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Etre soi/être soignant – les paradoxes de la profession médicale

Partout dans le monde, les médecins doivent lutter avec des institutions dont les buts n’ont rien à voir avec les objectifs de santé : le monde médical, qui se comporte souvent en milieu fermé, exclusif et sectaire ; l’Etat, qui cherche à imposer des quotas de patients et des restrictions budgétaires incompatibles avec la délivrance équitable des soins ; les industriels, qui se servent des professionnels pour promouvoir leurs produits. Ils ont d’autres ennemis, moins connus, mais tout aussi redoutables, à l’intérieur d’eux-mêmes. C’est de ces ennemis-là que je parlerai.

Tous les métiers de soin sont, psychologiquement et physiquement, très exigeants. Ils nécessitent non seulement une bonne santé, mais aussi un équilibre émotionnel et mental excellent. Il serait mensonger d’affirmer que, lorsqu’ils commencent leur formation, les jeunes gens qui se destinent au métier de médecin sont tous sains et équilibrés. Le Harvard Health Blog publiait le 16 novembre 2012 un article de Patrick J. Skerrett rappelant qu’un praticien sur dix développe au cours de sa carrière une addiction aux drogues ou à l’alcool. Reflet d’un trouble de la personnalité ? Conséquences du stress au travail ? Un peu des deux ? Toutes les réponses sont valides : vouloir devenir médecin ne met à l’abri de rien.

Quand bien même les professionnels en formation seraient-ils toujours équilibrés au début de leurs études qu’ils n’en seraient pas moins confrontés à des conflits intérieurs inhérents à la nature humaine. Les hommes ont longtemps pensé qu’ils étaient une espèce à part, et leur comportement impérialiste sur l’ensemble de la planète, de ses ressources et de ses autres habitants est de fait unique. Mais à titre individuel, il y a très peu de différences entre un chimpanzé, un bonobo et un humain : à peine une fraction de leur génome. Or, tout le monde vivant est mû par deux pulsions inscrites dans son ADN : survivre et se reproduire. Et aucun être humain ne peut prétendre se définir indépendamment de ses pulsions. On peut décider de s’en affranchir mais on ne peut pas faire comme si elles n’existaient pas.

Des motivations contradictoires

En Amérique du Nord, il est aujourd’hui habituel d’interroger les candidats aux études de médecine et de leur demander pourquoi ils veulent exercer cette profession. Dans l’immense majorité des cas, ils répondent toutes et tous la même chose : ils veulent « aider les gens », « sauver des vies », quand ce n’est pas « contribuer à la recherche » ou éradiquer une maladie grave. Peu d’entre eux mettront d’emblée en avant des motivations moins « convenables » : gagner beaucoup d’argent, accroître son prestige personnel, acquérir un statut élevé, en faire bénéficier sa famille.

Pourtant, ces motivations « matérialistes » ou « égoïstes » sont tout aussi communes – et acceptables – que les précédentes. Les humains étant des animaux sociaux, nos comportements sont sans cesse modelés et modulés par le milieu dans lequel nous vivons. Et peu d’individus ont pour unique vocation de se mettre tout entier au service des autres, de sacrifier à cette vocation leur propre épanouissement ou de réduire leur contribution à leur milieu d’origine.

Ceci étant posé, voyons à quels paradoxes sont soumis soignants en formation et professionnels en exercice.

Premier paradoxe : un métier altruiste dans un système compétitif

Le monde médical est compétitif et hiérarchisé. Beaucoup de futurs soignants deviennent médecins parce qu’ils ne veulent pas être des exécutants. Mais les études sont longues et coûteuses et les enfants des classes défavorisées y accèdent difficilement. Marqué d’entrée par l’inégalité, la profession médicale est la compétition : c’est à qui décrochera les postes les plus réputés, ceux qui donnent accès aux titres les plus respectés – partant, aux pratiques les plus rémunératrices. Devenir médecin est une foire d’empoigne, et il n’est pas possible d’en faire abstraction quand on apprend à soigner. À moins, d’emblée, de faire une croix sur sa carrière. Il y a donc là un premier conflit d’intérêts : souci des patients contre épanouissement de soi. N’en déplaise à ceux qui affirment qu’on peut sans difficulté accommoder l’un et l’autre, les hôpitaux universitaires sont avant tout des lieux de prestige, voués au développement de technologies de pointe – donc, destinées à des privilégiés– et à la formation d’hyperspécialistes et non de soignants de première ligne. Choisir de soigner – c’est-à-dire d’écouter et de passer du temps avec les patients – c’est opter, de fait, pour les spécialités les moins technologiques ; en premier lieu, la médecine générale. Ce n’est pas le choix préféré des étudiants accédant à un poste d’interne, loin de là.

Deuxième paradoxe : soigner hors de sa zone de confort – c’est à dire : de son milieu

Altruisme et coopération sont des qualités répandues dans l’espèce humaine. Si tel n’était pas le cas, aucune entreprise collective n’aurait jamais été possible – à commencer par les grandes migrations des premiers humains hors de leur Afrique natale. Mais l’altruisme spontané se porte sur l’environnement immédiat : la famille proche, d’origine ou construite. D’ailleurs, dès qu’un.e jeune adulte amorce une formation médicale, ses parents, frères, sœurs et ascendants font appel à son savoir supposé et à son savoir-faire croissant pour les soigner. Et ils n’ont pas de mal à obtenir ce qu’ils demandent : tout soignant ou presque porte en lui, en elle, le désir de s’occuper des siens. C’est même souvent ce trait de caractère qui a poussé vers la profession. (En Amérique du Nord, l’institution médicale déconseille fortement depuis quelques décennies de soigner les membres de sa famille, car cela soulève des problèmes médicaux et éthiques innombrables. En France, où la réflexion éthique est encore embryonnaire dans le monde médical, c’est encore considéré comme allant de soi. ) L’altruisme « spontané » s’étend bien sûr au-delà de son cercle familial d’origine : un médecin soignera aussi son conjoint et ses enfants, les enfants des parents, ainsi qu’un certain nombre d’alliés, amis, voisins, collègues.

En général, un médecin soignera plus volontiers les personnes de son environnement social, ethnique, culturel, linguistique d’origine : leurs valeurs lui sont familières, leurs codes connus, leur langage intelligible. C’est surtout hors de ce périmètre que l’altruisme rencontre ses limites : le patient « étranger » – par l’ethnie, la langue, la religion, les coutumes sera moins bien accueilli. Les valeurs personnelles du médecin s’interposent : le patient démuni, toxicomane ou séropositif, la personne transgenre, la femme qui veut avorter ou se faire stériliser, le membre d’une congrégation minoritaire et bien d’autres souffrent des fins de non-recevoir que leur opposent des praticiens mal à l’aise ou hostiles. Et, quand le soignant n’a pas ces préjugés, son engagement professionnel pour les patients les plus défavorisés entre en conflit direct avec ses obligations personnelles : un médecin « trop dévoué » est souvent soupçonné de « voler » à sa famille le temps qu’il passe auprès de patients qui n’ont rien à lui donner en retour…



Ce paradoxe n’est pas spécifique aux médecins : l’impératif moral qui enjoint de venir en aide aux autres s’affaiblit à mesure qu’on s’éloigne de son milieu d’origine

La situation est d’autant plus préoccupante que, comme le souligne parmi d’autres un article de Neumann et coll. dans la revue Academic Medicine (2011) intitulé Empathy Decline and Its Reasons, la formation clinique, sectorisée et spécialisée tend à diminuer l’empathie des étudiants en médecine plutôt qu’à l’accroître. On peut alors comprendre que, chaque année, après avoir franchi le cap de l’examen national classant (élitisme, encore une fois), beaucoup d’étudiants préfèrent redoubler plutôt que de choisir la filière de la médecine générale. Quand on a perdu son empathie, les souffrances quotidiennes des patients « ordinaires » semblent sans doute insupportables. La perspective d’être sous-payé.e, accablé de charges et noyé dans la paperasse sous le contrôle incessant de l’administration a sans doute aussi un effet dissuasif.

Car la France souffre d’une contradiction irréductible : son système de santé est (en principe) un service public ; ses médecins, eux, sont formés pour penser comme des professionnels libéraux (même quand ils exercent à l’hôpital). Leurs intérêts (personnels ou corporatistes) ne sont donc pas du tout en phase avec ceux de la population. Ils sont même souvent contraires : beaucoup de médecins préfèrent exercer en ville, près de leur faculté de formation. Or, pour délivrer les soins à ceux qui en ont besoin il faudrait (dès l’entrée en faculté de médecine) avertir les médecins qu’on les enverra exercer là où on a besoin d’eux. Ils ne seraient pas les seuls, ni les premiers : les pharmaciens, les notaires, les instituteurs et les enseignants du secondaire n’exercent pas où ils veulent ; mais la perspective d’être « assigné » à un lieu d’exercice qu’ils n’auraient pas choisi semble insupportable aux membres de la première profession libérale du pays.

Troisième paradoxe : « Faire du mal pour faire du bien. »

Comme le décrit le primatologue Frans de Waal dans son livre L’âge de l’empathie, l’observation des comportements d’entraide entre grands singes met en évidence une réalité à laquelle peuvent s’identifier de nombreux humains : faire du bien (aux autres) ça fait du bien (à ceux qui le font). Ce sentiment est présent chez beaucoup de soignants « spontanés », avant même qu’ils n’en fassent leur profession. Est-il, pour autant, retrouvé chez tous les étudiants en médecine ? C’est douteux, quand on voit à quelles brutalités certains médecins soumettent les patients qu’on leur confie. « Ça fait mal, mais c’est pour votre bien » est une phrase fréquente dans les hôpitaux. D’ailleurs, beaucoup de patients trouvent « normal » de souffrir parce qu’ils veulent aller mieux. Chez les soignants qui en ont, l’empathie conduit à souffrir quand les patients souffrent. Si elle n’est pas surmontée et sublimée, cette souffrance les amène beaucoup plus souvent à l’angoisse coupable et à la surenchère qu’à la paix intérieure. Tout récemment, le livre de Valérie Auslender, Omerta à l’hôpital (Ed. Michalon) montre que les professionnels de santé sont eux-mêmes soumis, au cours de leur formation, à des violences morales ou physiques considérables, de la part des institutions, mais aussi de la part de leur pairs ou de leurs mentors.

A la question : « Peut-on enseigner à des enfants à être des parents aimants en les maltraitants ? », la plupart des médecins répondraient sans doute : « Bien sûr que non ! » Pourtant, à la question « Peut-on enseigner à soigner à des individus qu’on maltraite ? » la plupart des facultés de médecine françaises semblent répondre que ça ne pose pas de problème.

La double injonction « Faire du mal pour faire du bien » repose en effet sur une confusion regrettable. Soigner, c’est faire en sorte que l’autre souffre moins ou plus du tout ; c’est le soulager, lui donner du confort, l’apaiser. Or, la plupart des médecins pensent que soigner c’est traiter, c’est-à-dire administrer un médicament ou effectuer une intervention afin d’accélérer la guérison de la maladie ou d’en ralentir l’évolution. Et que le jeu (les effets pénibles des traitements) en valent la chandelle. Formés par des hyperspécialistes irréductiblement liés à des industriels dont ils sont les conseillers, les fournisseurs d’idées, les premiers utilisateurs et les promoteurs de produits, les étudiants délaissent écoute, dialogue et analyse des besoins pour se concentrer sur les outils les plus technologiques et les plus spectaculaires. Ce faisant, ils oublient l’un des plus anciens principes hippocratiques : « D’abord, ne pas nuire. »

A mesure que – comme évoqué plus haut – que leur empathie décline, les étudiants en médecine sont de moins en moins portés à s’interroger sur les méfaits possibles de leurs prescriptions et, d’un point de vue général, à « lever le pied ». Leurs maîtres leur martèlent en effet souvent qu’abstention ou attentisme – et partant, le respect des refus du patient – sont similaires d’abandon et de négligence. Pour s’abstenir, il faut d’abord reconnaître et accepter que les décisions (instaurer un traitement ou l’interrompre) appartiennent aux premiers intéressés. Il faut aussi avoir compris que ce qui est « médicalement possible » n’est pas toujours bon à entreprendre.

Tout récemment, la WONCA (Association mondiale des médecins de famille) a publié une résolution conjointe signée par les collèges de généralistes de cinq pays nordiques (Danemark, Suède, Norvège, Finlande et Islande) appelant à lutter contre le surdiagnostic et le surtraitement. Leurs messages sont clairs et mériteraient d’être encadrés au fronton de toutes les facultés de médecine : trop en faire, c’est mal faire, et ça ne fait de bien à personne – surtout pas aux patients qui auraient le plus besoin de soins. Quand on en fait trop, c’est toujours aux mêmes que ça s’adresse – les plus riches, qui sont aussi les moins malades –, sans que ça leur soit profitable pour autant. Car la santé est un marché dont les médecins sont des acteurs-clé. Ils sont en mesure de favoriser la surconsommation (le surdiagnostic, les interventions et traitements excessifs) ou contester l’utilisation de produits coûteux et sans intérêt.

Si les Scandinaves et les Anglo-Saxons en sont conscients, l’enseignent et le clament depuis longtemps, en France, en revanche, on en est encore loin.

Quatrième paradoxe : affecter d’être « celui qui sait », alors que rien n’est gravé dans le marbre 

Tout médecin, écrivait Michael Balint dans Le médecin, le malade et la maladie, se sent investi d’une « fonction apostolique ». Détenteur d’un savoir salvateur, et convaincu qu’il doit répandre la bonne parole sanitaire, il se sent investi d’une mission : convertir les patients au bien-fondé des traitements ou interventions qu’il recommande. Ce faisant, il oublie que ce qu’il sait n’est pas la vérité absolue, mais sa perception subjective d’une réalité incomplètement connue.

Le savoir médical ne cesse de stagner sur certains points et d’évoluer sur d’autres : il aura fallu près de deux mille ans pour abandonner la saignée, méthode thérapeutique prônée par Hippocrate, et qui a tué la majorité des patients qu’elle était censée soulager, voire guérir. Les antibiotiques tels que nous les connaissons n’existent que depuis les années cinquante, mais les résistances microbiennes sont apparues très peu de temps après. En 1985, une personne séropositive était condamnée à mort à brève échéance et stigmatisée ; aujourd’hui, alors que la condamnation n’est plus vraie, les stigmates sont restés. Pendant longtemps, les médecins ont vanté les vertus de la prévention et du diagnostic précoce ; depuis dix ans, en s’appuyant sur des bases scientifiques solides, des chercheurs remettent en cause les « vérités » d’hier sur les méfaits du cholestérol ou le dépistage en masse du cancer du sein.

Autant dire que lorsqu’un médecin dit ce qu’il croit savoir, il se fonde sur l’état des connaissances au moment où il parle. Du moins, dans le meilleur des cas – c’est-à-dire s’il se tient à jour et s’il sait faire la part entre ce qu’il est raisonnable d’affirmer et ce qui reste hypothétique. Or, même si l’on se limite à la biomédecine, fondée sur les sciences fondamentales, les débats font rage dans tous les champs du savoir. L’image antédiluvienne du médecin humaniste quasi omniscient – Hippocrate, Maïmonide, Averroès ou Bian Qué – existe dans toutes les cultures, mais elle est un pur fantasme. À toutes les époques, le savoir a été bien trop vaste pour que quiconque puisse prétendre le posséder dans son intégralité. Aujourd’hui enfin, nous le voyons, nous en sommes conscients, nous ne devrions plus en être dupes.

Et pourtant, alors même que l’hypercloisonnement des spécialités produit des praticiens aux connaissances fragmentées, bon nombre de médecins continuent à prétendre qu’ils savent tout dans leur domaine, et que rien n’existe en dehors de leurs connaissances. C’est sur ce mirage autoentretenu que s’édifie le paradoxe suivant.

Cinquième paradoxe : être vu comme référence et respecter les décisions du patient

Si l’on consulte un médecin pour un problème de santé, c’est parce qu’on s’attend à ce qu’il l’identifie et nous aide à en guérir. Le médecin est un repère, une personne-ressource, un guide. Nous aimerions qu’il soit savant et puissant au point de faire disparaître le problème comme s’il n’avait jamais existé. Au minimum, nous serions heureux qu’il nous assure de sa bénignité. Ce que nous attendons de lui, au fond, c’est qu’il nous affranchisse, dans les deux sens : qu’il nous éclaire et nous libère. Ici, le paradoxe est double. Le patient remet de manière symbolique sa vie entre les mains du médecin – afin qu’il la lui rende. Le médecin se voit, au moins par métaphore, confier une vie et doit faire tout son possible pour l’aider à se réparer ou à guérir – quand ce n’est pas le ramener à un état qu’il n’a jamais connu  – pensez à la réanimation des enfants prématurés, aux greffes sur des patients dont le cœur ou les reins n’ont jamais fonctionné, au traitement chirurgical des malformations congénitales, aux méthodes de procréation médicalement assistée.

Autrefois, les médecins définissaient seuls ce qui était bon pour chacun, et peu de gens dénonçaient cet état de fait. Référence scientifique, la profession était aussi une référence morale – garante des valeurs dominantes, politiques ou religieuses.

Depuis 1945 et le développement de la bioéthique, l’autonomie du patient est devenue l’un des principes-clés de la relation de soin. C’est au patient de choisir son médecin et son traitement, en connaissance de cause. D’après ce nouveau paradigme, les professionnels doivent tout mettre en œuvre pour favoriser les décisions des premiers intéressés et les respecter sans réserve. Soigner, ce n’est pas assujettir ou contrôler. Être soignant, ce n’est pas agir en tyran.

Le virage est rude à prendre : selon l’ancien paradigme, les médecins étaient considérés comme tout-puissants, sur les malades sinon sur la maladie – tout comme dans l’Antiquité, lorsqu’on remettait en temps de crise les clés de la ville à un homme providentiel. Aujourd’hui encore, dans beaucoup de facultés de médecine françaises, on continue à former les médecins à penser qu’ils peuvent garder les clés. L’idée d’avoir à changer de perspective leur apparaît comme une négation de leur rôle, de leurs aspirations, de leur « mission ». Il ne leur vient pas à l’esprit que ces conceptions archaïques sont inappropriées. Et, d’abord, contraire à l’éthique. Mais comment s’en étonner ? La médecine s’apprend par imitation, et bon nombre de professeurs en exercice ont été forgés sur l’enclume du paternalisme par le marteau de l’élitisme. Leur demander de former les étudiants à l’empathie et au respect, c’est les inviter à s’asseoir devant un tour pour y travailler la glaise avec patience et délicatesse…

Sixième paradoxe : soigner les autres en cherchant à s’accomplir  

Tout individu cherche à s’épanouir par divers moyens : en fondant une famille, en gravissant l’échelle sociale, en recherchant une reconnaissance élargie, en accomplissant des actes ou en réalisant des projets enrichissants pour soi et appréciés par les autres, en s’engageant dans des activités gratifiantes…

Si gagner sa vie en soignant devrait être la norme (ça ne l’est pas pour tous les professionnels, et de loin), le fait de s’enrichir en exerçant une profession de santé est profondément paradoxal : il s’agit, en effet, ni plus ni moins que de tirer un profit personnel de la souffrance des autres. Tout professionnel de santé devrait être très bien rétribué en regard du temps et de l’énergie qu’il consacre au soin. Mais est-il moralement acceptable que sa richesse augmente en proportion de son prestige ?

La question mérite d’être posée car, dans le monde que nous connaissons, renommée et prestige sont souvent synonymes de richesse et de pouvoir. Et pour devenir prestigieux et riche, qui un médecin doit-il soigner, sinon les riches ? Les médecins « humanitaires » les plus réputés ne construisent pas leur réputation sur les champs de ruine ou dans les camps de réfugiés, mais devant les micros des pays industrialisés où l’on publie et achète leurs livres, et qui les font ministres ou ambassadeurs. Ce qui est vrai d’un « médecin du monde » ne l’est pas moins d’un cancérologue ou d’un chirurgien de renom. Sa réputation accroît son prestige ; son prestige attire les patients riches ; lesquels l’éloignent de ceux qui auraient besoin de lui : à savoir les plus paures.

S’enrichir en pratiquant la médecine est, à tous égards, problématique. Ce paradoxe-là ne semble poser de problème à personne – pas même à la plupart des patients. Il est pourtant central : pour bien soigner, il faut être proche et respectueux des besoins et des valeurs de ceux qui ont besoin de soins. Dans un système aussi paradoxal que le système français, rien ne favorise les médecins qui s’engagent dans ce sens, bien au contraire : les spécialités les plus lourdement technologiques sont les plus lucratives. Leur impact bénéfique sur la santé des individus, en revanche, est plus que discutable. Et pour dissuader les usagers d’avoir recours à des IRM, des dosages complexes ou des bilans inutiles, il faut être dénué de tout conflit d’intérêt économique et se battre contre des sirènes industrielles et médiatiques extrêmement puissantes… Autant dire que les dés sont pipés.

André-Pierre Contandriopoulos, professeur en administration de la santé à l’Université de Montréal, propose que les médecins soient des salariés de la collectivité, rémunérés comme le sont les professeurs d’université en Amérique du Nord – c’est à dire : très bien. Sa proposition a de nombreuses vertus, à commencer par celles-ci : elle définirait des objectifs de carrière réalistes et encadrés, identiques pour tous les professionnels ; elle inscrirait les praticiens dans le champ de la recherche publique et de l’enseignement pour tou.te.s ; enfin, elle rappellerait que la première vocation d’un médecin est, par principe, de servir la collectivité.

Marc Zaffran/Martin Winckler

(NB : Une version antérieure de ce texte a été publiée dans la revue québécoise Argument, vol. 18, n°1, Hiver 2015-2016) 

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Commentaires fermés sur Etre soi/être soignant – les paradoxes de la profession médicale

Quand est-on en droit de ne pas payer une consultation à un médecin ? – par Marc Zaffran/Martin Winckler

21 Juin 2017. La canicule fait rage en France. Depuis mon Québec tempéré (il fait bien meilleur à Montréal) je lis un fil Twitter rédigé par un médecin remplaçant qui déplore (à juste titre) qu’une patiente l’ait appelé en visite à domicile en lui faisant croire qu’elle ne pouvait pas sortir de chez elle. Or, quand il est passé la voir, elle lui a posé un lapin.

L’échange avec les internautes aboutit à la question « Peut-il lui facturer une visite quand même ? ». Jacques Lucas (Vice président du Conseil national de l’Ordre des medecins. Délégué Général au Numerique) twitte : 

« Un acte, remboursé ou non, ne peut être facturé, selon la réglementation en vigueur, que s’il a été effectivement réalisé. »

Aussitôt, je saute sur l’occasion et contre-twitte : « Officiel !!! L’Ordre confirme que si un médecin ne se comporte pas de manière professionnelle, vous êtes en droit de partir sans payer. »

C’est du sarcasme ; certains le comprennent, d’autres hurlent au « détournement » – ce qui est comique. Quoi qu’il en soit, c’est exactement le fond de ma pensée : un médecin qui ne fait pas son boulot ne devrait pas être payé, et ça ne me dérange nullement de reprendre cette phrase du Vice-président-du CNOM-délégué-général-au-numérique et de l’extrapoler (de la « détacher de son contexte », comme le crient les orfraies) car 1° le dit VP-du-CNOM-délégué-général-au-numérique cite la réglementation (autrement dit, l’Evangile) ; 2° il s’exprime ès-qualités (sa parole est donc parole d’Evangile) ; 3° le « contexte » n’y change rien : la réglementation s’applique (sauf exception explicite) dans tous les cas. Ou alors ce n’est pas une réglementation.

La phrase « Un acte, remboursé ou non, ne peut être facturé, selon la réglementation en vigueur, que s’il a été effectivement réalisé. » ne s’applique pas seulement quand la rencontre entre praticien et patient n’a pas eu lieu (comme c’est le cas dans la situation décrite ci-dessus), mais aussi quand au cours d’une rencontre avec un patient, le médecin n’a pas effectué d’acte médical
Je reconnais toutefois que, pour passer de « Un acte non effectué ne peut être rémunéré » à « Un médecin qui ne fait pas son boulot n’a pas à être rémunéré », il y a un pas, que beaucoup ne veulent pas franchir, ou pensent qu’on n’a pas le droit de franchir, ou me reprochent d’avoir franchi. 


Je ne l’ai pas franchi au hasard, ni à l’aveuglette, ni inconsidérément, mais en me fondant sur le bon vieux principe cartésien de l’analyse logique des textes réglementaires. (NB : J’invite les juristes qui liraient ce texte à le commenter, le critiquer ou le contre-argumenter, car ma logique est peut-être juridiquement fausse, et si tel est le cas, j’aimerais qu’on me dise en quoi. Je ne veux pas mourir idiot ni induire les lecteurs en erreur.) 

Démonstration. 

Pour commencer, rappelons l’article 53 du code de déontologie relatif aux honoraires : 

Article 53 (Article r.4127-53 Du CSP) « Les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières. Ils ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués même s’ils relèvent de la télémédecine. Le simple avis ou conseil dispensé à un patient par téléphone ou par correspondance ne peut donner lieu à aucun honoraire. Un médecin doit répondre à toute demande d’information préalable et d’explications sur ses honoraires ou le coût d’un traitement. Il ne peut refuser un acquit des sommes perçues. Aucun mode particulier de règlement ne peut être imposé aux malades. » 

(C’est moi qui souligne.) 

Ensuite, consultez ici ce que dit le site officiel de l’administration française sur les droits des patients en termes d’honoraires médicaux. 
A présent, il est nécessaire de poser (et d’essayer de répondre) à une double question : « Quels sont les actes d’un médecin qui justifient des honoraires ? Quand peut-on dire qu’un médecin n’a pas effectué d’acte justifiant la perception d’honoraires ? »


Et pour répondre à ces questions, il faut d’abord préciser ce qu’est un « acte médical ».

Au sens réglementaire, un acte médical est une action qui figure à la nomenclature établie par les pouvoirs publics et peut donc, en tant que tel, être facturé.e par un médecin au patient – c’est à dire à la sécurité sociale.
Qu’est-ce que la nomenclature des actes médicaux ?

C’est la liste officielle, réglementaire, des actes tarifés qu’un médecin peut effectuer. Cette liste varie selon la spécialité du médecin. Je vous invite à consulter ici celle des médecins généralistes. Comme vous le verrez, c’est très détaillé. Mais parfois il y a des choses qui manquent. Par exemple, le retrait d’un implant contraceptif est coté, alors que la pose ne l’est pas, comme si ça ne valait rien. Est-ce pour cette raison que certains praticiens posent des implants sous-cutanés sans anesthésie locale ? (Le ton, ici, est – encore une fois – sarcastique, mais la question n’en est pas moins valide.)

Le problème de cette nomenclature c’est qu’elle ne tarife que des gestes manuels « objectifs ». Ainsi, l’examen clinique (examen partiel ou complet du corps du patient que le médecin pratique avec ses mains, ses yeux et ses oreilles) n’est pas coté car il est réputé inclus dans la cote de la consultation « G » ou « GS » = 25 €. (1)

Par ailleurs, les « gestes » intellectuels (proposer un diagnostic à la suite d’un long entretien et/ou d’un examen clinique) et les « gestes » relationnels (informations délivrées au patient, soutien psychologique, avertissement au sujet des effets secondaires des médicaments, par exemple) ne le sont pas non plus. On pourrait en conclure que les pouvoirs publics n’encouragent pas les médecins à échanger puisque,  si l’on se fonde sur la nomenclature, les échanges ne valent rien. Ce serait une erreur, nous allons voir pourquoi. Mais on peut souligner qu’il n’y a (presque) rien dans la nomenclature pour valoriser la durée et/ou la qualité des échanges entre patient et médecin. (2)

De fait, lorsqu’un médecin généraliste reçoit et passe du temps à écouter et répondre à un.e patient.e, il ne peut coter que « G » ou « GS », que cet entretien dure trois minutes ou quarante-cinq. C’est particulièrement injuste puisque ça incite depuis toujours les médecins sans scrupules à passer le moins de temps possible avec beaucoup de patients, et ça empêche les médecins scrupuleux de donner du temps à tous les patients qui en ont besoin car plus ils donnent du temps à ces patients, plus ils se sentent (à juste titre) exploités (sous-payés) par le système. Or, il faut bien bouffer, subvenir aux besoins de sa famille et payer la CARMF et l’URSSAF.

Quand le médecin effectue un geste particulier comme, mettons, la pose d’un DIU ou le retrait d’un implant il le facture seul (voir ici) sans cumuler avec le « G(S) » de la consultation. 

Pour certains actes il peut cumuler le G et la cote d’un geste spécifique. Exemple : le frottis de dépistage (37, 46 € au lieu de 25 €), et ceci depuis le… 1e juillet 2017 seulement ! (Auparavant, les MG faisaient les frottis à leurs frais. Ou ne les faisaient pas. Comme quoi, la France aime beaucoup le dépistage… quand il est pratiqué gratuitement par les médecins les plus surchargés et les plus mal rémunérés.)

Ce qui nous amène à la question suivante : quand un médecin ne fait aucun acte « coté » pendant sa consultation, qu’est-ce que le patient paie, exactement ? Eh bien, il paie la consultation qui est, en elle-même, un acte médical. (3) Il ne paie pas un « droit d’accéder » au médecin, il rémunère ce que le médecin est réputé délivrer en réponse au motif de la consultation, autrement dit : l’interaction, l’échange entre le médecin et lui.  

Je pense que jusqu’ici personne n’a d’objection. (Si vous en avez, n’hésitez pas à écrire : ecoledessoignants@gmail.com)
Il faut noter que la consultation ne nécessite pas, pour être cotée (et donc, rémunérée), que le médecin prescrive quoi que ce soit. Et c’est logique : un.e patient.e peut parfaitement aller consulter un médecin et conclure avec lui, à l’issue de leur interaction (échange verbal, examen clinique), qu’aucun traitement ou examen, aucune prescription n’est nécessaire. On est en droit de consulter un médecin simplement pour se rassurer ou obtenir des informations, un éclaircissement, un avis. 

Par ailleurs, un médecin a parfaitement le droit de ne pas vous faire payer – par exemple, une ordonnance de renouvellement, qu’il vous laisse passer prendre à son cabinet pour vous dépanner. Mais il n’est pas illégal ni abusif de sa part de demander que vous veniez le voir en consultation pour vous faire l’ordonnance de dépannage et vous fasse payer : encore une fois, vous payez la consultation, autrement dit l’interaction, l’échange, pas l’ordonnance. Et le médecin est en droit de demander à échanger avec vous de vive voix avant de prescrire quoi que ce soit : sa responsabilité est engagée. 

Ces préalables étant posés, revenons à la question qui nous occupe : quand est-ce qu’une consultation n’est pas un acte médical et ne justifie donc pas que le patient verse des honoraires au médecin ?

Certes, la consultation est un acte professionnel un peu particulier. Son contenu n’est pas définissable ou quantifiable car il peut varier d’une situation à l’autre, pour deux patient.e.s ou pour le/la même. Il est cependant possible de dire quand l’interaction entre un patient et un médecin ne répond pas à la définition d’un acte professionnel. Pour cela, il suffit de lire le code de déontologie , qui précise les devoirs et obligations des médecins. Le Titre II (Devoirs envers les patients) s’étend de la page 8 à la page 16 du code. Je rappelle que le code de déontologie est inclus dans le code de la Santé publique.  

Quand on lit le code, on comprend que les obligations envers les patients ne sont pas soumises au bon vouloir du médecin. Ce sont, comme leur nom l’indique, des obligations. Elles ont été inscrites noir sur blanc DANS LA LOI pour protéger le patient des abus de pouvoir ou des comportements anti-professionnels car elles ne vont pas de soi. Elles constituent les conditions permanentes au droit d’exercer la médecine. Quand ces conditions ne sont pas remplies, le médecin est en faute. 

Ici, il faut rappeler qu’un médecin n’a pas d’obligation de résultat, mais une obligation de moyens : conformément au contrat passé entre le patient et lui, il doit mettre en oeuvre tout ce qui est à sa disposition (intellectuelle ou matérielle) pour soigner le patient qui fait appel lui. C’est écrit en toutes lettres (et de manière parfaitement intelligible) dans les cours élémentaire délivrés aux étudiants en droit. 

(Pour ceux qui contesteraient qu’il y a contrat, je rappelle que tout médecin s’engage contractuellement deux ou trois fois : en prêtant serment à la fin de ses études, en s’inscrivant au tableau de l’Ordre des médecins, et éventuellement en adhérant à la convention avec la sécurité sociale). 

Parmi les fautes commises par le médecin, le texte mentionne : « le résultat de la violation par le médecin de ses obligations déontologiques« .  
Ainsi, par exemple, le médecin qui vous manque de respect, fait pression sur vous, pratique une quelconque discrimination (économique, de genre, sociale ou ethnique), tient à votre égard des propos racistes, homophobes, grossophobes, humiliants, menaçants, culpabilisants ou insultants, viole ses obligations : il enfreint l’article 7 du code. 


S’il vous expédie en trois minutes sans vous écouter, ne donne pas d’explications ou ne répond pas aux questions, ment, néglige de vous soulager ou de prendre vos symptômes en considération, refuse une contraception sans motif valide ou pratique n’importe quel geste sur vous sans votre consentement, il viole ses obligations : il enfreint plusieurs des articles 32 à 55. 


Il en découle, en toute bonne logique, qu’une consultation/une rencontre au cours de laquelle un médecin viole ses obligations n’est pas un acte médical inscrit à/prévu par la nomenclature. Cette consultation n’a donc pas lieu d’être rémunérée. (4)
Qui est en droit de dire que le médecin n’a pas rempli ses obligations déontologiques ?

La réponse est simple : c’est le patient. Et il peut contester le comportement du médecin comme celui de n’importe quel prestataire de services. (5)

Le garagiste à qui vous confiez votre véhicule a des obligations (par ex. : celle de vous demander votre accord pour changer une pièce). S’il ne s’y plie pas, vous êtes en droit de ne pas payer les réparations faites sans votre accord.

Il en va de même quand il s’agit d’un médecin : quand vous entrez chez lui, c’est dans l’attente qu’il respecte ses obligations professionnelles.

S’il ne le fait pas vous êtes parfaitement en droit de lui dire : «  Au cours de cette « consultation », vous n’avez pas rempli vos obligations déontologiques pour telle et telle raison. Le contrat de soins entre nous est donc caduc. Je ne vous paierai pas. »
CQFD. 

Je vous remercie de votre attention.

Martin Winckler/Marc Zaffran

_________________________________
1. « G » c’est pour les généralistes. « GS » c’est pour les « spécialistes en médecine générale ». Les deux cotes de consultation sont actuellement au même tarif. Je ne saurais dire pourquoi. Faut-il en conclure qu’un généraliste-spécialiste ne vaut pas plus qu’un généraliste-généraliste ? Je ne franchirai pas ce pas. Il y a sûrement une explication logique et rationnelle à cette « anomalie ».  (Oui, c’est encore du sarcasme, et je présente mes excuses à ceux qui l’avaient déjà compris, mais je me sens un peu obligé de le dire pour les autres.) 

2. 

Le fait que les médecins généralistes puissent coter des consultations de nourrisson ou (une fois par an !) une « Visite Longue » pour un patient en longue maladie ne diminue pas le sentiment que cette nomenclature est extraordinairement mesquine. Les citoyens cotisent pour recevoir des soins sinon gratuits, du moins à très faible coût pour eux. La moindre des choses serait que le système de santé rémunère correctement les personnes qui les délivrent. En ce qui concerne les médecins généralistes (mais aussi les infirmières, les sages-femmes, les kinésithérapeutes et les orthophonistes), le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas le cas. 


