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Méta
Archives de catégorie : auxiliaire de vie
Une rencontre #2
Le début est à lire ici.
Jour J. Heure H. Nous avons rendez-vous à 17h.
Il est l’heure dans quelques minutes et je retrouve Charlie (@CharlieIsDark) devant le Ministère de la Santé. Je crois qu’on est aussi stressées l’une que l’autre! Entrée, passage sous le portique de sécurité, présentation des pièces d’identité… ça devient sérieux là. Plusieurs personnes attendent avec nous, je reconnais Solange (@Soskuld) mais je n’ose demander aux autres qui ils sont. Nous n’attendons pas longtemps. Après quelques minutes, on nous conduit dans un salon, dont la grande table ovale est chargée de viennoiseries. Bon, au moins on ne mourra pas de faim, et soit dit en passant, la vue sur Paris est splendide. Madame Rossignol arrive, suivie par quatre conseillères, et nous nous installons autour de la table.
On se présente. Je note consciencieusement les noms et les blogs associés, il y en a deux que je ne connais pas, ça m’offre une occasion de les découvrir.
La suite, ce sont trois heures de discussion, racontées ici :
http://marreaboutdficelle.blogspot.fr/2016/02/la-douce-melodie-du-rossignol.html
http://www.aide-soignant.com/article/aide-soignant/as/laurence-rossignol-ecoute-soignants-aidants
et dans les tweets de @CTrivalle, ici :
Une rencontre #1
Il y a quelques semaines, j’ai reçu ça :
J’ai relu trois fois le mail, manqué m’évanouir, re-relu trois fois le mail, appelé mon mari, re-re-relu trois fois le mail, envoyé un message à ma copine @kataidante, et re-re-re-relu trois fois le mail avant de réaliser vraiment.
J’ai la chance d’avoir un entourage très organisé (contrairement à moi qui suis très bordélique). Aussitôt, Kat s’occupe de contacter quelques aidants pour des échanges de mails pendant que mon mari s’occupe d’organiser le voyage. Moi, pendant ce temps, je m’occupe du reste. Oui, la vie d’une chômeuse intellectuelle et idéaliste peut parfois être très prenante, donc par « je m’occupe du reste », je veux dire : je m’occupe des mômes, de mes trois articles en retard (un jour je rendrai un article à l’heure… promis!), des annonces Pôle Emploi (un autre jour je ferai un billet là-dessus, parfois c’est vraiment hilarant) et de plein d’autres choses (oui, j’avoue, dans le « plein d’autres choses » y a aussi du tricot, je suis une mémère et j’assume).
Pendant ce temps, Kat se rend compte qu’elle a reçu le même mail et essaie également d’organiser sa venue, mais c’est vachement plus compliqué quand on est aidante à plein temps et qu’on habite très loin. @JeSuisAidant est également invité et a priori, il pourra venir. Chic, ça va être une chouette rencontre!
Les semaines passent et les échanges de mails vont bon train à propos de la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Le stress monte, je lis et relis la loi, je lis et relis nos échanges de mails, je lis et relis les articles de presse trouvés sur le sujet. Je note timidement quelques questions de mon côté, plus portées sur le métier d’auxiliaire de vie que sur les aidants. Nous n’aurons que deux heures, je ne sais pas si la discussion s’orientera sur le sujet, mais au cas où…
Jour J. La veille, j’ai appris deux nouvelles, une mauvaise et une bonne. La mauvaise, c’est que ma copine Kataidante ne sera pas là. Être aidante, c’est compliqué, être aidante et s’absenter, c’est encore plus compliqué. À ce sujet, elle écrit un très beau billet, que je lis avec tristesse. Les choses sont dites et nous retweetons le billet en « pokant » Madame Rossignol, nous sommes sûrs qu’elle le lira (je confirme, elle l’a lu). La bonne nouvelle, c’est que @CharlieIsDark sera là aussi, et je suis drôlement contente de la revoir. Et puis, ça veut dire que nous serons deux aides-soignantes, et ça c’est vraiment bien!
9h. Nous déposons les enfants chez belle-maman et c’est parti pour l’aventure. Dans quelques heures nous serons à Paris, dans quelques heures je rencontrerai la Secrétaire d’État qui a fait voter la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Entre-temps, j’ai demandé la liste complète des blogueurs présents à la rencontre, et je suis d’autant plus impatiente d’y être. Outre @CharlieIsDark, @Soskuld, @Kataidante et @JeSuisAidant, il y aura également @AzaeSAP, @CTrivalle et Marie Bertrand. Hâte hâte hâte!
Un petit récapitulatif ici, il y a de beaux blogs à découvrir :
@CharlieIsDark : Aide-soignante : Y’a pas que la blouse!
@Soskuld : Soskuld, la vie d’une aide-soignante
@kataidante : Les chroniques d’Hortensie
@JeSuisAidant : Marre, à bout, d’ficelle
@CTrivalle : Gérontoprévention
@AzaeSAP : Le maintien à domicile
Marie Bertrand : La vie en vieux
« Manque de curiosité intellectuelle » disait ma tutrice aide-soignante lors de mon premier stage en EHPAD.
Je m’en fiche, je vais à Paris!
À suivre.
La visite
Régulièrement, sur Twitter et dans les blogs, je vois des médecins s’interroger sur l’influence de Big Pharma. Accepter le stylo cadeau du visiteur médical, est-ce mettre un pied dans l’engrenage infernal des conflits d’intérêts? Peut-on rester neutre et impartial quand on signe son ordonnance avec le stylo « cooldodo » sur un sous-main « stopmigraine » juste après un séminaire aux Seychelles offert par « cardioplus »?
Peut-on prétendre être totalement impartial quand il s’agit de choisir le traitement adapté à tel ou tel patient souffrant de telle ou telle pathologie quand, une demi-heure auparavant, on a déjeuné avec un gentil visiteur médical qui nous a justement longuement vanté les mérites de son produit sur cette pathologie en nous offrant le repas? Pas sûr.
L’éthique et la déontologie ont encore de beaux jours devant elles.
En tant qu’aide à domicile, puis aide-soignante, je me croyais à l’abri de ces questionnements. Après tout, je ne prescris rien et aucune grande marque ne vient gentiment toquer à ma porte pour m’offrir un voyage pédagogique aux Baléares ou le moindre gadget commercial. Je me trompais.
Big Pharma est partout, et quand ce n’est pas pour des médicaments ou du matériel médical, les conflits d’intérêts peuvent aussi concerner de simples aides à domicile.
Il y a quelques années, alors que je travaillais encore à Morteville, Madame Grandchef avait convoqué l’équipe à une réunion de service. Ces réunions avaient lieu trois ou quatre fois par an environ, on y discutait surtout de l’organisation du service et on y évoquait parfois certaines situations qui nous mettaient en difficulté ou qui nécessitaient une cohésion d’équipe dans la prise en charge (autrement dit une mise au point). Ces réunions étaient, bien entendu, obligatoires, et rémunérées comme du temps de travail.
Ce jour-là, la réunion était un peu spéciale, parce que Madame Grandchef innovait. Avant de discuter des sujets qui nous concernaient, nous allions devoir écouter attentivement le laïus d’un représentant en matériel de maintien à domicile. Le type viendrait en début de réunion, nous présenterait sa société et les prestations qu’elle offrait, puis on commencerait la réunion de service proprement dite. Présence obligatoire dès le début de la réunion.
Ainsi fut fait. Le type est venu, nous a présenté un joli diaporama bien ficelé, nous a vanté les mérites de ses produits et a répondu à nos questions.
Le discours était bien huilé : « dispositif innovant… patati… bien-être des personnes… patata… sécurité… blablabli… je vous laisse des brochures… blablabla… vous pouvez en parler autour de vous… »
Une heure de bourrage de crâne plus tard, le gentil représentant est reparti en laissant une pile de brochures sur la table et nous avons pu commencer la vraie réunion. Madame Grandchef, fière de sa trouvaille, a alors annoncé à l’équipe qu’elle renouvellerait ce type de prestation afin de nous tenir informées des dispositifs concernant les personnes dont nous nous occupions. Ben voyons!
Quelques jours plus tard, je discutais avec une aidante à propos d’un problème concernant son mari. Nous cherchions ensemble une solution quand soudain une évidence se fit dans mon esprit : ce dont elle avait besoin, c’était justement LE truc dont nous avait parlé le représentant l’autre jour! Fière de moi et heureuse de pouvoir aider, je lui parlai alors de ce dispositif innovant qui respectait le bien-être des personnes tout en assurant leur sécurité et lui promis de lui ramener une brochure la prochaine fois.
Et paf! En plein dans le mille!
J’aurais pu et j’aurais dû lui parler des dispositifs existant sans citer de marque, mais en toute sincérité, je ne connaissais que celui-là.
J’aurais pu et j’aurais dû chercher d’autres solutions à son problème, mais en toute sincérité, il n’y en a qu’une seule qui m’est venue à l’esprit.
J’aurais pu et j’aurais dû me renseigner sur la concurrence afin de ne pas orienter le choix de l’aidante, mais en toute sincérité, j’ai eu la flemme de le faire et je me suis contentée de lui conseiller de comparer les prix… tout en sachant pertinemment qu’elle ne le ferait pas, parce qu’internet c’est compliqué, et parce que la gentille aide à domicile a parlé de telle marque et qu’elle avait l’air de savoir de quoi elle parlait. Et puis c’était urgent.
Je me suis fait avoir comme une débutante.
Et le pire dans tout ça, ça n’est même pas le gentil lavage de cerveau des gentilles aides à domicile.
Non. Le pire, je crois, c’est que cette réunion nous était rémunérée comme du temps de travail. Donc, pendant que le représentant nous balançait son gentil petit discours publicitaire, nous étions payées, par le CCAS, donc par la mairie, donc par les impôts locaux de ces mêmes personnes chez qui nous vendions ensuite ce fabuleux dispositif innovant qui respectait leur bien-être tout en assurant leur sécurité. Autrement dit, même sans y faire appel, ils le payaient quand même.
La boucle est bouclée. Continuer la lecture
Empathie
Récemment, en parcourant un groupe dédié aux auxiliaires de vie sur Facebook, je suis tombée sur ça :
Instantanément, j’ai pensé à Monsieur B, mais aussi à Madame LDV. J’ai aussi pensé à Madame Pasdbol et à quelques autres qui m’ont laissé un souvenir plus ou moins mitigé. Par curiosité, je suis allée lire les réponses. Au moment où j’écris ce billet, il y a une cinquantaine de commentaires sous ce post, c’est dire si la discussion va bon train. Dans les commentaires, je cherche quelques éléments décrivant un peu mieux la situation. Je découvre quelques précisions données par l’auxiliaire de vie qui témoigne :
« Je les signaler aussitôt le mr est sous tutelle,pas moment il a pas toute sa tête ,il es suivi par un psy.il es handicapée il a eu un avc très jeune .il à 55ans.pas famille »
« Elle a envoyer un mail à la tutrice de je le mois dernier il avait peut un couteau pour ce trancher la gorge on a enlever tout qui était dangereux à domicile »
« il 2frigo 1dans le bâtiment fermer au cadenas et un dans la cuisine nn fermer pour ses repas matin midi soi r prépare »
« ce le à que 12cigarette par jours ,café télé à par cela il fait rien de la journée ces pour au cache la nourriture il mangerai toute la journée. Au juste ces ça seule drogue »
Pour résumer, ce monsieur de 55 ans, célibataire sans enfant, a fait un AVC il y a longtemps, souffre de troubles cognitifs, et est sous tutelle. Il est tabaco-dépendant et semble socialement isolé. Il bénéficie d’une auxiliaire de vie pour les courses (et sans doute d’autres choses) et n’est pas autonome dans la gestion de ses repas. Il peut se montrer violent envers les autres et lui-même. Je pourrais aussi vous dire dans quel département il habite mais c’est sans intérêt pour la suite du billet.
Bon, là c’est résumé dans les grandes lignes.
Maintenant que je comprends un peu mieux le contexte, je relis les commentaires plus attentivement. Beaucoup conseillent de prévenir le/la responsable, de faire une déclaration d’accident du travail et d’exercer un droit de retrait. Des conseils sages au vu de la situation. Mais il me manque quelque chose.
Quand je m’étais trouvée en difficulté face à certains bénéficiaires violents (verbalement et/ou physiquement), j’avais eu la triste impression de ne pas être entendue. Je m’étais retrouvée seule face à des comportements que je ne comprenais pas et auxquels je n’étais pas préparée. Seule et désemparée. L’unique question que je me posais à l’époque était la suivante : comment? Comment réagir? Comment faire? Comment continuer? Je n’avais pas trouvé de réponse idéale et m’étais alors contentée d’étaler mon désarroi ici. Madame Grandchef, en me montrant gentiment la porte après que je lui avais annoncé ma grossesse, m’avait sans le vouloir rendu un grand service. En m’offrant plus de temps libre que ce que mon arrêt maternité m’octroyait, j’avais pu accompagner la fin de vie de mon père et faire une formation d’aide-soignante. Et j’ai compris une chose.
J’ai compris que je ne me posais pas les bonnes questions, ou du moins pas au bon moment. Parce qu’avant de me demander « comment », peut-être aurait-il fallu que je me demande « pourquoi ». Pourquoi Madame LDV ne m’aime-t-elle pas? Pourquoi Monsieur B. est-il aussi agressif? Pourquoi Madame Pasdbol ment-elle continuellement?
Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?
Si j’avais eu la réponse à ces questions toutes simples, j’aurais peut-être plus facilement trouvé le « comment ». Comment réagir? Comment répondre? Comment faire?
Mais, pour me poser les bonnes questions, encore aurait-il fallu que je réfléchisse autrement. Je réfléchissais avec mes valeurs et ma normalité. Je pensais en tant que Babeth, aide à domicile, 35 ans, mariée, maman, en bonne santé physique et mentale. Mais ma normalité n’était pas la leur. Ma vie n’était pas la leur.
J’aurais pu réfléchir différemment, en me mettant cinq minutes à leur place.
Et si c’était moi, la veuve délaissée par ses enfants, dépendante au point de ne plus pouvoir sortir faire ses courses, à qui l’on impose une auxiliaire un peu trop souriante?
Et si c’était moi, celui qui souffre continuellement, rongé par la dépendance à l’alcool, que plus personne ne vient voir?
Et si c’était moi, la femme mal-aimée, rejetée par sa propre mère, qui n’a pas conscience de ses incohérences et reste persuadée que tout le monde ment autour d’elle?
Si c’était moi, ne serais-je pas agressive moi aussi? Ou méprisante? Ou violente?
Je ne me posais pas les bonnes questions, parce que je ne faisais pas preuve d’empathie. Je croyais être une bonne aide à domicile. J’étais souriante, polie, travailleuse. J’aimais mon travail et je ne comprenais pas pourquoi, malgré toute ma bonne volonté et mes sourires polis, je ne parvenais pas à établir une saine relation d’aide avec certains bénéficiaires. Certains m’étaient sympathiques, d’autres carrément antipathiques, et je ne savais pas me situer professionnellement au milieu de cette cascade d’émotions parasites.
Sympathie et antipathie. Voici les mots qui m’ont piégée. Trop ceci, pas assez cela. Trop proche, trop distante, trop souriante, trop sur la défensive.
Puis j’ai fait une pause forcée, j’ai eu un enfant, j’ai perdu mon père, je suis devenue aide-soignante, et j’ai repris le travail. Différemment.
J’ai découvert l’empathie.
L’empathie (du grec ancien ἐν, dans, à l’intérieur et πάθoς, souffrance, ce qui est éprouvé) est une notion désignant la « compréhension » des sentiments et des émotions d’un autre individu, voire, dans un sens plus général, de ses états non-émotionnels, comme ses croyances (il est alors plus spécifiquement question d’« empathie cognitive »). En langage courant, ce phénomène est souvent rendu par l’expression « se mettre à la place de » l’autre.
Cette compréhension se produit par un décentrement de la personne et peut mener à des actions liées à la survie du sujet visé par l’empathie, indépendamment, et parfois même au détriment des intérêts du sujet ressentant l’empathie. Dans l’étude des relations interindividuelles, l’empathie est donc différente des notions de sympathie, de compassion, d’altruisme ou de contagion émotionnelle qui peuvent en découler. (Wikipédia)
J’ai réalisé que pour comprendre une situation, je dois réfléchir autrement. Non plus avec ma normalité mais avec celle de la personne qui est en face de moi. Je dois déposer mes valeurs et mes idées sur le paillasson de l’entrée et me plonger dans une autre dimension, celle de l’Autre. Je dois pouvoir l’entendre et l’écouter, le voir et le regarder. Je dois me demander ce que je ferais à sa place, avec ses valeurs, ses possibilités, et non ce qu’une personne de « ma » normalité ferait à sa place. Je dois changer de normalité comme je change de patient, voilà tout. C’est à moi de m’adapter à lui et non le contraire. Ça paraît tellement évident quand je l’écris, et je me sens tellement stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt!
Pour en revenir au débat initialement cité, je trouve qu’il illustre parfaitement le sujet. Parce qu’en lisant ce post, la première chose que j’aurais ressentie il y a quelques années, c’est de la sympathie pour la collègue agressée, ou de l’antipathie pour le responsable d’agence qui n’intervient pas. Aujourd’hui, après une naissance, un deuil, une formation et un coup de coeur professionnel (faudra que je vous parle de Naomi Feil un jour, vous m’y ferez penser?), ma première réaction a été de demander pourquoi la nourriture était sous clé, et de me dire que ça devait être terrible de devoir subir une interdiction pareille. Terrible et maltraitant
Ça paraît évident de se poser la question, je sais, mais ça ne l’était pas pour moi il n’y a encore pas si longtemps. Spontanément, ça n’aurait pas été ma priorité. J’aurais demandé « comment » mais pas « pourquoi ». Et je ne me serais pas demandé comment j’aurais réagi à SA place.
Du coup, désolée si je me permets un quart d’heure cocorico (tant pis, j’assume), mais je suis contente du chemin parcouru depuis Monsieur D. et Madame LDV., contente de faire de belles rencontres qui me font voir les choses différemment, et contente de poursuivre ma route en me disant que j’ai encore plein de choses à découvrir.
Et même, j’en profite pour vous balancer un petit lien vers le #mededfr, parce qu’on en avait parlé et que ça avait été un chouette débat :
https://mededfr.wordpress.com/2014/11/13/mededfr-22-lempathie-ca-sapprend/
Petite mamie
Ce billet fait suite à celui-ci, écrit il y a un petit moment.
Parfois, quand je m’ennuie, ou quand je cherche un peu d’inspiration pour un billet ou un article, je vais regarder du côté des réseaux sociaux et de ce qui se raconte sur les groupes dédiés aux auxiliaires de vie. Ma source principale, je l’avoue, c’est Facebook. Et j’y trouve des trésors.
Hier, une auxiliaire de vie en formation a posé la question suivante :
E. : « Que pensez-vous des personnes âgées? »
La question m’a surprise. C’est comme si je demandais à un médecin « que pensez-vous des patients? » ou à un concessionnaire « que pensez-vous des conducteurs? »
Ma curiosité étant piquée, je suis allée lire les réponses. Et j’ai bien failli tomber de ma chaise!
Un petit florilège des réponses lues sur le fil (je n’ai laissé que les initiales des intervenants mais ai laissé l’orthographe et la syntaxe des réponses, je m’appelle Babeth, pas Bescherelle).
