Archives de l’auteur : Leya_MK

Personne ne S’arrête

Un billet écrit en juin 2019 et publié ailleurs, à l’occasion de la grève des urgences. Quand on pensait être arrivés au bout de la tolérance du système. Des mots du monde d’avant qui n’allait pas si bien que ça… La colère gronde. C’en est assez… Continuer la lecture

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Le spécialiste se dévoile

 Et il était temps. En début de semaine, je vous proposais un petit quizz à propos d’une de mes propres aventures. Je vous racontais la peur insidieuse, la modification des perceptions, la perte de confiance, de performance et puis soudain, une fo… Continuer la lecture

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Un mystérieux spécialiste

 Bonjour à tous Une fois n’est pas coutume, un petit exercice de réflexion pour Noël. A propos de cognition, douleur, menace et perception (pour changer). Lisez donc ce qui suit et essayez de décrypter l’énigme de ce soir : Mais qu’est ce qui… Continuer la lecture

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Adieu veau, vache, bons gestes et postures

J’ai craqué. Je l’ai dit. J’ai dit « la médecine actuelle et nous les soignants, n’avons pas appris à soigner les gens comme VOUS ». J’ai insisté sur le « vous ». Avec rancœur. Et l’impression en toile de fond, d’avoir mis le doigt… Continuer la lecture

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La douleur et moi

J’ai longtemps râlé sur les « oh t’es kiné, tiens, j’ai mal au dos » ou « la chance ta copine est kiné, c’est cool ». Il y a quelque chose dont on parle peu, au-delà de ces clichés-là, c’est ce que ça a changé en moi. En nous. En vo… Continuer la lecture

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Avant la tempête

Ils ont eu mal au dos ou peut-être était-ce à une épaule. Ça a commencé brutalement, les fameux faux-mouvements : porter un sac de courses, se pencher pour ramasser un papier, tailler une haie, retenir le chien qui tire sur la laisse. Parfois c’était p… Continuer la lecture

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Les amants d’une vie

C’est parfois lui, sinon elle, qui m’ouvre la porte, me laisse entrer. Leurs intérieurs, qui se ressemblent rarement sont pourtant toujours les mêmes.  Figés dans cette immobilité dans laquelle j’entre presque par effraction. Moi et mon esprit g… Continuer la lecture

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Ecouter

« C’est toujours aussi vertigineux, le nombre d’histoires de violence, de croyances, de craintes que je peux entendre auprès de patients avec des douleurs persistantes depuis qu’ils m’ont appris à commencer à écouter » Ça c’était moi hier. Besoin d’écr… Continuer la lecture

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Ma main sur votre poitrine

La pièce est sombre, la lumière de la vieille ampoule fatiguée vacille un peu. Mes yeux peinent à faire certaines mises au point, un savant mélange de manque de sommeil et d’épuisement mental. Il est 15h30, je suis arrivée au cabinet il y a 8h déjà e… Continuer la lecture

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Cimentoplastie

J’ai vu son nom sur le planning. Je l’ai vu hier soir, je l’ai revu ce matin, je l’ai revu en pointant mes patients sur l’ordinateur. Et à chaque fois, cette flemme immense, cette non-envie, ce vide sidéral de courage et ce soupir. Pas déjà. Pas encore… Continuer la lecture

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Sous les toits

Au loin, j’entends la sonnette du portail. C’est elle. Presque à l’heure. Je sais que Josiane va lui ouvrir. Je profite encore un peu du silence. Je sais déjà ce qu’il va se passer. Elle va pousser la porte de l’étage et poser sa sacoche de visite sur … Continuer la lecture

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Maux-dits

Une semaine tout pile. Une semaine d’après CFT. Une semaine de transition entre le modèle bio-anatomico-structurel dans lequel j’ai poussé : une douleur = une lésion = un problème à résoudre. Une semaine à tâtonner vers le séduisant modèle biopsy… Continuer la lecture

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Et j’étais bien

Il y a eu le diplôme. La fierté. Cette impression d’être au bout de la falaise scolaire. C’était fini. J’étais arrivée au bout du chemin. Devant, la vie. Partout. Ce métier comme un coup de foudre. Vous avez peut-être la chance, que j’ai eu, de conn… Continuer la lecture

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Pars, mais pas trop vite.

« C’est très grave ». Lui, il est noyé d’angoisse. C’est sa femme. Ça fait des années que c’est très grave en fait. Les poumons s’étiolent rongés par la fumée des milliers de cigarettes qu’elle leur a balancé depuis ses vingt ans. Elle le dis… Continuer la lecture

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Et si les croyances et le comportement des kinésithérapeutes influencent leurs soins et leurs résultats ?

Continuons sur le versant scientifique, histoire de vous faire croire que j’assure vraiment. Ou pas. Aujourd’hui, résumé d’une étude très intéressante parue en 2017 qui s’intitule :
« Physiotherapists’ beliefs and attitudes influence clinical practice in chronic low back pain: a systematic review of quantitative and qualitative studies. ».
Article dont la problématique centrale est la suivante : Les croyances et attitudes des MK (masseur-kiné) sur les lombalgies chroniques ont-elles une influence sur leurs choix thérapeutiques auprès des patients lombalgiques chroniques. 
Alors oui, dit comme ça, ça a l’air simple. Est-ce que ce que j’ai appris ou ce que je sais, influence les soins que je propose à mes patients ? Oui. Evidemment. Mais y a-t-il dans ce que j’ai appris, dans ce qui m’influence, des éléments qui ne devraient pas y être ? Des croyances erronées ou des éléments de jugement inappropriés qui interviennent dans mes choix thérapeutiques alors qu’ils ne devraient pas ?  Qui peut-être ont un rôle dans les résultats que j’obtiens ?
Cet article a le grand mérite de se poser la question sur le versant scientifique, à savoir, y a-t-il des preuves de ces liens, peut-on affirmer ce qu’on ne fait que supposer ?
Les auteurs introduisent le sujet sur la notion, pas récente, que les lombalgies chroniques sont une problématique complexe faite de multiples facteurs physiques, psychologiques et sociaux qui peuvent dégrader la récupération et prolonger le handicap. L’évaluation des composantes de ce modèle dit « biopsychosocial » est recommandée par les guides officiels de bonnes pratiques parce que leur prise en compte améliorerait les résultats de la prise en charge des lombalgiques chroniques par rapport à une approche strictement biomédicale (lésion visible, mesurable = douleur). (Revue systématique de 2014).
Les kinésithérapeutes (MK) sont malheureusement assez réticents à y recourir, généralement formés à l’approche biomédicale où la douleur est directement reliée / à relier à une structure ou une fonction anatomique déficitaire qui définit à elle seule, la totalité des objectifs de soins.
De mon côté, j’ai fait un peu le chemin inverse et ça m’embête. J’ai beaucoup parlé des facteurs « psy », ceux que j’ai appris à mettre dans la petite case « psy » des bilans dont le contenu s’arrête à « le patient est motivé/pas motivé, anxieux/pas anxieux, veut marcher comme avant alors attention à ne pas le mettre en échec, est dépressif car ne rit pas à mes blagues pourries » et peu de souvenirs de cours sur le modèle biopsychosocial. J’ai vu tous les travers que ça causait et j’ai arrêté. Arrêté ça du moins. J’ai vu tous ces patients souffrir et culpabiliser parce que c’était sûrement le stress, rien d’autre et qu’ils n’avaient qu’à se détendre pour ne pas souffrir et ne pas y arriver les noyait encore plus. Je suis devenue assez craintive sur les questions d’ordre socio-psychologique parce que je ne l’ai toujours vu amener QUE du péjoratifs.
J’ai beaucoup parlé ici des dégâts du « vous n’avez rien Madame, c’est dans la tête », « cherche pas elle est psy »de la nécessité d’entendre la plainte du patient dans son entier avec d’émettre un jugement, d’ailleurs l’entendre et l’accepter plutôt que de se permettre de juger, ce qui n’apporte rien au diagnostic ou au traitement, encore moins à la relation soignant-soigné.
Alors j’ai commencé à dire qu’ils avaient des raisons d’avoir mal. Qu’un trapèze béton, ça tire. Qu’un ischio-jambier court, ça pince dans le dos, et oh là là, oui vous avez une belle hernie, vous avez le droit d’avoir mal et même que ça pourrait être pire, vous êtes bien « dur au mal ». Et dire que « ce n’est jamais QUE dans la tête, jamais QUE le stress ». (Lire plus loin ici )
Et puis j’ai lu l’article précédemment résumé ici, qui disait que 50% des gens de mon âge qui n’avaient pas mal avait une hernie ou problème apparenté à l’IRM et j’ai commencé à douter que ça soit la hernie qui fasse mal. Alors j’ai arrêté ça aussi. J’ai arrêté de commenter les radios en disant qu’ils pouvaient avoir mal, j’ai commencé à dire que ça n’était pas inquiétant et probablement pas du tout en lien avec leur douleur, que moi j’avais des outils pour les aider et que ça allait bien se passer. Croyez-le ou non, mes résultats s’améliorent. Et je n’ai pas pour autant recommencé à acquiescer à l’idée que « c’est dans la tête ».
Alors, oui ça me perturbe un peu qu’on encourage l’usage du modèle biopsychosial dans cette atmosphère de dénigrement général, surtout des soignants, surtout des patients, surtout de tous les autres que soi. Et pourtant, là nous ne parlons pas de la source du problème, l’article ne questionne pas le diagnostic (c’est dans la tête VS c’est dans votre corps et ça se mesure) mais l’approche et la façon d’y répondre. La question n’est plus est-ce dans la tête mais qu’y a-t-il dans la tête du patient et surtout dans la mienne qui puisse l’empêcher de progresser.
Comme la dernière fois, ici, cette étude est une revue systématique qui va analyser toute la littérature disponible sur le sujet jusqu’en 2016 puis essayer d’en tirer des conclusions plus larges et plus solide qu’à l’échelle d’une seule. Ici 10 études ont été utilisées dont 5 qualitatives et 5 quantitatives. On peut d’emblée citer quelques biais importants, à savoir :
          Des études de type très différent, rendant la mise en parallèle complexe (les outils de mesure sont presque systématiquement différents)
          Une difficulté nette à évaluer des comportements qu’on peine à définir (attitudes/croyances)
          Des études qui ont pour la plupart recours à des auto-questionnaires où il est connu que la volonté de plaire peut biaiser les réponses
          L’évaluation du traitement proposé qui ne portait que sur les conseils de reprise du travail et la prescription d’exercice, on peut se demander si cela suffit à définir nos pratiques.
Dans ces études, on s’est intéressé aux kinésithérapeutes, leurs diagnostics et leurs propositions au sujet de cas cliniques (évaluer le niveau d’atteinte rachidienne, le risque de chronicisation et de fait, conseiller sur la reprise du travail et des loisirs) mais aussi leur capacité à évaluer les séquelles attendues et leur confiance en leur propre évaluation. Des échelles d’évaluation et des auto-questionnaires ont été utilisés à plusieurs reprise pour étudier leurs facteurs personnels (confiance en eux, modèle de soin utilisé, crainte de la récidive et du mouvement en fonction de l’imagerie) et les facteurs du patient qui peuvent modifier leurs pratiques. 
Premier obstacle : L’approche des MK
Clairement la première chose qui pose problème, c’est l’approche des MK. Elevés dans l’idée que la douleur est causée par une anomalie, une lésion, quelque chose de palpable ou de mesurable et qu’en traitant cette anomalie, on soulagera la douleur (=modèle biomédical). Or plus les anomalies sont visibles/mesurables, plus le MK va craindre le mouvement pour son patient (kinésiophobie), lui conseiller de retarder la reprise de son travail, de ses activités, de ne pas trop bouger et ne pas limiter le nombre de séances. Retardant du même coup la guérison puisque dans la lombalgie, la chronicisation est directement liée à la kinésiophobie et au retard de reprise des activités habituelles. Une crainte élevée chez le MK est associée à une certitude plus fréquente que le patient conservera des séquelles et parallèlement un manque de confiance en ses techniques (je n’arriverais pas à le soulager).  Plus cette crainte est forte chez le MK, plus on la retrouvera chez ses propres patients qui vont eux-mêmes adopter des attitudes précautionneuses, craindre le moindre excès, l’éviter voire finir par diaboliser/mettre en cause leur travail pour la souffrance qu’ils ressentent. Le risque est d’amener le patient à un désengagement total de ses soins (je ne m’en sortirai jamais et personne ne pourra m’aider). Tout ça parce que tout au fond j’ai peur. Juste ça ? Vraiment ?
Tout ça parce qu’on n’a pas encore compris que ces anomalies qui nous font peur ne sont pas forcément responsables de ce dont les patients se plaignent (rappelez-vous la première étude étudiée ici.
Le premier obstacle à l’adoption du modèle biopsychosocial après nous est sa méconnaissance (pourtant on en parle) et l’impression pour ces MK que l’évaluation des facteurs biopsychosociaux n’est pas de leur ressort, qu’ils n’en sont pas capables, pas formés pour et que ça ne répond pas aux attentes du patients.
Vous la voyez, la queue qu’on vient de mordre ? On apprend aux soignants à voir par le biomédical, ils l’apprennent aux patients, ou l’apprennent des patients quand on a tenté de leur apprendre autre chose et tout le monde ne peut plus fonctionner que par cette approche, le changement de paradigme dans le monde du soin, bonjour, la galère. Dans 2000 ans on y est encore.
Tout ça pour un modèle qui ne fait plus vraiment le poids devant un beau modèle tout neuf, plus complet, plus efficace mais qui nous fait peur parce qu’il est justement beau et neuf ! Bravo.
Deuxième obstacle : notre façon d’appréhender les patients
On a déjà vu la difficulté des MK à sortir d’une approche archaïque, une approche qui nourrit une forme de peur et d’hésitation chez nous qui déjà atténue les résultats que nous pourrions obtenir. L’article va plus loin en évoquant notre très mauvaise tolérance à l’incertitude « je ne sais pas pourquoi il souffre », « je n’arrive pas à lui dire que je ne sais pas pourquoi il souffre ». Entre ça le sentiment récurrent de manque de connaissance, d’incohérence entre la formation initiale et les recommandations, la sensation de ne pas avoir été préparé à cet exercice… Que des ressentis négatifs qui pourraient très bien affecter nos attitudes, notre façon verbale ou non verbale de communiquer et donc influencer en retour le comportement des patients à notre égard.
Or, surprise, le deuxième volet de cette étude c’est les choix thérapeutiques que l’on fait en fonction… DU PATIENT que l’on a en face de nous et de son comportement. Explorer scientifiquement en quoi notre perception (on frôle le jugement, scandale) du patient peut influencer le soin qu’on va lui proposer. De ce qu’on va percevoir, de ce qu’il dégage, les attentes qu’on va lui attribuer, pas forcément celle qu’on lui laissera nous dire, non, celles qu’on va lui prêter, pas toujours en creusant. Ça craint autant que ça en a l’air.
Les recommandations suggèrent de faciliter la relation soignant-soigné pour améliorer les résultats du soin mais cela peut amener à des situations conflictuelles entre ce qu’il est recommandé de faire et ce que le patient attend. Du coup, on risque encore une fois de retomber dans l’approche biomédicale (point commun kiné/patient), parce que cela nous convient bien à nous aussi, parce que masser (au hasard) ça plaît aux patients, qu’ils ressortent contents de votre travail, même si vous savez que ce travail n’apportera rien à long terme.
Le choix de traitement serait directement lié aux croyances du patient et ses attentes réelles ou supposées quant au traitement kiné. Pas de chance, les patients lombalgiques chroniques attendraient un diagnostic clair, le soulagement de leur douleur par de la thérapie manuelle / manipulation. Une croyance biomédicale, celle qui induirait une peur du mouvement, une forme de passivité à terme qui… rend les MK très réticents à soigner ces mêmes patients. La passivité perçue du patient (prendra-t-il part aux soins) est l’un des premiers facteurs conduisant à des choix thérapeutiques peu ambitieux, peu exigeants et à la certitude qu’il n’ira pas mieux parce qu’il ne fera rien pour (on marche un peu sur la tête, oui, oui), certitude qui assure d’un résultat de soin pitoyable. Je continue ?
Les MK classeraient leurs patients en deux catégories. Les bons patients… Et les mauvais. Les mauvais : ceux qui semblent passifs, peu motivés, ceux qui ont trop d’attentes ou pas assez, ceux qui n’ont pas l’air d’avoir assez mal ou trop par rapport au bilan réalisé, ceux qui ont un statut psychosocial trop complexe, qui ont trop de problèmes, qui posent trop de questions. Bref vous et moi. Les bons, ceux qui ne font pas de vagues, ceux qui guérissent vite et bien sans rien dire, quel triste tableau hein ?
D’autant que si je pense qu’un patient fait partie des « mauvais » je vais suspecter de moins bons résultats, forcément je ne vais pas communiquer de la même manière, pas lui proposer les mêmes soins, à quoi bon et du coup induire moi-même ce mauvais résultat tout en l’attribuant au patient. Championne.
Une des solutions serait de promouvoir la formation des kinés à la gestion de ces risques car actuellement non seulement ils sont mal à l’aise avec mais ont tendance à stigmatiser les situations qui suggèrent un problème psychosocial. Un traitement uniquement biomédical ne donne pas toujours de bons résultats et le thérapeute dont c’est le seul système de référence ne pourra appréhender cet échec qu’en estimant qu’il est dû au patient, trop passif ou trop difficile. A quoi l’attribuer d’autre hein ?
Les kinés devraient considérer que certaines des caractéristiques comme la faible motivation, la dépendance aux thérapies passives peuvent indiquer des facteurs plus complexe comme la dépression, l’anxiété ou une faible confiance en soi, des éléments qui indiquent que le patient a encore plus besoin d’attention que les autres et surtout pas d’être stigmatisé.
Une approche centrée sur le patient, où le MK et le patient travaillent en équipe où les croyances de l’un et de l’autre ont été clarifiées, corrigées, semble plus efficace pour favoriser l’auto-prise en charge, la satisfaction des patients et même améliorer les résultats.
On le voit chez les MK ayant développé une approche biopsychosociale sont plus à l’aise avec l’idée de proposer des exercices à domiciles/au travail, ne voient pas l’activité comme une menace, limitent les soins dans le temps et considèrent que leur but premier est de « réactiver » le patient, de l’accompagner à la reprise d’une activité physique autonome.
On s’y met ensemble ?

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Sauvez-moi, mais sans médicaments !

J’ai repéré son teint pâle en passant devant la salle d’attente. Je ne pensais pas qu’il semblerait si épuisé. Je savais que la chirurgie serait lourde, sanglante peut-être, enfin probablement. Mais je savais aussi que son âge et sa forme physique quasiment olympique joueraient en sa faveur. D’ailleurs il me semblait mieux au tout début, juste après le parachutage à la maison en post-opératoire immédiat. Comme souvent et comme attendu, il a énormément progressé dans les premiers jours et nous avions programmé une consultation au cabinet moins d’une semaine après la chirurgie.
Mon week-end s’est terminé tranquillement, reposée, je reprends la semaine pleine d’allant. Le soupir que je l’ai vu laisser échapper m’inquiète un peu. Ce n’est pas le genre. Je le pensais au calme aussi ces deux derniers jours, je pensais avoir donné tous les conseils nécessaires pour qu’il fasse obstacle à la douleur et les exercices à poursuivre en mon absence.
Les retours à domicile précoces sont parfois trompeurs. Les patients reviennent encore sous le coup des anesthésiques ou des puissants antalgiques reçus pendant ou juste après l’intervention, semblent ravis du résultat et le coup de blues survient, inattendu, parfois violent, 48 à 72h après. Quand le corps commence à reprendre le dessus mais que les messages sensitifs venant des tissus qui ont été découpés, l’œdème autour, la peau et la cicatrice sont brutalement libérés de la barrière des antalgiques.
J’avais pourtant vérifié l’ordonnance, répété et répété encore qu’il fallait prendre les antalgiques avant d’avoir mal, le patient avait opiné du chef, parfaitement d’accord avec moi.
Ce teint fatigué, cette crispation douloureuse dans ses mâchoires m’évoque un problème plus imposant que ceux auxquels je m’attendais. Je l’invite à entrer. Sa gène est palpable dans ses mouvements raides, gauches et empruntés d’une lenteur inhabituelle. La souplesse dans le mouvement qu’il avait d’emblée récupéré est éteinte.
Il raconte : ce n’est pas tant qu’il ait mal sur le site opératoire, au contraire ça va plutôt bien, par-contre l’articulation du dessus, juste là, enfin pas vraiment l’articulation, le muscle là sûrement, est brutalement devenu très douloureux, jour et nuit, ça lance, ça tire, je ne trouve pas de position pour dormir, c’est l’enfer.
Effectivement, le muscle est très contracturé, il compense probablement la chirurgie sous-jacente. Il a dû beaucoup travailler ces derniers jours pour permettre la fonction sans trop contraindre l’articulation qui vient d’être opérée. C’est une réaction « inconsciente » classique, mettre en jeu les structures adjacentes pour soulager un territoire du corps qui enverrait au cerveau des signaux douloureux traduits comme « fais quelque chose ».  Une réaction que je n’avais pas anticipé cette fois, pensant avoir trouvé le juste équilibre entre les exercices donnés et la bonne couverture antalgique constatée en fin de semaine dernière.
Il a trop souffert pour faire les exercices et je le comprends. Peut-être que les antalgiques ne lui suffisent pas. Je reprends l’ordonnance et lui demande les dosages pris ce week-end.
« Et bien j’ai dû arrêter, parce que j’ai eu terriblement mal à l’estomac, ça ne m’arrive jamais, j’ai eu un peu de diarrhée aussi alors bon, j’ai juste gardé le doliprane et juste quand j’avais vraiment mal »
Je lui montre une tâche rouge qui m’interpelle sur sa peau, juste en regard de la douleur nouvelle qui s’est déclarée ces derniers jours :
« Ben j’ai mis un patch chauffant, vous savez, ceux qu’ils vendent à la pharmacie, au camphre, des granules d’Arnica et des comprimés d’Homéophytum, ça m’aide un peu sur le moment mais c’est pas suffisant. »
Ben voyons. A moins de huit jours d’une chirurgie lourde et sanglante. Quelle surprise.
Un autre jour, tard dans l’après-midi, un patient se présente. Premier rendez-vous, son regard est inquiet, ses mouvements sont raides, il ne s’assoit pas comme tout le monde en salle d’attente, il reste crispé, une main appuyée sur le mur. Il est extrêmement douloureux. Une pathologie musculosquelettique assez commune, rarement aussi invalidante, rarement aussi aiguë. Je peux à peine le toucher qu’il sursaute. Il veut des massages doux parce qu’il n’y a que ça qui peut le soulager et l’huile de gaulthérie qu’il met habituellement ne suffit plus.
Je lui réponds avec autant de diplomatie que possible que les massages doux ne sont pas indiqués ni pour soulager une douleur aussi aiguë, ni pour résoudre le problème qu’il présente à long terme. On ne lave pas une voiture avec un éventail ou un transat. L’image ne lui parle pas beaucoup visiblement.
Je poursuis mes investigations, des tendons et des muscles sont impliqués, la douleur a un caractère inflammatoire net ce qui me la rend moins accessible.  Je suis ennuyée car je sens que les résultats vont se faire attendre. La douleur est trop forte, les contractures trop présentes, les limitations fonctionnelles également.
Je m’enquiers de son parcours. C’est le médecin généraliste qui me l’envoie en première ligne. Il n’a pas jugé nécessaire d’explorer les raisons de cette douleur mais ce n’est pas choquant en première intention. Le patient n’a pas souhaité prendre le traitement antalgique proposé.
La douleur résiste aux premières séances, s’élargit même. Je le renvoie chez son médecin avec un message auquel personne ne répondra jamais via mon logiciel, lui expliquant la situation. Le médecin a jugé qu’il était trop tôt pour explorer, que le traitement antalgique et la rééducation étaient les premières choses à faire pour soulager le patient. Je le rejoins sur ce point. L’imagerie n’est pas toujours, voir rarement contributive dans ce type de cas. La kinésithérapie est souvent une bonne indication dans les premiers temps mais dans des cas comme celui-là, parfois je préfère m’abstenir le temps que le patient obtienne et suive un traitement médical bien conduit pour abaisser d’abord sa souffrance à un seuil tolérable. Touchable au moins.
Je suis contente qu’un traitement antalgique ait été mis en place, le patient n’en pouvait plus de souffrir, cette douleur entretenait le phénomène, l’aggravant même comme un cercle vicieux sans fin. J’ai parlé trop vite :
« M’enfin, jamais je ne les prendrais ses (oui SES) médocs là. Pas question. A chaque fois, ça me rend malade comme un chien, j’y suis affreusement allergique (ce ne sont pas les mêmes que proposés la fois précédente), tous les médicaments, je suis allergique à tous (oui TOUS) les médicaments, c’est du poison de toute façon, tout ça c’est pour nous empoisonner, nous affaiblir … ».
Alors non. Stop. Comment en est-on arrivé là ?
Si je me souviens bien, dans mes premiers pas dans le milieu du soin, il y a une quinzaine d’années, les patients qui avaient mal râlaient et quand on a mal, on a bien raison de râler. Ils râlaient parce qu’ils avaient vu le médecin rapidement mais que ce dernier n’avait donné que du Doliprane. Ils étaient ennuyés parce qu’ils avaient mal, vraiment, « et vous savez, je suis dur au mal MOI », qu’ils avaient déjà attendu quelques jours à quelques semaines avant de se décider à prendre rendez-vous et que vraiment, si c’était JUSTE pour du doliprane, était-ce bien la peine de voir le médecin ?
Il n’était pas rare qu’on me parle de ces « vrais » médicaments, ceux qu’on ne vous prescrit jamais, ceux qui soulagent vraiment la vraie douleur que vous ressentez. Des « vrais » médicaments que beaucoup pensaient mériter, « au moins » une cure d’anti-inflammatoires, « quelque chose de plus fort, vous voyez ce que je veux dire » pas « juste » du Doliprane.
Evidemment, la plupart du temps, quand je demandais s’ils le prenaient ce doliprane la réponse était non, ou alors juste quand vraiment, vraiment ils avaient très mal et à ce moment-là, le doliprane ne les soulageait pas. Mais le prendre en systématique, pourquoi faire ? (Au hasard, pour éviter les pics douloureux qui augmentent les compensations et donc les douleurs liées à des causes secondaires qui elle-même relancent la douleur initiale. Au hasard.)
Non. Je ne sais pas faire de miracles. Juste après une chirurgie, au décours d’un gros trouble musculo-squelettique, d’une pathologie inflammatoire, le traitement antalgique est nécessaire. Il est la première ligne, la première intention. Je ne peux pas m’y substituer, je pourrais papouiller des heures durant que ça n’y changerais rien, ça pourrait même être pire. Pour que la douleur cède, parfois, devant les grandes douleurs, il faut les grands moyens, les grands moyens, ça peut être déjà du doliprane, pris en systématique. Pas un cachet qu’on prend quand on n’en peut plus, quand la douleur a pris toute la place et qu’évidemment là, le paracétamol qui a besoin d’un peu de temps pour agir, semblera dérisoire.
Il y a des prescriptions « au besoin », pour les gens qui ont mal souvent, de temps en temps mais pas tout le temps et pour ceux qui ont mal plus régulièrement, ceux qui ont subit des soins pénibles, des prescriptions systématiques. Et ça vaut déjà pour le doliprane. Le soutien de base, ce que je vois être refusé de plus en plus en bloc, c’est un traitement médical simple. Je ne peux pas aider les patients trop douloureux qui refusent ce soutien, la douleur ne s’enrayera pas seule ou pas juste avec moi.
Ça m’attriste en même temps que ça me flatte de voir certains y croire autant.
J’essaie toujours même sans et parfois ça marche un peu. Comme les patchs au camphre et l’Arnica. Se raccrocher à de la poudre de perlimpimpin parce que c’est « naturel » (on fait les meilleurs poisons dans la nature, admirez comme je sors mes arguments fallacieux) qu’untel ou unetelle a dit que ça marchait tout en rejetant en bloc ce qu’un médecin propose ça me semble tellement paradoxal. On crie à la négation des souffrances, qu’on n’écoute plus les patients qu’on ne fait plus rien pour les soulager. Et là, comme de plus en plus souvent, ce qui m’inquiète, vous avez un chirurgien qui a pris le temps de rédiger une ordonnance adaptée aux souffrances qu’il craignait pour son patient, un médecin qui a lu l’épuisement d’un patient, a jugé qu’un traitement médical lui donnait les meilleures chances de soulagement rapide et deux patients, comme trop d’autres qui ont ignorés ces propositions, sont allés ailleurs chercher des solutions alternatives.
Parce qu’ils ont souffert d’effets indésirables et c’est légitime de vouloir adapter son traitement mais pourquoi le faire sans appeler le chirurgien ou le généraliste pour dire ensuite qu’ils ont mal fait leur boulot sans leur avoir laissé une chance d’arranger la situation ? Parce qu’ils ont autrefois souffert d’effets indésirables et qu’ils n’ont plus confiance en la médecine allopathique mais qu’ils vont quand même y chercher un soulagement et ressortirons frustrés de cette médecine qui ne sais pas faire autre chose que d’essayer de traiter ce pourquoi vous venez ?

