie autrement plus ambitieuse que l’obtention d’une « santé parfaite ».» Moatti et Peretti-Watel: « Le principe de prévention »

2. Quelques articles de Raymond Massé

Les sciences sociales au défi de la santé publique

« Ces nouveaux questionnements ne doivent pas faire oublier l’existence de certains dérapages dans les pratiques de santé publique. Il est évident que :
  • la santé publique doit être analysée comme outil de promotion de la valeur santé et le lieu d’un discours visant à justifier l’accroissement et le développement du « marché des soins et services de prévention et de promotion de la santé » ;
  • elle renforce le pouvoir biomédical à travers le créneau de la prévention ;
  • les interventions préventives entraînent des empiètements sur l’autonomie des personnes, sur leur libre-arbitre ou sur leur vie privée ;
  • la prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs.

« Nous pouvons, en revanche, déplorer la polarisation qui s’installe dans les débats éthiques entre, d’un côté, les professionnels de la promotion de la santé qui n’ont de préoccupation que pour une evidence-based preventive medicine et qui invoquent l’objectivité des données épidémiologiques et des devis d’évaluation des programmes pour nier les enjeux éthiques de leurs interventions et, de l’autre, un discours déconstructiviste en sciences sociales qui fait de la santé publique un régime de pouvoir voué à la régulation et à la surveillance des citoyens ou encore un pouvoir occulte qui soumet les individus postmodernes à une tyrannie du devoir-être et du devoir-faire. »

 “La santé publique comme nouvelle moralité.” Raymon Massé

« Le risque en santé publique : pistes pour un élargissement de la théorie sociale » Raymond Massé Sociologie et sociétés, vol. 39, n° 1, 2007, p. 13-27.


Théodore Fox et la médecine humaniste

This 1965 Lancet article by Sir Theodore Fox has lots of great quotes, and so this entry will be a continuation of the last one.

« What a patient needs first is care and relief. In the second place he wants restoration to health […] Since preserving his life is a sine qua non of restoring him to health, it is an end that those who have the care of him pursue, and ought to pursue, as a general rule. But it is not in itself an ultimate. »

« If [a doctor] goes on prolonging a life that can never again have purpose or meaning, his kindness becomes a cruelty […] We shall have to learn to refrain from doing things merely because we know how to do them. In particular we must have courage to refrain from buying patients’ lives at a price they and their friends do not want to pay. »

« The physician is not the servant of science, or of the race, or even of life. He is the individual servant of his individual patients, basing his decisions always on their individual interest. »

« Our purpose is to enlarge human freedom – to set people free, so far as we can, from the disability and suffering that so easily mar their lives and hamper their fulfillment. »

« With all its faults the profession to which [the doctor] belongs is not a body of technologists interested solely in the means by which physical or mental processes can be restored to normal: it is a body of doctors seeking to use these means to an end – to help patients cope with their lives. »

« For a person or a profession, to restore and help one’s neighbor may be no small task. But the purpose is not a small one; nor is the privilege. »

Economie comportementale: du crétin irrationnel à l’idiot utile

Le paternalisme libéral en débat

« Cette dernière précision est importante car c’est elle qui donne sa spécificité (et son aspect a priori paradoxal) au paternalisme libéral : aider les individus à « bien choisir » mais sans choisir à leur place. L’hypothèse fondamentale sous-jacente au paternalisme libéral, et qui est supportée par les résultats de l’économie comportementale, est que les préférences des individus sont dépendantes du contexte, c’est-à-dire qu’elles sont formées par celui-ci. »

Quand nos comportements déroutent les économistes Cyril HEDOIN 

Utilitarisme + économie comportementale = paternalisme

« Engagement et incitations : comportements économiques sous serment »Auteurs: Nicolas Jacquemet, Robert-Vincent Joule, Stéphane Luchini, Antoine Malézieux – Document de Travail n° 2014 – 17 Septembre 2014

Plus:Interactions sociales et comportements économiques Pierre CAHUC, Hubert KEMPF, Thierry VERDIER

ÉVOLUTIONS DU COMPORTEMENT DES FRANÇAIS FACE AU DEVELOPPEMENT DE L’ECONOMIE CIRCULAIRE ANALYSE SYNTHETIQUE DES ETUDES QUANTITATIVES PORTANT SUR LES MODES DE VIE ET LES ASPIRATIONS DE LA POPULATION FRANÇAISE juin 2014

Gary Becker et l’approche économique du comportement humain

Analyse économique des comportements de prévention face aux risques de santé. Augustin Loubatan Tabo

Foucault et l’ordolibéralisme: cours au Collège de France en audio (Naissance de la Biopolitique) – Autre source



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De quoi le néolibéralisme est-il le nom? – Naissance de la ‘Pataclinique


Hello, happy accountables!


