Archives de catégorie : bientraitance

Et si?

« On n’a pas le temps de parler aux résidents/patients, c’est de la folie! »
« Douze toilettes en trois heures, c’est n’importe quoi! »
« On court tout le temps! »
« On fait tout trop vite! »
« On n’est plus des soignants mais des robots! »
« On maltraite les patients/résidents, on n’a pas le temps de bien faire les choses! »
« Ils se rendent pas compte dans les bureaux, ça se voit qu’ils ne font pas notre travail! »
« Il faudrait plus de soignants, on le dit tous les jours mais personne ne nous écoute! »

Et si on faisait une pause? Si on refusait le rythme imposé? Si on prenait notre temps?

Et si, au lieu de faire le VMF (Visages Mains Fesses) – habillage rapide – hop hop hop on se dépêche avec Madame Pie, on faisait les choses normalement, sans la brusquer? Et si on allait à son rythme au lieu de lui enjoindre d’aller au nôtre? Et si on prenait le temps de lui parler? Et si on s’autorisait à l’attendre quand elle chemine d’un pas lent vers la salle de bain?

Et si, au lieu de nous dépêcher pour finir dans les temps, on ne finissait pas? Si on ne « faisait » que dix patients/résidents au lieu de douze? Si, au moment crucial où nous devrions avoir fini les toilettes et enchaîner sur les repas, nous nous pointions la bouche en coeur dans le bureau de la direction pour dire qu’on n’y arrive pas?

Et si nous donnions à manger aux résidents/patients les plus dépendants lentement au lieu de les gaver comme des canards en période de fêtes? Si nous prenions le temps d’être vraiment avec eux au lieu de courir pour servir tout le monde dans les temps? Si nous leur accordions le temps qu’ils méritent (et qu’ils payent)?

Et si nous faisions la grève du zèle? Si nous faisions notre travail en comptant les heures au lieu de compter les tâches? Si, au lieu de se cacher dans les vestiaires pour critiquer les « administratifs », nous allions crier haut et fort notre ras-le-bol dans le bureau de ces derniers?

Et si, au lieu de dire qu’il faut prendre soin de soi pour prendre soin des autres, on pensait différemment? Et s’il fallait prendre soin des autres pour prendre soin de soi?

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Hôpital

J’ai été patiente.
J’ai été accompagnante.
J’ai été stagiaire.
Aujourd’hui, je suis aide-soignante à l’hôpital. L’hôpital qui a vu naître mes enfants. L’hôpital qui a accueilli quelques proches en urgence. L’hôpital qui a vu mourir mon beau-père.
Je découvre l’envers du décor. Je me perds dans les couloirs. Je franchis des portes sur lesquelles il est inscrit « réservé au personnel ». J’ai une tenue blanche et je croise plein de gens portant cette même tenue. Je me gare au « parking du personnel » (mais je galère quand même à trouver une place).
J’écoute les histoires que me racontent les vieux infirmiers du service. J’écoute la psychiatre m’expliquer les mots que je ne comprends pas. J’écoute les patients me parler de tout et de rien quand je leur apporte le repas. J’écoute les transmissions. J’écoute, je note, j’enregistre.
Le soir, quand je rentre, j’ai encore tous ces mots dans la tête. Plein de mots pour plein d’histoires. Des histoires de suicide manqué, de dépression, de violence. Des histoires familiales trop lourdes à porter. Des histoires qui se répètent.
Je me dis qu’il n’y a parfois pas grande différence entre les soignants et les soignés. Je repense à Montaigne et à son « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Je me dis que cette phrase pourrait aussi illustrer la psychiatrie.
Mon remplacement se finit bientôt. C’était court mais intense. J’ai détesté être stagiaire à l’hôpital, j’ai adoré y être soignante.
Je viens de mettre un pied en psychiatrie, j’ai hâte d’y mettre le deuxième.

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Une question de point de vue

Service de Psychiatrie.
Le repas vient de se terminer et quelques patients sont encore à table. Ils se sont servis un café et parlent de tout et de rien. Sur la table d’à côté, ils ont laissé traîner des origamis commencés ce matin, ainsi que quelques bonbons. Sophie, l’ASH (ASH = Agent de Service Hospitalier), montre des signes d’impatience. Elle aimerait que les tables soient débarrassées pour pouvoir faire la vaisselle et nettoyer la salle. Je ne comprends pas trop son irritation, il n’y a pas de départ prévu aujourd’hui et l’après-midi sera calme, alors on n’est pas à un quart d’heure près. Nous en discutons dans la cuisine.
– Je trouve ça plutôt bien qu’ils traînent un peu, ils discutent, ils rient, ça leur fait du bien aussi non? dis-je avec une naïve bonne volonté.
– Mais justement, non! Ils ne sont pas là pour créer des liens entre eux et s’installer comme s’ils étaient à la maison! Ils sont là pour se recentrer, réfléchir à ce qui les a amenés ici, et sortir de ce service le plus rapidement possible! me répond Sophie du tac au tac.

Trois petites phrases pour échanger sur les valeurs du soin. Et toc!
L’hôpital psychiatrique, lieu de soin et lieu de vie, mais aussi lieu de rencontre entre patients, soignants et valeurs du soin… Finalement, où se trouve le « juste soin »?

PS : je ne sais pas si l’une d’entre nous a raison. Je ne sais pas non plus ce qui est le mieux pour les patients (ce n’est d’ailleurs pas à moi de le savoir). Mes propres valeurs m’encouragent à privilégier le bien-être et la convivialité. Cependant, j’entends également le raisonnement qui fait dire à ma collègue que le lieu de soin ne doit rester qu’un lieu de passage, et qu’il faut avoir envie de le quitter.

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Une rencontre #2

Le début est à lire ici.
Jour J. Heure H. Nous avons rendez-vous à 17h.

Il est l’heure dans quelques minutes et je retrouve Charlie (@CharlieIsDark) devant le Ministère de la Santé. Je crois qu’on est aussi stressées l’une que l’autre! Entrée, passage sous le portique de sécurité, présentation des pièces d’identité… ça devient sérieux là. Plusieurs personnes attendent avec nous, je reconnais Solange (@Soskuld) mais je n’ose demander aux autres qui ils sont. Nous n’attendons pas longtemps. Après quelques minutes, on nous conduit dans un salon, dont la grande table ovale est chargée de viennoiseries. Bon, au moins on ne mourra pas de faim, et soit dit en passant, la vue sur Paris est splendide. Madame Rossignol arrive, suivie par quatre conseillères, et nous nous installons autour de la table.
On se présente. Je note consciencieusement les noms et les blogs associés, il y en a deux que je ne connais pas, ça m’offre une occasion de les découvrir.
La suite, ce sont trois heures de discussion, racontées ici :

http://marreaboutdficelle.blogspot.fr/2016/02/la-douce-melodie-du-rossignol.html

http://www.aide-soignant.com/article/aide-soignant/as/laurence-rossignol-ecoute-soignants-aidants

et dans les tweets de @CTrivalle, ici :

 

 Trois heures au lieu des deux initialement prévues, on a été bavards!
 En vrai, même quand j’avais les cheveux longs, je n’ai jamais fait de tresses pour aller bosser… je m’appelle pas Laura Ingalls 😉
 
 
Marie Bertrand a raconté certaines anecdotes vécues en EHPAD, on serait parfois crus dans un autre monde.

Ça traduit une certaine réalité. La profession aide-soignante est majoritairement féminine, tout comme le secteur de l’aide à la personne en général.
 C’est dommage d’ailleurs, parce qu’elle a un beau blog et plein de choses à y raconter…
 Ici, la discussion portait sur la solitude des travailleurs à domicile, et sur le manque de communication avec le reste de l’équipe soignante (IDEL, kinés, médecins…)
 Traduction : pour pouvoir entrer en EHPAD, il vaut mieux être en bonne santé.
 Ici, on a parlé d’Humanitude…
Chiche?
En effet, c’est encore trop peu. Et la qualité de l’accompagnement s’en ressent.
 En principe, la TVA appliquée aux produits d’incontinence (protections) a baissé, mais cela ne change pas grand chose au reste à charge pour le moment.
À cet instant précis, je l’avoue, j’ai failli dégringoler de ma chaise! (« manque de curiosité intellectuelle », gnagnagna…)
 Ce point est un peu flou. Pour passer en niveau IV il faut allonger le temps de formation. Qui paye? Et une fois le diplôme obtenu, il faut de toute façon revaloriser les salaires… mais le public et le privé doivent s’harmoniser, et ça risque d’être compliqué. Bref, c’est pas pour tout de suite.
Autre point délicat. Les aides-soignants en libéral pourraient faire du domicile, hors c’est déjà possible avec les SSIAD, qui présentent l’avantage d’être gérés par des IDE. Une collaboration AS/IDEL pourrait être un consensus.
La dépendance, ça coûte cher…
Bon ben là, euh, forcément, j’ai l’avantage d’être orpheline (pardon)!
 20 heures, fin des discussions, la Tour Eiffel s’illumine et nous nous précipitons aux fenêtres pour admirer le spectacle. Avant de partir, nous prenons le temps de faire une photo de groupe, histoire d’immortaliser ce temps d’échange. Ce fut une belle rencontre, on remet ça un de ces jours?