M. : « Attendrissant avec des humeurs varier »
Y. : « Des enfants mais avec de l’expérience. Pas si stupides ni naïfs. Se méfier de certains. Parfois même si j’aime mon travail, certains m’agace… Voilà pour ma franchise. »
« On agit avec eux comme pour ces derniers. Ils nous faut faire preuve de patience, tolérance, explications pour ne pas les brusquer. Reexpliquer à plusieurs reprises.. Être egalement doux mais parfois ferme. Cest un travail très psychologique je trouve. Ils nous faut beaucoup de tempérance mais aussi d’écoute. Ils répètent tous ( comme des gosses dans la cour de recré) et nous font aussi répéter. ^^…sont parfois capricieux, et aimes nous tester. voilà en résumé.. »
« Si on est trop laxiste avec certains, on peut facilement se laisser bouffer. »
A. : « Pour certain je pense que effectivement il faut être ferme pour arriver a ses fins c est malheureux mais moi je suis obligée de l être avec un de mes clients qui fuit les douches et ne jure que par les toilettes du coup soucis dermato apres voila »
À ce stade de la lecture, je commence à bouillonner. Je m’imagine, vieille et dépendante, aux mains d’auxiliaires qui me trouveront « attendrissante » (ou pas) et qui me traiteront comme une enfant capricieuse. Je frémis d’horreur devant l’image d’une bonne femme que je ne connais pas me forcer à finir ma soupe ou à aller prendre ma douche. Je pense déjà aux moqueries que je susciterai quand je demanderai pour la troisième fois en une heure à quelle heure passe le médecin. Du coup, je vais voir les autres fils de discussion. Plus bas sur la page du groupe, je trouve une discussion tout aussi sidérante.
S. : « Bjr merci pour l ajout je suis auxiliaire de vie depuis 1 ans et je m occupe d une petite mémé de 104 ans »
« Quand je dit mémé c est par affection elle est seule et pas famille à proximité nous avons tissé des liens forts«
M. : « Tu raison de l appeler mémé si elle est d accord se n’est pas un manque de respect et que sa fasse 1ans ou 10ou est le problème »
R. : « Vous partez loin avec vos histoire de mémé c’est pas une nom qui salis une dame c’est pas comme si tu lapeller la vieille .. »
« Bah petite mémé c’est pas nom plus vulgaire faut pas abuser ya rien de chocant enfin pour moi après chacun son avis »
Donc, quand je serai vieille, on m’appellera « mémé » et je n’aurai pas mon mot à dire. Je ne serai plus ni Madame ni Babeth, je ne serai plus qu’une petite mamie à qui on ne demande plus son avis. Une attendrissante petite mamie qui doit finir sa soupe bien gentiment et ne surtout pas manifester le moindre désaccord sous peine de passer pour une infernale vieille bique.
J’ai 38 ans. J’ai piloté des planeurs. J’ai fait des études. J’ai fait de la voltige et me suis tenue debout sur un cheval au galop. J’ai lu des livres, plein. J’ai pleuré en écoutant le Faust de Gounod. J’ai appris l’allemand, l’anglais, l’italien, le latin, le grec ancien, le polonais et l’espagnol (mais j’ai presque tout oublié, sauf l’italien). J’ai accompagné mes parents en fin de vie, dans la douleur. J’ai assisté à une vraie évasion de prison, avec hélicoptère et tout et tout! J’ai donné le sein à un enfant qui n’était pas le mien. J’ai accouché sans péridurale, deux fois (et je vous prie de croire que j’aurais préféré l’avoir, cette foutue péridurale!). J’ai assisté, impuissante, aux ravages de l’alcoolisme de mes parents. J’ai vécu, de ce fait, des choses pas très rigolotes qu’une enfant ne devrait pas avoir à vivre. Je m’en suis remise. Sacrée résilience. J’ai emménagé en Bretagne sur un coup de foudre et un coup de tête. J’ai fait des choses dont je suis fière, et d’autres auxquelles je ne préfère pas penser.
Et quand je serai vieille, toute cette vie, ma vie, sera balayée par une connasse (pardon pour le terme mais je n’en trouve pas d’autre) qui parlera de moi en penchant la tête sur le côté et en disant d’un air sirupeux « elle est mignonne cette petite mamie, mais faut pas que je me laisse bouffer hein, sinon elle va en profiter, c’est sûr ». Et cette connasse, en disant cela, se sentira sans doute supérieure à la petite vieille ratatinée que je serai devenue. Cette connasse se considérera peut-être même comme ma sauveuse, celle qui est là pour mon bien, parce que moi, pauvre petite vieille, je serai bien incapable de prendre la moindre décision me concernant.
J’ai peur. Peur de vieillir et d’être dépendante. Peur qu’on soit ferme avec moi pour mon bien. Peur d’être aux mains d’une connasse qui viendra me caresser la tête un peu trop gentiment en m’enfonçant une cuillère dans la bouche pour que je finisse cette putain de soupe. Peur qu’un jour ma vie tout entière ne se résume plus qu’à cette image de mignonne petite vieille attendant sagement le passage de sa gentille auxiliaire si dévouée. Peur de n’être plus moi, tout simplement.
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La mésentente
En bleu, c’est Sidonie, auxiliaire de vie diplômée.
En noir, c’est Madame Couché, épouse de Monsieur Couché.
Sidonie est une soignante, Madame Couché est une aidante. Toutes deux prennent soin de Monsieur Couché.
Et voilà, je me suis encore fait avoir! J’aurais dû être ferme, j’aurais dû expliquer (une fois de plus) que je suis auxiliaire de vie, pas aide-ménagère, pas bonniche, pas bonne à rien. J’aurais dû lui dire à cette bonne femme, que je suis pas là pour ça. Mais j’ai pas osé. J’avais pas envie. Pas envie de m’énerver dès le matin. Pas envie de parler, pas envie d’expliquer, pas envie d’argumenter. Alors j’ai fait ce qu’elle m’a dit. J’ai obéi, sans discuter, comme si de rien n’était. Comme si c’était normal.
J’étais censée être là pour Monsieur Couché, pour l’aider à se lever, à se laver, à s’habiller. J’étais censée faire ça, oui, ainsi que le petit-déjeuner. J’avais une heure pour faire tout ça, c’était largement assez. Pour une fois, le plan d’aide permettait vraiment d’intervenir dans de bonnes conditions, et pas au pas de courses comme chez tant d’autres. Mais quand je suis arrivée, à huit heures tapantes comme tous les matins, Monsieur Couché n’était plus couché. Il était levé, lavé et habillé. Il avait même pris son petit-déjeuner! Et moi, j’étais là, complètement inutile, face à ce monsieur qui n’avait déjà plus besoin de moi, à me demander ce que j’allais bien pouvoir faire avec lui. Alors, en bonne professionnelle que j’espère être, je lui ai proposé autre chose. Après tout, si Monsieur Couché se débrouille tout seul pour « les activités de la vie quotidienne », je peux aussi proposer mon aide pour « le maintien de la vie sociale ». J’étais sur le point de lui suggérer de lui lire son journal (il ne peut plus, le pauvre, avec sa DMLA galopante) quand sa femme a surgi de nulle part pour me demander de faire la vaisselle, les lits (oui, LES lits, donc celui de Monsieur et celui de Madame) et un peu de ménage.
Mais… Mais… Mais?! Mais je suis pas là pour ça! Je suis là pour Monsieur Couché, pour l’aider lui, pas pour la maison, pas pour elle! Je suis auxiliaire de vie, pas aide-ménagère! J’ai fait une formation, j’ai passé un diplôme, c’est pas pour me retrouver à faire du ménage à huit heures du matin alors qu’il y a déjà une aide-ménagère qui vient pour ça deux heures par semaine!
Ça, c’est ce que j’ai pensé très fort… Mais comme tous les matins, je n’ai pas osé le dire. Et comme tous les matins, j’ai fait ce que Madame me demandait de faire. J’ai fait la vaisselle du petit-déjeuner, j’ai fait les lits, j’ai passé un coup de balai et étendu le linge. J’ai fait tout ça en silence, pendant que Madame restait enfermée dans sa chambre. J’ai fait tout ça en retenant mes larmes, parce que je me sentais nulle, et inutile. J’ai fait tout ça en maudissant Madame Couché de me voler mon travail, en maudissant ma responsable de secteur de ne jamais mettre les choses au point avec les bénéficiaires et leurs familles, et en me maudissant d’accepter d’être ainsi rabaissée. J’ai maudit tout le monde, fait signer ma feuille de présence, et suis partie chez Madame Debout, qui allait sans doute me demander de faire la poussière, une fois de plus, alors que je l’ai déjà faite hier…
Ça y est, elle a réussi à me mettre de mauvaise humeur pour la journée! Tous les matins c’est la même chose, et ça fait des mois que ça dure! Elle se pointe à huit heures, la bouche en coeur, avec sa jeunesse effrontée et ses petits bras musclés, et elle se met en tête de s’occuper de mon mari. Sauf que mon mari, merci mais ça va, je m’en occupe. Parce qu’à huit heures, ça fait déjà longtemps qu’il est prêt mon bonhomme! Tu parles, à six heures il est réveillé et il hurle pour que je vienne le lever, alors je vais quand même pas attendre deux heures que Mademoiselle Sidonie se ramène! Je leur ai dit, pourtant, au bureau, que huit heures c’était trop tard, mais ils m’ont dit que personne n’intervenait avant cette heure, et que si je n’étais pas contente je pouvais toujours m’adresser à une infirmière libérale… Sauf que chez nous, les IDEL, elles viennent plus pour les aides à la toilette, alors je fais comment moi? Eh ben je vous le donne en mille : je fais, et puis voilà, c’est pas plus compliqué que ça. Je lève mon mari, parce que tout seul il ne peut plus, et puis je lui fais sa toilette, et puis je l’aide à s’habiller… Et quand tout est fait, il n’est pas sept heures, alors on va pas attendre une heure en se regardant dans le blanc des yeux. Alors forcément, je prépare le petit-déjeuner, et on le prend tous les deux, comme avant. Avant la maladie. Avant la dépendance. Avant la visite du médecin conseil. Avant les plans d’aide qui t’octroient généreusement quelques heures par semaine tout en te faisant bien comprendre que quand même, heureusement qu’on est là hein! Avant la responsable de secteur avec son sourire mielleux et son regard condescendant. Avant Sidonie.
Le café du matin, c’est notre seul moment calme de la journée. Parce qu’après, il y a Sidonie. Et encore après, c’est la course, toujours. Parce que mon bonhomme, c’est toute la journée qu’il a besoin d’aide. Pas juste le matin entre huit heures et neuf heures. Parce que la maladie d’Alzheimer, c’est toute la journée et toute la nuit, tous les jours, tout le temps. Quand il se lève, il est malade. Quand il mange, il est malade. Quand il parle, il est malade. Quand il marche, il est malade. Et quand il dort… il est malade aussi. Et moi je suis malade de sa maladie. Je suis malade de l’aider, de l’entendre crier, de faire à sa place. Je suis malade de notre intimité perdue. Je suis malade de son lit médicalisé qui prend toute la place, et malade de devoir dormir dans une autre pièce, parce qu’il n’y a plus de place pour moi dans la chambre conjugale. Malade de son déambulateur, de sa chaise percée et de la douche adaptée qui a remplacé la baignoire. Malade d’être sa garde-malade avant d’être son épouse. Malade de la famille qui ne vient plus nous voir parce que « c’est compliqué », malade des voisins qui nous évitent parce que « le monsieur est bizarre », malade de Sidonie qui rentre dans notre maison, qui farfouille dans notre cuisine et qui s’adresse à lui comme à un enfant. Qui s’adresse à lui hein, pas à moi. Parce que moi, je n’ai besoin de rien, c’est évident. Moi je suis l’épouse revêche, celle qui vole le travail des gentilles auxiliaires qui ne demandent qu’à aider. Moi je suis la méchante qui demande à la gentille de faire le ménage alors qu’elle est diplômée et pas payée pour ça. Moi je suis celle qui abuse des aides sociales, qui vole l’argent du contribuable pour se faire payer des heures de ménage sur le dos de la dépendance.
Mais je voudrais bien qu’elle comprenne, la gentille Sidonie, que pendant qu’elle fait ce qu’elle appelle les basses besognes, je peux avoir une heure pour moi, une petite heure, une toute petite heure. Une toute petite heure pour me laver et m’habiller. Une toute petite heure pour passer un coup de fil à notre fille à l’autre bout de la France. Une toute petite heure pour courir acheter le pain et son journal. Une toute petite heure pour me reposer quand la nuit a été éprouvante, quand je me suis levée toutes les deux heures pour recoucher mon bonhomme qui déambulait, ou pour nettoyer les toilettes après son passage. Je voudrais bien qu’elle comprenne tout ça Sidonie, qu’elle sache que faire du ménage c’est tout aussi important que le reste, parce que ça allège un peu le quotidien.
Parce que pendant une heure, une petite heure, une toute petite heure, je ne suis plus une aidante. Je suis une épouse pour mon mari, une mère pour notre fille… et une femme.
Monsieur Bitàlair, suite et fin (enfin!)
La début, c’est là.
La petite mise au point, c’est ici.
Et la fin, c’est maintenant.
C’est la demi-heure suivante que tout se joue. Jusqu’ici, je n’avais d’yeux que pour la crasse et la violence de la situation. Mais un « détail » a changé la donne.
Monsieur Bitàlair est assis sur une chaise de la cuisine. Une serviette sur les épaules, une autre sous les pieds. Machinalement, il s’allume une cigarette. Machinalement, je m’écarte. Il ne grogne plus, ne m’insulte plus. Je profite du répit. Je dirais même que je le savoure. Je laisse Monsieur Bitàlair finir sa cigarette et m’accroupis pour lui essuyer les pieds. Jusqu’ici, je n’avais pas prêté attention à cette partie de son anatomie, trop occupée à prier pour qu’il ne se casse pas lamentablement la figure dans la douche. Maintenant, je vois. Et je regarde. Et je suis stupéfaite. Ses pieds sont tordus. Ses orteils sont tordus. Ses ongles ne sont plus des ongles mais des griffes. Je reprends une paire de gants et vais remplir une bassine d’eau chaude. Ça n’est pas du goût de Monsieur Bitàlair qui se remet à grogner.
Monsieur Bitàlair (version longue, revue et corrigée)
C’est une histoire à quatre personnages, une histoire que vivent peut-être des milliers de personnes. Une histoire de travail et de mépris. Une histoire banale dans un monde banal.
Les protagonistes ? Un vieil homme dément, son fils dépassé, une aide à domicile fatiguée et une patronne méprisante.
Le scénario ? Sur ordre de la patronne méprisante, l’aide à domicile fatiguée doit intervenir chez le vieil homme dément qui vit avec son fils dépassé. Un scénario classique dans les services d’aide à la personne.
Le vieil homme dément, c’est Monsieur Bitàlair.
Le fils dépassé, c’est Junior.
La patronne méprisante, c’est Madame Grandchef.
L’aide à domicile fatiguée, c’est moi, Babeth.
Un matin, je débarque donc chez Monsieur Bitàlair avec mes couettes innocentes et ma petite fiche de liaison sur laquelle il est sobrement écrit « aide à la toilette et entretien du logement ». Foutaises!
Je frappe à la porte. Pas de réponse. Je re-frappe. Grognements divers et variés à l’intérieur. La porte reste close. Je re-re-frappe. Et j’entre. Je ressors aussitôt. L’odeur. Putain, cette odeur! Pisse et clope. Je sens que ça va être génial. Allez Babeth, courage, vas-y! Je re-entre. Splitch splotch. Bizarre cette sensation d’humidité sous mes pieds. Une fuite? Une inondation? Splitch splotch. Ça colle un peu. Oh mais suis-je bête? (Oui, je le suis, mais parfois je me pose la question pour vérifier) Une forte d’urine ET du splitch-splotch… Mais oui mais c’est bien sûr! Je patauge dans la pisse! Ô joie, je sens que ça va être encore plus génial que prévu.
Pénombre. Je hasarde un « bonjour ». Pas de réponse. Enfin si, un truc inaudible, comme un grognement venant des entrailles du taudis de la maison. Splitch splotch. Il va falloir que je trouve d’où vient le grognement, j’ai une aide à la toilette à faire. Et un « entretien du logement ». En une heure. Ben c’est pas gagné.
Grognements et éructations, je crois que j’ai localisé Monsieur Bitàlair. J’avance prudemment. Splitch splotch. C’est pas possible, il y en a partout, une inondation de pisse. J’ouvre les volets au fur et à mesure que je passe devant. La clarté remplace la pénombre, et je suis désespérée face à ce qui m’attend. Une heure pour la toilette et le ménage. Non mais c’est du foutage de gueule! Monsieur Bitàlair est devant moi. Avachi dans son lit, baignant dans sa pisse et ses excréments, grognant et vociférant.
Je ne suis pas la bienvenue. « Ordure! Pute! Salope! Fous le camp! » Douces paroles et chaleureux accueil que voilà. Pas grave. Respire. Euh… Non, mauvaise idée. Reste polie. Prends sur toi. Plus que 55 minutes, ça va passer vite. Bon bon bon. Ce monsieur n’a visiblement pas très envie d’une aide à la toilette. Va falloir négocier.
Première étape : le sortir du lit. Enfin non. Faire en sorte qu’il accepte de quitter le lit, nuance. Respect de la personne toussa toussa. Manque de pot, Monsieur Bitàlair n’a pas l’air enthousiaste à l’idée de quitter sa couche douillette. Pas grave, je vais commencer par la réfection du lit, on verra plus tard pour le reste. Ça tombe bien, il faut que je change les draps.
Trouver du linge propre n’est pas une mince affaire. Mais je suis futée…
Draps et taies d’oreiller propres, c’est bon, j’ai tout, il ne me reste qu’un « petit » détail à régler : virer ce type malpropre de sa couche malpropre !
– Monsieur Bitàlair, il faut que je refasse votre lit, pourriez-vous vous lever s’il vous plaît ? (admirez le ton courtois alors que ce type vient de m’agonir d’insultes).
– Dégage salope ! (mince, raté)
Bon bon bon… Je vais bien, tout va bien…
Pas grave, je vais faire comme si. Je commence à défaire le lit, sous les vociférations du charmant monsieur qui l’occupe. Je suis gaie, tout me plaît… Les draps sont imprégnés d’urine et de… je ne préfère pas savoir. J’ai bien fait de mettre des gants. Monsieur Bitàlair grogne encore, je fais la sourde oreille. Je ne vois pas pourquoi, pourquoi ça n’irait pas…
Finalement, je finis par obtenir ce que je voulais (une augmentation ?). L’homme grognon quitte son lit et me regarde finir en m’insultant.
Étape numéro un : check. Passons à l’étape numéro deux : la douche!
Monsieur Bitàlair se tient maintenant devant moi. Debout, il est moins impressionnant. Faut dire qu’il est vieux… et tout tordu… et pas très stable sur ses jambes. Mais il est toujours aussi en colère. Les insultes pleuvent. Inutile de répondre, ça ne ferait qu’envenimer la situation. Pourtant ça me démange. J’ai tout à la fois envie de soupirer, l’insulter, rigoler, partir en claquant la porte, gueuler un bon coup, manger un sandwich (oui, j’ai faim).