3. Je rappelle que c’est le patient qui consulte (interroge) le médecin, comme on allait, autrefois, consulter les oracles ou comme on consulte un expert ; le médecin, lui examine ou ausculte (avec son stéthoscope) le patient. Certains médecins sont qualifiés de « consultants ». On devrait dire « consultables », car ce sont en général des spécialistes ou des experts que les autres médecins appellent en consultation…

4. Sauf erreur de ma part (merci aux juristes de me corriger le cas échéant), un médecin n’a pas le droit d’exiger que vous lui versiez ses honoraires – ou que vous lui tendiez votre carte vitale, à lui ou à sa secrétaire – avant la consultation ; lorsqu’il anticipe de pratiquer un dépassement d’honoraires, il doit en détailler les motifs sur un document écrit et vous demander votre consentement préalable. 
5. Eh oui, faut vous y faire, un médecin est (pas seulement, mais entre autres) un prestataire de services. Comme l’architecte à qui vous demandez de construire une maison. Comme l’avocat à qui vous demandez de vous défendre. Comme l’artisan à qui vous commandez une table.  Etre un prestataire de (bons) services, ça n’a rien d’infâmant. Ce qui est infâmant, c’est de se comporter de manière infâme en ne les délivrant pas. 

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Commentaires fermés sur Quand est-on en droit de ne pas payer une consultation à un médecin ? – par Marc Zaffran/Martin Winckler

Un modèle (!??) contemporain de paternalisme médical à la française – par Martin Winckler

Ces jours-ci, le site du magazine Elle publiait un entretien avec Israël Nisand (chef de service en gynécologie-obstétrique aux hôpitaux de Strasbourg, et Président du Collège national des gynécologue et obstétriciens français), au sujet des violences gynéco-obstétricales. Je le reproduis ici accompagné de réflexions et d’interrogations. J’invite les lectrices et lecteurs à intervenir, soit sous forme de commentaire après le texte, soit en m’écrivant plus longuement (ecoledessoignants@gmail.com).
ELLE. Lorsqu’une femme a subi de la maltraitance ou de la violence de la part de son médecin, que lui conseillez-vous de faire?
Pr Israël Nisand. Je suis surpris d’entendre des femmes qui disent pis que pendre d’un médecin et qui restent chez lui. Quand on a un médecin qui ne convient pas, mon conseil n’est pas d’essayer de changer le médecin, mais d’en changer. Je ne commettrais pas l’impair de vous affirmer que tous les médecins sont bons. Parmi eux, il y en a des mauvais qui n’ont ni tact, ni psychologie. Même un médecin considéré comme talentueux par certaines pourra être considéré comme inadéquat par une autre. La solution est de changer de médecin. Nous avons ce luxe en France de pouvoir le faire. S’il est considéré comme mauvais par tout le monde, il n’aura plus de clientèle.

Martin Winckler : La solution préconisée par I. Nisand est effectivement un luxe. Que l’immense majorité des femmes françaises ne peuvent pas se permettre car elles vivent dans des régions où on ne peut pas, matériellement, changer de gynécologue. La démographie médicale est là pour le dire, et I. Nisand fait partie des nombreux médecins qui dénoncent la situation, depuis longtemps. (A moins que le CNGOF n’ait activement participé à la fermeture accélérée des maternités locales parce qu’elles n’étaient pas « sûres »… ?)  

Dans les faits, beaucoup de femmes sont littéralement dépendantes du gynécologue qu’elles consultent, s’il est le seul en ville ou le seul accessible parce qu’aller en consulter un autre signifie attendre plusieurs mois pour avoir un rendez-vous. C’est encore plus vrai à lintérieur d’un établissement public, car les pratiques d’une équipe sont souvent dictées par son chef de service – et elles deviennent alors la « norme », ce qui veut dire que souvent, changer de médecin ne change rien.

De plus, il n’est pas toujours possible de changer de gynécologue, et ce pour des raisons psychologiques bien identifiées. Soit parce qu’on a peur de ne plus être bien soignée (ou de l’être plus mal encore qu’avant), soit parce qu’on a peur pour sa grossesse, ou son projet de grossesse. Dire « je ne comprends pas que ces femmes restent chez eux », c’est insultant, tout comme l’est de dire des personnes maltraitées par leur entourage qu’elles « devraient partir ». Les obstacles (peur, emprise, honte, isolement) qui empêchent les personnes maltraitées d’échapper à la maltraitance sont nombreux, bien connus et, de fait, contribuent à la maltraitance. Et ce sont les mêmes qu’il s’agisse d’un conjoint, d’un parent ou d’un médecin ! Ces obstacles, I. Nisand semble les considérer comme inexistants. Ou bien il est ignorant, ou bien il est désinvolte. Dans un cas comme dans l’autre, c’est regrettable.

Si I. Nisand ne traitait pas ainsi par-dessus la jambe la situation réelle des femmes françaises, il pourrait leur recommander (en l’absence de gynécologue-obstétricien respectueux et compétent) de faire appel aux autres professionnel.le.s qui s’occupent de santé des femmes : les médecins généralistes et les sages-femmes. Les uns comme les autres peuvent assurer la majorité des situations de gynécologie courante et le suivi des grossesses sans problème qui sont, I. Nisand ne peut l’ignorer, les plus nombreuses. Rappeler leur existence et leurs compétences serait non seulement en accord avec la réalité scientifique et sociale, mais aussi une déclaration de bonne confraternité, conforme à l’article 68 du Code de déontologie qui stipule : « Dans l’intérêt des malades, les médecins doivent entretenir de bons rapports avec les membres des professions de santé. Ils doivent respecter l’indépendance professionnelle de ceux-ci et le libre choix du patient. »

Malheureusement, ce type de déclaration serait probablement mal vu par les membres de la corporation qu’il préside et dont le discours a toujours été (je simplifie à peine) « Hors des gynécologues, point de salut pour les femmes. » En témoigne l’opposition farouche des obstétriciens français à la pratique de l’accouchement à domicile, pourtant courante dans la plupart des pays d’Europe et en Amérique du Nord, avec le soutien des professionnels. Dans ce domaine aussi, l’ « exception française » n’est pas un vain mot, hélas !

Par ailleurs, il ne suffit pas de dire « Changez de praticien ». Quand on est l’élu de la profession, on se doit d’avoir d’autres réactions. La première serait de déclarer clairement qu’aux yeux de son institution ce type de comportement est inadmissible, et doit être condamné. Il ne le fait pas. Les professionnels sont responsables de leurs actes, mais il ne propose rien pour le leur rappeler. Au lieu de quoi, il fait porter aux femmes la responsabilité d’aller voir ailleurs.

La seconde réaction devrait être de ne pas minimiser la fréquence de ces maltraitances. Or, que donne-t-il comme réponse à la question suivante ?

ELLE. Cela revient à dire que ce sont des cas isolés, et à ne pas se poser la question de pourquoi certains médecins ont recours à de mauvaises pratiques, non ?
Pr Israël Nisand. Le collège que je préside produit des recommandations sur les bonnes pratiques et je vous assure qu’elles sont suivies méticuleusement par tous les gynécologues.

Martin Winckler : I. Nisand est donc voyant extra-lucide, puisqu’il peut assurerque tous les gynécologues ont un comportement irréprochable. Par là-même, il laisse entendre que les plaintes émises par les patientes sont nulles et non avenues. La moindre des choses, venant d’un professionnel, serait de dire : « Si de telles pratiques ont lieu, il faut qu’elles soient dénoncées et fassent l’objet de sanctions, de la part de toutes les parties concernées. » Et il pourrait proposer de recueillir les plaintes des patientes pour étudier le phénomène ! Mais non, il se positionne sans équivoque comme garant et porte-parole de la profession en laissant entendre qu’en pratique, les plaintes des citoyennes n’ont aucune valeur : sa conviction de président du CNGOF suffit.

ELLE. Pourtant, nous recevons des témoignages de femmes qui ont subi des gestes obstétriques non recommandés par le CNGOF ou la Haute autorité de santé. Par exemple, l’expression abdominale pour laquelle nous avons plusieurs témoignages.
Pr Israël Nisand. L’expression abdominale n’a plus lieu. Si elle a lieu, c’est une faute technique et une faute professionnelle grave. Si vous connaissez un seul gynécologue qui a pratiqué l’expression abdominale, je l’appellerai personnellement pour lui dire de ne plus le faire. Mais vous serez en échec, Madame, car vous n’en trouverez pas.

Martin Winckler : Là encore, I. Nisand est extra-lucide : il sait ce qui se passe (ou ne se passe pas) dans toutes les maternités françaises. Et il se prend pour Dieu le père (ou pour le Pape) ! : « Je l’appellerai personnellement pour lui dire de ne plus le faire. »

Mais on ne demande pas à I. Nisand de « sermonner » les médecins qui se comportent de manière inadmissible ! Ce serait trop simple. Il ne peut pas être juge, partie et confrère de l’accusé. Il est le représentant élu d’un groupe de spécialistes, ça ne fait pas de lui leur père fouettard – ou celui qui va les absoudre après leur avoir passé un savon. Il ne peut pas se substituer à la loi ou au réglementations professionnelles.

Il doit cependant exiger de ses membres que la loi et les recommandations soient suivies et laisser le système pénal s’y intéresser (sans boule de cristal !) pour, le cas échéant, poursuivre ceux qui ne les respectent pas. Car en tant que médecin, I. Nisand a l’obligation (déontologique et légale) de se placer en tout temps du côté des patientes, fût-ce contre ses collègues.

Mais ce serait peut-être un peu trop demander du président du CNGOF, sans doute. Après tout, il n’a pas été élu pour les rappeler à l’ordre : dans une vidéo assez hallucinante, I. Nisand parle d’un médecin poursuivi pour viol et attouchements sexuels par dix-sept femmes en le présentant ni plus ni moins comme une victime et ses victimes comme des complices consentantes.

I. Nisand connaît-il l’existence et le sens du mot « corporatisme » et de l’expression « conflit d’intérêts ? »

ELLE. Je ne cherche pas à incriminer tel ou tel docteur mais à comprendre pourquoi tant de femmes subissent de telles violences. Donc tout ce qui est recommandé par le CNGOF est appliqué à la lettre ?
Pr Israël Nisand. Sauf par quelques brebis galeuses qui ne participent à aucun congrès, estiment qu’ils savent tout et de surcroit ne lisent pas les recommandations des sociétés savantes. Malheureusement, cela existe. Je suis favorable à ce que les médecins repassent un examen tous les cinq ans pour vérifier l’état de leurs connaissances scientifiques. L’ordre des médecins y est favorable aussi, mais le gouvernement précédent y a rechigné car les médecins ne le souhaitent pas. Je le reproposerai au nouveau gouvernement.  Mais ce que reprochent les femmes n’est pas tant le défaut de compétence que le manque de tact, et je ne sais pas comment on peut rééduquer un médecin sur ce sujet.

Martin Winckler : Ici, I. Nisand s’enfonce : « brebis galeuses » est anticonfraternel et un peu rapide : ce n’est pas à lui de juger si des médecins sont compétents ou non, ou de séparer « le bon grain » de « l’ivraie ». Car il est le représentant de ces brebis galeuses ! Là encore, il est juge et partie. De plus, dire qu’il y a des « brebis galeuses », c’est admettre qu’elles existent. Pourtant, il a eu l’imprudence de déclarer plus haut que tousles gynécologues suivent les recommandations scrupuleusement. Laquelle des deux affirmations est-elle crédible ? Aucune des deux : elles s’annulent mutuellement.

Quant au fait que les femmes reprochent « un manque de tact », c’est là encore un peu rapide. Comment I. Nisand saurait-il ce que les femmes reprochent aux gynécologues, puisqu’il ne veut pas croire ce qu’elles disent ? (Voir plus haut.)

ELLE. Ce qu’elles vivent comme le plus violent n’est pas tant un manque de tact que subir des actes auxquels elles n’ont pas été préparées et pour lesquels on ne leur a pas demandé leur consentement.
Pr Israël Nisand. Depuis 2002 et la loi Kouchner, il est illégal de faire un acte non urgent sans le consentement de la patiente. Une patiente qui peut démontrer en justice qu’on ne lui a pas demandé son consentement libre et éclairé gagne son procès et des dommages et intérêt. Dans les faits, il n’y a pratiquement pas de plainte portant sur l’absence de consentement. Cela ne veut pas dire que le consentement est toujours sollicité, mais que les femmes n’utilisent pas les voix judiciaires pour obtenir gain de cause. Il faut qu’elles le fassent davantage. Quand à la préparation, il y a mille scénarios de complications lors d’un accouchement, vous voulez que l’on en fasse le catalogue ? Si on le faisait, bien que ce soit infaisable, les femmes arriveraient dans un état d’inquiétude pas possible. C’est pourquoi il est convenu entre nous, professionnels de la naissance, de n’aborder que les éléments les plus habituels des complications. Par exemple, la nécessité de faire une césarienne qui peut arriver à tout moment.

Martin Winckler : « Une patiente qui peut démontrer en justice qu’on ne lui a pas demandé son consentement libre et éclairé gagne son procès et des dommages et intérêt. » Ici, I. Nisand se moque du monde. Sauf erreur de ma part, ce n’est pas à la patiente de démontrer qu’elle n’a pas donné son consentement, c’est au médecin de prouver qu’il l’a demandé et a respecté sa décision! C’est d’ailleurs pour ça qu’on fait signer des « consentements » à tout bout de champ, en oubliant d’ailleurs qu’aucune signature ne lie définitivement la patiente, car elle a le droit de retirer son consentement à tout moment !

C’est toujours le médecin qui est lié juridiquement, pas les patients !  Mais I. Nisand semble l’ignorer.

De plus, déclarer qu’il n’est pas possible de « parler de tout », c’est ne pas savoir (I. Nisand est décidément très ignorant) que dans d’autres pays (Angleterre, Pays-Bas, Scandinavie, Canada, Etats-Unis), on informe les femmes très à l’avance via des publications, des entretiens, des réponses aux questions qu’elles se posent. Et, le jour de l’accouchement, on s’assure qu’elles sont prêtes. 

« Les femmes arriveraient dans un état d’inquiétude pas possible ! » est une déclaration typique d’un médecin paternaliste, qui pense savoir à l’avancece qui va inquiéter (ou non) les personnes auxquelles il s’adresse – et se pense autorisé à décider ce qu’il juge bon, lui, de leur dire (ou non) ! Pour I. Nisand, « informer les femems, c’est mauvais car ça leur fait peur ». Pour I. Nisand, quand il s’agit d’inquiétude, les femmes enceintes sont toutes identiques – et effrayables.  

C’est une attitude d’un autre âge, mais c’est sa pensée aujourd’hui et il n’en a pas honte.
Enfin, inviter les patientes à porter plainte, c’est leur faire porter, à elles, la responsabilité de chercher réparation. Mais n’est-ce pas l’une des obligations d’un corps de professionnels de santé que de surveiller ce que font ses membres et de protéger les personnes que ceux-ci sont censés servir ? Serait-il acceptable d’entendre, venant d’un syndicat de police, que les citoyens matraqués n’ont qu’à « porter plainte » contre les policiers qui ont eu la main lourde ? Serait-il acceptable, venant d’un syndicat de la construction, que les victimes de l’écroulement d’un pont n’ont qu’à « porter plainte » contre son architecte ? Est-ce qu’on ne s’attendrait pas à ce qu’ils balaient aussi devant leur porte ?

Quand on incite à porter plainte (ce qu’on pouvait déjà lire il y a dix ans sur mon site, et encore naguère dans Les Brutes en blanc), il faut aussi prévenir les femmes que c’est une procédure lourde, qu’elle dure longtemps, qu’elle est difficile à mettre en œuvre, qu’il faut le faire tout de suite, sans attendre, et leur donner les éléments et les moyens de le faire.

Et (ce que beaucoup de citoyen.ne.s font depuis longtemps, sans être président.e.s du CNGOF), il faut aussi rappeler que c’est aux médecins, d’abord, de bien se comporter : ce sont des professionnels, ils ont des obligations. Mais jamais, dans cet entretien, on n’entend I. Nisand inviter vigoureusement ses confrères à respecter la loi ! Et jamais il ne laisse entendre que lors d’une procédure pénale contre un médecin, le CNGOF laissera la justice trancher ! Dans la vidéo mentionnée plus haut, il va même jusqu’à contester ouvertement la décision des juges à l’égard d’un de ses confrères. Mais comme à plusieurs reprises dans l’entretien accordé à Elle (voir ci-dessous), il suggère fortement que lui-même ne respecte pas ses obligations légales et déontologiques, comment s’étonner de ce mépris pour les procédures judiciaires qu’il invite les femmes à engager ? Ce n’est pas la première de ses contradictions, ni la dernière !

ELLE. Mais pas l’hémorragie de la délivrance. Pour quelle raison ?
Pr Israël Nisand. Non, nous ne l’abordons pas. Cette hémorragie tue encore 60 femmes par an en France. Quand une femme se met à saigner lors de l’accouchement, parfois même sans s’en rendre compte, nous réalisons une série d’actes dans l’urgence absolue pour la sauver, dont la révision utérine qui consiste à retirer de l’utérus à la main les restes de placenta. C’est comme si une voiture garée sur une pente a les freins qui lâchent. En haut de la pente, on peut encore l’arrêter et en bas de la pente on ne peut plus. Il faut agir le plus vite possible. Je préviens : « Madame, je vais vider les morceaux de placenta qui restent dans votre utérus ». On peut obtenir le consentement en 30 secondes. Mais parfois la femme ne s’en souvient plus parce qu’elle est un peu endormie ou parce qu’elle a perdu du sang. Beaucoup de femmes ne se souviennent plus qu’on leur a donné des informations parce qu’elles n’ont pas pu les intégrer à ce moment-là. C’est pourquoi leur témoignage a posteriori ne reflète pas toujours la réalité.

Martin Winckler : « Cette hémorragie tue encore 60 femmes par an. » Les femmes le savent : elles savent lire. Elles savent qu’on peut mourir de prendre la pilule, d’une môle, d’une embolie pulmonaire, d’un anévrisme, d’un accident de voiture. Elles n’en meurent pas d’angoisse, de le savoir : une femme avertie en vaut deux. Et elles ne viennent pas en consultation seules : elles sont souvent accompagnées. Par un compagnon ou une compagne, une parente, une amie qui peuvent leur servir de porte-parole et de personne de confiance conformément à la loi. En cas d’urgence, c’est à cette personne de prendre la décision, non au médecin.C’est ainsi qu’on procède dans la majorité des pays développés. Pourquoi le CNGOF ne le recommande-t-il pas ? Et ainsi, il pourrait parler de tout. Car il n’y a aucune raison de décider à l’avance et à leur place de ce que les femmes veulent ou ne veulent pas savoir. L’obligation des médecins, c’est de s’efforcer de tout leur dire, et de les prévenir des situations extrêmes précisément parce qu’elles sont rares et qu’il faudra décider en urgence. Si une femme est capable de décider d’être enceinte, de prendre une hypothèque ou une assurance-vie, de conduire une voiture ou de faire son testament ou, plus simplement, de décider d’être donneuse d’organe (ou non), elle est aussi capable d’entendre parler des complications rares de l’accouchement. D’autant plus qu’il y a NEUF mois pour lui en parler et la laisser y réfléchir !!!!

Contrairement à toutes les urgences imprévisibles – les accidents de la route, les infections fulminantes et j’en passe – l’accouchement est un phénomène physiologique (autrement dit : « naturel »), connu et pratiqué par les femmes (sans l’aide des gynécologues) depuis au bas mot deux millions d’années, dont la survenue est le plus souvent prévisible (à quelques semaines près), et dont les incidents, accidents et complications sont documentées depuis deux cents ans de manière extensive. Tous les événements graves, ou presque, qui peuvent survenir pendant un accouchement sont connus. Ce qui fait leur gravité, ce n’est pas qu’on ne les connaît pas, c’est l’incertitude de leur survenue. 

Mais un incendie aussi, c’est imprévisible. Ça n’empêche pas de s’y préparer et il serait irresponsable de ne pas informer les habitants de leur survenue éventuelle, et de ne pas leur conseiller d’avoir des détecteurs de fumée et un extincteur chez eux, car fait mieux face quand on est prévenu. 

Une situation « d’urgence » n’est pas une situation « impossible ». On ne peut pas en prévoir la survenue, mais on peut en parler et s’y préparer, même si elle est rare. Evite-t-on de parler aux mères de la mort subite du nourrisson, de la convulsion fébrile, de la méningite ou de l’inhalation de corps étranger chez le tout-petit ? Non ! Et c’est elles qui en parlent ! Et on doit leur répondre, alors même que c’est peu fréquent ! 

Il n’est donc pas acceptable de vouloir « protéger » les femmes des incidents possibles pendant leur accouchement en ne leur en parlant pas, car cela les empêche précisément de définir ce qu’elles souhaitent qu’on fasse dans le cas où ces événements surviendraient ! En refusant d’aborder ces sujets « pour ne pas inquiéter les femmes », I. Nisand entrave leur liberté.



En lisant Nisand, on pourrait croire que dans les salles d’accouchement qu’il supervise, toutes les femmes sont des porcelaines de Limoges, qui n’ont jamais lu une ligne de magazine ou de livre de santé, n’ont jamais accouché auparavant (ni entendu une proche parler de son accouchement) et perdent leur sens commun dès qu’elles s’allongent. Dans quel univers vit-il, exactement ?  

ELLE. Vous avez été pris à partie par le Collectif de Défense des Victimes de Violences Obstétricales et Gynécologiques pour avoir à ce sujet estimé que les femmes ne se souviennent pas bien du fait d’un « drainage de sang vers l’utérus, au détriment du cerveau » dans un article du Figaro. Confirmez-vous cette explication ?
Pr Israël Nisand. Ce que j’ai dit au Figaro a été détourné. Cela ne correspond pas à ce que je pense. Il arrive et ce n’est pas rare qu’une femme soit perdue au moment de l’accouchement, elle peut par exemple demander à rentrer chez elle alors que la tête du bébé vient à peine de sortir. Cette désorientation temporospatiale transitoire est liée à une hémodynamique vasculaire fortement bouleversée par l’accouchement. La femme a besoin à ce moment-là d’être entourée et rassurée car l’effort produit par son utérus qui entraine une consommation d’oxygène importante qui modifie son état de conscience.

Martin Winckler : Je ne sais pas ce que I. Nisand a dit au Figaro. Mais de toute manière, si le phénomène qu’il décrit existe, il faut qu’il soit plus précis : à quelle fréquence survient-il ? Chez quelle proportion des femmes qui accouchent ? Est-ce répertorié et documenté scientifiquement ? Par qui ? Dans quelles revues ? Est-ce un phénomène scientifique ou une perception personnelle d’I. Nisand ? Y aurait-il, par hasard, d’autres facteurs que les « phénomènes hémodynamiques », susceptibles d’entraîner de la confusion chez une femme qui accouche, comme (liste non exhaustive) : le manque d’information, la brutalité du gynécologue, l’exclusion des accompagnants de la salle de travail, l’obligation de rester allongée, les menaces, le monitoring angoissant, les médicaments administrés par voie intra-veineuse ou intrathécale ?

Si ce phénomène est réel et fréquent, pourquoi I. Nisand n’incite-t-il pas ses confrères à prévenir les femmes pour qu’elles et leurs personnes de confiance puissent prendre des décisions si ça se produisait ?  

Si en revanche ce phénomène est rare, de quel droit se permet-il de laisser entendre qu’il concerne TOUTES les femmes qui accouchent et que les gynécologues devront toujours décider à leur place ? Quant à « entourer et rassurer » les femmes, je ne connais pas de meilleure méthode que d’ouvrir les salles d’accouchement aux conjoint.e.s, proches, ami.e.s, sages-femmes ou doulas auxquelles ces femmes font appel librement pendant le cours de leur grossesse. Mais pour cela, encore faut-il que les obstétricien.ne.s français.e.s acceptent tou.te.s qu’une personne extérieure accompagne, soutienne, et le cas échéant parle au nom de la femme qui accouche. Ça n’aurait rien de scandaleux : une salle d’accouchement n’est pas soumise aux mêmes précautions qu’un bloc opératoire ou une unité de réanimation. Et ne demande-t-on pas aux proches leur avis quand une personne n’est pas (temporairement ou durablement) en mesure de prendre une décision ?

Ah, mais c’est vrai, j’oubliais ! Nous parlons ici de la France, où tout.e citoyen.ne est réputé.e incapables de décider pour soi dès son entrée dans un établissement hospitalier, et où les enseignants de médecine suggèrent (ou suggéraient encore, il y a peu) aux étudiants d’ « apprendre » l’examen gynécologique sur les femmes endormies.

ELLE. Cela explique-t-il à vos yeux le fait que tant de femmes aient mal vécu leur accouchement ?
Pr Israël Nisand. Le mauvais vécu est tout ce qui sort de la norme et n’a pas été prévu. Une césarienne, c’est déjà un mauvais vécu. Mais je suis contre préparer les femmes au pire. Je suis contre les préparer à une hémorragie de la délivrance. Je suis contre les préparer à une embolie amniotique qui tue. Je suis contre les préparer à l’infarctus du myocarde en cours de travail. Je suis contre tout ça.

Martin Winckler : Le « mauvais vécu » des femmes, ici encore, c’est I. Nisand qui le définit. De quel droit ? Sur quels fondements scientifiques ? Sur quelles enquêtes ? A partir de quelle expérience personnelle ? Depuis quand peut-il témoigner du vécu des femmes ?

Quand il dit « je suis contre » (l’information des femmes), il est de nouveau paternaliste. Sait-il seulement ce que ce mot veut dire ? Et sait-il qu’en refusant une information loyale, il prône une attitude contraire à la loi et à l’article 35 du code de déontologie ?

ELLE. Vous parlez de situation de risque de mort imminente. Mais on n’aborde pas toujours non plus, avant l’accouchement, ce qui peut se passer lors d’une césarienne en urgence. Or, beaucoup de femmes le vivent comme un choc.
Pr Israël Nisand. J’avoue que je ne le fais pas avec une femme dont la grossesse se passe bien et ne présente aucun risque de complication. Je dirai juste, quand on me demande ce qu’il peut advenir, que si l’enfant ne supporte pas les contractions, plutôt que d’attendre que son cerveau soit détérioré, on préfère faire une césarienne.

Martin Winckler : Paternalisme, encore et toujours : I. Nisand déclare qu’il peut se passer du consentement de la femme pour pratiquer une césarienne s’il juge, lui, qu’il existe un risque de « détériorer le cerveau de l’enfant ». En brandissant les risques pour l’enfant (qu’il fait passer ainsi avant la femme), il pratique la menace et le chantage. Deux « arguments » prohibés par le Code de déontologie. De plus, « Et si ?… » n’est pas un argument scientifique. Quand on redoute des situations graves, il faut en prévenir les femmes à l’avance – et leur demander ce qu’elles voudraient qu’on fasse. Cela doit être fait, cela peut être fait et un certain nombre d’obstétriciens le font. I. Nisand, lui, ne le fait pas. Il doit sans doute savoir des choses que personne d’autre ne sait.

ELLE. Avant d’en arriver à dire aux femmes de porter plainte, ne faudrait-il pas insister sur cette question du consentement auprès des médecins lors de la formation ?
Pr Israël Nisand. C’est déjà fait, à tel point qu’on a aujourd’hui des médecins dressés à obéir aux demandes des patientes et qui vont trop loin dans ce domaine. Par exemple, certaines femmes demandent des césariennes de convenance et ces médecins, notamment dans le privé, disent oui. D’autres médecins se cachent derrière le consentement des patientes pour se protéger eux, et non pour les protéger elles. Je suis contre le fait que certains fassent signer à leurs patientes des consentements par écrit, pour se mettre à l’abri de tout reproche en matière d’information.

Martin Winckler : « Dressés à obéir aux demandes des patientes ». Wow ! Quel mépris, pour les professionnels et les patientes. I. Nisand « est contre », encore une fois. Contre les consentements écrits (qui n’ont aucune valeur, puisque le consentement n’est jamais définitif) mais pas pour le respectdu consentement, puisqu’il n’en parle pas. (Aurait-on de nouveau « détourné » ses paroles ou sa pensée ?)

ELLE. Lorsqu’il y a eu un accouchement, mal compris, ma vécu, êtes-vous favorable à donner des explications a posteriori ?
Pr Israël Nisand. C’est indispensable. Ce serait une faute professionnelle de ne pas le faire. Sur le lit ou en consultation pour expliquer ce qu’il s’est passé. Mais demander à ce que nous le fassions pendant que la femme est en pleine hémorragie serait manquer de réalisme.

Martin Winckler : « Sur le lit »… Je préfère ne pas commenter car cette expression malheureuse est sans doute elle aussi le produit d’un « détournement » de sa pensée…  

Cela dit, I. Nisand, quand on demande des explications « en pleine hémorragie »… c’est parce que les médecins n’ont pas expliqué auparavant que ça pouvait se produire – ni à la femme, ni à sa famille, ni à personne !

ELLE. Qu’avez-vous mis en place au sein du CNGOF pour prendre en compte cette dénonciation des violences obstétricales par les patientes ?
Pr Israël Nisand. Nous sommes très attentifs. Nous sommes en train en mettre en place un diplôme inter-universitaire sur la prise en charge des maltraitance en gynécologie de manière à sensibiliser le plus de monde possible. Malheureusement, ceux qui en ont le plus besoin ne suivront pas ce cursus. Mais, par exemple, dans mon service, je fais un séminaire d’une journée pour tous les nouveaux soignants sur la bienveillance : pour dire voilà ce que nous avons appris au fil des années, notamment grâce à des groupes de paroles des patientes ayant fait une fausse couche ou une interruption médicale de grossesse. Voilà les erreurs à ne pas commettre, les mots à ne pas dire, les comportements à éviter. Et j’incite mes collègues à faire de même.

Martin Winckler : Bravo, I. Nisand. Je suis sûr qu’à vous tout seul vous allez changer le comportement de toute une profession. Avec un diplôme inter-universitaire et à coups de séminaire d’une journée consacrés à la bienveillance, les changements seront rapides et je ne peux que me réjouir de ces initiatives prises en 2017. Mieux vaut tard que jamais…

En attendant, à quand une déclaration solennelle et publique du CNGOF pour rappeler à ses membres leurs obligations et la loi, et les appeler fermement à bien se comporter, en tous temps ?

A quand les recommandations pour la formation d’experts indépendants, qui ne livreront pas  des conclusions systématiquement biaisées en faveur des médecins ?

A quand un encouragement à travailler avec les sages-femmes et les généralistes et à leur prodiguer respect, formation, soutien et collégialité ?

A quand l’information préalable des femmes, l’encouragement à se faire accompagner par une personne de confiance et le respect de leurs décisions ?

A quand la publication sur le site du CNGOF de témoignages de femmes sur ce qu’elles ont ressenti, non seulement au cours des fausses couches et des IVG, mais aussi pendant les consultations de contraception ou de cancérologie, le suivi de grossesse et les accouchements, la chirurgie, les procédures de PMA ?

Quand il gèlera en enfer, peut-être…

Martin Winckler

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Commentaires fermés sur Un modèle (!??) contemporain de paternalisme médical à la française – par Martin Winckler

Effets secondaires des médicaments : les médecins devraient TOUJOURS croire les patient.e.s



Les premières fois que j’ai entendu décrire les effets secondaires des contraceptions hormonales c’était… en fac de médecine. En 1975 ou 1976.


En cours de pharmacologie, pas en cours de gynéco.


Les pharmacologues attiraient l’attention des étudiants sur les effets « systémiques »  (sur d’autres organes que les organes sexuels) de la pilule. Nous savions (c’était écrit noir sur blanc dans le poly et dans les livres) que les contraceptifs oraux provoquaient parfois des phlébites ou des embolies pulmonaires mais aussi des douleurs des seins, une prise de poids, de l’acné et de la séborrhée, des modifications de l’humeur, des syndromes dépressifs…


On nous avertissait aussi sur les interactions entre contraception hormonale et autres médicaments(antituberculeux, antiépileptiques, certains antibiotiques).


(A noter que la fausse interaction entre stérilet et antiinflammatoires n’était/n’est pas colportée par les pharmacologues, mais par certains médecins et pharmaciens.)


L’une des premières patientes dont j’ai eu à m’occuper s’était retrouvée enceinte parce que le pneumologue qui lui avait prescrit de la rifampicine pour une tuberculose n’avait pas jugé bon de lui dire que cela inactiverait sa pilule. Je pense qu’il n’avait même pas dû lui demander si elle prenait la pilule. Pourtant, ça aurait été logique de lui poser la question : elle avait été enceinte quelques semaines plus tôt , alors qu’elle prenait un autre traitement antituberculeux (l’isoniazide) et elle avait été obligée d’avorter, car l’isoniazide est tératogène.

Ce pneumologue aurait su tout ça s’il avait tout simplement écouté l’histoire de cette femme…



C’était en 1977. Quarante ans plus tard, ça n’a pas changé.


Un certain nombre de médecins continuent à ne pas écouter les femmes qui disent n’avoir plus de libido sous pilule ou avec un implant ou avec un DIU Mirena – alors même que cet effet est connu ET INSCRIT EN TOUTES LETTRES DANS LES NOTICES !!!!


Un certain nombre de médecins (et le fabriquant) continuent à ne pas croire les femmes qui disent souffrir de symptômes très pénibles (douleurs, saignements et autres) après l’implantation d’un dispositif ESSURE, alors que ce dispositif contient du Nickel et que les ALLERGIES AU NICKEL SONT LES PLUS FREQUENTES DANS LA POPULATION !


Ces derniers jours, sur la page FB du CNGOG (Collège national des GynObs), on continue à écrire que « les réseaux sociaux se sont fait une spécialité de dénigrer les gynécologues.  ». https://twitter.com/PresqueRire/status/863779692314329088


Les pauvres ! On compatit de les savoir si marris de se sentir ainsi « accusés ». Cependant, quand ils ne donnent pas les informations et nient ce que les femmes ressentent, il ne s’agit pas d’accusations, mais de reproches fondés…

Et puis, s’il n’y avait pas les réseaux sociaux, les plaintes de beaucoup de femmes resteraient non seulement isolées mais elles seraient complètement passées sous silence. Et un trop grand nombre de médecins continueraient à les balayer d’un revers de main avec des arguments du type « C’est dans votre tête ».


Il est donc temps de le dire et de le répéter clairement (et je m’adresse ici seulement aux médecins qui ne le sauraient pas encore, pas à « tous-les-médecins ») :

Quand un.e patient.e invoque un effet secondaire, un médecin devrait TOUJOURS le ou la croire. TOUJOURS.

En effet, ne pas croire ce que dit un patient est inacceptable d’un point de vue éthique (j’ai détaillé ici le raisonnement à l’appui de cette affirmation).


Dans le cas d’un effet secondaire, ce n’est pas seulement une obligation éthique, c’est une obligation professionnelle et légale. Voici pourquoi. 

1Les patient.e.s sont les premières personnes concernées et menacées par les effets secondaires des médicaments. Les médecins, eux, ne risquent rien.


Les effets indésirables, les patients les subissent (au minimum) au point d’en être très gênés ou (au maximum) jusqu’à en perdre la vie ou encore (entre les deux) à se retrouver handicapés durablement.


Un effet secondaire gênant est nuisible.

« D’abord ne pas nuire » est un principe éthique vieux comme la médecine hippocratique.

Par conséquent, aucun médecin ne peut réfuter un effet indésirable, même s’il n’en a pas connaissance. (Malheureusement, trop de médecins pensent que ce qu’ils ne connaissent pas n’existe pas…) 


Quand bien même cet effet secondaire serait-il « psychologique » (effet nocebo), il n’est pas acceptable de laisser un patient en souffrir. Puisque le rôle du médecin est de soigner. Pas de provoquer (ou de laisser se pérenniser) un effet nocebo !


Par conséquent, toute mention par un.e patient.e d’un effet secondaire (ou, du moins, d’un symptôme associé contemporain, ou consécutif à la prise d’un médicament) doit être non seulement toujours prise au sérieux par le médecin mais aussi conduire celui-ci à proposer immédiatement une modification de traitement (voir plus loin). 