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Empathie

Récemment, en parcourant un groupe dédié aux auxiliaires de vie sur Facebook, je suis tombée sur ça :

Instantanément, j’ai pensé à Monsieur B, mais aussi à Madame LDV. J’ai aussi pensé à Madame Pasdbol et à quelques autres qui m’ont laissé un souvenir plus ou moins mitigé. Par curiosité, je suis allée lire les réponses. Au moment où j’écris ce billet, il y a une cinquantaine de commentaires sous ce post, c’est dire si la discussion va bon train. Dans les commentaires, je cherche quelques éléments décrivant un peu mieux la situation. Je découvre quelques précisions données par l’auxiliaire de vie qui témoigne :

« Je les signaler aussitôt le mr est sous tutelle,pas moment il a pas toute sa tête ,il es suivi par un psy.il es handicapée il a eu un avc très jeune .il à 55ans.pas famille »

« Elle a envoyer un mail à la tutrice de je le mois dernier il avait peut un couteau pour ce trancher la gorge on a enlever tout qui était dangereux à domicile »

« il 2frigo 1dans le bâtiment fermer au cadenas et un dans la cuisine nn fermer pour ses repas matin midi soi r prépare »

« ce le à que 12cigarette par jours ,café télé à par cela il fait rien de la journée ces pour au cache la nourriture il mangerai toute la journée. Au juste ces ça seule drogue »

Pour résumer, ce monsieur de 55 ans, célibataire sans enfant, a fait un AVC il y a longtemps, souffre de troubles cognitifs, et est sous tutelle. Il est tabaco-dépendant et semble socialement isolé. Il bénéficie d’une auxiliaire de vie pour les courses (et sans doute d’autres choses) et n’est pas autonome dans la gestion de ses repas. Il peut se montrer violent envers les autres et lui-même. Je pourrais aussi vous dire dans quel département il habite mais c’est sans intérêt pour la suite du billet.

Bon, là c’est résumé dans les grandes lignes.

Maintenant que je comprends un peu mieux le contexte, je relis les commentaires plus attentivement. Beaucoup conseillent de prévenir le/la responsable, de faire une déclaration d’accident du travail et d’exercer un droit de retrait. Des conseils sages au vu de la situation. Mais il me manque quelque chose.

Quand je m’étais trouvée en difficulté face à certains bénéficiaires violents (verbalement et/ou physiquement), j’avais eu la triste impression de ne pas être entendue. Je m’étais retrouvée seule face à des comportements que je ne comprenais pas et auxquels je n’étais pas préparée. Seule et désemparée. L’unique question que je me posais à l’époque était la suivante : comment? Comment réagir? Comment faire? Comment continuer? Je n’avais pas trouvé de réponse idéale et m’étais alors contentée d’étaler mon désarroi ici. Madame Grandchef, en me montrant gentiment la porte après que je lui avais annoncé ma grossesse, m’avait sans le vouloir rendu un grand service. En m’offrant plus de temps libre que ce que mon arrêt maternité m’octroyait, j’avais pu accompagner la fin de vie de mon père et faire une formation d’aide-soignante. Et j’ai compris une chose.

J’ai compris que je ne me posais pas les bonnes questions, ou du moins pas au bon moment. Parce qu’avant de me demander « comment », peut-être aurait-il fallu que je me demande « pourquoi ». Pourquoi Madame LDV ne m’aime-t-elle pas? Pourquoi Monsieur B. est-il aussi agressif? Pourquoi Madame Pasdbol ment-elle continuellement? 
Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?
Si j’avais eu la réponse à ces questions toutes simples, j’aurais peut-être plus facilement trouvé le « comment ». Comment réagir? Comment répondre? Comment faire?

Mais, pour me poser les bonnes questions, encore aurait-il fallu que je réfléchisse autrement. Je réfléchissais avec mes valeurs et ma normalité. Je pensais en tant que Babeth, aide à domicile, 35 ans, mariée, maman, en bonne santé physique et mentale. Mais ma normalité n’était pas la leur. Ma vie n’était pas la leur.
J’aurais pu réfléchir différemment, en me mettant cinq minutes à leur place.
Et si c’était moi, la veuve délaissée par ses enfants, dépendante au point de ne plus pouvoir sortir faire ses courses, à qui l’on impose une auxiliaire un peu trop souriante?
Et si c’était moi, celui qui souffre continuellement, rongé par la dépendance à l’alcool, que plus personne ne vient voir?
Et si c’était moi, la femme mal-aimée, rejetée par sa propre mère, qui n’a pas conscience de ses incohérences et reste persuadée que tout le monde ment autour d’elle?
Si c’était moi, ne serais-je pas agressive moi aussi? Ou méprisante? Ou violente?

Je ne me posais pas les bonnes questions, parce que je ne faisais pas preuve d’empathie. Je croyais être une bonne aide à domicile. J’étais souriante, polie, travailleuse. J’aimais mon travail et je ne comprenais pas pourquoi, malgré toute ma bonne volonté et mes sourires polis, je ne parvenais pas à établir une saine relation d’aide avec certains bénéficiaires. Certains m’étaient sympathiques, d’autres carrément antipathiques, et je ne savais pas me situer professionnellement au milieu de cette cascade d’émotions parasites.
Sympathie et antipathie. Voici les mots qui m’ont piégée. Trop ceci, pas assez cela. Trop proche, trop distante, trop souriante, trop sur la défensive. 

Puis j’ai fait une pause forcée, j’ai eu un enfant, j’ai perdu mon père, je suis devenue aide-soignante, et j’ai repris le travail. Différemment.
J’ai découvert l’empathie.
  

L’empathie (du grec ancien ἐν, dans, à l’intérieur et πάθoς, souffrance, ce qui est éprouvé) est une notion désignant la « compréhension » des sentiments et des émotions d’un autre individu, voire, dans un sens plus général, de ses états non-émotionnels, comme ses croyances (il est alors plus spécifiquement question d’« empathie cognitive »). En langage courant, ce phénomène est souvent rendu par l’expression « se mettre à la place de » l’autre.
Cette compréhension se produit par un décentrement de la personne et peut mener à des actions liées à la survie du sujet visé par l’empathie, indépendamment, et parfois même au détriment des intérêts du sujet ressentant l’empathie. Dans l’étude des relations interindividuelles, l’empathie est donc différente des notions de sympathie, de compassion, d’altruisme ou de contagion émotionnelle qui peuvent en découler. (Wikipédia)

J’ai réalisé que pour comprendre une situation, je dois réfléchir autrement. Non plus avec ma normalité mais avec celle de la personne qui est en face de moi. Je dois déposer mes valeurs et mes idées sur le paillasson de l’entrée et me plonger dans une autre dimension, celle de l’Autre. Je dois pouvoir l’entendre et l’écouter, le voir et le regarder. Je dois me demander ce que je ferais à sa place, avec ses valeurs, ses possibilités, et non ce qu’une personne de « ma » normalité ferait à sa place. Je dois changer de normalité comme je change de patient, voilà tout. C’est à moi de m’adapter à lui et non le contraire. Ça paraît tellement évident quand je l’écris, et je me sens tellement stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt!

Pour en revenir au débat initialement cité, je trouve qu’il illustre parfaitement le sujet. Parce qu’en lisant ce post, la première chose que j’aurais ressentie il y a quelques années, c’est de la sympathie pour la collègue agressée, ou de l’antipathie pour le responsable d’agence qui n’intervient pas. Aujourd’hui, après une naissance, un deuil, une formation et un coup de coeur professionnel (faudra que je vous parle de Naomi Feil un jour, vous m’y ferez penser?), ma première réaction a été de demander pourquoi la nourriture était sous clé, et de me dire que ça devait être terrible de devoir subir une interdiction pareille. Terrible et maltraitant
Ça paraît évident de se poser la question, je sais, mais ça ne l’était pas pour moi il n’y a encore pas si longtemps. Spontanément, ça n’aurait pas été ma priorité. J’aurais demandé « comment » mais pas « pourquoi ». Et je ne me serais pas demandé comment j’aurais réagi à SA place.
Du coup, désolée si je me permets un quart d’heure cocorico (tant pis, j’assume), mais je suis contente du chemin parcouru depuis Monsieur D. et Madame LDV., contente de faire de belles rencontres qui me font voir les choses différemment, et contente de poursuivre ma route en me disant que j’ai encore plein de choses à découvrir.

Et même, j’en profite pour vous balancer un petit lien vers le #mededfr, parce qu’on en avait parlé et que ça avait été un chouette débat :

https://mededfr.wordpress.com/2014/11/13/mededfr-22-lempathie-ca-sapprend/

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La mésentente

En bleu, c’est Sidonie, auxiliaire de vie diplômée.
En  noir, c’est Madame Couché, épouse de Monsieur Couché.
Sidonie est une soignante, Madame Couché est une aidante. Toutes deux prennent soin de Monsieur Couché.  

Et voilà, je me suis encore fait avoir! J’aurais dû être ferme, j’aurais dû expliquer (une fois de plus) que je suis auxiliaire de vie, pas aide-ménagère, pas bonniche, pas bonne à rien. J’aurais dû lui dire à cette bonne femme, que je suis pas là pour ça. Mais j’ai pas osé. J’avais pas envie. Pas envie de m’énerver dès le matin. Pas envie de parler, pas envie d’expliquer, pas envie d’argumenter. Alors j’ai fait ce qu’elle m’a dit. J’ai obéi, sans discuter, comme si de rien n’était. Comme si c’était normal. 
J’étais censée être là pour Monsieur Couché, pour l’aider à se lever, à se laver, à s’habiller. J’étais censée faire ça, oui, ainsi que le petit-déjeuner. J’avais une heure pour faire tout ça, c’était largement assez. Pour une fois, le plan d’aide permettait vraiment d’intervenir dans de bonnes conditions, et pas au pas de courses comme chez tant d’autres. Mais quand je suis arrivée, à huit heures tapantes comme tous les matins, Monsieur Couché n’était plus couché. Il était levé, lavé et habillé. Il avait même pris son petit-déjeuner! Et moi, j’étais là, complètement inutile, face à ce monsieur qui n’avait déjà plus besoin de moi, à me demander ce que j’allais bien pouvoir faire avec lui. Alors, en bonne professionnelle que j’espère être, je lui ai proposé autre chose. Après tout, si Monsieur Couché se débrouille tout seul pour « les activités de la vie quotidienne », je peux aussi proposer mon aide pour « le maintien de la vie sociale ». J’étais sur le point de lui suggérer de lui lire son journal (il ne peut plus, le pauvre, avec sa DMLA galopante) quand sa femme a surgi de nulle part pour me demander de faire la vaisselle, les lits (oui, LES lits, donc celui de Monsieur et celui de Madame) et un peu de ménage. 
Mais… Mais… Mais?! Mais je suis pas là pour ça! Je suis là pour Monsieur Couché, pour l’aider lui, pas pour la maison, pas pour elle! Je suis auxiliaire de vie, pas aide-ménagère! J’ai fait une formation, j’ai passé un diplôme, c’est pas pour me retrouver à faire du ménage à huit heures du matin alors qu’il y a déjà une aide-ménagère qui vient pour ça deux heures par semaine!
Ça, c’est ce que j’ai pensé très fort… Mais comme tous les matins, je n’ai pas osé le dire. Et comme tous les matins, j’ai fait ce que Madame me demandait de faire. J’ai fait la vaisselle du petit-déjeuner, j’ai fait les lits, j’ai passé un coup de balai et étendu le linge. J’ai fait tout ça en silence, pendant que Madame restait enfermée dans sa chambre. J’ai fait tout ça en retenant mes larmes, parce que je me sentais nulle, et inutile. J’ai fait tout ça en maudissant Madame Couché de me voler mon travail, en maudissant ma responsable de secteur de ne jamais mettre les choses au point avec les bénéficiaires et leurs familles, et en me maudissant d’accepter d’être ainsi rabaissée. J’ai maudit tout le monde, fait signer ma feuille de présence, et suis partie chez Madame Debout, qui allait sans doute me demander de faire la poussière, une fois de plus, alors que je l’ai déjà faite hier…