Et d’introduire là, le pharmacien, pauvre troisième larron qui ne va rien pouvoir faire ou dire sur le traitement médical en cours et qui n’aura à proposer que ces alternatifs aux forts effets placebo (si ça soulage le patient tant mieux) qui ne feront que décrédibiliser encore plus les soignants en amont.
Ne parle-t-on pas assez des effets indésirables potentiels ? Faudrait-il proposer des ordonnances avec différentes options en fonction de la tolérance aux médicaments ? Etre honnête, dire ce que le patient risque de vivre de pas agréable, n’est-ce pas statistiquement augmenter le risque qu’il le ressente, alors que sans rien dire il n’aurait rien senti (= effet nocebo). Lui dire, n’est-ce pas augmenter le risque qu’il ne commence même pas le traitement au lieu d’en prendre un jour ou deux au moins ?
Sommes-nous si mauvais dans la communication que les patients ont dû devenir experts dans l’art de dire « oui, oui » et de sortir en disant qu’il n’est pas question de faire ce qu’on leur propose ?
Comment avons-nous pu laisser la méfiance s’installer au point que 48h après une chirurgie lourde, un patient préfère acheter un patch chauffant à 10000 balles en pharmacie et des granules d’arnica alors qu’il a une ordonnance avec plusieurs niveaux d’antalgiques dessus, cumulables au besoin. La douleur impotente et insomniante n’est-elle plus suffisante pour définir le besoin de « vrai » médicament ?
C’est tellement normal de craindre un médicament qui nous a heurté par le passé, de préférer, vouloir se donner le choix entre la douleur à la diarrhée, mais ne peut-on pas simplement en parler ? Ne peut-on pas échanger d’abord avant de cracher sur LES médicaments ou LES médecins qui ne donnent que des trucs qui font mal au ventre ? Et surtout, en parler avec le premier concerné, le prescripteur initial, pas la voisine, la sœur, le cousin ou le boucher ?
Y’a-t-il si peu d’alternatives que nous n’ayons à proposer que des trucs « insupportables » qui poussent les patients à se tourner d’abord vers le « naturel » ces « pas vraiment des » médicaments mais qui « marchent quand même » ? Du naturel, légitime quand il apporte le soulagement complémentaire, dangereux quand il devient le premier et le seul recours à tous les maux y compris et surtout les plus graves. (A propos d’un cas où l’arnica a guéri un infarctus. Ou pas)
Oui, le doliprane est un excellent antalgique mésestimé parce que rarement pris correctement. Oui les antalgiques de classe supérieurs ont un risque d’effet indésirable plus élevé, parce que suspens, ils sont plus forts. Chaque patient est unique et à chacun correspondra peut-être une association spécifique, cherchons-là, tâtonnons ensemble pour atteindre ce point d’équilibre. Ce point où la douleur sera plus supportable, les effets indésirables suffisamment négligeable et le quotidien moins pénible.
Il y a assez de gens qui souffrent autour de nous, ça me rend dingue d’en voir certains manquer de défaillir de douleur alors que chez eux, délicatement posée sur le meuble de l’entrée, se trouve une ordonnance avec trois ou quatre antalgiques de différent grade à laquelle on n’a pas voulu toucher parce que « des fois j’ai mal au ventre » mais « j’ai pas osé lui en parler ».
Chaque patient mérite de trouver cet équilibre où tout est un peu moins pire. Laissez-moi, laissez-nous vous aider, mais s’il-vous plaît, acceptez, laissez-nous, avec vous, en discuter.

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Quand la corrélation entre douleurs lombaires et anomalies radiologiques se fait suspecte

Bon, soyons sérieux pour une fois. Parmi les bonnes résolutions 2018, essayer d’adopter une pratique un peu plus EBM (evidence-based médicine = médecine basée sur les preuves) et pour ça, lire un peu plus d’articles scientifiques. Les lire et puis en faire quelque chose. Les résumer quelque part pour pouvoir m’en resservir et enrichir mes explications aux confrères et aux patients. Evidemment comme toute bonne résolution, elle ne tiendra peut-être pas longtemps mais en attendant, je vous propose de publier ici, les résumés des articles lus qui m’ont plu. 
Aujourd’hui, je vais vous causer d’une étude qui s’appelle : Revue de littérature systématique des signes de dégénérescence rachidienne à l’imagerie dans la population asymptomatique (vous retrouverez ici le pdf complet)
Dans l’introduction, les auteurs évoquent la problématique des douleurs lombaires extrêmement fréquentes (low back pain = bas du dos) qui peuvent toucher jusqu’à deux/tiers des individus au cours de leur vie dans les pays industrialisés. Dans ces pays, il est usuel de penser pour les patients et ceux qui les soignent, que l’imagerie (scanner, IRM) est un élément diagnostic indispensable pour savoir d’où vient leur douleur et comment la prendre en charge 
Hors, dans cet article, les auteurs se sont intéressés à la proportion des individus asymptomatiques (qui ne souffrent pas du dos) et qui présenteraient malgré tout des anomalies à l’imagerie (scanner, IRM).
Si seuls les individus symptomatiques (= qui souffrent) présentent des anomalies, on pourrait se dire que l’anomalie et la douleur sont liées. Mais si on trouve beaucoup d’anomalies chez les patients qui n’ont pas mal, pourra-t-on encore dire que l’anomalie cause la douleur ?
Cet article est une revue systématique. En gros, ça veut dire que les auteurs ont recherché tous les articles existants sur le sujet depuis plusieurs bases de données, les ont sélectionnés pour pouvoir en en recouper les données avant de les analyser pour voir s’il y avait des informations à déduire de l’ensemble. Souvent, un seul article ne suffit pas à établir une vérité scientifique mais si un certain nombre d’articles solides concluent la même chose, on peut commencer à y croire.
Ici, 33 études ont été sélectionnées, pour un nombre total d’individus cumulés de 3110 (de 8 à 412 personnes par étude). Dans ces études, doit être mentionnée la prévalence (le nombre) des patients asymptomatiques (qui n’ont pas mal) présentant une anomalie à l’imagerie par rapport à ceux qui n’ont pas mal et qui présentent une imagerie normale. Une répartition par tranche d’âge est souhaitable, lorsqu’elle n’est pas précisée, les cas sont répartis par tranche selon le modèle de la population générale.

Dans le détail, chez des patients qui n’ont jamais eu mal, on retrouve :

          Un aplatissement du disque intervertébral chez
o   37% des 20-29 ans (Plus d’un jeune adulte sur 3 !)
o   52% des 30-39 ans
o   80% à partir de 50 ans (93% après 70 ans)

          Une protusion discale(<25% de la circonférence du disque qui déborde du plateau vertébral) chez
o   29% des 20-29 ans
o   31% des 30-39 ans
o   36% à partir de 50 ans (40% après 70 ans)

          Un débordement discal (>25% de la circonférence du disque qui déborde, on parle parfois déjà de hernie à ce stade) chez :
o   30% des 20-29 ans
o   40% des 30-39 ans
o   50% des 40-49 ans (77% après 70 ans)

Tout cumulé, si vous avez entre 30 et 39 ans, que vous n’avez jamais eu mal en bas du dos et que vous faites un scanner ou une IRM, vous avez 50% de chances qu’on trouve quelque chose. Je savais qu’il existait une part non négligeable de la population présentant des anomalies radiologiques sans signe clinique (= sans gène/douleur), je voulais des chiffres plus clairs que « non négligeable », je reconnais que je ne m’attendais pas à autant chez des populations aussi jeunes. 
Autrement dit, un adulte sur deux entre 30 et 39 ans présente déjà des anomalies à l’imagerie sans en avoir souffert. Peut-on réellement conclure que ce sont ces anomalies qui font souffrir les autres ?

En conclusion de l’étude, l’idée que cette forte prévalence nous incite donc à considérer ces processus comme des évolutions physiologiques liées à l’âge et non à des processus pathologiques (Ce n’est pas moi qui le dit mais eux) et à rester très prudents quant aux liens qu’on pourrait faire entre ces anomalies et la douleur ressentie.
Comme dans la majorité des études scientifiques, l’analyse des biais potentiels est fournie. Les auteurs notent des individus majoritairement volontaires, cela aurait-il pu sélectionner une population plus sujette à ces anomalies ? Ils pointent également l’absence de précision sur l’ampleur des atteintes et de comparaison entre les populations symptomatiques et asymptomatiques. Les protusions discales étaient-elles moins étendues chez les patients asymptomatiques ? 
Je retiendrais quelques chiffres et surtout cette hypothèse sur des anomalies qui seraient physiologiques, liées à l’âge, pas systématiquement pathologiques comme on les considèrent actuellement et comme elles ne font pas souffrir une proportion importante d’individus qui les présentent, qu’elles ne seraient pas LA cause des douleurs ressenties. 
Brinjikji W, Luetmer PH et alii, Systematic literature review of imaging features of spinal degeneration in asymptomatic populations. Avril 2015, AJNR Am J Neuroradiol, 36(4) : 811-6.

(Evidemment, si vous avez quelque chose à rajouter, une interprétation à corriger, n’hésitez pas à m’en faire part, je ne suis pas une grande pro en terme de littérature scientifique). 

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Le pouvoir de sécher des larmes

Elle a pleuré. Ses longs cils sont humides encore, ses yeux rougis. Ses lèvres brillent, plus roses que d’habitudes exactement comme celles de Wonder Woman dans le film. Je ne lui souhaite pas d’être aussi fade que la fille de cette fable moderne qui n’avait d’intérêt que pour ravir les yeux de ces messieurs, à mon humble avis, en lieu et place de célébrer la puissance des femmes.
Celle que j’ai devant moi l’est infiniment plus. Et pourtant elle a pleuré, elle va pleurer encore.
Je suis au cabinet.  Je ne le sais pas encore, mais ce matin, sur 14, 3 patients ne viendront pas. Un est malade depuis cette nuit, un autre l’est toujours mais oubliera de me prévenir que cette fois encore il ne viendra pas, le troisième ne viendra pas, ne préviendra pas. Un quatrième arrivera avec quinze minutes de retard. Je condenserai la séance, je me forcerai à réfléchir plus vite pour boucler quelque chose de correct sans trop décaler mes horaires pour sortir haletante, réaliser que le suivant faisait partie des 3 portés-pâles. Du speed, de l’intensité, de l’échange puis le vide, l’absence de patient, se réorganiser, s’arrêter, que faire, boire un thé, faire des papiers, et puis finalement, répondre au téléphone, prendre les messages puis recommencer à soigner entre les creux, entre le temps perdu, arraché à mon lit ou aux bras aimants qui m’attendront en rentrant.
Et la dernière, elle, qui me cassera un peu le cœur en deux.
En attendant, maintenant encore, il va falloir soigner en discutant, parler du beau-temps et du reste. Surtout du reste, surtout du Levothyrox ou des vaccins, de la grippe, du rhume ou de ces médecins qui ne sont JAMAIS disponibles.
On me demande un avis qui n’est pas toujours tranché. Ce n’est pas que je ne veuille pas m’engager, c’est qu’on est plutôt pragmatique dans mon secteur, et mon avis se range souvent à une opinion médicale plutôt basée sur les preuves, très certainement glaciale mais ferme. Des notions que j’accepte comme vérité mais les dés sont pipés et beaucoup de ceux qui m’en parlent savent déjà lesquelles ils accepteront d’entendre. Ils attendent juste que j’abonde dans leur sens, et comme je suis une connasse corporatiste, je donne plutôt raison à leurs médecins et pas à leur fille/nièce/voisine/cousin/oncle…
Toutes les semaines, répéter, le procédé, ce qui s’est passé ailleurs, comment, ce qui est possiblement imputable au levothyrox, ce qui ne l’est pas, faites confiance au temps et à votre docteur, faites-vous confiance.
Mais le docteur, s’il faut les croire, n’avait pas le temps, ne prenait pas le temps. Il était pressé, il n’écoutait pas, tous ces symptômes nouveaux, toute l’ampleur de cette angoisse. Faut dire que statistiquement, si les médecins ont du recevoir à cette période tous les gens qui s’inquiétaient, par extrapolation avec le nombre de gens qui venait m’en parler à moi, je me demande encore s’ils ont eu le temps de déjeuner ou de rentrer dormir à cette période. D’ailleurs ont-ils même eu du temps pour ceux qui n’avaient pas de problème avec le lévothyrox ?
Et puis il y a eu les vacances, « ils sont tous partis, on peut mourir », et puis les certificats, « ils ne sont pas à l’heure et ils veulent faire du fric en nous faisant payer un vulgaire papier » et encore un peu de lévothyrox et puis le début de l’automne et l’arrivée du monstre hivernal, la grippe, dont personne ne veut mais dont on veut encore moins le vaccin au point d’en dégoûter ceux qu’il aidait encore sur des arguments auxquels les alternatives qu’on loue sans cesse ne résisteraient pas un instant.
Les patients que je reçois ont continué à me parler du levothyrox. J’ai peur d’avoir levé un lièvre d’ailleurs (et croyez-moi j’aurais préféré m’en passer) à base de dégénérescence neurologique ou atteinte tumorale parce que le levothyrox avait bon dos à l’époque et que « j’ai pas revu mon docteur depuis », faut dire qu’entre ça et la grippe, il est très occupé. Etonnant hein.  
Toutes les semaines, parler du rhume, répéter et entendre encore qu’il « va falloir consulter parce que là j’ai encore mal à la gorge, mais VRAIMENT et ça fait quatre jours, j’ai pas de fièvre mais j’ai bien MAL à la gorge » que « ça va tomber sur les bronches », que « moi, ça ne passe pas sans antibiotiques » et que « rendez-vous compte, pas de place aujourd’hui et demain » ou « le cabinet ferme UNE SEMAINE pour les vacances, j’ai appelé tous les autres docteurs de la ville, PERSONNE rendez-vous compte, ça fait DES jours que j’ai le nez qui coule ».
Toutes les semaines parler de la grippe, de mes raisons d’être vaccinée qui ne sont pas forcément les leurs, de ce qui me semble la seule chose à retenir : vacciné ou pas, on se protège, et malade, on ne s’approche pas des gens fragiles. Fragile et vacciné ou non, on ne laisse pas les malades entrer.
Toutes les semaines, entendre les histoires sur la SEULE fois où l’un s’est fait vacciner, c’est la seule année où il a été malade, sur l’homéopathie qui marche bien quand même tout en prenant les messages haletants des malades qui ne peuvent pas venir me voir mais qu’en plus « oh là là, ça ne va pas et je ne trouve pas de médecin, personne n’a de place aujourd’hui, rendez-vous compte, on peut mourir ».
Toutes les semaines, compter les séances annulées du matin pour le matin même, les oublis, les erreurs d’horaires, les retards, compter le délai d’attente au cabinet (3 à 6 semaines), rallonger la liste des patients qui attendent un premier rendez-vous (une cinquantaine en souffrance depuis novembre, et combien qu’on a plus ou moins sciemment omis de rappeler ?). Recompter le nombre de séances annulées, compter le nombre de patients qu’on aurait pu rappeler pour commencer à les soulager sur ces créneaux-là.
De mon petit cabinet confortable où rien n’est urgent ou presque, où personne n’a peur de mourir si je ne dis pas oui tout de suite, je pense aux généralistes d’en face qui croulent sous la demande de rendez-vous, les épidémies hivernales, les confrères qui partent à la retraite sans être remplacés, les questions qui n’en sont pas, où ils n’ont droit qu’à une seule réponse pour ne pas passer pour des incompétents (le vrai remède contre le rhume, le vrai levothyrox, le vrai risque du vaccin contre la grippe, la vraie durée de l’arrêt de travail légitime pour une angine) et au milieu, les défections qu’ils doivent avoir, en ont-ils plus, moins que nous ? Combien de temps de perdu à l’échelle d’une journée moyenne d’un généraliste pour les trop connus « pas venu, pas prévenu » ?
Combien de pression, combien de ces malsains « chantages » du soignant avec et contre lui-même, avec sa conscience, sur les limites de ses horaires, son besoin de temps libre ou juste de sommeil, l’importance et la réalité des urgences des uns et des autres, les consultations urgentes attribuées à ceux qui gueulent le plus fort quand on constate souvent combien ceux qui vont le plus mal sont ceux qui en disent le moins ?
Et moi cet après-midi, je suis avec une patiente en proie à une douleur immense, aiguë, brutale sur laquelle je ne peux rien. Une douleur nouvelle, inédite, de laquelle on ne sait rien encore et qui n’a pas de raison d’être. Je touche, je comprime un peu, j’emmaillote, je fais faire une bouillotte, je masse vaguement sans résultat. Je sais qu’il y a autre chose en jeu. Il y a les gros mots qui reviennent sans cesse, la tumeur, la chimio et ses trente-ans bientôt. Il n’y a pas de petites douleurs sous chimio. Il n’y a pas de douleurs sur lesquelles il suffit de serrer les dents et d’attendre. Ça passe rarement quand on a la chance d’avoir un cancer, jamais avec du doliprane ou presque et parfois ça veut dire quelque chose, rarement quelque chose de sympa.
Je suis avec elle et je ne sais pas quoi faire de ses larmes. On est vendredi. Son médecin ne l’a pas vue depuis longtemps, parce que les spécialistes ont pris le relai, que c’est difficile pour elles deux , le médecin comme la patiente de se déplacer. L’urgence c’est la douleur, la douleur qui lui coupe la respiration, qui la laisse gémissante, les yeux larmoyants, la douleur qui n’a pas de sens et le vendredi soir qui la rapproche inexorablement du week-end.
Et entre ses sanglots, les cris qui résonnent dans la chambre, « non, non, pas ça » quand j’ai dit que si ça ne passait pas, il faudrait aller aux urgences, les larmes qui se sont remises à couler. La peur étranglante que ce soit grave, la peur panique d’y rester à l’hôpital, quelques heures, quelques nuits ou d’y rester tout court, avant son anniversaire.
Et moi comme une idiote je suis là, assise au bord du lit, le cœur en miettes, ma main posée sur la sienne, je voudrais juste la prendre dans mes bras parce que cette détresse-là, à l’école, on ne m’a jamais dit quoi en faire et mon cœur me dit que la seule chose envisageable, parce que sa douleur fait trop mal, c’est de la serrer contre moi.
Et l’impuissance me déchire. Le médecin n’est pas joignable. La secrétaire est catégorique. Les créneaux sont pris. Tous. Elle ne fait pas de visite. Le cabinet est fermé samedi. Elle a une vie après le travail, elle ne fera pas de visite. Elle veut bien lui laisser un message mais comment lui faire écrire autant de peine ? S’il y a urgence, c’est le 15 qu’il faut composer, Madame.
Je ne crois pas que l’urgence soit vitale. Le cas est trop médical pour moi, le cancer trop gros, la chimio trop forte pour que je sois catégorique. Mais cette douleur-là, c’est une urgence, cette détresse-là, ce n’est pas humain d’y laisser quelqu’un. Je ne suis pas sûre qu’il soit nécessaire de faire les 45mn de route vers le centre qui s’occupe de sa saloperie de maladie, passer des heures sur un brancard pour commencer à soulager cette douleur. En fait, je ne suis sûre de rien, si ce n’est qu’il faut faire quelque chose.
C’est vendredi soir, son médecin qui l’a vue il y a plusieurs mois, a travaillé sans interruption, sans déjeuner peut-être, probablement. Le refus de consultation par le secrétariat est légitime, la limitation à des plages horaires raisonnables (8h-20h), à des créneaux de durée suffisante, la quasi-suppression des créneaux de visite au regard des abus, de la circulation et du stationnement difficile le sont autant.
C’est vendredi soir, chez ma patiente, si la douleur ne cède pas, elle n’aura pas le choix, entre deux maux qui la font hurler, la douleur envahissante, et la peur de la violence, la brutalité des consultations aux urgences et l’angoisse sourde, sous-jacente que si c’est SI urgent, c’est peut-être mortel.
Elle n’aura pas le choix. Parce que les médecins ne déplacent pas, parce qu’ils n’ont pas le temps. Ils ne travaillent pas moins pour autant. Ils font de leur mieux malgré tout. Ils n’ont pas la liberté que j’ai de refuser toutes les consultations sur lesquelles je me défile allègrement parce que la kiné c’est jamais vraiment urgent. Ici ils font ce qu’ils peuvent. Ils jonglent difficilement entre la pression démographique et leurs besoins, ne serait-ce que de de dormir un peu, pour ne pas faire d’erreurs qu’on ne leur pardonnerait pas, la fatigue n’étant pas considérée comme une excuse. On dit souvent qu’ils ne travaillent pas assez, peut-être, et pourtant…
Ce soir, pourtant, je me demande combien de patients n’ont pas honoré un rendez-vous pris avec le médecin de ma patiente aujourd’hui, parce que c’était vendredi et qu’ils ont oublié de prévenir. Combien de fois a-t-elle ouvert la porte sur une absence ? A-t-elle pu en profiter pour prendre son temps avec d’autres, rattraper son retard ou attendre le suivant, inutilement ?
Ce soir, je me demande combien de patients sont venus la voir pour des rhumes débutants sans signes de gravité ou pour des gastro-entérites, parce qu’ils n’ont pas pu aller travailler et que l’employeur veut un papier.
Ce soir, je me demande combien de patients ont encore eu besoin de son temps pour parler du Levothyrox et de leurs inquiétudes (légitimes, toutes les inquiétudes sont légitimes).
Ce soir, je me dis que dans ce cabinet médical, sans que le médecin ne travaille une minute de plus, si les patients pas venus avaient prévenu, s’il y en avait eu quelques-uns parmi la masse qui étaient restés chez eux avec leur rhume, si les pouvoirs publics avaient manœuvré autrement et apaisé correctement les craintes autour du Levothyrox, je me dis qu’elle aurait peut-être eu le temps finalement…
Le temps d’entendre, le temps de passer voir ma patiente, le temps de lui donner, d’être un choix. De me laisser lui dire qu’il existait une autre possibilité à la consultation aux urgences, auprès de quelqu’un qu’elle connaît et qui saura mieux que moi la rassurer ou l’aiguiller vers ce qui lui fait si peur. Ou juste commencer à faire quelque chose pour la soulager.
Ce soir, je sais que tout n’est pas aussi simple. Mais quand même. Entre ses pleurs qui résonnent encore dans mes oreilles, je me demande, si à nous tous, avec de petits efforts pour chacun, nous n’aurions pas pu faire quelque chose pour que Wonder Woman cesse de pleurer. 

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Quand la douleur parle… Ou pas.

Je me targue de donner de l’importance à leur douleur, à leur ressenti. C’est le cœur de mon travail, de faire évoluer leur plainte initiale, c’est un des seuls critères qui me permettent d’évaluer mon efficacité et la pertinence des soins que je propose. On parle de plus en plus de l’importance, des mots choisis par le thérapeute, de leur effet potentiellement néfaste sur la douleur. Alors l’entendre est essentiel, primordial sauf que… Et bien parfois, ça ne veut pas.
Je ne choisis pas bien mes mots sûrement, eux-mêmes peut-être n’ont pas été assez guidés sur l’écoute de leurs ressentis. Alors j’essaie de changer mes phrases, de les enrichir, d’en adapter la tournure mais…
Quand ça ne veut, pas, ben, ça veut pas :
          Bonjour, comment allez-vous ?
          Mais très bien, je vous remercie…
         Quelle bonne nouvelle, moi qui pensais que je n’arriverai pas à vous soulager !
        … Enfin sauf mon épaule, j’ai toujours mal, toujours pareil quoi.  
          Bonjour, comment vont vos cervicales aujourd’hui ?
          C’est sensible.
          Qu’entendez-vous par sensible ?
          Bah je le sens.
          Vous avez mal ?
–      Non pas vraiment mais c’est sensible.
          Le jour, la nuit ?
          Tout le temps.
          Allez-vous mieux depuis que nous avons commencé les soins ?
          Ah ça oui. Je n’ai plus mal. Mais ça reste sensible. Parfois.
          La séance précédente vous a-t-elle soulagée ?
          Ah oui, c’est mieux qu’au tout début mais je le sens quand même. Bon avec ce temps, nous ne sommes pas aidés !
          Bonjour, comment va votre douleur d’épaule depuis la dernière fois ?
          Bof. J’ai mal quoi.
          Où avez-vous mal ?
          Bah le dos. Puis l’épaule. Là. Puis là. Et quand je fais ça.
          Donc ce qu’on a fait la fois précédente ne vous a pas soulagé ?
          Ah si, je n’avais plus mal jusqu’à hier mais alors plus mal du tout. Et puis, bon, hier j’ai fait du bricolage, un peu de menuiserie, j’ai scié des planches, j’ai fixé des étagères sous l’évier donc là, ça me tire dans le dos, les épaules, faut dire que j’étais un peu tordu toute la journée, je n’ai pas arrêté.
          On pourrait dire que ce sont des courbatures donc ?
          Ah oui, on pourrait.  
          Bonjour, votre douleur du tendon d’Achille s’est-elle améliorée depuis notre dernière consultation ?
          Bof, ça me chatouille.
          Au repos, à l’activité ?
          Après l’effort. Mouais ce n’est pas terrible ces temps-ci.
          Vous diriez que ça régresse ?
          Oui plutôt.
          Quels sont les efforts qui réveillent la douleur ?
          Quand je cours plus de deux heures.
          Si je me souviens bien, au début des soins, vous aviez mal pour des efforts de moins de 15 minutes, ça me semble plutôt une bonne nouvelle que vous puissiez courir deux heures avant de ressentir la douleur ?
          Oui… PEUT-ETRE.
          Allez-vous mieux qu’au début de la prise en charge ?
          Ah oui, complètement, je n’ai plus mal pratiquement d’ailleurs. Ça me chatouille mais ça ne me fait pas mal. Je cours 3 à 4h par semaine c’est pas mal.
          D’où pourrait venir ce sentiment de régression ?
          Bah quand je ne courais plus, je n’avais plus mal du tout, là si je force j’ai mal.
          Faites-vous les exercices que je vous ai conseillés pour améliorer votre tolérance à l’effort ?
          Non.
          Bonjour, votre douleur a-t-elle évoluée depuis notre dernière séance ?
          Oh bah j’ai mal mais vous savez, je ne m’écoute pas trop hein, je suis dur(e) au mal moi.
          Avez-vous plus mal, moins mal qu’avant la séance précédente ?
          C’était quand déjà ? Avant-hier ? Oh LA LA mais je sais plus moi, si vous croyez que je me souviens de ça ?
          Avez-vous mal ?
          Oh je ne sais pas, c’est plutôt une gène, par-là, mais pas tout le temps enfin vous voyez quoi et puis on m’a dit que c’était long de toute façon alors…

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Ce n’est pas dans la tête. Quoique…