Ajoutons qu’ici, un médecin fait toujours courir moins de risque à un.e patient.e en la croyant qu’en ne la croyant pas. 

En effet, imposer la poursuite d’un traitement mal toléré, c’est au moins pénible, au pire dangereux pour le patient. Changer de traitement (il est rare qu’un traitement soit unique) et passer à un autre, c’est le plus souvent sans danger pour le patient, et c’est indolore pour le médecin. Alors, pourquoi s’en priver ? Par sadisme ? 

2. Les patient.e.s sont les personnes les mieux placées pour dépister les effets secondaires.


Ben oui : c’est dans leur corps que ça se passe. Le médecin peut à la rigueur constater une éruption ou une réaction allergique (si elle se voit) mais il ne peut pas constater un mal de tête, des brulures d’estomac, une diminution de la libido, un vertige, des démangeaisons, des douleurs abdominales, des palpitations, etc. Il est obligé de croire un patient sur parole. Et s’il ne le faisait pas, il ne ferait jamais le moindre diagnostic. 


C’est d’ailleurs en croyant les individus que le fabricant détecte les effets secondaires les plus fréquents : on enrôle des volontaires, on leur donne le médicament, et on les interroge régulièrement sur les effets qu’ils ressentent. Si l’effet est visible (éruption sur la peau, chute de cheveux, acné) on le note. S’il ne l’est pas, on le note aussi car quand quelqu’un dit « J’ai eu mal à l’estomac » ou « J’ai eu mal à la tête » on ne lui fait pas une fibroscopie, ou un scanner, ON LE CROIT !!! Ensuite, quand on rédige la notice du produit, on indique (en principe) tout, avec la fréquence observée chez les personnes ayant reçu le traitement pendant cette phase d’évaluation.



3. Les effets secondaires d’un médicament ne sont pas toujours connus ou identifiés avant sa mise sur le marché. Par conséquent, quand un médecin observe un effet (encore) inconnu, IL DOIT le déclarer !!! (Et, de toute manière, la déclaration des effets indésirables est obligatoire !) 



Pourquoi ne connaît-on pas toujours certains effets indésirables d’un médicament ?


A.     Le fabriquant les connaît mais ne les a pas signalés aux prescripteurs (ou alors en toute petite note de bas de page).


C’est une éventualité fréquente. Les industriels ont tendance à ne pas publier les résultats d’essais qui leur sont défavorables, et à ne pas trop insister sur les effets secondaires graves, en particulier ; voire à les cacher ou à les nier le plus longtemps possible. Quelques exemples :  Thalidomide, Distilbène, Vioxx, Médiator… 



En un sens, quand un médecin réfute un effet secondaire qu’il ne connaît pas, il se fait potentiellement le complice du fabriquant qui l’a peut-être caché, ou ne tient pas à ce que cet effet soit connu… 


B.     Même quand un fabriquant est loyal, il arrive qu’un effet secondaire soit trop peu fréquent pour avoir été identifié lors des essais de tolérance.


Une étude américaine récente rapporte qu’un tiers des médicaments mis sur le marché aux Etats-Unis se sont révélés avoir des effets secondaires non décrits par le fabricant, et ce dans un délai moyen de 4 ans !!!


C.     Certains effets peuvent n’être constatés que chez certaines personnes et pas d’autres !


Je vous renvoie au livre de Peggy Sastre, Le sexe des maladies qui révèle que la plupart des médicaments ne sont testés que chez les hommes, pas chez les femmes, et que les effets toxiques sont par conséquent souvent inconnus chez ces dernières…


Et ce qui est vrai entre les deux sexes l’est aussi d’un groupe ethnique à un autre ! Un médicament testé chez des hommes blancs peut avoir une efficacité (et des effets indésirables) différents chez des hommes d’origine africaine ou asiatique…



4° Croire ce que dit le/la patiente, pour le médecin, c’est seulement la première étape !!!


En effet, une personne peut présenter un symptôme et l’attribuer à un médicament sans pour autant qu’il y ait relation de cause à effet. C’est ce qu’on appelle « l’imputabilité », en médecine. Si vous avez de la fièvre et une toux, ça ne veut pas nécessairement dire que les deux sont liés. C’est très possible, mais ça n’est pas certain. Pour l’affirmer, il faut se pencher sur le problème de très près et l’examiner soigneusement. (Quand on ne le fait pas, on étiquette tous les enfants ayant maux de ventre et diarrhée comme souffrant de gastroentérite, et on passe à côté des appendicites.) 

Autrement dit : les symptômes invoqués par un patient ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le médecin ne doit ni les rejeter, ni en rester là. 


S’il ne vous croit pas, il ne fait pas son boulot.


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Conclusion : que doit faire un médecin quand un patient se plaint d’un effet indésirable ?


A Lui demander de le lui décrire le plus précisément possible et rechercher si cet effet est décrit dans les notices (parfois, les notices accessibles aux médecins sont plus détaillées que celles dont disposent les patients).



Que l’effet secondaire soit connu ou inconnu, il doit le déclarer(aujourd’hui, ça se fait en ligne, c’est rapide et facile.)


B Le médecin doit expliquer au patient à quoi l’effet indésirable est dû, s’il est durable ou non, s’il est inquiétant ou non


C Même si l’effet indésirable n’est pas menaçant, il doit proposer immédiatement au patient de changer de traitement.


Je dis « proposer » car certains effets indésirables sont parfois tolérés par certain.e.s patient.e.s une fois qu’on les a rassuré.e.s sur leur innocuité.


Je pense en particulier à l’arrêt des règles ou aux saignements intermittents avec un Mirena. Certaines femmes ne les tolèrent pas. D’autres les acceptent parce que ça leur semble un inconvénient mineur par rapport aux bénéfices premiers. C’est leur appréciation qui compte, leur perception et leur confort. Pas ceux du médecin… 

Le remplacement du traitement incriminé est non seulement la conduite indispensable à tenir, mais il permet aussi d’apporter des éléments supplémentaires. Dans le cas, par exemple, de la baisse de libido avec un Mirena, le fait de lui substituer un DIU au cuivre (non hormonal) permet très vite (en deux à trois semaines) de confirmer si le symptôme était dû aux hormones. S’il ne l’est pas, l’utilisatrice a quand même une contraception, et on peut chercher une autre cause à cette baisse de libido… 
Ce qui est vrai pour un vêtement qui ne vous va pas ou qui n’est pas confortable, et que vous iriez échanger à la boutique, ça l’est encore plus avec un médicament !!!!

Alors, patientes et patients, continuez à poster sur les blogs et les réseaux sociaux. C’est seulement comme ça que ça fera changer les choses. Comme me le rappelle justement La coupe d’Hygie, « La première notice de médicament mise dans les boîtes a concerné les pilules après une mobilisation des féministes. Dans les années 60, elles se plaignaient de ne pas être écoutées et de ne pas avoir d’information sur le bénéfice et les risques. »

Oui, décidément, certaines choses n’ont pas changé… 

Martin Winckler (Dr Marc Zaffran)


(Note aux pharmacologues, centres de pharmacovigilance, médecins et pharmaciens et internautes non professionnels de santé : si vous identifiez ici des manques ou des erreurs factuelles, ou si vous désirez ajouter des compléments merci de me les signaler à ecoledessoignants@gmail.com ; je les intègrerai à ce billet.)  



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Quiz


Les effets secondaires du Mirena (prise de poids, chute de cheveux, perte de libido, acné, saignement intermittents ou au contraire, arrêt des règles) sont connus et indiqués sur la notice. Ils sont fréquents (jusqu’à 10% des utilisatrices). Pourtant, un certain nombre de médecins ne croient pas les patientes. 


A votre avis, ces médecins-là : 


A.     ne savent pas lire

B.     ne croient que ce qu’ils voient

C.     ont des préjugés sexistes

D.    s’en foutent

E.     sont incompétents

F.     toutes les réponses ci-dessus



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L’abcès – par M. L.

Je travaille en maternité comme sage-femme. Une des patientes que j’accompagne a développé un abcès au niveau du périnée. Une grosse boule douloureuse, inflammatoire, intouchable. Impossible pour elle d’allaiter correctement, de se reposer, torturée par la douleur et se tortillant dans le lit. Je préviens l’interne en gynécologie et certains y vont de leur commentaire. 
Il est rapidement établi que cette femme est plus ou moins responsable de ce qui lui arrive. « Hygiène douteuse », « petit milieu », « déjà qu’elle ne se brosse pas les dents », « et puis l’odeur dans sa chambre », « de toutes façons elle n’écoute pas ce qu’on lui dit ». Je croise les mains. L’important est qu’on s’occupe d’elle, qu’on la soulage et me mettre tout le monde à dos ne l’aidera pas. L’interne est une bonne personne. Elle va la voir puis appelle l’interne de chirurgie pour un avis. Elle propose une analgésie.
Je n’ai pas été prévenue du passage de l’interne en chir. J’accompagnais une autre maman. C’est mon erreur. Mes collègues me racontent avoir entendu hurler si fort qu’elles ont pensé qu’on accouchait dans cette chambre. Je suis happée par une grande blonde en bottes de cuir qui claquent. « Dis moi la dame là c’est impossible de faire ce qu’on doit faire, elle serre trop les jambes. » Je cherche des yeux son badge. « C’est toi l’interne de chir alors ? » Elle soupire : « oui donc j’ai drainé ce que je pouvais mais il faut finir son pansement ça ne colle pas avec la bétadine. » Je reste interloquée, gentiment je sens que nous allons au-devant d’une situation compliquée. « D’accord mais qu’est-ce que tu veux comme pansement ? Qu’est-ce qu’on fait après pour cette dame ? » Elle balaie l’air de sa main : « J’ai mis une mèche il faudra l’enlever vendredi, prends-lui un rendez-vous. » Les soignants qui traitent mal leurs collègues traitent encore plus mal leurs patients, c’est une règle de vie. Je sens que l’urgence est de retourner dans la chambre. J’entre.
La patiente est ruisselante de pleurs. Elle est installée en travers du lit, obligée de recourber la tête sur son torse et de maintenir ses jambes ouvertes avec ses bras bien que cela doive tirer sur sa cicatrice de césarienne. Son sexe est béant, ouvert à tous les regards, elle a les cuisses tellement écartées que je pense immédiatement à « l’origine du monde ». Son abcès se vide sur les draps du lit (les mêmes que ceux dans lesquels elle a dormi). Elle est exposée. Les rideaux ne sont pas tirés. Aucun drap n’est relevé sur elle. N’importe quelle personne entrant dans cette chambre tomberait le nez sur son sexe. Un pansement est vaguement collé en travers de son vagin, sur ses poils. Ma première pensée est de me dire que ça risque de tirer quand je le l’enlèverai. A côté d’elle, sur le chariot de soin abandonné, des instruments ensanglantés, un haricot remplis de pus et de sang, quelques compresses.
L’état de choc est un luxe que les soignants peuvent rarement se permettre. Je me précipite sur la patiente. Je l’aide à s’installer sur le dos. Elle est malentendante alors je le regarde dans les yeux pour lui dire combien je suis désolée, que nous allons tout arranger. Elle pleure silencieusement. Les pleurs silencieux sont ce qu’il existe de pire. Je lui caresse les cheveux, je pose un drap sur elle, j’installe un champ sous ses fesses. Est-ce qu’elle a encore mal ? Non, elle ne sait pas, elle ne sait plus. Est-ce qu’elle a compris ce qui s’est passé ? Sanglots. Elle veut aller faire pipi. Je baisse le lit, je l’aide à se lever, je l’enveloppe dans le drap. Elle me tombe dans les bras et pleure, pleure, pleure. Je lui propose d’aller se soulager, de se rincer un peu le visage avant que je revienne terminer ce pansement et que nous discutions. Elle opine.
Je sors. La colère m’envahit toute entière. Elle me fait vibrer les oreilles comme une tôle sous le vent. Dans le couloir, les collègues reculent sur mon passage. L’air me donne l’impression de vriller autour de moi, d’être aussi brûlant que ma rage. J’arrive dans le poste de soin pour chercher du matériel. Ce que j’ai dit, je ne me le rappelle pas. Les mots que j’ai employés, la façon dont j’ai parlé, je n’en ai aucun souvenir. Je me souviens seulement de ma cadre, replongeant le nez dans ses éternels papiers et d’avoir entendu un collègue me dire : « Je ne t’avais jamais vu énervée comme ça ». Je retourne dans la chambre.
La dame est allongée, le regard perdu. J’essaie d’être la plus douce possible, toujours en l’informant, en lui demandant, en la prévenant, je retire le pansement collé en découpant les poils, je désinfecte au mieux, en effleurant. Mes gestes d’infirmière et de débrouille reviennent, ça me rassure. Je bricole un pansement au mieux, le plus confortable possible. J’aide la patiente à se recouvrir. Je lui propose de prendre son enfant contre elle. Il est réveillé aussi. Que ressent un bébé quand il entend sa mère hurler de souffrance, pleurer de désespoir ? Que ressent un bébé quand les bras qui le prennent tremblent, que la poitrine sur laquelle il se repose tressaute et que des larmes de sa mère lui tombent sur le visage ? Je les installe. Je lui propose d’appeler son mari si elle le souhaite. Elle veut rester seule. Elle me le dit. Je sors.
Je parle à l’interne de gynéco, je parle à la cadre, je parle aux collègues. Je lui dis qu’il faut reprendre la situation avec l’interne de chirurgie, on me répond : « Oui je lui dirai. » Le soin est disséqué, il y a eu de l’analgésie, de l’anesthésie, une sage-femme a dû apporter du matériel, l’interne de gynéco n’a pas pu rester, on remet les choses à plat. On tente de chercher des fautes : 
– Mais pourquoi n’étais-tu pas avec la dame pendant le soin ? 
– Parce que j’accompagnai une autre maman et qu’on ne m’a pas prévenue de l’arrivée des internes. Si j’avais été là, crois bien que ça aurait été différent. 
Je suis dans état qui pourrait retourner une montagne. On se reprend, qu’allons-nous faire maintenant ?
La dame rappelle, elle veut sortir contre avis médical. C’est peu dire que je la comprends mais l’allaitement pose de gros soucis et elle n’a pas du tout de suivi prévu chez elle, ni sage-femme, ni accompagnant. Nous sommes inquiètes et, avec l’interne de gynéco, nous retournons pour parler. Nous installons des chaises pour être au même niveau et nous discutons, je crois presque une heure. Sans argumenter, sans mettre en défaut, nous dialoguons, nous lui faisons des promesses pour la nuit qui viendra, nous lui jurons douceur, écoute. L’interne parle dans sa langue, elle a beau avoir une grande journée dans les pattes, elle lui donne toute son attention, toute sa compassion. La dame accepte de rester. Nous organisons la sortie, le suivi, le retour pour le lendemain. Le soir, durant les transmissions, beaucoup de collègues de jour me rejoignent dans ce que j’exprime, nous sommes toutes soignantes, nous sommes toutes empathiques et nous sommes toutes choquées. J’écris des transmissions. Un pavé.
Le lendemain, rapport du matin en présence de la cadre. La sage-femme de nuit me confirme que la patiente a eu de la peine à s’endormir, que son mari a dû revenir et rester tard, qu’elle a beaucoup pleuré. Je m’adresse à ma cadre : 
« Qu’est-ce que tu en penses ? » 
Ma vraie question est : qu’est-ce que tu penses faire, qu’est-ce que tu VAS faire ? Elle me coupe : « On en reparle après ». Je suis si naïve que je me réjouis : elle doit vouloir reprendre toute la situation pour y apporter la meilleure réponse. Grâce à elle, nous allons pouvoir discuter calmement. Elle a compris et partagé mon émotion mais elle va apporter, par son statut et son attitude, un apaisement nécessaire. L’interne de chirurgie va pouvoir réfléchir à cette situation comme nous tous, sans être ni incriminée, ni vilipendée car nous sommes tous faillibles. Tout le monde a été ou va être maltraitant, sans le vouloir, sans s’en rendre compte et c’est une chose admirable de pouvoir s’en parler et d’avancer pour éviter que cela se reproduise. 
C’est donc sereine que je rejoins ma cadre dans la salle d’attente d’où elle me fait signe.
Une fois la porte claquée, elle se retourne comme une furie, ses yeux lancent des éclairs : 
« Alors cette histoire JE NE VEUX PLUS EN ENTENDRE PARLER !!!! » 
Toute l’équipe constate que cette femme perd de plus en plus ses moyens mais là ça dépasse l’entendement. J’ouvre des yeux comme des soucoupes :
– Excuse-moi mais aux transmissions, je pensais que…
– Tu…tu….tu n’as rien à en penser !!!! Tu m’as demandé ce que j’en pensais eh bien, tu arrêtes maintenant, la dame va bien, tu as fait ce que tu avais à faire, tu l’as consolée, elle sort aujourd’hui, maintenant c’est fini, tout va bien. Tu n’as pas à outrepasser ton rôle. » 
Je suis aussi calme qu’elle est furieuse. 
– Mais, c’est mon rôle. C’est justement mon rôle. On n’aurait jamais traité quelqu’un d’autre comme ça. Il faut qu’il y ait des retours pour que…
-TU N’ES PAS MEDECIN !!! C’est entre médecins !!! Tu n’as pas à expliquer aux médecins comment ils doivent travailler !!!!  
Elle crie d’une voix stridente, on dirait une enfant capricieuse devant un magasin de jouets fermé. « Tu as mis des pressions dans l’équipe hier. A cause de toi il y a eu des pressions toute l’après-midi. » Je ne peux pas m’empêcher de pouffer : 
« Les pressions dans l’équipe ne viennent pas de moi. Arrête, honnêtement ! Ce ne sont pas des questions de hiérarchie ou de médecins. En tant que soignante, je trouve que ce qui s’est passé n’aurait pas dû se passer. » 
Elle tremble de tout son corps en battant l’air avec ses bras : « Ca suffit maintenant !!!! En tant que chef je t’interdis d’en reparler !!! Est-ce que c’est clair ? ». Je sors.
La dame est rentrée chez elle. Pour l’avoir connue et accompagnée quelques jours, je crois que revenir là-dessus lui fera plutôt du mal, elle sait qu’elle peut en reparler si elle le désire. Elle est heureuse en famille et est passée à autre chose. Tant mieux. Ma démission, déjà officieuse, a été reçue dans l’après-midi.
La situation a été discutée assez longuement au cours d’une réunion de servic. On m’a dit que le chef présent ce jour était énervé qu’on embête l’interne de chirurgie parce qu’elle « était venue pour rendre service ». Néanmoins, une décision a été prise : celle d’accompagner désormais les femmes nécessitant ce type de soins dans une salle spéciale où une infirmière sera détachée pour assister les internes de façon à garantir confort et prise en compte de la douleur. 
Mon ego se plait à penser que je n’y suis pas pour rien. Peut-être qu’en faisant une montagne de cette situation, j’ai gagné une crise de nerf papale et une réputation exécrable mais que cela a permis de protéger les prochaines femmes. Si oui, ça n’est pas cher payé. Peut-être que la décision aurait été prise de toutes manières et que tout ce que j’ai fait est était inutile, extrême et belliqueux. Dans le doute, je vais tout de même rester sur le sentiment que l’avenir sera meilleur que le passé.
Ma cadre avait conclu en me disant « Ce qui est juste pour toi n’est pas le juste universel ». 
Certes, certes trois fois certes. Ma conscience, mon juste, mon éthique, rien de ce que je pense ou de ce que je dis n’est parole d’Evangile. En tant que soignante comme en tant qu’individu, je suis faillible, j’ai fait de très mauvaises actions, j’ai fait des erreurs, et j’ai été maltraitante. 
J’ai eu et j’ai encore tant besoin de proches et de collègues pour pallier mes manques et m’accompagner. Chaque soignant est une personne exceptionnelle qui a décidé de consacrer sa vie au bien être des autres et je sais le prix de ce choix. 
Mais revenir sur une situation et demander à y réfléchir après avoir calmé ses sentiments, ce n’est pas une hérésie. Ce n’est pas une attaque. C’est une proposition d’avancer, de nous parler, de nous aider et de communiquer pour changer notre regard, nous améliorer et progresser dans l’intérêt des patients.

Et c’est cela, la substantifique moelle de notre profession, putain de bordel de merde !

M. L. 

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Commentaires fermés sur L’abcès – par M. L.

Appel à témoignage – Les soignants et l’allaitement

Appel à témoignages
Dans le cadre de la rédaction de mon mémoire pour devenir accompagante périnatale (formation certifiante du Cefap) j’ai choisi de traiter de « la place de l’allaitement dans la société « .
Je me suis questionnée sur la formation de nos soignants, sages-femmes, médecins généralistes, gynécologues, pédiatres…ont ils des cours sur l’allaitement? Ce sujet est il traité pendant leurs études ? Apprennent ils à accompagner les parents qui souhaitent un allaitement maternel pour leur enfant ?…
Questions pour lesquelles je n’ai pas réussi à obtenir de réponses pour le moment.
Mon appel s’adresse à toutes personnes susceptibles d’avoir des informations concernant la place que tient l’allaitement dans la formation des soignants.
Je vous remercie grandement d’avoir pris le temps de me lire. Bien cordialement. Chloé Tilly c.tilly@hotmail.fr Continuer la lecture

Commentaires fermés sur Appel à témoignage – Les soignants et l’allaitement

Alors elle se tait – par Florence Braud

Coralie a 20 ans. Elle est élève aide-soignante. Dans le service d’orthopédie dans lequel elle effectue son stage, elle voit et entend des choses qui la mettent mal à l’aise. Des gestes parfois brusques, des paroles blessantes. Mais Coralie ne dit rien. Parce qu’elle est stagiaire. Parce qu’elle doit valider son stage. Parce que ça n’est pas à elle, la petite jeune, de dire quelque chose aux soignants diplômés. Alors elle se tait.
Coralie a 22 ans. Diplômée depuis peu, elle effectue des missions d’intérim. Dans certains établissements, elle voit et entend des choses qui la mettent mal à l’aise. Des moqueries, des toilettes vite expédiées. Mais ça n’est pas à elle, l’intérimaire de passage, de dire quelque chose. Alors elle se tait.
Coralie a 25 ans. Après quelques années d’intérim, elle aimerait se poser un peu. Elle enchaîne les CDD au sein d’un EHPAD, en espérant décrocher un CDI. Elle voit et entend des choses qui la mettent mal à l’aise. Des petites humiliations quotidiennes, des repas trop vite expédiés. Mais Coralie espère un CDI, alors ça n’est pas le moment de se mettre l’équipe à dos. Et puis, ça n’est pas à elle, la remplaçante, de dire quelque chose. Alors elle se tait.
Coralie a 26 ans. Elle est enfin en CDI. Elle voit et entend des choses qui la mettent mal à l’aise. Des sonnettes débranchées, des résidents qui restent dans leurs protections souillées trop longtemps. Mais bon, elle est en période d’essai, alors serait-ce prudent d’aller critiquer ses collègues en ce moment? Et puis, est-ce vraiment à elle de le faire? L’infirmière serait mieux placée qu’elle non? Alors elle se tait.
Coralie a 30 ans. Elle est toujours en CDI dans le même EHPAD. Elle voit et entend des choses qui la mettent mal à l’aise. Mais cette année, elle passe le concours infirmier et, si tout se passe bien, sa formation sera financée par son employeur. Ce serait dommage de passer à côté d’une si belle occasion pour quelques paroles malheureuses! Alors elle se tait.
Coralie a 32 ans. Elle est élève infirmière. Dans le service de gastro-entérologie dans lequel elle effectue son stage, elle voit et entend des choses qui la mettent mal à l’aise. Des jugements, des sarcasmes, des « il l’a bien mérité ». Mais Coralie doit valider son stage. Alors elle se tait.
Coralie a 35 ans. Elle est infirmière. De retour à l’EHPAD, elle voit et entend des choses qui la mettent mal à l’aise. Mais c’est compliqué, parce que bon, quand même, ça fait 10 ans qu’elle travaille ici, alors elle ne se voit pas jouer à la cheffe avec ses collègues. Alors elle se tait.
Coralie a 45 ans. Elle s’est habituée aux choses qui la mettaient mal à l’aise. Les jugements, les moqueries, les gestes un peu brusques… Elle s’est habituée à tout ça, parce qu’au fond, cette équipe est sympa, tout le monde se connaît depuis longtemps ici, c’est un peu comme une grande famille. Et puis, il faut avouer que certains résidents sont difficiles quand même, alors rire un peu entre collègues, ça détend, ça permet de supporter les conditions de travail et les horaires à rallonge. Alors elle se tait.
Coralie a 90 ans. Infirmière à la retraite, elle est en EHPAD. Mais maintenant, quasi grabataire, elle ne passe plus ses journées en salle de soins mais dans sa petite chambre. Et, du fond de son lit, elle voit et entend des choses qui la mettent mal à l’aise. Des gestes brusques, des paroles déplacées, des moqueries. Mais ni les stagiaires, ni les aides-soignants, ni les infirmiers ne disent jamais rien à personne. Et elle, Coralie, n’ose jamais se plaindre, parce qu’elle sait bien que les soignants sont débordés, parce que certains sont quand même gentils avec elle, et parce que ça pourrait être pire après tout. Alors elle se tait.

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Les mots peuvent faire très mal, surtout ceux des médecins – Une conférence d’Irène Frachon

 Je reproduis ici la conférence donnée par Irène Frachon au séminaire « Entre Humanités & Sciences Médicales » de l’Université de Bretagne Occidentale le 8 février dernier.

Elle y aborde bien sûr l’affaire du Mediator, qu’elle a contribué à mettre au jour, et la souffrance des victimes de ce médicament, mais aussi plus largement la notion de « lexicovigilance » – qui consiste à identifier et dénoncer la nocivité du discours de certains professionnels de santé. 

Je la remercie d’avoir autorisé « L’école des soignants » à reproduire cette conférence.
MW 












***


«   Chers étudiants en médecine, chers collègues, cher Christian,

Mon cher Christian, tu m’as fait l’honneur de me proposer d’introduire ce premier séminaire placé au cœur des interactions nécessairement présentes entre sciences humaines et médicales. Tu comptais je crois également sur la présence de Michel Serres, philosophe humaniste et bienveillant, et cela m’avait encouragée à accepter. Il n’est malheureusement pas disponible.

Me voici à présent très impressionnée par cette mission, dévolue à une non spécialiste des sciences sociales autant que non spécialiste de l’éthique du soin. Une profane en quelque sorte. Cela me conduit donc  à aborder cette conférence essentiellement sous l’angle du témoignage personnel, fondé sur l’expérience, avec le souhait de partager des réflexions construites à postériori sur ce vécu et abandonnant d’emblée toute prétention de prodiguer une leçon à quiconque. Des leçons, des retours sur mes propres erreurs ou mes errements, je continue à en prendre tous les jours….

Je me présente ainsi devant vous, en toute humilité, avec le désir d’être sincère et j’espère un peu utile pour alimenter les échanges futurs que soulèvent les questionnements de la bioéthique. Mon expérience se fonde aujourd’hui sur 30 ans d’exercice médical en tant que pneumologue des hôpitaux mais aussi sur mon engagement dans la dénonciation des effets du Mediator, engagement et tournant dans ma vie de médecin qui a débuté il y a tout juste dix ans, en 2007. C’est donc en puisant dans ces ressources que je m’adresse à vous.

 Le champ de la bioéthique englobe les quatre principes fondamentaux suivants : la bienfaisance, la non malfaisance, l’autonomie et la justice.

Vous allez approfondir dans chacun des ateliers proposés les notions essentielles de la relation qui se tisse entre un médecin et son patient, ou devrais-je plutôt dire entre un malade (rien ne dit qu’il sera « patient » !) et son médecin et le fait que cette relation constitue un levier puissant de la qualité du soin prodigué (ou a contrario un frein à la qualité de la prise en charge).

Cette notion essentielle de la part humaine, très intuitive, son poids dans l’acte thérapeutique, s’est confrontée à la science médicale contemporaine, ses méthodes d’étude et d’évaluation et notamment l’appui de la médecine fondée sur les preuves, (EBM). Avec cet outil puissant, il a été possible d’approfondir, valider, enseigner, formaliser cette part humaine (sans occulter le risque « réducteur » d’une telle approche), l’humanisme au cœur du soin et constitutif de sa qualité au même titre que les compétences techniques, scientifiques patiemment apprises durant de longues années d’étude. 
J’ai donc parcouru le programme des ateliers, programme riche et prometteur qui décline l’approche humaine en situation clinique, en situation de responsabilité, d’information et de communication, de dialogue au moment de l’annonce d’un diagnostic ou dans l’abord des proches et des aidants d’un malade. Dans toutes ces situations de mise en communication, dans une perspective de bienfaisance, le rôle de la parole, du mot, du verbe est essentiel, central, et même vital.
Vous allez aborder la communication envers les patients sous l’angle de la bienveillance. L’autre principe, implicitement sous-entendu dans cette démarche est celui de la non malveillance. La non malveillance, c’est l’impératif de ne pas nuire, primum non nocere. Primumveut dire d’abord, avant toute chose. Cela peut paraitre évident, bien sûr, puisque que vous avez choisi ce métier pour être médecin ! C’est-à-dire pour soigner, pour prendre soin, pas pour faire du mal. Chacun sait que la santé est sacrée ! Et pourtant, depuis 10 ans, je suis confrontée aux conséquences effrayantes d’une maltraitance (au sens littéral du terme) exceptionnellement grave, massive, une affaire qui frappe de plein fouet et interroge le fonctionnement (ou plutôt le dysfonctionnement) d’une large part du corps médical français. Rien que ça !

C’est donc ce dernier angle, un peu dérangeant, mais essentiel à entendre, que j’ai choisi d’aborder très explicitement en introduction à ce séminaire. La maltraitance est l’écho obligé, le côté « face » mais face sombre, à partir de laquelle se définit la bienveillance. J’ai le souhait que cela agisse comme une mise en éveil et prévienne le risque d’une vision tronquée des enjeux, qui se limiterait à un mode d’emploi « comment être gentil avec son patient » en écartant de son champ de conscience les risques de blesser et faire du mal à celui dont on doit prendre soin. Comme s’il s’agissait d’un risque improbable, négligeable. Et pourtant.

Pour en rendre compte, il faut aller en quête du témoignage des patients eux mêmes, à commencer par soi-même, lorsque l’on passe de l’autre bord.

***
[Exemple personnel en tant que mère d’une petite fille de 2 ans, avec une fracture de la clavicule. Urgences hospitalières le soir tard. Remarque excédée de l’interne aux urgences : « et c’est pour ça que vous me dérangez ! »]  

Que s’est-il passé ? Je n’étais plus un médecin, jeune chef de clinique etc. …mais une jeune mère anxieuse en situation de vulnérabilité. Je voulais seulement que ce médecin, cet interne arrogant soigne mon enfant. De telles paroles injustes, méprisantes, restent gravées en lettres de feu dans la mémoire et risquent de recouvrir en partie le bénéfice espéré de la prise en charge, recouvrir la guérison par une souillure difficile à guérir. 
Certaines paroles de soignants peuvent agir comme des blessures aiguës, engendrer un traumatisme,  ou agir comme des poisons lents.  (NB : ne croyez pas que les malades ne retiennent que cela, ils restent aussi marqués par les « bonnes » paroles, celles qui informent, qui rassurent, qui consolent et en sont reconnaissants bien volontiers, en courriers et en présents). Pour en revenir aux paroles blessantes, c’est je crois cela qui est à l’origine de la majorité des plaintes que doivent traiter les médiateurs des hôpitaux, ainsi que me l’a confirmé le Professeur Jean-Jacques Kress, médiateur pour le CHU de Brest, avec qui j’ai eu l’occasion d’aborder ces questions.

J’ai pu moi-même, jeune médecin,  déraper ainsi en prononçant l’irréparable  (au passage, l’injonction pour rattrapper une maladresse « oubliez ce que je viens de dire » n’efface pas, même s’il faut savoir s’excuser), par agacement, mise en difficulté (inexpérience, crainte de perte d’autorité, stress), maladresse, erreur contextuelle, non ajustée à la gravité de la situation dans laquelle le patient se trouve plongé. 
Je n’ai pas non plus oublié, les joues rouges de honte, un courrier reçu d’une famille se plaignant amèrement d’un comportement attestant à un moment d’une certaine désinvolture de ma part dans la prise en charge d’un patient gravement atteint. Que n’ai-je pu bénéficier à cette époque d’un enseignement de « SHS » qui m’aurait peut-être évité cette douloureuse (pour les patients et leur famille)  courbe d’apprentissage en « humanités » !

Autre exemple, j’ai réalisé  la représentation déformée que peuvent élaborer les patients face à des énoncés par exemple statistiques qui nous paraissent à nous de signification évidente  voire triviale (Pour un patient greffé, s’entendre dire 50 % de survie à 5 ans = quasiment mort dans 5 ans avec une échéance qui se rapproche inéluctablement !)

***
Primum non nocere. Dans l’affaire du Mediator, tout à la frénésie du progrès thérapeutique en marche, quasi déifié, de l’innovation, des progrès de la médecine, on a vu sombrer toute prudence à l’égard de ce principe fondateur. Le bilan se compte en centaine de morts et dizaines de milliers d’invalides cardiaques.

[Résumé technique de l’affaire du Mediator : un poison mortel formellement identifié puis sciemment dissimulé pendant plus de 10 ans afin de permettre la poursuite d’une commercialisation effrenée]

Ce principe bafoué, allié à une criminalité hors norme de la part du laboratoire concerné (non la santé n’est pas sanctuarisée !) n’a pas concerné seulement l’usage sans prudence d’une molécule chimique dangereuse.

Je me suis rendu compte de l’impact puissant, potentiellement dévastateur de l’usage des mots, parfois directement blessants pour le patient mais aussi professionnellement nocifs pour établir correctement un diagnostic, une prise en charge, une guérison et même une réparation. Autrement dit le mot, générateur de mauvais soin et de faute professionnelle.

Dans l’affaire du Mediator il y a « le médicament qui tue » et une pharmacovigilance prise en défaut, mais derrière émerge « la parole qui tue », iatrogène, qui accomplit des ravages encore jusqu’à aujourd’hui.

 Ainsi en a-t-il été pour le drame du Mediator, conséquence des ravages de l’« obésité morbide »

       De la notion du « bon vivant » à celle de « l’obèse morbide », « comorbide »… jusqu’au « mauvais mort » en puissance, avec une stigmatisation menant à des prescriptions puissamment iatrogènes incluant cocktails amaigrissants et Mediator.  

       Aveuglement quant au diagnostic : Les patientes obèses étaient essoufflées forcément parce qu’obèses en négligeant la part majeure de la valvulopathie ou de l’hypertension pulmonaire causées par le Mediator. L’explication s’est arrêtée là, accompagnée d’injonctions parfois féroces pour maigrir à tout prix alors que la cause était ailleurs.

       Difficultés d’imputation des troubles au Mediator et sous évaluation de l’indemnisation (idem)

       Impact psychique majeur avec cette parole fréquente d’expert : c’est l’« obésité morbide » opposée à chaque plainte fonctionnelle exprimée. On ne retient in fine que le « préjudice médiatique » !

Témoignage d’une victime :

« Bonsoir Docteur,

> Hier ma fille m’a accompagnée voir  « La fille de Brest », j’ai beaucoup pleuré …

> En temps que victime du médiator je tenais à vous faire part de mon témoignage.

> En 2006 j’ai été opérée du cœur à B. au CHU de  H. , remplacement de la valve aortique et de la valve mitrale par des valves mécaniques donc sous Previscan à vie.