Ça y est, elle a réussi à me mettre de mauvaise humeur pour la journée! Tous les matins c’est la même chose, et ça fait des mois que ça dure! Elle se pointe à huit heures, la bouche en coeur, avec sa jeunesse effrontée et ses petits bras musclés, et elle se met en tête de s’occuper de mon mari. Sauf que mon mari, merci mais ça va, je m’en occupe. Parce qu’à huit heures, ça fait déjà longtemps qu’il est prêt mon bonhomme! Tu parles, à six heures il est réveillé et il hurle pour que je vienne le lever, alors je vais quand même pas attendre deux heures que Mademoiselle Sidonie se ramène! Je leur ai dit, pourtant, au bureau, que huit heures c’était trop tard, mais ils m’ont dit que personne n’intervenait avant cette heure, et que si je n’étais pas contente je pouvais toujours m’adresser à une infirmière libérale… Sauf que chez nous, les IDEL, elles viennent plus pour les aides à la toilette, alors je fais comment moi? Eh ben je vous le donne en mille : je fais, et puis voilà, c’est pas plus compliqué que ça. Je lève mon mari, parce que tout seul il ne peut plus, et puis je lui fais sa toilette, et puis je l’aide à s’habiller… Et quand tout est fait, il n’est pas sept heures, alors on va pas attendre une heure en se regardant dans le blanc des yeux. Alors forcément, je prépare le petit-déjeuner, et on le prend tous les deux, comme avant. Avant la maladie. Avant la dépendance. Avant la visite du médecin conseil. Avant les plans d’aide qui t’octroient généreusement quelques heures par semaine tout en te faisant bien comprendre que quand même, heureusement qu’on est là hein! Avant la responsable de secteur avec son sourire mielleux et son regard condescendant. Avant Sidonie.
Le café du matin, c’est notre seul moment calme de la journée. Parce qu’après, il y a Sidonie. Et encore après, c’est la course, toujours. Parce que mon bonhomme, c’est toute la journée qu’il a besoin d’aide. Pas juste le matin entre huit heures et neuf heures. Parce que la maladie d’Alzheimer, c’est toute la journée et toute la nuit, tous les jours, tout le temps. Quand il se lève, il est malade. Quand il mange, il est malade. Quand il parle, il est malade. Quand il marche, il est malade. Et quand il dort… il est malade aussi. Et moi je suis malade de sa maladie. Je suis malade de l’aider, de l’entendre crier, de faire à sa place. Je suis malade de notre intimité perdue. Je suis malade de son lit médicalisé qui prend toute la place, et malade de devoir dormir dans une autre pièce, parce qu’il n’y a plus de place pour moi dans la chambre conjugale. Malade de son déambulateur, de sa chaise percée et de la douche adaptée qui a remplacé la baignoire. Malade d’être sa garde-malade avant d’être son épouse. Malade de la famille qui ne vient plus nous voir parce que « c’est compliqué », malade des voisins qui nous évitent parce que « le monsieur est bizarre », malade de Sidonie qui rentre dans notre maison, qui farfouille dans notre cuisine et qui s’adresse à lui comme à un enfant. Qui s’adresse à lui hein, pas à moi. Parce que moi, je n’ai besoin de rien, c’est évident. Moi je suis l’épouse revêche, celle qui vole le travail des gentilles auxiliaires qui ne demandent qu’à aider. Moi je suis la méchante qui demande à la gentille de faire le ménage alors qu’elle est diplômée et pas payée pour ça. Moi je suis celle qui abuse des aides sociales, qui vole l’argent du contribuable pour se faire payer des heures de ménage sur le dos de la dépendance.
Mais je voudrais bien qu’elle comprenne, la gentille Sidonie, que pendant qu’elle fait ce qu’elle appelle les basses besognes, je peux avoir une heure pour moi, une petite heure, une toute petite heure. Une toute petite heure pour me laver et m’habiller. Une toute petite heure pour passer un coup de fil à notre fille à l’autre bout de la France. Une toute petite heure pour courir acheter le pain et son journal. Une toute petite heure pour me reposer quand la nuit a été éprouvante, quand je me suis levée toutes les deux heures pour recoucher mon bonhomme qui déambulait, ou pour nettoyer les toilettes après son passage. Je voudrais bien qu’elle comprenne tout ça Sidonie, qu’elle sache que faire du ménage c’est tout aussi important que le reste, parce que ça allège un peu le quotidien.

Parce que pendant une heure, une petite heure, une toute petite heure, je ne suis plus une aidante. Je suis une épouse pour mon mari, une mère pour notre fille… et une femme.

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Le long du chemin

Aujourd’hui, au hasard de Twitter, je suis tombée sur ça.
Forcément, je me suis indignée. Forcément, j’ai pensé que ce type était un con. Et forcément, je suis allée lire les réactions sur les réseaux sociaux. Oui, je suis accro au net et j’assume. Tantôt encensé, tantôt lynché, ce carabin a le mérite de ne pas laisser ses lecteurs indifférents. Mais je digresse.
Pourquoi ce billet? Parce qu’après avoir hurlé avec les loups, je me suis arrêtée cinq minutes pour réfléchir. Qu’est-ce qui me choque au fond (outre le fait que la mère au chômage s’appelle Babeth)? Les clichés? Le mépris? L’absence manifeste d’empathie? Tout ça ensemble?
J’étais comment, moi, il y a quelques années?
Retour en arrière.
J’ai été une monitrice-éducatrice et je ne comprenais pas que des parents laissent croupir toute l’année leur gosse handicapé dans un IME sans même venir le chercher le week-end.
J’ai été une aide à domicile (même pas une vraie auxiliaire de vie puisque non diplômée) et je méprisais profondément Madame LangueDeVipère et Monsieur Bitàlair.
J’ai été une élève aide-soignante et j’ai été indignée par certains placements en EHPAD que j’estimais abusifs.
Maintenant je suis aide-soignante. Et je revois certaines de mes valeurs.
À l’école, on nous a parlé du patient au coeur du dispositif de soins. Évidemment, nous étions tous d’accord avec ce principe, comment aurait-il pu en être autrement? Nous sommes là pour le patient, pour lui et pour personne d’autre, c’est la base de notre métier de soignants.
Oui, mais…
Oui, mais depuis, j’ai rencontré les vrais patients, ceux de la vraie vie, pas ceux des livres… Et j’ai rencontré leurs familles. Ceux que l’on appelle les aidants. Les aidants qui, eux, ne sont pas « au coeur du dispositif de soins ». Les aidants qui ont des choses à dire, et qu’on n’écoute pas toujours. Et c’est bien dommage. Parce que si on prenait le temps de le faire, on apprendrait plein de choses que le patient « au coeur du dispositif de soins » ne nous raconte pas.
Les aidants pourraient nous expliquer que non, on ne peut pas récupérer son gamin handicapé tous les week-end, à cause d’une sombre histoire de budget d’hébergement et d’une triste réalité d’éloignement géographique.
Les aidants pourraient nous expliquer que Madame LangueDeVipère n’a pas toujours été une langue de pute et que Monsieur Bitàlair n’a pas toujours été un vieux pervers. Parce que parfois la vie est une sale pute qui ne nous montre que la laideur des choses qui ont peut-être été belles il y a longtemps.
Les aidants pourraient nous expliquer que le placement en EHPAD est rarement une punition, et souvent un déchirement. Qu’à domicile, malgré toutes les aides possibles, ça n’est plus vivable, et qu’il faut séparer les couples qui se sont aimés pour qu’ils puissent survivre.
Les patients m’ont beaucoup appris, mais les aidants m’ont appris bien plus encore.
Ils m’ont appris à écouter. Ils m’ont appris à m’éloigner un peu du patient pour pouvoir regarder ce qu’il y avait autour. Ils m’ont appris à revoir certaines de mes opinions. Ils m’ont appris que pour être bientraitante il fallait laisser ses valeurs chez soi et accepter de découvrir celles des autres.
Ils m’ont appris tout ça, et ils m’apprennent encore. Et je les en remercie.

J’ai de la chance. Parce que je rencontre de belles personnes, qui m’aident à devenir une soignante. Et aujourd’hui, en découvrant cette BD qui me fait bondir, je mesure d’autant plus ma chance. Parce que cette image, elle m’aurait sans doute fait sourire il y a quelques années (j’avoue, je me suis moquée de la même façon de certains bénéficiaires, et de certains aidants). Et en la regardant maintenant, je me rends compte du chemin parcouru. J’ai vraiment beaucoup de chance. Et j’ai hâte de découvrir la suite du chemin.