Les notes s’égrènent sur le piano, inégales. Certaines sont complètement silencieuses, l’appui n’était pas suffisant, sûrement. D’autres sont plus brutales quand mes doigts dérapent, des notes fortes mais éphémères qui viennent s’éteindre avant d’atteindre la voûte du plafond cathédrale du salon de mon professeur.
J’ai débuté avec bonheur il y a quelques mois, avec la sensation précieuse de faire quelque chose rien que pour moi, rien qu’à moi, de me creuser les méninges pour autre chose que le travail, la souffrance des autres ou les soucis du quotidien.
Le son ne me convient pourtant pas encore. Trop hésitant me semble-t-il, pas assez linéaire. C’est fascinant pour moi qui travaille de mes mains d’observer ma gaucherie. C’est fascinant de sentir les limites de mon propre schéma corporel, pas du tout rompu à ce type d’exercice, fascinant de le voir s’enrichir, s’étendre, doucement.
Je ne suis pas venue chercher que de la musique. Je suis venue chercher l’évasion, l’émotion, celle qui me submerge quand elle, qui m’enseigne, joue le morceau que je déchiffre à peine. Je suis venue pour m’agrandir.
Mais mes doigts chuchotent toujours sur les touches, c’est pourtant moi qu’on vient chercher pour du massage en profondeur ou simplement pour ouvrir un bocal de cornichons. Je sens la caresse, la douceur des touches qui me réjouit mais je n’ose pas, à croire.
Elle me demande de jouer plus fort. De ne pas hésiter.
Je joue plus fort, le son résonne, clair et haut et soudain la gène m’envahit. Mes épaules raides se referment sur ma poitrine ma tête se penche vers le clavier pas pour mieux le voir, pour mieux m’effacer. Ce bruit, le bruit que je fais, prend beaucoup trop de place et j’ai du mal, je supporte mal de sentir tout l’espace que j’occupe avec lui.
Ce n’est pas une histoire de doigté. Ce n’est pas une question de force. Le parallèle me saisit. Moi qui parle si souvent de ces nuances auprès de ces patients, ces subtilités qu’on est toujours les derniers à voir, à pouvoir sentir, j’y suis prise tout autant.
Ce n’est pas une histoire de niveau. C’est une histoire d’oser et d’exister. Faire de la musique, c’est faire du bruit, joli certes, mais du bruit quand même. C’est occuper de l’espace, sonore celui-ci, mais de l’espace quand même. C’est prendre de la place, une place qui irait jusqu’au plafond de cet immense salon. C’est occuper une place tellement grande qu’elle s’étendrait sûrement au point que d’autres puissent m’entendre et me voir alors que c’est plus confortable de rester cachée. C’est oser faire du bruit parce que faire du bruit c’est exister. C’est se montrer.
Et c’est dur pour moi. Plus dur que de retenir les notes, de les lire ou de les enchaîner. Dur de prendre autant de place, de faire autant de bruit que la prof que j’estime beaucoup, autant comme si j’avais autant de mérite qu’elle à être. Et ce n’est pas possible. Dans ma tête, ce n’est pas possible. Je ne peux pas être autant voir plus qu’un autre. Je ne peux pas prendre tant d’espace. Parce que je n’en ai pas le droit ? Parce que je ne pense pas le mériter ? Parce que dans ma tête, ça ne colle pas.
Je lutte beaucoup dans mon travail contre l’adage « c’est dans la tête ». Je ne nie absolument pas l’existence des pathologies psychiatriques, des désordres psychologiques, des retentissements psychosomatiques, au contraire. D’ailleurs même chez ceux qui se sentent bien, je crois qu’il y a forcément quelque chose à creuser, pas pour remuer un couteau dans une plaie mais pour se comprendre et avancer. Pour adoucir nos regards qui sont devenus si cassants envers tout le monde, et surtout envers nous-même. Je lutte contre cet adage parce que je le trouve dangereux quand il est mal utilisé et je ne le vois pratiquement que mal utilisé.
Je le crains quand il est sorti trop vite, quand toutes les autres causes n’ont pas été explorées et qu’il risque, par un raccourci hasardeux à base de préjugés, de ralentir la prise en charge de trucs potentiellement plus graves. C’est infiniment vrai chez les patients et surtout les femmes (surprise) angoissées ou ceux qui posent trop de questions. Le même mécanisme fait des ravages chez les patients en surpoids, « c’est le poids » mais non ce n’est pas toujours le poids, non ce n’est pas toujours psy et parfois c’est grave. 
Je le crains aussi quand il sert à un soignant, qui « sait » et donc qui a le pouvoir, à se défausser. Quand les explorations ont été faites et que personne n’a de réponse à apporter aux symptômes décrits, c’est plus facile de taper dans le joker « c’est dans votre tête » (= c’est vous le problème) que d’oser dire qu’on ne sait pas (=c’est ma médecine, mon travail, moi le problème). Qu’on va chercher encore ou qu’on va essayer de trouver des solutions pour amoindrir la douleur même si on n’arrive pas à donner un nom ou un lieu à ce qui la cause. Parce que cette défausse fait trop mal même si trop n’ont pas compris les blessures qu’ils causent. Dire « C’est dans la tête » c’est dire « c’est de ta faute », « tu es trop ceci/cela », « tu n’as pas su te CONTRÔLER », « tu n’as pas su tenir le choc » et c’est tuer, un peu plus celui qui allait déjà si mal. Celui qui a vu les proches s’éloigner, le travail se dégrader et son respect pour lui-même s’effacer. Bim. Parce que « c’est de sa faute » voire « j’invente » voire « je suis cinglé(e) ». Bam.
Alors non, je leur dis, ce n’est PAS dans votre tête. Ce n’est PAS QUE dans votre tête. Ce n’est JAMAIS QUE dans la tête. Et même si ça l’est un peu, un peu beaucoup, mais jamais QUE, ce n’est pas de votre faute. Vous avez fait de VOTRE mieux. Même si votre mieux n’a suffi à personne, il doit vous suffire à vous, c’était tout ce que vous pouviez faire. Et de ça, déjà vous pouvez en être fier(e).
Mais à mesure que je les regarde tous, en entier, corps et âme indivisibles comme j’ai appris à le faire, à mesure que les apaise et à mesure que je vis, d’un cours de piano au suivant, d’une amie que j’observe à une autre, je dois bien l’avouer, il y a quand même quelque chose qui se passe dans la tête et qui se voit sur les corps. Qui fait mal parfois. Dedans et dehors.
C’est la façon qu’ils ont d’exister. La place qu’ils s’autorisent à prendre. Leur capacité ou non à accepter d’être vus, entendus de vivre, d’être perceptibles par les sens des autres.
C’est tellement plus facile que de scruter le sol en marchant dans la rue. Comme si en ne voyant que le sol, on s’imaginait que les autres autour ne verraient que ça également. Lever les yeux c’est risquer de croiser un regard, risquer d’être vu, de donner à l’autre, aux autres, une ligne, quelque chose à quoi s’accrocher, se raccrocher, comme si on pouvait être digne d’intérêt, comme s’il existait des gens dans la rue pour s’intéresser à vous autrement que pour vous embêter.
Regarder par terre, c’est fléchir la tête, la suspendre un peu plus aux trapèzes mais aussi aux petits muscles comme l’élévateur de la scapula qui ne sont pas faits pour ça et qui vont vite faire mal parce que ça fait bien quatre bons kilos une tête. Regarder par terre, c’est ne plus se grandir, ne plus solliciter les érecteurs du rachis cervical, et comme il n’y a pas de petites économies, des muscles qui vont s’affaiblir puisqu’ils ne servent pas, des muscles qu’on aura du mal à remettre en route ensuite, quand la douleur sera là. Dans le même temps les muscles à l’avant vont se raccourcir et qui ne se laisseront pas rallonger facilement quand on essaiera de la redresser, la tête.
Il y a aussi quelque chose de plus profond encore qui tourne autour de la poitrine et du dos. Des épaules qui s’affaissent, qui s’enroulent pour courber l’échine. On est moins grand quand on se voûte, le regard est déjà plus près du sol, on risque moins de croiser celui des autres, encore moins de les regarder de haut, parce que se tenir droit, c’est se tenir grand, c’est voir certains de haut, être au-dessus mais ce n’est pas possible d’être au-dessus de qui que ce soit. Si.
Enrouler les épaules c’est faire reculer un peu la poitrine, la mettre à l’abri de murs de papiers. C’est dire un peu moins haut que vous êtes une femme, voir ne pas le dire du tout. Pour ne pas attirer, parce qu’une poitrine c’est un appât, un appât à emmerdes, une étiquette « mangeable » pour certaines qui est aussi inacceptable qu’intolérable mais c’est aussi pour d’autres une étiquette « femme » qui est insupportable. Parce qu’être une femme, ça veut dire être une personne adulte et accepter qu’un autre adulte puisse vous aimer. Vous trouver belle, vous désirer, mais surtout vous aimer ou simplement voir que vous existez. Pour la femme que vous êtes. Et c’est si dur, pour beaucoup plus de femmes que ce que vous croyez que d’oser l’être. Et d’oser le montrer.
C’est aussi vrai pour les hommes même si la pression n’est pas la même. Enrouler les épaules, c’est cacher les pectoraux que vous n’avez pas, la musculature sans laquelle vous n’êtes pas vraiment un homme, parce qu’être un homme c’est être musclé. Enfin c’est ce que vous aviez cru comprendre, que vous ne vous sentez pas vraiment un homme avec ce torse plat et étroit, qui se voit moins quand vous le ployez.
Enrouler les épaules, c’est augmenter la tension sur le tendon du long biceps, raccourcir les grands pectoraux qui auront toute la liberté de tirer un peu plus et en face, épuiser les fixateurs des scapulae, l’infra-épineux, le petit rond, petites choses fragiles et fines qui se fatigueront à lutter, petits David contre le gros Goliath. Les trapèzes et l’élévateur vont souffrir aussi, tiraillés entre la tête à retenir et l’épaule avancée, si lourde maintenant. Courber l’échine c’est allonger les érecteurs du rachis thoracique, même rengaine qu’au-dessus, qui vont avoir plus de mal à bosser, qui ne bosseront plus beaucoup d’ailleurs, qui dont la faiblesse installée au fil des années fera qu’on pourra vous dire cent fois  « redresse-toi » vous n’y arriverez pas.
La pesanteur est une traîtresse qui aggrave le phénomène. Elle vous emmène dans ces travers et pour s’en défaire, il faut lutter, physiquement. Encore faut-il le pouvoir, avoir les ressources de lutter, quand tout vous ramène, dans la tête à cette position confortable où vous vous sentez protégé(e).
Se tenir droit, les épaules en arrière, la tête haute, c’est prendre de la place. Beaucoup de place. Beaucoup plus de place. Ne serait-ce qu’en terme de surface. C’est exister un peu plus, avec plus de choses à voir, plus de distance couverte du regard, plus de gens aussi.
C’est donner plus de prise à la vie mais aussi aux autres, se dévoiler à soi mais surtout aux autres.
Ne pas se replier sur soi c’est dégager le ventre, le laisser libre, en danger peut-être, parce que les organes sont les seuls à ne pas être protégés par des remparts osseux. C’est accepter que son pubis, son ventre, sa poitrine, sa gorge prennent plus de place dans le monde. Et que plus de gens puissent y poser le regard. C’est s’exposer.
C’est oser exister. Quitte à attirer. Quitte à être vu.
C’est oser dire à voix haute qu’on mérite sa place, qu’on mérite d’avoir autant de place que les autres. Et cet exercice-là, est si dur n’est-ce pas ?
Alors non, ce n’est jamais QUE dans la tête.
Parfois ça l’est un peu.
Mais pas parce que vous n’avez pas « maîtrisé vos angoisses », pas parce que « vous n’avez pas su tenir le coup ». Juste et tellement parce que personne n’a pris le temps de vous dire combien vous aviez le droit d’exister, qu’il y a une place pour vous et que vous pouvez la prendre. Que vous la méritez. Quelque que soit la personne que vous êtes. Ou que vous voulez être.
Et redressez-vous. De dedans. Pour ne pas avoir mal dehors. Et avoir moins mal dedans.

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La vieille dame et les courants d’air

Le magnolia est fané depuis longtemps. Il s’est effeuillé au gré des bourraques, ses pétales d’un blanc nacré dispersés sur le vert tendre de la pelouse. Les feuilles qui les ont remplacés ont jauni puis sont tombées aussi. Seules restent ses branches noueuses obstinément tournées vers le ciel.
La vieille dame, celle qui a épousé le très vieil homme au magnolia il y a cinquante ans maintenant a probablement dû allumer un feu dans le poêle. Je la vois bien sur le canapé crème, dos au magnolia et à la lisière de la forêt, l’échine courbée sur un de ses sempiternelles mots-croisés, un thé et quelques gâteaux. Je l’imagine bien, aussi, asise à la petite table devant le piano, du côté de la baie vitrée qui surplombe le village, cette petite table recouverte d’une couverture cousue-main sur laquelle elle joue avec de toutes petites cartes jaunies par les ans.
Elle y laissait souvent une partie de solitaire interrompue, le temps de m’ouvrir ou de me donner la carte vitale qui trônait sur le piano, juste à côté de la photo en uniforme de son époux. Cette photo où je laissais traîner mon regard, y cherchant les traces de l’homme au teint diaphane que j’avais rencontré pour la première fois devant le poêle justement.
Cet homme si maigre, si grand et si digne dans son peignoir trop large. Celui qui n’en finissait pas de partir alors que nous le croyons perdu, revenant sans cesse au coin du feu, quelqu’en soit la manière pour lire le journal chaussé de ses immenses lunettes aux verres teintés.
Cet homme devenu très vieux, que l’âge affaiblissait doucement, la fin attendant tranquillement son moment. Son époux qu’elle couvait d’un regard doux, haussant les épaules quand ça allait mal en disant que le plus important était qu’il soit bien et qu’il était mieux là qu’ailleurs. Qu’elle avait la forme, les épaules ou les reins solides, elle qui n’en n’avait jamais souffert, pour assumer ça et que c’était le moins qu’elle puisse faire pour lui.
Je la trouvais parfois dehors, les mains dans la terre, à fignoler ses parterres, pour qu’au printemps, « il soit plus agréable pour lui de sortir », s’il en était encore capable.
Elle a ému mon stagiaire aux larmes quand elle a emmené son époux d’une main douce pour le changer, lui garantir un peu de dignité, lui qui se plaignait d’être mouillé. Il a trouvé que c’était beau des gens qui s’aimaient encore, comme ça, avec tant de douceur, après si longtemps, lui qui l’avait tant souhaité, en vain, à ses parents déchirés.
17h07.
La nuit tombe sûrement dans leur salon comme elle inonde le mien, le feu crépite sûrement chez eux, à côté d’elle, son thé et ses mots croisés mais je sais que maintenant, derrière la porte aux dizaines de petits carreaux de verres, dans les couloirs et les innombrables chambres, ne vivent plus que des courants d’airs.
Malgré les enfants, nombreux, pas trop éloignés mais très occupés, les petits enfants déjà parents, tous ces gens qu’on retrouvait chaque été dans la maison familiale, tout là-haut sur les plateaux du Larzac, il n’y avait qu’elle pour s’occuper vraiment de lui. Et de tous les autres d’ailleurs. Pour faire le déjeuner dominical où des enfants angoissés, déjà vieux eux-aussi pourraient s’asseoir aux côtés de leur père, toujours au bout de la table comme s’il était immortel.  Encore un peu.
Il allait mourir, un jour, dans son lit. Avec son vieux gilet à boutons gris et son pyjama à rayures. Sous les couvertures de laine, parce que les couettes c’est trop synthétique. C’était son cadeau à elle. Le cadeau d’une vie. Elle avait passé ses 80 printemps sans soucis. Aussi noueuse certes, mais aussi solide que le magnolia.
Et puis…
Et puis, si votre cœur se serre déjà, c’est que vous avez compris.
Compris que tout ne s’est pas passé comme prévu.
Je n’ai pas les détails de la chute mais je parierais qu’elle était bête. C’est toujours bête une chute et parfois, plus c’est bête, plus c’est grave. Là, ce n’était pas si grave, mais c’était cassé quand même.
Solide comme elle était ça n’allait être que l’affaire d’une dizaine de jours, quinze tout au plus. Le temps d’opérer, de réparer, de récupérer.
Seule comme elle était avec lui, il allait falloir organiser le retour, le plus vite possible, les aides, pas pour elle, mais pour lui, pour qu’il revienne. Il était trop vieux et trop malade, est-ce que personne d’autre ne s’est proposé pour rester auprès de lui le temps qu’elle soit hospitalisée ? Est-ce qu’aucun enfant n’a pu se libérer pour poursuivre, prendre un temps le relai, pour que les mois passés par cette femme à soutenir son mari lui offrent la seule issue qui lui semblait convenable, acceptable.
Ils n’ont pas pu être ensemble. Elle a été hospitalisée en chirurgie, lui, je ne sais où. Le temps qu’elle revienne et qu’elle puisse le reprendre à la maison, le relai a été donné. Les soignants l’ont sans doute bien entourés. Je le dis haut et fort pour m’en convaincre même si j’en doute au regard du manque de personnel dans le secteur et de la peur de la fin de vie qui en amènent beaucoup trop à rester le moins longtemps possible dans certaines chambres.
Le très vieil homme était déjà très fatigué. Seul, sans elle, sont-ils allés souvent le voir, sont-ils souvent allés lui tenir la main ? Quand on vient d’une grande famille très croyante, quand quelqu’un est seul, on lui rend visite non ?
Les soignants ont-ils été assez vigilants aux vagues qui risquaient de l’emporter trop vite ? L’alimentation, l’encombrement, la déshydradation, l’infection, oserai-je dire, la tristesse ?
J’imagine la vieille dame et son sourire doux sûrement torturé maintenant, compter les jours, ce temps qu’elle sait si compté pour lui qu’elle n’a pas revu depuis que les pompiers l’ont emmenée.
Ils se sont manqués. Manqué de peu, une histoire de quelques jours je crois. A l’inverse de ces vies qui n’ont jamais démarrées parce qu’un regard tendre n’a pas été suivi, cette jolie vie à deux qu’ils avaient tant aimée s’est terminée chacun de son côté. A quelques heures, quelques jours je crois, du retour prévu, du gilet et des couvertures de laine, de la tendresse d’une épouse pour son mari, le très vieil homme s’en est allé. Dans des conditions que j’espère douces mais que je sais cruelle quand elle de son côté, croyait enfin pouvoir le retrouver. 
Le magnolia est toujours là.
Mais le vieil homme ne le verra pas.
Et moi j’imagine dans cette grande maison vide, la vieille dame et la cicatrice sur sa peau qui lui rappellera toujours ce dernier rendez-vous qu’elle a manqué.  

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Si c’était le dernier…

Ces mots ne sont pas de moi et pourtant, il fallait que je vous en parle. Vraiment.

Parce que pendant 10mn51, j’ai pleuré. Pleuré, chialé, je me suis mordue les joues en croyant que ça limiterait les larmes qui me brouillaient la vue et les sanglots qui me nouaient la gorge.


Si c’était le dernier, le dernier message, comme une dernière révérence, comme un dernier présent – et quel présent – de Diam’s à un public qu’elle s’apprêtait à quitter.


Vous me demanderez pourquoi Diam’s, alors que je suis plutôt Cabrel, Renaud, Django ou Avishai. Vous me demanderez pourquoi du rap ici sur ce blog qui parle de soin et de bienveillance…  Et bien lisez. Vraiment. Sans a priori si vous le pouvez. Et si vous avez le temps et le silence pour, encore mieux, écoutez. Ecoutez sa voix qui se brise devant le vrai du message qu’elle transporte, ici


Des mots qu’elle écrit pour dire l’enfer de la psychiatrie comme réponse à l’envie d’en finir mais aussi la solitude immense qui s’invite, les amis fuyant à mesure que les problèmes arrivent. Ce qui est tout aussi vrai pour certains de nos malades et leurs proches.


Cette chanson c’est l’histoire d’une nana qui a enfin trouvé le costume à sa taille, qui a rencontré son âme, qui l’a laissée prendre la place qu’elle méritant dans son coeur. Une jeune femme qui se cherchait et qui après l’enfer a trouvé le sens que ça a, tout ça.


Cherchez-vous. Ces mots, ils nous ressemblent à tous. Soignants, soignés, malades physiques ou psychiatriques, âmes en peine dans la quête du bonheur. A moi et vous peut-être, nous qui ne comprenons pas la violence de ce monde et qui ayons tant de mal à ne pas la laisser nous blesser. A vous et moi, qui tentons d’adoucir la vie des autres en leur tendant doucement la main.


Asseyez-vous. Ecoutez ou lisez mais méfiez-vous y’a presque plus de mouchoirs :


A l’approche de la trentaine j’appréhende la cinquantaine
Mais seul dieu sait si je passerais la vingtaine,
Mon avenir et mes rêves sont donc entre parenthèses
A l’heure actuelle j’ai mis mes cicatrices en quarantaine
J’écris ce titre comme une fin de carrière
Je suis venue j’ai vu j’ai vaincu puis j’ai fait marche arrière
S’il était mon dernier morceau j’aimerais qu’on se souvienne
Que derrière mes balafres se cachaient une reine

Voici mon mea-culpa, non Mel ne coule pas non
Et si le rimmel coule sache que mon cœur ne doute pas
Je suis entière et passionnée rêve d’amour passionnel
Et toi mon cœur Sos So est-ce que tu m’aimes?
J’ai vu le monde sous toutes ses coutures, avide de point de suture
A l’usure elles m’ont eue, ouais mes putains de blessures

Je vis en marge de ce monde
Depuis que j’ai goûté l’enfer
Qu’il fait sombre tout en bas quand t’es perdu sans lanternes

J’ai posé un genoux à terre en fin d’année 2007
On m’a dit Mel soit on t’interne soit on t’enterre
Qui l’aurais cru moi la guerrière j’ai pris une balle en pleine tête
Une balle dans le moral il parait que j’ai pété un câble
Parait que j’ai fait dix pas vers dieu depuis que j’ai sombré
Paraitrait même que je vais mieux depuis qu’on m’a laissée tomber
Car c’est comme ça dans la vie quand tout va bien t’as plein d’amis

Puis quand t’éteins t’entends une voix qui dit t’es seule, Mélanie
Relève toi pour ta mère au moins fais le pour elle
Relève toi pour tes frères et sœurs qui aiment tes poèmes et font Hoyo le soir dans les salles
Hoyoyoyo quand tu chantes petite banlieusarde

T’entends une voix qui te dit bats toi au moins pour lui
C’est peut être l’homme de ta vie peut être le père de ta fille
Et puis la voix se fait rare et tu t’écroules
Y’a plus de Mtv-Award a l’hôpital pour t’aider quand tu coules
Car je l’avoue ouais c’est vrai j’ai fait un tour chez les dingues
Là ou le bonheur se trouve dans des cachetons ou des seringues
Là ou t’es rien qu’un malade rien qu’une putain d’ordonnance

Au Vesinay, à Saint Anne t’a peut-être croisé mon ambulance
J’ai vu des psys se prendre pour dieu prétendant lire dans mon cœur
Là-bas, là ou les yeux se révulsent après 21 heures
Seule dans ta chambre quand faut se battre tu déchantes
Ces putains de médocs sont venus me couper les jambes
Au fil du temps sont venus me griller les neurones


Ces charlatans de psy ont bien vu briller mes euros
Tous des menteurs tous des trafiquants d’espoir
C’est juste que j’avais un trop grand cœur pour un avenir trop illusoire
Prenez ce titre comme un pavé dans la gueule ou dans la marre
Vous n’arrêterez pas mes coups de cœur avec du loxapac anti psychotique, antidépresseur, anti anti
Normal que vous soyez folle vous êtes trop gentille, gentille
En vrai je suis comme tout le monde mi sagesse mi colère

Eux m’ont dit vous êtes malade a vie vous êtes bi polaire
Moi j’y ai cru comme une conne alors j’ai gobé
Vu de quoi calmer mon cœur au fond d’un gobelet
Le visage marqué par mes démons ouais j’ai pété les plombs
C’est fou comme y’a du monde quand tu vas taper le fond
Ils sont heureux quand tu t’écroules car tout un coup ils se sentent fort

Mais quand je faisais jumper les foules eux ils étaient morts
Ouais ils étaient morts de jalousie donc heureux que diam’s crève

Et quand bien même ce fut vrai Mélanie se relève
Aujourd’hui Mélanie plane j’appelle ça ma renaissance
Quand mon ventre est plein j’ai le cœur plein de reconnaissance
Au final c’est toujours les mêmes toujours les vrais qui me soutiennent
Ceux la même qui m’aiment que je pleure de rire ou de peine

J’écris ce titre comme-ci c’était le dernier de ma vie
Besoin de cracher ce que j’ai à dire besoin de te raconter ma crise
À l’heure qu’il est ici-bas si je jure que je vais bien
C’est que tout le temps derrière moi tu peux croiser Sébastien
Laisse-moi rendre hommage à ceux et celles qui m’encouragent
Les seuls qui peuvent prétendre faire partie de mon entourage
Un jour j’ai changé de phone sans prévenir personne
Et là j’ai vu ceux qui ont cherché des nouvelles de ma pomme

Souvent je me dis à ma place qu’est-ce que t’aurais fait si t’étais Diam’s?
T’aurais fait péter le champagne ou tenté de t’acheter des lames?
T’aurais profité de ta gloire pour snober ton public?
Ou comprendre qu’avec ta gouaille tu pouvais aider l’Afrique?
Dis-moi t’aurais fait quoi si t’étais moi?
Est-ce que t’aurais tout claqué dans la soie ou vaqué dans le noir dis-moi?
Qu’est-ce que t’aurais fait? hein? Qu’est ce t’aurais fait?
Quand pour un simple crochet tout le monde t’intente un procès?
Qu’est-ce que t’aurais fait?
Acheter un plus grand plasma? Impossible vu que chez moi j’ai déjà un cinéma.
Ils sont mignons à les entendre faudrait ressembler à tout le monde
Je t’explique je ne suis pas aux normes tu le sais je suis trop ronde


T’aurais fait quoi si t’étais moi? T’aurais arrêté le rap?
Faut avouer que dans ce milieu y’a peu de relations durables
T’aurais fait quoi si c’était ton dernier show?
Réclamer des millions d’euros ou réclamer des des Hoyoo Hoyoyoyo
Moi c’est ce que je réclame Hoyoyo, pas que le public m’acclame
Mais qu’il chante avec moi nos douleurs communes


On est pareil vous et moi on fait péter le volume
J’entends rien je suis sourde quand les connards jactent
Quand les médias me traquent pour savoir ce que je cache
Je leur ai donné ma plume ils ont voulu ma main
Je leur en ai tendu une puis ils ont connu mon poing
Je suis rappeuse pas chanteuse hé qu’on s’entende bien
Je suis hargneuse pas chanceuse donc je ne vous doit rien.
Je suis gentille moi je m’énerve rarement
Mais respecte toi et on te respectera m’a dit ma maman.
Je les regards qui bataillent pour sortir du noir
Ils ne connaissent pas la taille des problèmes que t’apporte la gloire
Une épée de Damoclès au-dessus de la tête
On ne sort jamais indemne de la réussite ou de la tess
Pire encore quand ta pas de frère de père et que t’es seul
A calmer ton seum pour éviter de sortir un gun.
Plus je connais les hommes plus je risque de faire de la taule
Donc moi je côtoie de monde et moins je compte d’hématomes
J’aspire à être une femme exemplaire je l’avoue


Pas pour autant que si tu me tapes je tendrais l’autre joue
Non j’ai le sang chaud sans substance caribéenne 
J’ai juste un égo et une rage méditerranéenne
Je suis juste la progéniture d’une sacrée guerrière
Je suis la fille d’une armure


La grand mère du rap français
Aujourd’hui je suis en paix donc je peux aider
Plaider coupable si toutefois j’ai engrené des gens dans le pêcher
Quand je parlais de suicide ou de mes soucis
C’est comme si je n’avais pas saisi pourquoi on s’acharnait vivre
Ouais je sais ce que c’est d’être vide rien que des rides,
Plus de larmes plus de rire plus de rage au bide
Plus rien qu’y puisse de poster tu gobes pour te débloquer
Mais ton mal être n’est pas guéri t’es juste drogué


Solidaire envers les dépressifs
Solitaire car aucun être humain sur terre ne pourra vous porter secours
Cherche la paix on fond de toi-même
Je sais que t’aimerais qu’on te libère qu’on te comprenne quand tu saignes
Et que la vie n’a plus de goût


Faut savoir qu’à L’Hôpital j’ai comme perdu la mémoire
Donc du passé je ne garde que ce qui m’a donné espoir
Je comprends le monde maintenant je comprends les cons
En fin de compte on aura tous à rendre des comptes
Alors je m’empresse d’être une fille aimante
Envers celle qui m’a porté plus de 8 mois dans son ventre
Elle qui a souffert le martyr le jour de l’accouchement
Mérite bien que je la couvre de bisous et de diamants
Ouais je m’empresse d’être une adulte pour aider mes petites sœurs
Même si dans le tourbus je ressemble plus à Peter
J’aime le speed et l’attente la droiture et la pente
Car je suis le gun et la tempe.

Rien que je rappe car je ne parle plus trop ouais
Voici un égotrip très gros ouais
Voici mon plus beau titre
J’ai pris la locomotive en pleine course,
Émotive j’ai pris la connerie humaine en pleine bouche
Je suis trop fragile pour ce monde
Donc parfois je me barre mais si je tombe et bien je me relève et me bats
Y’a pas de place pour les faibles la vie est une lutte


Tu veux devenir célèbre? Sache que la vie de star est une pute.
Elle te sucre ta thune, te sucre tes valeurs
T’éloigne de la lune dans des soirées vip sans saveurs
Considère moi comme une traitre j’ai infiltré le système
Aujourd’hui je suis prête à n’me défendre que sur scène
Et peu importe si je vends beaucoup moins de disque
Ouais je prends le risque de m’éloigner de ce bizz ouais ouais
Je veux redevenir quelqu’un de normal qui se balade sans avoir 10 000 flashes dans la geule

Je suis trop simple pour eux
J’aime pas les strass moi
Tu veux savoir qui j’embrasse? Mais vas-y casse-toi
Laisse-moi vivre pépère laisse-moi rester simple
Pas besoin de devenir célèbre pour rester humble
En manque d’amour j’ai couru après la reconnaissance
Puis moi le petit bijou j’ai côtoyé l’indécence
J’écris ce titre comme si j’étais toujours en bas
Besoin de cracher mes tripes
Besoin de te conter mes combats
Je suis guérie grâce à dieu j’ai recouvré la vue
J’ai péri mais j’ai prié donc j’ai retrouvé ma plume
Moi qui est passé 2008 sans écrire un texte
J’ai retrouvé mon équipe et l’amour des kilomètres
J’ai sombré tu l’auras compris donc tout s’explique


Le pourquoi de mon repli de mes voyages en Afrique
Oui j’ai compris que j’avais un cœur mais pas que pour mourir
Que là bas j’avais des frères et sœur des enfants à nourrir
Que toute cette gloire est utile si elle peut servir
À sortir du noir tout plein de petits qui rêvent de grandir
Ma plus grande fierté n’est pas d’être française résidente
Mais d’être à la base d’un projet dont je suis présidente
C’est maintenant que ça commence
Maintenant que ça tourne
Je joue un rôle de contenance du Sénégal au Cameroun
En 2009 j’ai fait un tour en Algérie au Mali au Maroc
En côte d’ivoire au Gabon en Tunisie

J’espère bien qu’avec le temps on aidera des hommes
À prendre soin des enfants de Madagascar aux Comores


C’est parti pour toute la vie si dieu me le permet
Elle était terne cette fille elle était triste et fermée
T’en sauras plus si tu guettes les news sur internet
avant la pick up fondation c’est pick up projet
Si c’était mon dernier album j’aimerais qu’on se souvienne
Que mon public est bénévole quand il l’achète dans les bacs
Moi avec l’argent du peuple je veux devenir sauveur
Donc si il faut donner l’exemple je suis le premier donateur
Si c’était mon dernier concert
J’aimerais que la scène me permette de véhiculer un message personnel
Oui j’aimerais que mon public sache que je l’aime
Perdue dans mes problèmes comme j’ai eu peur de vous perdre


Et si c’était mon dernier titre
J’aimerais que l’on garde de moi l’image d’une fille qui rêvait d’être reine auprès du roi
Si c’était mon dernier coup de gueule j’accuserais la France
Celle qui payera sa répression quand elle perdra ses enfants
Si c’était ma dernière rime je rapperais comme personne

Car aujourd’hui je préfère vivre et donner du courage aux hommes

Si c’était ma dernière soirée je verrai mes amis
Je ferais un gâteau tout foiré pour qu’ils me vannent toute la nuit
Si c’était mon dernier je t’aime je te dirais sos
Trouveras tu la bouteille que j’ai jeté dans la seine
Si c’était mon dernier câlin je le donnerais à ma mère
Et lui dirais que j’étais bien que c’était aussi bien sanspère
Si c’était mon dernier regard il viserait la lune
Elle qui a éclairer ma plume éclairé mes lectures
Et si la mort venait me dire il ne te reste que 20 minutes
Et bien j’aurais souhaité la paix…
Et j’aurais rappé 10 minutes…



Diam’s. Si c’était le dernier… 

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Le temps de voir

« J’aurais mieux fait de mourir » me dit-elle à notre première rencontre.

J’ai pourtant tout fait comme il faut. J’ai frappé, j’ai dit « Bonjour » avec un grand sourire plein d’entrain, comme si j’étais la meilleure chose qui lui arriverait de la journée.