> J’ai pris le mediator pendant des années dans le cadre médical, il m’était  prescrit pour les triglycérides et il m’a été prescrit au delà de mon opération jusqu’à son retrait sur le marché. Quand je posais des questions suite à ce que j’entendais sur le mediator il m’a été répondu que de toute façon je ne risquais plus rien vu que j’avais été opérée. (nb : à un autre patient « tu es réparé, tu fermes ta gueule »)

> Le mediator m’a volé ma vie à 45 ans, il m’a tout pris …… après mon opération du cœur mon mari est parti…..j’ai du me battre pour reprendre mon travail et les ennuis de santé se sont enchaînés les uns derrière les autres…

> Je vais à B. 2 fois par an pour le bilan cardio, je ne prenais jamais le VSL, je me fais conduire avec ma voiture personnelle depuis 10 ans. Depuis 2 ans la Sécurité Sociale refuse de me rembourser mon carburant et me prend en charge que sur la base du CHU le plus près de chez moi soit L.

> J’ai fait appel de cette décision que je trouve injuste, il m’est plus difficile de changer de cardiologue que de coiffeur……

> J’ai passé 2 expertises pour la prise en charge des déplacements, lors de la 2eme je me suis faite insulter : le médecin soit disant expert pour donner son avis m’a dit en me fixant : « si je comprends bien vous venez me faire chier pour vous faire rembourser 30.00€ de carburant », je me suis levée et je suis partie. Une fois sa porte passée j’ai pleuré, je me suis effondrée arrivée à ma voiture.

> Je suis désolée d’avoir autant de chose à vous raconter, j’ai essayé de résumer au maximum mais c’est pas facile de dire ce que l’on a sur le cœur apres tant d’années. »

***

Le drame du Mediator m’a offert l’opportunité de rencontrer de nombreux acteurs, engagés dans la réflexion autour du soin, dont j’avoue que j’ignorais à peu près tout (en dehors de la revue Prescrire). « SHS » bien entendu, éthiciens, philosophes du soin, historiens de la médecine, écrivains (comme Martin Winckler) et également blogueurs de grande qualité, souvent médecins généralistes comme le docteur Dominique Dupagne ou la célèbre Jaddo. Des gens qui ont réfléchi bien avant moi aux travers et déviances éthiques du monde des soignants pour les dénoncer et/ou en témoigner. Et naturellement, la maltraitance  de « brutes en blanc » ne leur a pas échappé pas plus que les risques des mots qui blessent.

«  Les brutes en blanc » –  je vous invite à découvrir ce dernier opus de Winckler, malgré et peut-être à cause des résistances et critiques féroces que ce livre a déclenché en France sitôt paru. Un  vrai tir de barrage !! Jusqu’à un communiqué de presse en bonne et due forme du CNOM. Si ce dernier reconnait que « comme toute profession, la profession médicale n’est pas épargnée par les dérives de certains professionnels » il défend l’idée que « ces cas restent extrêmement rares ».  Cette réaction violente de défense aux accents très corporatistes interroge autant qu’elle révèle la pertinence du propos. On peut critiquer ce livre, mais la question qu’il soulève renvoie à une réalité « ordinaire » dont je peux témoigner s’agissant de la maltraitance médicale fréquente (notamment verbale) qui s’abat sur les victimes du Mediator.  

***

Quant à Jaddo, je me permets de vous faire découvrir quelques extraits de billets de blogs que vous pourrez retrouver en ligne et qui illustrent mon propos :

« Pardon, je m’apprête à parler de l’importance des mots… (roulements de tambour) et des maux ! (hilarité du public, extase contenue, standing ovation). Ensuite, on va aborder rapidement le registre des mots connotés.
De l’obésité « morbide » .
Des pertes vaginales « sales » .
De la « tumeur » qu’est rien qu’un banal kyste et qui dans ton vocabulaire à toi s’appelle « tumeur » sans que ce soit effrayant dans ta tête.
De tous ces mots dont je perçois la violence et que j’essaie d’expliquer et d’enrober quand ils ont été écrits ou dits par d’autres, et de ne pas dire quand c’est moi qui ai envie de les dire.
J’ai eu la patiente la plus courageuse du monde (vous pensez tous que c’est vous qui l’avez eue, mais détrompez-vous, c’est moi…) qui a bravé son cancer de la gorge mieux que Samson les philistins.
Qui a tout encaissé sans broncher : les rechutes, les huitièmes lignes de chimio, les sondes naso-gastriques, les métastases encore et encore et n’en jetez plus, et que j’ai vue s’effondrer une seule fois, une seule, du diagnostic à sa mort.
Elle était venue les larmes aux yeux (fait inédit) avec son compte rendu de cancéro dans la main. Elle me l’avait tendu, et à voir sa tête, j’imaginais déjà la fin de son monde. J’ai parcouru la lettre, qui était plutôt (pour une fois) pleine de bonnes nouvelles. Des trucs qui régressaient, des scanners qui s’amélioraient, des traitements qui marchaient enfin un peu.
J’ai fini, à force de points d’interrogation, par comprendre ce qui la bouleversait à ce point.


« Tolérance médiocre de la chimiothérapie » .
Dans mon cerveau à moi, c’était plutôt gentil. Alors que d’habitude (et re pardon et re tous sont pas comme ça mais dans mon coin si) (change de coin, me direz-vous) les oncologues ont une furieuse tendance à écrire dans leurs lettres « Elle pète la forme » quand tu vois ta patiente tellement amoindrie amaigrie assourie ((assouri, c’est quand tu as arrêté de sourire)), moi j’entendais plutôt ça comme, pour une fois
, « La pauvre, elle a vraiment morflé, elle a été courageuse » .

Elle, et je ne l’ai compris qu’au bout de beaucoup trop longtemps, elle avait entendu « médiocre » .
Comme dans les bulletins du collège en 6ème.
Comme dans « Bon, elle a fait sa chochotte, à pas tolérer sa chimiothérapie… »


J’ai re-compris le pouvoir des mots alors que je pensais l’avoir cerné et ne l’avoir pas oublié. Et maintenant, je me méfie de médiocre comme je me méfiais de tumeur et de morbide et de sale.


Mais combien de pathologies ai-je annoncées d’un mot rapide comme si les gens savaient à coup sûr, et de combien de mots violents n’ai-je pas saisi la portée ? Sans doute plein, que j’oublie à mesure de mon SAVOIR grandissant, mais que la fille en moi en P2 aurait entendus en se grattant les couettes, certes, mais au moins en sachant le plus important : qu’ils n’étaient pas évidents. »


Commentaires sur le blog 

 « Encore merci… Quand le médecin m’a dit « obésité morbide » pour la première fois, j’ai été si mal, si horrifiée, si morte dans ma tête, que j’ai pris 10 kg en moins de 3 mois. Pour justifier ce que j’entendais, à savoir « tu vas mourir dans ta graisse, c’est écrit sur mon truc médical fiable. Je ne vous parle même pas de ma nièce et de son « hirsutisme majeur ». Prendre ça dans la gueule à 20 ans, c’est juste un pousse-au-suicide.  Ca nous a fait du bien de pleurer dans les bras l’une de l’autre, tiens, l’obèse morbide et l’hirsute majeure. »

Christelle dit: 6 janvier, 2016 à 10 h 21 min
« Ah oui, les mots… Comme ce toubib qui a annoncé à ma grand-mère (85 ans) qu’elle souffrait de démence parce qu’elle avait foiré le test de l’horloge…
Je la revois encore quelques semaines plus tard me disant « ah, j’suis pas folle, quand même » parce qu’elle se souvenait du prénom de ma fille… »



« J’ai connu Mme B. au tout début de mon remplacement chez le Dr Cerise.
Je l’ai très vite pas aimée du tout. Au bout de ma troisième consult avec elle, j’écrivais dans son dossier : « Moi je trouve surtout qu’elle consulte beaucoup trop souvent pour une femme de 32 ans » . Et la fois d’après : « Il faut arrêter les examens complémentaires ». Elle était INSUPPORTABLE.
Il fallait l’arrêter trois fois de suite pour une sinusite à la con.

Elle avait encore trooooop mal. Et elle se sentait encore troooop pas bien.
Elle avait obtenu haut la main le record de lapins sur la plus petite durée de temps envisageable.
J’veux dire, la meuf était capable de te poser trois lapins sur la même matinée.
Elle venait pas à son rendez-vous de 8h. J’appelais, à 9h30, elle avait pas pu venir, elle s’était pas réveillée, vaguement pardon, elle reprenait rendez-vous à 11h45. À 11h43 elle appelait pour dire qu’elle annulait le rendez-vous de 11h45 et elle en reprenait un à 12h30. Et puis elle arrivait à 13H12, en disant : « Oui mais on a dû habiller sa Barbie » .

Moi je pétais un plomb. « On a dû habiller sa Barbie »,  sur le TROISIÈME rendez-vous de la journée, je me sentais pousser des veines sur mes tempes dont je ne soupçonnais pas l’existence.
Au 12ème lapin, du haut de ma troisième année d’exercice et de mes 30 ans, j’ai tapé du poing sur la table.

Je l’aurais peut-être pas fait pour une autre, mais elle m’agaçait tellement, avec ses bajoues vides et son regard bovin et son « On a dû habiller la Barbie »  l’air de s’en foutre totalement, sans dire pardon ou désolée ou mes couilles, j’ai craqué. J’ai demandé son aval à mon chef, et je lui ai dit que les prochaines fois, ce serait 40€ la consult. Voilà. AHAH ! Toc !

J’ai pris mon air docte, je lui ai dit que maintenant ça suffisait, et que pour tous les retards, ce serait 40€. Je l’aurais fait sans doute pour personne d’autre, mais elle, vraiment, elle me sortait par les yeux. Elle a hoché la tête et elle a payé 40€ et je me suis dit que j’avais rudement bien fait.
Parce que comme ça JE LUI APPRENAIS, voyez ?

Et pourtant, ça fait un moment que je vous le raconte, j’aime tout le monde.
J’aime tous mes patients, depuis mes tripes. J’aime les gros, les moches, les qui sentent mauvais (je crois que j’aime ENCORE PLUS ceux qui sentent mauvais), et allez savoir pourquoi aussi les méchants, les racistes, les homophobes.

Je pardonne des trucs à mes patients que je ne pardonnerais jamais au reste du monde dans le reste de ma vie.J’ai un puits d’amour à peu près sans réserve.
Et elles deux (et là encore je dis elles deux parce que je vous ai parlé d’elles, mais il y en a beaucoup d’autres que sans savoir pourquoi, sans vraie raison, j’ai haïes), elles deux je les détestais.

 Le temps  a un peu passé. J’ai arrêté d’écrire « Elle consulte beaucoup trop ! » et « Elle est agressive sans raison… » dans mes dossiers. J’écrivais « Plaintes multiples habituelles », et je faisais des tours de passe-passe avec du Spasfon et du Laroxyl.

Et puis, quatre ans après, en les revoyant, j’ai vu des notes.
Pas de moi, des notes de l’autre médecin que je remplace, ou de celui qui remplace le même médecin que moi.

Mme B. était cognée par son mari. Tous les jours. Fort.
Quand elle arrivait en retard, elle disait « On devait habiller la Barbie  » , parce que si elle partait avec la Barbie à moitié nue, elle s’en prenait une, ou deux. Ou trois, sans raison. Parce que la Barbie était nue. Et que ça elle pouvait pas le dire.

Moi, Mme B. je lui ai fait payer 40€ ses violences, parce que ça se faisait pas. Je l’ai pourrie, parce qu’elle était incorrecte. J’avais un truc au fond du ventre qui me faisait la haïr, alors que j’aimais d’amour vrai des gens bien pires sur le papier qu’elles.

Entre deux, j’étais allée sur Twitter. J’avais rencontré des gens, des victimes ou des médecins sensibles, qui m’avaient appris un peu que quand tu détestes une patiente super reloue, peut-être ça vaut le coup de poser la question. J’ai relu en vitesse mes consultations d’il y a 5 ans, mes réactions du moment, et j’ai eu un peu, beaucoup, à la folie honte.

J’ai revu Mme B. J’ai lu les violences dans son dossier.

J’ai regardé mon pied gauche, et puis mon pied droit, et je me suis dit qu’il fallait le dire.
J’ai dit : « Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais il y a quatre ans, j’ai été un peu dure avec vous, parce que vous étiez toujours en retard… »
Elle a dit « Oui, je me souviens. »
J’ai dit : « Je m’excuse. J’aurais dû me rendre compte, j’aurais dû poser la question, je ne l’ai pas fait. »
Elle a dit, avec toujours son œil impassible : « Oui, vous auriez dû. »
J’ai dit « Je suis désolée. »
Elle a dit « C’est pas grave, merci. Personne ne l’a fait. »
***
La maltraitance, ici par les mots, n’est pas seulement dénoncée ou racontée par ces médecins, elle est aussi un sujet de préoccupation pour les autorités de santé. En 2009, la HAS missionne Claire Compagnon et Véronique Ghadi pour un rapport qui sera intitulé « La maltraitance ordinairedans les établissements de santé ». Je souligne le mot « ordinaire » qui ne veut pas dire « mineur » mais inclut  la notion inquiétante de banal. Le travail de Claire Compagnon va se centrer sur la parole des patients (orale ou écrite) afin d’éclairer cette notion plutôt que d’évaluer le poids « quantitatif » de cette maltraitance.

Il est instructif de découvrir le sommaire du chapitre 1 où sont abordés les types de maltraitance selon les personnes hospitalisées et leurs proches :

« 1. La maltraitance liée aux comportements des professionnels

1.1 Un malade transparent, un malade objet

1.1.1 Quand les professionnels échangent et discutent entre eux, en présence du patient

1.1.2 Quand les professionnels n’entendent pas ce que leur disent les malades ou leurs proches

1.2 Les pressions psychologiques

1.2.1 Les menaces et humiliations

1.2.2 La culpabilisation des proches

1.2.3 Les représailles : de l’« engueulade » à la punition »

(nb : au passage, on doit distinguer les notions de maltraitance et de violence, violence peut concerner médecin soignant et patient bien entendu, mais on ne peut parler de patient maltraitant seulement de patient violent qui nécessite une posture adaptée du soignant. Cet aspect n’est pas abordé ici.  Et d’ailleurs une parole peut être maltraitante sans être violente comme nous allons le voir dans l’exemple suivant)

Dans le chapitre «  pressions psychologiques »  figurent donc  « Les menaces et humiliations ». En voici des extraits :

« Les patients interrogés relatent des situations d’humiliation, des propos blessants ou des menaces implicites ou explicites. La situation de dépendance des malades exige de la part des professionnels une attitude qui atténue cette dépendance, au moins symboliquement, en faisant preuve d’égards, en étant attentifs à traiter la personne à égalité. Or, sans même qu’ils en aient conscience certains propos des professionnels peuvent blesser ;

C’est ce qui s’est passé pour cette patiente lors de l’annonce de son diagnostic.

« Le gynéco que j’ai vu m’a dit que j’avais un cancer. « Il m’a dit on peut vous guérir mais  il va falloir enlever le sein » Je n’étais pas contente. Il m’a dit « à l’âge que vous avez ce n’est pas un problème ». Je lui ai dit que j’aimerais bien voir sa réaction si on lui annonçait qu’on lui en enlevait une ! » (Personne hospitalisée, témoignage écrit) »

Autre témoignage : « Le Dr A, pédiatre, chef du service, vient nous voir et nous demande de le suivre dans un bureau (afin de parler loin des oreilles sensibles de Coralie). Il nous parle de la greffe, de ses dangers, sans peser ses mots. Il fonce droit devant. Il faut savoir que c’est une opération dangereuse, très dangereuse, avec risque d’embolie gazeuse, de septicémie générale, de thrombose veineuse, de greffon qui ne fonctionne pas. Il ne nous épargne pas les détails. A chaque mot, j’accuse le coup. J’ai l’impression qu’on me tape sur la tête et que je m’enfonce chaque fois un peu plus. 
Ouf ! Quelqu’un arrive. C’est le Dr B. Celui qui de ses doigts d’or a déjà sauvé tant de vie. Des regards  s’échangent et je sens tout de suite qu’il a compris, sans un mot de ma part, la tempête intérieure que je subis. A, le pédiatre, a l’air gêné. Il explique que nous parlions d’aller visiter la réanimation. Menteur ! B, par sa sérénité, son sourire, son regard me calme.» (Parents d’enfant hospitalisé, témoignage écrit, site SPARADRAP)

Nous ne sommes pas dans toutes ces situations, à débattre de problématiques éthiques « nobles »  de communication, comme par exemple « faut-il dire la vérité au malade ?» mais de la toxicité des mots (ou de l’absence de mot !), du registre lexical utilisé (du choix des mots), de la mauvaise gestion et maitrise par le médecin de ses émotions conduisant à des réactions et paroles traduisant agacement, mépris, jugement, incompréhension, culpabilisation, « leçon de morale » etc. 
Cela vaut dans toutes les situations, d’urgence (majorée par le stress du soignant), d’annonce ou d’éducation thérapeutique. Je pense ici à l’injonction autoritaire et/ou paternaliste privilégiant la sacro-sainte compliance thérapeutique face à toute autre considération et qui a conduit tout droit au drame de la Depakine, consommé pendant la grossesse chez des patientes non informées des risques très importants qu’elles prenaient pour leurs enfants. Le fameux traitement « à vie », encore un mot qui peut tuer ou abimer.
J’attire  l’attention également nécessaire pour les mots écrits, par exemple dans les comptes rendus médicaux, maintenant accessibles (loi Kouchner) au patient ou ses proches.

J’en profite aussi pour souligner que cette « iatrogénie » des mots englobe plus largement les relations interprofessionnelles entre différents acteurs de soin : entre collègues, mais aussi de professeurs à étudiants, entre médecins et professionnels « paramédicaux » qui sont des acteurs et collaborateurs à part entière dans le dispositif mis au service du soin, bien que trop souvent relégués aux titres de « sous-fifres » et/ou exécutants de moindre importance. Le respect, la collaboration synergique d’égal à égal, la bienveillance et ses effets bénéfiques doivent aussi s’appliquer à toutes ces situations interprofessionnelles, ce qui incite à un changement de culture et de paradigme…. (Rappel d’une actualité récente avec le suicide du Professeur Jean-Louis Megnien)

Pour tenter d’aller un peu au-delà des témoignages, je souhaite à présent faire référence à  quelques énoncés et réflexions glanées ça et là, dans des ouvrages consacrées à la réflexion éthique autour du soin, pour donner des pistes d’ouvrages à consulter, également réfléchir à l’apport de ces textes à notre réflexion.

***

Didier Sicard (président d’honneur du CCNE) en préambule d’un livre intitulé « petit traité de la décision médicale » déclare : « Si l’humanité du malade transparait dans son exigence de franchise dans le ton, dans sa soif d’authenticité dans la relation, elle se révèle aussi parfois dans sa vulnérabilité à l’expression de la moindre parole qu’il jugera cruelle, indifférente ou trop désinvolte. »

Pierre Le Coz (philosophe, auteur du petit traité de la décision médicale) met en garde « le médecin qui risquerait d’ajouter à l’injustifiable [i.e. la maladie], l’injustice d’une parole inamicale »

Enfin je ne saurais que vous recommander, pour ceux qui souhaiteraient approfondir leurs réflexions sur la communication en santé et trouver des fondements théoriques mais aussi pratiques et pragmatiques à cette thématique, l’ouvrage « La communication professionnelle en santé » de deux universitaires canadiens (Claude Richard et Marie-Thérèse Lussier) dont voici deux extraits :

 « Le dialogue (pour les professions de santé) constitue un engagement de l’un envers l’autre. L’importance attribuée à cet engagement s’est traduite par la production d’une charte sur le professionnalisme médical (plusieurs sociétés savantes de médecine interne américaines et européennes en 2002) « qui veut concourir à assurer des rapports plus engagés entre les patients et les médecins ». Pour les auteurs de la charte, « les conditions actuelles de l’exercice de la médecine poussent les médecins à mettre en veilleuse leur engagement envers la primauté du patient ». Ainsi les principes qui ont guidé l’élaboration de cette charte « tournent autour de la primauté du bien-être du patient, de son autonomie et de la justice sociale ». 
Cependant l’engagement du médecin doit aller au-delà de ces trois principes et devrait s’appuyer également sur les principes d’égalité, de solidarité et de responsabilité liés à « une seule et même source de la morale : la vulnérabilité humaine ». Si on considère que « le dialogue permet d’humaniser la relation entre deux êtres fondamentalement inégaux : le médecin et son patient », le médecin a dorénavant la possibilité de conjuguer expertise scientifique et humanisme, c’est-à-dire placer l’être humain au centre de ses intérêts. »
Commentaire : la vulnérabilité, on doit s’en rappeler également, est maximale dans les situations « d’intensité émotionnelle forte» telles que l’urgence, la fin de vie, la maladie grave ou qui touche un enfant, l’étranger, et bien entendu le statut ni désiré ni désirable de victime d’accident médical quelqu’il soit (aléa ou faute), pire encore lorsqu’il s’agit des conséquences d’un crime médico-industriel comme c’est le cas pour le Mediator, comme cela fut le cas avec la surcontamination délibérée par le VIH de patients hémophiles pour écouler des stocks de produits sanguins contaminés etc.

 Autre énoncé de ce livre : « Si l’univers émotionnel du patient est caractérisé surtout par la douleur émotionnelle associée à la maladie, celui du professionnel de la santé est caractérisé par la lourdeur émotionnelle des tâches quotidiennes associées aux soins à donner. Dans l’un et l’autre cas, qu’elle qu’en soit l’origine, les émotions vécues dans les entrevues requièrent toute l’attention possible, en paroles et en actes » 

Commentaire : de ceci nous devons retenir la réalité de la mise en tension « émotionnelle », omniprésente dans l’exercice de la médecine et du soin. Et comprendre également que ce n’est pas parce qu’il y a désaccord ou conflit qu’il y a maltraitance. La culture du conflit, du désaccord, sa prise en compte, sa mise en parole est un levier contre la maltraitance. La présence de médiateurs au sein des hôpitaux a considérablement permis d’améliorer et prévenir certaines conséquences de la iatrogénie des mots et pas seulement des actes en s’attachant à verbaliser le conflit. 
L’un des rôles du médiateur défini par la loi Kouchner est parfaitement explicite à cet égard : « compléter l’information, expliquer et essayer de résoudre les malentendus éventuels », faudrait-il parler plutôt de mal-dits, mal-énoncés, mal-exprimés… ?  Mais, dans la perspective de prévenir plutôt que guérir ces « mots », on doit peut-être réfléchir, au-delà de la vigilance professionnelle qui nous incombe, à élargir la place du patient dans notre système de soin, partenariat, alliance thérapeutique, jusqu’à s’inspirer du modèle de l’université de Montréal qui franchit un pas de plus en considérant le patient comme un acteur de soin à part entière, vigile, expert et garde-fou de nos failles.  

Autre texte de référence édicté par l’ANESM en 2008 (agence nationale d’évaluation de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) :

 « La bientraitance est un mot récent, ce n’est pas un concept mais c’est une culture inspirant les actions individuelles et les relations collectivesau sein d’un établissement ou d’un service. C’est une démarche positive qui vise à promouvoir le bien être des usagers en gardant présent à l’esprit le risque de maltraitance. »  

La bientraitance est donc à la fois démarche positive et mémoire du risque de maltraitance.

Comment appréhender simplement cette nécessaire vigilance ?  Il  existe des termes pour désigner les différentes vigilances indispensables pour garantir une bonne sécurité sanitaire : dans le domaine du médicament c’est la pharmacovigilance, pour les dispositifs la matériovigilance, et aussi la toxicovigilance, l’hémovigilance, la réactovigilance, la biovigilance….Il me semble que nous pourrions créer un mot pour désigner la vigilance que nous devons avoir vis-à-vis des mots que nous utilisons pour communiquer avec nos patients. Je propose la lexicovigilance. Soyons « lexicovigilants ! »


Dr Irène Frachon, PH, Pneumologue, CHRU de Brest

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Commentaires fermés sur Les mots peuvent faire très mal, surtout ceux des médecins – Une conférence d’Irène Frachon

La patiente lesbienne, le médecin, le pharmacien et le système de santé français….

Voici un échange de courrier avec Emma, au sujet de la prescription de Roaccutane (isotrétinoïne). Elle me semble significative de l’attitude générale du système de santé (à commencer par les pouvoirs publics) face à la population et à ses minorités. Mais aussi, plus largement, face aux médicaments potentiellement toxiques. 

J’invite tous les internautes qui se sentent concerné.e.s, personnellement ou professionnellement, par cette situation, à apporter leur grain de sel à cet échange, soit en faisant leurs commentaires au bas de ce post, soit en écrivant à : ecoledessoignants@gmail.com 

MW/MZ

****


J’ai récemment décidé de prendre du Roaccutane (après bien des hésitations) pour une acné légère à modérée, mais très persistante. Il se trouve que je suis homosexuelle, et que je n’ai donc pas besoin de moyen de contraception, et que je n’ai donc AUCUN (mais alors aucun) risque de tomber enceinte.


Or je me trouve tout de même obligée de faire des prises de sang pour vérifier le contenu de mon utérus, tous les mois, pendant 12 mois ( je prends le Roaccutane à petites doses, donc longtemps)…


Je m’attendais à tomber sur une médecine peu compréhensive à ce sujet, mais en y étant confrontée, j’arrive quand même à en être choquée.


Pas une seule fois sur la stupide  « brochure d’information » rose destinée aux femmes il n’a été mentionné la possibilité que la patiente soit lesbienne. Pas UNE SEULE FOIS il n’a été mentionné le fait qu’une femme n’a pas forcément besoin de moyen de contraception, tout simplement parce que toutes les femmes n’aiment pas les hommes.


J’ai tout simplement l’impression de ne pas exister pour la médecine française. D’être une sorte d’anomalie et de n’avoir pas assez de valeur pour qu’on daigne se pencher sur mes intérêts et besoins propres (alors qu’il me semble que c’est mon droit…. Et que je suis discriminée si on ne me l’accorde pas).


Il me semble aussi que j’ai le droit d’être soignée sans qu’on me renvoie perpétuellement à mon utérus, surtout que cela n’a aucun sens dans cette situation.

Je suis de plus en plus en colère face à cette surveillance obligatoire des femmes qui n’a aucun sens dans mon cas, et je sens que je vais très mal vivre cette contrainte injuste de prises de sang tous les mois (assorties de questions intrusives de l’infirmière qui réalise les prises de sang). Je sais que peut-être c’est excessif, mais je me sens fliquée et renvoyée à un statut d’utérus sur pattes, ce qui est dur à supporter pour moi ( je supporte très mal l’intrusion de la médecine dans mon intimité).

J’ai donc quelques questions face à ma situation :

1) La prise de sang tous les mois est-elle réellement obligatoire ?

2) Qu’en pensez-vous ? (cela me semble doublement discriminatoire, cela contraint les femmes à payer plus cher le traitement car elles vont à plus de consultations, et cela discrimine aussi les lesbiennes par rapport aux hommes, alors qu’elles ne courent pas plus de risque de grossesse ). Il est vrai que le traitement est tératogène, mais on s’adresse à des adultes, qui peuvent tout à fait signer une déclaration de responsabilité qui les engagerait à prendre en charge elle-mêmes ce risque sans être surveillées comme des gamines. 


Si la femme ne peut pas déclarer qu’elle prend en charge ce risque elle-même, cela signifierait qu’on prend en compte les intérêts d’un enfant pas encore né et potentiellement malformé, et que ces intérêts primeraient sur le droit de la femme à disposer de son corps ? C’est éthiquement problématique, ne trouvez-vous pas ?

3) Savez-vous exactement quelles sont les institutions qui me contraignent à être surveillée de la sorte ? Les informations recueillies ne sont pas cohérentes, la dermato me dit la Sécu, la pharmacienne l’Agence du Médicament… Bref, je ne comprends pas.

4) Pensez-vous que je puisse me dispenser de cette obligation d’une manière ou d’une autre ?  En signant une décharge ?

Emma 


——

Merci pour votre message, qui soulève une question très importante à bien des égards 

Je reviendrai sur trois points en particulier :  

– l’invisibilité des femmes lesbiennes (et le mépris de leurs particularités) aux yeux des médecins et de l’administration ; 

– l’attitude du système de santé à l’égard des femmes en général et le mépris de leur sens des responsabilités ; 

– les conditions de prescription des médicaments dangereux.  

L’ « invisibilité » des femmes lesbiennes.

Les témoignages ne manquent pas de comportements méprisants ou insultants de certains médecins français envers les personnes homosexuelles, transgenre ou queer. L’ignorance envers ces personnes est générale, et elle teinte les comportements de nombreux professionnels.

Le fait que la sexualité dans son ensemble et dans ses variantes ne fasse même pas l’objet d’un enseignement obligatoire dans toutes les facultés de médecine française est également en cause. A proprement parler, les étudiants en médecine ne savent rien de la sexualité. On leur parle seulement de maladies et d’ « anomalies » (de l’anatomie ou du comportement).

Il serait plus que souhaitable que les médecins français soient sensibilisés au fait que tous leurs patient.e.s ne sont pas tou.te.s hétérosexuels et cis-genre, et apprennent à recevoir et à prendre soin de chaque personne avec ses particularités.

Cela dit, d’un point de vue éthique, notez bien, rien ne justifie qu’un médecin interroge une femme ou un homme sur ses préférences ou son orientation sexuelles. On peut informer les personnes et les soigner sans violer leur intimité, je suis tout à fait d’accord avec vous.

Cela, c’est en théorie. Certains médecins sont parfaitement respectueux. D’autres, pas du tout. La question du respect des patient.e.s, encore une fois, est loin d’être abordée dans ces termes dans toutes les facultés de médecine françaises.

Dans la réalité (paternaliste), les règles dites « de bonne pratique » énoncent que, lorsqu’un médecin prescrit un médicament problématique à une femme susceptible d’être enceinte (à ses yeux de médecin, pas aux yeux de la femme elle-même…) il doit s’appliquer à : 

– 1° en expliquer les dangers (c’est à lui de le faire, pas à la patiente de les deviner) ; 

– 2° lui prescrire – si elle en a besoin – la contraception qui lui convient. 

(C’est à ce moment que la femme peut ou non lui expliquer pourquoi elle n’a pas besoin de contraception. Mais rien ne l’y oblige. Si la femme déclare : « Je n’ai pas besoin de contraception », cette réponse devrait suffire. En principe.)

Une fois que les deux conditions ci-dessus ont été remplies, tout médecin devrait (dans l’idéal) considérer que cette patiente est autonome et responsable de ses actes et qu’elle sait à quels risques elle s’expose. 

Il en va d’ailleurs déjà ainsi lorsqu’ils prescrivent des anxiolytiques à n’importe quel patient en indiquant que la conduite automobile (ou la manipulation de machines) est déconseillée pendant la prise. Ils ne vont pas sortir dans la rue pour vérifier que le patient ne conduit pas. Ils ne vont pas le contraindre à une recherche de toxique avant qu’il prenne le volant. C’est le patient qui est responsable de lui-même sous anxiolytiques, pas le médecin. De même, c’est la patiente (enceinte ou non) qui est responsable de son corps et de ce qui se passe dedans, pas le médecin. 

A condition, encore une fois, d’admettre que tout patient est une personne responsable…

Dans le cas qui nous occupe (la prescription d’isotrétinoïne par voie orale), la réglementation est discriminatoire : elle ne tient pas compte des femmes qui ne risquent pas d’être enceinte, et elle n’envisage pas qu’on puisse les croire sur parole.

De plus, parce que c’est une réglementation discriminatoire, elle empêche toute adaptation : même si vous avez affaire à un médecin qui trouve ça aussi absurde que vous, il ou elle est tenu.e de vous prescrire un test de grossesse mensuel et de vérifier sa négativité pour vous prescrire l’isotrétinoïne chaque mois – en effet, on ne peut pas vous le prescrire plus d’un mois à la fois. Le test est la condition de la prescription, dans tous les cas, à toutes les femmes – puisque, pour ceux qui ont pondu cette réglementation, les femmes qui n’ont pas de rapports sexuels avec des hommes (ou qui sont sûres qu’elles ne seront pas enceintes) n’existent pas.

Le pharmacien, lui aussi, a l’obligation, pour délivrer le médicament, de vérifier que vous avez bien eu un test négatif. Certes, vous n’avez pas à présenter le test, il suffit que le médecin mentionne qu’il est négatif sur l’ordonnance, mais un médecin qui donnerait cette indication sans avoir prescrit le test commettrait alors un faux… Et tout médecin est légitimement en droit de refuser de faire un faux.



D’un autre côté, la mention d’un résultat de test (positif ou négatif) sur une ordonnance, qui sera lue par des tiers (pharmaciens, préparateurs, fonctionnaires de la sécu) ressemble furieusement à une infraction au secret professionnel… Ce qui signifie que l’administration demande aux médecins d’enfreindre le secret pour traiter des patient.e.s. Il faudrait peut-être aller présenter cette contradiction à la juridiction appropriée (tribunal administratif ?) pour savoir si c’est conforme à la loi… J’aimerais que des juristes me disent ce qu’ils en pensent…

Mais dans l’état actuel des choses, sauf erreur de ma part, la situation est insoluble, et cela même si vous avez affaire à des médecins et des pharmaciens compréhensifs et dénués de préjugés : réglementairement parlant, ils ont les mains liées. (Si mon analyse est fausse, merci aux internautes médecins ou pharmaciens qui le peuvent de bien vouloir me corriger.) 

***


« Protéger » les femmes malgré elles  

Tout se passe comme si, pour le Ministère de la Santé (qui, tout de même, est responsable de la réglementation),  toute femme « en âge de procréer » doit dans le doute être « protégée » d’une grossesse sous isotrétinoïne, quelle que soit sa perception propre du risque, et même après discussion avec le médecin.

Ce qui compte n’est pas ce que ces femmes sont ou pensent ou font de leur vie, mais leur  situation de « porteuses d’enfant en puissance ». Et (parce qu’elles sont des femmes ?) elles sont « forcément » incapables d’anticiper une grossesse et d’éviter une catastrophe…

Or, sauf erreur de ma part, l’IVG est légale en France, jusqu’à 12 semaines de grossesse quel que soit le motif, et l’IMG (interruption médicalede grossesse) l’est aussi, sans limite de délai, en cas de malformations graves. 

Il n’est pas question ici de dire qu’une IVG ou une IMG sont une décision « facile », mais il n’y a pas de raison de penser que les femmes soient moins « responsables » de leur grossesse quand elles prennent de l’ isotrétinoïne que dans les autres situations de la vie. Si une femme prenant de l’isotrétinoïne se retrouve enceinte, elle est tout aussi capable d’interrompre cette grossesse que si elle prenait un autre produit, ou si l’amniocentèse a découvert une malformation chromosomique imprévisible.

L’autonomie de décision d’une femme n’est pas modifiée par la prise d’isotrétinoïne. Mais tout se passe comme cette autonomie devenait sujette à caution, non seulement quand une femme est enceinte mais aussi quand elle est « susceptible » de l’être ! 
L’infantilisation est d’autant plus manifeste que, depuis 2015, l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) a mis en place un carnet de suivi (!!!) des patientes sous isotrétinoïne qui ressemble furieusement au carnet de vaccination des enfants… 

Ce que votre expérience met en lumière n’est pas seulement une infantilisation inacceptable pour les femmes lesbiennes ; elle est inacceptable pour toutes les femmes car, comme vous le suggérez, elle laisse entendre que dans l’esprit des législateurs, les femmes sont assimilées à leur « fonction reproductrice ».


***
Beaucoup de substances sont dangereuses pendant la grossesse ! 
On connaît depuis longtemps les effets du tabac, de l’alcool, ou du Distilbène (que les médecins français ont continué à prescrire jusqu’en 1977, sept ans après son retrait du marché dans les autres pays développés !). 