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La Belle au bois courant

La scène se passe dans une Unité pour Malades Difficiles.

Les patients qui sont ici ne sont pas hospitalisés pour constipation. Ici, c’est du lourd. La crème de la crème des pathologies psychiatriques. Pour ceux qui ne connaissent pas, une UMD (Unité pour Malades Difficiles) c’est un service hospitalier psychiatrique spécialisé dans le traitement des malades mentaux présentant un danger potentiel pour eux-mêmes ou pour autrui. Les patients y sont hospitalisés sous contrainte, pour une durée indéterminée. Ici, on sait quand on rentre, mais pas quand on sort.
L’UMD est située à l’écart d’une petite ville, dans un cadre calme et verdoyant. Mais les patients s’en foutent, car ils ne le voient pas. Ils ne voient que les hauts murs, les portes fermées à double tour et les soignants en blanc. Point d’horizon ici. Quand ils sortiront, ce sera pour retourner en hôpital psychiatrique ou en prison. Pas de retour à la vie « normale ». Trop dangereux, pour eux et pour les autres.
Ici, la plupart des meubles sont scellés au sol. On mange dans des assiettes en plastique. On se lave sous le regard des soignants. Question de sécurité.
Ici, l’équipe soignante est majoritairement masculine. Question de sécurité.

Ce jour-là, il pleut, et les patients déambulent dans le hall. Ça fait une semaine qu’il pleut, ça porte sur les nerfs. Le terrain de foot est impraticable, il fait froid dans la cour, le vent fume les cigarettes à la place des patients. Tout n’est qu’ennui et morosité.
Anne, la belle infirmière, est assise sur le canapé du hall avec trois patients.
Pas très loin se tiennent un infirmier qui fait des mots croisés et une stagiaire aide-soignante qui semble posée là comme un pot de fleurs (scellé au sol).
Anne parle de sport. Elle fait de la course à pied et elle adore ça. Avec moult détails, elle décrit sa dernière séance. Elle est partie courir sous la pluie au petit matin. Elle était trempée en moins de cinq minutes, l’eau ruisselait sur elle, sur son visage, sur ses vêtements qui lui collaient au corps. Elle courait, trempée, parce que c’était agréable, ça la rafraîchissait, ça lui faisait du bien. Elle courait dans la forêt, elle sentait la délicieuse odeur du sous-bois. Tout était calme autour d’elle. Sous ses pieds, la terre amortissait ses foulées et elle ne ressentait aucune fatigue. Dans ses oreilles, les écouteurs diffusaient un groupe qu’elle aimait particulièrement, ça l’aidait à garder le rythme. Elle ne pensait à rien. Elle se sentait bien, tout simplement. Elle a couru longtemps sous la pluie, presque une heure, et à son retour elle s’est précipitée sous la douche. Elle a jeté ses vêtements en vrac par terre, a fait couler de l’eau presque brûlante et est restée là, à sentir l’eau dégouliner sur elle, et ça faisait un bien fou après la pluie fraîche du matin. Elle s’est longuement savonnée, la mousse parfumée ravissait ses narines. Après la douche, elle s’est enveloppée d’une grande serviette chaude et moelleuse et est allée s’asseoir devant la cheminée avec un café. Le bonheur total.
Eux, les patients, ils écoutent et ouvrent des yeux comme des soucoupes. La forêt, ça fait des années qu’ils ne l’ont pas vue, coincés entre les murs, coincés par leur maladie, coincés par leur vie. L’odeur des sous-bois, ils l’ont oubliée. La musique, ils n’en écoutent pas tous, seuls sont qui ont un poste ou un ipod le peuvent, et tous n’y sont pas autorisés. Le silence, c’est quelque chose que tous ne connaissent pas. Ici, c’est bruyant, il y a le bruit des serrures, le bruit des couverts, le bruit de la télé, le bruit des voix des soignants et des patients… Et parfois, le bruit des voix dans la tête, celles qui ne se taisent pas, celles qui te donnent des ordres, celles qui ne te laissent pas de répit.
Une serviette chaude et moelleuse, voilà un luxe qu’ils ont oublié depuis longtemps. Quant au feu de cheminée…
Alors ils écoutent, avec leurs yeux comme des soucoupes et leurs bouches bées. Ils écoutent l’infirmière raconter la course, la douche, la cheminée. Ils écoutent et ils imaginent. La belle infirmière, seule dans le bois, avec ses vêtements de sport moulants. La belle infirmière trempée de sueur et de pluie mélangées. La belle infirmière nue sous la douche. La belle infirmière alanguie près de la cheminée.
On pourrait entendre une mouche voler. Le temps semble suspendu. L’infirmière raconte, les patients écoutent, la stagiaire observe.
Plus tard, la stagiaire-pot-de-fleurs demandera à l’infirmière sportive si elle n’avait pas peur d’éveiller certains désirs inaccessibles en racontant des trucs pareils. Parce que bon, quand même, on sait bien que tout ça, c’est hors de portée pour eux maintenant. La forêt, la longue douche chaude, la cheminée… La liberté, tout simplement.

« Tu ne comprends pas. Je teste leur résistance à la frustration, c’est thérapeutique tu comprends ? »

Ah ben oui. Si c’est thérapeutique alors…

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Leurs histoires, leur histoire.

Premier stage en EHPAD, premier jour. L’aide-soignante me parle un peu des résidents.
– Lui, il a fait une rupture d’anévrisme, ça fait vingt ans qu’il est là, dans cet état. Un légume! C’est pas une vie franchement. Elle, c’est Alzheimer et hémiplégie, elle est complètement à l’ouest! Son mari est pénible, si t’es sympa avec lui cinq minutes il te laissera jamais tranquille! Lui, il vient d’arriver, sa femme vient tous les jours le promener en fauteuil. Elle est super exigeante et jamais contente. Elle, elle était religieuse, elle parle quasiment jamais. Elle est un peu bizarre. Et lui là, au fond, tu verras, il est spécial. Personne ne vient jamais le voir, il paraît qu’il a violé son neveu quand il était gosse, mais ce dernier n’a jamais porté plainte. Du coup sa famille ne veut plus le voir, ça se comprend! Nous, on fait sa toilette le plus vite possible, on trouve qu’il a une drôle de façon de nous regarder et on n’aime pas trop ça. Mais ça, tu le gardes pour toi hein, c’est pas écrit dans son recueil de données.
Ma chère tutrice aide-soignante, voici une information dont je me serais bien passée. Comment je fais maintenant pour m’occuper de ce monsieur sans penser à cette histoire? Comment je fais pour le regarder sans que mes yeux trahissent le dégoût que m’inspire son acte? Comment je fais pour faire preuve d’empathie quand il serait tellement plus facile de le détester?
Et les autres, comment je fais pour m’occuper d’eux alors qu’en moins de cinq minutes ils sont déjà catalogués? Le légume, la folle, le pénible, la râleuse, le pervers… Avais-je vraiment besoin de savoir tout ça?
 
Monsieur Pivoine a 78 ans. Bel homme, il a conservé une certaine prestance. C’était une figure locale, il a fait toute sa carrière comme professeur de sport dans le collège de la ville. À sa retraite, il s’est beaucoup investi dans le club de foot dont il était entraîneur. Il accompagnait les jeunes pour les matchs, les encourageait, et les consolait lors de leurs défaites. Les parents l’ont toujours aimé, il était tellement disponible, tellement serviable. Il allait même jusqu’à raccompagner les gamins chez eux après les cours ou l’entraînement quand leurs parents ne pouvaient pas venir les chercher.
Parfois, avant de ramener un petit garçon, il s’enfermait avec lui dans le vestiaire et faisait des choses. Mais ça, ça n’est pas écrit dans le recueil de données.

Madame Rose a 82 ans, dont 59 de mariage. Un beau mariage, et trois enfants. Son époux est mort il y a peu et c’est une veuve inconsolable, qui pleure du matin au soir et du soir au matin. Elle refuse de se lever, refuse de manger, refuse de vivre. Inquiets, les soignants du service ont essayé d’alerter les enfants. Leur mère va mal, il faudrait venir. Ses fils habitent tout près, dans la même ville. Sa fille est à Paris. Les soignants ont rencontré le fils aîné, une fois, quand il venu installer ses parents à l’EHPAD. C’était il y a trois ans. Depuis, aucun des enfants n’est jamais venu. Pas une seule fois. À Noël, personne. Aux anniversaires, personne. À la fête des familles organisée une fois par an, personne. Aucun des enfants, aucun des petits-enfants. L’équipe est perplexe. Quand on pense que sitôt les parents placés les enfants se sont empressés de vendre la maison! Et depuis, aucune visite, pas un coup de téléphone, pas une lettre, rien! Et maintenant, Madame Rose se meurt, et personne ne vient la voir, personne ne vient lui tenir la main. Quelle tristesse!
Tous les soirs, quand Monsieur Rose rentrait du travail, il tabassait ses gosses. Et Madame Rose laissait faire, parce qu’ainsi elle évitait que les coups ne tombent sur elle. Mais ça, ça n’est pas écrit dans le recueil de données.

Monsieur Narcisse a 93 ans. C’est un monsieur affable et toujours souriant. Il est veuf depuis plus de trente ans déjà. Ses enfants sont très présents et viennent le voir toutes les semaines. Il avait beaucoup d’amis, il était toujours prêt à donner un coup de mains aux uns ou aux autres. Il a travaillé dur toute sa vie, il a pu payer de belles études à ses enfants et ils lui en sont reconnaissants.
Pendant la guerre, il a des dénoncé ses voisins juifs. Ils ont été arrêtés, déportés, et gazés. En presque aussi peu de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Mais ça, ça n’est pas écrit dans le recueil de données.