« Les modèles économiques servent fréquemment à détourner des questions socialement pressantes. » John Kenneth Galbraith

«…le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d’Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l’Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique.» Frédéric Pierru

« Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.» Pierre Bourdieu

Avant tout, voici un dossier documentaire sur le site d’ubulogie clinique

Naissance de la ‘Pataclinique




Pourquoi parler du néolibéralisme?


« Tout mécanisme de régulation est une théorie du changement social. » Jean de Kervasdoué

« La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs. » Raymond Massé


La sortie de mon état antérieur de « zombie politique » vient de ce que j’ai été stupéfait et horrifié par la submersion rapide de nos hôpitaux, je dirai aujourd’hui plus largement de notre « système de santé », par la iatrogenèse néo-managériale, par sa maltraitance masquée des malades et des soignants, médecins bien sûr, mais sans doute surtout des paramédicaux. Ce qui m’est apparu presque encore plus effroyable, c’est le découplage ubuesque, parce qu’ayant atteint le niveau d’une véritable révolution du sens du soin à l’hôpital, entre d’une part les théories professées par la rhétorique managériale dont la fonction est d’enfumer l’évidence de soins dégradés par un exécrable management low cost, et d’autre part les théories d’usage et méthodes de travail réelles mises en oeuvre par les opérationnels des services (« service » veut dire unité opérationnelle « au service du public »). 

Je déplore qu’entre complaisance résignée et complicité soumise, nous n’en parlions pratiquement plus, entre nous autres « soignants », sur nos lieux de travail, car d’autres en parlent, qui poussent trop souvent à nous transformer en « employés » du faux dialogue social à la française. Je ne reviens pas sur les critiques si pertinentes de Michel Crozier sur le faux dialogue social à la française.

Nos nouvelles Commissions Médicales d’Etablissement (CME), conformément à la prophétie auto-réalisatrice des « réformateurs », en particulier au modèle d’homo economicus, sont devenues des assemblées d’idiots aussi rationnels qu’égoïstes (rational fool d’Amartya Sen), mais aux rationalités plus limitées que jamais, avalant, certes avec quelques effets d’estrade pour se donner un supplément d’âme, la pensée Powerpoint programmés par le « nouveau patron » de l’hôpital et ses succubes. Comme disent les golfeurs, « on est toujours à la merci d’un bon coup ». Une CME ou n’importe quelle structure de la nouvelle gouvernance est toujours à la merci d’une bonne analyse ou d’une bonne décision, quand elle participe encore un peu à la décision. Entendons nous bien, c’est le comportement collectif induit par une gouvernance managérialiste et infantilisante qui est ici critiqué et non le comportement individuel des acteurs qui relève de l’impotentia judicandi.

C’est qu’au classique management by decibels et by lobbying il faut ajouter aujourd’hui le management by bullying ou management par l’intimidation. Qui n’a pas à sauver un projet d’activité qui lui tient à cœur et ne va pas se résigner à « la fermer » pour ne pas sacrifier tout à la fois les soins auxquels il croit pour ses malades, le sens de son travail et son équipe de soins? Servitude volontaire ou servitude induite et bien induite?