Elle m’a regardé d’un œil terne. La paupière tombante, les cernes bleus sur le teint pâle et cireux. Ses sourcils pâles et clairsemés se noient derrière les taches brunes qui s’éparpillent sur la peau fripée de son visage. Ses cheveux se sont raréfiés sur son front, ils végètent à l’arrière, gras et en bazar, mais qui irait se coiffer quand il faudrait déjà ne pas mourir de ce fichu truc qui lui est arrivé ? Elle ne sourit pas. On dirait qu’elle ne sourira plus. Ses lèvres sèches sont marquées de profondes ridules où quelques gouttes de café de ce matin sont restées piégées. Ses joues sont crispées vers l’intérieur, les mâchoires serrées comme s’il était si dur, simplement, d’être là.

Mme B. aurait préféré mourir et j’aurais préféré ne pas entendre ça. C’est plus facile quand on n’entend pas. Ça évite de dire de bêtises. Que peut-on répondre à cela ?

C’était un AVC. L’invité surprise de son dernier déjeuner en famille. La fourchette qui tombe soudain, la main qui peine à la ramasser, le rire qui couine un peu et puis les regards. Les sourires qui s’éteignent en la regardant rire, elle, de sa bêtise. Les « Tu es sûre que ça va Mamie ? » qui se heurtent aux « Allez, arrête ta blague, on a compris ». Le flou soudain, les détails d’une moitié de la table qui s’estompent, ça tourne un peu, oh là, qu’est-ce qui m’arrive.

Je marmonne un « oh non, il ne faut pas dire ça » puis sans transition « je viens voir comment vous bougez et si je peux vous aider à bouger… mieux ». Quelle maladresse. Mais je suis gentille, je souris, ce n’est pas grave que d’être « un peu » maladroite, non ?

Mme B. n’est pas ravie de me voir. Pas ravie de devoir écarter sa blouse informe simplement posée sur son épaule gauche, le bras recroquevillé contre son cœur. Elle me dit qu’elle n’y arrive pas, que son bras ne bouge plus que sa jambe ne répond plus, qu’elle ne remarchera jamais.

Je dis qu’on ne saura pas tant que je n’aurai pas regardé, qu’il ne faut jamais dire jamais et qu’on va travailler ensemble pour qu’elle récupère le MAXIMUM.

Toujours leur donner de l’espoir, non ?

Son membre supérieur est raide comme un bout de bois, ses ongles striés, cassés s’enfoncent dans sa paume moite dont la peau jaunie est craquelée par endroit, une odeur rance presque fétide vient se coller à mes doigts qui essayent vainement d’ouvrir les siens 
« Vous perdez votre temps, ça ne marche pas » me dit-elle d’un air éteint » 
« Essayez avec moi, regardez vos doigts, imaginez que c’est vous qui les faites bouger, ça aide »
Ni l’entrain ni les phrases toutes faites apprises en cours ne font  de miracle. Rien ne bouge. Mme B. est bien trop lasse pour rétorquer qu’elle avait raison. Mon esprit s’en charge à sa place.

Au membre inférieur c’est un peu différent. Pas de spasticité, pas de raideur mais pas de mouvement. La commande motrice est réduite à néant ou presque. Je crois voir frémir un orteil ce dont je me réjouis haut et fort pour ne pas « mettre le patient en échec ». On m’a dit que je n’aurai pas mon diplôme si ce n’était pas écrit noir sur blanc dans mon mémoire, c’était donc vraiment, vraiment important. Non ?

Je n’ose pas tenter de la lever seule. Je n’ose pas non plus aller voir les aides-soignant(e)s pour leur demander s’ils y arrivent. Je viens d’arriver dans ce service, je connais leurs noms, leurs prénoms, tous les grades et l’âge de leurs gamins. Je sais qui est ami(e) avec qui et sur qui on peut compter ou non, tout ça parce que je l’ai entendu mais je n’ai parlé à personne. Pas encore. Elles sont trois ou quatre à rire au fond du couloir et je n’ose pas interférer. Je ne voudrais pas les « déranger ».

Faut dire, on m’a toujours dit à l’école qu’il fallait favoriser les prises en charge pluri-professionnelles mais j’ai rarement vu un kiné aller demander à un(e) aide-soignant(e) des informations au sujet de l’autonomie d’un patient. Comme si un accord tacite ne nous enjoignait à leur parler que pour leur demander d’aller changer une protection ou accompagner un patient aux toilettes pour que nous puissions faire NOTRE travail correctement. Mais pas pour parler. Pourquoi faire ? 

Les aides-soignant(e)s ne feraient pas partie du « pluri » ?

[Levée de bouclier dans 5, 4, 3, 2, 1…]

J’ai toujours de l’entrain dans la voix et je promets à Mme B. que nous essayerons de la lever. Demain. Elle ne dit rien mais ses yeux tristes, un peu humides, si fatigués me regardent avec douceur. Un genre de « vous pourrez toujours essayer » pour ne pas me vexer alors qu’elle sait pertinemment que je vais échouer. Ce que moi je ne veux toujours pas entendre.

Marcher c’est espérer. 
Et c’est la seule réponse que j’ai trouvé à son envie de mourir.

Je reviens avec une collègue le lendemain comme convenu.

Mme B. nuance ses propos : « j’ai hâte de mourir ».

Ma collègue aguerrie répond avec un grand sourire « il y a trop de monde là-haut, il va falloir attendre qu’une place se libère ».  A l’époque, j’avais trouvé ça drôle et pertinent. Pas Mme B. visiblement. Elle aussi, elle doit préférer ne pas entendre parfois.

Comme prévu, la verticalisation est un échec cuisant. Je m’accroche à son bras paralysé et puis je me rends compte de mon erreur (ne jamais tirer sur un membre supérieur neurolésé m’a-t-on appris!), j’attrape par dépit la frange de la protection qui dépasse de sa blouse informe et je la pousse en avant par le haut des fesses. Ma collègue s’arc-boute sur son bras valide et l’encourage.

« Allez Mme B. un petit effort, allez ma belle ! ».

Elle n’est pas bien belle Mme B. avec ses joues crispées, son teint cireux, la sueur qui perle sur son front, la longue trainée de café séché au coin de sa bouche, la blouse entreouverte et la protection gonflée sur les fesses à demi-découvertes.

Nous interrompons le massacre. Je remercie ma collègue.

« Allez ma belle, reposez-vous, demain vous y arriverez ».

Les échecs se succèdent de jour en jour. Mme B. se recroqueville sur le fauteuil qu’elle ne quittera plus, elle le sait mieux que nous. J’ai l’impression qu’elle essaye de disparaître dans les plis de sa blouse trop grande, parfois tâchée « de propre ». Chaque jour, l’accueil est le même. Las. Désespéré. Chaque jour, elle me dit son envie d’en finir, qu’elle ne sert plus à rien ici, en passant sa main valide aux ongles jaunes dans ses cheveux peignés à la hâte en arrière par un(e) soignant(e) pressé.

J’ai de plus en plus de mal à entrer dans la chambre. La noirceur de son cœur étouffe mon entrain. Je cesse systématiquement de chantonner quand j’arrive dans le couloir. J’ai malgré tout du mal à me remettre en question. Je ne vois pas ce que je fais MAL dans mon travail.

C’était un jour comme les autres. Je chantonnais un vieux tube idiot dans l’escalier. La porte de sa chambre était presque fermée. Seul un filet de lumière en filtrait dans le couloir aveugle. Non, pas seul, avec la lumière un bruit. Un rire. Non deux, entremêlés.

C’était le bazar dans le couloir. L’entredeux de la fin des toilettes et le début du service des repas. Ce moment où les aide-soignant(e)s s’assoient quelques minutes s’ils ont réussi le marathon du jour un peu avant que la nourriture pour les patients n’arrive. Ça parlait fort dans la salle de repos.

Ce jour-là, je n’ai pas frappé. J’ai poussé la porte tout doucement de quelques centimètres.

Mme B. était dans son fauteuil, je devinais ses jambes dans le maigre entrebaillement. En face d’elle, il y avait cette fille brune aux cheveux courts. Une aide-soignante. Celle dont le regard si sombre peut vous clouer sur place quand elle se fâche. Elle souriait.

Elle tenait un miroir devant Mme B.

Elle lui a dit « Allez-y, je vous aiderai si c’est trop difficile à une main ».

Visiblement, ça l’était alors elle a repris un objet des mains de Mme B. et l’a approché de son visage en lui disant :

« Je ne suis pas forcément douée, dites-moi si je vous fais mal mais surtout, dites-moi si c’est comme ça que vous le faisiez, chez vous ».

« Chez vous ».

L’aide-soignante avait le dos moins droit que d’habitude, moins crispé. Ses gestes étaient plus lents, cela dit je l’avais rarement vu auprès d’une patiente, beaucoup plus dans le couloir à gérer un chariot et pas QUELQU’UN. Il y avait de la tendresse dans sa façon de se pencher vers Mme B., infiniment plus que je n’en n’avais jamais vu chez moi ou chez mes collègues qui m’aidaient à la « mettre en échec ».

Elle a reposé l’objet et a pris la main valide de Mme B. toujours avec cette tendresse incroyable – c’était donc possible d’être professionnelle et tendre à la fois et c’était beau à pleurer merde, en disant joyeusement « bon, si le visage vous va, voyons voir si les ongles sont secs ».

N’y tenant plus, j’ai frappé et je suis entrée. Les deux femmes, la soignante et la soignée se sont tournées vers moi. Il y avait du plaisir, de la fierté et du défi dans le regard sombre de l’aide-soignante qui avait grignoté quelques minutes de pause pour offrir ce moment à Mme B.

Il y avait une lumière étrange sur ses joues, dans son sourire, je comprendrais plus tard que c’est la lumière de ceux qui savent pourquoi ils sont là et pourquoi ils l’aiment ce job, une lumière que je n’ai eu de cesse de rechercher depuis cette première fois où je l’ai aperçue.

Mme B. avait tourné la tête. Ses cheveux avaient été lavés et coiffés en avant cette fois, masquant leur recul qui allongeait son front trop grand et taché par le souvenir d’un trop-plein de soleil.

Disparu le teint cireux pour un teint de poupée, toujours pâle mais plus lumineux, presque brillant de netteté, les joues rosies par un peu de blush de vieux rose dont j’apercevais la boîte et le pinceau d’un autre temps – celui des rires et de la santé, sur la tablette aseptisé d’un banal service dans un banal hôpital. Ses sourcils avaient réapparu par la grâce ou plus simplement d’un coup de crayon, le même dont elle avait estompé le brun cuivré sur ses paupières.

Plus de café au coin de ses lèvres, plus de bave ou de dentifrice, au contraire, des lèvres nettes, redessinées par un bâton de rouge à lèvres Chanel (une vraie femme porte du Chanel sinon rien), de l’avant, lui aussi. Il déborde d’ailleurs d’une petite trousse cousue dans un tissu à fleurs. Une trousse qui a suivi Mme B. jusqu’ici parce que malgré l’insistance des pompiers, elle n’a pas pu partir sans son sac. Ni sa trousse de maquillage. Une trousse que personne n’avait pris le temps de sortir, jusqu’ici.

D’ailleurs, au sale la vieille blouse estampillée « malade et bon à jeter », sur sa poitrine à la peau encore brunie de soleil, un chemisier en soie jaune. Une jupe droite, de la rayonne, un tissu noir à fleurs que la main valide de Mme B. époussetait nonchalamment, ses ongles nacrés d’un rose pailleté étincelant au soleil de midi.

Mme B. avait tourné la tête. Elle m’a regardée pour la première fois, vraiment.

Et pour la première fois j’ai vu Mme B. La Mme B. qui n’était pas QU’une malade, pas QU’une hémiplégie, pas QU’une vieille dame.

Et puis Mme B. m’a souri.

J’ai souri aussi. Et j’ai compris.

Pas un instant, je n’ai vu que ce qui n’allait pas, c’est que je ne l’avais jamais regardée, elle.

Pas un instant, je n’avais vu Mme B.

Pas une seule fois, je ne me suis pas assise une seule fois à ses côtés pour savoir qui elle était, ni ce qui lui faisait si mal dans celle qu’elle pensait être maintenant. 

Je me suis promis, juré, à l’avenir, de prendre le temps de voir. Vraiment.

Quand je suis sortie, Mme B. a regardé l’Aide-Soignante et lui a dit « Merci. Je me sens vivante, enfin, moi-même grâce à vous et ça tombe bien, aujourd’hui c’est mon anniversaire ».

Merci C. Pour ce moment. Et pour tout le reste. 

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Le vieil homme et le magnolia

La voiture sent la menthe. Les chewing-gums cachés dans la boîte à gant ont l’air d’avoir apprécié les rayons de ce jeune soleil de printemps, déjà si chaud à travers les vitres. Fenêtre ouverte, l’air frais du dehors adoucit l’ambiance étouffante de l’habitacle qui aurait sûrement préféré m’attendre à l’ombre.

Le quartier foisonne de bruits synonymes de promesses. Des pépiements joyeux des oiseaux, au vent qui fait tomber les premiers pétales de magnolias le long du ruisseau qui chantonne. Tout a éclos d’un coup ou presque. Les premiers bourgeons, les premières feuilles verts tendres et le foisonnement de couleurs du printemps, les prunus, les cerisiers, les cognassiers et quelques arbres fruitiers, dans chaque jardin, du vert, du rose tout doux, du blanc, du violet profond. Trop pour mes lunettes de soleil qui croupissaient dans la boîte à gant. A la menthe donc, les lunettes, aussi.

Un peu en retrait, un peu en hauteur, sur la terrasse devant l’un de ces jardins, il y a moi, debout et un en retrait, un peu en dessous cette fois, un très (vraiment très) vieil homme, drapé à la hâte dans sa robe de chambre polaire.

Le magnolia est incroyable ici, un gigantesque globe tout en pétales blancs bordés de rose. Nombre d’entre eux sont déjà au sol et pourtant, rien n’en terni l’aspect majestueux. En face, un timide cerisier lui répond de ses petits éclats clairs. Les tulipes jaunes, oranges, avec quelques intruses rouge vif se chargent du sol.

Le très vieil homme, lui aussi, a passé l’hiver caché. Recroquevillé au fond d’un lit amoureusement bordé matin et soir. Un lit dont nous nous sommes échinées à le sortir, inlassablement, jusqu’à cinq jours sur sept. De petites victoires en grandes défaites. De glorieux « il s’est levé deux fois hier » aux dramatiques « il ne va pas s’en sortir cette fois » dont il s’est toujours sorti d’ailleurs. Ne me demandez pas comment, je n’ai toujours pas compris.

Du palliatif qui s’est étiré en soins autour d’une fin de vie qui n’en finit pas et qui a donné tout son sens à notre objectif de départ : l’aider à conserver l’indispensable pour qu’il reste maître à-bord, de ses envies, quitte à ce que l’envie soit simplement de se lever pour voir le magnolia planté il y a quarante ans de cela avec son épouse.

Du palliatif, où l’on sait que la moindre poussière dans les rouages fatigués suffirait à tout éteindre mais où rien ne s’est éteint, pourtant. Malgré les rouages très (vraiment très) fatigués et le cœur très (mais vraiment très, très) vieux de beaucoup trop d’années. Malgré la grippe (et oui), les insuffisances rénales aiguës ou moins aiguës et le détail d’un cancer dont on ne se préoccupe plus, probablement du genre gros caillou pour ses maigres rouages.

Un très vieil homme comme un très vieux livre, un peu poussiéreux dont on espère secrètement réveiller la couverture à coup de plumeau ou de rayon de soleil.

Un très vieil homme qui s’est levé aujourd’hui et a enchaîné quelques pas entre quelques pauses mais quelques pas quand même. Qui est assis depuis dix minutes devant ce tableau magnolia-cerisier alors qu’il n’avait pas quitté le lit depuis quelques semaines qui ont duré des mois.

Un très vieil homme dont j’ai cru voir la fin approcher dix fois au moins.

J’hésite. Il est seul avec Madame qui n’est pas très vieille m’enfin, vieille de presque 90 printemps, quand même, pour une heure encore. Il ne pourra pas se recoucher si les forces viennent à lui manquer. Elle ne pourra pas le faire non plus. Une heure. Des semaines/mois alité. Mais le magnolia bordel. Et le soleil.

« Vous sentez-vous capable de rester assis une heure ou préférez-vous que je vous aide à vous recoucher ? »

J’en doute et pourtant je le sens assez présent pour me répondre. D’autant qu’il n’y a rien de mieux dans ces cas-là, que de demander tout simplement l’avis de la personne concernée. Et que plusieurs fois déjà, il a su me dire qu’il ne tiendrait pas.

Et là, devant le magnolia en fleurs, ce très très vieil homme, droit comme un i dans sa robe de chambre rouge foncée, celui qui aurait dû mourir dix fois, qui aurait pu mourir dix fois ces six derniers mois, des dizaines de complications possibles (qu’il n’a pas faites) d’un alitement aussi prolongé, des infections à répétitions, bien faites elles, auxquelles il a réussi à faire face même s’il disait toujours que « Oh non, ça ne va pas », qui ne s’est pas habillé avec des vrais vêtements ni vu dans une glace depuis des mois il m’a regardé de ses yeux voilés de blanc et a dit :

« Non, j’aimerai mieux me raser »

Et j’ai trouvé ça encore plus chouette que tous les magnolias du quartier. 

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A mon presque confrère…

T’es mon premier. Le premier que j’embarque dans l’intimité de mes consultations.
Je t’ai ouvert ma porte. J’ai accepté de soumettre mon travail à ton regard.

Et en même temps, le défi que tu représentais, j’ai eu envie de le tenter. Et pour une fois, je suis allée au bout. Je n’ai pas fui. Parce que tu vois, avec Leya, mon double virtuel, anonyme, et tous ces anonymes qui gravitent autour de moi sur Twitter, j’ai beaucoup appris. J’ai grandi. Professionnellement ET humainement. Les deux à la fois. J’ai commencé à penser autrement. Et j’ai aimé la kiné que je suis devenue. Grâce à eux. J’ai appris des choses que tu n’apprendras jamais à l’école ni dans aucun livre d’ailleurs. Des choses trop importantes pour être tues. Ni pour que je les garde rien que pour moi, même si c’est confortable de ne pas avoir à en débattre.

Je t’ai beaucoup regardé. J’avoue. Enormément. Je t’ai bouffé du regard.

J’ai tout vu. Enfin je crois.

Tout ce que j’espérais voir. Tout ce que j’espérais t’avoir transmis.

J’ai vu, presque littéralement, ton cœur battre pour le soin.

Dans notre métier, en libéral, on est toujours un peu isolés. On travaille à plusieurs mais rarement en faisant plus que nous croiser. Le couloir n’est jamais l’endroit approprié pour décharger nos doutes, nos échecs comme nos petites victoires avec les collègues, entre la carte vitale, l’ordonnance à scanner et la radio à lire. A portée d’oreille des patients en salle d’attente.

Mais toi, tout ça, je voulais que tu le voies.

J’ai plein de lacunes techniques. Je n’en fais pas mystère. D’ailleurs la technique ça m’ennuie. Il y a des choses que je ne sais pas faire, que j’essaie de faire quand même et que je rate. Ça ce n’est pas mon vieux syndrome de l’imposteur qui ressort, ni ma confiance maniaco-dépressive en plein pic dépressif. C’est une des plus grandes leçons que j’ai appris de mes copains twitto-bisounours-soignants. Dans ma médecine idéale, l’humilité a beaucoup plus de valeur que l’indéfectible certitude de la réussite. Mes compétences ont leurs limites. Ce qui était une faiblesse est devenu une force.

Je ne suis pas une masseur-kinésithérapeute parfaite (parce que dans notre métier, on n’aura jamais fini d’apprendre) mais humainement, je suis une soignante qui déchire. Simplement parce que je sais dire que je ne sais pas. Ce que plein ne savent pas faire. Si tu savais comme c’est dur parfois pour certains, ça l’a été aussi parfois pour moi. Mille fois plus que de rééduquer un mal de dos. Ce que je foire souvent.

Et pourtant, je voulais que tu le voies. Je voulais que tu comprennes ce métier, que tu le vives, un peu, comme moi je le vis. Sans filtre.

Tu as su voir mes yeux briller. Ma joie sincère quand « ça va mieux ». Tu as commencé à lire toi-même leurs regards, leurs cernes, leurs soupirs. Tu as appris presque tout seul à voir avec ton cœur, la souffrance qui prend toute la place et celle qui doucement s’estompe avec les plis sur leurs fronts, la crispation de leurs épaules, le sens du silence avant qu’ils ne racontent.

Tu t’es laissé toucher par leurs histoires, par leurs peines et leurs victoires. De ta vie à toi, de tes douleurs de gosse et tes succès de cette vie d’adulte qui commence, tu as gardé dans un coin, un œil capable de lire l’amour digne, pudique mais infini d’un aidant à son soigné et vice-versa.

Et franchement, si j’ai pu t’amener à te poser des questions à ce sujet et si tu sais voir un aidant, en deuxième année de kiné c’est que nous sommes une tutrice et un stagiaire qui déchirent. La technique pure, tu l’apprendras en temps et en heure. L’humain, tu l’as en toi, mon boulot ça aura été, tout simplement de t’aider à le mélanger au soignant que tu es en train de devenir. Cool hein ?

Je n’ai pas voulu être ta supérieure. Parce qu’avec un savant mélange de pas-confiance, humilité, réalité et petit syndrome de l’imposteur, je ne me suis jamais positionnée comme ta supérieure. Je disais « mon stagiaire » mais je nous plaçais sur la même marche. Je suis une soignante. Tu allais apprendre à l’être. Le diplôme n’y change rien. J’avais eu le temps de faire un peu plus de chemin et j’avais plein de choses à te raconter sur notre voie.

J’ai bien un peu plus de savoir qui s’est heurté et fondu à quelques années d’expériences. J’ai fait des rencontres, des patients, des histoires, des échecs, des victoires qui ont façonné ce savoir. Qui a grandi, changé, évolué, qui est revenu en arrière sur certains trucs « qu’on fait comme ça depuis toujours parce que ? » et qui reposent sur du vent. Un savoir qui s’est enrichi dans des domaines dont on ne m’avait jamais parlé. La parentalité, le burn-out parental, le dépistage des violences, les aidants, la douleur chronique, la maltraitance institutionnelle envers les soignants et de certains soignants (consciente ou non) envers les soignés.

J’voulais partager cette richesse avec toi.

La technique pure, tu baignes dedans en cours, tu n’as vraiment pas besoin de moi pour l’apprendre. Par contre, pour te faire jouer au funambule entre technique et douleur, j’étais là. La technique c’est simple, c’est linéaire, c’est carré. Un patient, c’est un tout variable, fluctuant, vivant.

Une technique qui impose parfois repos et exercices quotidiens quand en face, ton patient, avant de se reposer, doit d’abord travailler, entre deux aller-retours école-crèche-nounou-médiathèque-docteur-judo-foot-gym-équitation sans oublier le combo cuisine-bain-pyjamas-lecture-dodo.

Des corps qui voudraient du temps pour eux mais des esprits qui n’en peuvent plus d’attendre que leur vie reprenne. Des dizaines d’instants où tu sais ce qu’il faudrait faire mais tu sais aussi que ça ne collera pas avec la personne qui est en face de toi. Avec ses croyances et ses aspirations.

Alors je t’ai bouffé du regard. Et je t’ai vu naître.

J’ai vu l’alchimie, c’était presque palpable.

Tu as pu voir combien il était facile de donner des exercices à faire et combien il était rare qu’ils soient réellement faits. Autant que pour eux de trouver du temps pour les faire. Même quand tu étais sûr de leur en avoir donné le sens.

Tu as vu de la détresse à nu. Des patients que tu avais connus fiers et vaillants s’effondrer, se murer dans un silence moins pénible que les mots qui ne veulent plus sortir. Est-ce notre travail, notre envie d’y arriver ou plutôt la leur, est-ce un brin de chance aussi mais tu as pu voir quelques miracles. Des gens que nous pensions perdus et qui ont fini par remonter la pente alors que nous n’avions plus d’espoir. Je suis ravie que tu aies su mesurer le cadeau que c’est d’accompagner quelqu’un sur une bonne pente.

Je t’ai posé des tonnes de questions parfois loufoques auxquelles il n’existe jamais qu’une seule réponse, je voulais juste que tu y songes. Je t’ai posé des colles sur la distance thérapeutique, sur ce que tu as ressenti quand une dame t’as serré fort contre elle, claquant un bisou sonore sur ta joue. Ce qu’en pensais ton toi-soignant et ton toi-perso. 

Je t’ai demandé de bien regarder comment je me comportais. Tu as vu que pour certains j’avais du mal à faire autre chose que du confort quand pour d’autres – qui réclament souvent, bizarrement je massais moins. Tu m’as vue enthousiaste, motivée, investie puis démunie ou lassée parfois. Je t’ai dit « regarde comment je me comporte, dis-moi si tu vois qu’avec ce patient, le courant ne passe pas ». Tu as vu que j’étais différente. On en a causé un peu. Tu étais d’accord sur le fait que ça n’était pas une bonne chose, que nous devions traiter tous nos patients de la même manière. Et puis je t’ai confié des gens. Certains avec lesquels tu as retrouvé un allant que je n’avais plus, d’autres avec lesquels bizarrement tu t’éteignais. Ce n’était pas une bonne chose mais c’était « plus fort que toi ».

Nous étions d’accord sur « ce qu’il fallait faire » ou « comment il fallait être » et tu as compris à quel point c’était parfois dur à appliquer. Pour chaque patient, différemment pour chaque soignant. Par rapport à tes croyances, aux miennes, à notre propre seuil personnel de tolérance à la plainte de l’autre.

On s’est testés sur le « ne pas rire » quand tout ton toi, toute ta personne se dit combien un patient qui même si pour exprimer sa douleur, gémit comme dans un film qui ne passerait que tard la nuit, c’est vachement drôle. Et en même temps, à quel point tu ne peux et ne doit surtout pas rire.

Tu as senti cette dualité de l’humain et du soignant qui parfois se heurtent mais qui peuvent faire quand l’un se fond à l’autre un travail bien supérieur.

Alors oui, tu m’as posé plein de questions d’anatomie où j’ai dû prendre mon air intelligent devant le patient et te répondre au pif ou de me la péter en te disant « tiens, regardons ensemble dans le bouquin » pour que tu ne vois pas que je n’en savais fichtre rien.

D’ailleurs ça m’a un peu ennuyée que pour plein d’entre eux, tu te poses plus de questions techniques que moi qui ai plutôt l’habitude de tout entourlouper avec un massage. Promis je ferais des efforts. 

J’ai potassé des bilans pendant que tu massais pour te faire croire que je faisais toujours de super-bilans. Evidemment je t’ai rabaché sans cesse combien ils étaient essentiels alors débarquer en disant « j’sais pas faire un bilan lombalgie », ça aurait cassé mon mythe.

Du coup, avec toi, je me suis aussi posée des questions. J’ai repris des consultations là où je les avais laissées trainer et mes patients qui stagnaient ont recommencé à progresser. Et je t’ai remercié.

Je t’ai fait confiance. Pour prendre soin d’eux. Tu m’as fait confiance. Tu n’as pas eu peur de me remettre en question, peut-être parce que je n’avais pas peur que tu le fasses et que je t’ai demandé de le faire. J’ai accompagné tes premiers pas dans ce métier et tu as redressé les miens qui brinquebalaient parfois.

Alors pour tout ça.

Pour l’espoir.

Pour la richesse et la bienveillance de nos échanges.

Merci mon presque confrère.

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Toutes les femmes sont…

Elle s’appelle Virginie. En vrai pas du tout mais ici, pour vous, ça sera Virginie. Elle a 33 ans. Elle a enchaîné deux grossesses coup sur coup. Elle vient pour le petit dernier qui n’a pas 3 mois.

Elle a les cheveux courts, teints. Les yeux très noirs. Enfin très bleus et très frangés de noir. Liner, mascara etc… Elle a le teint clair des brunes aux yeux pâles, quelques tâches de rousseurs à l’effet tendre. Sa peau lisse et blanche est nuancée par une flopée de tatouages dont j’admire les traits même si les motifs ne sont pas à mon goût. Ont-ils à l’être après tout ?

Elle est grande et si elle est mince dans les chiffres autant que dans sa taille vestimentaire (36-38 max) elle est … Pulpeuse c’est un peu cliché. Comment dire. Ce qu’on voit en premier chez cette femme, ce ne sont pas les lignes fines de courbes osseuses ou articulaires comme chez les « canons » du genre « mince » mais ses muscles pleins. Ses épaules sont assez carrées, ses jambes généreusement galbées, ses bras sont épaissis par des heures de musculation. L’ensemble est harmonisé, lié par une poitrine ronde qui féminise ses épaules.

Non, je ne peux pas dire qu’elle ait l’air mince même si les chiffres le disent.

Elle a tout testé. Tous les sports. Elle est incollable sur les abdos, mais 500 par jour ce n’était pas assez. Elle a couru mais même le fractionné, ce n’était pas assez. Aujourd’hui elle a trouvé un truc complètement abominable, moi j’en fais 3 d’affilée, je meurs. Elle, elle tient 30 minutes. TOUS LES PUTAINS DE JOURS. Pendant que le petit dort. Moi ça fait trois semaines que je me suis dit que ça serait bien que j’aille à la piscine…

Hélène a 42 ans.

Elle a les épaules larges, les bras épais, un peu flasques et une petite poitrine qui déséquilibre l’ensemble.  Hélène taille du 40 en haut mais sûrement du 44 en bas. Si elle a les chevilles et les jambes fines, elle a les hanches et les cuisses larges, la peau par endroits creusée par la cellulite, le ventre un peu mou et marqué par les deux bébés qu’elle a porté. Elle est rarement maquillée. Elle a de jolis yeux verts mais de profondes cernes bleues qui les bordent. Elle ne refait pas souvent sa couleur, se coiffe peu, on aperçoit ses racines grisonnantes sur ses cheveux ternes. Elle aborde souvent quelques boucles nées sur l’oreiller qui retombent doucement sur ses épaules. Elle a un très joli sourire, des lèvres pleines mais sèches. Son visage est plus marqué par les soucis et la fatigue que par les années. Elle vit à cent à l’heure entre son boulot, ses enfants, le tai-chi, le krav-maga, la piscine et la kiné mais elle a toujours un mot pour rire.