Nous, les soignants, nous prenons soin des gens. Ils sont vieux, handicapés, malades, dépendants. Nous prenons soin d’eux à un moment donné de leur vie, quand ils en ont besoin. Nous ne savons pas toujours ce qui s’est passé dans leur vie avant qu’ils nous soient confiés. Nous nous faisons une idée d’eux avec les éléments que nous avons, le fameux recueil de données. Souvent, il nous manque beaucoup d’informations…
Dois-je savoir que Monsieur Pivoine était pédophile?
Dois-je savoir que Monsieur Rose était un père violent et que Madame Rose n’a rien fait pour l’en empêcher?
Dois-je savoir que Monsieur Narcisse était un collabo?
Le passé des gens dont nous nous occupons doit-il toujours être présent à notre esprit?
Parfois, j’aimerais savoir pour comprendre. Parfois, j’aimerais ne pas savoir pour ne pas être dans le jugement.

Difficile de trier les informations utiles à notre prise en soin. Difficile de comprendre une situation qui nous semble choquante quand on ne connaît pas le contexte. Difficile de se dire que le passé a fait son temps et que seul compte le présent.

Difficile d’être soignant, parfois. Continuer la lecture

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Stagiaires

Tu as 17 ans et tu prépares un bac professionnel.
Tu as 22 ans et tu es en Institut de Formation des Aides-Soignants.
Tu as 43 ans et tu es en pleine reconversion professionnelle.

Tu es en stage avec nous pour découvrir, apprendre, te former. Moi, je fais partie d’une équipe. Une équipe avec plein de noms et plein de fonctions. Des aides-soignants (beaucoup), des aides médico-psychologiques, des infirmiers, des agents, des kinésithérapeutes, des animateurs, des assistants de soins en gérontologie, des ergothérapeutes, des cuisiniers, des secrétaires, des cadres de santé, des psychologues… Ça fait beaucoup de monde dans un si petit univers. Je ne te demande pas de retenir les noms et fonctions de tout le monde, moi-même je ne suis pas certaine de savoir qui est qui et qui fait quoi. Mais n’hésite pas à me demander mon prénom si tu l’as oublié, de même que je te redemanderai sans doute le tien. Soyons indulgents l’un envers l’autre, d’accord?

Tu es timide.
Tu poses plein de questions.
Tu es trop familier avec les résidents.

Je suis là pour t’encadrer. La formation des stagiaires, ça fait partie de mon travail.
Si tu es timide, je suis là pour te donner confiance en toi, pour que tu te sentes capable de faire et de dire des choses.
Si tu poses des questions, je suis là pour y répondre. Parfois, j’ai la réponse, je te la donne. Parfois, tu me poses une colle, je ne sais pas, mais on peut chercher ensemble. Ainsi, tu obtiens une réponse, et moi aussi.
Si tu n’adoptes pas la bonne distance avec les résidents ou les patients, je suis là pour te parler d’empathie et de juste distance. Parce que c’est important, pour toi, pour moi, pour les patients.
J’essaierai de ne pas faire de remarques devant tout le monde, je prendrai cinq minutes pour te parler autour d’un café, et je le ferai avec bienveillance. Parce que c’est normal de ne pas tout savoir, de ne pas tout réussir. Tu es stagiaire, il faut que je le garde à l’esprit.

Tu ne sais pas faire un soin.
Tu n’as pas compris quelle était la spécificité du public accueilli.
Tu n’as pas rempli tes objectifs de stage.

T’ai-je bien expliqué les choses? Ai-je été assez présente à tes côtés? T’ai-je suffisamment observé pendant tes soins? T’ai-je donné tous les documents nécessaires à ton apprentissage? Ai-je pris le temps de répondre à tes questions? T’ai-je consacré assez de temps?
Ce que tu n’as pas appris, ai-je su te l’enseigner? Ce que tu n’as pas compris, ai-je su te l’expliquer? Ce que tu n’as pas réussi, n’est-ce pas aussi un peu à cause de moi?

Tu as vu des choses qui t’ont choqué.

Et si on en parlait? Et si tu me donnais ton point de vue? Peut-être n’as-tu pas compris la finalité de certains actes? Peut-être as-tu trouvé que certains de mes propos étaient déplacés? Peut-être que je ne m’en rends pas compte, enfermée dans ma routine de soignante? Dans ce cas, ton avis me sera précieux, car il m’aidera à faire face à mes pratiques professionnelles, et à m’améliorer.

Soyons bienveillants l’un envers l’autre. Je t’aide, tu m’aides. Je t’apprends, tu m’apprends.Tu progresses, je progresse.

Demain, peut-être qu’on travaillera ensemble. On sera heureux de se retrouver, car on aura appris l’un de l’autre, et l’un avec l’autre. Demain, ce sera à ton tour de former des stagiaires. Qui en formeront d’autres. Si je suis bienveillante, si tu l’es aussi, s’ils le sont aussi… alors je crois que ce sera une bonne chose pour tous. Pour toi, pour moi… et pour nos patients!

PS : il y avait eu un chouette débat sur le #mededfr à propos du tutorat, c’est à lire ici.

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Le matin rose et la dame pipi

Avant de vous raconter la suite de mes débuts (ou le début de la suite), il faut à tout prix que je vous relate une petite anecdote (sous la pression de @GeluleMD qui a explosé de rire quand je lui ai raconté cette scène).

L’histoire se passe un dimanche. Ce jour-là, c’est relâche. Le week-end, pas de grandes toilettes ni de douches, l’équipe est en sous-effectif alors on va au principal. Bref, pour résumer, le week-end c’est VMF. Vous ne connaissez pas l’expression?
VMF = Visage Mains Fesses. Le reste attendra lundi (inutile de vous dire que je n’aime pas travailler le lundi). Forcément, comme on en fait moins, on a plus de temps. On pourrait utiliser ce temps gagné pour faire des trucs qu’on n’a pas le temps de faire en semaine : des animations, du temps passé avec les résidents, un toucher-massage… Bref, toutes ces petites choses agréables qui font qu’une aide-soignante n’est pas qu’un simple agent nettoyant. Sauf que… (ben oui, vous le voyez venir le piège).
Sauf que le dimanche, le truc le plus important, ça n’est pas les cinq minutes de papote consacrées à Madame Mésange ou le quart d’heure de marche avec Monsieur Albatros. Non. Le truc le plus important, c’est la pause d’une heure avec l’équipe, tous ensemble dans le réfectoire. Oui, une heure. Une heure pendant laquelle nous sommes payés à travailler. Bref.
Ce jour-là, comme à mon habitude (j’avoue), je suis en retard sur mes soins. Je manque encore cruellement d’organisation, je me perds dans les étages et ne reconnais toujours pas les 60 résidents. Je suis de « matin rose », ce qui veut dire que j’ai l’horaire du matin (6h30-14h30) et que je suis au deuxième étage (dont les murs sont roses). Facile non? Mes collègues sont partis en pause, je suis seule à l’étage, je rêve d’un café. Alors que je m’apprête à descendre, Madame Mésange m’interpelle.
« S’il vous plaît, j’ai envie de faire pipi. »
Madame Mésange, sur le palier du deuxième étage, en fauteuil roulant dont les roues sont bloquées, continente, à 20 mètres  de sa chambre, ne peut se déplacer seule. Ça me prendra cinq minutes de l’amener aux toilettes, et j’irai prendre mon café après. Je m’empare donc des poignées du fauteuil et, alors que nous nous mettons en route, ma collègue « matin gris » surgit derrière moi.
« Ben qu’est-ce que tu fais? » me demande-t-elle interloquée.
« Euh… (là, je me dis que j’ai fait une connerie, mais je ne sais pas encore laquelle), j’amène Madame Mésange aux toilettes, pourquoi? »
« Mais non! C’est pas à toi de le faire! C’est à la coupe orange! » (NDLR : la « coupe orange » travaille en horaires de coupe et est affectée à certains résidents du deuxième et et du  troisième étage)
« Oui, mais elle est en pause, et Madame Mésange a envie de faire pipi, alors puisque je suis là… »
« Mais non! Tu ne peux pas faire ça! Madame Mésange sait très bien que c’est à la coupe orange de l’amener aux toilettes! Là ce n’est pas l’heure. Donc elle attend, de toute façon elle a une protection! »
« … » (j’ai envie de répliquer un truc super intelligent mais je suis tellement abasourdie par cette réponse que je reste plantée là bêtement sans rien dire)
« Oui mais exceptionnellement, puisque je suis là… »
« NON! Si tu fais ça, demain elle demandera encore, et après elle va prendre l’habitude, et on va pas s’en sortir! Y a un plan de soins, faut le respecter! Elle attend! »

Voilà. La vie en EHPAD, c’est quand le matin rose veut t’emmener aux toilettes alors que c’est à la coupe orange de le faire et que le matin gris t’enjoint de te retenir parce que merde, le plan de soins c’est pas fait pour les chiens! Continuer la lecture

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Quand je serai vieille…

Quand je serai vieille, je ne veux pas qu’on m ‘appelle « ma ptite dame » ou « ma jolie ». Je veux être respectée et conserver mon identité jusqu’à la fin. Je ne veux pas qu’on me retourne dans tous les sens sans même me prévenir pendant les soins. Je veux qu’on me touche avec douceur et qu’on m’explique ce qu’on me fait. Je ne veux pas qu’on me juge et qu’on dise de moi que je suis difficile ou compliquée. Je veux qu’on me traite avec bienveillance et qu’on accepte que je ne sois pas toujours de bonne composition.

Quand je serai vieille, je ne veux pas dormir dans des draps d’hôpital, je veux mon linge de lit. Je ne veux pas être lavée au gant jetable, je veux mes affaires de toilette. Je ne veux pas qu’on me serve mes repas dans des barquettes en plastique, je veux une jolie vaisselle comme à la maison.

Quand je serai vieille, je ne veux pas d’une couche, je veux une protection. Je ne veux pas d’un bavoir, je veux une grande serviette. Je ne veux pas d’un verre canard, je veux un verre ergonomique.