– Je suis payée pour venir vous faire une aide à la toilette, Monsieur Bitàlair. J’ai tout mon temps, vous êtes le dernier sur mon planning, alors je vais attendre que vous ayez fini de m’insulter mais je ne partirai pas d’ici sans avoir fait mon travail.
Purée, parfois, je m’épate moi-même! Oui parce qu’en vrai j’ai plutôt envie de lui dire « casse-toi pov’con! » mais ça ne serait pas très professionnel, et puis il est chez lui, c’est plutôt à moi de partir.
Silence. Monsieur Bitàlair est venu à bout de son stock d’injures. Il avance vers moi, je m’écarte pour le laisser passer tout en lui demandant où se trouve la salle de bain. Pas de réponse. Forcément, après les injures, le mépris. Bien bien bien, je vais chercher toute seule alors. Pendant que Monsieur Bitàlair se grille une clope dans la cuisine (la douce odeur de tabac/pisse/crasse, un délice qui me fait immédiatement passer ma petite fringale), je trouve la salle de bain. Je prépare des vêtements propres (enfin, je prépare ce que je trouve), règle l’eau de la douche… et j’attends. Monsieur Bitàlair ne bouge pas. Bon, si le bénéficiaire ne vient pas à toi, tu iras vers le bénéficiaire (proverbe inventé à l’instant).
– Monsieur Bitàlair, vos affaires sont prêtes, on peut y aller?
– Non! Casse-toi salope!
– Monsieur Bitàlair, vous me l’avez déjà demandé tout à l’heure, et je vous ai déjà répondu que je n’en ferais rien. Je vous attends.
Mon calme m’étonne. C’est le calme avant la tempête.
Parce qu’en vrai, je le regarde, et il me donne envie de vomir. En vrai, il est sale, il est moche, il pue, d’ailleurs tout est sale et moche et pue chez lui, une heure ne suffira jamais, il faudrait des jours pour venir à bout de la crasse ambiante.
En vrai, je suis épuisée, la journée a été longue, la semaine aussi, j’ai hâte de rentrer chez moi, au calme, et surtout, au propre.
En vrai, je suis démoralisée, parce que la situation me semble totalement irréelle. Je me tiens debout dans la cuisine d’un type que je ne connais pas et qui me crache sa putain de fumée au visage en m’insultant. Et le pire, c’est que je ne trouve rien d’autre à faire que de rester plantée là à attendre qu’il daigne bouger son séant de cette maudite chaise !
En vrai, j’ai juste envie de l’insulter, de lui hurler dessus, de lui éructer la haine et le dégoût qu’il m’inspire, puis d’appeler Madame Grandchef et de lui dire ce que je pense de sa façon de traiter son équipe. Parce que le pire dans l’histoire, ce n’est pas l’attitude de Monsieur Bitàlair. Il est odieux, irrévérencieux, dégoûtant, agressif et j’en passe, mais à la limite, on pourrait (presque) s’y habituer.
Le pire dans l’histoire, c’est que Madame Grandchef sait tout cela. Elle le sait depuis longtemps, et elle ne fait rien.
Elle sait que nous sommes insultées à chaque intervention chez lui.
Elle sait que Monsieur Bitàlair nous menace.
Elle sait aussi qu’il peut se montrer violent.
Elle sait surtout que les infirmières, pour toutes ces raisons, n’y mettent plus les pieds.
Elle sait tout cela, et elle nous laisse nous débrouiller avec. Elle nous laisse seules face à Monsieur Bitàlair. Elle nous laisse seules face à son mépris, à sa crasse, à sa maison puante, à sa violence.
Elle nous laisse seules et nous acceptons cela. Nous acceptons d’être insultées et méprisées. Nous acceptons de patauger dans l’urine et de travailler dans une atmosphère enfumée. Nous acceptons ce que les infirmières ont fini par refuser. Nous acceptons tout ça pour un salaire de misère. Nous acceptons et nous faisons notre boulot (presque) comme si de rien n’était.
Finalement, qui est le pire ?
Monsieur Bitàlair qui nous insulte ?
Madame Grandchef qui ferme les yeux ?
Ou nous qui nous résignons ?
Je suis donc là, face à ce type qui ne bouge pas. Lui assis, moi debout. Lui, avec ce calme arrogant de celui qui a tout son temps et moi, avec cette colère sourde de celle qui n’en peut plus. Lui, vieux, malade. Moi, moins vieille, enceinte. Oui, enceinte. Parce que c’est tellement plus drôle d’envoyer les femmes enceintes chez les fumeurs alcooliques violents. Parce que Madame Grandchef, c’est pas trop son problème tout ça. Parce qu’on fait pas le ménage avec notre utérus après tout !
La journée a été longue et j’ai hâte de rentrer chez moi. J’accélère le mouvement. Il ne veut pas bouger ? Pas grave. C’est moi qui vais bouger. Je m’approche. Il lève les yeux. Je me rapproche. Il me regarde. Je suis près de lui. Il ouvre la bouche. Je suis tout près. Il gueule.
– Qu’est-ce tu veux encore ? Dégage !
– Je vais vous aider à enlever vos vêtements Monsieur Bitàlair. Je commence par le haut.
Sans lui demander son avis, je passe derrière lui et commence à retirer son t-shirt. Il résiste un peu, j’insiste un peu. Finalement, il capitule. Si on m’avait dit qu’un jour j’obligerais un homme à se déshabiller !
Je continue. Pantalon, slip, chaussettes. Je vous épargne la description des vêtements imprégnés d’urine et de selles, je mettrai les nausées sur le compte de la grossesse !
Monsieur Bitàlair est nu, face à moi (je sens comme une tension sexuelle dans cette phrase, non?)
Cet homme qui nous insulte, qui nous méprise, qui a fait fuir les infirmières libérales et pleurer certaines de mes collègues, se tient là, face à moi, dans son simple appareil et, à ce moment précis, n’a plus rien de redoutable. Ce n’est qu’un amas de chair et de peau et, au creux de cette chair, quelques organes, en plus ou moins bon état. Ce n’est qu’un homme.
La tâche me semble soudain d’une simplicité foudroyante. Je dois laver cet homme et cette maison, rien de plus. Je dois finir mon heure, remplir le cahier de liaison et faire signer ma feuille de présence. Quand j’aurai fini, je rentrerai chez moi, je retrouverai ma maison propre et ma famille normale. Lui restera ici, au milieu de sa crasse et de sa haine. Demain, tout recommencera. Une auxiliaire viendra frapper à sa porte, il l’insultera, elle fera quand même son boulot. Qu’importent ses insultes, sa crasse et son mépris. Qu’importent notre fatigue, notre colère et notre peur. On a un boulot, on le fait, et si ça ne nous plaît pas, libre à nous de postuler ailleurs.
Aujourd’hui, c’est moi, Babeth, 34 ans, enceinte.
Hier c’était Amandine, 19 ans et jolie comme un cœur.
Avant-hier c’était Martine, 50 ans et pas très envie de jouer.
Et demain? Peut-être Julie, 25 ans, enceinte elle-aussi?
Peut-être Sonia, 42 ans, débutante?
En tout cas, certainement pas Madame Grandchef! Pas elle, non, avec son joli petit tailleur et ses talons aiguilles. Pas elle, avec son brushing impeccable et sa voiture de fonction. Pas elle, avec son regard froid et sa voix trop posée. Et d’ailleurs, que ferait-elle, elle, la grande dame, face à ce corps nu? Comment s’y prendrait-elle pour le faire aller de la cuisine à la douche? Comment supporterait-elle la fumée et l’odeur? Comment garderait-elle son calme dans cette situation?
Il faudra que je lui demande un jour. Mais pas maintenant. D’abord, il faut que je lave Monsieur Bitàlair.
Ce dernier, justement, ne semble toujours pas disposé à quitter sa chaise. Je couvre ses épaules avec une serviette (j’ai beau être passablement énervée, je n’en oublie pas la pudeur, bien qu’il ne semble pas en faire cas) et, m’armant de courage, je lui propose à nouveau une douche.
– Monsieur Bitàlair, on peut y aller ?
Ma voix est presque amicale. Je dis bien « presque ». Parce qu’en vrai, non.
La douceur de ma voix est trompeuse, et elle a le mérite de convaincre Monsieur Bitàlair de me suivre.
Cahin-caha, il se lève, grogne, avance, grogne, se rend dans la salle de bain, grogne. Cahin-caha, je le suis.
La toilette est un véritable périple. Monsieur Bitàlair titube, manque de tomber, se rattrape à mon bras, je titube, manque de tomber, me rattrape au lavabo.
Pénétrer dans la douche lui est difficile. Il est instable, manque de tomber. Pas de tapis de douche antidérapant, pas de poignée à laquelle se raccrocher. Je l’aide comme je peux, c’est-à-dire mal. Parce que c’est tout aussi casse-gueule pour moi, avec mon gros ventre et mes petits bras pas musclés.
La douche est… comment dire… pittoresque. Pendant que je savonne son dos, Monsieur s’astique la nouille, manquant de glisser. Se branler ou rester debout, il faut choisir camarade ! Monsieur Bitàlair, joueur, tente les deux… S’il tombe, tant pis, je serai incapable de le retenir au vol, il doit bien faire deux fois mon poids. Je l’en avertis, mais il s’en fout (sans mauvais jeu de mots).
Fin de la branlette et fin de la douche. La sortie est tout aussi épique que l’entrée. Je ne sais si je dois mettre le frissonnement de Monsieur Bitàlair sur une réaction post-branlette ou post-douche. Dans le doute, je l’enveloppe au plus vite d’une grande serviette… et m’empresse de rincer le bac.
Rapide coup d’œil à la pendule. Je suis censée faire la toilette ET le ménage en une heure, et ça fait déjà une demi-heure que je suis ici. Mais comment font mes collègues ?
En une demi-heure j’ai à peine fait la réfection du lit et la douche. Il me reste tant à faire. Soupir de découragement. La tâche me semble démesurée. Allez Babeth, ce n’est pas en t’apitoyant sur ton sort que tu avanceras, respire un coup et continue ! Non, pas par le nez… trop tard !
À suivre…
La vie rêvée de l’aide à domicile
On leur a dit que c’était le plein emploi.
On leur a dit qu’elles pourraient choisir leurs horaires.
On leur a dit qu’avec le diplôme elles auraient un salaire correct et une reconnaissance sociale.
Alors elles se sont engouffrées dans cette voie, les yeux fermés et le coeur vaillant.
Certaines sont retournées sur les bancs de l’école.
Elles ont passé le DEAVS (Diplôme d’État d’Auxiliaire de Vie Sociale).
D’autres ont été embauchées sans diplôme, sur la seule base de leur bonne volonté. Mais on leur a promis qu’on leur ferait faire une formation en cours d’emploi.
Elles ont découvert le monde merveilleux de l’aide à domicile.
Désenchantement.
Les situations racontées ici sont issues de divers forums de discussions consacrés aux auxiliaires de vie. Les noms et les détails des situations ont été changés pour préserver l’anonymat de celles qui témoignent.
Comment faites-vous pour gérer une personne atteinte d’Alzheimer? J’ai beaucoup de mal, elle est très agressive avec moi. Hier quand je suis partie de chez elle j’en avais mal au ventre tellement j’en avais pris pour mon grade, du style que je suis là pour nettoyer sa merde et que je suis payée pour ça. J’ai essayé d’en discuter avec ma responsable mais elle me dit que c’est la maladie qui veut ça.
Burn out
Témoignage de Carole, auxiliaire de vie (avec son aimable autorisation)
Bonjour à toutes et à tous, je voudrais vous faire part de ma situation car je pense que ça peut aussi vous arriver et je ne la souhaite à personne…
Je vais essayer de faire court mais n’hésitez pas à me poser des questions si besoin…
Voilà, je suis auxiliaire de vie depuis 13 ans, j’ai commencé à la fin de ma scolarisation. C’est un beau métier, je me suis donnée à fond de chez à fond pendant toutes ces années, entre-temps j’ai eu deux enfants, donc beaucoup de boulot. Je prenais sur moi sur mes longues journées car il faut énormément de patience avec les personnes et sans me vanter j’assurais grave, que ce soit auprès du bureau pour être autant présente que possible qu’auprès des personnes aidées. Quand je rentrais chez moi j’étais lessivée et il fallait assumer la fin de journée auprès de ma famille mais j’étais tendue.
Jusqu’au 1er décembre où j ai commencé à faire des crises de tétanie… mon corps m’a dit stop… Je suis en plein BURN OUT…
Étant en arrêt j’ai donc pris du recul et je fais souvent des cauchemars sur mes bénéficiaires (je les agresse, les mords à la gorge (mdr) etc…). Je ressens tout le stress que j’avais quand j’étais auprès d’eux multiplié par deux… Quand je croise n’importe quelle personne dans la rue je me crispe. Je ne me sens plus capable d’assurer mon poste. Je pense m’être trop investie dans mon boulot sans prendre assez de recul et arrive à saturation. Je suis encore sous anxiolytiques et antidépresseurs.
Il faut apprendre à se préserver et ne pas dire OUI à tout . SVP faites attention à vous. Je pense que le métier est a revoir, quand il y a des renouvellements d’heures, les assistantes sociales feraient mieux de demander votre avis avant d’aller chez les personnes, c’est facile, elles disent qu’elles ne peuvent plus rien faire, en rajoutent et vous, vous trinquez derrière à vous taper du ménage à gogo!!! Vous n’êtes pas des BONNICHES vous êtes la pour faire du maintien à domicile… Il faut faire bouger tout ça !!!! Désolée pour la longueur du texte!!!! Continuer la lecture
Monsieur Bitàlair (5)
Résumé de l’épisode précédent
Babeth, l’auxiliaire à couettes, doit faire « l’entretien du logement et l’aide à la toilette » chez Monsieur Bitàlair. La maison est plutôt délabrée, le bénéficiaire aussi, Babeth est sur le point de renoncer…
À la fin de l’épisode précédent, Monsieur Bitàlair est tranquillement assis dans sa cuisine, crachant presque voluptueusement sa fumée de clope à la figure de cette bonne à rien envoyée par la mairie (moi), tandis que cette dernière refoule silencieusement sa colère (pardon, sa haine) derrière un masque qu’elle veut impavide (et ouais, t’as vu ça un peu comme ça en jette quand une auxiliaire de vie te raconte la scène!).
Je suis donc là, face à ce type qui ne bouge pas. Lui assis, moi debout. Lui, avec ce calme arrogant de celui qui a tout son temps et moi, avec cette colère sourde de celle qui n’en peut plus. Lui, vieux, malade. Moi, moins vieille, enceinte. Oui, enceinte. Parce que c’est tellement plus drôle d’envoyer les femmes enceintes chez les fumeurs alcooliques violents. Parce que Madame Grandchef, c’est pas trop son problème tout ça. Parce qu’on fait pas le ménage avec notre utérus après tout !
La journée a été longue et j’ai hâte de rentrer chez moi. J’accélère le mouvement. Il ne veut pas bouger ? Pas grave. C’est moi qui vais bouger. Je m’approche. Il lève les yeux. Je me rapproche. Il me regarde. Je suis près de lui. Il ouvre la bouche. Je suis tout près. Il gueule.
« – Qu’est-ce tu veux encore ? Dégage !
– Je vais vous aider à enlever vos vêtements Monsieur Bitàlair. Je commence par le haut »
Sans lui demander son avis, je passe derrière lui et commence à retirer son t-shirt. Il résiste un peu, j’insiste un peu. Finalement, il capitule. Si on m’avait dit qu’un jour j’obligerais un homme à se déshabiller !
Je continue. Pantalon, slip, chaussettes. Je vous épargne la description des vêtements imprégnés d’urine et de selles, je mettrai les nausées sur le compte de la grossesse !
Monsieur Bitàlair est nu, face à moi (je sens comme une tension sexuelle dans cette phrase, non?)
Cet homme qui nous insulte, qui nous méprise, qui a fait fuir les infirmières libérales et pleurer certaines de mes collègues, se tient là, face à moi, dans son simple appareil et, à ce moment précis, n’a plus rien de redoutable. Ce n’est qu’un amas de chair et de peau et, au creux de cette chair, quelques organes, en plus ou moins bon état. Ce n’est qu’un homme.
La tâche me semble soudain d’une simplicité foudroyante. Je dois laver cet homme et cette maison, rien de plus. Je dois finir mon heure, remplir le cahier de liaison et faire signer ma feuille de présence. Quand j’aurai fini, je rentrerai chez moi, je retrouverai ma maison propre et ma famille normale. Lui restera ici, au milieu de sa crasse et de sa haine. Demain, tout recommencera. Une auxiliaire viendra frapper à sa porte, il l’insultera, elle fera quand même son boulot. Qu’importent ses insultes, sa crasse et son mépris. Qu’importent notre fatigue, notre colère et notre peur. On a un boulot, on le fait, et si ça ne nous plaît pas, libre à nous de postuler ailleurs.
Aujourd’hui, c’est moi, Babeth, 34 ans (à l’époque) enceinte.
Hier c’était Amandine, 19 ans et jolie comme un coeur.
Avant-hier c’était Martine, 50 ans et pas très envie de jouer.
Et demain? Peut-être Julie, 25 ans, enceinte elle-aussi?
Peut-être Sonia, 42 ans, débutante?
En tout cas, certainement pas Madame Grandchef! Pas elle, non, avec son joli petit tailleur et ses talons aiguilles. Pas elle, avec son brushing impeccable et sa voiture de fonction. Pas elle, avec son regard froid et sa voix trop posée. Et d’ailleurs, que ferait-elle, elle, la grande dame, face à ce corps nu? Comment s’y prendrait-elle pour le faire aller de la cuisine à la douche? Comment supporterait-elle la fumée et l’odeur? Comment garderait-elle son calme dans cette situation?
Il faudra que je lui demande un jour. Mais pas maintenant. D’abord, il faut que je lave Monsieur Bitàlair.
À suivre…
Monsieur Bitàlair (4) (version corrigée)
Avant de continuer les aventures de ce charmant monsieur, voici la version corrigée de l’épisode 4, dont la fin diffère « un peu » de ce billet.
Résumé de l’épisode précédent
Babeth, l’auxiliaire à couettes, doit faire « l’entretien du logement et l’aide à la toilette » chez Monsieur Bitàlair qui, comme son nom l’indique… Bref.
Problème numéro un : l’état du logement.
Problème numéro deux : l’état du bénéficiaire
Problème numéro trois : les deux ensemble.
Bref, c’est pas gagné.
À la fin de l’épisode précédent, Monsieur Bitàlair a accepté de sortir de son lit. Babeth doit maintenant profiter de l’occasion pour lui proposer une aide à la toilette (autrement dit, une douche et un change complet).
Monsieur Bitàlair se tient maintenant devant moi. Debout, il est moins impressionnant. Faut dire qu’il est vieux… et tout tordu… et pas très stable sur ses jambes. Mais il est toujours aussi en colère. Les insultes pleuvent. Inutile de répondre, ça ne ferait qu’envenimer la situation. Pourtant ça me démange. J’ai tout à la fois envie de soupirer, l’insulter, rigoler, partir en claquant la porte, gueuler un bon coup, manger un sandwich (oui, j’ai faim).
Mais je ne fais rien. Je le regarde et j’attends. Et je le lui dis.