Je propose plus bas une brève définition du néo-libéralisme inspirée de Pierre Bourdieu et Frédéric Pierru, peut-être aussi de Michel Foucault si je l’ai jamais compris, pour en finir avec les gogos de l’intégration industrielle de l’usine à soins. Je pense hélas aux nouvelles CME issues de la loi HPST, et tous ceux qui se cachent derrière la critique de la seule composante entrepreneuriale du grand « bordel » pour mieux masquer le « jacobinisme planificateur » inhérent à l’élite néo-mandarinale qui se constitue. « Corriger la lecture jacobine et planificatrice qui a été faite » du service territorial de santé au public, c’est la formulation utilisée par Marisol Touraine pour repousser les critiques de sa loi. Mais qui va se oser se déclarer « jacobin et planificateur » dans un pays ou pourtant la logique « étatique-corporatiste » bien décrite dans la société de défiance peut définir le mal français?
Trop de nos nouveaux médecins gestionnaires se réclament de la stratégie du glaive et du bouclier, proclamant que leur proximité du management officiel va mieux nous protéger de la bureaucratie sanitaire. Mais que vaut le prétendu bouclier quand le glaive de la raison clinique n’est plus qu’un couteau sans lame auquel il manque le manche? Triste sort du prisonnier-fonctionnaire.
Le néo-libéralisme est une idéologie idéaliste « armée », promue par des organisations internationales, au service de certains groupes d’intérêt. Il sert avant tout à la « faisabilité politique de l’ajustement », politique qui induit des comportements « d’Etat prédateur » selon James K. Galbraith. Celui-ci nous explique bien que ce néolibéralisme n’est plus qu’un discours idéologique tenu aussi bien par la droite et la gauche américaine, tout comme chez nous, alors que les universitaires des reaganomics sont aujourd’hui enfermés et oubliés dans leurs universités. Les reaganomics étaient plutôt opposés à la « régulation », mais furent qualifiées par George H. W. Bush « d’économie vaudou ».

La régulation néo-libérale au service de la santé-bonheur a donc de beaux jours devant elle.

Proposition: néolibéralisme, néomanagérialisme et santé publique –  Page complémentaire

Le néo-libéralisme peut être défini comme une technique de gouvernement, historiquement située, qui fonde l’intégration de la société sur le postulat d’efficacité économique de la compétition régulée, dès lors généralisée à toutes les sphères de la vie publique et privée.

La société apparaît comme principe d’auto-limitation de l’Etat, en interface paradoxale entre l’Etat et l’individu, gouvernement et population, au nom à la fois de la liberté qui exclut toute forme de dirigisme et de la promotion de la « santé bonheur ». Autrement dit, ce nouveau « Biopouvoir » ou « Biopolitique » prend en charge non les individus afin de les assujettir par des techniques disciplinaires, mais la population afin de réguler ses processus biologiques.

Le néo-managérialisme assure la régulation de la compétition, le managérialisme étant défini comme l’extension des techniques du management à toutes les sphères de la vie publique et privée.

Le Nouveau Management Public est un patchwork idéologique qui intègre, de façon très variable selon les pays, l’ensemble de ces mythes rationnels dans l’action publique. L’action publique est aujourd’hui sous contrainte internationale de la « faisabilité politique de l’ajustement ». Les systèmes de santé sont une des variables d’ajustement essentielle des déficit publics. Force est de constater avec Raymond Massé que « La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs ».

Le « service territorial de santé au public  » est bien l’autre nom d’une politique de santé qui sert de variable d’ajustement aux dépenses publiques

Cette idéologie vérificationniste et infalsifiable, fondée sur de fausses sciences sociales au service de Machiavel, explique tout, justifie tout, légitime tout, avale tout, à commencer par l’esprit critique des médecins, des managers, des usagers et des élus.

Le reste est anthropologique, captant la médecine dans l’effroyable re-division néo-managériale du travail, décrite par le sociologue américain Eliot Freidson, qui reproduit le triangle mythique de Dumézil: les élites de prêtres « sachants » qui se sont recomposées avec les sciences sociales servent de support légitimateur du management public, les guerriers-gardiens, en intégrateurs et capitaines d’entreprise à leur service, et enfin les producteurs. A propos de ce modèle anthropologique qui ne se résout jamais complètement en « lutte de classes », n’en déplaise à Marx, il faut lire Aristote (contre Platon et les néo-platoniciens) , Dumézil, Veblen, d’iribarne et Galbraith Jr.
Merde! Je ne suis pas un producteur dont le sens de l’action serait défini d’en haut!
Je ne crois pas à la « vue d’hélicoptère », genre De Gaulle survolant l’Île-de-France avec Delouvrier et lui disant, « Delouvrier, mettez moi un peu d’ordre dans ce bordel« .
« Tous les chercheurs travaillant sur l’histoire des villes nouvelles connaissent la légende du « Delouvrier, mettez moi de l’ordre dans ce bordel » qu’aurait prononcé le général de Gaulle, au début des années 1960 lors d’un survol de la région parisienne en hélicoptère. Cette « petite phrase » est justement célèbre parce qu’elle résume à elle seule l’imaginaire des villes nouvelles. « 

Et l’imaginaire du jacobinisme entrepreneurial à la française?