Christine a 48 ans.  

Elle est petite, blonde, un peu bronzée. Au massage, je reconnais l’odeur caractéristique d’une crème autobronzante et les quelques traces qu’elle a laissé sur ses jambes. Elle a une coupe de cheveux moderne qui entoure bien son visage. Elle se maquille peu, mais pas grave, elle a un joli visage malgré ses joues creuses. Le bronzage de son visage est plus naturel, tanné à l’air libre, quelques taches par endroit, quelques rides, plutôt autour des yeux, plutôt des rides de sourires. Elle fait beaucoup de vélo, court un peu aussi de temps en temps.

Elle est très mince, maigre même, si on s’arrête à ses épaules osseuses, ses poignets et sa poitrine peu développée. Elle garde à la taille les stigmates de ses 4 grossesses, le ventre un peu plissé sur un haut de hanche un peu épaissi, les fesses un peu aplaties aussi. Elle a des jambes fines, de tous petits mollets, les genoux ronds, les cuisses droites.

Virginie, Hélène, Christine…

A me lire, vous vous direz peut-être que ces femmes sont ordinaires (comme je peux haïr ce mot), des femmes du quotidien, du genre qu’on croise au supermarché, à l’école, des femmes normales, avec leurs lots de défauts qui les éloignent des inaccessibles canons qu’on érige en modèle.

Pourtant…

Virginie, Hélène et Christine comptent parmi les plus belles femmes de ma patientèle. De celles que tous les hommes ou les femmes qui aiment surtout les femmes, aimeraient croiser en salle d’attente, juste pour le plaisir des yeux, ou le plaisir de se dire, que c’est possible d’être vraiment beau sans vraiment l’être sur le papier.

Virginie, Hélène et Christine sont trois femmes auxquelles je serais fière de ressembler aux mêmes stades de ma propre vie. Moi pour qui la beauté impliquait nécessairement un IMC <19, des bonnets C, des yeux clairs, des jambes parfaitement épilées, une peau veloutée, bronzée, lisse. Sans taches.

Moi qui était si sévère avec les autres et avec moi-même.

Parce que finalement toutes les femmes sont belles…

Virginie est toujours bien apprêtée, de jolies robes courtes, toujours décolletées, un peu de dentelle suggestive, toujours le vernis qui va-bien, même avec un bébé morveux-fatigué-chouinchouin sur la hanche. Des tenues dans lesquelles elle se plaît. Ça la rend belle.

Je n’ai jamais Christine vue en pantalon. Ou seulement, un pantalon très moulant avec de très hauts talons. Elle vient toujours en robe. Des robes colorées, moulantes ou fluides, souvent très décolletées sur son thorax où les côtes se dessinent, faisant concurrence à ses seins si discrets. Des robes qu’elle aime et dans lesquelles elle s’aime, ça se voit. Ça la rend belle.
A vrai dire, je crois qu’Hélène est la plus belle femme de 42 ans que j’ai jamais croisé. La première qui m’a fait réfléchir à ce que j’essaie de vous expliquer ici. Hélène est libre. Libre d’être femme. Libre de se sentir femme, sexy et de le montrer. Sans être vulgaire. Jamais. Même à 42 ans.

Visiblement, il n’y a que moi que ça déséquilibre ses petits seins sur ses larges épaules, elle, elle vient souvent avec de jolis hauts, les bras nus, des robes à bretelles sans manches, pas toujours décolletées qui effacent encore plus sa poitrine. Et pourtant, je la trouve belle quand même.

Elle a des robes sophistiqués, très travaillées, elle fait des associations de couleurs assez osées qui tranchent parfois avec ses cheveux mais après tout…

Ces trois femmes, sans être belles sur l’immonde papier des normes, des cases et des croyances, le sont pourtant. Beaucoup plus que d’autres qui y collent un peu plus à ces foutus normes. Il m’a fallu du temps pour comprendre pourquoi.
Ces trois femmes dégagent quelque chose de différent. Elles laissent derrière elle une impression unique. Une sensation de force implacable, d’assurance. Elles marchent le dos droit, les épaules en arrière, fières, la poitrine ouverte en avant.

Elles ont toutes l’air plus grandes qu’elles ne sont vraiment. Elles en imposent. Absolument femmes. Absolument sûres. Est-ce par le sentiment de liberté qu’elles inspirent ? Par leur authenticité ? Cette impression qu’elles sont pleinement elles-mêmes ?

Elles ne s’excusent pas d’être là. D’être comme elles sont.  Elles vous regardent droit dans les yeux, la tête haute. Elles ne baissent pas la tête parce qu’elles ne seraient « pas assez ceci », « pas assez cela » ou l’autre « trop comme ça». Elles se posent en égales. Absolument à leur place.

Absolument belles. 

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Les 4 accords toltèques – Suite et fin

Ce billet est la suite d’un extrait de texte, débuté ici (introduction, accord 1, accord 2), qui n’a pas grand-chose à voir avec la médecine mais plutôt du développement personnel, les chichis en moins. Cela dit en y regardant de plus près, vous verrez sûrement que l’application de ces accords peut être bénéfique dans nos rapports aux autres, personnels mais pourquoi pas professionnels.

Troisème accord : Ne faites pas de suppositions

 

Nous faisons des suppositions sur ce que les autres font ou pensent, forts de quoi nous en faisons une affaire personnelle puis nous leur en voulons (…) et nous finissons par créer tout un drame pour rien du tout.

Comme on a peur de demander des explications, on prête des intentions à autrui, on fait des suppositions que l’on croit être vraies ; puis on défend ces suppositions et on donne tort à l’autre.

Il vaut toujours mieux poser des questions que de faire des suppositions, parce que celles-ci nous programment à souffrir.

Nous supposons généralement que notre partenaire sait ce que nous voulons ; nous croyons donc ne pas avoir besoin de lui dire. Nous pensons qu’il va faire ce que nous désirons, parce qu’il nous connaît bien. Et s’il ne le fait pas, nous nous sentons blessés et lui reprochons : Tu aurais dû le savoir.

Alors là franchement hein… 
Que celui qui ne l’a jamais fait se dénonce, j’offre un massage^^

Nous avons besoin de tout justifier, de tout expliquer, de tout comprendre, afin de nous rassurer. Peu importe que la réponse soit correcte ; le seul fait de trouver une réponse nous rassure.

Nous ne cessons de supposer, parce que nous n’avons pas le courage de poser des questions.

Si vous vous penchez sur la question, vous risquez d’être aussi surpris que moi. C’est finalement dans mon quotidien beaucoup plus fréquent que ce que j’imaginais. Parce que c’est plus simple, plus rapide de conclure sans demander l’avis du premier concerné. Parce que c’est plus discret, plus facile pour l’égo que d’oser mettre en avant qu’on n’a peut-être pas compris ou compris de travers.

Et la supposition ramène plus vite à l’affaire personnelle et la maltraitance personnelle. Supposez-vous souvent que les autres sont heureux ? Ou cherchez-vous plutôt des signes qui montreraient que ça ne va pas, forcément parce que n’étant pas assez ceci ou cela, vous n’avez pas fait ce qu’il fallait pour ? C’était ma philosophie jusque-là, vous n’imaginerez pas combien, avant d’avoir essayé, c’est délétère, c’est lourd à l’échelle du quotidien. Et combien c’est apaisant de ne plus le faire, tout le temps.
Dans le monde médical, ne cessons-nous pas de supposer la douleur de l’autre et le handicap qui en découle ? Supposer que s’il vient jusqu’au cabinet, c’est qu’il n’est pas SI mal ou que s’il appelle trois fois d’affilée c’est qu’il est exigeant ? Supposer, devant une personne inquiète de son état de santé, que c’est peut-être son inquiétude qui a posé le problème (inquiétude qui aurait réussi le tour de force d’altérer la santé sans exister AVANT que la santé ne s’altère, vous la sentez là l’embrouille ?).

Souvent, lorsque vous démarrez une relation avec quelqu’un que vous aimez, vous devez le justifier. Vous ne voyez en lui que ce que vous voulez bien voir, et vous niez l’existence d’aspects que vous n’aimez pas. Vous vous mentez à vous-même afin de vous donner raison. Puis vous faites des suppositions, l’une d’entre elle étant : mon amour va transformer cette personne. Mais ce n’est pas vrai. Si les autres se transforment c’est parce qu’ils veulent changer et non parce que vous en avez le pouvoir. Puis un incident se produit et vous vous sentez blessé. Vous voyez tout d’un coup ce que vous refusiez de voir avant, désormais amplifié par votre poison émotionnel. Il vous faut maintenant justifier votre douleur émotionnelle en rendant l’autre responsable de vos choix.

Joker. J’vais pas masser deux fois !

Essayez simplement d’imaginer le jour où vous arrêterez de prêter des intentions à votre partenaire puis à toutes les autres personnes présentes dans votre vie. Votre manière de communiquer changera complètement et vos relations ne souffriront plus de conflits engendrés par des hypothèses erronées.

Oui après tout, la vie est assez dure comme ça, pourquoi en rajouter ?

Ayez le courage de poser des questions. Utilisez votre voix pour demander ce que vous voulez. Chacun a le droit de vous dire oui ou non et inversement, vous avez toujours la possibilité de dire oui ou non.

Le jour où vous cesserez de faire des suppositions ou de prêter des intentions à autrui, vous communiquerez de façon propre et claire, libre de tout poison émotionnel, votre parole devient alors impeccable.

Et avec ça, on sauverait l’hôpital. Non ?

Quatrième accord : Faites toujours de votre mieux

Quelles que soient les circonstances, faites toujours de votre mieux, ni plus, ni moins. Mais rappelez-vous que votre mieux ne sera jamais le même d’une fois à l’autre. Les matins où vous vous réveillez frais et débordant d’énergie, votre mieux sera meilleur que lorsque vous êtes fatigué en fin de soirée. Il sera aussi différent selon que vous êtes en bonne santé ou malade, sobre ou ivre, en pleine forme et heureux ou irrité, en colère ou encore jaloux.

Lorsque vous en faites trop, vous vous videz de votre énergie et vous agissez contre vous-même avec pour conséquence qu’il vous faut d’avantage de temps pour atteindre votre but. Mais si vous faites moins que votre mieux, vous vous exposez aux frustrations, au jugement personnel, à la culpabilité et aux regrets. 

Rien que ça ! Vous n’en n’avez pas marre ? 
Peu importe que vous soyez fatigué ou malade, si vous faites toujours simplement de votre mieux, il vous est impossible de vous juger (…) de subir la culpabilité, la honte et l’autopunition.

Lorsque vous faites toujours de votre mieux, vous passez à l’action. Faire de votre mieux signifie agir parce que vous en avez envie et non parce que vous en attendez une récompense.

Lorsque vous faites de votre mieux, vous apprenez à vous accepter. En étant conscient, vous pouvez apprendre de vos erreurs. Cela signifie vous exercer, regarder honnêtement les résultats de vos actions, et continuer de vous exercer.  

C’est un point intéressant pour le quotidien mais qui pose question quand on le transpose au domaine médical. On est formés dans la honte de l’erreur, formés dans la prétention de faire partie de ceux qui savent tout et qui ne se trompent jamais. Comment un patient pourrait-il accepter que son médecin ou kiné soit moins bon à la 12ème heure de la journée qu’à la deuxième ? Et en même temps, accepterait-il d’être soigné par un robot qui n’aurait pas d’empathie ?

Comment peut-on nous, commencer à reconnaître que nous sommes faillibles quand c’est le quotidien des autres que nous essayons de soulager, quand ce n’est pas des vies que nous avons entre les mains ?

Vous n’avez pas l’impression de travailler dur en faisant de votre mieux parce que vous prenez plaisir à ce que vous faites. Vous faites de votre mieux, parce que vous le voulez et non parce qu’il le faut.


Chaque jour on se réveille avec une certaine quantité d’énergie mentale, émotionnelle et physique que l’on dépense au cours de la journée. Si nous laissons nos émotions nous vider de cette énergie, il ne nous en reste plus pour changer notre existence ou en donner aux autres.

Lorsque vous êtes en colère, rien de ce que vous voyez ne semble aller. Tout paraît faux, rien ne vous satisfait. Lorsque vous êtes triste, tout vous donne envie de pleurer.

Vous vous sentez peut-être vulnérable et vous avez besoin de vous protéger parce que vous ne savez pas à quel moment vous risquez d’être agressé. Vous ne faites plus confiance à rien ni à personne autour de vous. Cela vient du fait que vous regardez le monde avec les yeux de la peur.

Chaque être humain possède un corps émotionnel entièrement couvert de plaies infectées. Chacune suppure du poison émotionnel, provenant de toutes les émotions qui nous font souffrir telles que la haine, la colère, l’envie et la tristesse.

Il n’est pas nécessaire de continuer à souffrir. Tout d’abord, on a besoin de la vérité pour ouvrir ces plaies (…).  On doit pardonner à tous ceux qui nous ont fait du tort, non pas parce qu’ils méritent d’être pardonnés, mais parce qu’on s’aime tellement soi-même, qu’on ne veut plus continuer à payer pour les injustices passées.

Ce point me semble essentiel dans la prise en charge des victimes de violence notamment. Je n’y ai réfléchi que très récemment, suite à cette lecture et effectivement… Assumer d’être victime mais aussi d’accepter qu’on mérite mieux. Pas que les fautifs méritent notre pardon mais que nous méritons moins de souffrances. Ils ne méritent pas vraiment le pardon mais ne méritent encore moins de leur sacrifier une vie heureuse à une vie de souffrance. Facile à dire. Je sais. 

Vous saurez que vous avez pardonné à quelqu’un lorsque vous serez capable de le voir sans réagir émotionnellement. (…) Lorsque quelqu’un peut toucher l’endroit où se trouvait une plaie et que cela ne vous fait plus mal, vous savez que vous avez vraiment pardonné.

Une par une. C’est un long travail, une longue réflexion. Mais quand on sent quelques plaies se refermer, petit à petit, on réalise combien on pouvait souffrir et combien c’est bon cette baisse de la violence en soi.

La vérité est semblable à un scalpel. Elle est douloureuse, car elle ouvre toutes les plaies recouvertes par des mensonges, afin qu’on puisse vous guérir. Ces mensonges sont un dispositif de déni. (…)

Lorsqu’on est débarrassé de toute plaie, on n’a plus besoin de mentir. Le dispositif de déni n’est plus utile car un esprit sain peut être touché sans que cela fasse mal.

Imaginez vous vivre sans craindre d’être jugé par autrui. Vous n’adaptez plus votre comportement en fonction de ce que les autres peuvent penser de vous. Vous n’êtes plus responsable de l’opinion d’autrui. Vous n’avez plus besoin de contrôler quiconque, et personne ne vous contrôle plus non plus.

Imaginez-vous vivre sans juger les autres. Vous pouvez facilement leur pardonner et vous détacher de tout jugement à leur égard. Vous n’avez plus besoin d’avoir raison, ni de donner tort à autrui. Vous vous respectez vous-même, ainsi que les autres et ceux-ci vous respectent en retour.

Imaginez-vous vivre sans craindre d’aimer et de ne pas être aimé. Vous n’avez plus peur d’être rejeté, ni besoin d’être accepté. Vous pouvez dire : je t’aime, sans honte ni justification.

Imaginez que vous vous aimez tel que vous êtes. Vous aimez votre corps tel qu’il est, et vos émotions telles qu’elles sont. 


A bon entendeur. Bisous

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L’histoire sans fin

 Précautions d’emploi :    Aucune ressemblance possible avec une situation réelle, les données ayant été modifiées pou respecter l’anonymat de la patiente. Ou le patient. Qui sait ? Ensuite, ce que je vous livre ici n’est qu’un prisme. Le mien. Celui dans lequel j’ai vécu cette situation, avec les informations que j’ai reçues, déduites. Une partie de la réalité, ma partie à moi qui ne fait pas un tout…

Janvier

Aujourd’hui, Mme N. arrive au cabinet accompagnée de son mari. Visiblement la marche est difficile mais ça, on me l’avait dit au téléphone. Nous nous asseyons pour discuter de ce qui l’amène.

Courant septembre, elle s’est cassé la figure dans les escaliers. Une histoire bête, de vieux chaussons, un escalier fraîchement ciré… Paf. Deux vertèbres dorsales abîmées. Jusque-ici, ça aurait pu rester simple. Les pompiers, les urgences, évaluation du risque et nécessité de prise en charge chirurgicale.

Chirurgie de routine, anesthésie, réveil, hospitalisation prévue pour quelques jours. Réveil un peu dans les choux mais pas trop mal.

Et puis soudain, les frissons. La fièvre. La tête qui tourne. Pourtant le matériel chirurgical tient le coup, n’a pas l’air d’être infecté, le chirurgien dit que tout va bien. A priori rien à voir. La pneumopathie du genre costaud, celle dont on n’a pas bien compris l’origine mais qui fait débouler la cavalerie, le réanimateur et puis « vous vous rendez compte, une semaine qu’elle est restée dans le coma ».
Un mois de réa. Deux mois de convalescence. Retour à la maison, complètement sonnée, dans un environnement dont elle a l’habitude mais dans lequel elle ne peut plus rien faire comme avant. Le mois qu’elle a passé alitée a laissé, semble-t-il d’importantes séquelles fonctionnelles mais pas cognitives (intellectuelles). Les deux mois dans une structure de soins de suite proche de chez elle mais terriblement déficitaire en tout, finances, personnels, matériel, en pleine période de fêtes, n’ont pas aidé non plus.

                On sait pertinemment que certains lieux de rééducation « bas de gamme » induisent des pertes de chances. Visiblement soucieux de libérer rapidement un lit, l’hôpital n’a pas jugé bon de se battre pour que Mme N. puisse accéder à un centre à la hauteur de ses besoins immenses en rééducation. Elle a demandé un centre proche, qui avait de la place. Banco. Patate chaude. Maltraitance.

               

On lance la rééducation. On se relaye à deux pour la voir régulièrement. Le centre de convalescence a laissé un vague compte-rendu disant qu’elle commence à récupérer la marche. Pourquoi elle l’a perdue, ça, personne n’en parle. Pas même dans le compte-rendu de la réa. Elle souffre toujours beaucoup du dos. Le chirurgien dit que tout va bien, qu’elle n’a pas de raisons d’avoir mal. Maltraitance. La réa aussi dit que ça va, le centre de convalescence, que c’est pas terrible mais que ça progresse. 
La dame me demande si elle remarchera un jour.

J’ai ma petite idée du pourquoi elle ne marche pas mais ce n’est en aucun cas une certitude médicale. Je pense que ce sont les conséquences de la chute et la réanimation. La chute parce que la peur de chuter peut complètement bouleverser vos automatismes et votre capacité à – ne serait-ce que, sortir du fauteuil. La réanimation : en gros, l’alitement, la sédation, l’absence de mouvements prolongés, le tout en essayant de ne pas mourir ne sont pas de bonne augure pour les capacités fonctionnelles du patient.

Je dis qu’on verra avec le temps. Qu’il y a forcément des progrès à faire mais qu’on ne sait pas jusqu’où elle pourra récupérer. C’est sincère mais ça fait mal à dire.

Le temps s’écoule doucement. Elle fait des progrès lents mais visibles. Elle passe de deux cannes à une seule puis une canne simple sans aide extérieure. Elle marche à petits pas serrés mais elle butte moins au sol et ne se laisse plus tomber quand nous la déstabilisons même si elle ne se rattrape pas complètement.

Avril

Ils ont pris rendez-vous avec un spécialiste puisque pour eux, les difficultés de marche « viennent forcément de l’opération, elle marchait bien avant ».  Le spécialiste est un grand professeur qu’ils connaissent depuis longtemps. A une heure de route. Mais c’est un grand professeur. 

 

« Et puis un bon ».

Il dit que les troubles de marche qui persistent sont effectivement étranges et prescrit des examens complémentaires mais aussi, une visite « pour vérifier » chez le neurologue. Il leur promet d’écrire à son ami le grand professeur en neurologie qui les convoquera pour un rendez-vous.

Juin

Le téléphone sonne. Elle est tombée violemment dans le couloir. Elle aurait buté dans un tapis. Elle s’est cassée la clavicule et a de nouveau très mal au dos. Le médecin généraliste convoqué en urgence prescrira des radios qui ne montreront rien de plus que la fracture simple de la clavicule.

Je pars en congé en lui disant qu’elle a bien progressé jusqu’ici, que je vais la laisser tranquille une petite semaine et qu’on reprendra comme avant même s’il faut que je me déplace au début.

Quand je reviens, elle a vraiment mal. Rien n’a été prescrit de plus pour la douleur. Elle a du mal à se lever parce que mal dans le dos, les côtes. Et la hanche. Je n’insiste pas. J’appelle le médecin qui prescrira une radio de hanche qui reviendra normale.

La douleur baisse à peine et la marche continue à se dégrader. Elle a du mal à se lever parce qu’elle a mal mais aussi parce qu’elle résiste. Elle met un temps infini à se pencher en avant. Elle a du mal à trouver les accoudoirs. Il faut lui répéter plusieurs fois. Le déambulateur est indispensable. Elle marche à petits pas sur la pointe des pieds et au moindre déséquilibre, s’effondre.

Le généraliste a dit d’attendre le neurologue.

Tant mieux, le service de neurologie devrait appeler bientôt.

 

 

Juillet

Le service de neurologie n’a toujours pas appelé. Le mari me dit qu’il rappellera le premier grand professeur dans la semaine. Ça fait un mois qu’il rappellera dans la semaine. Le généraliste a donné un autre nom mais le mari n’a pas appelé non plus parce que « maintenant qu’on s’est engagé auprès du professeur… ».
Sa femme se dégrade. C’est vraiment bizarre comme déficit. Je refais un bilan. Y a des trucs vraiment pas nets qui eux, je ne peux pas les mettre sur le dos de la réa. Encore moins de la chirurgie. A bien y réfléchir, ils étaient peut-être déjà là avant mais prise dans ma routine et mon excuse du syndrome acquis en réa, je n’ai rien vu venir.

C’est finalement une certitude. Il se passe quelque chose de plus complexe. De plus grave. Quelque chose déraille dans son cerveau et ce n’est pas une histoire de stress.

J’alerte le médecin généraliste avec un courrier d’une page entière sur ce que je retrouve dans mon bilan, qui m’inquiète terriblement. D’abord parce qu’on ne sait pas ce qui se passe, depuis combien de temps, et si c’était urgent ? Ensuite parce qu’à la maison, ça devient catastrophique. Le mari la ramasse plusieurs fois par semaine, ne peut pas la laisser seule plus d’une demi-heure. Elle ne marche pas plus de 5 mètres de façon complètement aléatoire et risquée. Elle ne peut plus aller aux toilettes seule ni s’habiller seule. Certes ce n’était pas parfait avant. Mais là c’est pire. Il faudrait l’hospitaliser le temps de comprendre. 

Le généraliste lui, ne retrouve pas les mêmes signes. D’après le couple, il a regardé mon courrier mais n’a pas eu l’air très convaincu. Il ne m’a pas appelée d’ailleurs. Je n’ai eu aucun retour sur mon courrier de sa part, juste ses propos rapportés par les patients eux-mêmes. 
Le mépris est-il une forme de maltraitance ?

Il leur a dit qu’une hospitalisation c’était pire que tout, qu’il fallait attendre le neurologue et faire plus de kiné en attendant. 5 jours sur 7. C’est sûr avec ça, elle remarchera vite fait. 
Août

Le grand professeur a enfin été vu. Il n’a pas, lui non plus, pris la peine de me répondre mais n’a pas balayé mon courrier comme un vieux chiffon. Il trouve bien quelque chose de louche mais ne s’explique pas ni pourquoi ni comment et demande des examens supplémentaires. Rendez-vous est pris pour dans deux mois avec les résultats.

Octobre

Les examens pratiqués ne sont pas les bons. Il ne peut donc rien leur proposer. Le mari lui a dit qu’il se débrouillait bien comme ça et qu’il arrivait à s’occuper encore de sa femme.

Il n’a pas dit ses traits tirés, son dos en compote. Il n’a pas dit les rides qui se creusent sur son front de voir sa chère épouse s’enfoncer sans cesse, ne plus pouvoir tenir une seule conversation cohérente, ne plus reconnaître son intérieur qui n’a pas changé depuis 20 ans. L’angoisse de l’espoir qui s’éteint. La douleur du réveil avec une femme dans son lit qu’il ne reconnaît plus vraiment.

Le grand professeur prend pourtant son cas au sérieux. Il évoque une hospitalisation (enfin !) pour investiguer tout ça. Le secrétariat les rappellera dans la semaine pour leur communiquer la date.

Novembre 

Le secrétariat rappelle. La semaine a duré un mois. Toujours pour une patiente qui se grabatérise de jour en jour et pour laquelle j’ai jugé l’hospitalisation indispensable, le tout marqué noir sur blanc dans un courrier écrit en juillet. Juillet. On est en novembre.

Mme N. est attendue pour une journée d’examens le … 18 mars. Mars. Mars.

De mars à novembre…

Je vais continuer. Oscillant entre la colère de ne pas avoir été lue, entendue, la tristesse de voir la patiente se résigner à attendre, l’angoisse devant le sentiment d’urgence qui ne me quittera pas – si on ne fait rien, elle tombera, une fois de trop, la dernière fois, faut que je la fasse hospitaliser – et finalement le déni : non mais les urgences c’est l’enfer, elle sera encore plus désorientée, maltraitée, qui sait, si j’appelle le 15 elle va atterrir à #PetitHopitalPourriLocal et ça sera encore pire.

Je ne suis pas sereine. Je ne suis pas « toute à vous ». Y’a trop de choses dans ma tête. Trop d’alarmes qui gueulent à une urgence qui n’épuise que moi et qui n’affole surtout pas les médecins. A qui j’en veux un peu de ne pas avoir tenté de me rassurer.

Je deviens maltraitante. Moi. Merde. Je vais hausser le ton. Hacher mes mots.

ON. SE. LEVE. MADAME. N. DEBOUT.

Comme si je parlais à un chien. Merde.

« Et pourquoi, ce n’est pas DEJA fait ? Depuis TOUT ce temps ? » vais-je m’entendre répondre à son mari qui me dira pour la dixième fois qu’il va écrire un mail au premier spécialiste pour qu’il secoue le deuxième.

J’ai parlé comme à un gosse. A un homme qui perd petit à petit sa femme. Merde.

Elle va se dégrader plus vite, ils me promettront d’aller aux urgences.

 Puis n’iront pas parce « qu’elle marchait un peu mieux après ».

Ils tarderont à aller chez le généraliste – que je tarde maintenant à appeler puisque visiblement, je l’emmerde, qui proposera une hospitalisation. En psychiatrie. Avec un joli courrier expliquant que Mme N. se laisse aller et que c’est surement dû à sa dépression chronique. Tiens. C’est nouveau ça.

On n’a pas dû voir la même Mme N.

Mars

Je refais un courrier. Un costaud. Avec des gros mots. Plus long. Plus alarmant.

Je le lis à Mme N. et son mari. Je leur dis ce que j’attends. Que je ne veux pas qu’elle rentre et pourquoi je ne veux pas. Evidemment elle rentrera. Ils ont vu un autre spécialiste. Ils ne savent pas s’il a oublié de se présenter ou si c’est eux qui ont oublié son nom.

Mme N. a donc fait les examens dont le professeur, qu’ils n’ont pas revu, avait besoin en Août (Oui août, on est en mars) pour poser un diagnostic et commencer à parler d’avenir. Le médecin qu’ils ont revu leur a dit que si c’était difficile, il n’y avait qu’à faire intervenir plus d’aides. Il a dit aussi qu’il n’y avait rien de particulier sur ces examens, qu’il fallait en refaire, voir un autre spécialiste et que le secrétariat les rappellerait…

Normalement c’est là qu’on rigole. Ou pas.

Avril

Le secrétariat a rappelé. Le rendez-vous pour l’examen est pris pour ce mois-ci. Alléluia. Avec le spécialiste du spécialiste, pour juin. Fallait pas déconner.
Mai

L’examen supplémentaire est fait. Ils n’ont pas vu de médecin. Ils n’ont pas de compte rendu de cet examen. Ils attendent le rendez-vous avec le spécialiste du spécialiste. Sagement.  

Et puis surprise. Le compte-rendu de la journée d’hospitalisation de Mars vient d’arriver. Le jour où on leur a dit qu’il n’y avait rien de spécial sur les examens.  Enfin c’est ce qu’ils ont compris eux.  

J’ai été médisante. Y’a un bilan neuro du feu de dieu. Y’avait surement un super externe super méticuleux.

« Tenez, j’ai reçu ça mais c’est plein de termes techniques, vous allez peut-être pouvoir m’expliquer… »

Le compte-rendu, tapé a posteriori a donc été envoyé, sans qu’on se soucie, parce que c’est le système, de savoir si oui ou non, le contenu avait été évoqué avec la patiente et son aidant. Sans qu’on se soucie non plus de qui allait devoir feinter l’explication la plus dure au monde.

« Très probable syndrome démentiel truc-muche avec altération cognitive sévère et troubles ataxo-apraxo-néglégo-machingo-aphasiques. ». Un très bon externe. 

Comment vous expliquer, nous qui travaillons ensemble, qui attendons ensemble ce diagnostic depuis plus d’un an, chaque jour de ce délai n’étant justifié que par une succession d’erreurs, de méprise, de blocages administratifs, un délai totalement injustifié médicalement parlant…

Un délai maltraitant ?