A quoi il faut ajouter des médicaments de consommation courante et pour certains en vente sans ordonnance, comme : 

– les anti-inflammatoires (ibuprofène ou autre) 

– les anticongestionnants qu’on trouve dans certaines « gouttes pour le nez »

– certains médicaments antiallergiques

Mais aussi et surtout des médicaments qui ne sont délivrés que sur ordonnance :

– les neuroleptiques et les antidépresseurs 

– les benzodiazépines et les barbituriques

– les amphétamines (le Médiator en faisait partie, je ne me souviens pas avoir entendu qu’on interdisait aux femmes d’en prendre en l’absence de contraception) 

– certains antibiotiques et antituberculeux 

– la dompéridone (qu’on a prescrit larga manu pendant trente ans pour calmer reflux et vomissements…) 

– l’acide valproïque prescrit à certaines femmes souffrant d’épilepsie, dont on a restreint la prescription de manière similaire à l’isotrétinoïne en 2015 (voir plus loin) et qui a donné lieu à un scandale récent. 

Et la liste (régulièrement mise à jour par La Revue Prescrire) n’est pas close. 

L’infantilisation des femmes est d’autant plus insupportable que c’est une réponse inadaptée et injuste à une situation grave. 



Rappelons d’abord que beaucoup de médicaments ne sont jamais testés sur les femmes… alors que, comme le rappelle l’excellente Peggy Sastre, les maladies ont un sexe… 

Ensuite, reprenons le cas de  l’isotrétinoïne  : les restrictions à sa prescription ont été accentuées ces dernières années en réponse au nombre important de grossesses exposées, et cela, malgré les informations pourtant très précises sur la toxicité de la substance diffusées auprès des professionnels. 


En 1997, la revue Prescrire (n° 173, p 344) rapportait que sur 318 grossesses exposées à l’isotrétinoïne ayant fait l’objet d’une déclaration en centre de pharmacovigilance, cette exposition était survenue pour 267 femmes en cours de traitement ou ayant arrêté depuis moins d’un mois, et 51 chez des femmes déjà enceintes au moment de la prescription !!! 

Or, il n’est pas possible de se procurer de l’isotrétinoïne sans ordonnance ; quand une femme est enceinte alors qu’elle en prend, ça veut donc dire que dans l’immense majorité des cas, un médecin le lui a prescrit. 

Depuis 2006, Prescrire communique sur l’isotrétinoïne à peu près tous les ans. C’est dire que le problème est réel. Mais est-il vraiment le fait des utilisatrices ?

Quand une femme enceinte est exposée à un médicament toxique pour le foetus, qui est responsable ? Le prescripteur ? Le fabriquant ? 

La patiente ?

Tout médecin est responsable de ses prescriptions. Il est également responsable de l’information qu’il donne ou ne donne pas aux patient.e.s, et de sa connaissance des médicaments qu’il prescrit et de leurs dangers. 

Le fabriquant est responsable des informations qu’il délivre aux pouvoirs publics, aux médecins et au public. On sait ce qu’il en est quand il s’agit d’un laboratoire français comme Servier et de son produit-phare, le Médiator… 

La patiente ne peut être considérée comme responsable que si 1° elle connaît les risques du médicament ; 2° elle y expose volontairement son foetus ! Je doute que ce soit la situation la plus fréquente…

Car, même quand les patient.e.s sont soigné.e.s pour des maladies chroniques connues, l’information sur la toxicité fœtale de leur traitement ne leur est pas toujours délivrée par les prescripteurs, comme nous l’a rappelé récemment le scandale de l’acide valproïque (Dépakine).  (Lire le rapport de 2016 de l’ANSM et de l’Assurance Maladie) 

Alors que dès 2006 les effets toxiques de cette substance sur le foetus avaient fait l’objet d’une alerte nationale, entre 2007 et 2014, quatorze mille grossesses en France ont été exposées à ce médicament. Or, aucune femme ne prend de l’acide valproïque de manière « occasionnelle » : c’est un antiépileptique, pas un antidouleur ou un traitement du rhume. Si elle en prend, c’est parce qu’un (ou plusieurs) médecins le lui ont prescrit. Qui nous fera croire que quatorze mille femmes ont exposé volontairement leur foetus à un médicament toxique ? 

Plus généralement, la question se pose pour toutes les personnes, quel que soit leur genre, qu’elles soient enceintes ou non ! Quand un médicament a un effet toxique, par qui et pourquoi a-t-il été prescrit ? Et d’abord, aurait-il dû être mis sur le marché ? 

Quand un accident de voiture survient, on doit se demander s’il y a eu erreur humaine ou défaillance mécanique. 

Si le véhicule était défectueux, on s’intéresse au concessionnaire vendeur ou réparateur.  

Quand plusieurs accidents du même type surviennent, on se retourne à juste titre contre le fabriquant. 

Rien de tel pour le médicament en France, et pour de bonnes raisons : d’une part parce que l’information sur le médicament y est, de fait, secondaire aux contraintes commerciales ; d’autre part, il faut bien le dire, parce la sacro-sainte « liberté de prescription » n’est pas pour rien dans les accidents médicamenteux subis par les citoyen.ne.s, enceintes ou non. 

Dans les faits, les prescriptions médicales (et la manière dont elles sont influencées) sont pour la plupart incontrôlables… Et les praticiens qu’on soumet aux contrôles les plus contraignants (les généralistes) ne sont pas ceux qui prescrivent les médicaments les plus dangereux.

De sorte que, pour le Ministère, il est plus facile de restreindre la liberté des femmes en ignorant leurs caractéristiques ou en les traitant comme des incapables que de limiter les prescriptions inadaptées induites par l’industrie… ou de retirer du marché des médicaments toxiques. 

En terme de santé publique, ce serait pourtant la première chose à faire. Mais santé publique et industrie ont toujours eu des intérêts profondément divergents… 

Marc Zaffran/Martin Winckler

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Ceci n’est pas une candidature – par L.M.

Ceci n’est pas une candidature pour le poste d’orthophoniste.

Chaque jour je parcours consciencieusement les offres d’emploi pour orthophoniste dans le Rhône.

Les annonces apparaissent au compte-gouttes et je les connais déjà toutes : je vois celles qui disparaissent, celles qui sont remises en tête de liste (personne n’est intéressé / le lieu de travail est mal desservi / c’est un 0,009 ETP – rayez la mention inexacte).


Lorsqu’une offre est nouvelle, je l’étudie sous toutes les coutures : qui est l’employeur ? Je souhaite connaître ses valeurs, mais aussi, soyons prosaïques, savoir combien de temps il faut pour se rendre sur place et si c’est accessible en TCL (prendre le TER ? Avec un abonnement remboursé au quart pour un mi-temps, aller travailler devient un investissement… Vous accepteriez de verser 1/6e de votre salaire pour vous rendre au travail ? Moi non plus. Pas de TER donc. Prendre la voiture ? J’habite en pleine ville, ce n’est pas pour participer à la pollution en utilisant un véhicule alors que Lyon et ses alentours sont très bien desservis).

Je souhaite aussi savoir si la convention qui définira ma rémunération (en dessous de la moyenne nationale, et de toute façon insuffisante au regard des cinq années d’études post-bac) sera la convention 66 (fuyez !) ou la 51 (la moins pire).

Je regarde quel temps est proposé : un 20% ? Être présente une journée par semaine quand on travaille avec une équipe, c’est peu enviable pour la dynamique de groupe. En dessous de 40 ou 50%, je ne comprends même pas l’intérêt. Être de passage, ne pas avoir les informations en temps et en heure… Peu de temps de présence, c’est peu de temps de préparation, peu de temps de prise en charge aussi, et peu de temps d’échange avec les autres professionnels.

Dans l’annonce, vient le temps des compétences attendues et du profil recherché, qui, malheur, donne souvent quelque chose dans ce goût-là :

« Nous recherchons :
– un orthophoniste diplômé depuis 2 ans (avoir une formation récente est un gage de qualité) MAIS avec au moins 10 ans d’expérience
– une personne déjà formée aux méthodes ABA (390€ pour la formation dite « ABA fonctionnel »), Makaton (850€), PECS (870€ pour les deux niveaux), et maîtrisant les outils d’évaluation Comvoor (300€), PEP (580€), ADI-R et ADOS (1050€). (Note : soit une personne ayant déboursé 4040€ de sa poche ou ayant travaillé dans une structure ayant accepté de la former à ses frais… Soyons honnêtes, l’orthophoniste salarié est rarement bénéficiaire de ce genre d’avantages).
– une personne ayant déjà 10 ans d’expérience avec des personnes autistes et polyhandicapées MAIS connaissant par cœur les recommandations les plus récentes de l’HAS en matière d’autisme (et vous… les connaissez-vous ?)
– une personne sachant utiliser Word et Excel sur un ordinateur hors d’âge qui ne sera pas remplacé par du matériel permettant de travailler efficacement, avec une imprimante ne fonctionnant pas, sans plastifieuse ni fournitures de base (bandes scratch, papier cartonné, colle, ciseaux, perforatrice, classeurs… Bref le B.A.-BA pour mettre en place des moyens de communication augmentée et alternative)
– une personne sachant faire passer des bilans sans matériel (“Désolés, nous n’avons pas le budget pour vous fournir les tests auxquels nous vous demandons d’être déjà formé : à vous de vous fournir les batteries (test classique autour de 250 à 600€) ET les feuilles de passation (50 à 100€ la recharge)”)
– une personne sachant mettre en place une communication augmentée et alternative sans matériel (“Les pictogrammes Makaton ne seront pas achetés, débrouillez-vous, vous n’avez qu’à imprimer, plastifier et découper… Oui, il y en a plus de 400 pour le niveau de base, mais vous avez bien du temps pour le faire entre deux bilans !”)
– une personne acceptant d’être payée à peine plus que le SMIC, pour être en première ligne avec des enfants et adolescents porteurs de handicap lourd, dans des situations souvent d’une grande violence physique et/ou psychologique, sans réunion de type Balint pour permettre de partager ses interrogations et ses ressentis.
– … une formation de psychologue, neuropsychologue (“Vous aurez à faire passer des tests de QI”) et éducateur spécialisé serait un plus ! »

Bien.
Ça vend du rêve, non ?
Non, en effet…

Et si je vous disais plutôt ce que je sais et aime faire ?

J’ai obtenu mon certificat de capacité d’orthophoniste à Lyon (qui a la réputation, et elle est vérifiée, d’être un excellent centre de formation en orthophonie).

J’ai suivi des cours, j’ai fait des stages, j’ai validé tous mes examens : les méthodes dont vous parlez, je les connais, pas toujours en pratique, mais au moins en théorie. Pour certaines, je les ai utilisées en stage ou dans mes précédents postes. Je n’ai pas de certificat de formation post-diplôme sur l’autisme, car mon diplôme lui-même est déjà là pour assurer que j’ai les qualités et les savoirs requis !

Un exemple ? J’ai pratiqué la méthode Makaton durant trois mois de stage puis neuf mois de poste en IME. Je n’ai certes pas suivi la formation officielle (malgré l’accord prévu à l’embauche, on m’a refusé le financement de la formation, et de toutes celles demandées ensuite), mais j’ai des heures, des jours et des mois d’expérience du Makaton auprès d’enfants et d’adolescents déficients, autistes, et avec troubles du comportement.

Je souhaite me former, ou plutôt mettre en pratique les connaissances que j’ai déjà (je suis déjà formée puisque j’ai mon diplôme !).
J’adorerais pouvoir suivre toutes les formations dont vous souhaitez voir le nom sur mon CV. J’adorerais, très sérieusement, avoir 4000€ à dépenser dans ma formation continue ! Car j’aime apprendre, rencontrer des gens passionnés et ravis de transmettre, de se questionner pour faire toujours mieux !

Mais je suis réaliste. Les institutions n’ont pas le sou. D’accord, vous ne financerez pas de formations à l’orthophoniste.
Alors dans ce cas… Acceptez de recruter des personnes qui n’ont pas déboursé 4000€ pour ces formations.

Acceptez de faire confiance aux personnes que vous embauchez. Elles sont intelligentes et motivées pour apprendre. La plupart du temps c’est auprès de nos collègues que nous nous formons (comme cela a été mon cas pour le Makaton). C’est en pratiquant, en étant guidés, que nous parvenons à maîtriser un outil ou une méthode que nous connaissons de façon théorique.

Vous souhaitez embaucher une licorne à deux têtes. Malheureusement, il n’y a que des chevaux et quelques zèbres dans la salle d’attente. Mais laissez-leur une chance…  S’ils sont là, c’est qu’ils ont déjà les qualités requises. On ne souhaite pas travailler avec des personnes handicapées par hasard. (Surtout pour un salaire comme celui proposé aux orthophonistes en institution.)

Faites-leur confiance. FAITES. LEUR. CONFIANCE.

J’aime travailler avec des personnes handicapées. Pourquoi ? C’est instinctif, et pour moi, ça résonne. C’est ce qui a du sens, c’est comme cela que je vois “mon” orthophonie. Se voir adresser un vrai sourire par un enfant non-verbal, après des semaines d’approche à petits pas, c’est une victoire, une joie sans nom ! Entendre un petit garçon autiste faire ses premières phrases avec le support des pictogrammes est un salaire qui dépasse largement celui inscrit sur ma fiche de paie en fin de mois. Discuter avec les personnes qui s’occupent d’un jeune handicapé mental (éducateur, enseignant, psychomotricien, psychologue etc.) pour mettre en commun nos ressentis et nos difficultés, trouver des idées pour faire mieux, c’est ce qui sonne juste dans ma vision des choses. 

Je ne corresponds peut-être pas au poste, sur le papier. Pourtant, je tente ma chance, et je demande que l’on me fasse confiance. Car je souhaite travailler avec des personnes qui sauront mettre de côté leurs a priori pour m’accorder leur confiance.

L.M.  Continuer la lecture

Commentaires fermés sur Ceci n’est pas une candidature – par L.M.

Quand faut-il (faire) examiner ses seins ?

Merci à Doc Jedi. 🙂 



A l’heure où la mammographie de dépistage du cancer du sein est remise en cause et réévaluée , il n’est pas inutile de rappeler que le cancer du sein ne concerne pas toutes les femmes ; que dans l’immense majorité des cas on le découvre après 40 ans, mais que les femmes se posent des questions concernant leurs seins bien avant cet âge. 


Il n’est donc pas non plus inutile de se poser des questions plus simples, pertinentes pour les femmes qui ne sont pas encore en âge de s’inquiéter. (Oui, on s’inquiète bien avant ça, je sais, et justement, c’est pour cette raison qu’un petit rappel est utile.) 

Donc, « Quand faut-il (faire) examiner ses seins » ? 

D’abord, un rappel (j’insiste) : les cancers du sein sont rares avant l’âge de 40 ans. Le fait que vous connaissiez quelqu’un qui a souffert d’un cancer du sein avant cet âge une ne change pas la fréquence dans la population générale, ça change seulement votre perception de cette fréquence. (Le fait qu’une personne ait fait un infarctus dans votre entourage vous ne dit rien non plus sur la fréquence des infarctus en France non plus…) 


« Le nombre de cancers invasifs du sein chez les femmes de moins de 35 ans était estimé à 823 cas incidents en 2005, soit 1,7 % de l’ ensemble des 49 814 cancers du sein incidents de cette année-là (figure 1). 
Au-delà, le nombre de nouveaux diagnostics était de 1 565 pour les femmes entre 35 et 39 ans (3,1 % de l’ ensemble des cancers) (…) et 8 211 nouveaux diagnostics (…) pour les femmes entre 40 et 49 ans (soit 16,5 % de l’ ensemble des cancers). » 

(NB : vous lirez parfois que le cancer du sein « est en augmentation chez les femmes jeunes », mais il faut toujours regarder les chiffres en nombre absolu, et non en pourcentage. Si le nombre de cancers avant 40 ans est passé, mettons, de 100 cas à 105 par an pour 100 000 femmes, c’est vrai qu’il y a une augmentation de 5%, mais ça reste un nombre faible (1 pour 1000) par rapport à l’ensemble des femmes ; donc, ça reste rare…) 

C’est pour ces raisons (rareté des cancers chez les femmes de moins de 40 ans) que la mammographie n’est pas du tout recommandée avant 40 ans et, entre 40 et 50 ans, seulement chez les femmes qui ont un antécédent familial (une femme de la famille ayant eu un cancer du sein avant 50 ans). 

En effet, une intervention médicale systématique doit être bénéfique pour la population dans son ensemble et ne pas avoir d’effet négatif ou pervers – par exemple, entraîner des examens ou des interventions inutiles chez des patients qui n’ont rien. Or, la mammographie systématique avant 50 ans peut avoir a ces effets pervers, en particulier du « surdiagnostic » (on « découvre » une maladie et parfois on la traite, alors qu’elle n’existe pas). 

(De même, le cancer du testicule touche surtout les enfants et les hommes de moins de 40 ans. On en découvre 2002 nouveaux cas par an – plus que de cancers du sein chez les femmes de moins de 35 ans. Ca ne justifie pas de palper chaque année les testicules de tous les garçons/hommes entre 0 et 30 ans.)   

Comme la mammographie a pour but de dépister des cancers « infracliniques » (autrement dit, qui ne sont pas sentis à l’examen clinique, lorsque le médecin examine le sein avec ses yeux et ses mains), il va de soi que l’examen systématique du sein par un médecin avant l’âge de 40 ans n’a pas d’intérêt non plus : les yeux et les mains d’un médecin ne peuvent pas découvrir un cancer que la radiographie ne verrait pas. 

Avant 40 ans, l’examen des seins n’a pas pour but de découvrir un cancer. Alors, à quoi sert de (se faire) examiner ses seins avant cet âge ? 

Séparons les situations : d’une part l’autopalpation (vous vous examinez vous-même) ; d’autre part l’examen par le médecin.  

L’autopalpation. Il n’est pas inutile d’examiner sa propre poitrine pour savoir « comment elle est faite ». Savoir qu’on a un sein un peu plus gros que l’autre (c’est très fréquent), un ou des mamelons invertis (« rentrés ») depuis toujours, c’est utile : ça permet de le dire plus tard à un médecin qui s’en inquièterait et risquerait d’y voir une anomalie, alors qu’il s’agit seulement d’une variante. 

Ce qui n’est pas utile, c’est de s’examiner une fois par mois comme on le recommandait autrefois. L’autopalpation n’a pas d’intérêt diagnostique : elle ne permet pas de dépister des cancers après 40 ans. Autrement dit : elle n’en a pas non plus avant 40 ans. 

« Si je décide quand même de m’examiner de temps à autre, comment dois-je faire ? » 

En vous regardant dans le miroir (pour comparer la forme des deux seins) ; puis en vous allongeant sur le dos, et en examinant le sein gauche avec le plat de la main droite et inversement. Faut pas « pincer » pour voir s’il y a des boules, car quand on prend entre deux droits, on crée une boule avec les lobules (glandes) du sein. Quand on examine avec le bout des doigts à plat (en comparant des deux côtés) on sent les lobules « rouler », parfois les côtes (qui sont juste sous le sein) et puis une zone un peu plus granuleuse, plus ferme, du côté de l’aisselle. Si on n’appuie pas trop fort, ça ne fait pas mal et c’est à peu près pareil des deux côtés. 

« Si je trouve quelque chose en m’examinant moi-même, qu’est-ce que ça peut être ? » 

Si vous avez moins de 40 ans, c’est le plus souvent  : 
– un adénofibrome (grosseur bénigne, qui ne se transformera pas en cancer, et qui n’interfère pas avec l’allaitement) 

– un kyste (grosseur contenant du liquide ou de la graisse – alors on appelle ça un lipome) 

Adénofibrome et kyste sont en général indolores sauf si vous appuyez très fort. 

– un abcès : c’est fréquent chez les femmes enceintes ou qui allaitent, c’est la conséquence d’une infection ; ça fait mal, c’est rouge, c’est chaud ; ça ne passe pas inaperçu. 

La palpation par un médecin. 

La remarque est la même que pour l’autopalpation. En l’absence de symptômes préalables, l’examen de vos seins par une personne qui ne vous connaît pas n’a aucune valeur diagnostique même si cette personne est médecin (L’examen par le médecin a, très logiquement, encore moins de valeur que si vous vous examinez, puisque vous sentez, voyez et touchez vos seins tous les jours et vous pouvez facilement repérer une modification d’un mois à l’autre ; le médecin, non.) 

Par conséquent, quand un médecin vous dit « Il faut que je vous examine les seins », c’est médicalement faux. Notez que ça ne l’a pas toujours été : il y a dix ou quinze ans encore, on pensait que c’était utile de le faire une fois par an. Il n’était pas scandaleux que les médecins vous le proposent alors. Ce n’est plus justifié aujourd’hui. 

En toute bonne logique, un médecin qui ne vous propose pas de vous examiner les seins ne commet pas de faute : il sait que ça n’a pas d’intérêt si vous n’avez pas de symptôme. (De même qu’il n’a pas à vous proposer d’examen gynécologique si vous ne vous plaignez d’aucun symptôme gynécologique.) 

Symptômes ou pas, il n’est jamais acceptable qu’un médecin vous impose un examen des seins. 

Il est en droit de vous le proposer, mais doit vous expliquer pourquoi. Et même si ses arguments sont médicalement valides, vous êtes toujours en droit de refuser, pour des raisons qui vous sont propres. En effet, aucun examen n’est obligatoire en consultation. Le médecin n’a pas d’autorité sur vous. Il ne peut pas vous obliger à vous déshabiller entièrement, par exemple. 

Il ne peut pas non plus pratiquer le chantage et conditionner une prescription de contraception par exemple au fait de vous examiner : l‘examen gynécologique ou des seins pour la prescription ou la represcription de la pilule est inutile, médicalement parlant. 

D’ailleurs, d’un point de vue général, un médecin ne peut jamais rien vous imposer. S’il cherche à le faire, il enfreint le code de déontologie et le code de la santé publique comme on peut le vérifier en lisant cet article

Bon mais alors quand est-il justifié de se faire examiner les seins par un médecin ? 

Entre 40 et 50 ans, c’est justifié si vous avez des antécédents familiaux de cancer du sein. 

Avant 40 ans, c’est justifié si vous constatez sur un de vos seins quelque chose que vous n’aviez pas vu avant et qui s’accompagne d’une grosseur, d’une rougeur, d’une douleur, d’une modification de la peau, bref : une anomalie que vous sentez et/ou que vous voyez et qui vous inquiète. 

Ca peut être aussi justifié si vous avez mal aux seins et êtes inquiète, et si vous pensez que ça peut vous rassurer. Mais ça reste votre appréciation. Notez que le désir d’être rassurée n’est pas pour autant une raison valable pour demander des examens inutiles. En l’absence de symptômes, ou de facteurs de risques, votre médecin est parfaitement en droit de vous dire qu’une mammographie n’est pas nécessaire même si vous lui en demandez une. 

Dans une certaine mesure, en l’absence de symptômes, il est même plus risqué de demander une mammographie que de ne pas la demander : vous risquez de tomber sur un médecin qui vous la fera, même s’il pense que c’est inutile, pour se rassurer ou parce qu’il ne se sent pas capable de vous rassurer sans ça. Or, les examens médicaux ne sont pas faits pour rassurer les médecins… 

Il en va des seins comme de n’importe quelle autre partie du corps. Avant l’âge de 40 ans, si vous ne ressentez ou ne constatez rien de particulier, vous n’avez pas à les faire examiner. Et personne n’a à vous imposer un examen. 

Martin Winckler (Dr Marc Zaffran) 

Pour tout commentaire, discussion, échange concernant tout article du blog, écrire à : ecoledessoignants @ gmail.com



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La patiente-médecin et la maltraitance ordinaire – par M.E. (Au-delà des Brutes en Blanc, 3)

M. H. est médecin dans le Sud-Ouest de la France.

Elle m’a envoyé ce témoignage sur ses expériences de la maltraitance médicale.

Il serait bien sûr inacceptable que les médecins soient « mieux » traités que les patients qui ne sont pas médecins. Il reste inacceptable que n’importe quel.le patient.e soit maltraité.e comme elle l’a été.  

MW

*******
Comme beaucoup de patientes, j’ai été confrontée à des attitudes, qui m’ont d’autant plus interpellée et choquée, que je suis médecin. Quelques lignes pour en parler, et remercier tous les soignants respectueux de leurs patient.e.s, bien heureusement j’en ai rencontré beaucoup et j’espère en faire partie.

Problème de communication ? Je pense qu’aucun des médecins dont je vais vous parler n’est conscient de ce que leur attitude peut avoir de non adaptée, voire délétère, certains pensent même être bienveillants…

Nos études médicales manquent cruellement de psychologie, d’empathie et de vision globale du patient, pour ma part j’ai appris tout cela bien plus tard, grâce à mes patients, et aux formations que j’ai faites.

« Stérilet » :



Mon sympathique gynécologue, après mon second accouchement, me propose un stérilet magique : j’adore le concept, hormonal, je n’aurai presque plus mes règles. Dommage, alors que mon visage est constellé de boutons d’acné post-partum, il n’a pas pensé à me prévenir, que cela risquait de l’aggraver.

Je l’achète en pharmacie, et c’est un nouveau gynécologue, car nous venons de déménager qui me le pose. J’ai fait du forcing auprès de la secrétaire, les délais sont à plus de six mois, j’obtiens un rendez-vous entre deux patientes parce que je dis que je suis médecin, le gynécologue me reçoit, m’interroge à peine, me pose le stérilet, puis une fois rhabillée m’explique que cela ne va pas arranger l’acné que j’ai déjà : je suis décomposée ! Ce n’est pas grave, certes ce n’est que de l’acné, mais j’ai 33 ans, j’aurai dû lire la notice c’est sûr ! Mais zut, quoi !!!

Jusque là, cela peut nous arriver à tous, moi la première.

« Amniocentèse et trisomie 21 » :

Je ne lancerai pas de débat sur le sujet, juste mon vécu, en 2009. Je suis enceinte de mon quatrième enfant, suite à mon bilan sanguin rassurant concernant le risque de T21, mon gynécologue m’appelle, me rassure en m’annonçant un risque de 1/700, il me conseille de me rendre au CHU afin de bénéficier d’une échographie fœtale de pointe par le Professeur réputé, car le taux sanguin d’alphafoetoproteine est deux fois supérieur à la normale. Le protocole est de vérifier qu’il n’y a pas de mauvaise fermeture du tube neural.

Je suis d’accord, il m’a gentiment pris le rendez-vous pour le lendemain, je m’y rends seule mon mari ne pouvant pas se libérer, et il s’agit pour moi d’une échographie pour nous rassurer , j’y vais confiante.

A mon arrivée je suis accueillie gentiment par une infirmière qui m’explique comment peut se dérouler une amniocentèse, les risques et le suivi. Surprise, et polie, je ne l’interromps pas , je lui précise tout de même que je ne viens pas pour une amniocentèse, elle m’explique que c’est au cas où elle me serait proposée.

Le professeur pratique l’échographie, très bien, tube neural parfait, mon bébé ne présente aucune anomalie, et j’apprends que c’est une fille !!!

Au comble du bonheur, nous avons 3 charmants garçons, je clame haut et fort, du fait de l’accueil : pas de besoin d’amniocentèse !

Et là : la douche froide, « pas du tout ». Et moi de répliquer en me rhabillant : « l’échographie est normale, aucun signe mineur de T21, mon risque calculé est de 1/700 »,

Mais j’ai bientôt 40 ans, et nous sommes à 15 jours de l’application de la nouvelle loi, plus de remboursement pour amniocentèse systématique pour recherche de T21 au prétexte d’être âgée de plus de 38 ans, cette dernière ne le sera plus que lorsque le risque parait très élevé.

Et là, alors que j’étais confiée par mon gynécologue pour vérifier la fermeture du tube neural, ce charmant professeur, que je respecte sincèrement pour avoir travaillé avec lui, je n’en sais pas s’il m’a reconnu, se met en tête de me prouver que j’ai tort : il me demande mon âge, les dosages de biologie, et me donne avec son logiciel un risque à 1/135 !

Peut-être, je ne veux pas prendre le risque, même faible de 1/1000, de perdre mon bébé, et en plus c’est une fille, et je m’entends dire «  Oui mais un enfant trisomique c’est pour la vie, des enfants vous pouvez en avoir d’autres » !

Je travaillais depuis 7 ans dans ce CHU, je soignais des patients souffrants de mucoviscidose, de myopathie de Duchenne, et tout plein de patients souffrants de maladies plus rares et invalidantes les unes que les autres, qu’il n’est pas possible de dépister avant la naissance, alors : oui je suis enceinte et tout à fait consciente que mon enfant peut ne pas être « normal », et je ne ferai pas cette amniocentèse !

J’en suis d’autant plus ulcérée, que le risque de T21 à 40 ans est en théorie de 1/50, donc ce 1/135 aurait du être considéré comme rassurant, que j’avais déjà mon opinion, une autre patiente se serait peut être laissée convaincre de pratiquer une amniocentèse qui n’était pas au programme. Étrange et choquant.

Notre fille, née en mai 2010, est superbe, et pour le moment est en excellente santé, merci, et si elle avait une T21 nous l’aimerions tout autant qu’avec n’importe qu’elle autre « anomalie » ou pathologie.



« Hystérectomie » :


Plus récemment, suite à un résultat anormal de frottis cervical de dépistage fait pas mon nouveau gynécologue, nous avons déménagé, il s’avère que la biopsie cervicale retrouve un adénocarcinome in situ, multifocal, il m’est proposé une hystérectomie totale sans annexectomie. 



Ne connaissant pas les chirurgiens de la ville dans laquelle je vis et travaille depuis 3 ans alors, je demande conseil à mon adorable gynécologue. Toujours plein de tact et de délicatesse, il me conseille un des trois praticiens, je lui demande lequel est le plus sympa, il me dit le Dr X.

Je prends donc rendez-vous, et lorsque j’y suis, je réalise que j’ai oublié le courrier et les résultats que j’avais si bien préparés qu’ils étaient restés sur mon bureau. Confiante, je lui expose le plus doctement possible mon cas. Il me demande de m’installer sur la table d’examen, me retire mon stérilet en vue de l’intervention, et m’explique qu’il ne pourra pas programmer l’intervention tant qu’il n’aura pas tous les documents en main. Je lui promets de les lui déposer le lendemain même, mais pour programmer l’intervention, peine perdue.

En tant que consœur, me dit la secrétaire, je n’ai pas à régler la consultation. Mais me voilà contrainte à repartir sans contraception, et de reprendre un rendez-vous, et de perdre 1 mois, parce que je n’avais pas la lettre et les résultats de la biopsie : je dis à la secrétaire que j’aurais préféré payer la consultation et même plus pour avoir une date de chirurgie.



Mais voilà, je me plie à la décision, il m’est déjà pénible de savoir que je ne serai plus jamais mère, même si j’ai déjà 43 ans, 4 enfants, même si à chaque retard de règles je me demande qu’elle décision nous prendrions si j’étais enceinte malgré le stérilet, c’est réellement plus difficile à vivre que l’annonce de l’adénocarcinome, car j’ai conscience que ma vie n’est pas en jeu.

L’accueil et le contact glacial, pour une intervention qui pour une femme est un bouleversement, j’en suis abasourdie, et je me demande comment sont ses confrères s’il est le plus « sympa ».

Je n’en parle pas à mon gynécologue, des collègues me conseillent un autre chirurgien, c’est plus loin, pour mon mari, les enfants encore petits, je préfère me faire opérer au plus près. Je retourne en consultation avec les documents, la date est arrêtée, et j’ai eu tellement peu de renseignements, que j’ai passé des heures sur les forums, pour savoir comment les autres femmes avaient vécu cette intervention. C’est un bon chirurgien, techniquement parlant, allons-y, d’ailleurs, il a fait le job, et je n’ai rien à redire de ce côté-là. Avec le sourire, de l’empathie, et une attitude rassurante, cela aurait parfait.



Je demande à l’anesthésiste que je vois en consultation si je peux être opérée sous rachi anesthésie et hypnose, car je souhaite éviter l’anesthésie générale avec des molécules que je connais ; j’ai toujours mieux vécu sans cela. Ce dernier m’explique que le chirurgien refusera tout net, que ce n’est pas confortable pour moi, qu’il vaut mieux être sous AG. Encore une fois, j’obéis bien que déçue, il me faut déjà m’organiser professionnellement, je dois organiser les consultations afin d’être en convalescence un mois, faire venir ma mère pour nous aider, je n’ai pas l’énergie de me renseigner sur des pratiques différentes.

Me voici opérée, et la pire nuit de ma vie, pire que mes quatre accouchements dont trois sans péri durale, et cette douleur qui ne cède à rien de ce que m’administre les sympathiques infirmières de nuit, me laisse un souvenir amer, d’autant qu’une d’elles m’avoue : « Je ne comprends pas ;  d‘habitude les patientes remontent du bloc avec une pompe à morphine, pour vous je ne sais pas pourquoi vous n’en avez pas. » Alors je souffre et elles me donnent tout ce qui est prescrit sans effet ou presque. C’est la nuit, elles ne vont pas appeler et réveiller quelqu’un pour une patiente douloureuse et je suis trop fatiguée pour le demander.



Finalement, l’infirmière le lendemain matin, avant le passage du chirurgien, me propose un suppositoire d’anti-inflammatoires, de sa propre initiative car je suis réveillée, j’ai demandé et fais le calcul qu’en PCA (analgésie auto-contrôlée par les patients), les patientes habituellement peuvent bénéficier d’une dose d’anti-douleurs quatre fois supérieure à celle qu’on me donne ! Je propose de faire la prescription moi-même !



Le lendemain, le chirurgien me dit que je peux reprendre le travail dans quinze jours, je n’en crois pas mes oreilles, j’espère qu’il n’est pas sérieux, j’ai besoin de ce mois de repos, même s’il trouve que tout se passe pour le mieux, c’est ce qu’il m’avait dit en pré-op et ce n’est pas du luxe, car même avec ce mois de repos , j’ai mis 6 mois à me remettre totalement d’aplomb, enfin il m’a fait l’arrêt d’un mois.



A ma sortie de l’établissement, je croise l’anesthésiste, je lui demande pourquoi je suis remontée sans PCA, et là il me répond avec un grand sourire « Au bloc on vous a demandé si vous aviez mal, vous avez répondu non, alors pour vous éviter de vomir, on a décidé de ne pas mettre de PCA »*. Je n’ai jamais eu de morphine, personne ne pouvait savoir si j’allais bien ou mal toléré mais ils savent que c’est douloureux, et si j’avais vomi il était toujours temps d’essayer autre chose ! J’en suis restée sans voix ! En 2013……

M. H. 
**********

* Trois remarques explicatives :

·       En raison du mode d’action des anesthésiques, et  d’une fréquente amnésie post-opératoire, les conversations qui ont lieu juste avant l’intervention et au réveil sont le plus souvent oubliéespar les patients. Tous les anesthésistes savent ça. En principe.


·       En post-opératoire immédiat, les patients peuvent certes répondre à des questions simples et ils peuvent certes ne pas avoir mal parce que l’anesthésie est encore efficace ; mais ça ne veut pas dire qu’ils n’auront pas mal plus tard, quand ladite anesthésie aura cessé d’agir. S’assurer qu’un.e patient.e ne souffre pas dans les heures qui suivent une intervention, c’est le b-a ba de l’anesthésie. 

·       L’anesthésiste a invoqué le « souci » de ne pas provoquer de vomissements par la prescription de morphine. Mais le souci de « prévenir » un effet secondaire possible et hypothétique justifie-il de NE PAS soulager la douleur ? L’argument de cet anesthésiste me fait penser à celui qu’on opposait jadis aux cancéreux au stade terminal qui réclamaient de la morphine : « Je ne vous en donne pas car vous risquez de devenir accro… »

MW

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De but en blanc – Lettre d’une interne en médecine générale (Au-delà des Brutes en Blanc, 2)

6 nov. 2016

De but en blanc

C’est avec intérêt que j’ai lu votre livre « Les Brutes en blanc »,  M. Winckler. J’ai d’abord cru à une trahison, un coup de couteau par un membre de ma propre famille professionnelle. Et Dieu sait si c’est blessant. Touchée en plein coeur, j’ai eu mal.