Tentative d’exploration du néo-libéralisme

Voilà, je répugne toujours a utiliser le mot « néolibéralisme » tout en ayant bien le sentiment qu’il est le nom de quelque chose. J’observe au quotidien et dans un désarroi croissant la conjonction des défaillances d’un régime de compétition régulée par une bureaucratie de plus en plus contre-productive au regard de ses objectifs affichés. Résumons le mal du pont de vue « clinique » d’où je l’observe, celui de la médecine de réadaptation: le mythe de la rationalisation comptable s’est accouplé à celui de la concurrence comme forme générale des activités humaines. Il a alors fallu construire un modèle comptable de production des services de santé qui puisse mettre les acteurs dans ce régime de compétition régulée. C’est ainsi modèle de production comptable par construction purement « cure » de la Tarification à l’Activité dans nos hôpitaux (T2A), a servi de modèle d’allocation des ressources en détruisant systématiquement cette part du care qui y était intimement associée pour tous les soignants, cette part d »intégration des soins en vue du résultat final pour le malade, bien différents des outputs de sortie de système autant que des « impacts » socio-économiques attendus du modèle d’intégration de la « fonction de production » par les experts de l’action publique.

Ce modèle de production fragmenté a été naturalisé par la séparation du sanitaire et du social qui a induit l’évaporation en France de la réadaptation comme problématique de l’action publique au profit du modèle exclusif de la participation, de l’activation qui est aussi l’idéologie du workfare. Le nouveau modèle du cure déconcentré pour les « Français de l’Etat » et du care décentralisé pour les « Français du département » excluait la possibilité de promouvoir tout dispositif intégrant les deux logiques autrefois étroitement intriquées. Après la grade fragmentation issue des lois de 1970 et 1975, séparant soins et social, penser la réadaptation comme stratégie nationale ou régionale de santé publique devenait tout simplement impensable, quand tous le pays associent naturellement réadaptation et prévention des situations de handicap, quel que soit l’âge.

En termes d’économie industrielle la supply chain s’est transformée sous l’action de nouveaux business models artificiellement construits par la bureaucratie sanitaire et des faux marchés imaginés par ses pompiers pyromanes. Nous souhaitons tous l’intégration réelle des parcours de soins, tant attendue des incantations réformatrices. Nous la souhaitons comme « centrage patient », et non comme « orientation client » cet acteur rationnel informé, responsabilisé et bien empouvoiré pour mieux répondre à toutes les incitations du marché. Bref avant tout imputable. Nous voulons bien sûr viser le résultat qui compte au terme de la chaîne de soins, l’outcome. Mais le système a évolué vers toujours plus de fragmentation institutionnelle, financière et culturelle en contexte de rationnement, vers des parcours de plus en plus chaotiques transformés en jungle pour des patients toujours plus complexes, toujours moins habiles à s’y mouvoir, vers toujours plus de flux poussés de l’amont vers l’aval et  de restrictions verticales de filières, bien loin de tout choix possible du « client » dès lors captif, quand la personnalisation des parcours impliquerait au contraire l’équilibre entre « flux tirés » et « flux poussés », entre standardisation et individualisation de la réponse la demande, entre « sur-mesure » et « prêt à porter ». Comment pouvait-il en être autrement en organisant une guerre économique de survie ou d’expansion de tous les « idiots rationnels » entre eux, à un même moment ou à différents moments de la chaîne de soins.

L’intégration des soins, telle qu’observée par les acteurs

Cette « innovation destructrice » est-elle portée par des mythologies rationnelles dont personne ne sait maîtriser les conséquences ou par des stratégies politiques d’ajustement visant à rationner les soins et la protection sociale sous enveloppes fermées? Il est bien difficile de trancher. Comment ce nouveau paradigme de gouvernance qualifié de « néo-libéral », nous prive-t-il, nous autres soignants, de toute autonomie permettant de relier le cure du « traitement industrialisé de la nouvelle usine à guérir au care du prendre soin, du souci de l’autre humaniste? Comment et pourquoi tente-t-il de réaliser l’alignement de cette compétition régulée à travers ses multiples niveaux? Pourquoi la future loi de santé nous apparaît-elle de plus en plus comme la loi HPST II quand on en attendait une remise en cause?