Comment vous dire que pour eux, il n’y a plus grand-chose à faire ? Que ce n’est pas le syndrome traitable (parfois) auquel je pensais et que je vous vendais pour vous pousser à consulter mais quelque chose de tellement plus complexe…

Comment vous dire Monsieur, que votre femme ne sera plus jamais celle que vous avez connue, plus jamais la même épouse, la même mère, la même grand-mère, celle qui attend patiemment de pouvoir remarcher pour garder à nouveau ses petites-filles ?

Et si j’avais tapé du poing sur la table chaque fois que j’ai senti que ça n’allait pas ?

Si je m’étais plus respectée, si j’avais un peu moins respecté les titres, aurais-je pu faire accélérer la prise en charge de Mme N. ?

Et si…

Cela aurait-il changé quelque chose ?

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Accord Toltèque N°2 : N’en faites jamais une affaire personnelle

Quoiqu’il arrive. 
L’introduction c’est ici 
Le premier accord : avoir une parole impeccable, c’est par là 
Si je vous vois dans la rue et que je vous dis « Hé, espère d’idiot ! » sans même vous connaître, ce que je dis ne vous concerne pas ; cela me concerne moi. Si vous en faites une affaire personnelle, vous allez peut-être croire que vous êtes idiot. Peut-être même vous demanderez-vous : Comment a-t-il deviné ? Est-il clairvoyant, ou est-ce que tout le monde voit à quel point je suis idiot ?

Vous faites une affaire personnelle de ce qui vous est dit parce que vous y donnez votre accord.

Ce n’est plus la réalité ou la vérité qui ont fini par compter mais le crédit qu’on donne aux mots d’inconnus ou de gens qui n’ont parfois aucune importance dans nos vies. Le pli qu’on a pris de croire autrui parce que « l’autre est toujours mieux que moi » si sombre con soit-il. Toutes ces rengaines à base de « je ne suis pas assez ceci, cela » qu’on se répète sans cesse sont autant de perches tendues à qui voudrait nous faire mal. « Je le savais que j’étais nulle ». A tel point qu’on oublie de se demander s celui qui émet cet avis est réellement en capacité/en droit de juger. 
Au cours de notre éducation, de notre domestication (conformisation au système de croyance pré-établi), nous apprenons à tout prendre pour soi. Nous pensons être responsable de tout.

Vous n’êtes aucunement responsable de ce que les autres font
Même lorsque vous vous faites insulter, cela n’a rien à voir avec vous. Ce que les gens disent, ce qu’ils font et les opinions qu’ils émettent dépendent seulement des accords qu’ils ont conclu dans leur propre esprit.


Si quelqu’un vous donne son opinion en disant « Qu’est ce que tu as l’air gros ! » n’en faites pas une affaire personnelle parce qu’en vérité, cette personne est confrontée à ses propres sentiments, croyances et opinions. Elle essaie de vous envoyer du poison et si vous en faites une affaire personnelle alors vous le recevez et vous vous l’appropriez. (…) Vous devenez une proie facile pour tous les prédateurs.
On pourrait remplacer le « gros » à l’infini, par toutes les caractéristiques physiques ou non dont vous pourriez douter chez vous et dont l’étalon peut-être différent chez chacun d’entre nous puisque chacun  a son propre système de croyance. Je suis sûre que l’image du « gros » qui vous est venue en tête n’est pas la même que la mienne ou que celle du twitto d’à côté. 
Aussi vrai qu’il suffit qu’une personne vous trouve beau pour vous rendre heureux même si dans le référentiel de tous les autres ce n’était pas le cas. 
Aussi vrai qu’on peut être très intelligent dans son domaine d’étude mais se retrouver complètement bête devant le rayon shampooings du supermarché ou à côté de la plaque pour réconforter un ami. Et vice-versa. Pourquoi croire l’avis de quelqu’un dont vous ne connaissez pas l’échelle sur laquelle il vous juge ? Pourquoi le laisser nous blesser par rapport à SES propres critères s’ils ne sont pas les nôtres ?

L’immunité au poison, en plein enfer, est le cadeau que vous offre (que vous vous offrirez) avec cet accord. Lorsque vous faites une affaire personnelle de ce qui vous arrive, vous vous sentez offensé et votre réaction consiste à défendre vos croyances ce qui provoque des conflits.

Vous pouvez me dire : Miguel (Ruiz. L’auteur), ce que tu dis me blesse. Mais ce n’est pas ce que je vous dis qui vous blesse : ce sont vos propres plaies intérieures qui réagissent lorsqu’elles sont touchées par mes propos. Vous vous blessez vous-même.

Grâce à twitter et tous ces parents qui s’y posent des milliers de questions, qui m’en font poser à mon tour, vous pourriez me dire ce que vous voulez sur ma façon de regarder grandir mon beau-fils et l’accompagner au mieux, cela ne me blessera pas. Je sais la valeur de ce qu’on lui apporte. Je ne suis pas parfaite mais je fais de mon mieux, je me plie le cerveau en 4 et il est heureux. J’aime la façon dont j’investis ce rôle. Vous ne me ferez pas douter de ce que JE vaux mais seulement de la quantité de richesse que je lui apporte. Vous ne pourrez que m’enrichir. 
Depuis ce livre, je ne suis plus blessée par ce qui peut se passer sur la route. Moi qui ai eu du mal avec la conduite dès le début et pendant des années. Chaque signe d’impatience, chaque geste mal placé me blessait. Il ravivait cette plaie intérieur du sentiment de handicap à ne pas conduire « comme les autres », du besoin de me fondre dans la masse et pourquoi MOI je n’y arrive pas. D’être nulle.

Aujourd’hui, je n’ai pas changé grand chose et pourtant je suis fière de ma façon de conduire. J’aime la conductrice que je suis. Je suis cohérente avec les valeurs qui m’importent sur la route. Je respecte les règles, je montre à mon petit combien elles sont essentielles. « Bah tu sais Leyaaa, untel il téléphone quand il conduit LUI » (kill me now) Je ne lui montre pas qu’on peut les outrepasser pour son plaisir personnel parce que ce n’est pas ce que je veux lui transmettre. Ma famille est en sécurité quand je suis au volant. Je suis paisible et mesurée. Faites les gestes que vous voudrez ils ne m’atteignent plus. J’ai une parole impeccable, basée sur la vérité et les idées qui me sont chères. Je conduis mieux que vous.

Je ne suis pas sûre par contre de tenir aussi bien face à un reproche sur ma qualité de femme, d’épouse ou de sœur par exemple. Chaque jour son combat.

Je suis votre prétexte pour vous mettre en colère. Et cette colère est provoquée par votre peur. Si vous n’avez pas peur, il n’est pas possible d’être irrité contre moi (…) que vous me haïssiez. Si vous n’avez pas peur vous ne serez pas jaloux ou triste. SI vous vivez sans peur, si vous aimez, ces émotions n’ont aucune place en vous. (…) Il est logique que vous vous sentiez bien. Et quand tout ce qui vous entoure est bien, tout vous rend heureux. Parce que vous vous appréciez tel que vous êtes. Parce que vous êtes content de votre vie.

Lorsqu’on voit vraiment comment sont les gens, sans jamais réagir de façon personnelle, rien de ce qu’ils peuvent dire ou faire ne peut nous blesser. Même si l’on vous ment, cela ne fait rien. Celui qui agit ainsi le fait parce qu’il a peur.  Peur que vous découvriez qu’il n’est pas parfait. C’est douloureux de retirer son masque social.

Et toc. Pif. Paf. Poum. Qu’est ce que je disais hier ? Quand j’ai commencé à détricoter tout ça, j’ai douloureusement compris qu’à force d’endosser sans cesse les masques qui comme je le supposais, me rapporterais le plus d’amour et d’attention, je n’étais plus vraiment quelqu’un tout au fond. Je n’étais que celle qui plairait à mon avis et qui changeait en fonction des attentes supposées de l’interlocuteur. Pas d’unité. Pas de fil conducteur. Un masque. Plein de masques. Cette vie de mensonges (pour lesquels je culpabilisais du coup sinon c’est trop simple) n’avait pas pour but de blesser qui que ce soit.
Votre colère, votre jalousie et votre envie disparaîtront, et même votre tristesse s’en ira si vous ne prenez rien personnellement…

C’est vrai. Vrai quand je conduis, vrai quand je regarde des gens s’écharper sur l’éducation. Plus de poison, plus de sentiments négatifs. Du factuel. De la sérénité. Si vous saviez comme c’est reposant et combien je vous le souhaite… 


Si vous respectez cet accord, personne ne peut vous blesser. Vous pouvez dire je t’aime sans crainte du ridicule ou du rejet. Vous pouvez demander ce dont vous avez besoin. Vous pouvez dire oui ou non selon ce que vous choisissez, sans culpabilité ni jugement de soi. Vous pouvez choisir de toujours suivre votre cœur…

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Commentaires fermés sur Accord Toltèque N°2 : N’en faites jamais une affaire personnelle

Les 4 accords Toltèques : Ayez une parole impeccable

L’introduction. Le pourquoi on en est arrivé là et pourquoi ces billets, c’était hier et c’est juste ici

Impeccable. A chaque fois, ce mot me fait sourire. Je pense soit à une petite blondinette, col claudine et anglaises impeccables ou les meubles de ces intérieurs trop propres d’une netteté impeccable (ce qui n’arrivera jamais chez moi et quand bien même je râle sans cesse sur le bordel, j’en suis ravie).

Pourquoi faire attention à votre parole ?

Votre parole est votre pouvoir créateur.

Quelle que soit votre façon de parler, votre intention se manifeste par la parole. Ce dont vous rêvez, ce que vous sentez et qui vous êtes vraiment.

C’est une force. Elle représente votre capacité à vous exprimer (…) et donc créer les évènements de votre vie.  L’un de ses tranchant est son mauvais usage qui peut concrétiser l’enfer, l’autre est son usage impeccable qui crée la beauté, l’amour (pfiouh) et le paradis sur terre (rien que ça !).

J’avais oublié de préciser que c’était un peu mièvre parfois, vous avez bien vos granules de nux vomica 5CH sur vous en cas de nausée ?

L’esprit humain est semblable à une terre fertile dans laquelle des graines sont continuellement semées : des opinions, des idées, des concepts. (…) La parole est une graine.

Quelqu’un exprime une opinion « Regarde cette fille comme elle est moche ! ». La fille en question entend cela, croit qu’elle est laide et grandit avec l’idée qu’elle n’est pas belle. Peu importe qu’elle le soit ou non. Si elle est d’accord avec cette opinion, elle croira qu’elle est laide.

Idem un peu plus loin avec un exemple tout aussi parlant que je vous résume plutôt que de le copier.

Si je crois que je suis stupide, à chaque fois que je vais faire quelque chose qui ne me satisfait pas ou faire une erreur, je vais penser « si j’étais intelligent, je n’aurais pas fait ça, je suis vraiment stupide ».

Ça veut dire qu’à chaque fois, je vais enfoncer, encore et encore le couteau dans la plaie, continuer à croire, me persuader de plus en plus que je suis vraiment stupide.

Ce qui marche aussi bien en remplaçant « stupide » par « bon parent », « bon conjoint », « vrai(e) ami(e) »… Attention si vous faites l’essai ça fait un peu mal.

Avec un tel cercle vicieux de croyances qui s’auto-alimentent, le jour où enfin quelqu’un pourra/voudra montrer qu’on n’est pas nul/stupide/moche, quels efforts devra-t-il déployer pour daigne le croire ?

Le mot impeccable vient du latin (…) signifie donc sans péché.

Un péché est quelque chose que vous commettez contre vous-même.

Etre impeccable c’est donc ne rien faire contre soi-même. Lorsque vous êtes impeccables, vous assumez la responsabilité de vos actions mais vous ne vous jugez pas, vous ne vous critiquez pas.

Pour que notre parole soit impeccable, il ne faut donc pas l’utiliser contre soi.  Si je vous aperçois dans la rue et que je vous traite d’imbécile, il semble que je me serve de la parole contre vous. Mais en réalité je l’utilise contre moi car vous allez me détester et votre haine ne me fera aucun bien. Donc si je me mets en colère et que je vous envoie mon poison émotionnel par la parole, je l’utilise contre moi-mêmeSi je m’aime, j’exprimerai mon amour dans mes interactions avec vous (…) vous m’aimerez en retour.
L’utilisation négative de la parole maintient les uns et les autres au fond du gouffre, dans un état de peur et de doute.

Prenons l’exemple cette femme intelligente et dotée d’un bon cœur. Elle avait une fille qu’elle adorait. Un soir, elle est rentrée chez elle après une très mauvaise journée de travail, fatiguée, remplie de tensions émotionnelles avec un mal de tête abominable. Elle souhaitait un peu de paix et de calme mais sa fille chantait et sautait joyeusement. Celle-ci ne se rendait pas compte de l’état dans lequel était sa mère ; elle jouait dans son propre monde, son propre rêve. Elle se sentait bien, elle sautait et chantait de plus en plus fort, exprimant toute sa joie et son amour. Elle chantait si fort qu’elle aggrava le mal de tête de sa mère qui, au bout d’un moment perdit le contrôle. En colère, elle regarda son adorable fille et lui dit : Tais-toi, tu as une voix horrible. Peux-tu simplement te taire ?

En réalité c’est la tolérance de cette femme envers le moindre bruit qui était réduite à néant et non la voix de sa petite fille qui était horrible. Mais cette dernière a cru ce que sa mère lui avait dit et à cet instant, elle a conclu un accord avec elle-même. Après cet incident, elle n’a plus jamais chanté, car elle croyait que sa voix était horrible et qu’elle dérangeait quiconque l’entendrait. (…)

Tout changea dans la vie de cette petite fille à cause de ce nouvel accord : elle crut qu’elle devait réprimer ses émotions afin d’être acceptée et aimée.

Ça me rappelle une gamine qui n’a plus osé sourire sincèrement, rire franchement après s’être pris  l’un de ses premiers râteaux pour ses « trop grandes dents ». La même gamine qui dix ans après ne voulait pas se marier parce que si elle souriait aussi sincèrement qu’elle était heureuse elle se trouverait affreuse. Et que s’il y a un jour dans sa vie où elle ne supporterait pas de se trouver affreuse, c’était bien celui-ci.  

Dans le pack « trop grandes dents » il y avait un certain « trop intello ». Si vous vous rappelez du billet d’hier et des masques qu’on met pour plaire à autrui, je vous laisse imaginer le casse-tête de cette même gamine, lorsqu’elle a réalisé que ce qu’elle pensait être son seul atout (qui marchait si bien auprès des adultes) n’en était pas un aux yeux des autres du même âge.

Paf, paf et re-paf. C’était juste un petit con hein. C’était juste une phrase en l’air.

Et ça a été 10 ans de ma vie à contrôler chaque sourire, chaque émotion positive parce que « je suis moche quand je suis heureuse ». Et paf. Pour un petit con. Merde.

J’vous rassure, je me suis quand même mariée, avec toutes mes dents et je me suis, sincèrement, trouvée belle. Et toc.  

[Entracte mouchoirs]

Si nous concluons ce premier accord et que notre parole devient impeccable, nous éliminerons progressivement tout poison émotionnel de notre esprit et de nos relations personnes.

Avoir une parole impeccable vous immunisera également contre toutes les paroles négatives d’autrui. Vous ne pouvez recevoir une idée négative que si votre esprit y est ouvert. Votre esprit deviendra stérile pour les paroles issues de la magie noire (= négatives/chargées de poison émotionnel) et deviendra fertile pour celles issues de l’amour.

L’intensité de votre amour-propre et les sentiments que vous nourrissez envers vous sont directement proportionnels à la qualité et à l’intégrité de votre parole. Lorsque celle-ci est impeccable, vous vous sentez bien. Vous êtes heureux et en paix.

C’est pas tentant tout ça ?

Comprendre ce premier accord a été mon point de départ. Le début de quelque chose de nouveau. Comme une porte qui s’ouvre enfin vers un monde beaucoup plus doux et beaucoup plus vaste. Un peu dur au départ de voir à quel point je me suis fait du mal, depuis tout ce temps, à cause de paroles anodines qui avaient finalement une puissance follement dévastatrice. Je crois que j’ai eu pitié de cette pauvre petite chose piétinée que ces croyances avaient fait de moi. J’ai pas tout arrêté du jour au lendemain hein. Juste un peu moins au début, un peu moins souvent, un peu moins sévère. Mes yeux dans le rétroviseur, y sont pas si moches en fait. Un peu moins de jugements, un peu plus de faits. Oui la mâchoire c’est pas trop ça de profil mais de face, c’est pas hideux.

Oui j’ai toujours pas beaucoup de nichons. Mais maintenant je peux enlever les coussinets de mes soutien-gorges sans avoir mal au coeur (t’as pas de seins t’es pas une femme voyons).Et j’ai un cul d’enfer. Et j’ai été une putain de magnifique mariée. Et je ne suis pas prétentieuse pour autant.
(Si vous retrouvez le billet qui dit qu’une femme doit pouvoir se trouver jolie sans qu’on la taxe de prétentieuse, je prends…)
Moins de haine, un début d’amour. Une prise de conscience de la puissance des mots. Oui les gens sont ternes ici, aigris, grincheux, peu importe moi je n’ai plus envie de l’être et si je veux en calculant un peu, je peux adoucir leurs heures.

« Vous avez été efficace, merci ».

« Vous faites votre travail avec le sourire, j’apprécie ».

Vérité. Tendresse. C’est mièvre peut-être mais essayez. De dire sincèrement merci avec de l’amour dans vos yeux et dans votre cœur. La réaction de l’autre et le plaisir que vous en retirerez ne vous décevrons  pas, c’est même drôle parfois de voir leur surprise (OMG une fille sympa, mais ça existe ??). Vous donnez un peu d’amour, vous en recevez. Cqfd.

Ça marche du tonnerre dans le boulot. Essayez la bonne dose d’amour avec le secrétariat téléphonique revêche d’un grand CHU parisien. La personne sera tellement surprise de ce retour inédit qu’elle fera son boulot bien mieux que ce à quoi vous vous attendiez. Quel soignant n’a pas eu envie de continuer à bien faire son travail après un mot de remerciement pour une prise en charge, une collaboration efficace, des nouvelles du patient…? (Et d’abandonner après une énième agression verbale ? ceci étant un autre débat).

Plus d’amour, moins de haine. Dans la gestion des conflits, l’interaction avec les autres au quotidien, ça m’a beaucoup aidée. Je vis les mêmes choses mais je les vis différemment. Le type qui conduit comme un pied devant moi ne génère plus aucune émotion négative. J’adapte ma conduite, j’observe. Soit il est paumé, n’aime pas conduire, s’engueule avec son voisin et dans ce cas je compatis. Soit il conduit comme un kéké parce qu’il en est un, qu’il choisit de prendre des risques parce qu’il ne vole pas assez haut pour comprendre combien une bagnole c’est dangereux et dans ce cas-là, il ne mérite pas que je gaspille mon énergie à me mettre en colère contre lui. Je nous mets moi et ma famille en sécurité et basta.

Bon j’vous dirai si accrochage il y a si j’arrive à être aussi zen. Si c’est le cas, j’vous paye l’apéro.

Un peu pareil pour mon dernier fait de haut rang. Demander au type qui se bourre la gueule à la bière pas chère dans sa caisse, radio à fond sur les places de stationnement DEVANT notre porte ( à 100 gros mètres de son entrée de parking à lui) d’aller le faire plus loin. J’y suis allée seule. Partie en colère, je me suis arrêtée. J’ai chassé la colère. Il n’y a que la vérité qui compte. Il y a des petits chez nous, des poussettes et des courses à sortir, ces places, ça nous arrange de pouvoir nous y mettre alors (tenez-vous bien) « ça serait agréable de votre part d’utiliser les places libres un peu plus loin pour les familles qui vivent ici ». Sous vos applaudissements, Leya, mot pour mot, très en colère. ET BAH IL L’A FAIT. Et il ne s’y est plus garé depuis des mois. J’ai du mal à y croire parce que (re-tenez vous bien), je ne peux pas être assez importante pour qu’on m’écoute ou qu’on veuille accéder à mes demandes. Long way to go.

N’empêche que depuis que j’ai lu ce truc, si chaque jour suffit toujours à sa peine, le bocal de poison émotionnel s’est vidé. Pas complètement. Mais de beaucoup. Matériellement ma vie est la même sauf que avec moins de haine, de colère et plus d’amour qui transite chaque jour, j’vous jure, c’est diablement doux et reposant.

Bon, pour l’extérieur ça va mieux mais rassurez-vous, je suis toujours une mégère à la maison. J’aime aussi fort que je râle, y a encore du travail… 

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Les 4 accords Toltèques – Introduction

Critique de texte. Objective ou presque
Don Miguel Ruiz. Les quatre accords toltèques. Les voies de la liberté personnelle. Ed Poches Jouvence. 6,60€ ! (Liberté, pas chère, pas chère).

Fallait que je vous en parle.

Ce n’est pas vraiment une histoire de soin, j’en ai plein à raconter mais les mots bloquent entre ma gorge et mon clavier, les articles s’allongent, sans queue ni tête, je vous y perdrai je pense.

Et puis en matière de soin, il y a eu cette petite pépite, dont la lecture à cent à l’heure a enclenché quelque chose en moi qui est en train de tout changer. Ce n’est pas une histoire de soignants, c’est une histoire d’être humain. Une petite méthode avec des mots simples qui renverse les codes avec lesquels je fonctionnais depuis toujours, ceux peut-être avec lesquels vous fonctionnez aussi.

Vous verrez comme ils peuvent nous faire mal. Pour rien.

Identifier ces foutus codes, les renverser, faire la révolution, pas avec les autres mais avec soi-même pour adoucir son regard sur soi. Pour remettre l’amour avant la haine. C’est pas un beau programme ça ? Ces mots je les trouve terriblement justes. J’avais envie de les partager avec vous.

Si vous êtes toujours avec moi, venez, je vous embarque dans mes morceaux choisis…

Introduction : Comment en est-on arrivé là ?

La construction de nos croyances

Les adultes qui nous entouraient lorsque nous étions enfant, ont donc capté notre attention et introduit des informations dans nos esprits par la répétition (…) comment nous comporter en société : que croire, ne pas croire, ce qui est acceptable, ce qui ne l’est pas, ce qui est bon et ce qui est mauvais… 

Enfants, nous n’avons pas eu la possibilité de choisir nos croyances mais nous avons donné notre accord à l’information qui nous était transmise sur le rêve de la planète (règles de la société, croyances, lois, religions, différentes cultures et modes de vies, gouvernements…). Du moment que nous sommes d’accords, nous croyons. Voilà comment on apprend quand on est enfant. Nous croyons ce que les adultes nous disent. Nous sommes d’accord avec eux. (…) Il en résulte une soumission aux croyances avec notre accord .

Respecter ces croyances pour ne pas être rejeté

Bientôt nous avons commencé à avoir peur d’être puniou de ne pas recevoir de récompense, celle-ci consistant à obtenir l’attention de nos parents ou d’autres personnes. (…)

Comme elle (l’attention) nous faisait du bien, nous avons continué à faire ce que les autres attendaient de nous pour l’obtenir. Nous nous sommes mis à prétendre être qui nous n’étions pas, juste pour faire plaisir aux autres, juste pour paraître assez bien à leurs yeux. 
Nous prétendions être autre que nous n’étions par peur d’être rejetés.

Je ne sais pas pour vous mais de mon côté, gamine surdouée toujours socialement à côté de ses pompes avec les enfants de son âge, c’est exactement ce qui s’est passé. Exacerbé ou non par le potentiel intellectuel, il m’a fallu très longtemps et un début de thérapie à 25 ans pour commencer à comprendre que je n’étais jamais moi, toujours avec le masque celle que je pensais, je supposais, je croyais qu’on aimerait le plus. 
Au final comme il l’explique assez bien ces croyances erronées nous servent, sans cesse, à juger nos actions, quitte à nous punir injustement pour elles.

Ce système de croyance est comme un Livre de la loi à l’aune duquel notre esprit jugera tout ce que nous faisons, pensons, ressentons et nous déclarera coupable à chaque digression. Plusieurs fois par jour, tous les jours. Coupable.
La vraie justice consiste à ne payer qu’une seule fois pour chaque erreur. La vraie injustice consiste à payer plus d’une fois pour chacune. (…). Nous commettons une erreur, nous nous jugeons, nous nous déclarons coupables et nous nous punissons. (…) A chaque fois que nous y repensons, nous nous jugeons, culpabilisons, punissons à nouveau. (…). Encore. Et encore.
Est-ce juste ?  

Non ce n’est pas juste si l’on se réfère à sa définition. Une erreur, des milliers de rappels, de punitions chaque fois aussi douloureuses pour une seule erreur, nous qui en faisons sans cesse. Peut-on vivre en passant sa vie à se reprocher où à ce qu’on nous reproche sans cesse nos erreurs ? Suis-je ainsi ? La vie n’en devient-elle pas un enfer si l’on fonctionne de cette manière ? 

Si je ne cesse de me juger, culpabiliser, me punir pour mes erreurs, comment puis-je avoir la moindre estime de moi ?

Etre simplement soi-même, voilà ce que nous redoutons le plus.

Nous avons appris à vivre en nous efforçant de satisfaire les besoins d’autrui, à vivre en fonction du point de vue des autres, de peur de ne pas être accepté et de ne pas être assez bien à leurs yeux.

On crée une image de ce que l’on devrait être pour être accepté par tout le monde. (…) On construit cette image de perfection à laquelle il est impossible de se conformer.

N’étant pas parfait, nous nous rejetons.

Nous sommes incapables de nous pardonner de ne pas être tels que nous le souhaitons ou que nous croyons devoir être. Nous ne nous pardonnons pas de ne pas être parfaits.

Nous allons jusqu’à nous déshonorer, simplement pour plaire à autrui…
Qu’est-ce que je disais ? Le pré est toujours plus vert ailleurs, l’autre toujours plus belle, toujours plus drôle, toujours plus intelligente, toujours plus semblable à cette perfection que j’ai cru/voulu atteindre toute ma vie avant de comprendre que si j’attendais de l’avoir atteinte, je mourrais avant d’avoir été contente de moi. Toujours plus juge, toujours plus dure, toujours plus coupable et jamais assez parfaite. Suis-je née pour passer ma vie à me faire des reproches ? 
Au cours de toute votre existence, personne ne vous a jamais davantage maltraité que vous-même. Si vous vous maltraitez terriblement, vous pouvez même supporter qqn qui vous bat, qui vous humilie, qui vous traite comme moins que rien. Pourquoi ? Parce que, dans votre système de croyance, ivous vous dites «  je le mérite. Je ne suis pas digne d’amour et de respect, je ne suis pas assez bon(ne) ».

Peut-être vite évoqué mais essentiel, moi qui commence à parler à mes patients de prévention/info sur les violences conjugales ou autres, comment se lever contre quand on ne s’estime pas assez bien pour mériter d’en sortir ? On parle de violences. Bordel. 
On a besoin d’être accepté et aimé par autrui mais on est incapable de s’accepter et de s’aimer soi-même. Plus on a d’amour-propre, moins on se maltraite.

Comprendre nos accords et nos croyances, les démêler pour nous permettre de sortir de ces montagnes d’auto-flagellation/auto-maltraitance ? 
Vous avez conclu des milliers d’accords (…), mais les plus importants sont ceux que vous avez passé avec vous-même. Avec eux, vous vous dites qui vous êtes, ce que vous sentez, ce que vous croyez et comment vous comporter. (…) Il y a des choses que je peux faire. D’autres non…

Nous avons tout juste assez d’énergie pour survivre chaque jour, car presque tout notre pouvoir sert à respecter les accords (du système de croyance) qui nous maintiennent dans le rêve de la planète.

Si nous sommes capables de voir que ces accords dirigent notre existence et que nous n’aimons pas le rêve de notre vie, alors il nous faut changer ces accords. 

Le but de cet ouvrage est donc de présenter 4 accords dits fondateurs dans la pensée toltèque (je vous laisse googler c’est assez vaste) qui sont censés permettre de désamorcer ce système de croyance erroné à partir duquel nous nous faisons du mal : 
– Avoir une parole impeccable
– Ne jamais en faire une affaire personnelle 
– Ne pas faire de suggestions
– Faire de son mieux
Vous verrez, ils sont simples et ils changent tout. 
A bientôt pour la suite. 

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Juge et parti

Parce que c’est compliqué à expliquer, commençons par une petite histoire… 
Je serre les dents, j’espère que tu n’as pas vu le coin de ma lèvre se crisper. J’espère que tu n’as pas vu mes sourcils se froncer, encore une fois, au fil de ton récit. L’expression de cette lassitude ne t’es pas destinée. Elle te concerne mais tu n’es pas censée la voir. Du moins, je ne suis pas censée te la montrer.

Professionnelle, j’ai ouvert mes mains pour recevoir ta douleur quand tu es arrivée pour la première fois. Comme je le fais à chaque fois. Je ne sais rien de toi et je ne veux pas tout savoir, je n’en ai pas besoin. Mais j’écouterai ce que tu choisiras de me dire.

Je n’ai pas personnellement vécu d’épisode similaire à celui qui t’amène.

Je sais la douleur pourtant. Celle d’un poignet pourri, celle qui lance sans arrêt des heures durant, celle qui brutalement handicape le moindre geste et qui rend folle d’impuissance. Je sais aussi le coup de poignard de l’infection pulmonaire, le goût métallique du taux d’oxygène qui baisse et la fièvre qui explose dans ma tête.
Ces douleurs-là, je les ai connues. Moi. Sans la soignante.

Mais ta douleur, je ne la connais pas. Pas personnellement. Je ne peux pas compatir. Ni comparer. Elle est tienne et la soignante, sans moi, devra respecter ta façon de la vivre.
J’ai entendu ta peine. J’ai essayé de la comprendre, avec un interrogatoire, un bilan et des hypothèses. Mes armes de soignantes. On a mis en route des choses, des choses qui marchent d’habitude, avec les autres. Mais chez toi, ça ne marche pas. On a changé plusieurs fois de stratégie. Et toujours rien.