– Je suis payée pour venir vous faire une aide à la toilette, Monsieur Bitàlair. J’ai tout mon temps, vous êtes le dernier sur mon planning, alors je vais attendre que vous ayez fini de m’insulter mais je ne partirai pas d’ici sans avoir fait mon travail.
Purée, parfois, je m’épate moi-même! Oui parce qu’en vrai j’ai plutôt envie de lui dire « casse-toi pov’con! » mais ça ne serait pas très professionnel, et puis il est chez lui, c’est plutôt à moi de partir.
Silence. Monsieur Bitàlair est venu à bout de son stock d’injures. Il avance vers moi, je m’écarte pour le laisser passer tout en lui demandant où se trouve la salle de bain. Pas de réponse. Forcément, après les injures, le mépris. Bien bien bien, je vais chercher toute seule alors. Pendant que Monsieur Bitàlair se grille une clope dans la cuisine (la douce odeur de tabac/pisse/crasse, un délice qui me fait immédiatement passer ma petite fringale), je trouve la salle de bain. Je prépare des vêtements propres (enfin, je prépare ce que je trouve), règle l’eau de la douche… et j’attends. Monsieur Bitàlair ne bouge pas. Bon, si le bénéficiaire ne vient pas à toi, tu iras vers le bénéficiaire (proverbe inventé à l’instant).
– Monsieur Bitàlair, vos affaires sont prêtes, on peut y aller?
– Non! Casse-toi salope!
– Monsieur Bitàlair, vous me l’avez déjà demandé tout à l’heure, et je vous ai déjà répondu que je n’en ferais rien. Je vous attends.
Mon calme m’étonne. C’est le calme avant la tempête.
Parce qu’en vrai, je le regarde, et il me donne envie de vomir.
En vrai, il est sale, il est moche, il pue, d’ailleurs tout est sale et moche et pue chez lui, une heure ne suffira jamais, il faudrait des jours pour venir à bout de la crasse ambiante.
En vrai, je suis épuisée, la journée a été longue, la semaine aussi, j’ai hâte de rentrer chez moi, au calme, et surtout, au propre.
En vrai, je suis démoralisée, parce que la situation me semble totalement irréelle. Je me tiens debout dans la cuisine d’un type que je ne connais pas et qui me crache sa putain de fumée au visage en m’insultant. Et le pire, c’est que je ne trouve rien d’autre à faire que de rester plantée là à attendre qu’il daigne bouger son séant de cette maudite chaise !
En vrai, j’ai juste envie de l’insulter, de lui hurler dessus, de lui éructer la haine et le dégoût qu’il m’inspire, puis d’appeler Madame Grandchef et de lui dire ce que je pense de sa façon de traiter son équipe. Parce que le pire dans l’histoire, ce n’est pas l’attitude de Monsieur Bitàlair. Il est odieux, irrévérencieux, dégoûtant, agressif et j’en passe, mais à la limite, on pourrait (presque) s’y habituer.
Le pire dans l’histoire, c’est que Madame Grandchef sait tout cela. Elle le sait depuis longtemps, et elle ne fait rien.
Elle sait que nous sommes insultées à chaque intervention chez lui.
Elle sait que Monsieur Bitàlair nous menace.
Elle sait aussi qu’il peut se montrer violent.
Elle sait surtout que les infirmières, pour toutes ces raisons, n’y mettent plus les pieds.
Elle sait tout cela, et elle nous laisse nous débrouiller avec. Elle nous laisse seules face à Monsieur Bitàlair. Elle nous laisse seules face à son mépris, à sa crasse, à sa maison puante, à sa violence.
Elle nous laisse seules et nous acceptons cela. Nous acceptons d’être insultées et méprisées. Nous acceptons de patauger dans l’urine et de travailler dans une atmosphère enfumée. Nous acceptons ce que les infirmières ont fini par refuser. Nous acceptons tout ça pour un salaire de misère. Nous acceptons et nous faisons notre boulot (presque) comme si de rien n’était.
Finalement, qui est le pire ?
Monsieur Bitàlair qui nous insulte ?
Madame Grandchef qui ferme les yeux ?
Ou nous qui nous résignons ?
À suivre.
Incompétente! (2)
J’ai été envoyée chez des personnes malades, alcooliques, démentes.
J’ai été envoyée chez des personnes diabétiques, cardiaques, cancéreuses.
J’ai été envoyée chez des personnes amputées, handicapées, endeuillées.
J’ai été envoyée chez toutes sortes de personnes, avec toutes sortes d’histoires, sans presque rien savoir d’elles.
Que savais-je des pathologies de la vieillesse, de l’alcoolisme, de la démence?
Que connaissais-je du diabète, des cardiopathies, des cancers?
Qu’avais-je appris sur les personnes amputées, le handicap, le deuil?
Rien. Je ne savais rien, ou presque. Je ne connaissais que ce que j’avais vécu, de près ou de loin, à travers l’histoire de mes parents, ou la mienne, ou ma maigre expérience professionnelle.
Je suis allée chez toutes ces personnes, j’ai travaillé chez elles. J’ai fait à manger à des diabétiques, je suis allée marcher avec des cardiaques, j’ai parlé avec des déments.
Madame Grandchef leur a dit que toutes les auxiliaires étaient diplômées et expérimentées… sans leur préciser de quel diplôme et quelle expérience elle parlait. Toutes ces personnes m’ont plus ou moins fait confiance, elles m’ont confié leurs menus, leur intérieur, leur personne. J’ai fait des repas, des courses, des promenades, du ménage, des toilettes, chez des personnes dont l’histoire de vie se résumait parfois à deux lignes sur une fiche de liaison. Secret médical oblige, je ne savais (presque) rien d’elles. Le strict nécessaire : nom, prénom, adresse, mission. À la limite, la pathologie principale (Alzheimer, diabète…) et le nom du médecin traitant, et encore, pas toujours. Je glanais quelques infos à droite à gauche, auprès des collègues, de la famille, des infirmières libérales, mais ça restait de l’anecdotique, de l’ordre de la débrouille. Et puis, faut avouer que le projet de vie, la globalité de la personne aidée, tout ça, c’est pas franchement ouvert aux auxis hein! Une nana qui prépare la soupe et refait le lit a-t-elle vraiment besoin de savoir autant de choses?
Eh bien figurez-vous que oui! J’aurais aimé savoir ce qu’il fallait faire à manger pour Fernand, diabétique insulinodépendant. J’aurais aimé savoir communiquer avec Marie-Hélène, qui souffrait de la maladie d’Alzheimer depuis une dizaine d’années. J’aurais aimé aider Raymond, amputé d’une jambe, à se remonter dans son lit. J’aurais aimé connaître la bonne attitude à avoir avec Jean, endeuillé depuis peu, quand il me parlait de son épouse. J’aurais aimé pouvoir déceler les signes de souffrance chez Suzanne, qui souffrait d’une insuffisance cardiaque. Mais je ne savais pas, et j’ai sans doute fait et dit un paquet de conneries!
Vieillir chez soi, c’est bien. Vieillir chez soi avec un médecin traitant qui vous connaît bien et des infirmières qui prennent soin de vous, c’est encore mieux. Vieillir chez soi avec une auxiliaire de vie qui ne va pas vous envoyer au cimetière plus tôt que prévu parce qu’elle n’est ni formée ni informée… c’est la moindre des choses non? Continuer la lecture
Des gens
Il y a quelques semaines j’écrivais ça, et ça.
C’était dur. Je craquais complètement et j’étais à deux doigts de tout envoyer valser. L’école, les cours, les stages, les gosses, les factures, la famille… Un ras-le-bol de tout et de tout le monde. Un gros coup de mou et un moral au fond des sabots.
Et puis, en réponse, il y a eu ce blog. Stupeur et émerveillement.
Y a des gens, quand même, ils sont vraiment super chouettes.
Des gens que je connais un peu, ou à peine, voire pas du tout, et qui m’aident, comme ça, spontanément.
Des gens qui m’écrivent des choses d’une gentillesse inouïe, qui m’encouragent , qui me tendent la main.
Des gens qui me poussent à continuer.
Des gens qui me font réfléchir.
Des gens qui font preuve de bienveillance envers une stagiaire aide-soignante.
Des gens qui font confiance à une inconnue qui blogue.
Des gens que je rencontre parfois, quand ils passent en Bretagne.
Des gens que je découvre, au hasard d’un mail, d’un tweet, d’un blog.
Qui a dit qu’internet allait tuer la communication?
Le moral, ça va mieux. Le dernier stage, en EHPAD, a été un pur bonheur. Je sais qu’il existe des aides-soignants et des résidents heureux. L’Humanitude existe, elle habite à côté de chez moi. Moral regonflé à bloc. Et cerveau en ébullition. Car plus j’avance, plus je regarde en avant… et en arrière. Je me souviens de mes années, pas si lointaines, d’auxiliaire de vie à Morteville. Je pense à Madame Grandchef et à mes collègues. Je revois la maison de Madame LDV et le sourire de Madame M.
Le travail. La grossesse. La fin du travail. Mon père. Georges. La mort de mon père. Mon beau-père. La formation.
Que de chemin parcouru! Des histoires, des émotions, des rencontres. Des gens.
Je continue. J’avance droit vers mon diplôme, droit vers ce que je veux faire. Aide-soignante. Aide-soignante bientraitante et militante. Aide-soignante reconnaissante aussi. Parce que sans vous je n’y arriverais peut-être pas. Parce que j’aurais peut-être tout arrêté après le fucking stage. Ou avant. Parce que vos petits gestes et vos petits mots nourrissent les coeurs et les ventres (oui, je peux être poétique ET prosaïque dans la même phrase).
Parce que merci, tout simplement. Continuer la lecture
Grammar Nazi
Quand j’étais plus jeune (il y a longtemps), je voulais être professeur de lettres. J’aimais lire, j’aimais écrire, j’aimais la langue française, sa richesse, sa complexité. J’étais amoureuse des mots, des assonances, des alexandrins, des oxymores, de toutes ces figures de style qui font la mélodie d’une langue. J’ai passé un bac littéraire (logique) et me suis engagée avec joie dans des études de lettres. J’ai raté mes études. Ou plutôt, je n’ai pas pris la peine de les réussir. Disons qu’à l’époque, ma vie était un peu compliquée, et je n’ai pas su me consacrer à ce qui était vraiment important. J’ai fait autre chose. Mais je n’ai pas oublié les mots, et je les aime toujours autant.
J’ai fait une croix sur les études de lettres mais pas sur les lettres. Je lis, j’écris, tout le temps, tous les jours. Je lis des choses légères ou sérieuses, des livres, des blogs, des cours, des journaux, des forums… J’écris des billets de blog, des petits mots sur des post-it, des transmissions ciblées, des devoirs à rendre à l’IFAS. J’aime ça. J’aime le pouvoir des mots, j’aime le vocabulaire nouveau, il m’arrive d’éclater de rire devant la sonorité d’un terme un peu farfelu ou d’être inexplicablement émue devant un petit mot tout simple. Et surtout, j’aime les mots parce qu’ils enrichissent ma pensée. Il faut avoir vu « Alphaville » de Godard, il faut avoir lu « 1984 » d’Orwell, il faut être conscient de la chance que nous avons d’avoir une langue riche de nuances pour traduire nos émotions.
Quand on s’est rendu compte qu’Amélie ne parlait pas, ça a été un drame. Langue orale, langue des signes, PECS, Makaton… Autant de méthodes, autant d’échecs! Le langage, c’est la pensée, et je m’inquiétais de savoir comment cette enfant pouvait penser en l’absence de mots. Comment ressentir, s’exprimer, communiquer, si les mots sont absents? Amélie a fini par parler, et avec les mots est venue l’expression des émotions. Les émotions se sont transformées en sentiments, la parole a permis la communication, l’échange, et Amélie est entrée dans la vie « normale ».
Je sais que j’ai de la chance. Mes parents aimaient lire et j’ai grandi entourée de livres. Plus tard, j’ai rencontré des gens passionnants, un professeur de lettres, un philosophe, des blogueurs. Aujourd’hui encore, cet amour des mots me permet de raconter ce que je vis, d’apprendre, de comprendre. Je sais que tous n’ont pas cette chance. On ne choisit pas d’aimer quelque chose. On n’est pas tous égaux devant l’orthographe. On n’a pas tous les mêmes outils pour progresser. Je sais aussi qu’il y a des freins à l’apprentissage de la langue. Dyslexie, dysorthographie, dysphasie… Sans compter le milieu socioculturel, la famille, l’histoire de vie. Je sais aussi que je suis particulièrement pénible sur ce sujet, et que je manque cruellement de bienveillance. Parce qu’autant je peux comprendre qu’on ne maîtrise pas une langue par manque de moyens (pour toutes les raisons citées ci-dessus), autant il me semble incompréhensible de pondre un texte bourré de fautes parce qu’on ne s’est pas relu, parce que de toute façon « on s’en fout c’est sur internet », parce qu’on ne corrige pas les fautes soulignées en rouge par le correcteur orthographique, parce qu’on ne veut pas prendre cinq minutes pour vérifier l’orthographe ou l’accord d’un mot.
Je lis des choses ici et là qui me font bondir. Des phrases qui n’ont aucun sens, des mots qui n’existent pas, des accords impossibles. À force de fautes et de non-sens, le propos devient incompréhensible. Comment répondre à une question quand on ne la comprend pas? Comment recevoir une information quand elle ne veut rien dire? Comment prendre au sérieux quelqu’un qui revendique la reconnaissance d’un certain statut professionnel quand même le nom de son métier est écorché?
Alors non, ce n’est pas gentil de ma part de me moquer. Non, ça ne fait avancer personne, ni moi ni les autres. Oui, je manque réellement d’empathie sur ce sujet. Mais l’histoire que j’ai avec les mots m’a façonnée ainsi, elle a fait de moi une chipoteuse du verbe, une intolérante de la syntaxe, une véritable « Grammar Nazi ». Pardon. J’ai honte. En même temps, on ne peut pas être bienveillante avec tout le monde… Si? Continuer la lecture
Incompétente!
« Madame C : aide à la toilette et préparation du petit-déjeuner. »
En langage auxiliaire de vie, ça veut dire que la personne aidée est relativement autonome mais a besoin d’être accompagnée.
En langage commun ça veut dire que la personne aidée a besoin que tu lui beurres ses tartines et que tu lui savonnes le dos.
En langage Madame Grandchef ça veut dire qu’en vrai tu vas en chier.
Moi, j’étais naïve et débutante, je ne me suis absolument pas méfiée en voyant cette consigne sur mon planning. Une demi-heure pour beurrer des tartines et savonner le dos (et attention hein, pas le contraire!), hop hop hop, facile!
Sauf que…
Sauf qu’il y avait un piège. Car en vrai, réfléchissons un peu. Beurrer des tartines, c’est facile et tout le monde peut le faire, nous sommes d’accord. Savonner le dos, pareil. Oui mais attendez! Vous vous imaginez quand même pas que Madame C. allait gentiment m’attendre, dos nu, devant ses petites tranches de pain sagement alignées sur la table? Hein? Si? Ben non!
En vrai, il fallait frapper doucement à la porte, attendre, re-frapper doucement, re-attendre, entrer, se rendre compte que Madame C. dormait profondément, ouvrir les volets doucement, la réveiller tout aussi doucement, l’aider à se redresser dans le lit, l’aider à s’asseoir, lui mettre ses chaussons, l’aider à se lever, l’amener, à petits pas, jusqu’à la chaise, l’installer devant la table, faire chauffer de l’eau, beurrer les fameuses tartines pendant ce temps, servir la Ricoré avec les tartines, l’aider à prendre ses médicaments, puis, pendant qu’elle déjeunait, faire le lit et préparer les vêtements. Après le petit-déjeuner, aider Madame C. à se relever, l’accompagner à la salle de bain, l’aider à se déshabiller, l’aider à faire sa toilette (et nous arrivons au très attendu savonnage de dos), l’aider à s’habiller, la raccompagner dans la chambre, l’aider à s’asseoir confortablement. Puis débarrasser la table du petit-déjeuner, faire la vaisselle, au-revoir madame et à demain. Ajoutez à cela l’envie pressante du matin (donc avant le petit-déjeuner), la désorientation, (Où suis-je? Qui êtes-vous? Que fait-on?), le cahier de liaison à remplir et la fiche de présence à signer, les bas de contention, plus quelques autres petites broutilles inhérentes au métier d’auxiliaire de vie… Vous avez une demi-heure.
Personnellement, le matin, pour me lever/manger/me laver/m’habiller/émerger je mets pas loin d’une heure. Et encore, faut pas m’emmerder! Parce que je suis pas du matin. Alors quand j’aurai 85 ans, le corps et le cerveau ralentis et l’humeur chagrine, faudra pas me demander de faire la même chose en une demi-heure.
À l’époque, je débutais, et j’étais pas très douée. Pas organisée, pas habituée, pas formée. Du coup, l’aide à la toilette et le petit-déjeuner, en une demi-heure, ça me semblait moyennement faisable. Alors j’ai essayé plusieurs techniques.
Technique numéro un : soyons fous, faisons tout! Oui mais non, en une demi-heure ça tient pas, même en allant vite, même en mangeant sa biscotte dans la salle de bain (non, rassurez-vous, je suis pas allée jusque là… faut pas déconner quand même!).
Technique numéro deux : lever/pipi/toilette/habillage/installation petit-déjeuner, au-revoir Madame à demain. Mouais, c’est pas mal, sauf que… Laisser la dame toute seule à table, alors qu’elle ne peut pas se lever seule… Hem… Pas terrible ça. Sans compter le risque de fausse route, le risque de chute, et la vaisselle pas faite.
Technique numéro trois : lever/pipi/petit-déjeuner/petite toilette/habillage. Ok, ça passe. C’est un peu juste, mais en arrivant cinq minutes plus tôt et en repartant cinq minutes plus tard c’est jouable. Sauf que c’est la course, pour tout, que c’est mal fait, et que c’est stressant, pour la dame comme pour moi.
Technique numéro quatre : petit-déjeuner/toilette/habillage au lit… Non, je déconne.
Technique numéro cinq : aller voir Madame Grandchef et lui expliquer/avouer qu’en une demi-heure j’y arrive pas. Se faire engueuler parce que les collègues qui font le week-end y arrivent, elles. Argumenter/chouiner en disant que la dame n’est pas très en forme en ce moment, qu’elle est ralentie, qu’il y a un risque de chute… et maudire les collègues d’avoir toutes choisi l’option trois en se taisant.
J’ai finalement choisi la technique numéro cinq et j’ai obtenu une précieuse demi-heure supplémentaire. L’histoire pourrait être simple, mais elle ne l’est pas. Car avant d’arriver à cette simple conclusion qu’il me fallait plus de temps, j’ai hésité, tergiversé, essayé différentes façons de faire. Et qui a servi de cobaye? Madame C. bien sûr! Tous les matins, Madame C. a supporté avec bienveillance ma totale incompétence. Elle est restée souriante malgré ma maladresse, patiente malgré mes hésitations, indulgente malgré mes erreurs. Madame C. a été la première dame avec laquelle je me suis vraiment sentie auxiliaire de vie. Avec elle, j’ai pris le temps d’apprendre, de me tromper, de refaire, de découvrir.