  1. Au niveau « macro »: cela peut peut-être se résumer aux principes issus du consensus de Washington: « gouverner pour le marché » considéré comme seule source du progrès, de la paix et de la démocratie, dans le cadre contraint d’un idéalisme libéral trop souvent « armé ».
    Les programmes d’ajustement structurels et les problèmes liés à leur faisabilité en découlent… en contexte de rationnement.
  2. Au niveau « méso »: se déploient des armes de destruction massive de tous les « collectifs » assimilés à « l’esprit de corporation » décrit par le Chapelier, dont le « service hospitalier ». Le service hospitalier par exemple, n’apparaît plus que comme un avatar corporatiste nuisible, un « libéralisme médical à l’hôpital ». Voici que la rationalité managériale pure et son innovation destructrice émergent de la « théorie pure » (texte sur l’essence du néolibéralisme de Bourdieu). Galbraith et Mintzberg sont parmi les auteurs qui ont le mieux décrit l’autonomie et les défaillances tragiques de ces technostructures intermédiaires. Notons qu’elles sont aussi la cible de la corporate governance qui vise à redonner le pouvoir aux actionnaires. Cette logique se généralise à l’Etat entreprise où le management intermédiaire, soumis au « contrôle de gestion », est sommé de rationaliser une fonction de production définie par l’action publique de ce corporate state. Dès lors le niveau « méso » n’a de cesse d’auto-définir les besoins qu’il est censé servir. Le « business model« , la fonction de production imposée d’en haut avec ses objectifs sous enveloppes fermées, précède la définition des produits (résultats myopes comme outputs de sortie de système) et de la re-division du travail. Dès lors naît un cercle vicieux de la perte de sens, qui nie le « travail réel », roue de la perte de sens par laquelle le management n’a de cesse de tailler la réglementation à sa main (planification, définition des « activités de soins », gouvernance, ré-ingénierie des professions). Voilà la triste histoire de la loi HPST et des notes de bas de page que la future loi de santé va y inscrire.
  3. Au niveau « micro »: il ne s’agit pas de « gouverner par le marché » mais plus exactement de « gouverner par les incitations », de généraliser une forme entrepreneuriale purement compétitive, dès lors nécessairement soutenue par un « business model » (un modèle rationalisé de profit, ne serait-ce que pour la survie d’une activité « non lucrative », dans une règle du jeu tarifaire imposée par un faux marché), dans les mécanismes les plus intimes de toute activité humaine. Il s’agit de la « transformation de la concurrence en forme générale des activités de production ». Je ne reviens pas sur la « biopolitique » de Foucault ni sur le workfare ou « Etat social actif », où le travailleur devient entrepreneur de soi, dans l’idéal de devenir si possible un prédateur des autres. Voilà quel Brave new world  nos grands ingénieurs de la santé bonheur ont pensé pour nous!

Mais quel est le sens de la liberté individuelle dans ce paradigme, cette théorie pure du « divin marché »? La liberté individuelle et d’organisation d’activités collectives, qui ne sont pas toujours for profit, comme Adam Smith lui-même le savait, n’y est plus la condition de l’émergence de bonnes solutions pour la cité, elle devient l’objet d’un jeu d’incitations savantes qui doit permettre de ne laisser émerger dans la conscience individuelle et collective que des objectifs bien calibrés dans un cadre prédéfini par les théoriciens purs de l’Etat, leur « dictature du projet » et leurs « contrats » dont leurs agences pilotent les objectifs.
Poussant à l’extrême le pessimisme libéral sur la nature humaine, bien au delà d’Adam Smith et de la plupart des penseurs du libéralisme, la politique néo-libérale se réduit à cette quête de procédures et de principes objectifs, indépendants des motivations des hommes. Mais derrière cette apparente coalition moderne du droit et du marché, il s’agit bien d’une dépossession démocratique et d’un déni de citoyenneté qui n’ont vraiment rien de « libéral » au sens classique du terme. Chaque citoyen producteur y perd toute dignité humaine, n’étant plus convoqué que comme « idiot rationnel » réagissant aux incitations mécaniques prévues par la théorie pure.