Quand je serai vieille, je ne veux pas qu’on parle devant moi comme si je n’étais pas là. Je veux pouvoir discuter avec ceux qui s’occuperont de moi. Je ne veux pas qu’on s’empare de mon fauteuil sans me prévenir pour m’embarquer à toute vitesse à l’autre bout du couloir. Je veux qu’on m’annonce qu’on va changer de pièce et qu’on chemine à un rythme qui ne me donne pas le vertige. Je ne veux pas qu’on me dise de faire dans ma protection sous prétexte que je suis trop longue à installer aux toilettes. Je veux que mes besoins élémentaires soient respectés et ma dignité conservée.

Quand je serai vieille, je marcherai moins bien, j’entendrai moins bien, je comprendrai moins bien. Mais je serai toujours capable d’aimer telle ou telle personne, d’avoir envie de tel ou tel menu, d’avoir peur de tel ou tel événement.

Quand je serai vieille, je veux juste qu’on ne m’enlève pas le droit d’être moi. Continuer la lecture

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Bravoooooo! (suite)

Bon… Il faut que je revienne sur le billet Bravoooooo!

Je comptais faire une réponse reprenant quelques commentaires tirés de facebook mais j’avoue que je n’ai pas le courage de les recopier ici (c’est surtout que je manque de temps en fait, ça me prendrait des heures!)
J’avoue avoir été surprise par la violence de certaines réactions. Juste pour le plaisir, en voici quand même quelques unes :
« Ahah ça se voit qu’elle n’est qu étudiante parce qu’elle n’a rien compris. Elle parle de sujets qu’elle ne connaît pas et elle généralise.« 
« texte aussi idiot inutile et dénué de connaissances. »
« vous compter dire au soignants ce qu’ils faut dire aux soignés sans leur laisser parler avec leur spontanéité et leur coeur ? »
« Que de caricature dans ce texte… Hâte de vous voir en poste« 
« Sans intérêt….. Encore un étudiant qui se sent mieux pensant que les soignants… « 
« Pffff et elle se croit drôle avec son mot de pseudo esprit…. « 
« on verra bien quand elle sera diplômée depuis plusieurs année comment elle se comportera spontanément! »
« Et je pense que cette personne à écrit ce texte plus pour faire plaisir ou bien paraitre au yeux de sa formatrice . ( donner des petits surnoms ou être amical et familier relève d’une sorte de maltraitance ) . Que pour elle même . »
Car avec l’expérience elle changera surement d’avis » (celui-là je l’adore!)

« Oui on les infantilise et alors ?? » (celui-là aussi)

J’arrête ici, j’ai le tournis. Vous pouvez lire la suite ici et . Et en passant, je rebondis sur ce commentaire : 
« J’espère au moins que tous ces commentaires, lui permettront de se questionner, de questionner les soignants, pour ensuite un second texte avec un peu plus de professionnalisme. « 
Donc, allons-y pour un texte un peu plus « professionnel ».

1) Oui, je me questionne. Et même, je ne fais que ça. Tout le temps. Au boulot. En voiture. À la maison. En faisant mes courses. En mangeant ma purée… 
Beaucoup de mes phrases commencent « Au fait je pensais à un truc tout à l’heure… »  
C’est fatigant. Pour moi comme pour les autres (j’avoue). Je ne souhaite à personne d’être dans ma tête, parce que toutes ces questions tournent et retournent sans cesse. Et pour toutes ces questions, il me faut des réponses. Alors je lis, j’interroge, je réfléchis. Et ça aussi c’est fatigant. D’ailleurs, parfois, j’aimerais bien me poser un peu moins de questions. Ça me rendrait la vie plus facile. Et le boulot aussi. Surtout le boulot d’ailleurs. Parce que bon, faut quand même que je précise une « petite » chose, et j’en arrive au…

2) Non je ne suis pas une jeune étudiante écervelée qui arrive en fanfare pour sortir son discours prêchi-prêcha aux soignants aguerris. Je suis aide-soignante, diplômée (bon, le site infirmiers.com est resté sur l’ancienne présentation, pas grave, les réactions concernant ces branleurs d’étudiants étaient très intéressantes), et je travaille en EHPAD.
Avant ça, j’étais auxiliaire de vie, non diplômée, et je travaillais à domicile avec des personnes âgées.
Encore avant j’étais monitrice-éducatrice, diplômée, et je travaillais en institution avec des personnes handicapées.
Encore encore avant j’étais « rien du tout », non diplômée, et je travaillais en crèche avec des enfants.
Accessoirement, j’ai deux enfants, mais ça on s’en fout (un peu). J’en arrive donc au…

3) Avec tout ça, ça commence à faire un certain nombre d’années que je travaille avec des publics dits « fragiles », et ça fait tout autant d’années que j’exècre le parler-bébé et la gagatisation. Et quand bien même je serais une jeune étudiante fraîchement arrivée dans son IFAS, qu’est-ce que ça changerait? Il n’y a que les professionnels diplômés ayant dix ans d’expérience qui ont le droit de parler? Les autres doivent attendre leur tour? Belle mentalité. Je comprends mieux la souffrance des stagiaires… À en croire certains, il y aurait donc d’un côtés les jeunes cons prétentieux, et de l’autre les vieux sages aguerris? Et c’est moi qu’on taxe de manichéisme?

4) Ce billet, je l’ai écrit un peu à la va-vite, je l’avoue. Alors oui, il est sans doute caricatural (j’assume), peut-être prêchi-prêcha (j’assume aussi), mais « idiot », « inutile », « dénué de sens et de connaissances »… ça, Votre Honneur, je proteste! Parce que bon, je suis peut-être une jeune conne arrogante dénuée de bon sens, mais le sujet traité ici n’est pas pour autant si dénué d’intérêt que ça, n’en déplaise à tous les parfaits professionnels qui l’ont commenté. D’ailleurs, l’infantilisation des personnes âgées a déjà été traitée de nombreuses fois, c’est donc qu’il y a matière à y réfléchir non? En cherchant un peu, il y a plein d’articles disponibles un peu partout. Rassurez-vous, ils n’ont pas été écrits par des étudiants arrogants mais par des psychologues, des médecins, des aidants… Bref, des gens qui ne sont pas forcément des élèves arrogants et imbus d’eux-mêmes.
Comme je suis sympa, je vous mets quelques liens : 

http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=JDP_256_0034

http://www.soignantenehpad.fr/pages/maltraitance/le-parler-pepe-et-meme-en-e-h-p-a-d.html

http://www.soignantenehpad.fr/pages/maltraitance/ou-commence-la-maltraitance.html

http://www.evolute.fr/relation-aide/infantilisation-personnes-agees 

5) Il y a un truc que j’aime bien, c’est la communication. Apprendre à donner un point de vue et à recevoir celui de l’autre. Apprendre à se parler sans s’agresser. Apprendre à écouter des arguments. Apprendre à s’informer aussi. S’il y a bien un métier où je trouve la communication essentielle, c’est celui de soignant. Parce qu’on travaille avec et pour d’autres. Parce qu’on s’enrichit de nos expériences. Parce qu’on essaie de progresser. Parce qu’on peut se tromper. Je suis sans doute une incorrigible naïve, mais je crois dur comme fer aux bienfaits du dialogue et de l’échange d’idées, dans le calme et le respect de chacun. Il ne me viendrait pas à l’esprit d’aller pourrir un(e) collègue parce que je ne suis pas d’accord avec ses idées. Mais bon… Je suis une incorrigible naïve.

6) J’écris sur ce blog depuis un petit moment. J’y raconte une expérience, la mienne, j’y parle de valeurs, les miennes. Je ne force personne à venir lire, je n’oblige personne à être d’accord avec ce que j’écris. C’est un espace de liberté, mon espace. Et quand je vois des collègues utiliser le parler pépé-mémé avec des résidents, je ne les prends pas dans un coin pour leur dire ma façon de penser. C’est leur façon de faire, leur façon d’être, ça ne me regarde pas. Par contre, si on aborde le sujet et qu’ils/elles me parlent d’une étude expliquant que c’est bénéfique, je pense que j’aurai la décence d’aller lire l’étude en question afin de confronter nos points de vue.

7) Je fais des erreurs, comme tout le monde. J’essaie, je me trompe, j’essaie autre chose. Parfois je me trompe encore. Je tâtonne, je cherche, j’apprends. Et j’espère apprendre pendant longtemps encore. J’espère n’avoir jamais de certitudes, laisser mon esprit ouvert à d’autres apprentissages, d’autres façons de faire. J’essaie de faire comme Socrate : en admettant que je ne sais pas, j’accepte d’apprendre. Alors que si je suis sûre de savoir, je dois d’abord désapprendre pour pouvoir apprendre à nouveau. Et si un jour je suis pétrie de certitudes, si j’estime que je n’ai de leçon à recevoir de personne, je ne manquerai pas d’aller le clamer sur les réseaux sociaux en incendiant les élèves et les débutants, ces morveux qui croient tout savoir mieux que tout le monde!
 
PS : je ne parle même pas des pseudo-références scientifiques qui justifieraient l’infantilisation, étant donné qu’aucune source n’était citée. Continuer la lecture

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Bravoooooo!

Imaginez : vous êtes un jeune parent, complètement fou d’amour et gagatisant pour votre enfant. Cet enfant, forcément, c’est le plus beau, le plus intelligent, le plus mignon, le plus gentil, bref, le plus tout! Aujourd’hui est un jour miraculeux qui vous emplit de joie car l’enfant, le chérubin, l’élu, a mangé TOUTE sa purée tout seul, comme un grand! Et vous, vous l’heureux parent qui avez engendré cette merveille de la nature, vous vous extasiez – à juste titre – devant cet exploit.
– Bravoooooo, dites-vous en tapant dans vos mains avec un sourire jusqu’aux oreilles.
Votre enfant, voyant votre enthousiasme débordant pour un truc somme toute assez banal (il a mangé sa purée), vous sourit en retour. Il sourit, vous souriez, la vie est merveilleuse.