Je crois que ces propos sont entrés en résonance d’une part avec une vérité nue que je n’ai jamais souhaitée (suis-je tombée si bas? suis-je si loin de mes convictions initiales?), d’autre part à ma propre souffrance en tant que membre d’un corps médical à l’agonie. Si cet écho sonne comme une vérité blessante, elle est aussi le reflet, la preuve tangible de notre propre souffrance nous professionnels de santé et de ses conséquences dramatiques. Et si nous osions nous l’avouer?

Cependant, il me semble qu’un pavé dans la mare est vain lorsqu’il ne produit pas d’ondulations à la surface de l’eau. Une vérité (qui plus est douloureuse) n’est bonne à dire que lorsque l’on espère qu’elle produira un quelconque changement. Et c’est là que je vois poindre une once d’espoir quant aux membres du corps médical que vous décriez tant, M. Winckler. Oui, ce livre serait vain et j’ose croire qu’il ne serait jamais sorti si vous ne pensiez pas qu’un changement soit possible. Si vous ne voyiez pas en ces brutes, des agneaux défigurés par un système inadapté. Je le vois donc comme un appel à accepter de regarder et panser ses blessures afin de pouvoir mieux s’occuper de celles des autres.

Je n’ai que 27 ans, quoique 9 ans d’études derrière moi, mais pas encore mon diplôme de docteur en médecine. L’on ne m’avait pourtant jamais prédestinée à devenir une brute… Je suis sûre de l’avoir pourtant déjà été, un peu, parfois, et pourtant…bien malgré moi. J’ai vu au cours de ces 9 années, s’effriter cet idéal qui m’a permis de franchir tant de caps difficiles. Un métier humain, me donnant jusqu’à une raison d’être au monde. Cette conception du métier s’est vu confrontée puis rapidement écrasée par une pratique uniformisée de la médecine générale avec des consultations de 15 minutes, les yeux rivés sur les aiguilles de la montre. 

Médecin impatient que le dit « patient » dégaine sa carte vitale, avant de débiter son motif de consultation (d’une traite si possible) en l’espace de quoi j’ai bon espoir qu’il commence à se déshabiller (dans le même temps si possible) pour que je l’examine, afin de différer l’explosion de ma salle d’attente puis ma propre destruction au travers d’un sentiment 

d’inachevé et de désespoir, j’ai passé quelque temps dans ces sombres méandres et ce désespoir déjà si jeune, j’y retourne parfois.

Mais j’ai, grâce à « des brutes formidables », vu que la laideur incarnée n’est pas forcément très loin des plus beaux chefs d’oeuvres humains, qu’il s’en faut peu pour passer du pire… au meilleur. Le désespoir et l’impasse ne se trouvent-ils pas dans l’incapacité à créer une nouvelle voie, un nouveau chemin ? J’invite donc toutes les brutes que vous avez mises en colère, à user de leur créativité. 


Après la brute, le bon ou le truand ?

Elodie-Mathilde Fossembas

(Interne en médecine générale, Paris VII)


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Un « Module d’Humanisme Médical Transdisciplinaire », pourquoi faire ? – (Au-delà des « Brutes en Blanc », 1)

La publication des Brutes en blanc a suscité beaucoup de réactions. Certaines ont été très violentes, très sonores, et centrées presque exclusivement sur le titre (le communiqué de l’Ordre des médecins daté du 7 octobre 2016), mes intentions supposées (« régler des comptes ») ou les conséquences néfastes du livre sur la relation de soin. 

Mais il n’y a pas eu que des réactions négatives, et de loin. 
Je compile actuellement les dizaines de témoignages reçus de patients qui ont subi des maltraitances et m’ont écrit à la suite de la publication ou de sa mention dans la presse. Je les publierai (anonymisés) dans les semaines qui viennent). 
J’ai reçu aussi beaucoup de témoignages de soutiens de professionnels de santé – médecins, infirmier(e)s, sages-femmes, psychothérapeutes, orthophonistes, et bien d’autres. 

Je vais eux aussi les publier au fil des semaines. 

Commençons par un long texte, qui m’a été adressé par trois enseignants en faculté de médecine. 

Dans un courrier daté du 17 octobre 2016, le Docteur Gérard Ponsot, professeur honoraire des universités et ancien chef de service de pédiatrie à l’hôpital Saint Vincent de Paul m’écrit : 

« J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre dernier livre Les Brutes en blanc et vous remercie de votre vigoureux cri d’alarme sur les différentes formes de déshumanisation que l’on rencontre en France chez beaucoup trop de médecins. 

(…) 

Permettez moi de vous faire parvenir le texte du « Module d’Humanisme Médical Transdisciplinaire ». Son but est d’apporter dans des siguations où l’humanité des soignants est particulièrement sollicitée des réflexions éthiques et humaines à tous les internes, au moment où ils sont confrontés à ces situations et se posent des questions. 

Je me bats avec d’autres depuis plus de 2 ans pour que ce module fasse partie du cursus des études médicales et soit obligatoire. Il a été présenté à de nombreuses personnalités universitéaires et en particulier à la Commission Nationale des études de maieutique, médecine, odontologie et pharmacie qui est en charge de la réforme du troisième cycle. 

Il reçoit un bon accueil mais comme on dit familièrement, la « mayonnaise » n’a pas encore pris. Je sais que le combat sera difficile. »  

J’ai proposé à Gérard Ponsot de publier le module sur ce blog. Il m’a demandé d’y associer le nom de deux de ses collègues, eux aussi très impliqués dans sa conception – et dans le combat pour le faire adopter : le Professeur Bernard Golse et le Docteur Pierre Canaoui, tous deux pédopsychiatres et enseignants à l’Hôpital Necker et à Paris Descartes. 

En voici le texte. 

Je ne doute pas qu’en France, d’autres enseignants tentent de proposer – et de diffuser – des modules similaires, destinés à pallier les manques de la formation médicale. Je serais heureux de publier ici des compte-rendus ou descriptions de leurs projets ou des formations déjà en cours. 

MW. 

***


Un    « Module d’Humanisme Médical Transdisciplinaire »  pourquoi faire ?

 » La Médecine n’a de sens que si l’Homme y est mis au premier plan » 
(Professeur François- Bernard Michel)

I)              Argumentaire

Il y a un décalage, déjà ancien, mais qui risque de s’aggraver chez beaucoup de médecins, entre leur « accaparement  » pour apprendre et maitriser les nouvelles technologies biologiques et médicales, acquisitions bien sûr tout à fait indispensables, et celles leur permettant de communiquer avec les malades, de les écouter, de soutenir leur autonomie souvent compromise par la maladie, le déni, la douleur et la dépression

L’Homme avec l’acquisition de ces nouvelles technologies, « contrôle et contrôlera » de plus en plus « Lui-même et son Environnement » ce qui est souhaitable, mais n’y a-t-il pas un risque de « déviation grave » si ce « contrôle » n’est pas « constamment accompagné » par une réflexion éthique et humaine ?

II)  Objectif du Module

Le but du module est d’apporter, dans des situations ou l’humanité des soignants (voir plus bas) est particulièrement impliquée, des réflexions éthiques et humaines à tous les internes en début d’internat ou au cours de celui-ci au moment où ils sont confrontés à ces situations et où ils se posent des questions.

Ce Module ferait partie du cursus des études médicales et serait obligatoire. Il serait organisé par les Facultés de Médecine car ce sont les médecins qui sont en responsabilité dans ces situations de vulnérabilité Humaine, mais transdisciplinaire – sciences humaines et sociales, juridiques, politiques en fonction des thèmes. 
Cet enseignement traiterait sept Thèmes (Voir plus bas) correspondant à des situations ou l’humanité et l’éthique des soignants sont particulièrement impliqués. Il pourrait être ouvert aux autres médecins, ville, EPHAD, instituts médico-sociaux mais aussi aux infirmières, aides-soignantes, psychologues, aidants- professionnels en activité  car tous ces professionnels sont  appelés à travailler ensemble dans toutes ces situations complexes, douloureuses comme celle de  la fin de vie. Il pourrait s’adresser également  aux citoyens en tant qu’auditeurs libres, car beaucoup  d’entre eux (8 à 10 millions en France) sont ou seront des Aidants proches ou familiaux, des Aidants bénévoles dont le  rôle est essentiel dans l’accompagnement des personnes atteintes  d’affections graves, des personnes âgées ou handicapées, des personnes en fin de vie ».

Les enseignants appartiendraient  aux différents spécialités indiquées plus haut, médecins, urgentistes, réanimateurs, médecins des soins palliatifs, médecins de ville et des EHPAD, professeurs d’éthique, psychiatres , soignants non médecins infirmières, psychologues etc., chercheurs, sociologues, philosophes, enseignants des différentes religions (Catholiques, Protestants, Juifs et Musulmans), juristes et politiques, sans oublier les patients, les parents, les familles  dont les témoignages sur plusieurs sujets indiqués plus haut, n’ont pas d’équivalent sur le plan de l’Humanité.

A ce niveau de compétences, d’expérience et de formation des participants, le module doit proposer des modalités d’enseignement adaptées, très peu de cours , surtout des échanges ,débats, tables rondes contradictoires ou non et des témoignages qui doivent occuper une place importante.


Il  est  essentiel dans ce module d’humanité médicale de donner une grande place aux témoignages, de médecins hospitaliers, de ville, d’EHPAD, d’Instituts médico-sociaux pour relater les difficultés qu’ils rencontrent dans toutes ces situations complexes et proposer des solutions, d’infirmiers ou infirmières qui ont une « proximité particulière »avec les patients dans ces situations complexes et douloureuses, de personnes ayant une maladie grave, de parents, de familles ayant accompagné un fils, une fille, un frère, une sœur lors de leur phase de fin de vie, de parents ayant été confrontés à l’annonce d’un handicap, d’aidants proches ou familiaux, de bénévoles accompagnant une personne atteinte d’une maladie grave ou en fin de vie etc …

      

          III  Description du module

Sept Thèmes :

  1)La relation de confiance Médecin /patient : derrière  ce corps  à soigner, il y a une « personne », une « Famille » un « environnement ». La relation de confiance permet d’avoir une vision globale de la personne, essentielle pour la soigner et l’accompagner avec compétence et humanité. Elle permet aussi d’envisager avec le patient au cours de « discussions anticipées » les différents aspects de sa maladie, les thérapeutiques à employer son évolution et, d’aborder progressivement  des situations douloureuses comme la fin de vie  ce qui pourrait permettre de faciliter la rédaction conjointe  Médecin /Patient  des « directives anticipées » ou en cas de personne en situation de grande vulnérabilité (personne qui ne peut pas donner son avis) de « recommandations anticipées » avec la famille, les proches ,le tuteur  (1/2 Journée)

2) La mort, son accompagnement, les soins palliatifs  avec ses différents aspects, médicaux, psychologiques, éthiques, philosophiques, sociétaux, spirituels, juridiques et politiques .

 (2 Journées)

3) Prendre soin de ceux qui ne guériront pas : Les maladies et  affections chroniques .Le Médecin, les soignants, les autres accompagnants   confrontés à «l’incurabilité» (1 Journée)

 4) Les personnes différentes : Les Personnes âgées, les Personnes très vulnérables (Handicapées, états de conscience minimale), les Personnes dyscommunicantes (Troubles du spectre de l’autisme) Leurs spécificités physiques et surtout cognitives, communicatives et affectives .Comment les accompagner au cours de leur vie jusqu’à leur  fin de vie ?  L’annonce d’un handicap et l’accompagnement des familles. Leur accueil dans des milieux qui les connaissent pas ou mal et qui sont souvent « hostiles » pour ces personnes très fragiles : Hôpital, Urgences etc .. . (2 Journées)

5) Les nouvelles technologies : ciseaux génétiques (technique CRISPR-Cas 9), les cellules souches, le numérique avec en particulier les algorithmes, la robotique, l’intelligence artificielle qui vont pouvoir aider voire réparer l’homme mais qui, s’ils ne sont pas constamment encadrés par des réflexions scientifiques, éthiques, philosophiques, spirituels, peuvent être déviés dans leur utilisation pour « modifier » ou « transformer » l’Homme avec des conséquences imprévisibles d’une grande gravité.  .

(2 Journées)

6) Optimisation de l’organisation du système de santé en France pour obtenir un accompagnement plus efficace et plus humain des personnes malades

Quelle coopération entre les différents secteurs de santé, services publiques, cliniques privées, médecins de ville, soins à domicile, instituts médico-sociaux, EHPAD, pour améliorer la répartition des tâches, l’accueil, la circulation des informations dans et entre ces différents secteurs indispensables à l’Humanisation de l’acte Médical ? 


Mieux discerner les indications des examens complémentaires, éviter les examens inutiles, leur répétition (Les Internes sont souvent en première ligne pour les prescriptions +++) .Eviter, les thérapeutiques couteuses  et souvent à risque sans bénéfice pour le patient, les hospitalisations abusives, en faisant en sorte que les malades soient soignés et accompagnés, dans la mesure du possible, dans les lieux de leur choix, comme le domicile.


Cette optimisation des soins permettrait non seulement d’améliorer l’accompagnement des personnes malades mais aussi de diminuer le découragement, l’épuisement, les souffrances des Personnels de santé que l’on perçoit trop souvent dans les différents secteurs de soins sans entrainer un emballement des dépenses de santé au contraire. (2 Journées)

7) Etat de la Formation et des réflexions  sur les thèmes 2,4, 5 et 6  dans les pays d’Europe y compris Scandinaves, les Etats unis et le Canada. (1/2 Journée)

Ce Module serait en continuité et en complément  de tous les enseignements qui existent déjà sur ces sujets de soins et  d’humanité, lors des  1 er et  2émé cycle des études médicales, dans les enseignements et formation des soins palliatif ,des ateliers d’éthique, des formations continues, des DIU etc… Il  ne pourrait qu’inciter un plus grand nombre de médecins et paramédicaux à compléter leur formation sur ces grands thèmes de soins et  d’humanité en suivant ces enseignements essentiels (soins palliatifs, ateliers d’Ethique, formations continues, DIU etc…)

Mais  il serait fait à un moment ou  les médecins (Internes) sont confrontés à ces situations et où ils se posent des questions.

IV)          Organisation du module  (propositions)

Ce Module ferait partie du cursus des études médicales et serait obligatoire. Les internes ne pourraient pas passer leur thèse sans l’avoir suivi.

Ce module comprend 10 Journées. Il pourrait être organisé de la façon suivante :

 – Soit  entre la réussite au concours et le début de la prise des fonctions d’interne

 – Soit plutôt durant les 2éme et  3éme années d’internat (deux à trois thèmes par an), car durant la première année les internes sont accaparés par leurs nouvelles fonctions et responsabilités et durant la dernière année par leur DES, leur mémoire, la recherche d’un poste de clinicat etc ..

Ce module pourrait d’abord être organisé dans deux ou trois Facultés de Médecine (Deux à Paris et une en Province ?) et évalué avant d’être éventuellement étendu.

Gérard Ponsot, 

Bernard Golse, Pierre Canaoui 



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Publié dans "Après les Brutes en Blanc" | Commentaires fermés sur Un « Module d’Humanisme Médical Transdisciplinaire », pourquoi faire ? – (Au-delà des « Brutes en Blanc », 1)

« Soigner, c’est pas de la tarte »

Les soignants entre deux feux

ou

« Soigner, c’est pas de la tarte »

Conférence donnée à l’occasion des 40erencontres du Réseau des

« Le Chœur des femmes de la FIQ – Fédération Interprofessionnelle de la Santé du Québec »

Orford, le 3 novembre 2016

Qu’est-ce que soigner ?

J’ai longtemps cherché une définition simple, et j’en suis venu, pour ma part, à adopter celle-ci : « Soigner, en première approximation c’est faire en sorte que la personne qui se confie aux soignant.e.s aille mieux (ou moins mal) en sortant qu’en entrant. »

C’est un objectif simple, mais ambitieux : il vise un résultat individuel qui n’est pas toujours possible à atteindre, mais qui devrait être l’objectif de tout.e professionnel.le de santé. 

Quelle est la fonction d’un.e professionnel.le de santé ?

Diagnostiquer ? Traiter ? Soigner ? Prévenir ? Informer ? Eduquer ? Réconforter ? Soutenir ? Protéger ?

Tout ça à la fois.

Et pour commencer, comme le veut un précepte très ancien : pour soigner il faut toujours avoir à l’esprit de « D’abord, ne pas nuire ».

Or, la première manière de nuire, c’est d’exercer une contrainte – qu’il s’agisse d’un soin ou d’une conception du soin. Pourquoi ? Parce que l’un des principes éthiques du soin, c’est que le patient est toujours libre d’accepter ou de refuser ce qu’on lui propose.

Par conséquent, je postulerai que lorsqu’on est un.e professionnel.le de santé qui entend soigner, toute contrainte (et donc, toute relation de pouvoir) est incompatible avec le soin.

L’établissement d’une relation de pouvoir dans le soin est source de maltraitance. Comme toute relation de pouvoir, en toute circonstance.

Ce qui amène à une question simple, mais incontournable : quand un.e patient.e dit : « On m’a maltraité.e », qu’est-ce que cela signifie ?  

« On m’a fait du mal » ou « On m’a mal soigné.e » ?

Traiter n’est pas soigner – et réciproquement

La confusion est grande entre « soigner » et « traiter ». On traite une maladie ou une condition – on propose le traitement qui va aider le patient à guérir de cette maladie ou cette condition. (Nota Bene : c’est toujours le patient qui guérit de sa maladie ; si l’on pense que c’est le soignant qui guérit, on doit l’appeler un guérisseur…)

Soigner n’est pas superposable à traiter, donner des soins n’équivaut pas à administrer un traitement. On peut traiter sans soigner, et soigner sans traiter. Opérer est indispensable pour traiter une appendicite, mais ça ne soigne pas.

Les traitements du cancer (la chimio, les rayons, la chirurgie) ne sont pas des soins. Les soins (administrer des anti-émétiques, prévenir la perte de cheveux par exemple) permettent d’atténuer la violence des traitements. Les soins palliatifs ne sont pas des traitements de maladie, ils ont pour but d’atténuer ou de soulager des symptomes. Les soins, c’est ce qui permet d’aller mieux.

La confusion vient de ce que les professionnel.les de santé ont surtout comme obligation de diagnostiquer des maladies, puis de les traiter en se conformant à des protocoles thérapeutiques. Ces grilles diagnostiques, ces protocoles font partie de leur enseignement. Mais on ne leur apprend pas toujours à soigner, c’est à dire à se préoccuper et à oeuvrer au mieux-être du patient qu’on traite.

De plus, on a tendance à séparer nettement les traitements des soins : les premiers sont ordonnés, les seconds sont délivrés, mais pas toujours par les mêmes professionnel.le.s.

On en déduira sans mal qu’on peut contraindre quelqu’un à se soumettre à un traitement, mais pas à recevoir des soins – puisque les soins sont incompatibles avec la contrainte.

Je postulerai alors que lorsqu’un.e patient.e déclare « On m’a maltraité.e », cela veut dire qu’on l’a brutalisé.e – et non qu’on l’a « mal traité.e ». Pourquoi ? Parce que s’il est difficile à un.e non-professionnel.le de savoir si on lui a administré sont les protocoles thérapeutiques appropriés, il est toujours en mesure de dire ce que ces protocoles (et les comportements qui les ont accompagnés) lui on fait ressentir. Un.e patient.e ne peut pas toujours dire ce qu’on lui a fait, mais peut toujours dire s’il ou elle se sent bien ou mal. Par conséquent, seuls les patient.e.s sont en mesure de dire : « On m’a fait du bien » ou « On m’a nui. »

Si le principe de « D’abord, ne pas nuire » est si ancien, c’est parce que la possibilité de nuisance est toujours là quand une personne demande des soins.

La personne en demande de soins, vulnérable du fait même de sa maladie, s’adresse en confiance aux soignants. Cette confiance qu’elle fait aux soignants est un risque : elle a beaucoup à perdre s’ils en abusent.

L’obligation d’obtenir un consentement éclairé, principe fondamental de l’éthique biomédicale depuis le Code de Nuremberg (1947) et la Déclaration d’Helsinki (1964) est destinée à éviter cet abus de confiance.

Et si l’on a établi des principes éthiques c’est parce que les professionnel.le.s de santé ne sont ni « pur.e.s », ni « moralement insoupçonnables », ni même « entièrement voué.e.s » au soin.

De fait, tou.te.s les soignant.e.s sont toujours entre deux feux, pris.e.s « en sandwich » dans des conflits multiples. En voici quelques-uns.

Les dilemmes intérieurs.

Pour soigner, il faut d’abord avoir enviede soigner. Ça n’est pas donné à tout le monde. Empathie et altruisme sont des caractéristiques du comportement humain, mais tout le monde n’en est pas porteur de manière identique. Il y a des personnes empathiques jusqu’à l’excès. D’autres qui n’ont aucune empathie : on appelle ça des sociopathes. Entre les deux, tous les degrés existent.

L’altruisme de la plupart des individus porte avant tout sur l’entourage immédiat : ascendants, collatéraux, enfants, parents proches, amis de longue date. Et il n’a rien de systématique, comme le montrent toutes les tragédies familiales. Alors, il n’est pas scandaleux d’admettre que donner ses soins à de parfaits étrangers représente probablement un effort pour la plupart des gens… et donc des professionnel.le.s de santé.

Quand un.e de ces professionnel.le.s n’est intéressé.e que par l’aspect technique de son exercice (les explorations, le diagnostic, le traitement), alors ce n’est pas un soignant. Et nous avons un gros problème : peut-on prétendre être un.e professionnel.le compétent.e en ayant à aucun moment le souci de ce qu’éprouvent celles et ceux qu’on soigne ?

Même en supposant que tou.te.s les professionnel.le.s ont le souci de l’autre et s’efforcent de soigner, ça n’est pas de tout repos. Quand on doit par exemple toucher le corps d’un.e inconnu.e, recoudre une plaie ou panser une escarre, voire simplement s’approcher d’un corps mutilé ou déformé par la maladie, il faut prendre en compte l’attirance et la peur, l’inconfort et le dégout. Tout.e professionnel.le doit, en principe, délivrer des soins de la même manière aux personnes qui lui sont sympathiques et à celles dont il aimerait s’éloigner. Est-ce toujours le cas ?

Pour soigner, il faut sans arrêt lutter contre ses propres sentiments ambivalents. Ne pas juger, même si ce qu’on entend nous surprend ou nous répugne. Le faire même quand on est fatigué ou abattu. Le faire même si la voiture n’a pas démarré le matin, même si le conjoint nous fait la gueule, même si l’atmosphère au boulot est délétère.

Tous les soignants sont pris entre les deux feux que sont leurs émotions et leurs raisonnements.

Mais qui leur apprend à faire la différence entre les unes et les autres, pendant leur formation ? Qui, seulement, leur en parle ?

Les conflits d’image

Tout soignant veut bien faire (professionnellement parlant) et faire du bien (au patient). Mais puis-je bien faire et faire du bien sans me sentir bien moi-même ? Puis-je bien faire en taisant ce que je ressens ? C’est une question importante, qui mériterait d’être abordée de front. Est-elle seulement posée ?
L’un des dilemmes intérieurs les plus fréquents réside dans la manière dont on se voit faisant son métier : quelle figure de professionnel veux-je avoir de moi-même et donner aux autres ? Ces deux figures sont-elles compatibles entre elles ? Et sont-elles compatibles avec le soin ? Par exemple, le médecin qui décide d’« aider les femmes infertiles à avoir des bébés » (et se spécialise dans la PMA) plutôt que d’aider les femmes fertiles à mettre leurs bébés au monde quand elles veulent, si elles veulent (en s’occupant de contraception et d’accouchement), qui sert-il en premier ? Les femmes ou l’image qu’il veut donner de lui ? Certaines « vocations » semblent plus « glorieuses » que d’autres. Elles sont, en tout cas, plus spectaculaires. Nous connaissons tous des services où l’on affiche le nom des bébés « miracles » que les obstétriciens ont « fait » aux couples infertiles. Connaissez-vous des services où l’on affiche le nombre de femmes qui ont pu choisir librement leur contraception ? Ou le nombre de femmes à qui on a posé des stérilets sans leur faire mal ? Pourtant, l’une et l’autre de ces activités ont la même valeur, puisque la valeur d’un soin se mesure uniquement à ce qu’en dit la personne qui l’a reçu.

Mais aider les femmes à assumer leur liberté et à décider librement d’avoir ou non des enfants (en leur donnant accès à la contraception, à l’IVG, à la stérilisation volontaire si elles le choisissent), c’est moins spectaculaire que d’aider des couples infertiles à concevoir.

Quelle image, au fond, ai-je envie de projeter ? Celle du professionnel qui reste en retrait et s’efforce de soutenir les décisions des patients ou celle de celui qui, assumant sa « fonction apostolique », comme le disait Michael Balint, fait tout pour les convaincre de la justesse de ses conseils et de ses recommandations thérapeutiques, et veille jalousement à ce qu’ils les appliquent ? Là encore, l’une des deux est spectaculaire, l’autre non.

Or, le spectaculaire nourrit le prestige. Et le prestige, beaucoup de professionnel.le.s en ont soif. Ce, d’autant plus que leur carrière est fondée sur la hiérarchie des statuts.

Les conflits de valeurs

Je propose un médicament à un patient ; il préfère recourir à des granules d’homéopathie. Pour beaucoup de professionnel.le.s formé.e.s à la biomédecine, il s’agit d’un conflit de savoir : « Le patient ne sait pas qu’un des deux médicaments est efficace, l’autre pas. »

A mon avis, ils font erreur : c’est un conflit de valeurs. Car ce sont les valeurs qui conditionnent ce qu’on fait du savoir. Tenir que l’un des deux traitements est efficace, l’autre pas, c’est passer à côté de l’essentiel : que veut le patient ? Que cherche-t-il à protéger ou à défendre ? Il faudrait le lui demander, et respecter sa réponse.

Autre exemple, plus épineux encore : une femme témoin de Jéhovah, sur le point d’accoucher, refuse qu’on la transfuse. Elle sait parfaitement qu’elle peut mourir d’une hémorragie de la délivrance si on ne la transfuse pas. Mais son système de valeur la conduit à refuser un traitement qu’elle sait efficace. Quand on choisit de respecter ce système de valeur, on peut réfléchir à l’avance aux alternatives possibles, définir ce que les patients acceptent ou n’acceptent pas (et cela varie). Quand on le rejette purement et simplement, on se met dans une situation de bras-de-fer. Et les soignants se transforment alors en agents de la force publique. Est-ce acceptable ?

Croire que le savoir va de soi pour tout le monde, et que ceux qui le refusent sont ignorants et une erreur : il n’en est rien. 

Une femme souffre d’un zona, elle en a marre de souffrir. On lui suggère de prendre une molécule qui diminuera sa douleur. Elle la prend, mais il la soulage seulement la nuit. Elle décide de continuer à le prendre, mais d’aller voir un magnétiseur pour être soulagée dans la journée. Elle a envie de croire que ça lui fera du bien, et elle pourrait bien avoir raison : l’effet placebo est un antidouleur puissant. Il pourrait suffire à la faire patienter jusqu’à ce que la douleur s’atténue spontanément (ou sous l’effet du médicament qu’elle prend le soir). Faut-il l’en dissuader, alors qu’elle a déjà accepté le traitement approprié ? Faut-il rompre la relation de confiance en dénigrant le recours à une procédure complémentaire qui n’a pas pour mission de la traiter (c’est déjà fait) mais pourrait contribuer à la soigner plus complètement ?  

Lui refuser cette option d’aller voir le magnétiseur, c’est se placer dans un rapport de force : je sais, tu ne sais pas. Beaucoup de professionnels en auraient envie, mais est-ce ce que la patiente demande ? Est-ce ce dont elle a besoin ?
Il arrive aussi, bien entendu, que les professionnel.le.s soient ignorant.e.s. Par désinformation, par négligence, par paresse, par obscurantisme. Et pourtant, dans ce cas aussi, il s’agit de valeurs et non de savoir : un.e professionnel.le de santé devrait toujours garder les yeux et l‘esprit ouverts, ne fût-ce que pour remplir ses obligations. Comment peut-on soigner (ou même traiter) quand on refuse de reconnaître et, si possible, de dépasser les limites de ce qu’on sait ?
Ce qui est en jeu, ici, c’est la certitude, pour certains professionnels, que seules leurs valeurs sont valides, et qu’elles excluent et remplacent les valeurs de ceux qu’ils soignent – et parfois aussi les valeurs qu’ils devraient défendre par obligation déontologique.

Conflits hiérarchiques et conflits de loyauté

 Aucun professionnel n’exerce dans un désert. Tous exercent dans un environnement culturel et social, dans un système de santé, dans une équipe et (en principe) en synergie avec d’autres professionnels. De deux choses l’une : ou bien l’équipe travaille dans le respect mutuel et le partage, ou bien elle est soumise à des rapports de force hiérarchiques. Dans le second cas, les professionnels doivent choisir entre la soumission et la désobéissance. Quand l’autorité est tyrannique et arbitraire, la révolte va de soi, intellectuellement du moins. Ça ne veut pas dire qu’on choisit de se révolter : l’auto-préservation des professionnels l’emporte souvent sur l’intérêt des patients –  et comment ne pas le comprendre ? C’est moralement insupportable, mais la morale ne paie pas le loyer.

Quand les conflits naissent, en revanche, de désaccords entre professionnels qui se respectent, il n’est pas exclu qu’on se range à l’opinion d’un collègue plus âgé, plus prestigieux, plus gradé plutôt que de défendre les besoins des patients : un patient est le plus souvent de passage ; un collègue nous colle au train longtemps.

Les conflits de loyauté sont particulièrement épineux entre soignant.e.s en formation et formateurs/trices. On apprend le métier de soignant par imitation, par émulation. Chaque soignant a besoin de modèles, et chacun prend ceux qu’on lui propose. Quand on a de l’admiration pour le modèle, il est difficile de le remettre en question sans crainte de suggérer qu’on rejette tout de lui ou d’elle. Car, dans une certaine mesure, le soignant en formation voue à son formateur la même confiance que le patient voue au soignant. Cette confiance, nous avons besoin qu’elle soit absolue. Or, ce n’est ni réaliste, ni sain. Personne ne peut avoir toujours raison. Tout enseignement doit pouvoir être discuté, interpellé, voire contesté. Mais quand les soignants apprennent-ils à remettre en question les paroles, les actes ou les décisions de leurs aînés ? Et, surtout, quand les exprimer leur désaccord ? Quand prend-on leurs objections en compte ? 

Les conflits d’intérêts

Soigner est fatiguant, c’est prenant, c’est un engagement physique, psychologique et moral. La question qui se pose est : « Soigner, d’accord, mais pour quelles gratifications ? »

Quand on est un professionnel de santé, on attend de tirer de son activité des gratifications multiples : d’abord, gagner sa vie et faire vivre sa famille ; ensuite, bien entendu, avoir la satisfaction de voir les patients aller mieux (ou moins mal) et parfois guérir ; mais aussi être respecté par ses collègues et par les jeunes soignants qu’on aide à former.

Mais soigner n’est pas une activité émotionnellement et moralement gratifiante pour tout le monde. C’est un travail difficile, qui n’est le plus souvent apprécié à sa juste valeur. On peut entendre une patiente nous dire : « Vous m’avez fait du bien. » On entend plus rarement une collègue nous dire : « Bravo, tu l’as bien soignée. » Et il n’arrive jamais qu’on reçoive un salaire plus important parce qu’on a mieux soigné ce mois-ci que le mois précédent. (Il faut dire que le soin n’est que rarement évalué par celles et ceux qui le reçoivent. Au contraire, on trouve normal que les professionnel.le.s évaluent leur efficacité sur la docilité des patient.e.s à se conformer à leurs ordonnances !)
Mais quand l’exercice d’une profession de santé n’apporte pas de gratifications morales, quand il n’est pas reconnu par les autres et quand il n’est pas bien rémunéré, pourquoi se demander si ce qu’on fait a fait du bien ?  

L’intérêt des professionnel.le.s consiste à tirer de leur exercice les gratifications qu’ils peuvent. Bâcler le travail pour rentrer chez soi plus tôt ou multiplier les actes rémunérateurs sont des comportements courants. Qui peut prétendre qu’ils servent les intérêts des patients ? 

Que faire ?

De tous ces cas de figure, on peut extraire une constante : les soignants sont toujours entre deux feux, pris dans des conflits multiples, intriqués, souvent inconscients. Dans ces conditions, il est assez miraculeux qu’on parvienne à soigner. Et cependant, on soigne.

Ne pourrait-on pas soigner plus, et soigner mieux ? Il me semble que oui, si l’on a en tête quelques idées simples.

Soigner, ce n’est pas soumettre l’autre à ses soins. C’est les lui proposer et les lui prodiguer en vérifiant à chaque instant (en lui posant la question) qu’ils lui font plus de bien que de mal.

Soigner, ça consiste à abdiquer tout rapport de force, tout bras de fer. Car dans les bras de fer, il y a toujours un perdant. Et quand il s’agit de soins, qui est toujours perdant ? Le patient. La seule manière de ne jamais faire perdre le patient, c’est de ne pas jouer à qui sera le plus fort, à qui aura raison. Ce n’est pas toujours possible, mais si on en prenait déjà conscience, ce serait pas mal.

*

Soigner, ça ne se fait jamais contre, mais avec. En coopération. De concert. Ensemble. Et pour ça, une fois encore, il faut savoir lâcher prise de ses certitudes ou de ses convictions. Réfléchir à ce qui est essentiel pour le patient, au lieu de brandir des principes absurdes.

Un homme qui meurt d’une longue maladie sort de son coma et demande une glace au citron. Le médecin répond : « Pas question, vous êtes diabétique. »

Une femme porteuse d’une obésité très importante souffre d’une sténose du sigmoïde. Elle demande à un chirurgien de l’opérer. Réponse de celui-ci : « Je ne veux pas prendre ce risque. Allez d’abord vous soumettre à une chirurgie bariatrique pour perdre du poids. » Autrement dit : « Allez courir un premier risque chirurgical avec quelqu’un d’autre ; ensuite je verrai si je vous laisserai en prendre un second avec moi. »

Dans un cas comme dans l’autre, ces réponses caricaturales n’ont rien à voir avec le soin. 

*

Soigner, ça nécessite de penser que la personne qu’on soigne est notre égale et qu’elle ne vaut ni mieux ni moins bien que nous. C’est très difficile, c’est même contre-intuitif pour beaucoup de professionnel.le.s, mais c’est la seule manière de la respecter et de protéger l’intégrité des patient.e.s. Car si l’autre vaut autant que moi, alors ses raisons d’accepter ou de refuser mes soins – ou d’en demander d’autres – sont respectables. Et pour favoriser son autonomie, je ne dois pas chercher à l’annexer à ma vision du monde. Même si j’ai peur.

Car pour soigner, le professionnel doit sans cesse lutter contre ses propres peurs.

La peur de ne pas bien faire s’il ne fait pas « tout » (Moins que tout, c’est pas assez…).

La peur que les patients meurent ou s’aggrave parce qu’il ne leur a pas « bien expliqué » ou parce qu’ils « n’ont pas tout dit » ou « n’ont pas voulu comprendre » ou parce qu’ils « n’en font qu’à leur tête ».

La peur que ses pairs, ses maîtres lui reprochent de n’avoir pas été à la hauteur de leurs attentes.

La peur d’apparaître comme un imposteur.

La peur est le pire ennemi du soignant, parce qu’elle l’empêche de penser. Elle l’empêche de rassurer les patients, elle contribue à les inquiéter plus qu’ils ne le sont déjà et, par conséquent, à restreindre leur autonomie : un professionnel qui a peur ne peut pas informer de manière loyale ; un patient qui a peur ne peut pas prendre de décision raisonnée.

Soigner ça nécessite de mettre de côté sa vanité de professionnel pour demander en permanence au patient d’indiquer ce qui lui fait du mal et ce qui le soigne, et de prendre ces indications comme repère. Ça nécessite d’entendreque le patient a mal à cause de ce qu’on lui fait – pour s’efforcer d’y remédier. Ce ne sont pas les mots ou les scalpels ou les médicaments qui sont source de maltraitance, c’est le refus d’admettre qu’ils font mal et de vouloir y remédier.