Je ne comprends pas ta douleur. Ni en tant que soignante, ni en tant que moi. J’ai fait de mon mieux, je suis allée au bout de ma réflexion mais rien n’a marché. J’ai botté en touche, je t’ai renvoyé vers ton médecin mais visiblement pour lui, il n’y a rien d’autre à faire.

Soignante, je n’ai pas su répondre à ta douleur avec mes armes. Personnellement, j’ai envie de penser que tu exagères, ça serait si facile. J’ai envie de penser que tu es bien douillette pour ton âge. Juger. Et un jugement, c’est personnel. Parce qu’un professionnel ne juge pas. Il entend. Il analyse. Il reçoit. Mais il ne JUGE pas.

Si je me permets de te juger, tu n’auras plus affaire à une soignante mais à une simple femme (aheum). Et tu n’es pas venue pour ça.

La douleur est une sensation désagréable subjective. Unique et propre à chacun. Cette douleur, c’est la tienne, tu la vis comme tu le peux, comme tu l’entends. Tu me dis que tu souffres. Je te crois. C’est mon job. En plus, sur toi, ça se voit.

Je lutte parce que j’ai du mal à rester neutre. Tu as mis la soignante en moi en échec. Enfin pas toi, ta douleur, et personnellement,j’aime pas l’échec. J’ai envie de te le remettre sur le dos. Mais il ne faut pas. C’est une barrière que je ne dois pas franchir, ce ne serait pas professionnel.

C’était une lassitude personnelle que je n’aurai pas dû laisser échapper. J’espère que tu ne l’as pas vue, je fais de mon mieux pour te soulager. Promets-moi que le jour où tu trouveras une solution pour atténuer ta douleur, avec moi, ou un autre, un humain ou un comprimé, un vrai médecin ou un charlatan, tu m’appelleras pour m’en parler. Pour que je sache comment mieux aider la prochaine toi et moins lutter pour qu’un avis personnel ne vienne parasiter mon regard de professionnelle.

***

J’ai senti ce fil, il y a peu. Cette espèce de barrière entre la femme et la soignante, ces pensées qui ne devraient se ranger que dans une case ou dans une autre, moi qui n’aime que les mélanges. J’ai encore du mal à mettre les bons mots dessus peut-être parce que même pour moi ça n’est pas encore clair.

Et pourtant, depuis, dans ma tête c’est plus fluide.

J’ai ma petite case noire pour les avis personnels qu’ils ne doivent pas entendre. Des petits coups de gueule que je pousse parfois sur twitter sur ces relous qui ont toujours mal, pour « rien », toujours en retard, qui n’ont pas fait les exercices mais qui ont aimé le massage de la dernière fois.

Je me suis relue, à froid. Et je ne me suis pas reconnue. Et ceux à qui je faisais allusion ne m’auraient pas reconnue non plus. La fille qui dit ça, est une gamine pourrie gâtée qui a envie de se faire plaindre. En gros, moi, et mon ras-le-bol personnel à deux balles.

Et celui-là, ils ne le voient pas. Mon job, c’est de ne pas leur montrer cette partie-là de moi. Ils ne sont définitivement pas là pour ça. Ils sont venus vers une professionnelle. Ils voient la tendresse, le respect que j’ai pour eux. J’espère. J’espère qu’ils sentent dans mes mains l’envie de les dénouer, au sens propre comme au figuré. Et rien que ça. Même si je me mets souvent émotionnellement à nu devant eux, le négatif restera en dehors de ma pièce. 

Et ça, cette dualité, cette ambivalence, cette schizophrénie – appelez-moi comme vous voudrez, ça vaut pour la douleur mais pas que.

Ça vaut pour les parents inquiets qui en font trop parce que personnellement je trouve qu’ils en font trop mais que professionnellement je ne peux qu’entendre leur inquiétude devant ce bébé dont pour qui ils luttent ne serait-ce qu’à apprivoiser le sommeil. Ce bébé qui peine à respirer qui est tout pour eux et dont ils sont incapables de juger l’état. Ce que moi je fais machinalement parce que je suis formée à ça. Et j’oublie que pour eux ce n’est pas aussi simple.

Et ça vaut aussi, surtout, infiniment, totalement, pour les patients en surpoids.

Quand j’entends qu’un gynéco (surprise !) ose faire remarquer à une patiente qu’elle est « grosse comme une vache », j’ai des envies de meurtre. Pense-le si tu veux, connard, mais garde ça pour toi. C’est un avis personnel. C’est TON avis. Ton avis de mec pas fini, fini à la pisse peut-être mais pas ton avis de MEDECIN. Tu as le droit de le penser – ce qui ferait de toi un mec d’une infinie délicatesse – mais en tant que professionnel, tu n’as PAS LE DROIT de le dire à elle.

Du côté professionnel, pour moi, certains patients en surpoids sont plus compliqués à prendre en charge que des patients à l’IMC « normal ». Tout simplement parce que je suis gaulée comme une crevette, que mon poignet est plus fin qu’un cuissot de môme taille 4 ans et que mes épaules font à peine un bonnet AA. Au-delà d’une centaine de kilo, j’avoue que physiquement parfois je lutte. Oui, 30kg de membre inférieur paralysé, pour moi, c’est lourd et difficile à mobiliser. Oui, la surface du dos d’un patient de 100 kilos est plus importante et donc plus longue à masser que celle d’un patient de 50. (Savant calcul hein). C’est mathématique. C’est un fait.
Et les patients sont les premiers à le savoir. Comme cette la dame au soutien-gorge taille 100F qui m’a ri au nez quand je lui ai dit – comment je vais mettre ça sur la table ? – qu’elle avait « plutôt une forte poitrine » – admirez les pincettes – et que peut-être en la maintenant mieux, elle pourrait souffrir un peu moins. 
Alors oui, si physiquement, je ne peux assurer, je passe la main. Si je choisis de le faire, je le fais, j’assume et je n’ai pas le droit de faire payer au patient l’éventuel surcroît de pénibilité. J’avais qu’à faire plus de sport moi de mon côté.
Et puis c’est tout aussi vrai dans l’autre sens.

C’est parfois aussi difficile de masser le dos d’une patiente de 45kg parce que cette fois, mes mains seront trop grandes pour la surface, trop fines pour ne pas riper de façon désagréable sur les reliefs osseux.

Et les rugbymen à l’IMC normal mais musclés comme des parpaings on en parle ?

Je travaille sur AVEC de vrais gens. 
Avec toutes les caractéristiques physiques possibles et imaginables.

Professionnellement, je peux constater des différences dans la facilité de prise en charge en fonction de ces caractéristiques physiques. Je suis plus à l’aise pour travailler l’équilibre chez des gens qui font mon poids et 20cm de moins et pas l’inverse. J’ai plus de faciliter à masser quelqu’un en surpoids qu’un sportif desséché méga-musclé. Ce sont des « préférences » que je n’ai pas à partager avec le patient. Encore plus quand il ne rentre pas dans la case « patient facile pour MOI ». Etre professionnelle c’est faire en sorte qu’il ne le voit pas, ou au moins de ne pas lui faire payer mes propres faiblesses.

D’un point de vue personnel, j’ai tous les droits. Je peux penser que tel ou tel profil n’est pas à mon goût ou qu’il l’est terriblement. Je n’ai juste pas le droit de poser mon avis à haute voix sur la table de celui que je soigne.
« Ouhlalala vous avez de beaux seins dites-doooonc ». 

Mon boulot, si vous êtes en surpoids et que vous arrivez jusqu’à mon cabinet, ça sera de vous recevoir avec le sourire en gardant pour moi le désobligeant regard de haut en bas de certains. De comprendre ce qui vous amène, une douleur le plus souvent. Si vous avez mal au dos ou plus bas, j’évoquerai sûrement votre poids mais peut-être pas tout de suite. Et si je le fais, ça sera surtout pour panser les plaies que les faux-soignants précédents auraient pu vous infliger injustement par des remarques PAS professionnelles. Et des plaies, j’en trouve, systématiquement. Et j’ai honte.

Je vous demanderai sûrement comment vous le vivez et je recevrai votre ressenti sans le juger. J’évoquerai les conséquences possibles du surpoids sans pour autant tout mettre sur son dos. Car il n’y a pas que le poids qui joue. Et que vous pourriez perdre du poids comme on vous l’a enjoint, ça ne jouerai probablement pas sur vos douleurs inflammatoires de poignet comme on vous l’a promis (véridique). Si vous le vivez mal, j’essaierai de vous aider, avec mes armes à moi. Un peu d’écoute, quelques conseils à contre-courant (notamment le concept de basal-metabolic rate) et des exercices les plus simples et rapides possibles pour que vous puissiez changer – un peu – les choses si c’est ce que vous souhaitez ou mieux vous accepter ainsi. 

Mais je m’arrêterai là. 
Du côté soignant de la barrière, ça vous semble si dur que ça ? 

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J’aurais voulu pouvoir vous donner raison…

J’ai bien vu pourtant la crispation de vos sourcils quand vous m’avez demandé d’en faire moins avec elle, mes pieds ayant à peine foulé le tapis de l’entrée. Je sais combien l’incessant ballet des soignants vous fatigue tous les deux. Ces intrusions quotidiennes, pluri-quotidiennes même qui interrompent les rares moments d’intimité que vous partagez encore.

Le summum avec cette foutue kiné qui vient juste à l’heure du café.

J’ai tout vu. Vos cernes, votre front plissé, le pli crispé au coin de vos lèvres, l’urgence qui guide chacun de vos pas, les milliers de tonnes sur vos épaules. Malheureusement, je ne connais que trop bien ce sentiment qui vous anime. Celui du spectateur qui, impuissant, donne tout, toujours, tout le temps sans qu’un instant l’autre ne cesse de souffrir. Vous aurez beau tout gérer, faire les courses, les repas, la vaisselle, le taxi, le souffre-douleur, l’éponge à colère, le menteur « ne t’inquiète pas, ça va aller », elle ne guérira pas. Vous le savez. Elle aussi. 

J’ai bien entendu votre indiscret soupir depuis le canapé quand j’ai évoqué la possibilité d’augmenter le niveau des exercices. J’ai bien vu votre regard soucieux quand j’ai essayé d’échafauder des plans sur la comète pour sa dignité à elle, plans qui impliquaient qu’elle « bouge » un peu plus.

Mais voyez Monsieur, même si je respecte infiniment votre présence, ce rôle d’aidant que vous avez, comme moi, endossé bien malgré vous, de votre sourire à vos soupirs, vous n’êtes pas mon patient.

Elle est ma patiente.

C’est votre femme, votre princesse, celle qui en robe blanche vous a fait tourner la tête il y a tant d’années déjà. Celle qui a embellit vos jours aussi bien que vos nuits, a porté les petits que vous avez accueillis ensemble. Votre âme-sœur, votre alter-égo ou simplement une épouse aimante, peu importe, c’est votre épouse.

Ma patiente c’est votre épouse. Et à l’école on m’a appris

De vous deux, c’est probablement elle la plus forte. Je le vois dans son regard amusé quand elle vous voit vous soucier infiniment pour elle. Comme une maman devant un enfant angoissé.

C’est votre femme. Elle est belle votre femme. Malgré la minceur absolue, malgré les joues creuses et les cernes, les mêmes que les votre, elle est belle. Elle a de beaux yeux lumineux. Ses lèvres pâles sont toujours bien dessinées. Comme une jolie poupée sculptée dans l’albâtre que vous craindriez de ne casser un peu plus. Une beauté que vous craigniez que j’abîme.

Mais voyez Monsieur, elle est déjà terriblement abîmée votre femme, en dedans. Le cancer est partout, il lui a mangé les joues, transformé ses jambes fuselées en allumettes et infusé cette perpétuelle douleur dans son sourire.

Nous savons tous les 3 que chaque mouvement de jambe risque de laisser plus tard, une facture salée. Une fatigue terrible qui l’empêchera de partager un dîner au calme avec vous. Une douleur insoutenable qui la rendra folle et pour laquelle vous ne saurez que faire.

Mais voyez, votre femme, elle est en vie. Le sang pulse malgré tout dans ses veines. Et ce qu’elle veut, elle, c’est se sentir, encore un peu, humaine. Elle a eu mal, si mal, si longtemps, un peu plus, un peu moins… Mais se savoir capable de marcher encore un peu, se sentir libre, si elle le souhaite, de se lever pour aller s’asseoir un instant, où elle le voudrait. Soleil ou ombre. L’amour est dans le pré ou les feux de l’amour. Cette liberté là n’a pas de prix pour elle. Elle est prête à tout pour la reconquérir.

J’aurais voulu, après vous avoir entendu, pouvoir vous donner raison.

Je suis d’accord avec vous, j’aimerais plus que tout être celle qui la soulage. Celle qui lui apporte le répit que vous attendez tant pour elle. J’aimerais tant pouvoir vous dire que je peux faire quelque chose pour cette douleur incessante. Je ne peux pas.

La seule chose que je peux faire, c’est l’aider à bouger. Reprendre des forces dans la petite marge que ce foutu cancer lui laisse. Lui montrer comment faire le plus en se fatigant le moins. Lui souffler les idées qu’elle n’ose plus avoir.

« Vous êtes plus solide, pensez-vous que la toilette au lit systématique est encore nécessaire ? Tous les jours ? »

« Oui, mais non, mais avec le tuyau… »

« Peut-être que ce n’est pas un problème, et si vous leur demandiez tout simplement ? »

Je ne peux pas ne pas écouter ses yeux qui me supplient de l’aider à lui rendre sa dignité. Elle veut en faire plus, elle s’en sent capable et je vais l’accompagner sur cette voie.

Vous aurez l’impression que je ne vous ai pas écouté, que j’ai nié votre douleur à vous et votre besoin de la protéger.

Je vous ai entendu pourtant. Mais je ne peux vous donner raison.

Vous ne voudriez pas que je la fatigue pour ne pas qu’elle souffre.

Je vais la fatiguer pour qu’elle se sente femme. Et libre.

Et peut-être que libre, fière et femme, encore un peu, elle aura moins mal de se voir mourir.

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8h19

8h19 – Un long, très long début de journée. 

Je pousse la porte du cabinet, le carillon tinte doucement.

Ah vous voilà, je viens juste d’arriver, hein, je vous assure, je viens juste d’arriver. Y’a pas cinq minutes, hein, vous avez l’heure ? Non parce que j’ai pas l’heure sur moi, dites, quelle heure est-il ? Ah 8h20. Bon 8h20. C’est bien. Non parce que j’ai rendez-vous, vous m’aviez dit 8h30, je suis pas trop en avance pour une fois.
Je n’ai pas posé mon sac, je n’ai même pas encore eu le temps d’essuyer mes pieds sur le tapis. Je m’avance vers mon bureau, défait ma veste et …

Dites, vous trouvez qu’il y a plus de monde sur la route maintenant que la rentrée est passée ?

Attendez, Mme D, accordez-moi un instant, j’ai quelques affaires à régler avant de commencer.

Ah bon, vous êtes occupée. Bon. Bon d’accord, je patiente.

Venez, merci d’avoir patienté, comment allez-vous ?

Ah oui donc alors vous avez trouvé beaucoup de monde sur votre route ? Avec la rentrée, les vacances, nous on est parti à St Malo. Vous trouvez que j’ai pris des couleurs ? Ah bah voilà, mon mari ne veut pas me croire, mais je lui ai dit que si. Et puis vous voyez, j’aime pas partir en Août, mais lui a voulu alors, bon ça va y’avait pas trop de monde.

Mon épaule ? Quoi mon épaule ? Ah oui. Bah vous voyez, je me suis remise sous anti-inflammatoires, bon parce que le docteur m’en avait donné pour si j’avais mal pendant ses vacances et puis l’autre nuit, j’ai eu mal un peu mais là ça va. Donc j’ai encore un rendez-vous jeudi, à 10h, bon c’est un peu tard, jeudi je fais le ménage, vous n’auriez pas un peu plus tôt. Bon non. Bon tant pis. Donc vous m’en donnerez d’autres pour la semaine prochaine. Mais dites, combien de séances il reste là ?

Quoi ? Où j’ai mal ces derniers jours ? C’est pas que j’ai mal, c’est que ça me gène, parfois, quand je fais certaines tâches, pas d’autres, ah mais oui la kiné me fait du bien, la machine, là, ça fait quoi déjà, ah oui ça chauffe en profondeur c’est ça, oui et puis quand vous me massez, ça me fait du bien aussi, dans les cervicales, là.

Dites, je voulais vous demander, en vacances, la voisine de ma nièce m’a parlé d’un homme qui avait eu un grave accident de ski, il est tombé sur la tête et puis sa jambe, elle est un peu comme morte, il n’arrive pas à la commander, enfin pas bien elle m’a dit, à votre avis ça peut être quoi ?

Et vous pensez qu’il va pouvoir récupérer un peu ?

Oh oui quand vous me massez comme ça, oh oui, ça fait du bien mais dites, nous n’êtes pas fatiguée à masser comme ça toute la journée ? Hein ?

Et puis – oh oui c’est sensible là – le monsieur en salle d’attente, il avait pas l’air bien vaillant. Qu’est ce qui lui arrive ? Vous le massez lui ? Ah non c’est votre collègue. Ah bah oui vous pouvez pas me répondre, bien sûr. Bien sûr. Donc vous me redonnerez des rendez-vous alors ?

Oui, mardi c’est bien. Jeudi, un peu plus tôt, vous pouvez ? Non parce que le jeudi c’est le jour du ménage normalement mais bon je pourrais décaler hein mais enfin, si vous pouviez plus tôt, quand même ça m’arrangerait. D’accord, bon d’accord, c’est noté.

A jeudi alors 8h30 hein !

Au revoir, bon weekend.

8h57

Silence. Paix. Et volupté.

Fin de journée dans … 11h et des brouettes. Mourir. 


———————-
Je suis pourtant du genre patiente, tolérante, trop l’un, trop l’autre peut-être, trop bonne trop conne en tout cas, il est rare que le courant ne passe pas, rare également que le contact avec les patients me soit difficile. Là, ça n’a pas loupé. Et comme je vous aime, je voulais partager ce cuisant échec relationnel avec vous. 
Comment ça vous avez mal à la tête ? 
Un massage pour faire passer ? 

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Et vous ?

« Et vous, comment allez-vous ? »

« Oh elle va bien, elle est un peu agitée mais ça va »

« Bah vous savez, avec son cancer… »

L’autre. Toujours l’autre. Celui qui est Malade. Je sais. Je sais combien c’est dur d’être celui qui accompagne. Mon ton est doux, sincère. Je sais combien la maladie peut prendre toute la place. Je vois la souffrance dans leur regard, cette douleur de l’autre qui ne vous reconnaît plus, de l’autre à qui on donne tout mais qui n’en guérit pas pour autant. Je veux leur donner de la place. Un instant, le droit d’exister, de respirer, de dire que c’est dur. J’essaie.

« Oui mais vous, madame, comment allez-vous ? »

« Oh moi ? Mais moi ça va. C’est pas moi qui suis malade ».

Toujours. Ces regards étonnés. Cette façon systématique de me repousser.  Pourquoi m’inquiéterai-je de leur état à eux. Les malades sont leurs autres. Eux n’ont pas de raison d’aller mal.

Ils n’ont pas mal eux. Ils ne sont pas perdus, confus, désorientés, mourants, déchus de toute dignité.

La douleur, ils la regardent détruire pas à pas cet autre qu’ils aiment tant. Cet autre qui a fait la pluie et le beau temps dans leur sourire toutes ces années durant. Cet autre qui n’est, le plus souvent, qu’une ombre aux sourcils froncés, aux mâchoires serrées sur cette souffrance qui prend toute la place.

C’est ça être aidant ? Aider l’autre ? Tout le temps ? Au point de n’être plus personne que celui qui aide ? Celui à qui on demande au téléphone si ça va, vite fait, avant de demander comment va l’autre ? Parce que c’est le « pas trop pire » de l’autre qui peut nous rendre heureux, un peu, et puis de toute façon, moi je dis toujours que ça va.

Ils font de leur mieux. Faire la vaisselle, préparer des bons petits plats, poser une main douce au creux d’un bras, dire « je t’aime », « courage », « je suis fièr(e) de toi », une fois, dix fois, cent fois. Repasser les draps pour adoucir la nuit, faire de la mousse au chocolat.

Ces millions de petites choses qu’on peut faire fait quand on aime, parce que quand on aime, on ne compte pas et puis qu’on n’est pas malade nous, alors on SE ne compte pas et on peut bien les repasser ces foutus draps.

Proposer un bain chaud, un massage, des framboises avec la mousse au chocolat. Un doliprane, un ibuprofène, des granules d’arnica, un strip-tease aussi des fois.

Mais cette pute, jamais ne cède, cette douleur, ils la haïssent. Je la hais.

C’était le temps d’un café, vous ne vouliez pas vous assoir dans le canapé, vous aimiez cette vieille table de famille. Je vous ai raconté le paroxysme de sa douleur, « tu veux faire quelque chose, amène-moi un couteau, une hache, arrache-moi le bras, j’ai trop mal ». Je croyais avoir oublié cet épisode. Comment aurais-je pu vu comment son souvenir me déchire la gorge ? Les larmes sont montées.

Je me suis éclipsée. Je n’aime pas pleurer. Je suis forte. Je suis en bonne santé, moi.

Je suis partie me blottir entre ses bras. Reprendre mon souffle. « J’ai raconté comment c’était quand tu étais si mal alors c’est un peu dur là, je crois que j’ai besoin d’un câlin ».

Tu es venue t’excuser de m’avoir fait pleurer. Ne t’excuse pas. Ça fait si mal de s’en rappeler mais ça fait quand même moins mal dehors que dedans.

Tu m’as prise dans tes bras. Tu n’es pas ma moitié. Tu n’es pas de ma famille (et pourtant…). Mais tu m’as redonné le droit d’être moi. Pour un instant, juste un instant, je n’étais que moi. Pas nous, pas l’autre, pas la maladie ou la garde-malade, juste moi. Et je me suis donnée le droit d’être faible, le droit d’avoir mal aussi, le droit d’en être malade de cette putain de douleur pour laquelle je ne peux rien. Evidemment, j’ai pas tenu un quart de seconde avant de te dire que je venais de me remaquiller, que j’allais repleurer et tout gâcher. Mais ce quart de seconde, si fort, vaut bien des années d’amitié.

Soignante le jour, je ferme la porte aux souffrances qu’on dépose entre mes mains en tournant la clé grinçante dans la porte du cabinet. Aidante le reste du temps, où est ma porte ? Celle de chez moi que je ferme pour aller en soigner d’autres, que j’arriverai, eux, à soulager ? Quand est-ce qu’on respire en fait ?

Et l’autre, celui qui est malade ? Cette femme qui angoisse sans cesse de ne plus reconnaître les gens qui l’entourent, de chercher en vain une maison qui n’existe plus ? Cette autre qui souffre sans répit, jour, nuit, qui s’est habituée à n’être jamais confortable dans aucune position et qui se résigne de voir son mari, fou d’elle, devenir fou de ne pouvoir l’aider plus ?

Il faudrait respirer pour deux. Tout en ne cessant d’éteindre le feu qui devait nous rendre vivant. Ce besoin de toucher, d’étreindre une âme sœur qui souffre trop pour recevoir de la tendresse.

Mince, j’ai déjà fait de la mousse au chocolat hier.

Je vous cuisine quoi ?

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Le risque de vivre

11h35, le vent est froid mais le soleil, piquant, se faufile sous mon col et me réchauffe doucement le cœur. Les platanes se sont couverts de jeunes feuilles au vert tendre. Le long des clôtures du quartier, les branches de Lilas ploient sous d’innombrables grappes de fleurs qui embaument toute la rue. Le ruisseau chantonne, les reflets de l’eau m’éblouissent l’espace d’un instant.

Je suis en retard. J’ai quitté le cabinet le temps de passer voir Denise, au bout de la rue. 500m à peine, un ravissement pour mes yeux et mes poumons en ce doux début de printemps dont je ne me priverais pour rien au monde.

Nous nous voyons depuis quelques semaines et dans l’ensemble, Denise va plutôt bien. Elle a plutôt bien récupéré des vilaines contusions attrapées lors d’une chute au retour de la boulangerie. Elle a encore un peu mal à l’épaule et surtout pas trop le moral.

Je sonne. Denise passe un œil derrière le voilage de la cuisine avant de m’ouvrir le portail. Elle m’accueille en dénouant son tablier. Son regard est peiné, ses sourcils froncés. Elle respire vite, exhalant colère et contrariété.

Elle s’assoit sur un grand soupir.

Denise vit beaucoup dans ses souvenirs. Elle me raconte chaque fois leurs voyages autant que d’antiques querelles de famille ou de voisinages. Me conte l’histoire de chaque plante, de chaque meuble de chaque vêtement sur lequel se pose son regard.

Depuis sa chute, Denise ne sort plus. D’abord parce qu’elle souffrait trop et puis un peu sonnée, elle se sentait trop fatiguée. Et puis ensuite, la peur a pris la place de la douleur, sa confiance perdue et enterrée par les incessants rappels qu’il « ne vaut mieux pas qu’elle sorte ».

Avec la chute, Denise a gagné l’appréhension de sa famille et de son médecin traitant qui a décidé de renforcer son entourage (para)médical. Une équipe d’infirmiers passe matin et soir, préparent le pilulier, lui donnent les médicaments, contrôlent son taux de sucre dans le sang et adaptent les doses d’insuline. Et lui conseillent, au diapason du docteur, de ne pas sortir seule.

Le printemps rayonne depuis une quinzaine. Les bourgeons éclosent dans tous les jardins, le thermomètre a dépassé les vingt degrés mais Denise n’est pas sortie seule depuis un mois. Elle habite pourtant à 100m de la boulangerie, 300m de la poste et des petits commerces du centre-ville. Le marché est à 500m à peine, avec les marchands et passants qu’elle connaît depuis quarante ans. Pensez-vous, quarante ans qu’elle vit là. Mais non, Denise a peur « et si je tombe ? ». Elle a un fils qui vit à proximité mais qui travaille et est peu disponible. Depuis qu’elle ne sort plus, elle s’est isolée de ses connaissances du village.

Elle aimerait bien aller au marché mais c’est le jour où on lui a attribué une aide-ménagère et puis il y a l’infirmière et les piqûres, elle n’ose s’absenter. C’est tout juste si elle ose demander à l’infirmière de venir plus tard. Cette dernière l’enjoint à y aller, qu’elle ira voir quelqu’un d’autre si Denise n’est pas là mais Denise ne peut pas. Elle ne supporte pas l’idée de laisser quelqu’un à la porte. C’est comme ça qu’on l’a éduquée Denise. Alors elle reste là, morose.

A ressasser les souvenirs d’une vie entière.

Ce matin, en s’asseyant, ses lèvres tremblent de rage.

« J’en ai marre.

Vous comprenez, je tourne en rond. Alors je vais là, entre la table et le canapé. Je tourne en rond. Des fois je monte l’escalier pour m’entretenir un peu mais je m’ennuie. Quand j’essaie de regarder la télé, j’ai la tête lourde, je m’endors presque tout de suite, vous pensez, moi qui était toujours si énergique. Je n’ose pas me mettre à la fenêtre, les voisins n’aiment pas ça. La voisine tiens, elle passe devant tous les jours, vous croyez qu’elle serait venue me proposer de me ramener quelque chose ? J’avais besoin de rien moi avant, je faisais mes courses, mon marché, j’allais à la poste, à la banque, je voyais du monde. Je préparais mes médicaments toutes seule, depuis des années, je faisais mes piqûres, j’ai jamais eu de problème, je ne comprends pas pourquoi maintenant il faut que quelqu’un vienne le faire à ma place. Matin et soir, j’aimerai pouvoir être tranquille chez moi. On me dit que c’est parce que je ne suis plus capable de le faire qu’on le fait pour moi, mais enfin, je ne suis pas abrutie encore, trente ans que je le fais moi-même et ça, je vous dis, ça je ne le digère pas. Je passe ma journée à attendre la sonnette de l’infirmière ou de la kiné. 

Et puis j’ai honte, maintenant, j’ai honte. Si je sors, que vont-ils penser de moi ? Je suis devenue une vraie bonne à rien. On fait tout à ma place, on ne me demande même pas mon avis…»

Denise me serre la main en étouffant une larme.

« J’ai travaillé toute ma vie, perdu mon mari, mes gosses et maintenant je ne suis même plus bonne à rien. Je ne sors plus, je reste là, j’attends. Vous savez, quand ils parlent des vieux qui se suicident, en fait ils ont peut-être raison parce que qu’est-ce que vous voulez…  c’est pas une vie ça… ».

Ma gorge se serre à mesure que des sanglots l’étranglent. Je lui tends un mouchoir en lui serrant la main un peu plus fort. Je lui souris. Tente doucement de la rassurer. Et lui enjoint de toutes mes forces de reprendre ses sorties seule. Parce que je l’en crois capable.

Denise, en tombant, à tout perdu.

Elle a été dépouillée de sa confiance.

Et de tout ce qui faisait d’elle une personne à part-entière. 
Son libre-arbitre et sa dignité.

Elle n’ose plus sortir s’occuper seule de ses petites affaires.

Elle déteste qu’on lui fasse ses courses.

Elle déteste la sensation d’être devenue trop bête pour préparer elle-même ses médicaments ou faire ses propres dextros.

Elle déteste ces journées à attendre que quelqu’un vienne faire à sa place ce qu’elle se sent toujours capable de faire tout en lui répétant qu’elle ne l’est pas.

Elle se déteste, se sent minable.

Elle se rappelle quelle femme forte et solide elle a été, quelle petite chose pitoyable elle est maintenant, pour qui on décide de tout, à sa place.

Denise est tombée.