Et tout en apprenant, tout en me trompant et tout en refaisant, j’ai été maltraitante. Maltraitante par négligence et par incompétence. Maltraitante dans ma façon d’être et ma façon de faire. Parce que je n’avais ni les bons mots ni les bons gestes. Parce que je ne savais pas. Parce que je croyais bien faire. Parce que je ne me posais pas les bonnes questions. Parce que j’étais non diplômée et non expérimentée. Parce que je travaillais bien au-delà de mes compétences sans me l’avouer. Parce que j’aimais beaucoup Madame C. et que je n’imaginais pas un seul instant être à côté de la plaque. Parce que je me sentais investie dans ce que je faisais. Parce que j’aimais mon travail, tout simplement.
La maltraitance se fait parfois avec la plus grande gentillesse qui soit. En voulant et en croyant bien faire. L’enfer est pavé de bonnes intentions.
http://ellaetvalentin.blogspot.fr/2013/11/maltraitante.html
http://toiicilamoiicila.wordpress.com/2013/11/27/moi-aussi-jai-ete-maltraitante/
Lucette et Lucienne (2)
Lucette, chez elle.
Lucienne, en EHPAD.
(lire le début ici)
À 13h, Lucette se sert un café au salon et s’installe confortablement devant le journal télévisé. Les nouvelles ne sont pas bonnes, comme toujours, et ça fait déprimer Lucette. Heureusement, la sonnerie du téléphone l’extirpe de cet amas de catastrophes. C’est Karine, sa petite fille, qui l’appelle pour prendre de ses nouvelles. Karine, c’est la fille de sa fille, alors entre elles, il y a comme un lien particulier. Vingt minutes de conversation plus tard, Lucette raccroche, le sourire aux lèvres. Parfois le bonheur c’est simple comme un coup de fil.
À 13h, Lucienne est installée pour la sieste. Couche propre (pardon, on ne dit pas une couche mais une protection, les mots ont leur importance, mais Lucienne n’est pas dupe, appelons un chat un chat et une couche une couche), barrières de lit remontées, sonnette à portée de main. L’installation au lit n’a duré que cinq minutes, l’aide-soignante est une rapide, ses gestes sont précis et efficaces. Trop précis, trop efficaces. Lucienne aurait aimé discuter un peu, elle est triste aujourd’hui, c’est son anniversaire de mariage et personne n’y a pensé. Si Maurice avait été en vie, ça leur aurait fait soixante ans de mariage. Mais Maurice n’est plus là, et leurs enfants ont bien d’autres choses à faire que se rappeler d’une date qui ne les concerne plus. Ils ont leur vie, loin, et Lucienne sent bien qu’elle est un poids pour eux. Si seulement elle pouvait se dépêcher de mourir, ça leur ferait au moins économiser le prix de l’EHPAD, tout est tellement cher de nos jours!
À 16h, Lucette est plongée dans une partie de scrabble avec sa voisine. Elle vient de poser un mot compte triple et elle jubile en comptant ses points : elle a ratatiné Simone, comme dirait Babeth avec son langage parfois très imagé! Cette victoire lui a ouvert l’appétit, une pause café s’impose. Ça tombe bien, Simone a justement apporté des petits gâteaux spécial diabète, dégotés chez le pâtissier de la place de l’église (un trésor ce pâtissier, un peu cher certes, mais une fois de temps en temps…).
À 16h, l’aide-soignante revient pour le goûter. Jus d’orange et madeleine en sachet individuel. Comme hier. Comme demain. Comme tous les jours. Lucienne regarde son plateau d’un regard morne. Pas faim. Pas envie. D’ailleurs a-t-elle encore envie de quelque chose?
À 19h, Lucette met le couvert. Ce soir elle mange léger : soupe et laitage. Après le repas elle ira siroter une petite verveine au salon. Il n’y a rien de bon à la télé ce soir, que des séries policières ou des films américains, alors elle se couchera tôt avec un bon livre. Ça tombe bien, Babeth lui a prêté un livre qu’elle vient de finir, « Alors voilà : les 1001 vies des Urgences », de Baptiste Beaulieu. Il paraît que c’est une vraie pépite, ça tombe bien, ça sera parfait pour passer une bonne soirée.
À 19h, Lucienne est couchée. Ce soir elle a « mangé en chambre », comme ils disent ici. Traduction : elle n’a pas été levée cet après-midi, l’aide-soignante est passée vers 18h lui servir une bouillie et ses médicaments, à 18h30 son plateau a été débarrassé, elle a été changée pour la nuit, ses volets ont été fermés et sa lumière éteinte. Maintenant, elle attend. Elle attend quoi? Elle ne sait pas. Le sommeil, agité, malgré le somnifère du soir. Les rêves, dont elle ne se souvient jamais. Les souvenirs, ceux qui la font sourire parfois et pleurer souvent. La mort, qui la délivrerait de cette vie de rien, cette vie qu’elle n’a pas choisie, cette vie qu’on lui impose à grands coups de médicaments et de repas forcés.
À 23h, Lucette dort profondément. Elle a veillé tard, le livre était passionnant et elle a eu du mal à le poser. Finalement la fatigue a eu raison des histoires d’hôpital, Lucette a posé le livre sur sa table de chevet, regardé sa photo de mariage dans son cadre doré, envoyé un baiser du bout des lèvres à Germain, éteint la lumière, et s’est endormie le sourire aux lèvres.
À 23h, Lucienne ne dort pas. Elle pense à Maurice. Maurice qui la soulevait dans ses bras comme une plume. Maurice qui lui couvrait le visage de baisers. Maurice qui la serrait fort contre lui avant de partir en mer. Maurice qui un jour n’est pas rentré. Tout simplement. Trente-quatre ans qu’il est parti. Trente-quatre ans qu’elle pleure. Trente-quatre ans qu’elle prie pour le rejoindre. Cette nuit peut-être? Lucienne espère fort, elle n’a plus que ça à espérer de toute façon.
Et pendant que Lucienne et Lucette dorment, des millions d’autres vieux dorment, rêvent, espèrent, ou pleurent dans leur lit, chez eux, à l’hôpital, en EHPAD…
Lucette et Lucienne (1)
Lucette, chez elle.
Lucienne, en EHPAD.
Le matin, Lucette se réveille avec la radio. Elle repousse les couvertures, pose un pied par terre, puis l’autre, et se lève doucement. Elle enfile une robe de chambre, la bleue, celle qui est bien chaude, ouvre les volets, et va à petits pas dans la cuisine se préparer un bon petit-déjeuner : du café (avec un peu de chicorée pour le goût), du pain grillé, du beurre, de la confiture maison (avec les fraises du jardin). Lucette mange lentement, elle a tout son temps et l’infirmière ne sera pas là avant une bonne heure.
Le matin, Lucienne est réveillée par l’aide-soignante. Lumière allumée, volets ouverts, lit (d’hôpital) redressé. Plateau en plastique (d’hôpital) posé sur l’adaptable (d’hôpital). Bol blanc (d’hôpital) empli de café, trois tartines de pain mou beurré, une poignée de médicaments et un verre d’eau. Serviette (d’hôpital) nouée autour du cou comme les enfants, bon appétit et à plus tard pour la toilette.
À neuf heures, l’infirmière arrive. Lucette a du mal à faire sa toilette toute seule depuis quelques années, alors l’infirmière vient l’aider pour la douche tous les matins. Savon à la violette de Toulouse, crème hydratante, parfum, un peu de rose aux joues pour donner bonne mine, voilà Lucette toute pomponnée. La robe bleu marine et le tricot assorti, ce sera parfait pour aujourd’hui. L’infirmière est toujours pressée, elle a du monde à voir le matin, mais son sourire et sa gentillesse font oublier la rapidité de la visite.
À neuf heures, l’aide-soignante revient pour la toilette. Un coup de gant (d’hôpital) sur le visage et le buste, un deuxième coup de gant au bas du ventre, hop hop hop, on se dépêche! Pas le temps de papoter, il y a encore 10 toilettes à faire. Savon liquide (d’hôpital), le même que la voisine, le même que le voisin, le même que tous les vieux dans tous les EHPAD. Les pieds? Pas le temps. Le shampoing? Pas le temps. Le brossage de dents? Pas le temps. Une chemise (d’hôpital) boutonnée dans le dos, facile à enfiler, facile à enlever, un gilet par-dessus, une jupe, Lucienne est prête. Prête pour quoi? Pour rien. Installée dans son fauteuil (d’hôpital), télé allumée, sonnette à côté, Lucienne attend le repas.
À dix heures, un coup de sonnette, voilà Babeth. C’est parti pour le marché du mercredi. Des légumes chez Roger le primeur, du poisson chez Bruno, des pommes chez Nicole, des oeufs et du fromage chez Simon, et du pain chez Carole. N’oublions pas la petite douceur du mercredi, un macaron au chocolat que Lucette partagera avec Babeth devant un petit café. Le diabète? Oh, un petit gâteau par semaine, on peut se le permettre non?
À dix heures, Lucienne somnole devant sa télé.
À midi, Lucette se prépare une petite ratatouille et une escalope. En dessert, juste une pomme, ça compensera le délicieux gâteau de ce matin. Ça sent bon dans toute la maison. Tout en se servant, elle regarde pensivement son assiette de porcelaine. C’est la vaisselle qu’elle avait achetée avec Germain pour leur premier Noël ensemble. Dix ans déjà qu’il est parti. Il lui manque. Lucette regarde le cadre posé sur le buffet, Germain lui sourit, elle lui sourit en retour. Qu’il est doux de se rappeler des bons souvenirs au milieu de ses objets. La radio diffuse du Barbara, Lucette se surprend à chantonner.
À midi, l’aide-soignante vient chercher Lucienne pour le repas. Au menu : crudités, purée et steak haché, fromage, compote. Assiettes blanches d’hôpital, serviette d’hôpital, menu d’hôpital. À table, les voisins de Lucienne ne sont pas bavards, chacun semble pressé de regagner sa chambre. La radio tourne en boucle dans la salle, mais ces chansons-là sont trop modernes pour Lucienne, elle n’en connaît aucune. Chez elle, elle écoutait Piaf et Aznavour sur son tourne-disques. Ici, elle n’a rien pour écouter la musique, elle se contente de la télé.
Monsieur Bitàlair (4)
Résumé de l’épisode précédent
Babeth, l’auxiliaire à couettes, doit faire « l’entretien du logement et l’aide à la toilette » chez Monsieur Bitàlair qui, comme son nom l’indique… Bref.
Problème numéro un : l’état du logement.
Problème numéro deux : l’état du bénéficiaire
Problème numéro trois : les deux ensemble.
Bref, c’est pas gagné.
À la fin de l’épisode précédent, Monsieur Bitàlair a accepté de sortir de son lit. Babeth doit maintenant profiter de l’occasion pour lui proposer une aide à la toilette (autrement dit, une douche et un change complet).
Monsieur Bitàlair se tient maintenant devant moi. Debout, il est moins impressionnant. Faut dire qu’il est vieux… et tout tordu… et pas très stable sur ses jambes. Mais il est toujours aussi en colère. Les insultes pleuvent. Inutile de répondre, ça ne ferait qu’envenimer la situation. Pourtant ça me démange. J’ai tout à la fois envie de soupirer, l’insulter, rigoler, partir en claquant la porte, gueuler un bon coup, manger un sandwich (oui, j’ai faim).
Mais je ne fais rien. Je le regarde et j’attends. Et je le lui dis.
– Je suis payée pour venir vous faire une aide à la toilette, Monsieur Bitàlair. J’ai tout mon temps, vous êtes le dernier sur mon planning, alors je vais attendre que vous ayez fini de m’insulter mais je ne partirai pas d’ici sans avoir fait mon travail.
Purée, parfois, je m’épate moi-même! Oui parce qu’en vrai j’ai plutôt envie de lui dire « casse-toi pov’con! » mais ça ne serait pas très professionnel, et puis il est chez lui, c’est plutôt à moi de partir.
Silence. Monsieur Bitàlair est venu à bout de son stock d’injures. Il avance vers moi, je m’écarte pour le laisser passer tout en lui demandant où se trouve la salle de bain. Pas de réponse. Forcément, après les injures, le mépris. Bien bien bien, je vais chercher toute seule alors. Pendant que Monsieur Bitàlair se grille une clope dans la cuisine (la douce odeur de tabac/pisse/crasse, un délice qui me fait immédiatement passer ma petite fringale), je trouve la salle de bain. Je prépare des vêtements propres (enfin, je prépare ce que je trouve), règle l’eau de la douche… et j’attends. Monsieur Bitàlair ne bouge pas. Bon, si le bénéficiaire ne vient pas à toi, tu iras vers le bénéficiaire (proverbe inventé à l’instant).
– Monsieur Bitàlair, vos affaires sont prêtes, on peut y aller?
– Non! Casse-toi salope!
– Monsieur Bitàlair, vous me l’avez déjà demandé tout à l’heure, et je vous ai déjà répondu que je n’en ferais rien. Je vous attends.
Mon calme m’étonne. C’est le calme avant la tempête. Parce qu’en vrai, je le regarde, et il me donne envie de vomir. En vrai. Il est sale, il est moche, il pue, d’ailleurs tout est sale et moche et pue chez lui, une heure ne suffira jamais, il faudrait des jours pour venir à bout de la crasse ambiante. Je suis abattue. Je suis là, debout devant lui, je l’attends bêtement, et lui il fume sa clope sans même me regarder, il se fout pas mal de tout ça, il veut juste qu’on lui foute la paix.
Que dois-je faire? Quelle est la bonne posture professionnelle?
Je pourrais le laisser tranquille. Après tout, rien ne l’oblige à se laver s’il n’en a pas envie. Et puis c’est pas mon problème s’il est sale et qu’il pue. Et puis je vais quand même pas le forcer! De quel droit le ferais-je?
Je pourrais faire autre chose en attendant qu’il se décide. Vaisselle, balai, poussière, lit, lessive… Tout en fait! Et partir au bout d’une heure, toilette ou pas toilette.
Je pourrais appeler Madame Grandchef pour lui exposer la situation. Ouais mais ça la fout mal, ça fait genre « je suis débutante et je sais pas quoi faire ». Et puis Madame Grandchef va mal le prendre. Et puis qu’est-ce que je vais lui dire d’abord?
Je pourrais partir en claquant la porte. Après tout je suis payée pour être auxiliaire de vie, pas pour me faire insulter.
Je pourrais lui parler. Oui mais pour lui dire quoi? L’amadouer? Négocier? Me mettre en colère? Merde, c’est pas un gosse, il n’est pas sous tutelle, il n’est pas dément, il faut que je puisse instaurer une relation normale avec lui.
Je pourrais le forcer. Euh, non, je pourrais pas en fait!
Je pourrais transiger. Voilà. M’adapter à la situation. Trouver le compromis qui soit le moins pénible pour lui et pour moi.
Reste à savoir comment.
À suivre. Continuer la lecture
En passant (2)
Un petit billet rapide, juste comme ça, pour donner des nouvelles.
Je fais toujours mes tournées de pain. Je sillonne la campagne avec pains et baguettes, je rends la monnaie et les sourires, je me fais offrir des fraises… Bref, j’adore! Toutes les bonnes choses ayant une fin, Pierrette revient bientôt… C’est con, ça va me manquer comme boulot.
J’ai fait ma pré-rentrée à l’IFAS. Découverte de la promo et du planning, essayage des tenues de stage, questions diverses et variées sur les dossiers d’inscription, les vaccins, les stages… Je me dis que dans moins de trois mois je serai en train d’apprendre… Hâte hâte hâte!
J’ai profité de l’occasion pour créer un nouveau blog, blog dédié à mon changement professionnel. C’est là : http://www.aidersoigner.com/
C’est tout nouveau, et pas encore tout beau. Je suis à la recherche de blogs sur les soignants, si vous avez des idées, je suis preneuse!
J’écris encore ici, bien sûr, parce que j’ai encore plein plein de choses à raconter… Il suffit de regarder autour de soi, finalement, tout est matière à observer/s’émouvoir/raconter.
Le Journal du Domicile publie certains des billets de mon blog dans une rubrique intitulée « Dans la tête de Babeth ». Même Monsieur Bitàlair est à l’honneur! Petite émotion quand j’ai reçu les revues… C’est joli un texte sur du papier.
Et du coup, voilà, en parlant de papier… Voilà que ça me reprend! Jaddo publie son livre, Borée aussi, Dominique aussi… et puis d’autres avant eux (que vous ne connaissez peut-être pas, mais dont je vais vous mettre les liens, parce que ça vous fera de la lecture… Ne me remerciez pas, j’aime rendre service).
Bon bon bon… J’ai bien envie d’essayer… Sauf que voilà, après le blog de la caissière, le blog de la flic, le blog de la bonne et les blogs de docteurs/avocats/vétérinaires, pas sûr que le blog de l’auxi au chômage intéresse grand monde… Du coup, je choisis la simplicité, j’opte pour Kindle, ce qui me permet de ne pas faire d’avance de frais (parce que bon, faut pas déconner, je suis pauvre!).
Allez, qui ne tente rien n’a rien, et puis qui sait, peut-être qu’un éditeur passera par là…
Et au milieu de tout ça, Georges qui grandit, Amélie qui fait son premier voyage scolaire, des rencontres intéressantes, des projets… Bref, on avance on avance…
Allez, pour finir, ma petite liste de bouquins à lire si vous avez le temps/l’envie :
Guide philosophique pour penser le travail éducatif et médico-social, tome 1 Alain Boyer (voir aussi tomes 2 et 3, du même auteur)
Mon bonheur est dans le ciel : Journal d’une hôtesse de l’air Susana Laliga
Lignes aériennes : Histoires du plus beau bureau du monde Jacques Darolles
La couleur préférée de ma mère Dorine Bourneton
Juste après dresseuse d’ours Jaddo
La revanche du rameur Dominique Dupagne
Loin des villes, proche des gens : Chroniques d’un jeune médecin de campagne Borée
Bonnes lectures! Continuer la lecture
Joyeux anniversaire!
Semaine de tous les dangers.
Georges marche. C’est chouette un petit bonhomme qui grandit. Il aura un an dans dix jours. Un an, déjà.
Ce qui veut dire que ça fera bientôt un an que mon père est mort. Demain il aurait dû avoir 65 ans. Voilà, je vous laisse imaginer mon humeur du soir.
L’an dernier, nous savions tous que c’était son dernier anniversaire avec nous. Chez nous, les anniversaires, c’est assez classique : une bonne bouffe et des cadeaux. Sauf que quand on a un cancer de l’oesophage et qu’on est perfusé, une bonne bouffe… On aurait pu se rattraper sur les cadeaux, mais on a un peu manqué d’inspiration. Parce que bon, concrètement, on offre quoi à quelqu’un qui va mourir dans (très) peu de temps? Vous avez déjà réfléchi à ça vous? Moi oui. L’an dernier. Et je peux vous dire que c’est pas simple. Fort heureusement, Borée a eu l’excellente idée de publier son livre à cette période. Un livre, c’est bien, ça fait passer le temps, surtout quand c’est bien écrit, et on peut raisonnablement espérer le finir avant de mourir. Donc voilà, j’ai offert le livre à mon père, et il était content. Et moi-aussi, parce que j’avoue que j’étais pas mal fière de pouvoir lui dire que je connaissais l’auteur en vrai. Bon, par contre, pour la fête des pères… Bref.