Soigner, au fond, ça nécessite d’être l’aidant du patient et son défenseur (au sens du mot anglais « advocate ») – de le soutenir dans ses demandes, et parfois de les exprimer en son nom, mais jamais à sa place.

Oui, soigner, c’est exigeant, c’est fatigant, c’est difficile. Il est donc miraculeux qu’on parvienne à soigner. Et pourtant, beaucoup de professionnel.le.s le font. Alors, vous qui soignez, soyez remercié.e.s et croyez à toute mon admiration.


Marc Zaffran

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Réponses au site « Egora » à propos des « Brutes en blanc » – l’intégrale

Le site d’informations médicales Egora m’a interrogé sur « Les Brutes… » et les réactions de la profession. Comme je ne sais pas faire court, l’entretien a été raccourci pour publication (comme c’est toujours le cas pour les entretiens, même sur un site en ligne) ; et cela, je le souligne, sans que ces omissions dénaturent mes propos. La journaliste qui a sollicité et publié le texte m’avait soumis les omissions (surlignées ci-dessous) avant publication, et je les avais acceptées. Je tiens à saluer ici son professionnalisme. 

Cependant, comme il s’agit d’un site professionnel, le public non médical n’y a pas accès. Je publie ici l’intégralité de l’entretien. Pour celles et ceux qui ont la patience de tout lire. 🙂 

MZ



Pour qui avez-vous écrit ce livre ? Pour les médecins ? Pour les patients ?

Je l’ai écrit pour, et au nom de, ces patients très nombreux dont je reçois chaque jour des courriels et des témoignages depuis 2002, quand j’étais chroniqueur sur France Inter. Mais aussi pour les soignants qui m’ont confié leurs difficultés à se former et  à soigner dans un environnement irrespirable, et qui pour certains l’expriment publiquement : les blogs des généralistes, des internes, des étudiants en médecine, des aides-soignantes, des sages-femmes et des infirmiers disent combien ils souffrent non seulement de la brutalité de l’administration hospitalière ou des institutions d’Etat, mais aussi de la rigidité et du comportement maltraitant de certains professionnels.

Lorsque ceux-ci sont à des postes-clés, et empêchent tout dialogue entre soignants et toute écoute des patients, ça devient infernal.


Alors bien sûr, la désertification, le poids de l’administration et la pression du T2A sont insupportables. Mais l’analyse de ces maltraitances-là n’était pas le propos du livre : je me focalise sur la maltraitance individuellepratiquée ou relayée par certains professionnels et subie par d’autres soignants beaucoup plus nombreux et par des patients. Cette maltraitance a ses sources dans un mode de pensée et une culture très anciens. Le livre témoigne pour les patients mais invite aussi les professionnels qui veulent me lire, et que je suppose responsables de leurs actes, à examiner et à réviser ce qu’ils font et ce que font d’autres autour d’eux. Et à ne pas rester les bras croisés.

Vous écrivez, dès les premières pages : « Il y a partout en France de très bons soignants, de très bons services, de très bonnes équipes ». Pourquoi, alors, avoir choisi ce titre et ce bandeau qui font bondir vos confrères ? Comprenez-vous ceux qui regrettent que l’amalgame « soignants/maltraitants » soit l’idée qui sera reprise par la presse et reçue par les patients ?

Je suis un professionnel de l’écrit depuis le début des années quatre-vingt. Quand je choisis un titre,  c’est avec beaucoup de soin. J’ai choisi celui-ci pour sa polysémie : il évoque les « Hommes et aux Femmes en blanc » d’André Soubiran (dont les personnages étaient loin d’être tous des modèles de vertu !!!), et la brutalité de certains comportements (annoncer une maladie grave « de but en blanc »). Bref, à mes yeux, il est tout à fait approprié. Je ne l’ai pas choisi pour qu’il plaise ou déplaise, mais pour qu’on sache tout de suite de quoi je parle. Et j’ai rédigé le dos du livre pour la même raison.

Le premier bandeau proposé par l’éditeur était « Pourquoi lesmédecins nous maltraitent ? » – ce qui sous entendait que tous les médecins étaient visés. Je m’y suis opposé car le contenu du livre dit sans arrêt le contraire. J’ai proposé « Pourquoi y a-t-il tant de médecins maltraitants ? » parce que c’est la question que posent celles et ceux qui me racontent leurs déboires. Tous disent qu’ils ont eu du mal à trouver quelqu’un qui les écoute sans les humilier ou les rabaisser. Mais ils continuent à chercher, parce qu’ils savent qu’il y a des médecins respectueux.

Le propos du livre n’est d’ailleurs pas focalisé sur les médecins, mais sur le type de maltraitances rapportées ou documentées et sur les origines culturelles de ces maltraitances. Comme ce sont les médecins qui sont les soignants les plus autonomes, il est surtout question d’eux ; comme ce sont surtout les femmes qui témoignent, je parle beaucoup de gynécologie mais pas seulement. Et je ne désigne pas du doigt l’ensemble des médecins mais, encore une fois, des attitudes, des paroles, des gestes, des comportements.


Bon, on m’engueule sur Twitter, mais c’est le droit de chacun de penser ce qu’il veut, et franchement, c’est de la petite bière à côté des maltraitances réelles infligées à des personnes vulnérables. Depuis la sortie du livre, pour chaque protestation de professionnel choqué, je reçois plusieurs messages d’encouragement et de remerciements venant de médecins (généralistes, spécialistes et hospitaliers), de sages-femmes, d’infirmières et de patients. Le sujet est tabou et n’est jamais abordé de front. Car quand on risque d’être sacqué pour avoir ouvert la bouche, on y regarde à deux fois.

Comme je ne suis pas paternaliste, je fais confiance à l’intelligence des lecteurs. Ceux et celles qui sont satisfaits de leurs relations avec les médecins ne seront pas ébranlés par ce titre. Le fait que certains médecins le soient, en revanche, me semble parfois découler de leur sentiment justifié d’être mésestimés et harcelés par le système. Le titre ne les vise pas personnellement ; s’il les a choqués, c’est parce qu’ils sont fragilisés. Mais je ne suis pas responsable de leurs souffrances – et il n’est pas 
question d’eux ! Il est question des patients !

D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que j’aborde la question de la maltraitance dans mes livres, loin de là !!! La Maladie de Sachs, Nous sommes tous des patients, Les Trois Médecins ou Le Chœur des femmes en parlent à chaque page. Ce dernier a fait moins de bruit que Les Brutes en blanc, mais près de deux cents mille lectrices y ont retrouvé leurs expériences et leurs sentiments d’avoir été maltraitées. Certains des journaux (médicaux) qui l’ont chroniqué en 2009 n’ont pas manqué d’en souligner le « manichéisme » et les attaques contre la profession, mais curieusement ça n’a pas fait bouger l’Ordre ou les réseaux sociaux de médecins, à l’époque. Ce n’était qu’un roman, pas un livre « sérieux »…


Pour Les Brutes en blanc, dès la mention du sujet et du contenu, les journalistes de nombreux médias ont voulu le lire et ont demandé à m’interroger. En écoutant leurs questions, j’ai pu constater que leur intérêt pour le sujet est lié directement à leur expérience personnelle ou familiale. Car tout le monde a une histoire de maltraitance médicale à raconter, même les médecins !!! Prétendre le contraire est un mensonge ! Est-ce que ça veut dire que tous les médecins sont maltraitants ? Non ! Mais si beaucoup de gens se sentent maltraités, alors ça mérite que la profession se penche sur le sujet !!!A noter que vous êtes le premier média professionnel qui m’interroge. Le Généraliste et le Quotidien n’ont pas jugé utile de le faire. Dommage. J’aurais pourtant répondu volontiers.


Personne n’a demandé au Parisien de faire sa « une » sur mon bouquin. La presse française ne fait pas ce que les auteurs ou les éditeurs lui demandent, elle fait ce qui lui est profitable pour vendre des journaux, quand elle pense que ça intéresse ses lecteurs. J’ai découvert cette « une »  en même temps que tout le monde. On ne m’avait pas demandé mon avis – et c’est très bien : la liberté de la presse est une valeur fondamentale dans un pays démocratique. J’ai trouvé cette « une » très provocatrice (plus que mon titre, à vrai dire !), mais beaucoup de « unes » sont oubliées le lendemain de leur publication. Je n’aurais jamais pensé que des professionnels de qualité se sentent visés par ça. Et je me suis dit (assez naïvement) qu’ils auraient la curiosité d’aller lire à l’intérieur et de regarder dans le bouquin de quoi il s’agit. D’autant qu’il n’est pas nécessaire de l’acheter : on peut lire le début gratuitement sur les sites de librairie en ligne, et j’en ai publié plusieurs extraits sur mon blog.

Au lieu de quoi, une petite partie de (mais pas toute) la communauté médicale a réagi de manière épidermique, sans aller voir plus loin que le titre du livre. Parmi ces voix en colère, aucune n’a mentionné que dans le corps de l’article du Parisien, d’autres médecins – parmi lesquels Didier Sicard – s’expriment sur le sujet. Je n’ai pas le monopole du discours sur la question.


Les professionnels qui ont réagi de manière défensive et hostile n’ont fait que fortifier aux yeux du public l’idée (fausse, étant donné l’hétérogénéité de la profession) que « les médecins font corps » quand on les critique. Bref,  cette levée de boucliers est perçue par beaucoup de patients (qu’on prétend vouloir préserver) comme une manifestation de corporatisme. Du coup, ce n’est pas le livre qu’elle dessert…  


 L’Ordre des médecins rappelle que plus de 90% des patients disent avoir une bonne relation avec leurs médecins et vous accuse de « réduire l’ensemble de la profession médicale à des maltraitants ». Que lui répondez-vous ?

C’est un peu comme si les syndicats de police répondaient aux soupçons de bavures policières que « 95% des citoyens sont satisfaits des forces de l’ordre ». Aucun rapport ! La « satisfaction », c’est une notion extrêmement vague si on ne précise pas de quoi on parle. Les sociologues répètent ça depuis trente ans au moins. On peut être satisfait de « son » médecin et avoir subi des maltraitances de la part d’autres médecins ! On peut témoigner des maltraitances exercées sur ses proches sans en subir soi-même. Par ailleurs, dans des zones où la démographie médicale est dramatique, on peut très bien se dire « satisfait » parce qu’on a un médecin alors que les patients du village voisin n’en ont pas. Enfin, on peut parfaitement ignorer que son médecin est maltraitant avec d’autres patients !!! Les maltraitances sélectives – sociales, racistes, sexistes, grossophobes, homophobes et autres – j’en décris plusieurs dans le livre.

Cela étant, l’Ordre a pour vocation de défendre l’image des médecins, il n’allait pas abonder dans mon sens. Mais s’il cherchait à me déconsidérer, c’est raté. Aux yeux de ses adversaires (il y en a un paquet), ce communiqué est une légion d’honneur. Aux yeux des patients, ça laisse entendre que mon livre est vraiment très dangereux. Et ça me fait sourire. A moi seul, je vais ébranler la confiance de 60 millions de Français ? Vraiment ? L’industrie pharmaceutique a dit la même chose de mes chroniques sur France Inter…

A vous lire, on a le sentiment que la médecine française est particulièrement maltraitante. Vous dites que cela commence dès les études de médecine. Pourquoi cette particularité française ? Est-elle réelle ?


Oui, je le pense, et j’évoque dans le livre  des éléments d’explication scientifiques, anthropologiques, éthiques, historiques, sociologiques, politiques, religieux. Je ne dis pas que j’ai fait le tour de la question, mais au moins je l’ai examinée sérieusement, en comparant avec la réflexion sur la maltraitance et la médecine dans d’autres pays. Le livre cite de nombreuses sources, ce n’est pas une série d’anathèmes ou de péroraisons. Alors pour y répondre de manière crédible, il ne suffit pas de m’invectiver (ou de me décocher des insultes antisémites, comme l’ont fait certains). Il faut répliquer point par point. Il ne suffit pas non plus de dire « C’est pas vrai, il veut seulement vendre des livres ! » ou « Vous fantasmez, tout a changé depuis vingt ans ! »

Non, tout n’a pas changé, même s’il y a des D.U. d’éthique et de l’apprentissage de la relation. Si certaines facs ont commencé à modifier leur enseignement, ce n’est pas le cas de toutes (à Montpellier, par exemple, on me l’a confirmé aujourd’hui même, on continue dans certains services à suggérer aux étudiants « d’apprendre » le TV sur des femmes sous AG). D’autre part, même si toutes les facs délivraient un enseignement parfait de l’éthique et de la relation depuis dix ans (en 2005, ce n’était pas le cas, j’en sais quelque chose), il faudrait au moins trente ans pour que tous les médecins exerçant sur le territoire aient été formés sur ce modèle !!! Alors même si la formation change petit à petit, la maltraitance ne va pas disparaître comme par magie du jour au lendemain !

La cause première, à mon sens, de la maltraitance à la française (enracinée dans une histoire religieuse et politique très ancienne), est attestée par sociologues et historiens et parfaitement perceptible par des observateurs de l’étranger : c’est la posture de supériorité parfois inconsciente, mais réelle, que prennent beaucoup de médecins vis-à-vis de « tout ce qui n’est pas médecin ». Cette posture (les Québécois parlent d’ « arrogance ») sous-entend qu’un médecin est supérieur, par le savoir mais aussi par les valeurs morales, à ceux qu’il ou elle soigne. Et qu’il est en droit d’imposer ces valeurs « pour le bien du patient ». Ce n’est certes pas la posture individuelle de tous les médecins, mais elle est extrêmement répandue dans la profession, et entretenue par sa hiérarchisation.

Beaucoup de médecins viennent de milieux favorisés (mais même cette évidence, certains le contestent contre toutes les données statistiques) ; comme personne ne leur apprend l’humilité, le caractère très compétitif des études valide (ou en tout cas ne dément pas) leurs présupposés sociaux de « supériorité ». L’élitisme intrinsèque aux institutions françaises (pensez au grandes écoles, à l’ENA) est omniprésent dans la formation et le milieu médical et se traduit par des luttes de pouvoir à tous les niveaux. Il imprègne tout le système – et toutes les relations entre les professionnels. La dévalorisation des  autres professions de santé en est un signe flagrant. Tout comme le mépris rampant envers les généralistes, sous-estimés et sacrifiés après avoir été longtemps sous-formés en faculté. 
Nier cet élitisme et ces luttes de pouvoir (ou les considérer comme « normales ») c’est fermer les yeux sur leurs conséquences. Quand une infirmière se suicide, quand un praticien hospitalier se jette par la fenêtre ou quand un généraliste prend un cocktail de médicaments pour en finir, ce n’est pas à cause des patients et ça n’est pas seulement à cause de l’administration. C’est aussi parce que l’environnement de travail immédiat était insupportable et parce que certains individus bien placés y sont délétères. Face à ces individus-là, la fameuse « confraternité » dont on nous rebat les oreilles reste parfois violemment muette !!! Sept morts sur ordonnance de Jacques Rouffio le décrit très bien et ça n’est pas une fiction. L’affaire de l’hôpital Georges-Pompidou non plus !

Comment y remédier ? Quelle serait la première mesure à prendre pour améliorer la situation ?

D’abord la reconnaître ! Ecouter les patients qui disent être maltraités et les soignants harcelés par leurs collègues ; désigner, condamner et sanctionner sévèrement les professionnels maltraitants.

Hier, seulement, Le Quotidien du Médecin publiait un article sur le harcèlement sexuel dans le monde médical. C’est le deuxième en moins de quinze jours ! Si le harcèlement sexuel et le harcèlement moral (qui sévissent souvent ensemble) existent entre professionnels, vous pensez que les patients en sont préservés ?

Et il ne suffit pas que les journaux le disent ! Il faut aussi que les professionnels eux-mêmes agissent !

Ce type de harcèlement devrait être fermement, constamment et ouvertement dénoncé dans les facultés et les hôpitaux, il devrait faire l’objet d’un enseignement et d’une prise de conscience récurrente tout au long des études. Mais pour ça, il faudrait que tous les enseignants fassent leur examen de conscience…


Car il faudrait aussi dénoncer les mauvais exemples. Un PU-PH qui tient des propos racistes, sexistes ou homophobes ne devrait plus avoir le droit de donner des cours. Un chirurgien infect avec les équipes de bloc ne devrait pas avoir le droit de former des étudiants ou des internes. Il ne devrait pas avoir le droit d’opérer, point final. On ne peut ni soigner, ni enseigner ni travailler en équipe en étant un sociopathe !

Combien de professionnels toxiques sont tolérés parce qu’ils ont la faveur de la direction, des liens politiques puissants ou parce que leur activité est une source de revenus pour l’hôpital qui les emploie ? Nul ne le sait, parce que personne ne veut enquêter là-dessus ! Tout le monde sait que ça existe, mais par « confraternité », ou par défaitisme, ou parce qu’on veut la paix, on ferme les yeux ! Une profession qui n’est pas capable de balayer devant sa porte mérite-t-elle la confiance des patients ? On est en droit de se le demander !

Les conditions d’exercice des médecins en France peuvent-elles être un élément d’explication ?

Elles peuvent tout à fait expliquer l’hyperréactivité de certains à la vue du titre de mon bouquin – bien qu’il ne représente qu’une goutte d’eau face au tsunami de maltraitances qu’ils subissent ; elles ne sauraient en aucune manière expliquer ou justifier la maltraitance que d’autres qu’eux exercent sur les personnes vulnérables (patients et soignants).

Aujourd’hui, la crise économique est dure pour tout le monde, patients etsoignants. Les patients ne sont pas responsables de leurs conditions de travail ou de chômage. Ils ne sont pas responsables des insuffisances des pouvoirs publics et des manipulations des industriels pour leur faire consommer des aliments qui les rendent obèses.Et ils ne sont pas responsables de ce qu’on fait subir aux soignants. 
Quand ils s’adressent à eux avec des plaintes nourries par le marasme économique et social actuel, ils s’attendent à être entendus par des gens dont c’est le boulot ! Pas à être engueulés ou traités de paresseux ou de simulateurs parce qu’ils sont obèses ou souffrent de douleurs chroniques inexpliquées !

Tout médecin a parfaitement le droit d’être fatigué, ça ne l’autorise pas à se « lâcher » sur les patients. La plupart des médecins en ont conscience, et se comportent de manière parfaitement respectueuse, malgré leur fatigue. Vous n’accepteriez pas qu’on « explique » qu’un instituteur a frappé votre enfant en disant « Il est fatigué, l’Education Nationale lui pompe l’air ». Alors il est inacceptable, quand on parle de maltraitance, de répliquer « Mais Les soignants sont en burn-out ! ». Là encore, ça n’a rien à voir. En ce moment, beaucoup de soignants sont vulnérables, mais les patients le sont toujours, et ce sont deux souffrances distinctes. Les opposer, c’est indécent. Et ça noie le poisson


Vous observez le système français à distance depuis 25 ans ? Observez-vous une amélioration/une évolution ?
Je ne l’observe « à distance » que depuis 7 ans ½, date de mon installation au Québec. Et je n’ai rien à prouver sur ma connaissance du milieu. J’ai exercé à la campagne entre 1983 et 1993. J’ai été rédacteur puis rédac-chef-adjoint de Prescrire entre 1983 et 1989. De 1984 à 2008 j’étais médecin dans un centre d’Orthogénie où je faisais de la médecine générale. En 2009, j’ai acquis une maîtrise de bioéthique de l’Université de Montréal. J’ai défilé en 2005-2006 avec le mouvement des médecins généralistes. J’étais contre les franchises, contre la disparition du Médecin Référent, je suis hostile à la loi Santé et, accessoirement, j’ai été viré de France Inter parce que j’ai critiqué l’industrie pharmaceutique. Mes convictions et mes loyautés n’ont jamais varié, et ceux qui me lisent sans préjugé le savent parfaitement. Mais la loyauté et le soutien n’interdisent pas de pratiquer la critique, sinon c’est seulement du corporatisme.

Et bien sûr qu’il y a des améliorations : des jeunes soignants dont les valeurs et les objectifs sont très différents d’il y a cinquante ans ; des patients plus informés ; des moyens de communication plus performants ; des enseignants à l’esprit infiniment plus ouvert, qui échangent avec les médecins d’autres pays. Tout ça est récent et ça mérite toutes les louanges, mais ça ne règle pas tout. Et mon boulot dans ce livre ne consiste pas à parler de ceux qui font des choses positives, mais à pointer, parce que j’en ai les moyens, les dysfonctionnements que d’autres ne peuvent pas dénoncer.


Je veux que le système de santé français mérite sa réputation de meilleur système au monde. Et pour ça, je pense indispensable que les professionnels redéfinissent leurs priorités : sont-ils médecins exclusivement pour eux-mêmes ou aussi pour servir la population ? Et surtout, à qui doit aller leur première loyauté ? Aux patients ou à leurs confrères ? Pour améliorer leurs relations avec les patients, les médecins doivent examiner les critiques, d’où qu’elles viennent. Et cesser de fermer les yeux. Grâce à l’internet et aux réseaux sociaux, les patients qui le veulent s’informent plus vite que les médecins ; il est temps que les médecins s’adaptent et acceptent que le savoir et les décisions médicales ne soient plus seulement entre leurs mains. Et qu’ils sont responsables de leur comportement devant la collectivité.



Que répondez-vous à ceux pour qui cet éloignement discrédite votre analyse ?

Je le rappelle d’emblée au début du livre : je suis un citoyen ; j’ai parfaitement le droit de critiquer le monde médical de mon pays. Ou alors, ça veut dire que les Français qui ne vivent pas en métropole – mais qui votent et payent des impôts – sont des citoyens de seconde classe ! De plus, j’ai des douzaines de proches et des milliers de correspondants anonymes, sans compter ma lecture assidue des médias français, des thèses de médecine, des blogs, pour m’informer sur la situation. Et j’ai le temps de les lire, puisque c’est mon travail. Aucun médecin praticien en exercice n’a autant que moi le temps de le faire. Alors, dire « Il n’est plus médecin, il n’est pas là, il n’y connaît rien. », c’est un peu court ; ce n’est pas du discrédit, c’est du mépris défensif, signe de l’arrogance dont je parlais plus haut. Ça évite d’avoir à examiner la critique. Mais qui est dupe ? Pas les patients maltraités, c’est certain. Ni, d’ailleurs, le très grand nombre de professionnels qui n’ont pas comme moi la possibilité de s’exprimer mais qui n’en pensent pas moins.



Certains médecins disent avoir grandi/découvert leur vocation grâce à La Maladie de Sachs et être aujourd’hui blessés par ce dernier livre. Quel message souhaitez-vous leur adresser ?

J’en ai deux. Le premier, c’est que je n’écris pas pour qu’on idolâtre mes livres (ou moi). J’écris parce que j’ai des choses à dire, et je sais depuis longtemps que ça ne plaira pas à tout le monde. Si ça aide des lecteurs, je m’en félicite. Si certains soignants ont le sentiment d’avoir trouvé leur vocation grâce à un de mes romans, j’en suis heureux et honoré, mais je leur dirai que cette vocation, ils la portaient déjà. Le livre l’a peut-être encouragée, il ne l’a sûrement pas fait naître et ce serait malhonnête de prétendre (ou de laisser croire) le contraire.

Le second message, c’est qu’ils feraient bien de relire La Maladie attentivement. Je reprends au tout début des Brutes en blanc un de ses passages, qui s’intitulait  – tenez-vous bien : « Nous sommes tous des médecins nazis !!! » On ne pouvait pas être plus clair, je pense. Mon opinion sur le caractère paternaliste et violent de la culture médicale française est la même depuis mes études. On la retrouve dans tous mes bouquins. Si des lecteurs se sentent blessés par Les Brutes aujourd’hui, je le regrette et j’en suis triste, mais ça n’est pas parce que je les ai « trahis » ou parce que j’ai changé d’avis. C’est parce qu’ils ont oublié ce que j’écris depuis toujours. Ou parce qu’ils se sont mis à penser autrement, ce qui est leur droit le plus strict. Comme c’est le mien de dire ce que je pense.

Je n’ai jamais dit ou pensé que tous les médecins sont des brutes. Je passe mon temps à rendre hommage aux nombreux professionnels qui m’ont formé (certains sont cités dans le bouquin). Mais je pense aussi qu’il est temps qu’on reconnaisse qu’il faut  prendre la question de la maltraitance à bras-le-corps, pour le bien des patients. Si la profession examine ses propres travers, elle en sortira grandie aux yeux de la population.

MZ/MW

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Le programme patient-partenaire et le mentorat de patients à l’Université de Montréal

A la suite d’un échange de tweets, Vincent Dumez, co-directeur de la DCCP (Direction collaboration et partenariat patient à l’Université de Montréal), m’écrit :

« Le programme de mentorat patient est bien toujours offert à TOUS les étudiants des sciences de la santé de l’université de Montréal années 1, 2 et 3. C’est sur une base volontaire : nous avons eu 24 participants en 2014, 80 en 2015… inscription en cours pour 2016. Il s’étale maintenant sur 1 an et les évaluations sont excellentes. Un article est en cours de publication. 
En plus, tous les cours sur la collaboration et le partenariat patient sont toujours offerts à tous nos étudiants des sciences de la santé année 1, 2 et 3. Ils sont obligatoires et il y a toujours une paire de formateur patient-clinicien.
Au programme MD on déploie maintenant des activités chaque année (MD et PD) à l’exception de la 2e année, activité en cours de conception. 
Bref, ce que j’avais dit à Creating Space… je crois que je pouvais être enthousiaste 🙂 En passant, dans l’article sur Bobigny dans Le Monde, aucune référence à nos initiatives avec qu’Olivia Gross les connaît parfaitement bien, ni d’ailleurs à toutes les autres initiatives dans le monde sauf une vague référence à l’Angleterre… no comment.« 

Ce programme est donc bien actif. Il ne concerne pas encore tous les étudiants en médecine, mais il a pour vocation de parvenir à ce résultat. Existe-t-il un programme équivalent en France ? Si tel est le cas, je serai heureux d’en faire la promotion sur ces pages de blog.

Ci-dessous, une description détaillée du programme, datant de 2014. Pour télécharger le PDF complet, cliquer ICI






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Comment on a détruit la médecine générale en France (un extrait des « Brutes en blanc ») – par MZ/MW

En trente ans, le fossé entre spécialistes et médecins généralistes s’est aggravé. D’après des chiffres publiés par le Conseil national de l’Ordre des médecins français, d’ici à 2020, les spécialistes seront plus nombreux que les généralistes. Il n’y a à cela rien d’étonnant : les étudiants en médecins sont beaucoup plus nombreux à choisir une spécialité, dont les conditions d’installation, d’exercice et de rémunération sont bien plus attrayantes. La situation est d’autant plus dramatique que les généralistes voient leurs possibilités diagnostiques et thérapeutiques s’appauvrir à mesure que la technologie hospitalière et spécialisée s’accroît. Alors qu’ils sont en première ligne, et devraient donc non seulement assurer les soins de premier recours, mais aussi permettre de distinguer ce qui nécessite des soins spécialisés (lourds et coûteux) et ce qui ne le justifie pas, les généralistes français sont de plus en plus isolés et démunis, de plus en plus harassés, de plus en plus écrasés par la paperasse, et de plus contraints par la baisse de la démographie et la pénurie de remplaçants à ne plus prendre de vacances — bref, à assurer une charge de travail de plus en plus lourde et de plus en plus dévalorisée.

Outre qu’elle devrait rémunérer infiniment mieux la fonction de généraliste, une politique de santé tournée vers les besoins de la population devrait mettre le paquet sur leur formation, pour donner aux praticiens de terrain les moyens de délivrer des soins de qualité et d’éviter le recours inutile à l’hôpital. Or, il n’en est rien : les hôpitaux universitaires sont les fiefs (j’utilise ce terme de la féodalité à dessein) de pratiques spécialisées dont la seule aspiration est de se reproduire. À quelques exceptions près (en province, le plus souvent) très peu de CHU ont un département de médecine générale aussi influent sur la formation des étudiants que le sont ceux de cardiologie, de chirurgie ou d’obstétrique.  

C’est d’autant plus rageant qu’ailleurs, les choses ont évolué. À l’Université de Montréal, la formation des médecins aspire à inclure la participation de patients-partenaires à chaque étape de la formation des médecins de premier recours et des spécialistes. À l’Université McGill, l’une des plus réputées au monde, le département de Médecine familiale vient de fêter ses quarante ans d’existence… Comparée à l’enseignement délivré en Angleterre ou au Canada, la filière médicale française a cinquante ans de retard, au bas mot. 

Une politique de santé vouée au service de la population devrait chercher à satisfaire les besoins spécifiques de celle-ci. Pour ce faire, il serait indispensable d’enquêter sur place, et de dresser la liste des points forts et des points faibles de la délivrance des soins dans une région donnée.  Qui serait le mieux à même de contribuer à ce bilan ? Les professionnels de terrain – généralistes et spécialistes de campagne et de petites villes, infirmières, sages-femmes, kinésithérapeutes, psychologues, etc. – s’ils étaient organisés, coordonnés et rémunérés correctement. Or, en France, on ne soigne pas horizontalement — d’égal à égal, en synergie ;  en France, on divise pour régner. Du haut vers le bas. Car il n’est pas question de travailler tous ensemble.

Depuis quelques années, le concours français de l’internat a été transformé (élitisme oblige) en examen « classant » national (ECN), obligatoire pour tous. Tous les médecins, enfin, sont internes avant de se mettre à exercer. Chaque année, à l’issue des résultats, les candidats postulent pour telle ou telle fonction dans le ou les hôpitaux de leur choix. Et chaque année, un nombre important de postes d’internes en médecine générale ne sont pas pourvus : les étudiants qui pourraient les obtenir préfèrent repasser le concours pour accéder à une spécialité.

Quand on a été formé dans un CHU, au milieu des appareillages et des technologies les plus complexes et les plus sophistiquées, dans la sainte terreur de « passer à côté d’une saloperie si tu ne fais pas ce qu’il faut », la perspective d’aller exercer loin des « plateaux techniques » est aussi rassurante que l’idée de sauter d’un avion sans parachute. Face à la rémunération médiocre, aux gardes obligatoires (parfois, sur réquisition), et à l’appauvrissement des zones rurales (pas d’école à laquelle conduire ses enfants, pas de travail pour le conjoint), la plupart des jeunes médecins qui ne feront pas carrière à l’hôpital préfèrent se spécialiser pour s’établir en ville. Ils gagneront leur vie en travaillant aux heures de leur choix, sans devoir assurer les urgences, et près des centres les mieux équipés. Le choix est simple.

Résultat : aujourd’hui en France, la démographie des généralistes est en chute libre. Harassés, frustrés et noyés par l’isolement, l’absence de soutien et le mépris de pouvoirs publics et de nombreux spécialistes, beaucoup de jeunes médecins refusent de s’installer et des omnipraticiens dans la force de l’âge choisissent, souvent la mort dans l’âme, de « dévisser leur plaque » sans avoir trouvé de successeurs, pour s’orienter vers une autre activité, voire un autre pays. [1]

Car cette situation n’est pas inévitable, même dans les pays les plus industrialisés. En Grande-Bretagne – dont le système de santé, il est vrai, pêche par d’autres aspects – les médecins de famille sont véritablement les points d’ancrage de la délivrance des soins. Ils sont aussi les mieux formés, les plus critiques envers l’industrie, les plus investis dans les recherches portant sur le soin au quotidien, et les plus ouverts au partage des connaissances avec les citoyens. Et, quand le gouvernement les menace de mesures iniques, ils font front commun et le font plier, comme on l’a vu courant 2016.

Au Québec – comme, d’ailleurs, dans l’ensemble du Canada – la médecine de famille est une spécialité de même importance que les autres ; les omnipraticiens y sont beaucoup mieux rémunérés qu’en France, et même si devenir médecin confère des privilèges indéniables, cela comporte aussi des obligations civiques. Les professionnels de santé québécois ont pour vocation première de servir la communauté, non de s’isoler dans une caste et de dominer l’ensemble du système. À ce titre, les médecins de famille sont tenus d’exercer en service d’urgences et en maternité, mais aussi de se rendre à tour de rôle, quelques semaines par an, dans des dispensaires ou centres médicaux très éloignés de leur lieu d’exercice habituel. Le Québec est très vaste (deux fois et demie la superficie de la France), mais tout est fait pour offrir des soins de qualité à tous, en particulier aux populations autochtones vivant aux confins de la province. Et les médecins y contribuent, en sachant qu’ils sont des éléments indispensables du système de santé considéré comme un service public.

En France, la profession médicale se présente comme le parangon des vocations soignantes. Mais parce qu’elle reste perchée sur un maillage d’élitisme, de corporatisme sectaire et de luttes de pouvoir, elle ne remplit pas du tout cette mission supposée : comment ceux de ses membres qui se consacrent, dès le début de leur formation, à établir leur statut et leurs privilèges les uns contre les autres pourraient-ils se sentir honorés de délivrer des soins et d’exercer avec humilité ?

Comment pourraient-ils avoir envie de soigner tout le monde, alors qu’ils visent à montrer qu’ils sont différents de, et supérieurs à, la majorité de leurs concitoyens — y compris leurs collègues ? Ils ne peuvent pas : ce ne sont pas leurs valeurs !

Quant à celles et ceux qui échouent à faire une carrière hospitalo-universitaire, comment leur reprocher de préférer le confort d’une pratique spécialisée en ville aux insondables difficultés matérielles, morales et administratives infligées à la médecine générale rurale ou de quartier ?

Malgré ce qu’on leur a fait croire, ils et elles ne sont, après tout, que des êtres humains comme les autres. Pourquoi sacrifieraient-ils leur vie et celle de leur famille pour une vocation altruiste qui non seulement n’est pas valorisée, mais qui, en plus, a toujours été méprisée et rejetée par « l’élite » de ceux qui les ont éduqués ?


Les Brutes en blanc, pp 229-231


[1] Voir à ce sujet Le dernier billet des « Carnets d’un médecin de Montagne » – http://genoudesalpages.blogspot.ca/2014/06/bilan-et-point-final.html#more  – consulté le 14 août 2014.

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Histoire du patient qui ne voulait pas mourir pour donner raison au cancérologue – Par Sylvie Kiener

« La médecine a ses limites, dans votre cas ces limites sont clairement atteintes, je ne vais pas pouvoir vous guérir. Vous faire durer, un peu, peut-être… »

« Combien de temps ? »

« Un an, peut-être deux…je vous conseille de mettre vos affaires en ordre… »

C’est comme cela qu’a débuté la relation entre mon mari et son cancérologue, éminent professeur de province française. J’étais présente, je l’accompagne à chaque consultation, pour le soutien, d’abord, et puis aussi parce que sous l’effet du stress la personne malade a tendance à ne pas entendre certaines informations, l’esprit s’échappe, parfois… (J’ai eu moi-même un cancer du sein il y a vingt ans)


Mon mari est atteint d’un adénocarcinome du bas œsophage avec métastases pulmonaires. 

Donc, avec le professeur M., ça a commencé par l’annonce. Avoir un cancer est violent en soi, toute annonce est forcément traumatisante, mais là c’était carrément insupportable parce que toutes les portes étaient déjà fermées, d’entrée de « jeu ».


La tumeur primaire a disparu en trois mois, les nodules pulmonaires ont diminué, en quantité et en volume. Mais à chaque consultation, tous les trois mois, ce que nous entendions c’est : « c’est étonnant, mais faut pas rêver, ça ne va pas durer. »


Après un arrêt de chimio de six mois, une lésion est réapparue au niveau de l’œsophage. Trois mois après, nous apprenons que les biopsies faites sur cette lésion se sont révélées négatives. Lorsque mon mari demande pourquoi il n’a pas été prévenu de ce (bon) résultat, le professeur lui répond : « parce que je n’ai pas que ça à faire, les résultats arrivent, je les classe. Et puis même si les résultats sont négatifs, moi je les considère comme positifs, les prélèvements ont peut-être été mal faits. »


Aujourd’hui, cela fait deux ans que mon mari est suivi par le professeur M .   