Même enfant, même parent. Cette fois-ci l’enfant, le chérubin, l’élu, a fait caca dans son pot. Psychologiquement, c’est un grand jour : en pleine période du non, l’enfant cède, il « donne » son caca à ses parents et, en comprenant toute la symbolique de cet acte crucial, vous sautez de joie.
– Bravoooooo, dites-vous en agrémentant votre dernier statut Facebook d’une magnifique photo de l’étron divin.
Votre enfant, dépassé par ce qui vient de se jouer dans son pot, vous sourit en retour. Il sourit, vous souriez, la vie est fabuleuse.

Maintenant, imaginez ces deux scènes, à quelques détails près, avec non plus un enfant et un parent mais une personne âgée et un soignant. Relisez la scène à haute voix, en y mettant le ton. Même sur le « Bravoooooo ». Surtout sur le « Bravoooooo ». Vous sentez le malaise? Vous voyez toute l’infantilisation de la personne âgée qui a fini sa purée ce midi? Vous supportez le compliment odieux sur le caca lâché dans le montauban?

Monsieur M. a été torturé par la Gestapo, les soldats lui ont brisé les phalanges une par une.
Madame C. ne sait plus quand elle est née, ni où. Elle ne sait presque plus rien en fait. Et ça lui fait peur. Terriblement peur.
Monsieur V. a survécu à deux cancers.
Madame H. a perdu son fils et ses deux petits-enfants dans un accident de voiture. Elle ne s’en est jamais remise.

Ces gens, ils ont une histoire, des histoires. Ils ont aimé, souffert, donné la vie, vécu la maladie, et tant d’autres choses. Des choses merveilleuses et d’autres dramatiques. Des choses qu’on n’ose parfois même pas imaginer. Et aujourd’hui, au crépuscule de leur vie, il y a des soignants qui les félicitent niaisement parce qu’ils ont mangé toute leur purée. Ou parce qu’ils ont fait caca. Vous le sentez le paradoxe? Continuer la lecture

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Incompétente! (2)

J’ai été envoyée chez des personnes malades, alcooliques, démentes.
J’ai été envoyée chez des personnes diabétiques, cardiaques, cancéreuses.
J’ai été envoyée chez des personnes amputées, handicapées, endeuillées.
J’ai été envoyée chez toutes sortes de personnes, avec toutes sortes d’histoires, sans presque rien savoir d’elles.
Que savais-je des pathologies de la vieillesse, de l’alcoolisme, de la démence?
Que connaissais-je du diabète, des cardiopathies, des cancers?
Qu’avais-je appris sur les personnes amputées, le handicap, le deuil?
Rien. Je ne savais rien, ou presque. Je ne connaissais que ce que j’avais vécu, de près ou de loin, à travers l’histoire de mes parents, ou la mienne, ou ma maigre expérience professionnelle.
Je suis allée chez toutes ces personnes, j’ai travaillé chez elles. J’ai fait à manger à des diabétiques, je suis allée marcher avec des cardiaques, j’ai parlé avec des déments.
Madame Grandchef leur a dit que toutes les auxiliaires étaient diplômées et expérimentées… sans leur préciser de quel diplôme et quelle expérience elle parlait. Toutes ces personnes m’ont plus ou moins fait confiance, elles m’ont confié leurs menus, leur intérieur, leur personne. J’ai fait des repas, des courses, des promenades, du ménage, des toilettes, chez des personnes dont l’histoire de vie se résumait parfois à deux lignes sur une fiche de liaison. Secret médical oblige, je ne savais (presque) rien d’elles. Le strict nécessaire : nom, prénom, adresse, mission. À la limite, la pathologie principale (Alzheimer, diabète…) et le nom du médecin traitant, et encore, pas toujours. Je glanais quelques infos à droite à gauche, auprès des collègues, de la famille, des infirmières libérales, mais ça restait de l’anecdotique, de l’ordre de la débrouille. Et puis, faut avouer que le projet de vie, la globalité de la personne aidée, tout ça, c’est pas franchement ouvert aux auxis hein! Une nana qui prépare la soupe et refait le lit a-t-elle vraiment besoin de savoir autant de choses?
Eh bien figurez-vous que oui! J’aurais aimé savoir ce qu’il fallait faire à manger pour Fernand, diabétique insulinodépendant. J’aurais aimé savoir communiquer avec Marie-Hélène, qui souffrait de la maladie d’Alzheimer depuis une dizaine d’années. J’aurais aimé aider Raymond, amputé d’une jambe, à se remonter dans son lit. J’aurais aimé connaître la bonne attitude à avoir avec Jean, endeuillé depuis peu, quand il me parlait de son épouse. J’aurais aimé pouvoir déceler les signes de souffrance chez Suzanne, qui souffrait d’une insuffisance cardiaque. Mais je ne savais pas, et j’ai sans doute fait et dit un paquet de conneries!
Vieillir chez soi, c’est bien. Vieillir chez soi avec un médecin traitant qui vous connaît bien et des infirmières qui prennent soin de vous, c’est encore mieux. Vieillir chez soi avec une auxiliaire de vie qui ne va pas vous envoyer au cimetière plus tôt que prévu parce qu’elle n’est ni formée ni informée… c’est la moindre des choses non? Continuer la lecture

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Alcools

Tout n’est pas cirrhose dans la vie, comme dit l’alcoolique.
Frédéric Dard
Aucune nouvelle de Madame Pasdbol depuis quatre mois. Finalement, pour construire une famille, il faut qu’il y ait une envie réciproque. Ça n’est pas le cas. Pas grave. Je passe pourtant souvent pas très loin de chez elle. Mais je n’ai pas envie de m’arrêter. Pas envie de voir le cubis de rouge posé par terre. Pas envie de disséquer ses mensonges. Pas envie de voir les souvenirs de mon père dans sa maison. Pas envie de l’écouter se plaindre, encore et toujours. Et malgré cette non-envie de la voir, je ne peux m’empêcher de culpabiliser. Parce que je la sais alcoolique, et que l’alcoolisme est une maladie. Parce que je ne sais pas si elle l’était déjà avant de rencontrer mon père. Parce que je me demande si ce qu’elle est en est une conséquence directe ou non. Parce que j’ai fait une promesse à mon père. Parce qu’elle est seule. Parce qu’elle est la mamie de mes enfants. Parce que, pour finir, je sais qu’il est possible d’aller mieux. Ou pas.
Monsieur Carcinome est un patient « compliqué ». Parce qu’il est alcoolique. Parce qu’il est dément. Parce qu’il a une cirrhose. Parce qu’il est sous tutelle. Parce qu’il est placé contre son gré. Et puis, avouons-le, parce qu’il est pénible.
Monsieur Carcinome a une fracture. Dans un service de chirurgie, c’est plutôt classique. 
Ce qui l’est moins, par contre, c’est le contretemps lié à la tutelle. Parce qu’il faut une autorisation écrite pour l’opérer. Parce que ladite autorisation n’arrive pas. Parce que la tutrice, qui n’est autre que la fille de Monsieur Carcinome, ne semble pas pressée de s’en occuper. Parce qu’elle habite loin. Parce qu’elle est difficilement joignable. Parce qu’elle dit qu’elle n’a pas le temps et qu’elle a autre chose à faire. 
Alors Monsieur Carcinome attend. Et nous aussi. Le patient est coincé au lit tant que l’autorisation d’opérer ne sera pas arrivée au courrier. Le voici donc entièrement dépendant des soignants. Imaginez la scène : il est dément, il est immobilisé, il ne comprend pas pourquoi il n’est pas opéré, d’ailleurs il ne sait même pas où il est. À chaque passage de soignant dans sa chambre, Monsieur Carcinome pose les mêmes questions : 
« Où suis-je? »
« Est-ce que je peux avoir du vin avec mon repas? »
« Est-ce que je peux avoir une cigarette? »
« Quand est-ce que je rentre chez moi? »
« Pourquoi on ne s’occupe pas de moi? »
Alors, à chaque passage, on réexplique : 
« Vous êtes à l’hôpital »
« Non »
« Non »
« Il faut attendre d’avoir été opéré »
« On attend le courrier de votre fille. »
Une fois. Deux fois. Trois fois. Dix fois. Toute la journée. Tous les jours. C’est usant. Pour lui comme pour nous.
Répondre poliment. Être rassurante. Rester calme. Sourire. Se montrer disponible. J’ai beau savoir tout ça, j’avoue que j’ai du mal. Je n’arrive pas à être neutre avec lui. Ma bienveillance reste à la porte de sa chambre pour tenir compagnie à mon empathie. Je ne vois chez Monsieur Carcinome que l’alcoolique chronique qui sonne toutes les cinq minutes, qui pose toujours les mêmes questions, qui ne comprend pas les réponses, qui fait des allusions salaces, qui renverse son urinal. Je ne vois que ça, et ça me dégoûte. Cet homme me dégoûte, son corps me dégoûte, son discours me dégoûte. Et plus je regarde son dossier, plus il me dégoûte. Parce qu’il a été marié et père de famille, et que je ne peux m’empêcher de m’imaginer ce qu’a pu être sa vie de famille. J’imagine l’alcool, la violence, le surendettement. J’imagine sa femme. J’imagine les gosses au milieu. Pour être honnête, j’imagine mon père, et ma mère, et les gosses au milieu. Je le vois, lui, le dément, et je vois ce à quoi ont échappé mes parents en mourant jeunes. Ce à quoi n’échappera peut-être pas Madame Pasdbol. Et ça m’effraie.
Forcément, j’ai du mal à prendre soin de lui correctement. Parce que quand je vais le voir, je n’ai qu’une hâte : repartir au plus vite! Je lui réponds sèchement, je le regarde à peine, j’évite de le toucher. La toilette est une épreuve. Le repas aussi. Chaque acte de soin est une épreuve. Je ne suis ni bienveillante ni bientraitante.
Quatre jours. Quatre jours à répondre aux mêmes questions, à changer ses draps souillés d’urine, à attendre cette fichue autorisation qui n’arrive pas. Et puis, le cinquième jour, le déclic. Monsieur Carcinome a sonné pour la énième fois, et pour la énième fois il me demande s’il peut fumer. Pour la énième fois je m’apprête à lui répondre que non, il ne peut pas fumer, ni dans son lit ni à la fenêtre ni dehors. Et c’est à ce moment-là que je croise son regard, et que je m’y arrête. 
Il a peur. Il a cet air affolé qu’aurait un enfant perdu dans un supermarché. Exit Monsieur Carcinome et son alcoolisme, ses réflexions salaces et son histoire de vie, j’ai en face de moi un patient qui a peur, un patient qui ne comprend pas ce qui lui arrive, un patient qui souffre et qui voudrait qu’on l’aide. Empathie et Bienveillance, qui attendaient sagement à la porte, entrent sur la pointe des pieds. Je regarde Monsieur Carcinome. Dans les yeux. Je vois le patient, celui dont il faut que je m’occupe, sans le juger, en le respectant. Je vois l’instant présent, les soins, le dialogue. Je vois ses yeux et il voit les miens.
Je peux enfin prendre soin de lui.