Et cette semaine, re-voilà le 13 juin. Et la fête des pères. La même semaine. Donc forcément, grosse déprime. J’aurais pu me dire qu’on allait fêter ça avec beau-papa mais non. Raté. Du coup je sens venir la tristesse au grand galop pour mon mari et moi. Un mauvais moment à passer.
Allez, positivons. Un cadeau d’anniversaire et deux cadeaux de fête des pères en moins à acheter! Comment ça je suis ignoble? Non, juste pragmatique. Je vais vous expliquer pourquoi. Rassurez-vous, ce ne sera pas long, je tombe de sommeil et j’ai hâte d’aller déprimer sous ma couette.
Je suis donc au chômage depuis le mois de septembre. Enfin non, pas tout à fait, c’est plus compliqué que ça. Disons que j’ai perdu mon emploi principal (30h/semaine) mais que j’ai conservé mon emploi secondaire (3h/semaine). Pôle Emploi a eu beaucoup de mal à comprendre cette petite phrase, et j’ai dû aller plusieurs fois le leur expliquer. Calmement. Sans m’énerver. Alors que la seule envie que j’avais, parfois (souvent), c’était de faire bouffer ma fiche de paie à l’employée de l’accueil. Mais c’est une autre histoire. Bref, il a fallu plusieurs mois de négociations pour que mon (tout) petit salaire ne soit plus déduit de mes allocations. Parce que bon, sur 690 euros d’allocation, quand on enlève 70 euros de salaire pour l’activité conservée, ça fait pas lourd (oui, cher lecteur, tu as bien lu : 690 euros, ça fait rêver hein?).
Et puis, ô joie, ô divine surprise, Pierrette se casse le poignet (désolée Pierrette, en vrai je t’aime bien) et je la remplace. C’est pas lourd hein, 13h par semaine, mais bon, ça m’occupe, c’est un boulot sympa, et puis vu que mon petit contrat de 3h/semaine prend fin ce mois-ci, ça me permet de continuer à travailler, histoire de ne pas devenir une nantie de chômeuse avachie en pyjama/charentaises/bigoudis devant les feux de l’amour! Et accessoirement, je me dis que ça mettra un peu de beurre dans les épinards.
Mais ça, c’était sans compter sur Pôle Emploi.
Début juin, le boulanger me paie. Deux semaines de travail, soit 150 euros. Mon autre petit contrat (celui de 3h/semaine, vous suivez?) n’est pas payé puisque la dame est hospitalisée. Ben oui, elle est pas là, donc je bosse pas, donc voilà : pas de boulot, pas de salaire, logique! Du coup, j’ai posé les quelques congés qui me restaient à prendre, ce qui va me faire un salaire mirobolant de… 35 euros!!! Pour résumer, ce mois-ci je dois donc compter sur les 690 euros de Pôle Emploi, les 150 euros de la boulangerie et les 35 euros de Madame Petitchef. J’ai connu pire, ça devrait le faire. Sauf que… Ben oui, vous vous doutiez bien que c’était trop simple!
Sauf que Pôle Emploi ne me paye que quand ils ont mes fiches de paie en leur possession. Celle du boulanger, pas de problème, je l’ai reçue très vite, mais celle de Madame Petitchef… Une fois les fiches de paie arrivées, il faut en remettre une à mon agence locale et il faut envoyer l’autre à Arras. Ah ben oui, c’est compliqué, il y a une activité conservée ET une reprise d’activité, alors ça fait deux traitements différents (je vous rappelle que c’est vos impôts qui payent tout ça, je dis ça comme ça hein). Donc, le temps de recevoir mes fiches de paie, puis le temps que qu’Arras reçoive tout ça, puis le temps que tout ça soit pris en compte, nous voici presque à la mi-juin, le banquier s’étrangle de stupeur devant mon compte, on mange des pâtes à toutes les sauces (sauce camembert, sauce tomate, sauce gruyère, sauce sans sauce) et miracle, le fameux versement arrive! Je vous rappelle que ce mois-ci j’avais naïvement compté sur 690+150+35 euros, soit un total hallucinant de 875 euros! Ben non.
Pôle Emploi, qui est joueur, trouve que décidément, je suis une putain de nantie de travailleuse, donc mon allocation est (très légèrement) revue à la baisse. 590 euros. Joie.
Donc, deux semaines de boulot valent 50 euros. OK. Je me plains pas hein, en Chine je peux vivre un mois avec 50 euros, facile!
Je rappelle en passant que si je m’étais contentée de ne pas bosser, j’aurais actualisé ma situation fin mai et aurais perçu mes 690 euros d’allocations début juin, ce qui aurait évité à mon cher et tendre banquier (vous le sentez tout mon amour là?) de se faire des cheveux blancs. Accessoirement, ça m’aurait aussi économisé de l’essence (oui parce que je vais bosser en voiture… Je suis une nantie j’vous dis).
Du coup, je relativise vachement par rapport à la semaine pourrie qui m’attend.
Parce que bon, d’accord on est tristes, je déprime, mon frère déprime, mon mari déprime, mes belles-mères dépriment. Mais bon, positivons, on économise trois cadeaux. Et ouais!
Elle est pas belle la vie?
PS : il est minuit. Joyeux anniversaire papa. Cette année t’auras pas de cadeau mais ça m’empêche pas de t’aimer. Très fort. Tu me manques. Continuer la lecture
Première cérémonie des Googlars
auxiliaire de vie boulot de merde : parfois, oui. Et puis d’autres fois, non. Change de boulot.
PS : si vous avez d’autres idées laissez-les dans les commentaires qu’on rigole!
chronomètre de la vieillesse : bien que je ne la comprenne pas, je trouve l’expression jolie, je tiens à le dire.
vieux et merveilles (et des bisous pour babeth) : toi, je t’adore!
Bon là en vrai je suis tellement effarée que j’ose rien dire. Parlez-en à quelqu’un, en vrai. Les flics, votre médecin, un ami…
soulever sa femme : alors, tu peux la porter comme une princesse, la hisser sur ton dos (voire sur tes épaules si tu es très fort), la prendre sous les épaules (mais tu risques de lui faire mal). Sinon, plus simple, tu la traînes par les pieds (mais faut qu’elle soit d’accord).
chaton moins vif que les autres : je te conseille plutôt de poser la question chez Fourrure. (Sans vouloir te mettre la pression, es-tu sûr que ton chaton n’a pas percuté une voiture récemment? Je dis ça comme ça hein!)
trouver un pédopsychiatre : ici, non, mais sur les pages jaunes, oui.
j’ai 74 ans et suis fatiguée le matin: est-ce que tu dors assez la nuit? (Sinon, question con, c’est pas toi qui tripotes ton petit-fils la nuit? Non parce que faudrait arrêter maintenant hein!)
La suite bientôt, promis, avec une catégorie sexe qui vous fera frémir de plaisir… Ou pas!
Des sourires et du pain
J’aime bien le mercredi. D’abord parce qu’il n’ y a pas école, donc pas besoin de se lever en bougonnant pour préparer Amélie. Et puis aussi parce qu’il y a Pierrette. Vous ne connaissez pas Pierrette? Mais tout le monde connaît Pierrette voyons! Pierrette, c’est la boulangère. En fait, non, elle n’est pas boulangère mais livreuse de pain, mais bon, livreuse de pain c’est moins joli, alors on dit boulangère, voilà. Bref, reprenons.
Je disais donc, j’aime bien le mercredi, parce qu’il y a Pierrette. Quand je ne travaille pas (ce qui arrive relativement souvent ces temps-ci), je me lève vers 9h, je me fais un petit café, et j’attends. Vers 9h05, j’entends une voiture se garer devant la maison et klaxonner. C’est Pierrette. Je sors, et elle est là, qu’il pleuve ou qu’il vente (voire les deux, ce qui est assez fréquent en Bretagne), toujours souriante, toujours avenante. Je prends toujours la même chose : pain aux céréales et viennoiseries, promesse d’un bon petit-déjeuner. Elle note dans son petit carnet pour faire la note du mois, on échange deux-trois petits mots gentils, et elle repart vers d’autres maisons.
Avouez, ça vous fait rêver hein? Et même, j’en rajoute une couche, je vous parle du mercredi mais Pierrette livre aussi le vendredi! Eh ouais!
Sauf que voilà… C’est bien joli tout ça, Pierrette, les croissants, la voiture qui fait tut tut, le sourire… Mais il y a dix jours, le drame! Pas de Pierrette! Pas de voiture qui fait tut tut, pas de pain, pas de sourire… Et mon café sans croissant… Imaginez un peu! Pierrette est montée sur une chaise, a glissé, est tombée. Boum Pierrette, et crac le poignet, c’est cassé.
Et autour de chez moi, des dizaines de maison sans pain, sans sourire, sans voiture qui fait tut tut. Sans Pierrette.
Il fallait trouver une solution, et vite! Ben justement, la solution, elle est là, sous mes yeux. Les sourires et les voitures qui font tut tut, je sais faire. Les petites routes de campagne, les personnes âgées isolées… Je connais. Et voilà Pierrette remplacée par Babeth. Pierrette me prépare les itinéraires, m’explique les tournées, les habitudes, les pains, les prix, et c’est parti!
Aller jusqu’aux trois croix, prendre la première route à droite puis entrer dans la cour de la ferme tout de suite à gauche, l’argent est sur la boîte aux lettres, le chien s’appelle Triskell, il aboie fort mais ne mord pas.
Revenir sur ses pas, tourner à gauche après la maison aux volets rouges.
Klaxonner dans le village, si quelqu’un veut quelque chose il te fera signe au retour.
Simone n’est pas toujours là, demande à sa soeur en passant, elle te dira s’il faut y aller ou pas.
La Parisienne préfère le pain bien cuit.
Chez Gentilledame tu rentres directement dans la cuisine, elle a du mal à marcher.
Monsieur Bavard essaiera de te faire parler des voisins, ne te fais pas avoir.
Chez Mademoiselle Chignon c’est seulement le jeudi.
N’oublie pas de mettre les croissants de côté pour Madame Chocolats.
Alors je roule, je klaxonne, je m’arrête, je souris (beaucoup), je parle (un peu).
Je distribue des pains de 2l, des baguettes, des croissants, des boules farinées, des pains complets…
Je compte, je rends la monnaie, je note, je prends des commandes.
Je découvre des routes, des chemins, des maisons, des paysages, à deux pas de chez moi.
Et puis, surtout, je vois des gens, plein. Des agriculteurs, des retraités, des Parisiens, une jeune maman, un centenaire…
Ils habitent parfois à côté de chez moi, parfois à une dizaine de kilomètres, je ne les connais pas, mais eux me connaissent.
« Ah c’est toi, Babeth? La Toulousaine? C’est bien toi qui habites l’ancienne maison du couvreur? Ton beau-père est mort le mois dernier non? »
Un tut tut, un sourire, et je repars.
Finalement, livreuse de pain, c’est un peu comme auxiliaire de vie, le ménage en moins. Continuer la lecture
Trop bonne trop conne
2003, année de la canicule. J’habite à Toulouse, et autant vous dire qu’ici, la canicule, on la sent bien passer! Je débute dans la profession (j’en ai déjà parlé ici), je n’ai ni l’expérience ni le bon diplôme mais bon, on manque de main d’oeuvre alors… Alors me voilà.
Cette première expérience est une catastrophe, je suis très vite en burn-out. Une accumulation de détails, de petites phrases, de petits gestes, un excès de mépris en somme, font que je démissionne au bout de trois mois. Belle connerie! Démissionner d’un CDI c’est pas très malin. C’est même carrément con. Avec le recul, c’est ce que je me dis. Sur le moment, je crois que c’était la seule solution. Je partais au travail en pleurant, je bossais en pleurant, je rentrais chez moi en pleurant. J’encaissais le mépris et l’insolence de la famille et de la personne aidée, pour un salaire de merde, avec des horaires de merde, en faisant un boulot de merde. Vous l’aurez compris, c’était la merde!
Cette année-là, la canicule causera la mort d’environ 15 000 personnes. La nonagénaire dont je m’occupe survivra, elle.
Des gens très bien sont morts. Des gens très cons ont survécu. La vie n’est pas toujours juste.
Dix ans ont passé. La nonagénaire est morte. J’ai quitté Toulouse. Mariée, deux gosses. Je suis toujours auxiliaire de vie, après un petit détour par d’autres choses, mais ce n’est pas le sujet de ce billet (un jour peut-être). Sacrée expérience sur le CV mais… Toujours pas le diplôme qu’il faut. Manque de volonté? Manque de temps? Manque d’argent? Non. Manque de tout et de rien. Pour vous expliquer, laissez-moi vous parler de Nicole.
Nicole est arrivée à Morteville deux mois après moi. En été, il faut du renfort, et nous sommes là pour ça. Madame Grandchef a du mal à recruter, sa boîte a mauvaise réputation, ici ça tourne et les filles ne restent pas. Nicole et moi ne savons rien de ça. Fraîchement embauchées et contentes d’avoir du travail, on fait nos heures en espérant être gardées après la saison. J’aime bien Nicole, je la trouve gentille, alors on essaie de prendre nos pauses repas ensemble. Bizarrement, elle arrive toujours en retard. Faut dire que la gentillesse de Nicole, justement, ne lui rend pas service.
« Dites Mademoiselle, avant de partir, vous ne voudriez pas aller chercher mon courrier? »
Et Nicole va chercher le courrier, sous la pluie, pour éviter à la petite dame malade de se mouiller.
« Dites Mademoiselle, avant de partir, vous ne voudriez aller chercher du pain? Nous n’avons plus rien pour ce midi. »
Et Nicole va chercher le pain, parce qu’elle ne voudrait pas que le gentil couple manque de quelque chose.
« Dites Mademoiselle, avant de partir, vous ne voudriez pas ranger les courses? »
Et Nicole range les courses, parce que le monsieur a demandé gentiment, avec un gentil sourire, alors bon.
Trop bonne, trop conne.
La gentillesse de Nicole, les gens l’ont vite repérée, et le piège s’est refermé. Ce qu’elle a commencé à faire par gentillesse, elle le fait maintenant par habitude. Forcément, quand Nicole est remplacée, ça leur fait tout drôle aux gens. Les autres ne sont pas aussi gentilles. Elles n’arrivent pas en avance et ne partent pas en retard. Elles ne leur donnent pas leur numéro de portable pour qu’ils puissent décaler les prestations ou demander de « prendre le pain en passant ». Non, les autres ne sont pas aussi gentilles. Alors ils appellent Madame Grandchef pour demander qu’on leur envoie Nicole. Les vieux aiment Nicole, Madame Grandchef aussi, tout va bien.
Tout va bien? Non, pas vraiment. Nicole habite loin. Une heure de route le matin, une heure de route le soir, c’est fatigant. Surtout le week-end, avec les horaires en coupé. Parfois, pour bosser vingt heures, Nicole vient cinq fois quatre heures. Pour bosser vingt heures, elle fait donc dix heures de trajet. Mais Nicole ne dit rien. Parce qu’elle est gentille. Et puis aussi parce qu’elle ne veut pas se faire remarquer. Et puis aussi parce que Madame Grandchef a pris l’habitude de refiler les horaires de merde à Nicole, vu qu’elle ne dit jamais rien.
Trop bonne, trop conne.
Nicole est en CDD, comme quasiment toute l’équipe. CDD renouvelable chaque année. Certaines filles sont là depuis quinze ans. En CDD. C’est comme ça dans la fonction publique, on ne s’étonne plus de rien.
À chaque fin d’année, Madame Grandchef nous reçoit dans son bureau pour faire le point. On reçoit notre note et notre appréciation, on parle de ce qui va ou pas, on exprime nos souhaits pour l’année qui vient. Grand moment de stress pour tout le monde. Notre contrat peut s’arrêter là, dans ce petit bureau, face à Madame Grandchef. Alors on se fait humble, on dit que tout va bien, oui oui, tout est parfait, vraiment. Et puis on se redresse un peu sur notre chaise, et on ose… Juste, si on pouvait faire un peu plus d’heures, ce serait bien… Et puis une formation aussi, si c’était possible. Une formation d’auxiliaire de vie… Ou d’AMP… Ou une VAE, oui, ça serait bien ça… Oui mais non (souvenez-vous, j’en ai parlé ici). Pas possible. Trop cher. Pas le moment. Pas le temps. Pas assez d’expérience. Pas prioritaire. Bref, Madame Grandchef a toujours réponse à tout. Et comme elle est futée, elle n’écrit jamais rien. Ça reste entre nous, dans le bureau. Pas d’écrit, pas de preuve. Pas de demande, pas de refus. Et nous, on la croit. Et Nicole la croit aussi.
Trop bonnes, trop connes.
Je ne suis plus à Morteville et je ne m’en plains pas. Financièrement, je galère, mais je sais que ça ira mieux dans quelque temps, quand j’aurai mon diplôme d’aide-soignante. Parce qu’avec un vrai diplôme j’aurai un vrai boulot, avec des vrais horaires et un vrai salaire. Je serai pas riche pour autant, mais au moins j’aurai cessé d’être pauvre.
Finalement, je l’aurai eue ma formation. Et mine de rien, c’est un peu grâce à Madame Grandchef. Si elle savait!
Et Nicole? Ben Nicole, rien. Elle est toujours à Morteville, elle vient de signer un CDI. Toujours pas à temps plein, mais Madame Grandchef a laissé entendre que d’ici un an ou deux, peut-être…
Toujours pas diplômée, mais Madame Grandchef lui a redit que ce n’était pas le moment. Mais dans un an ou deux, peut-être…
Trop bonne, trop conne.
Pourquoi je vous raconte tout ça? Parce qu’hier c’était la journée de la solidarité, vous savez, cette fameuse journée où on travaille pour rien, enfin non pas pour rien, pour les personnes âgées et/ou handicapées. D’après vous, que devient l’argent récolté ce jour? En principe, « cela se traduit par le recrutement de personnels en maisons de retraites ou en structures spécialisées, le financement d’heures d’aide à domicile, l’aide à la modernisation ou à la reconstruction de maisons de retraites ou d’instituts spécialisés pour personnes handicapées, ou encore le renforcement de la professionnalisation des services d’aide à domicile. » (source : Dernières Nouvelles d’Alsace)
Bien. Chouette projet non? Et maintenant relisez la dernière ligne : « renforcement de la professionnalisation des services d’aide à domicile ».
Voilà.
Trop bonne, trop conne.
PS : Madame Delaunay, je vous dédie ce billet. Non que je vous trouve « trop bonne trop conne », mais tout simplement parce que j’aimerais que pendant vos nombreux déplacements vous regardiez aussi du côté des auxiliaires de vie, ces présences discrètes et pourtant si souvent indispensables au maintien à domicile des personnes âgées. Continuer la lecture
Combien vaut ta vie?
Elle a trois ans. C’est une adorable petite fille. Une adorable petite fille avec un adorable sourire. Une adorable petite fille avec une putain de leucémie.
Plus d’un an qu’elle est à l’hôpital. Chimios, greffe, chambre stérile… Drôle de vie pour une enfant. Une vie loin de chez elle, loin de sa soeur et de son père, avec pour seul horizon les murs blancs de sa chambre d’hôpital, pour seule compagnie sa mère et l’équipe soignante.