Webographie

1. Le consensus de Washington (d’après wikipedia)

Le consensus de Washington, selon John Williamson, résume en 10 points les propositions qu’on qualifie de « néolibérales ».IL est ainsi nommé parce partagé que partagé par les organisations économiques basées dans cette ville (le FMI, la Banque mondiale…(Williamson, John (1990), « What Washington Means by Policy Reform » in John Williamson, ed. Latin American Adjustment: How Much Has Happened? (Washington : Institute for International Economics

  • Politique budgétaire : les déficits n’ont d’effets positifs qu’à court terme sur l’activité et le chômage, alors qu’ils seront à la charge des générations futures. À long terme, ils produisent inflation, baisse de productivité et d’activité. Il faut donc les proscrire, et n’y recourir qu’exceptionnellement lorsqu’une stabilisation l’exige ;
  • Les dépenses publiques doivent se limiter à des actions d’ampleur sur des éléments clefs pour la croissance et le soutien aux plus pauvres : éducation, santé publique, infrastructures… Les autres subventions(spécialement celles dans une logique de guichet) sont nuisibles ;
  • Politique fiscale : les impôts doivent avoir une assiette large et des taux marginaux faibles de manière à ne pas pénaliser l’innovation et l’efficacité ;
  • Politique monétaire : les taux d’intérêts doivent être fixés par le marché ; ils doivent être positifs mais modérés ;
  • Pas de taux de change fixe entre les monnaies ;
  • Promotion de la libéralisation du commerce national et international : cela encourage la compétition et la croissance à long terme. Il faut supprimer les quotas d’import ou export, abaisser et uniformiser les droits de douanes…
  • Libre circulation des capitaux pour favoriser l’investissement ;
  • Privatisation des entreprises publiques, démantèlement des monopoles publics pour améliorer l’efficacité du marché et les possibilités de choix offertes aux agents économiques ;
  • Déréglementation; à l’exception des règles de sécurité, de protection de l’environnement, de protection du consommateur ou de l’investisseur, toutes les règles qui entravent la concurrence, et empêchent les nouveaux compétiteurs d’entrer sur un marché doivent être éliminées ;
  • La propriété doit être légalement sécurisée ;
  • Financiarisation.

2. L’essence du néolibéralisme par Pierre Bourdieu, mars 1998
“Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.” Pierre Bourdieu

3 . De quoi le libéralisme est-il le nom? Jean-Claude Michéa

Résumé dans la revue du Mauss:
Avec cet article, l’auteur prolonge et clarifie quelques-uns des points essentiels de son dernier ouvrage, L’Empire du moindre mal. Il rappelle notamment combien la conception pessimiste de la nature humaine au fondement du libéralisme l’a conduit à plaider pour une morale neutre en valeurs et pauvre en vertus. Et c’est là peut-être l’une des raisons pour laquelle la politique libérale se réduit à cette quête de procédures et de principes objectifs, indépendants des motivations, bonnes ou mauvaises, des hommes. Et l’une des raisons également de l’émergence de cet empire moderne du droit et du marché qui tend aujourd’hui à régner sur nos sociétés contemporaines.

4. Pierre Dardot et Christian Laval « Néolibéralisme et subjectivation capitaliste »

Ce texte me paraît expliquer pourquoi la liberté d’action des « professions libérales à l’hôpital » se trouve directement anéantie par la normalisation de la concurrence, qui vise à naturaliser la « transformation de la concurrence en forme générale des activités de production ».
Le nouveau paradigme est présenté comme hybridation de deux modèle de création de valeur: la rationalisation managériale du profit de type taylorien et l’innovation destructrice de Schumpeter qui ne cesse de mettre cul par dessus tête les marchés soi-disant purs et parfaits des néoclassiques.
On comprend bien ici pourquoi l’action publique n’a pas besoin d’aller jusqu’à la « marchandisation » vraie pour répondre à ces exigences. Ce n’est pas une volonté consciente qui conduit le processus. Cependant de nouvelles coalitions émergent pour sur-légitimer cette nouvelle raison du monde, qui ont « intérêt » à ce nouvel universel néo-libéral, comme les juristes ont, en leur temps, légitimé l’Etat légal rationnel, rendant ainsi inutile et Dieu et le Roi.
L’effet est nécessairement différent entre pays qu ont développé la mythologie de l’autonomie par le « self » contre le vieux continent et le catholicisme et ceux qui avec Rousseau ont laissé l’individu seul face à l’Etat garant de l’autonomie des citoyens en les protégeant de tous les collectifs intermédiaires. le Veau d’or de l’entreprise de soi et des autres affronte toujours déjà la putain du diable, la Déesse Raison. L’individu, pris entre César et Mammon, n’a plus qu’à aller voir son psychothérapeute qui le protégera de la souffrance au travail en développant ses « habiletés sociales ». Mais à quoi? A l’extension opérationnelle de la manipulation de soi et des autres?