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Des gens

Il y a quelques semaines j’écrivais ça, et ça.
C’était dur. Je craquais complètement et j’étais à deux doigts de tout envoyer valser. L’école, les cours, les stages, les gosses, les factures, la famille… Un ras-le-bol de tout et de tout le monde. Un gros coup de mou et un moral au fond des sabots.
Et puis, en réponse, il y a eu ce blog. Stupeur et émerveillement.

Y a des gens, quand même, ils sont vraiment super chouettes.
Des gens que je connais un peu, ou à peine, voire pas du tout, et qui m’aident, comme ça, spontanément.
Des gens qui m’écrivent des choses d’une gentillesse inouïe, qui m’encouragent , qui me tendent la main.
Des gens qui me poussent à continuer.
Des gens qui me font réfléchir.
Des gens qui font preuve de bienveillance envers une stagiaire aide-soignante.
Des gens qui font confiance à une inconnue qui blogue.
Des gens que je rencontre parfois, quand ils passent en Bretagne.
Des gens que je découvre, au hasard d’un mail, d’un tweet, d’un blog.

Qui a dit qu’internet allait tuer la communication?

Le moral, ça va mieux. Le dernier stage, en EHPAD, a été un pur bonheur. Je sais qu’il existe des aides-soignants et des résidents heureux. L’Humanitude existe, elle habite à côté de chez moi. Moral regonflé à bloc. Et cerveau en ébullition. Car plus j’avance, plus je regarde en avant… et en arrière. Je me souviens de mes années, pas si lointaines, d’auxiliaire de vie à Morteville. Je pense à Madame Grandchef et à mes collègues. Je revois la maison de Madame LDV et le sourire de Madame M.
Le travail. La grossesse. La fin du travail. Mon père. Georges. La mort de mon père. Mon beau-père. La formation.
Que de chemin parcouru! Des histoires, des émotions, des rencontres. Des gens.

Je continue. J’avance droit vers mon diplôme, droit vers ce que je veux faire. Aide-soignante. Aide-soignante bientraitante et militante. Aide-soignante reconnaissante aussi. Parce que sans vous je n’y arriverais peut-être pas. Parce que j’aurais peut-être tout arrêté après le fucking stage. Ou avant. Parce que vos petits gestes et vos petits mots nourrissent les coeurs et les ventres (oui, je peux être poétique ET prosaïque dans la même phrase).

Parce que merci, tout simplement. Continuer la lecture

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Ici, là-bas

Ici, il y a une équipe pluridisciplinaire, comme là-bas.
Ici, il y a des chambres individuelles, comme là-bas.

La comparaison s’arrête là.

Ici, il y a du respect entre soignants et résidents.
Ici, il y a un projet d’établissement qui parle d’Humanitude.
Ici, il y a un cuisinier qui fait les repas sur place, et on mange bien. Mine de rien, c’est important la bouffe!
Ici, il y a des soignants formés en médiation animale, avec un chien et des cochons d’Inde (même que c’est une super idée pour quand je serai diplômée mais ça coince un peu à la maison).
Ici, il y a un salon de coiffure, un vrai, et une esthéticienne qui passe toutes les semaines.
Ici, il y a aussi une bibliothèque et une médiathèque.
Ici, tout le monde mange dans la grande salle de restaurant, on ne sépare pas ceux qui sont autonomes au repas des autres.
Ici, il y a des douches accessibles dans les chambres, et une pièce réservée aux bains thérapeutiques.
Ici, il y a des vrais gants et des vraies serviettes.
Ici, il y a des projets de vie pour les résidents, réévalués en équipe toutes les six semaines.
Ici, il y a des sorties : plage, balade, crêperie…
Ici, il y a des écoliers qui viennent.
Ici, les familles peuvent aller voir leurs parents avec leur chien.
Ici, on se donne les moyens d’avoir un « temps-résident », pour que personne ne soit délaissé.
Ici, on prend sa pause par roulement, ça permet de ne pas laisser les résidents livrés à eux-mêmes.
Ici, on parle aux gens, on les regarde, on les touche. Tout est communication.
Ici, on ne force pas.
Ici, on ne contentionne pas « pour être tranquille » ou « pour leur bien ».
Ici, tout est douceur, respect, écoute.
Ici, on accueille les stagiaires avec bienveillance. On leur apprend des choses et on accepte qu’ils nous en apprennent aussi (parce que oui, parfois, le stagiaire peut avoir une idée sympa).
Ici, on offre le repas aux stagiaires, et mine de rien ça a son importance.
Ici, on répond aux questions des stagiaires et on leur laisse assez d’autonomie pour qu’ils prennent confiance en eux.
Ici, on ne se moque pas des questions parfois saugrenues que lesdits stagiaires peuvent poser.

Ici, il n’y a pas plus de soignants qu’ailleurs, pas plus de temps qu’ailleurs, pas plus d’argent non plus.
Ici, il y a juste une volonté de bien faire. Et ça fait toute la différence. Continuer la lecture

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In love

Première semaine du premier stage, à l’EHPAD AVFF*, j’écrivais ceci : 
Si ce matin vous croisez une aide-soignante avec UN gros sein qui sent le chou, c’est moi! #NichonPower 🙂

 
1er jour du 1er stage fini. \o/

 
La petite phrase du jour en EHPAD :

Mme A. :

-j’ai envie de faire pipi.

L’AS :

– Vous avez une protection, faites dedans.

Euh… Non, rien.

 
Bon, je note des petites choses et je vous fais un billet en fin de semaine, ça vous va?

 
Et sinon, saviez-vous que certains, en EHPAD, étaient levés à 9h et couchés à 15h?

 
Et si les décideurs venaient habiter à l’EHPAD une petite semaine? Hein? 🙂

 
Je crois que les familles ont peur des « représailles ». C’est fort dommage.

 
Oui, mais putain ça fait peur pour nos parents… Ah ben non, c’est vrai, ils sont morts!

 
À quand une télé-réalité intitulée #PapyBoom? Avec des AS qui courent entre les déambulateurs et les sonnettes en folie toute la journée?

 
On abandonne nos vieux. On ferme les yeux.

   
Il faut raconter. Écrire, être lu, relayer. Parce que ce n’est pas CET EHPAD en particulier qui dysfonctionne, je crois que c’est la façon dont on s’occupe de nos vieux en général. 
 
La phrase du jour en EHPAD?

Une AS à un résident :

– Ça va pas bien dans votre tête!

Euh… Non, rien 🙁

 
Télé dans toutes les chambres, radio dans le hall, conversations, portes, chariots, sonnettes… Que de bruit! Grosse migraine ce soir.

 
Sachez-le, si vous bossez en EHPAD et que vous avez oublié votre gamelle, faites des pédiluves, vous trouverez à boire et à manger 😉


Première semaine du quatrième stage, à l’EHPAD CEETG*, je tweete cela : 
Demain, nouveau stage. EHPAD formé en humanitude. Hâte et peur. Et sur ces bonnes paroles, bonne nuit.

Dans une heure, nouveau stage, nouvel EHPAD. Sainte Bientraitance, priez pour moi!

1ère journée de stage : je découvre que la Bientraitance n’est pas un vain mot!

 
Et vous savez quoi? Truc de fou : dans cet EHPAD, les gens sont habillés!!!! Oui oui oui! Pas en chemise de nuit!!!

 
Je suis sur le cul! Et même, un autre truc de fou : les gens ils ont des brosses à dents!!!!

 
4ème jour de stage. Je pars avec le sourire, je rentre avec le sourire.

 
Résumons : l’accueil des stagiaires est génial, l’équipe est géniale, la prise en soins est géniale… il est où le piège?


J’en reviens pas. Tout comme le 1er EHPAD (de merde), c’est un établissement public. Comme quoi c’est possible!

 
Finalement, ce qui différencie la bientraitance de la maltraitance, ne serait-ce pas tout simplement une question de bienveillance?


 
Voilà. Deux EHPAD, deux équipes, deux stages. Maltraitance et bientraitance. Dégoût et émerveillement. Indifférence et bienveillance.
Je ferai un billet plus long sur cet EHPAD. Parce qu’il le mérite. Parce que tous les EAS devraient avoir la chance de tomber sur ce genre d’endroit. Parce qu’il me réconcilie avec la formation d’AS. Parce que j’ai plus appris en une semaine ici qu’en un mois là-bas. Parce que je sais maintenant que j’ai fait le bon choix. Parce que je me sens bien, tout simplement.

* AVFF : Allez Vous Faire Foutre
* CEETG : Cet Endroit Est Trop Génial

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De l’autre côté de la frontière

Le 25 février 2014, Martin Winckler twittait une phrase qui lui vaudra une volée de bois vert sur la twittosphère : « La maltraitance est un viol ». La bloggosphère ne tardera pas à prendre le relais, chaque partie voulant (ou étant invitée…

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