Et puis, une pause. La petite fille peut rentrer chez elle. Oh, pas longtemps, juste une petite semaine, histoire de recharger un peu les batteries avant les prochains traitements. Une petite semaine qui lui ferait du bien, chez elle, dans sa chambre, avec sa famille. Il y a juste un petit détail à régler. Oh, un tout petit détail, mais un détail avec des poils et des pattes : les chiens. Il y en a trois à la maison, ainsi qu’un chat, et ça, le médecin, il est un peu sceptique. Pour une raison d’hygiène, il vaudrait mieux que les animaux soient éloignés quelque temps, ce serait plus simple. Simple? Pas tant que ça.
« Les animaux étaient là avant ma fille », dit le père. Tout est là, dans cette petite phrase. Les animaux sont prioritaires, la petite fille ne rentrera pas chez elle. Tant pis. De toute façon, c’est pas grave, elle est morte quelques mois après… Sans être rentrée chez elle.
Entre ta fille et tes chiens, choisis ton camp camarade!
Elle a cinquante-sept ans. Elle prend soin d’elle. Elle mange bio et fait du sport. C’est une belle femme qui respire la santé. Son mari, lui, est bel homme et respire le tabac. Lui, le bio et le sport, c’est pas sa passion. Au tofu/footing il préfère le whisky/clope. Chacun son truc. Elle court dehors, il fume dedans. C’est souvent un sujet de discorde entre eux. Elle passe trop de temps dans les bois, il passe trop de temps dans la fumée. N’empêche, le cancer, il sera pour elle, pas pour lui. Cancer du poumon, chez une non-fumeuse, c’est dommage. Parfois la vie est ironique. Cerise sur le gâteau, elle sera incinérée.
Entre ta femme et tes clopes, choisis ton camp camarade!
Elle a quatre-vingt-treize ans.Elle est veuve et sans enfant. Elle est aussi aveugle et paraplégique. Mais son mari, lui, avait des enfants d’un premier mariage, elle n’est donc pas vraiment seule. Deux solutions : placer mamie en maison de retraite ou laisser mamie à la maison. La maison de retraite, c’est cher, et puis qui va payer? Rester à la maison, finalement, c’est une bonne solution. Une auxiliaire de vie matin, midi et soir pour les levers/repas/couchers, un passage infirmier par jour, et pour le reste, on mettra la télé, ça fera de la compagnie. Tant qu’à faire, on va demander à Nicole, la nièce du mari décédé, de faire le boulot. Vu qu’elle est au chômage ça lui fera un petit revenu. Tant pis si elle n’est pas formée pour ça, tant pis si c’est mal fait, tant pis si mamie serait mieux ailleurs avec des gens qui lui parlent que coincée chez elle avec la télé toute la journée.
Entre ton fric et ton humanité, choisis ton camp camarade!
Et toi, combien vaut ta vie? Vaut-elle celle d’un chien? Celle d’un paquet de clopes? Celle d’un compte en banque?
Qui s’occupe de toi? Qui te tient la main quand tu as peur? Qui te sourit? Qui te console?
Qui te fera à manger quand tu ne pourras plus le faire? Qui viendra t’aider à te lever chaque matin? Qui viendra te raconter la vie de dehors?
Qui te fermera les yeux? Continuer la lecture
Monsieur Bitàlair (3)
Bon bon bon… Je vous sens fébriles et impatients. Faut dire que j’ai lâchement laissé l’histoire de Monsieur Bitàlair en suspens, le temps de vous annoncer une bonne nouvelle, et puis le temps de m’occuper de Georges, et aussi le temps de tomber malade (c’est fou comme un gros rhume peut vous pourrir la vie), et puis aussi le temps de plein d’autres choses.
Bref, reprenons.
Je débarque donc chez Monsieur Bitàlair avec mes couettes innocentes et ma petite fiche de liaison sur laquelle il est sobrement écrit « aide à la toilette et entretien du logement ». Foutaises!
Je frappe à la porte. Pas de réponse. Je re-frappe. Grognements divers et variés à l’intérieur. La porte reste close. Je re-re-frappe. Et j’entre. Je ressors aussitôt. L’odeur. Putain, cette odeur! Pisse et clope. Je sens que ça va être génial. Allez Babeth, courage, vas-y! Je re-entre. Splitch splotch. Bizarre cette sensation d’humidité sous mes pieds. Une fuite? Une inondation? Splitch splotch. Ça colle un peu. Oh mais suis-je bête? (Oui, je le suis, mais parfois je me pose la question pour vérifier) Une forte d’urine ET du splitch-splotch… Mais oui mais c’est bien sûr! Je patauge dans la pisse! Ô joie, je sens que ça va être encore plus génial que prévu.
Pénombre. Je hasarde un « bonjour ». Pas de réponse. Enfin si, un truc inaudible, comme un grognement venant des entrailles du taudis de la maison. Splitch splotch. Il va falloir que je trouve d’où vient le grognement, j’ai une aide à la toilette à faire. Et un « entretien du logement ». En une heure. Ben c’est pas gagné.
Grognements et éructations, je crois que j’ai localisé Monsieur Bitàlair. J’avance prudemment. Splitch splotch. C’est pas possible, il y en a partout, une inondation de pisse. J’ouvre les volets au fur et à mesure que je passe devant. La clarté remplace la pénombre, et je suis désespérée face à ce qui m’attend. Une heure pour la toilette et le ménage. Non mais c’est du foutage de gueule! Monsieur Bitàlair est devant moi. Avachi dans son lit, baignant dans sa pisse et ses excréments, grognant et vociférant.Je ne suis pas la bienvenue. « Ordure! Pute! Salope! Fous le camp! ». Douces paroles et chaleureux accueil que voilà. Pas grave. Respire. Euh… Non, mauvaise idée. Reste polie. Prends sur toi. Plus que 55 minutes, ça va passer vite. Bon bon bon. Ce monsieur n’a visiblement pas très envie d’une aide à la toilette. Va falloir négocier.
Première étape : le sortir du lit. Enfin non. Faire en sorte qu’il accepte de quitter le lit, nuance. Respect de la personne toussa toussa. Manque de pot, Monsieur Bitàlair n’a pas l’air enthousiaste à l’idée de quitter sa couche douillette. Pas grave, je vais commencer par l’entretien du logement, on verra plus tard pour le reste. Ça tombe bien, il faut que je change les draps.
Étape numéro un : check. Passons à l’étape numéro deux : la douche!
À suivre… Continuer la lecture
Une fin… Et un début
Il y a quelques mois, quand j’avais encore un boulot (et un père), j’ai fait part à Madame Grandchef de mon désir de formation. Parce que bon, j’ai un bac qui ne me sert pas beaucoup (enfin si, il me sert à savoir lire et écrire, pour tenir un blog c’est important), un diplôme de moniteur-éducateur qui ne me sert à rien d’autre qu’à me faire mousser auprès des éventuels employeurs d’aides à domicile (mais bizarrement, pour les employeurs de moniteurs-éducateurs, ça marche pas, j’ai pas assez d’expérience), un vague brevet de secourisme et… Ben rien. Quelques formations professionnelles, de l’expérience en veux-tu en voilà, mais ça paye pas tout ça. Parce que dans ce boulot, ce qui compte ma ptite dame, c’est LE DIPLÔME! Le fameux DEAVS, à la limite le titre d’assistante de vie aux personnes, la panacée des quinquas au chômage, la gloire de Pôle Emploi qui reconvertit n’importe quelle chômeuse longue durée en super auxiliaire super efficace super efficiente (et je m’excuse par avance auprès de toutes les quinquas au chômage). Sauf que moi, le diplôme, je l’ai pas. J’ai un bac, j’ai un diplôme, j’ai de l’expérience, j’ai deux gosses, j’ai un blog (ah oui mais ça je peux pas le dire), j’ai même une R19 (contrôle technique OK, yes!), mais j’ai pas le DEAVS.
Qu’à cela ne tienne, pensais-je naïvement (je vous ai déjà dit que j’étais naïve?), il me suffit d’exprimer mon secret désir d’ascension sociale à Madame Grandchef et celle-ci, dans sa grande mansuétude et sa profonde humanité (et surtout, dans son devoir d’employeur), m’orientera vers le diplôme tant convoité (admirez au passage la tournure de la phrase, vous le sentez passer mon bac littéraire avec mention là?). Je m’égare. Aussitôt pensé, aussitôt fait, et c’est fraîche et pleine d’entrain que je formulai ma demande.
Non. No. Nein. Pas question. Même pas en rêve. Va crever ailleurs espèce de sous-merde (ah non, pardon, je digresse).
Bref. C’était clair. Et sans appel. Arguments invoqués?
« Les budgets sont bouclés, désolée. » (euh… trois ans à l’avance?)
« La VAE? Mais vous n’y pensez pas, vous n’êtes ab-so-lu-ment pas prête! » (ben heu, si j’essayais, je saurais)
« Un diplôme d’AMP ou d’aide-soignante? Non, nous ne finançons que ce qui a trait à l’aide à domicile. » (qui parlait d’ascenseur social à propos des formations professionnelles au fait?)
Finalement, la question de la formation a été vite réglée, en même temps que celle de mon renouvellement de contrat. Bye bye Babeth, et sans rancune hein!?
Non, sans rancune, enfin presque.
J’ai fait une croix sur mon boulot ET sur ma formation. La vie a continué. Et puis il y a eu une rencontre. Une grande rencontre, avec plein de gens. Et parmi ces gens, il y avait un homme qui venait de réussir un concours. On en a parlé, un peu, j’y ai réfléchi, beaucoup. Les mois ont passé. Georges, mon père, de longs moments passés dans les hôpitaux, dans différents services. Des médecins, des brancardiers, des infirmiers, des ASH, des spécialises divers et variés… et des aides-soignants. Re-découverte. Finalement, nos métiers se ressemblent, mais eux travaillent en équipe, dans un cadre, alors que je travaille seule, livrée à moi-même. Je les observe. Je discute avec eux. Je trouve auprès d’eux des sourires, des paroles réconfortantes, de la douceur (oui, de la douceur, et à l’hôpital c’est important la douceur)… Empathie. Je trouve en eux ce que je voudrais être dans mon travail. Ils finissent de me convaincre.
Je m’inscris donc au concours, quasi en secret. Je ne mets pas grand-monde au courant car j’ai peur que ça me porte la poisse (ben oui, avec la chance que j’ai!). Deux concours, deux oraux (mon bac a au moins un mérite, il me dispense de l’écrit). Et l’attente, la longue attente. Jusqu’à aujourd’hui. Après une nuit blanche, j’ai passé la journée à guetter les résultats sur internet. Pour rien. La poisse jusqu’au bout je vous dis. Finalement, on a réparti les tâches : mon mari est allé dans une école, moi dans l’autre. Mauvaise pioche pour mon mari, bonne pioche pour moi. Liste complémentaire dans une école, liste principale dans l’autre. Champagne!
Voilà. Ça c’est fait. Enfin non, c’est à faire. Mais je ne m’inquiète pas. Je sais que je vais adorer. J’ai hâte de commencer. Hâte de vous raconter aussi.
Alors, pour le jeune homme qui m’a parlé de ce concours (et qui ne se reconnaîtra pas vu que je ne crois pas qu’il lise ce blog, mais son compagnon si, donc si le compagnon en question se reconnaît, c’est bien aussi) : MERCI.
Pour l’équipe du service où était hospitalisé mon père : MERCI.
Pour les quelques personnes qui étaient au courant et qui m’ont encouragée, tout en sachant garder le secret : MERCI.
Et pour Madame Grandchef qui m’a foutu dehors comme une merde en me faisant bien sentir que j’étais une moins que rien : va te faire foutre connasse!
(Et sinon, n’oubliez pas de voter hein! Pour rappel, c’est là) Continuer la lecture
Activisme
Vous vous souvenez de ce que vous faisiez le 2 octobre 2010? Non? Moi oui : je débutais ce blog. J’avais un boulot que j’aimais et je me croyais à l’abri du chômage, je vivais dans un HLM un peu glauque mais je savais que j’en partirais bientôt, j’étais maman d’une petite fille et j’espérais que la famille s’agrandirait.
Deux ans et demi plus tard, j’ai quitté mon HLM, la famille s’est agrandie, et je suis (presque) au chômage. Deux points sur trois, c’est pas si mal en fait. Et puis, last but not least, le blog continue. Au début j’avoue que je n’avais pas d’idée précise, je voulais juste écrire, raconter, vider un peu mon sac. Des blogs, il y en a plein, partout, tenus par plein de monde, alors un de plus un de moins…
Alors j’ai écrit. Des petites choses, des émotions, des histoires… Timidement d’abord. Des billets courts, des sentiments un peu vagues. Et puis, au fur et à mesure, l’envie d’écrire est devenue plus importante, plus fréquente. Le blog a pris de plus en plus de place et, avec lui, tout ce qui tournait autour. Il y avait mon boulot, ma famille, ma vie, tout ce qui était « moi », et il y avait Babeth, son boulot, ses lecteurs. Moi et Babeth. Babeth et moi. Moi et MES amis, Babeth et SES amis. Une frontière nette entre les deux.
Monsieur Bitàlair (2)
À suivre… Continuer la lecture
Monsieur Bitàlair (1)
L’aide à domicile expliquée aux enfants

Voilà comment Amélie voit mon métier : on prépare la soupe en chantonnant et on se fait des copines! C’est vraiment chouette d’être auxiliaire de vie finalement!
Par contre je sais pas où elle a été chercher le truc de la soupe au micro-ondes, on n’a pas de micro-ondes. Continuer la lecture
Vade retro gastro!!!
Chez Babeth
Dans la tête de Babeth,
il y a des noms, des prénoms, des âges et des adresses qui se mélangent,
et des clés dans leurs cachettes.
Des cuisines, des menus, des temps de cuisson, des goûts et des dégoûts,
et des recettes.
Des bananes pas trop mûres pour Henriette, une petite sole pour Suzette, trois pommes gala pour Georgette, deux endives pour Louisette,
et plein d’autres emplettes.
Dans les mains de Babeth,
il y a un chiffon, un balai, une serpillière, plein de produits qui font briller,
et une balayette.
Du savon, du parfum, de la crème pour le corps, une brosse à cheveux,
et un gant de toilette.
Dans le sac de Babeth,
il y a trois ou quatre plannings, un téléphone, un stylo, un carnet, des bonbons,
et des lingettes.
Dans le réseau de Babeth,
il y a les collègues, l’infirmière, le médecin, le kiné, la pharmacienne,
et la caissière de la supérette.
Dans le coeur de Babeth,
il y a l’histoire d’amour entre Joséphine et son beau marin mais chut,
elle est secrète!
L’enfance de Marie-Paule, la guerre, les rêves de voyages,
et la poudre d’escampette.
Les poissons de Marcel et le chat d’Antoinette, qui mange de tout,
sauf des croquettes.
La dépression d’Aline, la folie de Lucien, le cancer de Simone,
c’est pas la fête.
Et dans la vie de Babeth,
il y a des joies et des peines, des sourires et des larmes, des mains tendues et des dos tournés, des naissances et des morts, des envies, des projets…
Et sa vie est plutôt chouette.
Devant mon café
Les petits ruisseaux…
Luna a seize ans. Elle a deux adorables petites soeurs, un chéri, et une tumeur. Elle tient un très beau blog, dans lequel elle raconte sa maladie, l’hôpital, la peur de mourir. Elle a beaucoup d’amis sur les réseaux sociaux, normal, une jeune fille si courageuse, si gentille, si malade. En quelques mois est née une formidable solidarité autour d’elle. Jusqu’à ce qu’un jour, plus de Luna. Le cancer a gagné. Ça arrive parfois, même quand on est une gentille jeune fille, même quand on a beaucoup d’amis. Forcément, c’est injuste, et forcément, on voudrait faire quelque chose. La cousine de Luna, via son blog, annonce la date de la crémation. On s’organise, on se cotise, et on fait livrer un gros bouquet au funérarium. Et là, stupéfaction. Pas de Luna dans les obsèques. Inconnue au bataillon. Inconnue à l’hôpital également. Alors on réfléchit, on recoupe les informations, on s’envoie des tas de mails, et on en arrive à la conclusion qui s’impose : Luna n’existe pas. Elle n’est que le personnage sorti de l’imagination maladive d’une jeune fille tout à fait banale, tout à fait en bonne santé, et tout à fait mythomane. Le mensonge aurait été parfait sans l’intervention de la « cousine » (elle-même), laquelle avait eu l’imprudence de laisser son numéro de téléphone à certains contacts. Numéro récupéré, nom de famille et ville très vite retrouvés, maman de « Luna » immédiatement prévenue des agissements de sa fille. Je ne sais pas ce qu’aura donné la suite mais vu la colère de la mère au bout du fil, j’imagine que la petite mythomane a sans doute passé un sale quart d’heure! (Luna, si tu me lis, désolée, mais c’était nécessaire)
Jaddo est médecin généraliste. Je ne vous ferai pas l’offense de vous la présenter mais je vais juste vous reparler du jaddothon. Pour résumer, y’a deux vilains pas beaux qui ont piqué la caisse et cassé le moral à une gentille et jolie doc (et en vrai, je peux vous dire que Jaddo est vraiment une gentille et jolie doc), sur ce y’a Dominique le vrai gentil qui est arrivé tel Zorro sur son cheval (et en vrai, je peux vous dire que Dominique est vraiment un vrai gentil), y’a eu plein de dons, plein de petits mots, plein d’amour, et le moral de la gentille et jolie doc est remonté d’un coup (ou presque) (pour lire l’histoire, c’est là et là).
Odile/Yaelle/Noa/Salomé. Quatre prénoms. Une seule et même personne. Quatre histoires. Non. Une histoire (vraie) et trois fictions. Peut-être plus. Peut-être que Luna, c’était déjà Odile? Qui sait? Là encore, une jeune fille (plusieurs), un drame, une solidarité. L’histoire est (très bien) racontée là. Allez lire, c’est instructif.
Opale vit une période pas facile. Et quand je dis « pas facile », je suis sympa. En fait, Opale vit une période difficile. Très difficile. Extrêmement difficile. Heureusement, là encore, il y a les réseaux sociaux. Et sur les réseaux sociaux, il y a Tamimi. Et Tamimi, c’est un peu une fée. Alors voilà, magie d’Internet et magie des fées, l’anniversaire d’Opale devient une journée merveilleuse : fleurs, chocolats, livres, cadeaux… Et de l’amour, plein.
Et puis moi, Babeth. Babeth et ses histoires de vieux, Babeth et Amélie, Babeth et Georges, Babeth et son père. Babeth et Madame Grandchef, Babeth et Madame Petitchef, Babeth et sa voiture pourrie. Babeth et son embrayage. Babeth et son appel au secours. Et puis vous. Vous qui lisez ce blog, vous qui laissez parfois un petit commentaire. Vous qui échouez sur cette page après un lien posté sur Twitter ou ailleurs. Vous qui avez cliqué.
Certains me connaissent en vrai, d’autres pas. Certains lisent ce blog depuis longtemps, d’autres pas. Certains ont cliqué, certains m’ont laissé des petits mots, certains m’ont proposé des solutions… Et au milieu de vos mots et de vos gestes, je n’ai pas reçu un seul mail d’insultes, pas un seul jugement du type « tu l’as bien mérité sale feignasse », pas un seul troll.
Et moi? Moi je suis épatée. Épatée par votre confiance, épatée par votre gentillesse. Épatée par vous, tout simplement.