Comme le dit Patrick Gibert, dans le Nouveau Management Public ce n’est plus tant le droit et les juristes que les sciences sociales qui dominent la technologie de gouvernement.

Ainsi faut-il voir l’invasion des « agences » par les professionnels patentés de cette nouvelle ingénierie sociale de marché, chargés de la création de l’homme nouveau, ce produit de la biopolitique, la plus parfaite des « ressources humaines », celle dont on se plait à croire qu’elle est née pour la compétition régulée.

Ainsi se déploie le triangle mythologique de Dumézil, explication possible de la transformation de « l’Etat social » en « Etat prédateur » (modèle anthropologique utilisé par Thornstein Veblen, d’Iribarne, Galbraith junior…). Ce triangle s’applique à la reconfiguration de la médecine dans le schéma n°3

Schéma n°1: les trois fonctions mythologiques face à « l’Etat prédateur »

5. La loi Le Chapelier et le rejet des corps intermédiaire. Aux sources du jacobinisme entrepreneurial à la française

Dans l’exposé des motifs de sa célèbre loi (14-17 juin 1791), Le Chapelier, rejetant les corps intermédiaires chers à Montesquieu affirme:
« Il n’y a plus de corporations dans l’Etat; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation »

Dans son discours du 29 septembre 1791:

« Il n’y a de pouvoir que ceux constitués par la volonté du peuple exprimée par les représentants ; il n’y a d’autorités que celles déléguées par lui ; il ne peut y avoir d’action que celle de ses mandataires revêtus de fonctions publiques. »

C’est pour conserver ce principe dans toute sa pureté, que, d’un bout de l’empire
à l’autre, la Constitution a fait disparaître toutes les corporations, et qu’elle n’a plus reconnu que le corps social et des individus. […]

ARTICLE PREMIER

« L’anéantissement de toutes les espèces de Corporations d’un même état et profession étant une des bases fondamentales de la Constitution Française, il est défendu de les rétablir sous quelque prétexe et quelque forme que ce soit. »

ARTICLE SECOND

« Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibération, former des règlements SUR LEURS PRÉTENDUS INTERÊTS COMMUNS. »

« La Loi Le Chapelier, promulguée en France le 14 juin 1791, est une loi proscrivant les organisations ouvrières, notamment les corporations des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage.

La loi contribue, avec le décret du 18 août 1792, à la dissolution de l’Université et des facultés de médecine, au nom du libre exercice de la médecine, sans qu’il soit nécessaire d’avoir fait des études médicales ou d’avoir un diplôme, jusqu’à la création des écoles de santé de Paris, Montpellier et Strasbourg le 4 décembre 1794.

La Loi Le Chapelier a été abrogée en deux temps le 25 mai 1864 par la loi Ollivier, qui abolit le délit de coalition, et le 21 mars 1884 par la loi Waldeck-Rousseau, qui légalise les syndicats.

6. Huard P., Imbault-Huart Marie-José. Concepts et réalités de l’éducation et de la profession médico-chirurgicales pendant la Révolution. In: Journal des savants. 1973, N° pp. 126-150 .
« II vaut mieux manquer de praticiens que d’en avoir de mauvais ». Cabanis (rapport du 29 brumaire en VIII) (21 novembre 1799)

Voir l’opposition entre La Rochefoucauld-Liancourt (« physiocrate méconnu« ) et Guillotin, preuve que le débat entre la santé publique des « physiocrates » et la clinique, entre ces amoureux des modèles abstraits, ces théoriciens du Bien-être, fondateurs du premier modèle économique scientifique, et la médecine n’est pas nouveau :

7. Portrait de médecin: Joseph-Ignace GUILLOTIN – 1738-1814
« Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention ». Victor Hugo

8. La Loi du 30 novembre 1892 par Bernard HŒRNI (suppression des officiers de santé)

9. La santé au régime néo-libéral par Frédéric Pierru.

10. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ?