Elle a récupéré sur le plan physique mais son isolement a laissé bien plus de séquelles que ses quelques contusions.

Elle n’a plus confiance, ne croit plus en ses propres capacités.

Elle ne marche plus qu’entre sa cuisine, sa chambre et son canapé.

Elle ne prend plus de risques mais se meurt d’ennui.

Elle ne sera bientôt plus capable de les prendre ces risques.

Pour lui éviter de souffrir, lui éviter de se blesser, bien intentionnés, nous l’avons privée de tellement plus qu’elle se laisse à présent mourir à petit feu. Dans la frustration, la colère et la pitié d’elle-même.

Et si nous les laissions décider des risques qu’ils choisissent de prendre ?

Si Denise reprend sa vie en main, chute à nouveau et se blesse, au moins peut-être aura-t-elle vécu heureuse jusque-là…

Qui sommes-nous pour décider ainsi de la couleur que nos aînés voudraient insuffler à leurs dernières années ?

Ils ont été adultes avant nous, laissons-les jouir de leur vie, prendre le risque de vivre. 

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Lucioles

Je suis arrivée là par hasard. Ou presque. Pour rendre fière une personne qui m’est si chère mais qui n’est plus. Je voulais aider mais je ne voulais pas brusquer. Je voulais soigner mais je ne voulais pas piquer. Je voulais guérir mais pas risquer de faire mourir.

Soignante, kinésithérapeute, pour « accompagner les autres sur les bonnes pentes ». Sans le savoir,  elle a mis les mots, qui sont, encore et toujours les moteurs de mon cœur.
Dans la vraie vie, les pentes ne sont pas toujours bonnes. Il y a toujours celles qu’on aide à gravir sans cesse, à les voir s’user sans que jamais ils n’en voient le bout.

Il y a celles sur lesquelles, inexorablement ils dégringolent. Pas à pas, lentement, ou pas. Ceux qui le voient venir et qui me crèvent le cœur, ceux qui y croient encore et qui me l’arrachent.

Personne ne m’a dit que ça ferait si mal de soigner. Sinon je ne l’aurai pas fait. Je n’ose imaginer ce que je serais devenue sans ce métier qui a donné une âme à ma vie. Parce que sur chaque pente, il y a de l’espoir pour du meilleur. 

J’aime poser mes mains et écouter, faire s’envoler sous mes doigts, un peu de leurs fardeaux. J’aime avoir mal, un peu, avec eux. Partager leurs doutes et leurs souffrances, leur montrer qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent compter sur moi. Partager leurs douleurs mais aussi leurs joies.

J’aime sentir vibrer mon être au long de ce tourbillon d’émotions que chacun me renvoie, à sa manière, douce ou amère, tendre et sincère ou brutale et asphyxiée.  

Intensément vivante. Humains. Ensemble.

Tous les jours, je reçois des gens en souffrance et/ou dans la demande d’un soulagement. Quel qu’il soit. Ponctuel, prévisible, rationnel, radio-diagnostiquable ou sourd, variable, illogique et invisible aux yeux des examens classiques. Souvent, les petits ruisseaux de gène cachent de grandes rivières de problèmes qui touchent à tout l’individu et son bien-être physique, social et mental. Trois piliers indispensables l’un autant que l’autre, à nous définir en bonne santé. (C’est pas moi qui le dit, c’est l’Organisation Mondiale de la Santé). 

Le long de ces innombrables pentes sur lesquelles je les accompagne, bon gré, mal gré, il y a, disséminées au gré du hasard, quelques moments-pépites, infiniment beaux et précieux dont ma soif, jamais ne s’étanche.

Des instants, fugaces, où l’autre que l’on soigne, auparavant terni par la peine, s’emplit soudain d’une lumière que je ne vis que pour revoir encore.

Le sourire de la femme, enceinte jusqu’au cou, qui, un peu soulagée, enfin, a pu dormir et laisser au placard ses cernes et ses larmes.

Le soupir de celui qui tout en bas de la dernière pente, savoure la caresse de mes mains chaudes qui lui dénouent la nuque, une dernière fois.

Les petites fossettes qui renaissent au coin des lèvres de cette femme qui s’extirpe difficilement d’un long harcèlement au travail, évoqué à demi-mot lors d’une séance.

Ces petites rides qui s’effacent d’une séance à l’autre sur des fronts plissés par la douleur, sourde, lancinante, incessante qui consent enfin une trêve.
Inconsciemment, je les scrute, encore et encore, et à mesure que certains se réapproprient leur corps, leur vie et leur autonomie…, leurs visages, leurs regards se transforment. Comme un masque qui tombe et laisse entrevoir la beauté du bonheur. 

Ces sourires sincères qui reviennent sont autant de luciolesqui illuminent mes journées et mon cœur. Un leitmotiv qui n’a pas de prix. Et qui me fait quêter sans cesse, les soignants qui, dans cet allant, me ressemblent.

Moi j’ai flanché.

Je suis l’une de ces filles dont le front se ride un peu trop vite d’avoir été trop longtemps miné par l’obsession du moindre souci même ceux qui n’en sont pas. De celles qui vous sourient largement même quand rien ne va.
Surtout quand rien ne va.

Longtemps.

Et qui flanchent quand elles arrivent au bout, tout au bout, de leur santé mentale et sociale.

Avec à la clé, quand enfin, j’ai réussi à l’évoquer, la joyeuse ronde : médecin – antidépresseur – psychologue.

La psychologue vers qui mon médecin traitant m’a orientée est simplement, exactement, tout ce dont j’avais besoin. Merveilleuse. Et la semaine dernière, grâce à elle, j’ai été une luciole, sa luciole.

De soignante et spectatrice, j’ai sauté la barrière pour vivre l’un de ces instants qui donnent à mon métier tout son sens.

A mesure que les mots s’échappaient, qu’en même temps ma tête bouillonnait de conjectures en incertitudes. Certains liens se sont dénoués quand d’autres enfin prenaient du sens. J’ai senti mon regard s’éclairer, mes épaules se dégager soudain d’un fardeau qui ne me semblait pas si lourd. Avant qu’il ne s’envole à mesure que mon bien-être mental commençait à penser puis panser ses blessures. Si heureuse que j’en devenais belle

Il n’y avait soudain plus assez de place dans ma poitrine pour respirer l’air de la vie.

Naître.

Je l’ai vu vivre et puis je l’ai vécu.

Pour qu’encore, chez d’autres, des lucioles de vies’allument. 

Soignée, soignante, vivante, pour tout ça, je continue. 

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Que votre année soit belle

En vrac mais du fond du coeur… 
En 2013, j’ai fait la révolution. J’ai coupé des ponts, mes cheveux aussi même si je n’aurai probablement pas dû puisque ça n’a pas plu mais j’ai appris que j’en étais capable.

En 2013, j’avais déjà une montagne de tendresse pour mes abonnés twitter. Ceux qui étaient là quand dans la vraie vie, les mots « à l’aide » n’arrivaient pas à passer mes lèvres. Il y a eu Lulla, Wendy et Emm qui tout en douceur ont su trouver les mots pour mettre ma révolution en marche.

Il y a eu Biche à travers qui j’ai découvert un petit bout de la kiné que je voulais être et qu’un petit bout de femme pouvait avoir un sacré caractère et tout déchirer pour soutenir les autres.  

Et puis tant d’autres, que j’ai eu la joie et l’immense fierté de rencontrer en vrai, ceux qui ont un éditeur dont on peut acheter le livre(!), eux mais aussi tous les autres, avec leur cœur en or et leur médecine qui me ressemble.

En 2014,  j’ai pris la résolution de chambouler aussi ma vie professionnelle. J’avais pris un tel risque dans ma vie privée, que rien ne devait me faire plus peur à présent. Bien m’en a pris. J’ai quitté un navire qui prenait l’eau mais qui visiblement n’avait aucune envie de m’aider à écoper. Ou alors, fort de décisions administratives farfelues, se plaisait à écoper dans le mauvais sens.

Je me suis juré, cette fois, de visiter plein de cabinets avant de choisir. Pour bien choisir. Puis je suis tombée amoureuse du premier et j’ai signé. Sans jamais regretter.  

Je me suis dit que j’avais muri et comme j’étais une grande fille, je n’avais plus rien à craindre de l’URSSAF. Ils m’ont fait pleurer avant même que je ne me sois officiellement installée.

Ils m’ont aussi officiellement convoquée au tribunal un premier avril (oui, oui) pour une affaire RESOLUE en 2012 (oui, oui, oui), je n’y suis pas allée, j’ai quand même envoyé un courrier pour lequel je n’ai aucune nouvelle à ce jour, ni de l’audience d’ailleurs.

Leurs premiers mots doux, six mois après, commençaient par « mise » et finissait par « demeure ». Mes mots à moi furent aussi tendres « voilà vos sous mais sans majorations parce que je n’ai rien fait de mal ». C’était en Août. Ils ont pris les sous et n’ont pas reparlé des majorations. Ne m’ont pas parlé du tout d’ailleurs. A quoi ça sert d’écrire si personne ne vous répond ?

Parce que c’est bien joli mais pendant ce temps, moi avec ses parents et la maîtresse j’essaye d’apprendre au môme que répondre quand on vous parle, c’est la moindre des choses lorsque qu’on est poli et bien éduqué. Aheum.

En 2014, j’ai appris qu’on pouvait courir un marathon après 180km de vélo et 4km de nage et ressembler trait pour trait à un humain normal et que ce n’était pas trop mon truc de soigner ces gens-là moi qui court à peine deux heures par an…

J’ai appris que vouloir faire du soin palliatif/compliqué/grave(issime) à domicile c’est noble. C’est chic à dire. Ça fait adulte. Mais même adulte bordel que c’est dur de sentir les larmes monter devant un patient en détresse à qui on ne pourra pas dire « ne vous inquiétez pas ça ira ». Pleurer dans la voiture en sortant, ça laisse des trainées de mascara sur les joues et les yeux rouges et quand le patient d’après, tout aussi mourant que le précédent essaie de vous mettre du baume au cœur, ça fait encore plus mal.

En 2014, J’ai appris qu’on pouvait dire en toute impunité à un fonctionnaire de l’état en arrêt depuis longtemps que suite à un dysfonctionnement, sa demi-paye ne serait pas versée ce mois-ci mais le mois suivant. Et que ça n’est pas censé nous empêcher de vivre.
Du coup parfois, grâce à l’état, un paquet de chips à 0,99€ pouvait nous aider à sauter un repas. C’est pratique en fait, ça fait deux fois moins de travail en cuisine, de vaisselle. Ça consomme moins d’électricité et en plus on tient plus longtemps avec un plein de courses.

D’ailleurs saviez-vous que le gruyère rapé est moins cher au kilo dans les plus petits sachets ? Que les marques discount, ça remplit aussi bien l’estomac, même que des fois c’est bon ? Que 200g de lardons à 1,34€ ça peut faire 5 portions d’adulte ? Suffit de mettre 500g de pâtes pour tasser.

Aujourd’hui quand je vais chez quelqu’un et qu’il y a des yaourts de marque dans le frigo, je me dis « oh mon dieu, ils doivent être riches eux ».

Côté pile, je cuisine beaucoup plus. Parce que des produits locaux, ce n’est pas si cher, c’est sain et puis c’est bon. Parce que faire des gaufres, c’est facile et que ça fait exploser ma jauge de Chérie qui Déchire. Surtout avec une chantilly montée à la main « parce que tu le veux bien ».  

Côté pratique, saviez-vous qu’un fauteuil roulant, ça ne se range pas bien dans le coffre ou sur la banquette d’une petite voiture de fille ? Moi non plus. Mais ça, c’était avant.    

J’ai une grande voiture de femme(!) maintenant. J’en suis absolument fan. Je dis « salut beauté » quand elle me charme en ouvrant ses rétroviseurs toute seule. Quant au fauteuil, on disait que c’était dans la tête. Curieusement les antibiotiques ont marché sur la tête, ma moitié a reposé les pieds sur terre et le fauteuil a retrouvé la vitrine du magasin.

En 2014, j’ai dit « Je t’aime, je serais toujours là pour toi, je suis fière de toi », les yeux dans les yeux pendant que ce c****** de médecin prétentieux lui plantait une aiguille dans le dos et que mon cœur se déchirait en lambeaux. J’ai appris ce jour-là qu’il était possible d’avoir mal pour son âme sœur, mal à en devenir folle. A en cauchemarder la nuit, à en trembler encore, à ne plus voir la route mais ses yeux pleins de larmes sur le pare-brise. Que son regard à cet instant ne s’effacera jamais, il est imprimé au fer rouge sur mon cœur qui reste à vif, des mois après.

J’ai appris que les galères prennent la tête mais n’empêchent pas ces bouffées de bonheur qui jaillissent parfois d’un regard ou naissent d’un baiser plein de douceur. Ces petits riens qui font tout. 

Poser mes yeux sur son visage. 

En 2014, comme ça devenait un peu lourd tout ça, malgré tout, j’ai croisé une psychologue de l’autre côté de la barrière. Pour la première fois. Elle me coûte cher mais j’ai besoin d’elle. Pour démêler ma sale caboche de petite fille solide, pas si solide, fragile, grandie un peu trop vite.

2015 commence à peine. Je suis une bonne professionnelle et une bonne fille à marier parce que j’excelle en logistique domestique. J’ai cependant oublié d’être une fille et une grande-sœur qui déchirent. Une amie aussi. Je n’ai été là pour personne quand il l’aurait fallu et quand j’ai cru l’être, il faut croire que ce n’était pas de la bonne façon ou pas le bon moment.

Je crois que la psy a eu pitié de moi quand j’ai dit que je me vidais la tête en faisant le ménage. Aussi quand j’ai dit que j’avais plein d’amis, enfin de gens pour qui j’éprouvais beaucoup de tendresse, mais que sur internet et d’ailleurs je n’étais pas sûre – caliméro – que tous ceux à qui je pensais en aient pour moi – caliméro², à tel point que je n’ose plus parler par moment – calimérox.

En 2014, j’ai été chef de famille, médecin, infirmière, aide-soignante, maman-bis, taxi, cuisinière, femme de ménage, secrétaire personnelle, masseuse, comptable, en plus d’être une compagne qui déchire. J’ai été une grande sœur en carton, une amie qu’on n’avait pas envie de revoir ou qui n’avait pas envie de l’être.

En 2015, j’aimerais juste être moi et parfois ne rien faire.

Ou être là, sur twitter ou dans le monde réel, pour ceux qui ont su l’être pour moi les rares fois où j’ai réussi à appeler à l’aide.

Je vous aime.

Que cette année soit belle. 

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Con-tinuité des soins

« Allo, oui, c’est pour une visite à domicile, elle a été opérée la semaine dernière, le docteur a mis urgent et puis elle a du mal à respirer »

Hasard ou coïncidence, une des patientes que je suivais dans le quartier voisin vient d’être hospitalisée. J’ai trop besoin d’argent pour glander pendant une heure alors que le travail me tombe dans les bras. En temps normal j’aurais refusé parce que ça va se bousculer au retour de l’autre, et j’aime pas courir. Mais l’hôpital, l’aïgü, le goût de l’adrénaline me manquent.

J’ai calé une heure. Le temps d’un bilan et d’une séance sur le papier. Le temps, essentiel pour moi, de dire bonjour, de comprendre et de discuter.

Son mari m’accueille chaleureusement mais ce n’est rien à côté du sourire de sa femme et de ses yeux pétillants d’humour.

Elle est sortie hier de l’hôpital. Elle a été opérée « des intestins » vendredi donc J1.

Ils ont enlevé le  « tuyaux » à J3.  Sortie à J5.

A J5, un docteur dans un grand hôpital dans un grand service de chirurgie, a signé les papiers de sortie y incluant une ordonnance de kinésithérapie respiratoire.

A J6, ici, dans ce salon cossu et douillet, aux côtés de cette vieille dame en déshabillé de soie et dentelle un peu usé dont je connais maintenant le nom, je cherche en vain un courrier, une radio, un ancien compte-rendu. Rien. Elle n’a pas vu de médecin depuis son retour, ceci dit, si elle était à 24h près, elle ne serait pas rentrée, si ?

Elle n’a pas de problème de santé dit-elle. Enfin si. Un peu de diabète et de la tension parfois. Elle prend des médicaments mais je ne reconnais pas les noms sur l’ordonnance.

Elle est en surpoids et elle dit avoir du mal à respirer depuis des années. Mais depuis la chirurgie c’est pire. Pas de traitement à visée respiratoire à ma connaissance sur l’ordonnance.

L’auscultation est chargée. La fréquence respiratoire élevée. Trop pour un post-op récent qui allait bien AVANT mais pas incompatible avec une pathologie respiratoire chronique. La dyspnée (essoufflement) au repos est gérable. A l’effort, c’est la catastrophe.

Je tente de rassembler mes éléments de bilan.

J6 chirurgie digestive (douleurs + vomissement) – laparotomie pour ? *

J3 ablation « tuyaux » : drains ?

ATCD respiratoires ?

Syndrôme restrictif (surpoids) + apnée du sommeil.

Dyspnée + polypnée + encombrement présents A PRIORI, AVANT la chirurgie.

En fait je ne sais rien.

Mon alarme bidale diffuse doucement l’adrénaline dans mon corps.

Impossible de savoir depuis quand elle est comme ça et de caractériser l’urgence. Si elle est insuffisante respiratoire chronique depuis longtemps, c’est peut-être son état de base et pas la peine de s’alarmer. Mais est-elle réellement atteinte d’une pathologie respiratoire ? Et si c’est pas son état de base, alors là, ça craint.

J’enclenche sur la séance.

Là, c’est mon domaine. Je touche à peine mais j’écoute, je surveille. La balance bénéfice/risque sur une aiguille aiguisée. Favoriser le désencombrement sans déclencher la douleur abdominale. Favoriser le désencombrement sans augmenter l’essoufflement. De la haute-voltige et les yeux fermés en gros vu le peu d’informations que j’ai. Un numéro d’équilibriste que j’aurai préféré faire à l’hôpital et pas dans un canapé moelleux loin de tout médecin pour crier au loup. Apprendre les trucs et astuces pour qu’elle reproduise les bons gestes chaque jour en mon absence. Lui expliquer. Comment ça marche un poumon, pourquoi on crache, pourquoi elle a mal, qu’est-ce qui doit l’alarmer, comment gérer … Et elle s’en sort plutôt bien. Un peu moins essoufflée à la fin.

Je pars contente mais pas sereine.

Je voulais lancer un #DocTocToc sur twitter mais comme à chaque fois on me suggère d’appeler le médecin traitant, je saute le pas et je laisse un message sur le portable de son généraliste.

Puis prise d’une intuition, j’appelle le service mentionné sur l’en-tête de l’ordonnance. On ne sait jamais si par miracle j’arrivais  à passer la barrière du standard… C’est passé tout seul !

Le docteur a l’air fatigué. Oui il se souvient de la patiente mais pas beaucoup parce qu’il la rencontrée hier, le jour où il a signé les papiers. Il ne se souvient pas de l’intervention qu’elle a eu puisqu’il ne l’a pas suivie. Dans un service de chirurgie aigüe. Oui elle avait de l’oxygène le jour du départ et elle a bien tenu quand ils lui ont enlevé mais il ne sait plus pourquoi on lui avait mis. Non ils n’ont pas fait de gaz du sang** pourquoi ? La saturation au doigt** n’était « pas trop mauvaise ».

Il n’a pas accès au dossier mais il peut voir la radio si je veux.

Oui je veux bien merci. Ah elle est encombrée mais rien de plus ? Bon ok. Bien.

Euh. Bah merci hein.

Bisous ?

Va falloir que j’arrête de prendre les grands médecins des grands services des grands hôpitaux pour des dieux, moi. J’ai l’impression d’en savoir autant que lui. Serais-je une déesse du coup ?

Le médecin traitant me rappellera plus tard me confiant l’avoir fait hospitaliser dans un sale état respiratoire (surprise !) à – tenez-vous bien, J-45, J MOINS 45, il y a un mois et demi. Il n’a eu aucune nouvelle depuis. Donc de son retour à la maison, de sa réhospitalisation, de la chirurgie pratiquée et de sa réapparition à domicile sans trace de son passage à l’hôpital si ce n’est l’ordonnance de doliprane et de kinésithérapie respiratoire.

A J7, elle a été réhospitalisée.

Pas assez d’oxygène dans le sang. Elle devenait bleue au moindre effort.

C’est son mari, rongé d’inquiétude qui a appelé les pompiers.

Moralité toute subjective :

On ne fera pas de bonne médecine tant qu’on ne bossera pas main dans la main.

Si le docteur avait eu plus d’informations, s’il avait pu prendre le temps de discuter avec ceux qui suivaient la dame avant, s’il avait eu le temps d’appeler le généraliste, il aurait peut-être eu des doutes sur la pertinence du retour à domicile.

S’il avait eu une formation plurielle, moins hospitalo-centrée, il aurait peut-être pu comprendre à quel point respirer « pas trop mal » sur un fauteuil d’hôpital est mille fois plus simple que de ne pas s’arrêter de respirer en passant du canapé aux WCs. Etre chez soi, c’est rassurant mais ça demande de bonnes capacités physiques ou des aménagements.

Y a pas plus dur parfois quand on est en surpoids, insuffisant respiratoire chronique, après une chirurgie et 10 jours d’hôpital à manger de la ***** que de se relever d’un canapé un peu bas. Même quand on ne sature pas trop mal sur le lit d’hôpital.

Si le médecin généraliste n’était pas si débordé par ces patients qui déplorent ses retards alors qu’il consulte parfois jusqu’à 22H pour voir ceux qui sont venus à la fin des consultations libres et que maintenant qu’on a attendu docteur… il aurait peut-être appelé pour avoir des nouvelles. Il aurait peut-être eu le temps d’appeler l’hôpital pour détailler les antécédents de la patiente qui apparaissent dans SON dossier et pas le LEUR.

Si le docteur de l’hôpital ne me pensait pas si talentueuse, il aurait peut-être pensé que pour bien travailler, il fallait m’en dire un peu plus et il m’aurait peut-être fait un petit mot pour m’expliquer la situation. D’autant plus qu’on ne juge pas bon de tout dire habituellement aux patients, pourquoi là, leur laisser la responsabilité de m’expliquer ce qu’on ne leur pas entièrement expliqué dans un domaine qu’ils ne maîtrisent pas ?

Si j’avais cru en moi, j’aurai peut-être réussi à dire au docteur de l’hôpital le fond de ma pensée. Lui dire que cette sortie me semblait bien prématurée et qu’en l’absence de documents me rassurant sur son état que je jugeais inquiétant, je lui renvoyais la patiente.

Si j’avais cru en moi, je me serai rappelée que dans mon cœur tous les humains se valent et que mon avis de kiné, de femme, de soignante, à cet instant présent, pouvait être aussi pertinent que celui de ce grand docteur.

Si on avait bossé main dans la main, la patiente ne serait peut-être pas sortie. Elle n’aurait pas craint l’étouffement à chaque pas pendant 48hrs. Son mari n’aurait pas vécu chaque instant comme si c’était le dernier de sa bien-aimée. Nous aurions tous eu plus de cartes en mains pour mieux nous occuper d’elle, lui éviter un retour en catastrophe plus mal que jamais. 

Quand est-ce qu’on commence ?

BORDEL !

*Laparotomie : longue ligne d’ouverture ne donnant aucun indice sur ce qu’ils ont pu faire en dessous.

** Gaz du sang : mesure – entre autre – de l’oxygène (saturation) dans le sang (en beaucoup plus compliqué), plus fiable et plus complet que la mesure au doigt chez les sujets à risque. Permettant mieux d’évaluer la qualité de la ventilation et donc les capacités de retour à la maison. Enfin c’est comme ça que je le vois. 

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Règlement de comptes

J’aimerais savoir. J’aimerais comprendre.

Ce qui s’est passé dans ta tête à toi quand tu lui as dit cette horreur.

Tu as voulu la rassurer peut-être ?

Faire la conversation ?

Cette dame, elle ne peut pas se lever. Elle est arrivée là, il y a des jours. On ne lui a probablement pas dit grand-chose. Ce qu’elle sait, elle, c’est qu’elle n’arrive plus à marcher. Que quand elle se tient debout, à gauche, son corps s’effondre. Sans qu’elle ne puisse rien y faire. 

Ce qu’elle sait, cette dame, c’est qu’elle ne peut plus tenir sa fourchette. Ça fait quelques jours déjà et ça ne progresse pas alors ça l’inquiète.  Son mari n’est pas du genre dégourdi et avec sa maladie ce n’était déjà pas bien drôle alors là…

Le médecin des urgences l’a regardée rapidement. Le médecin du service aussi. Elle n’a pas vu de kinésithérapeute. Forcément elle est arrivée peu avant le week-end et y a eu un jour férié alors… Les filles grommellent quand elle demande à aller aux toilettes. Elle les comprend, les pauvres, elles ont du boulot, elle ne cesse de les embêter et elle tellement de mal à marcher.

Son mari a crié que c’était du grand n’importe quoi alors on lui a amené une paire de cannes pour l’aider. Personne ne lui a montré comment s’en servir. Même que deux jours après, quelqu’un est venu les chercher pour « un patient qui en avait plus besoin ».

Elle voudrait marcher un peu mais n’ose pas. Elle est tombée en voulant aller seule aux toilettes le premier jour. Elle a crié, un peu, pour qu’on vienne l’aider. Elle n’était même pas debout qu’on lui disait qu’il allait falloir arrêter les bêtises, qu’ils n’avaient pas que ça à faire et qu’ils lui sauraient gré de bien vouloir crier moins fort parce qu’elle n’est pas seule ici.

Elle a bien vu le regard de son mari quand il est passé devant le bassin plein d’urine. Posé négligemment sur un tabouret à côté du lit. Elle a appelé pour le vider mais personne n’est venu. Alors elle s’est contorsionnée pour le réutiliser. Maintenant, il est bien plein. La honte lui a envahi les joues quand elle l’a vu s’en saisir avec bout de papier et s’en charger. Elle a pleuré.

Une infirmière, toi, est passée quelques heures après.

Tu lui as donné les cachets. Tu lui as vaguement demandé comment elle allait. Tu as été déçue de voir que manifestement elle avait quelque chose à dire. Elle t’a confié son inquiétude. Elle t’as dit qu’elle n’était pourtant pas feignante mais que malgré tous ses efforts, elle n’arrivait toujours pas à tenir debout que ça risquait d’être compliqué à la maison etc…

Et là, là, tu as eu ce trait de génie, ce petit grain de folie – oui celui là-même qui nourrit ma rancœur à l’égard de tes semblables, tu as trouvé de bon ton de répondre :


– Oh mais vous savez, des fois, c’est juste dans la tête hein…
Tu aurais pu t’arrêter là. Ça ne m’aurait pas empêché de vomir mais tu aurais limité le nombre de coups de couteau que tu lui plantais dans le bide. Forcément, avec le tact et la mesure qui te caractérisent, tu as poursuivi :

 Vous n’avez qu’à faire un peu plus d’efforts, vous verrez…
Et tu l’as laissée là. Le ventre déchiré par la violence de tes bonnes paroles.  Tu es sortie avec l’impression du travail accompli. Sais-tu combien tu l’as blessée ?

Qui es-tu ? Qui es-tu pour juger l’autre alors qu’il est au plus bas ?

Qui es-tu pour te permettre tant de condescendance et de mépris envers elle ?

Tu es une petite main de l’hôpital. Tu travailles dur, sans compter les heures, pour une paye de misère, une reconnaissance proche de zéro de la part de CERTAINS patients. Tu as le droit d’être blessée par le monde qui t’entoure. Cela te donne-t-il le droit de blesser ceux qui sont en dessous de toi ? Ceux qui dépendent de toi pour guérir ? Ceux que ton diplôme t’as donné le droit de soigner. D’accompagner.

Faire du mal gratuitement n’a jamais fait partie du diplôme d’aucun soignant. Pourquoi toi ?

Oui parfois c’est dans la tête. Mais ce n’est pas en le balançant brutalement ainsi qu’on le soigne.

Oui cette fois c’était dans la tête.

Elle a 53 ans. Son mari va mourir d’un cancer. Elle a fait une rupture d’anévrysme.

Alors oui elle ne ressemble pas à une patiente cérébrolésée grave. Elle n’est pas incontinente, ne bave pas, n’est pas inerte et nourrie par sonde mais elle a des lésions cérébrales.

C’est marqué sur ta PUTAIN de feuille de transmissions.

Est-ce que quelqu’un a demandé au kiné de venir jeter un œil ?

Est-ce que t’as demandé aux AS comment elle se débrouillait ?

Comment peux-tu croire que si elle est au lit c’est parce qu’elle n’est pas courageuse sans lui parler et pire encore lui faire comprendre ?

Tu n’as aucune excuse.

Tu crois que tu vaux mieux qu’elle ? Qu’avec ta blouse tu peux tout te permettre ?

C’est ça ta notion du respect ??

Dis-moi que t’as honte.

Dis-moi que tu n’es pas allée rire avec tes collègues en disant que t’avais bien raison c’était qu’une feignasse.

Dis-moi qu’il reste un peu de bienveillance et d’amour en toi pour d’autres que ta petite personne. 

Dis-moi que tu sais être une soignante et faire des merveilles avec un sourire…

Je t’en supplie.

J’ai tellement envie d’y croire encore…

Le problème, c’est que ce n’est pas la première fois. Dans le même service. Le même hôpital public. Et pas toujours avec le même professionnel, toutes professions confondues, kinésithérapeutes compris. Le mot soignant m’écorche trop le cœur pour le poser là. Et j’en ai ras-le-bol de vous voir faire du mal. Ras-le-bol de ramasser à la petite cuiller des gens meurtris plus par votre attitude que par la maladie et l’hospitalisation.

J’ai mal pour eux bordel, comment osez-vous ??

La prochaine fois, j’écrirai peut-être une lettre au directeur.

Et ça ne changera rien.

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