Bon… Vous voyez où je veux en venir j’imagine? J’ai pris sur moi pour écrire le précédent billet, parce que j’avais honte. Je prends sur moi pour écrire celui-ci, mais pas pour les mêmes raisons. J’ai tellement de choses à vous dire que je ne sais comment les dire, il y a tellement d’émotions qui se mélangent que je ne sais comment les exprimer.
Alors on va faire simple : MERCI
Voilà. Merci à chacun d’entre vous. Merci d’être vous, merci de m’avoir fait confiance, merci de m’avoir aidée. J’ai le moral regonflé à bloc, vraiment. La voiture, honnêtement, c’est mort, elle est trop vieille pour être réparée, mais on a trouvé une solution de rechange, et vos dons vont nous permettre de financer cette solution.
Quant au boulot, je ne désespère pas. Je vais FORCÉMENT trouver quelque chose de mieux.
Allez, c’est pas tout ça mais revenons aux choses sérieuses, le prochain billet sera un vrai billet d’auxiliaire de vie, promis!
Bon ben voilà quoi…
Georges a huit mois. C’est un chouette petit bonhomme, qui sourit tout le temps et à tout le monde, qui trottine à une vitesse effarante et qui adore jouer avec tout ce qui est à portée de main (traduisez : il faut tout planquer). Je passe beaucoup de temps avec lui, forcément, parfois le chômage a du bon. Parfois.
Il y a un an, à la même époque, ma vie était radicalement différente. Nous avions emménagé depuis peu dans notre « petite maison dans la forêt », j’avais un papa qui, bien qu’ayant un certain nombre de défauts, avait au moins le mérite d’être en vie, j’avais un travail (deux même), nous allions avoir un bébé. Bref, c’était plutôt pas mal.
Et puis, je sais pas, faut croire que quelqu’un (Madame Grandchef?) a fabriqué une poupée vaudou à mon effigie et s’en est méchamment servi car subitement, vers février-mars, tout s’est cassé la gueule. Bon, je vais pas revenir dessus hein, pas très envie de remuer le couteau dans la plaie (pour les curieux, c’est raconté là et là), mais toujours est-il que « la petite maison dans la forêt » n’était plus en lice pour le prix de la fiction gnangnan de l’année.
Bon, je vous mets le film en avance rapide, Georges est né, mon père est mort, j’ai perdu mon boulot. La situation paraît simple mais ne l’est pas tant que ça, à cause d’un (petit) détail. J’avais deux boulots : un contrat de 30h à Morteville, avec la délicieuse Madame Grandchef (mon idole, vous l’aurez compris) et un petit contrat de 3h30/semaine chez un adorable monsieur de 90 ans, pas très loin de chez moi. Vous suivez?
En mars, patatras, mon moral en prend un coup, mon dos aussi (voir là), et la faible auxiliaire que je suis se fait porter pâle (allez-y, traitez-moi de feignasse, j’assume!). Et puis tout s’enchaîne très vite. La grossesse, la maladie, la naissance, la mort…
Septembre, fin du congé maternité, je pointe allègrement à Pôle Emploi et m’apprête à reprendre mon petit contrat de 3h30. J’appelle donc mon autre patronne, celle de l’autre boîte (appelons la Madame Petitchef) et re-patatras, j’apprends que ce salaud de vieux a lâchement profité de mon absence pour mourir! C’est con, je l’aimais bien. C’est d’autant plus con que je suis maintenant complètement au chômage (désolée, je fais pas dans la niaiserie, j’aimais beaucoup ce vieux monsieur mais là n’est pas le sujet).
Bon bon bon, la situation est grave mais pas désespérée. Puisque je n’ai plus aucun engagement avec la boîte de Madame Petitchef, le plus simple est qu’elle me licencie non? Ben non. Refus catégorique, je dois démissionner, refus de ma part, je connais les méandres et la perfidie de Pôle Emploi, pas question de faire cette erreur. Madame Petitchef me trouve donc un autre petit contrat, je perds une heure au passage mais je conserve mon CDI. Pôle Emploi a du mal à saisir la situation, les conseillers à l’emploi semblent découvrir que certaines catégories de salariés puissent avoir plusieurs employeurs. Je vous passe le bordel administratif et les nombreux allers-retours inutiles à l’agence, le stress et compagnie, ceux qui connaissent Pôle Emploi comprendront.
Bref, j’en suis là. Un petit contrat de rien du tout, en CDI, qui bouffe la semaine pour gagner des cacahuètes, mais ce petit contrat me permet de ne pas être au chômage complet, et pour le moral c’est important (et pour l’image de soi). Une promesse d’augmentation d’heures que Madame Petitchef est incapable d’honorer, la faute à pas de chance, pas de boulot, c’est la crise ma ptite dame.
En attendant, le reste n’attend pas. Georges et Amélie grandissent, il faut payer la maison, la voiture vieillit. 300 000 kilomètres au compteur, ça commence à faire beaucoup, à chaque panne on tremble, mais Super Dédé le super garagiste sait tout réparer.
Sauf que voilà, on est en février, et février, c’est bien connu, chez moi c’est un mois pourri (pourtant y’a la Saint-Valentin, mais ça suffit pas).
Jeudi, en rentrant du boulot, la pédale se bloque, l’embrayage aussi. Je suis en troisième, à deux kilomètres de la maison, j’arrive à rentrer tout doucement, j’échoue la voiture devant la maison et… RIP la voiture. La brave petite Fiat rend son dernier souffle, l’instant est grave, sortez les mouchoirs et les pop-corn. Pour faire simple, l’embrayage est foutu, y’en a pour 1700 Euros de réparation (le devis s’alourdit de jour en jour, faut que j’arrête d’appeler Dédé), on n’a pas l’argent, on peut pas demander un crédit parce que la banque va s’étouffer de rire si on ose prononcer le mot, on est grave dans la merde… Et j’ai plus de voiture pour aller bosser.
Voilà, c’était le quart d’heure misérabiliste du jour, vous pouvez ranger vos mouchoirs.
Concrètement, pourquoi ce billet, si ce n’est pour vous tirer une petite larme d’émotion? Vous l’aurez compris, il faut que je répare ma voiture. Donc voilà, il y a un bouton en haut à droite, vous pouvez cliquer (ou pas), vous pouvez envoyer un ptit mot d’amour (ou pas), vous pouvez me demander un dessin de Babeth l’auxi (ou pas) (mais si vous voulez un dessin, laissez-moi votre adresse) (dessins visibles ici et ici) (ouais je sais je dessine mal mais c’est tout ce que j’ai à proposer, sinon j’ai bien un rein qui me sert à rien…).
Les commentaires restent ouverts mais sont, comme d’habitude, modérés. Les trolls et les insultes ne seront pas publiés, mon ego n’a absolument pas besoin de ça en ce moment. Pour ce qui est des conseils en tous genres, je suis preneuse. Je tiens quand même à vous rassurer, je ne glande pas dans mon coin en attendant que ça tombe tout cuit, mais là je cherche une solution d’urgence.
Bon ben voilà quoi…
La quinqua
99 ans
Qu’est-ce qui m’arrive?
J’ai quatre ans. Ma mère pleure. Mes parents m’avaient dit qu’un bébé allait arriver. Maman avait un gros ventre et elle souriait beaucoup. Et puis hier, elle a arrêté de sourire. Elle a crié, beaucoup. le docteur est venu dans la soirée. J’étais dans ma chambre et je ne dormais pas, j’entendais ma mère crier. Et subitement il y a eu un grand silence. Ma mère ne criait plus. Elle pleurait, et mon père aussi. Le docteur est reparti. Le lendemain matin le ventre de maman était moins gros. J’ai demandé si le bébé était arrivé. « Oui et non ». Maman a passé une semaine au lit à pleurer, papa est retourné travailler. Je n’ai pas eu de petit frère.
J’ai soif. Bon Dieu que j’ai soif!
J’ai dix ans. Papa n’est pas rentré du travail. Le voisin est venu nous voir, il nous a parlé d’un accident. J’ai pas très bien compris. Maman pleure. Mamie aussi. Moi je ne sais pas ce que je dois faire, parce qu’on ne me dit rien. Je crois qu’il faut que je pleure aussi.
Si seulement je pouvais enlever cette barrière! Il faut que j’aille aux toilettes et je suis prisonnière de mon lit!
J’ai 15 ans. L’école est loin derrière moi. Maman travaille beaucoup mais son salaire ne suffit pas pour toute la famille, alors il faut bien que j’aille à l’usine moi aussi.
Mais pourquoi personne ne vient? Tout le monde dort? Si seulement je pouvais appeler. Cette fichue voix qui est partie depuis des années.
J’ai 20 ans. Je viens d’épouser Robert. C’est un bon garçon, gentil et travailleur. Maman l’aime beaucoup, elle trouve qu’il ressemble un peu à papa.
Trop tard, je me fais dessus. Je suis trempée. Je me sens sale.
J’ai 25 ans. Nos filles sont les plus jolies du village, foi de maman! Mais deux enfants, c’est du travail. Robert voudrait un fils. On va essayer encore.
Encore trois heures avant l’arrivée de l’infirmière. Trois heures avec cette humidité collée aux fesses. Impossible de me rendormir.
J’ai 32 ans. Quatre filles et un garçon, on pourra dire qu’il s’est fait désirer celui-là! Deux garçons en fait. Mais le petit Charles n’a pas vécu très longtemps, le premier hiver a eu raison de sa santé fragile.
Ma voisine est réveillée, j’entends sa radio. Je renonce définitivement à mon sommeil.
J’ai 45 ans. Je viens d’enterrer maman. Elle a passé sa dernière année de vie avec nous, à la maison. « Une longue maladie » comme on dit. Une sale maladie. Finalement sa mort est presque un soulagement. Elle était tellement fatiguée!
L’infirmière arrive enfin. Dommage qu’elle commence sa tournée par le début du
couloir.
J’ai 58 ans. Les enfants ont quitté la maison. Ils sont tous mariés, sauf Marie. Mais Marie, c’est différent. Elle a fait des études, elle n’avait pas le temps de trouver un mari. Mais maintenant, ça va, elle a un métier, elle va pouvoir se trouver un gentil garçon.
« Vous avez encore fait pipi au lit mamie? » Je déteste cette bonne femme. D’une part je ne suis pas sa mamie, d’autre part inutile de me rappeler ce que j’ai fait, je le sais très bien, merci!
J’ai 70 ans. Robert et moi venons de fêter nos noces d’or. On a fait une belle fête, avec les enfants et les petits-enfants. Le petit Adrien n’a que quelque mois et c’est le portrait craché de son père au même âge. Je pensais que Marie aurait profité de l’occasion pour nous présenter quelqu’un mais non. Elle dit qu’elle est bien comme ça, toute seule.
Et voilà, elle m’a encore collée dans ce maudit fauteuil devant la télé à fond. Elle le sait, pourtant, que je préfère rester dans ma chambre le matin. « Il faut voir du monde mamie, vous allez pas rester toute seule quand même? » Et si j’ai envie d’être seule moi? Et si j’ai pas envie d’être bloquée devant un écran que je ne vois même pas à écouter beugler les animateurs toute la journée?
J’ai 74 ans. Robert n’est plus là. Un matin, il ne s’est pas levé, il était mort. Aussi simple que ça. 54 ans de vie commune. 6 enfants, dont 5 vivants. 9 petits-enfants. Une vie bien remplie, comme dit ma voisine Louisette. Et maintenant, une vie sans lui. Vide. Les petits-enfants viennent de temps en temps, surtout pendant les vacances. Mamie-gâteau mamie-nounou, c’est bien commode. Le reste du temps, je ne vois pas grand-monde.
Quelle heure peut-il bien être?
J’ai 78 ans. Marie s’inquiète pour moi. Elle trouve que je ne mange pas assez, et puis le ménage, ça devient difficile non? Elle me parle d’aide-ménagère et d’infirmière. Si ça peut lui faire plaisir, pourquoi pas? Mais je ne vois pas ce qu’elles vont faire, je me débrouille très bien toute seule. Louisette a une femme de ménage, il parait qu’elle est bien. Marie va lui demander si elle pourrait aussi venir chez moi.
Qu’est-ce que c’est que ça? Ça a vaguement le goût de carotte mais ça n’en a pas la consistance. Et cette mégère qui veut faire entrer la cuillère de force, elle ne voit donc pas que j’en ai encore plein la bouche?
J’ai 82 ans. Je regarde Véronique s’affairer dans la cuisine. Elle renifle. Je crois que la mort de Louisette l’a beaucoup affectée, elle l’aimait bien malgré son caractère difficile. Les petits-enfants ne viennent plus. Ils ont grandi eux-aussi, la vieille mamie-nounou est devenue trop ennuyeuse. Quant aux enfants, ils ont leur vie comme ils disent. Heureusement que Marie n’habite pas très loin, elle passe tous les dimanches.
Quelle heure est-il? La mégère a décrété que je n’avais pas faim et ne m’a pas donné de dessert. C’est juste que je n’aimais pas la purée. Mais forcément, quand on ne peut pas parler…
J’ai 87 ans. L’an dernier je suis tombée dans la rue. Oh, rien de grave, mais il a quand même fallu appeler les pompiers, je ne pouvais plus me relever. L’ambulance, l’hôpital, Marie qui venait me voir tous les jours. Je suis restée deux semaines, tout le monde était très gentil. C’est Marie qui est venue me chercher à la sortie, mais elle ne m’a pas ramenée à la maison. Elle m’a amenée ici, à la « résidence du chêne », et elle m’a dit que c’était ma nouvelle maison désormais, que c’était mieux comme ça, que je n’allais plus être toute seule. Elle m’a montré ma chambre, mes nouveaux meubles, mes affaires pliées dans l’armoire. Elle était contente d’elle, elle n’arrêtait pas de sourire. Elle me disait que j’allais être bien ici. Mais de quoi elle se mêle? Et ma maison? Et mes meubles? Et Véronique?
J’ai soif. Et j’ai envie d’aller aux toilettes. Et puis j’ai mal au pied. Et à la tête. Est-ce que quelqu’un pourrait éteindre cette fichue télé?
J’ai 92 ans. Les enfants ont vendu ma maison pour payer la maison de retraite. Ils ont gardé quelques meubles et ont donné le reste. Ils ont donné mon lit. Le lit que j’ai partagé avec Robert pendant 54 ans. Le lit dans lequel ils sont nés. Le lit dans lequel leur père est mort. Personne n’en voulait, alors ils l’ont donné. Ils ne m’ont rien demandé, à moi, leur mère. Normal, je suis une vieille femme qui ne parle plus depuis la mort de son fils. Le deuxième, celui qui avait survécu. J’ai trop pleuré et trop prié, les mots n’arrivent plus jusqu’à mes lèvres maintenant. De toute façon, je n’ai plus rien à dire.
Quelqu’un bouge mon fauteuil, ça doit être l’heure du goûter. Un café tiède et une compote, comme tous les jours. Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça?
J’ai 99 ans. 100 ans dans un mois. C’est l’effervescence à la maison de retraite. Pensez-vous, une centenaire, ici, c’est quand même la preuve qu’ils sont bien traités nos ptits vieux! Il y aura le maire, la gazette locale, et puis la famille, ça fera bien sur la photo!
Je suis fatiguée, tellement fatiguée. La compote ne passe pas. Je n’entends plus la télé, quelqu’un a enfin eu l’idée de l’éteindre. Tiens, je n’ai plus mal à la tête, c’est agréable. Mais qu’est-ce que je suis fatiguée tout à coup! Je vais dormir un petit peu. Juste un petit peu avant le repas, une petite heure, dans le fauteuil.
J’ai 99 ans. Ma vie a été longue, surtout la fin. Je n’aurai pas 100 ans. Continuer la lecture
Madame Pasdbol
Si on l’écoute, Madame Pasdbol n’a jamais eu de chance. Sa mère ne l’a jamais aimée, sa famille en général non plus d’ailleurs. Son premier mari était un salaud. Ses ex-collègues étaient des feignasses incapables. Elle a eu d’incroyables maladies, toutes plus graves les unes que les autres, mais on n’a jamais su pourquoi, et puis ses parents ne l’ont jamais vraiment soignée. Elle était douée à l’école mais sa mère n’a pas voulu qu’elle fasse des études. Elle est restée un an dans le coma. Ça fait quatre mois qu’elle n’a pas pris un repas chaud. Les enfants de son deuxième mari, décédé il y a peu, sont de vils profiteurs. En plus ils la rejettent et ne sont pas gentils avec elle. Et puis ils la traitent d’alcoolique, c’est même pas vrai d’abord. Sa maison est beaucoup trop petite, elle n’aurait jamais dû emménager ici. Mais elle n’avait pas le choix, l’ancien proprio faisait tout pour la mettre dehors. Les chiens salissent tout, impossible de faire le ménage, et puis de toute façon elle a mal au genou. Elle est loin de tout, elle ne connaît personne, elle est toute seule. Sa voiture est une épave, la faute aux autres conducteurs qui lui rentrent dedans et aux places de parking ridiculement trop petites. Elle a plus d’argent, la maladie de son mari lui a coûté cher. Elle va pas bien, elle déprime, elle est fatiguée.
Bref, Madame Pasdbol est une pauvre femme malheureuse qui ferait pitié à n’importe quelle auxiliaire de vie débutante.
Oui mais non. Je suis pas une débutante, on ne m’a pas comme ça!
Reprenons. Il y a un mot qui doit mettre la puce à l’oreille.
« Alcoolique »
Ce n’est pas anodin. Ce n’est pas « malade », « vieux » ou « handicapé ». C’est « alcoolique ». Dépendante à l’alcool. Sur la courbe du U de Jellinek, elle est en bas. Presque tout en bas. Elle ne touche pas encore le fond, mais au rythme où vont les choses, ça ne saurait tarder.
Aucune empathie de ma part, je n’y arrive pas. Son histoire, que dis-je, ses histoires, je n’y crois pas. Elle me parle de sa famille qui la rejette, je ne vois que sa bouteille de rouge négligemment posée par terre. Elle se plaint de ses problèmes d’argent, je regarde le salon en cuir pour lequel elle s’est lourdement endettée. Elle pleure sur sa santé défaillante, je détourne le regard de son cendrier qui déborde.
Tout chez elle n’est que plainte. Jamais satisfaite, jamais heureuse. Elle ne semble se réjouir de rien.
Mon empathie reste planquée au fin fond de mon sac à main. Pire, Madame Pasdbol m’est antipathique. Forcément, j’ai du mal à avoir une relation « normale » avec elle. Parce que je suis toujours sur la défensive. Parce que je ne sais jamais si je peux, si je dois la croire. Parce que la situation m’échappe. Parce que quoi que je dise, quoi que je fasse, ça n’ira pas. Parce que quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse, je ne lui fais pas confiance. Parce qu’elle est comme ça. Elle n’est pas méchante. Elle n’est pas menteuse. Elle est alcoolique. Et les alcooliques, j’aime pas. J’y peux rien, c’est viscéral, c’est plus fort que moi. J’aime pas, voilà.
Dieu merci, je ne suis pas son auxiliaire de vie. Je suis juste sa belle-fille. Juste la fille de son second mari, celui qui est mort. J’essaie de garder un lien minimum avec elle, pour Amélie, pour Georges, pour la mémoire de mon père. Mais pas pour moi.
Ma mère était alcoolique. Elle est morte. Mon père était alcoolique. Il est mort. Ma belle-mère est alcoolique. Désolée, j’ai déjà donné. Continuer la lecture