Figure 2: le pire ennemi du médecin, c’est le médecin

Inspiré de: Frédéric Pierru. Les mandarins à l’assaut de l’usine à soins. Bureaucratisation néolibérale de l’hôpital français et mobilisation de l’élite hospitalo-universitaire (dans la bureaucratisation néolibérale de Béatrice Hibou)

Figure 3: pour ceux qui croient encore à la grande intégration gestionnaire

Inspiré de: Frédéric Pierru LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Le Seuil – Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 – n° 194

L’éthique de l’imputabilité ou le nouvel esprit de l’action publique – La santé publique comme business model de soi et des autres- L’imputabilité comme nouvelle raison du monde

A mon sens, une des sources de l’incompréhension mutuelle des libéraux et républicains face au Nouveau Management Public appliqué à la santé est lié à la place de « l’imputabilité » comme nouvelle religion du monde, et sa façon de détruire tout collectif intermédiaire entre l’individu imputable et la rationalité managériale publique. Bourdieu avait perçu le néolibéralisme avant tout comme une arme de destruction massive des « collectifs ».

1. Reddition des comptes et santé mentale en France – L’impossible et irrésistible évaluation

2. Résister à l’emprise de la gestion : ce que l’armée du salut nous apprend
Resisting the domination of managerialism: lessons from the Salvation Army. Vassili Joannides et Stéphane Jaumier

3. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ? (on copie le Canada pour la bureaucratisation et les USA pour la marchandisation des assurances)

4. La société du malaise

« La neurasthénie fait apparaître un nouveau type d’expertise que le sociologue Andrew Abbott a appelé « la juridiction des problèmes personnels ». (…) …au cours des années 1920, deux nouveaux personnages apparaissent de façon concomitante: le psychothérapeute et le manager. » Ce dernier émerge de la nouvelle organisation du travail rationalisée, taylorienne puis fordienne (…). Le thérapeute, lui développe le type de capacité dont l’entreprise bureaucratique a besoin (…). les cures consistent à augmenter les capacités relationnelles permettant de répondre aux demandes multiples pouvant s’exercer sur le self sans qu’il soit débordé par elles. » Alain Ehrenberg

On sait que le management public de nos systèmes de santé est tout sauf « performant », même dans un sens acceptable du terme. Allant à l’encontre de son projet affiché, de mauvaises lois en mauvaises lois, l’action publique détruit les compétences clés, paralyse la véritable création de valeur, l’accountability transforme la liberté d’entreprendre (individualisme politique) en obligation morale de compétition (individualisme moral), et réduit tragiquement le service rendu au public. La question que se posent sans cesse les soignants désenchantés est de savoir si cette destruction est volontaire et procède d’un volonté cachée de « marchandisation » ou si elle est le fruit d’un système de croyance, un ensemble de mythes rationnels ou rationalisant a posteriori des choix démunis de preuves, en pratique contre-productifs, et qui auraient pu être différents. Avec l’imputabilité, L’Ethos du profit de Max Weber, ou la conception moderne du self américain selon Alain Erhenberg (« la société du malaise ») ne reviennent-ils pas à la charge dans nos vieux pays européens sous la forme terriblement insignifiante, pour nous autres latins, de civilisation méditerranéenne, d’un Ethos du business model, de la recherche laïcisée du salut par l’entreprise de soi et des autres?

Le salut par la santé Bien-être imposée par la biopolitique et par les modèles médico-économiques  qu’elle impose, sont alors pour nous autres médecins les deux visages de l’horreur d’une démédicalisation qui apparaît synergique de la dé-protection sociale.

Ce tableau ci-dessous, établi par Pierre Fraser, sociologue canadien qui a analysé l’ouvrage d’Ehrenberg, est intéressant pour guider « l’imputable » qui refuse d’être « neurasthénique ».

« Le débat n’est pas : ou la protection ou l’opportunité, mais l’intégration des deux modèles en France. Ce qui suppose une réflexion sur leurs limites réciproques. »
« Alain Erhenberg en réponse à Robert Castel (il fait référence au 2 modèles d’autonomie présentés dans cette page).

« L’économie est la science du raisonnement en termes de modèles et l’art de de choisir les modèles les plus pertinents pour le monde contemporain. » John Maynard Keynes

Esculape vous tienne en joie

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Publié dans Action publique, gouvernance, Loi de santé, loi HPST, Nouveau Management Public | Commentaires fermés sur De quoi le néolibéralisme est-il le nom? – Naissance de la ‘Pataclinique