Deux ans, c’est le maximum de temps qu’il lui accordait dans son pronostic. A chaque fois qu’il y a de bons résultats, il se réfère aux statistiques pour en limiter la portée. Son discours est plus que pessimiste, il est mortifère.


Nous savons que ce cancer est très grave, nous en avons pris toute la mesure et ne risquons pas de l’oublier. Le  professeur M. est techniquement reconnu comme étant le meilleur de sa spécialité dans notre ville, c’est pourquoi mon mari a choisi d’être son patient.


Si aujourd’hui je m’interroge sur la qualité de ce suivi médical c’est qu’il me semble qu’un médecin peut dire la vérité dans une parole congruente tout en accompagnant  le patient, et dire la vérité n’est pas l’assener. Dans le domaine médical, les seules compétences techniques sont bien sûr nécessaires mais pas suffisantes.


J’ai lu Vouloir guérir de Anne Ancelin Schützenberger (que je recommande à toute personne atteinte d’un cancer), à un moment elle cite un chirurgien : «  L’espoir n’est pas une donnée statistique mais physiologique. Le concept de « faux espoir » doit être éliminé du vocabulaire médical…  Cela consiste simplement à expliquer aux malades qu’ils ne sont pas obligés de réagir conformément aux statistiques. Le refus d’espérer n’est rien d’autre que la décision de mourir ».


Mon mari n’est pas une statistique. Mon mari est un être humain et il est vivant, même si son cancérologue se comporte avec lui depuis deux ans comme s’il était déjà mort.


Sylvie Kiener

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Le « corps médical » est un fantasme, mais les médecins ont de réels privilèges

A toutes celles et ceux qui aspirent à soigner

1° Le « corps médical » n’existe pas

Cette affirmation peut surprendre (et hérisser certains). Elle n’en est pas moins confirmée par les faits.

S’il s’agit simplement de désigner l’ensemble des personnes ayant un diplôme de docteur en médecine – ou qui exercent les fonctions de médecin, ce qui n’est pas la même chose – l’expression peut suffire. Mais elle n’a pas grande signification. Pas plus que quand on parle du « corps enseignant » ou du « barreau » pour désigner les avocats.

De même qu’il existe un monde entre une institutrice de classe primaire et un professeur d’université, il y a un monde entre les modes d’exercice, les statuts et les attitudes des médecins. J’ai exercé pendant vingt-cinq ans comme vacataire dans un centre d’IVG et un centre de planification hospitaliers, où je me suis occupé de santé des femmes ; ma pratique, mon attitude, mon statut et mes revenus n’avaient rien à voir avec ceux des gynécologues de ville (qui pourtant, auraient dû faire le même travail que moi) et encore moins avec ceux de tel professeur de gynécologie d’une grande fac de l’Est qui me demanda un jour sans rire, après une de mes conférences, « Sur quelles études te fondes-tu pour affirmer qu’on peut poser des DIU à des nullipares ? ». C’était en 2004, je crois ; il ne devait pas encore avoir l’internet. Ni être abonné aux publications (gratuites et disponibles en plusieurs langues) de l’OMS sur la contraception.

Peut-on sans mauvaise foi prétendre que le ou la généraliste exerçant dans une campagne en voie de désertification médicale ou dans une ZUP à la population sinistrée fait le même métier que celui qui choisit de poser sa plaque dans une ville balnéaire du Sud-Est ?

Et peut-on vraiment affirmer  que le « cardiologue de famille » qui exerce à Orléans fait le même métier que le spécialiste hospitalier ayant des parts dans une des cliniques les plus cotées de Montpellier ?

Parler du « corps » médical, c’est désigner un ensemble d’individus extrêmement hétérogène, aux privilèges et aux intérêts très différents. Parfois, radicalement opposés.

2° Etre médecin, c’est être un privilègié

D’abord, réglons cette question une fois pour toutes : être médecin c’est être un privilégié. Et cela, sans même avoir besoin de voir le moindre patient.

Etre médecin permet de se soigner et de soigner sa famille. Quand on sait que l’immense majorité des consultations courantes concernent des problèmes de la vie quotidienne, c’est un privilège considérable de ne pas avoir à demander à un tiers de confirmer que son enfant a une otite et pas une méningite, que son conjoint a une douleur intercostale et pas un infarctus, que sa compagne a une colique néphrétique et pas une grossesse extra-utérine. 

Ce premier privilège (savoir ce qui se passe, et si c’est grave ou non) se double d’un second privilège (prescrire des médicaments et des examens complémentaires) : le simple fait d’être (en principe) mieux informé que le citoyen lambda quant à l’efficacité réelle d’un traitement est un privilège dont on n’a pas seulement commencé à mesurer l’impact sur la vie d’un individu. Troisième privilège : savoir qui appeler et comment accéder à des radios, à une consultation spécialisée, à une hospitalisation. Pas toujours très facilement, mais plus facilement que le commun des mortels, « confraternité » oblige.
Ces privilèges et les prérogatives qui en découlent ont toujours fait des médecins dans leur ensemble des professionnels très courtisés par les riches (qui pouvaient autrefois acheter un avortement « propre » ou, aujourd’hui, un traitement « pas encore sur le marché ») et par les marchands – qui font tout leur possible pour les inciter à prescrire leurs produits ou les commander pour l’établissement dans lequel ils exercent. Les banquiers aussi aiment bien les médecins : la souffrance humaine, inépuisable, est la meilleure caution d’un emprunt professionnel.  

Le savoir des médecins est, bien sûr, ce qui leur permet de faire leur métier.

Il est parfaitement compréhensible qu’ils en usent pour eux-mêmes et leurs proches. Mais en dehors de cet usage bien ordonné, est-il acceptable qu’ils le gardent jalousement pour eux, ou qu’ils en usent de manière discrétionnaire ? L’une des manifestations les plus flagrantes de l’enfermement de la communauté médicale française est l’absence, jusqu’à une période toute récente, de documents d’information conçus par les syndicats, l’ordre des médecins ou les praticiens eux-mêmes à l’intention du public. Un seul exemple (mais il est représentatif) : alors que les livres pratiques sur la contraception existent en Angleterre depuis le début des années cinquante, et aux Etats-Unis depuis la décennie suivante, le premier ouvrage quasi-exhaustif sur la contraception à l’intention du grand public date de 2001. Et c’est un généraliste isolé qui l’a écrit ; non le syndicat des gynécologues obstétriciens français, pourtant parfaitement équipé pour le faire.

Ce silence à l’égard du public, qui n’a été rompu que récemment – et sous la pression du public, d’ailleurs – que dit-il de la culture des structures de formation ? Comment se fait-il qu’on n’enseigne pas aux étudiants à partager le savoir avec les premiers intéressés ? Le savoir, on peut le partager sans le perdre. Ce n’est pas un lingot d’or. Ce que je sais, je peux le transmettre sans cesser de le savoir. Pourquoi refuser de partager le savoir sur la santé, sinon parce qu’on a conscience du privilège qu’il représente ? 

 

 

3° Même s’ils sont tous des privilégiés, tous les médecins ne sont pas égaux

Tous les médecins ne « capitalisent » pas leurs privilèges de la même manière car le système veille à les trier. Il suffit en effet de regarder de près le fonctionnement des hôpitaux pour constater que tous les médecins n’y sont pas égaux, aussi bien dans les CHU que dans les hôpitaux de région. Le traitement subi par les étudiants en médecine et résidents, en particulier quand ils sont étrangers, a tout de l’exploitation. Le plus grave est qu’on justifie cette exploitation par la « nécessité d’apprendre », et que beaucoup parmi ces exploités la considèrent comme « normale » ce qui entrave toute révolte susceptible de reformer le système. Si la formation médicale est élitiste et violente en France, c’est bien parce que son objectif profond vise à séparer « le bon grain de l’ivraie », les « cadors » des « médiocres », les spécialistes de pointe des généralistes de quartier.

A leurs privilèges initiaux certains médecins en ajoutent d’autres. Car plus un médecin est « en vue » (ou occupe un poste de responsabilité important), plus il fera l’objet de demandes… et de propositions. En CHU, la « carrière » des internes, des chefs de clinique et des agrégés repose sur un système de cooptation clairement affiché et jamais remis en cause par les pouvoirs publics, ce qui assure aux mandarins en place de ne travailler qu’avec les praticiens qu’ils agréent. Ceux qui ne sont vraiment pas « à leur place » peuvent se voir poussés vers la sortie par un harcèlement violent – voire contraints à se jeter par la fenêtre.

4° Aristocrates de cour et hobereaux

Parmi les membres de la profession médicale, on retrouve la même distribution hiérarchique que dans l’Ancien Régime ; dès la faculté de médecine, les PUPH se présentent comme de véritables aristocrates de cour (même s’il s’agit d’une cour de province) et décrivent les généralistes (présents ou futurs) comme appartenant à la « petite noblesse » , tant sur le plan statutaire que sur celui de leur importance dans le système de santé. Les généralistes sont présentés comme des exécutants un peu frustes, qui auront toujours besoin de la parole éclairée du professeur de CHU (ou de ses élèves) pour savoir comment exercer leur métier correctement. Plus tard, ce mépris vertical se manifestera dans les échanges de correspondance et les pratiques de « captation » de patients auxquelles s’adonnent nombre de spécialistes ou d’hospitaliers (Non, non pas tous, mais aucun ne devrait s’y adonner !)

Du fait même de cette hiérarchisation, il est encore plus manifeste qu’il n’existe pas « un » corps médical, mais des groupes d’individus qui se différencient non seulement par leur statut (leurs liens plus ou moins étroits avec l’université, par exemple) mais aussi par leur attitude vis-à-vis de la délivrance des soins.

5° Soigner tout le monde, c’est difficile 

En principe (et la plupart des professionnels ne le démentiront pas) on devient médecin pour améliorer le niveau de santé de la population en général, et des patients qu’on croise en particulier. Autrement dit, on devient médecin pour soigner.

Et c’est bien là le problème. Car soigner, c’est l’opposé d’un privilège. C’est une activité altruiste, tournée vers l’autre, qui demande un investissement intellectuel, physique, émotionnel et moral considérable. C’est une attitude d’entraide et de partage. Quand on veut le faire bien, soigner est difficile. Gratifiant, intéressant voire passionnant et émouvant, sans aucun doute. Mais aussi frustrant, déprimant, éprouvant et souvent épuisant. Et (quand on est généraliste, par exemple, ou spécialiste de quartier) on ne sait jamais de quoi la journée sera faite. Quand on travaille dans un centre de long séjour ou un service de chirurgie lourde, on ne le sait pas non plus. Parfois, tout « roule ». Et parfois – plus souvent qu’on ne le voudrait – on a le sentiment que les catastrophes s’empilent. Et quand elles s’empilent, les médecins de première ligne, qu’ils soient généralistes de campagne ou anesthésistes d’un service de chirurgie générale, se retrouvent souvent seuls.

Car il n’est pas seulement difficile de soigner, il est aussi très difficile de soigner tous les patients qui se présentent. Surtout quand on n’y a pas été formé.

La médecine hospitalo-universitaire enseigne aux étudiants à soigner des patients inévitablement stéréotypés par leur maladie ou, pire, par le type de soin qu’on dispense dans le service où ils font un stage. Confrontés à des patients dont on ne leur montre que les problèmes cardiaques ou les problèmes neurologiques, les médecins en formation ne sont jamais en mesure de voir les individus dans leur intégralité, ni d’apprendre à hiérarchiser leurs difficultés. Quand un patient entre dans un service d’urologie, le problème numéro un est un problème d’urologie, même si ce patient souffre d’une dépression grave ou d’une artérite liée à sa consommation de tabac.

Et ce qui fait toute la particularité – et la complexité – de la médecine générale (ou des spécialités généralistes exercées en ville ou dans les hôpitaux de région), c’est qu’elle s’occupe de tout le monde. Et ne trie pas les problèmes à mesure qu’il survienne.

7° La sélection des patients

L’immense majorité des médecins n’ont pas, lorsqu’ils entre en faculté, envie de soigner tout le monde. Ils ont leurs appétences – ce qui n’est pas scandaleux – mais ils ont aussi, surtout, des répulsions. Ni les unes ni les autres ne sont abordées, discutées, voire même abordées pendant leur formation. Elles restent niées ou ignorées, même quand on les voit comme le nez au milieu de la figure. En France, un étudiant en médecine raciste, sexiste, homophobe, méprisant avec les pauvres ou avec les obèses n’est que rarement remis à sa place pendant ses études, et il n’est jamais sanctionné.

Or, un médecin peut choisir, dans l’immense majorité des cas, d’exercer la médecine qu’il veut. Non seulement sa spécialité -quand il le peut (et plus il fait partie des privilégiés, plus il peut la choisir), mais aussi et surtout les conditions dans lesquelles il exerce : son lieu d’exercice, la nature des soin qu’il délivre, quel rythme de travail il préfère, s’il fera des visites à domicile ou non – et tous ces choix lui permettent consciemment ou non  de sélectionner de manière plus ou moins exclusives les patients qu’il recevra. (Certains vont même jusqu’à pousser l’ignominie de refuser les patients bénéficiaires de l’aide sociale, par exemple.)

Que ce soit bien clair : choisir d’être pédiatre pour soigner des enfants est éminemment respectable. Refuser ses soins aux enfants des pauvres (ou des Roms, ou des couples homosexuels, ou des musulmans) ne l’est pas. Dans le code de déontologie, il est écrit qu’un médecin peut refuser de soigner un patient. Il n’est pas dit qu’il a le droit de refuser les patients pour satisfaire ses préjugés de classe. 

La manière dont un médecin use de ses  privilèges découle inévitablement de ses priorités et de ses phobies. Certains veulent, en « contrôlant » tous les paramètres, se protéger, pour des raisons respectables : le jeune généraliste qui ne reçoit que sur rendez-vous parce qu’il ne veut pas être débordé, par exemple ; ou encore le praticien qui choisit de faire exclusivement de l’homéopathie parce qu’il trouve l’exercice allopathique trop intrusif et ses remèdes trop toxiques. D’autres voient leur métier beaucoup plus comme une source de revenus que comme la délivrance d’un service au public. Alors ils calibrent leur activité en fonction de ça.

Savoir, prescription et connaissance du système permettent aux médecins de protéger leur propre santé et celle de leurs proches. (Le fait que certains médecins se droguent ou se suicident n’infirme pas ce privilège, en particulier quand il s’agit de leur famille.)

Mais la liberté de choisir sa patientèle, de décider qui on soigne et qui on ne soigne pas, est un privilège proprement démesuré. Elle met le médecin qui en dispose dans une situation de pouvoir insensée – comme en témoignent les dépassements d’honoraires exorbitants que demandent certains spécialistes hospitaliers. Ici encore, le système est complice puisqu’il a longtemps permis à des praticiens salariés du service public d’avoir une consultation privée…

Dans cette sélection des patients, le savoir, le savoir-faire et l’expérience occupent une place de choix. En France, lorsqu’un médecin très spécialisé est doté d’un statut important (chef de service ou de département), il peut contrôler non seulement les gestes qui sont faits (ou non, comme l’IVG ou la stérilisation, par exemple) sous sa responsabilité, mais aussi le type de patient qui pourra (ou non) faire appel à lui. Cette sélection interdit, de fait, à beaucoup de patients qui en auraient besoin de recevoir leurs soins. Elle contribue aux inégalités scandaleuses du système de santé, inégalités parfois flagrantes d’un étage à l’autre d’un même hôpital : tous les chefs de service ne disposent pas de la même considération de la part de l’administration – et donc, des mêmes libertés ou restrictions.

8° Le « corps médical » est un fantasme commode pour tout le monde

Pour l’ensemble des citoyens, cela semble une évidence : la santé est (en principe) financée par tous, elle doit (en principe) bénéficier à tous en fonctions des besoins de chacun. Mais dans les faits, il n’en est rien : les classes sociales les plus aisées sont en meilleure santé ET ont accès aux soins plus facilement que les classes défavorisées. (Il n’y a plus de lutte des classes en France, mais il y a toujours des classes.)  

Mais aucune politique de santé en France ne s’est jamais souciée de former et de répartir les médecins sur le territoire en fonction des besoins de la population.

Pour beaucoup de médecins, c’est très satisfaisant : alors même que leurs revenus sont financés par la sécurité sociale, ils revendiquent haut et fort leur « indépendance d’installation » et leur « liberté de prescription ». Comme si leur exercice ne devait souffrir aucun contrôle, aucun encadrement, n’être soumis à aucune directive. Comme s’ils revendiquaient non seulement d’être des citoyens à part (ce qu’ils sont déjà) mais de n’avoir aucune obligation à l’égard des autres citoyens.

Ainsi, même si elle n’a aucune réalité en raison même de l’hétérogénéité de la profession, la notion de « corps médical » constitué, cohérent, agissant en synergie est donc pour beaucoup un fantasme bien commode :

– Pour certaines franges de la population, d’abord. Imaginer que le corps médical ne fait qu’un, c’est se donner l’espoir qu’à eux tous, ils en savent et ils en font suffisamment pour nous soulager de nos souffrances ; qu’ils sont suffisamment honnêtes pour ne pas abuser de nous ; qu’ils sont suffisamment généreux pour nous tendre la main quand nous en aurons besoin.

Derrière le corps médical, la plupart d’entre nous imaginent « La Médecine », cette entité tout aussi fantasmatique et magique qu’un dieu, qui finira par guérir « le cancer » et nous éviter à tou.te.s une maladie d’Alzheimer. Comment expliquer autrement que les campagnes de collecte de fonds remportent toujours le même succès malgré la pauvreté des retombées concrètes dans la population générale ?

Quand on est toujours tombé sur des médecins qui se comportent en soignants (il y en a, Dieu merci), on a tendance à minimiser (voire à nier complètement) l’existence de ceux qui ne le font pas, ou très mal, ou se comportent de  manière inexcusable. « Puisque mon médecin est un bon médecin, les mauvais doivent pas être si nombreux que ça. »

Evidemment, plus on est en bonne santé, moins on a de mauvaises surprises avec les médecins. Et comme le niveau de santé est proportionnel au niveau de revenus…  Penser que les bons soins qu’on reçoit personnellement sont délivrés par tous les médecins à toute la population, ça permet de ne pas se préoccuper de ce que les autres vivent – ou de ne pas les croire quand ils protestent.  

Evidemment l’inverse est également vrai : subir des médecins maltraitants, ça incite furieusement à penser – à tort – qu’ils le sont tous. Ça peut se comprendre. D’autant que souvent, lorsque des patients disent avoir été maltraités, beaucoup de professionnels ont tendance à ne pas les croire. Même des professionnels de bonne volonté. Blâmer la victime a des avantages cognitifs et psychologiques supérieurs au fait de la croire. (Minimiser la douleur d’un patient qui souffre a les même avantages : ça soulage l’empathie, ça évite de se sentir coupable, et ça permet de dire qu’on a déjà fait son boulot, c’est lui qui y met de la mauvaise volonté. Bref, c’est émotionnellement plus économique.)

– Les pouvoirs publics, qu’ils cherchent à favoriser les médecins ou à améliorer la délivrance équitable des soins, considèrent la profession médicale comme s’il s’agissait d’un seul et même corps, composé de cellules toutes solidaires. Alors que ses membres se comportent de manière hiérarchisée, verticale, inégalitaire. Quelle que soit la réforme qu’un gouvernement de droite ou de gauche veuille faire passer, il lui sera toujours plus facile de l’imposer aux membres de la profession qui ont le moins d’influence et qui, souvent, bossent le plus, dans les plus mauvaises conditions. Donc, dans tous les cas, ce sont toujours les mêmes qui trinquent.  (Je ne ferai à personne l’insulte de préciser lesquels. Disons seulement qu’il y en a en ville et à l’hôpital, et que le plus souvent, leurs noms vous sont inconnus.) Mettre tous les médecins dans le même sac, ça permet de négocier exclusivement avec les syndicats « représentatifs » – c’est à dire les plus embourgeoisés, les plus attachés à leurs privilèges et donc les plus puissants. Ce n’est pas aux médecins les plus insérés dans les entreprises rentables (gros cabinets de radiologie et laboratoires de biologie, cliniques et hôpitaux privés) qu’on va imposer des restrictions, mais à ceux qui pratiquent la médecine en petits groupes ou de manière artisanale. Ceux-là, de toute manière, ils ne pourront jamais faire la révolution : ils sont à la merci des patients au milieu desquels ils vivent et exercent.

– Pour un certain nombre de professionnels, enfin : adhérer au concept de « corps médical » – et à ses institutions les plus archaïques (l’Ordre des médecins) ou les plus corporatistes (la majorité des syndicats) – permet, selon que vous serez puissant ou misérable, tantôt de conforter ses privilèges et les accroître, tantôt de se poser en victime en se trompant d’adversaire.

Car pour des praticiens surchargés et coincés entre une administration souvent imbécile et des patients eux-mêmes pressurés par des conditions sociales insupportables, il est facile de croire que l’adversaire numéro un, c’est le patient. Après tout, c’est lui qui envahit la salle d’attente, qui fait sonner le téléphone, qui déverse ses trop-plaints dans le bureau, qui fait passer l’empathie du médecin en surcharge. C’est lui qui harcèle !

Quand ils lisent sur les réseaux sociaux ou entendent à la télé que des patients en ont marre d’être maltraités par certains de leurs confrères, beaucoup de praticiens (pas spécialement maltraitants) prennent ça pour une agression personnelle. Ils réagissent, sans s’en rendre compte, en s’assimilant à ce corps médical fantasmatique, par lequel ils aimeraient être traités comme un égal et protégés. Et beaucoup de ces praticiens oublient que le paiement à l’acte (inégalement rémunéré selon qu’on est généraliste ou spécialiste) les enchaîne irrémédiablement ; que leur illusion d’indépendance les empêche de travailler ensemble ; que les dogmes indiscutés que leur ont asséné leurs enseignants guide leur mode d’exercice ; que la pauvreté de la formation scientifique en faculté leur a fermé l’esprit et que les attitudes hautaines de leurs pairs induisent le même type d’attitude de leur part envers leurs patients, ce qu’ils expriment, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils savent, ce qu’ils décident de faire de leur vie.

Ce fantasme leur interdit de voir que les industriels et les marchands, eux, taillent soigneusement leur marketing à la mesure exacte de chaque praticien, de ses failles psychologiques, de ses biais cognitifs, de ses frustrations et de son ignorance. Il leur interdit de comprendre que pour les marchands il est de première importance que les médecins ne soient pas des professionnels du soin mais des dealers.

Le fantasme d’un « corps médical » protecteur permet enfin à certains de se protéger des critiques – et de ne pas examiner de près les individus ou les actes qui déclenchent ces critiques. De même que l’Eglise catholique fait le silence autour des prêtres pédophiles, beaucoup de médecins préfèrent rejeter les accusations de maltraitances (morale ou physique) adressées à certains membres de leur « corps », voire à certains gestes.

Pour trouver « normal » que certains suggèrent aux étudiants d’ « apprendre » l’examen gynécologique sur une patiente endormie et non prévenue, il faut oublier complètement que les patients ne sont pas des objets d’étude ou d’apprentissage. Et croire, donc, que le savoir du corps médical l’emporte sur le respect des patients.

Pour trouver « normal » qu’un médecin porte des jugements sur l’aspect physique, les choix de vie ou les décisions thérapeutiques des patients, il faut oublier que l’opinion d’un médecin n’a pas à s’imposer à celle d’un autre citoyen. Il faut donc , par conséquent, que les médecins ont une conscience morale supérieure à celle de leurs concitoyens.

Pour trouver « normal » qu’un médecin accepte ou refuse un patient en fonction de son aspect, de son genre, de son niveau socio-économique, de sa religion ou de ses possiblités d’expression, il faut oublier que la loi interdit toute discrimination aux professionnels de santé… et que c’est écrit noir sur blanc dans le code de déontologie. Il faut être convaincu que les médecins ne sont pas concernés par la loi commune.

Ce qui est pratique dans ce fantasme de corps médical, c’est qu’il peut servir à conforter des médecins ayant des statuts radicalement différents.

Quand on est au sommet de la pyramide, il est très confortable de jouir de ses privilèges sans jamais s’interroger sur leur dimension morale ; alors, pourquoi s’en priver ?

Quand on tout en bas, il est très réconfortant de s’accrocher à ses privilèges élémentaires et à « l’esprit de corps » qui fait de vous un individu à part afin d’oublier à quel point on est manipulé, exploité et entravé.  

9° Questionner les évidences   

Il n’y a pas de solution simple à un problème (un système) aussi complexe que celui-là. Bien heureux lorsqu’on arrive déjà à en entrevoir certains mécanismes. Mais une des manières de ne pas subir un système, c’est de questionner ses « évidences », de refuser de les prendre pour argent comptant et de retourner à des questions élémentaires, pour trouver ses propres réponses, individuelles ou collectives.

En voici quelques-unes, que je me pose depuis longtemps. Elles n’épuisent pas le sujet. A chacun d’ajouter ses questions à la liste – ou de la remplacer par une autre.

Qu’est-ce que soigner, exactement ? Qui doit définir le soin ? Les médecins ou ceux qui le demandent et le reçoivent ?

Quand on décide de faire un métier de soin, pour qui le fait-on ? Où se trouve le juste milieu entre la réalisation personnelle et l’obligation morale – et sociale – de  de servir les autres ?

Peut-on vraiment soigner en choisissant qui on soigne ? Et si la réponse est non, un pays démocratique doit-il tolérer de former des médecins dont le comportement est élitiste à l’égard des citoyens ? 

Le paiement à l’acte est-il le meilleur moyen d’assurer une rémunération suffisante aux médecins qui soignent ? Est-il acceptable que les revenus d’un médecin augmentent avec sa capacité à choisir les patients qu’il reçoit – ou les revenus des patients qui le choisissent ?

Le savoir et le savoir-faire médicaux appartiennent-ils aux médecins ? Quelle obligation morale – et sociale – ont-ils de les partager ?

A qui appartient le système de santé d’un pays ? A une toute petite partie de ceux qui y travaillent ou l’ensemble de la population ?

Marc Zaffran/Martin Winckler

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Histoire du combat pour le droit à l’IVG – par Mathilde Larrère, historienne

Mathilde Larrère (@LarrereMathilde sur Twitter), historienne des révolutions et de la citoyenneté à l’université Paris-Est a publié le 24 septembre un « fil » twitter qui raconte rien moins que l’histoire de l’avortement en France.

Je lui ai demandé la permission de reprendre son texte en un seul long article de blog, plus facile d’accès que sur Twitter, et elle m’a très aimablement envoyé son texte.

Le voici, illustré des mêmes images, légèrement édité (pour compléter des mots raccourcis dans la version Twitter) et assorti d’un ou deux commentaires personnels, indiqués comme tels.

Merci à elle pour ce beau travail qui rafraîchira la mémoire à celles et à ceux qui s’imaginent que l’avortement a « toujours été considéré comme un crime »…

MW

***

Histoire du combat pour le droit à l’IVG

Dans l’Antiquité, le père disposait d’un droit de vie et de mort sur ces enfants, aussi l’avortement par lui consenti n’était en aucun cas considérés comme un crime.

S’il n’y consentait pas, alors c’était considéré comme un crime, mais contre le pater familias ! (1)

C’est le christianisme qui va faire de l’avortement un crime, non plus contre le mari et père, mais contre l’enfant à naitre.


Et comme à l’époque moderne, le droit civil et pénal se calquait sur le droit canon, l’Etat reprend l’interdiction de l’avortement et son association à un crime.


Quand Napoléon fait réécrire tout le droit français en 1804, il reconnaît à nouveau l’avortement comme un crime


Dont sont punissables et la femme avortée, et, surtout, l’avorteur (ou l’avorteuse)


Mais dans la pratique, pendant tout le 19e siècle, quasi pas de poursuites, et quand rarement il y en avait, on prononçait quasi toujours la relaxe pour la femme.


En effet, au 19e siècle, l’avortement n’était pas considéré comme grave mais plutôt même prévoyant !


En effet, la France du 19e siècle est  « malthusienne » : les gens limitent leur naissances, par la contraception ou l’avortement et l’État encourage cette limitation des naissances car il y voit le moyen d’assurer la prospérité de la famille et de la Nation.
Certaines municipalités offraient même des prix de tempérance aux familles pauvres ayant peu d’enfants ! 
Dans ce contexte, il était même autorisé de faire des publicités pour des boissons abortives ou pour des médecins pratiquant l’avortement. 
A noter que l’avortement thérapeutique (si la vie de la mère est en danger) est autorisé par l’Académie de médecine en 1852.

Ce qui va faire changer les choses, c’est qu’après la défaite de 1871 et plus encore après 14-18, la  baisse de la natalité en France suscite une véritable angoisse.

Les populationnistes ont peur que la France y perde de sa puissance, notamment militaire.

Dès lors, on se met de plus en plus à considérer que la limitation des naissances, et non l’avortement, sont un crime contre la Patrie

A partir de là, la répression se fait plus sévère ; la Loi de 1920 interdit toute propagande malthusienne et renforce la répression pénale contre les IVG
De plus en plus systématiquement, les jugements sont sévères. Les avorteuses font des peines de prison, les avortées payent surtout des amendes.
La législation est durcie sous Vichy, pratiquer un avortement est passible désormais de la peine de mort

Deux faiseuses d’anges seront ainsi guillotinées. Claude Chabrol rapporte cela dans un beau film : Une affaire de femmes. 






 La république restaurée en 1945 revient à la loi de 1920 : elle reste toujours aussi répressive en matière d’IVG mais s’en tient aux peines de prison

Ce qu’il faut bien voir, c’est que la plus grande pénalisation de l’avortement ne limite pas vraiment le nombre des avortements,

Mais elle oblige les femmes à avoir recours à des avortements clandestins. Et là c’est l’horreur.

Ça veut dire des angoisses quand on découvre qu’on est enceinte ; la recherche d’une faiseuse d’ange ; l’ivg dans des conditions sinistres et sans hygiène, avec des moyens de fortunes… des cintres notamment… 
Puis la fausse couche, l’hémorragie, l’hôpital où on vous traite sans la moindre considération, comme une moins que rien et curetée à vif histoire de vous punir!



Il faut lire l’Evènement d’Annie Ernaux (Gallimard) pour comprendre tout cela. 

(2) 

Ça veut dire des femmes qui en perdent leur fertilité, et d’autres qui en perdent la vie.
Ce n’est pas du tout un phénomène minoritaire. A la fin des années 60, autour d’un million d’avortement clandestin par an en France.

Ca veut dire aussi des sexualités angoissées tant la peur de tomber enceinte est présente (il n’y a pas non plus de droit à la contraception)

Le tout dans un silence assez général, faisant l’objet d’un tabou. Dans les années 60, les femmes vont se dresser contre cette situation.

Elle réclament ne cherchent pas tellement à limiter les naissances (c’est le baby boom, les Glorieuses, on a du fric dans les familles), non elles réclament le droit à choisir quand elle veulent un enfant, et quand elle n’en veulent pas.




Elles réclament le droit à une sexualité heureuse, le droit à une maternité heureuse.

Et sont défendues par nouvelle association, Maternité heureuse, qui prend le nom de Planning familial. 

Dans un premier temps, les femmes réclame surtout la contraception. Un vaste débat débouche sur la loi Neuwirth quiautorise la pilule en France.

La loi qui autorise la pilule en France est votée en 67 (mais les décrets mettront presque 5 ans à être publiés ! )



Reste qu’après Neuwirth, restait à gagner le droit à l’avortement.

Le contexte favorable à cette revendication : médicalement, il était possible de pratiquer des avortements sécurisé ; on était après mai 68, évolution des mentalités en faveur du droit des femmes, libération sexuelle…
Quelques pays voisins, moins catholiques que le notre, moins populationnistes, pratiquait l’IVG sécurisée et légale, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suisse. 
De facto, du fait de ce contexte, il y avait de plus en plus d’avortement illégaux (autour d’un million/an).
Avec une grande inégalité sociale, entre les femmes pauvres, contrainte au parcours de la faiseuse d’ange, et celles qui pouvaient se payer 1 voyage hors des frontières, ou un médecin qui faisait ça clandestinement mais en sécurité.
Des associations naissent pour défendre l’avortement. Ainsi le MLF (mouvement féministe radical),  qui apparait en 70. 
Mais aussi Choisir, de l’avocate Gisèle Halimi, et enfin le MLAC (Mouv pour la Libéralisation de l’avortement et de la Contraception) fondé en 72.

Le Planning familial  (qui au début était pro contraception mais contre l’IVG) rejoint les pro avortement en 72.

Le camp adverse s’organise aussi et crée l’association Laissez –les vivre, association créée en 1970, par des juristes. Avec comme conseiller scientifique, le biologiste Lejeune.

Association de catholiques intransigeants (qui s’appuie sur une encyclique du Pape de 68 « Humanae vitae » (de la vie humaine)

Dans leurs congrès, ils exhibent des fœtus de 6 mois et font résonner le bruit du cœur du bébé,

Ils comparent les partisans de l’IVG à des nazis et évoquent les « fours crématoires dans lesquels on brule des fœtus. 


Les médecins sont divisés sur la question. Mais le conseil de l’ordre des médecins est anti IVG. (3) 


Sur les médecins et l’IVG dans les années 70 je vous conseille le roman de Martin Winckler… 













Entre 1970 et 1974, le débat devient omniprésent sur la scène publique, dans la rue, dans la presse, dans les prétoires, à la télévision. En avril 71, le Nouvel Obs fait paraître une liste de 343 femmes affirmant s’être fait avorter et demande la libéralisation de l’IVG, 
liste connue sous le terme du manifeste des 343 salopes (on ne remercie pas Charlie Hebdo), parmi lesquels quelques personnalités du monde des lettres et du spectacle, et non des moindre, Beauvoir, Duras, Sagan, Deneuve, Delphine Seyrig, Jeanne Moreau…



L’impact en fut considérable. Si l’on appliquait la loi elles auraient du passer en justice, mais le ministère public choisit de ne pas les poursuivre.

Ce manifeste fut suivit (même si moins connu) d’un manifeste de 330 médecins disant avoir pratiqué des avortements (1973). 



En 72, a lieu le procès de Bobigny : procès de la jeune Marie-Claire, jeune mineure avortée avec l’aide de sa mère et de collègue, dénoncée par le père

Il est l’occasion pour l’avocate Gisèle Halami, qui se dévoue corps et âme pour le droit à l’avortement de faire le procès des lois de 1920 et suivantes.

La jeune fille est relaxée, la mère, la collègue et l’avorteuse condamnée à des peines assez faibles.


Là encore, le retentissement du procès est majeur. Il faisait la preuve que la loi répressive était caduque. La question de l’avortement est désormais au 1erplan des préoccupations de l’opinion publique qui évolue en faveur de l’IVG. 
En 1970, 22% des Français se prononçaient favorablement à l’avortement ; en 1971, ils étaient 55%.

Pendant ce temps, le MLAC organise des voyages collectifs vers la Hollande ou l’Angleterre, plusieurs fois par semaine, pour organiser des avortements, et met sur pied en France, en toute illégalité, des centres médicalisés où des médecins acceptent de pratiquer des avortements (au risque d’être condamnés).

 Sous la pression de l’opinion, les gouvernements envisagent de modifier la loi répressive de 1920. Dans un premier temps, un projet de loi autorise l’avortement si la conception résulte d’un viol ou en cas de difficulté sociale majeure. 
Très en deçà donc de ce que réclament les femmes et les associations féministes. 

Mais la mort du Président Pompidou (1974) fait qu’il n’est pas discuté. Valéry Giscard d’Estaing est élu. Il nomme Simone Veil au ministère de la santé. 

Elle dépose à la chambre une loi qui autorise toute les IVG, donc sans motif, dans un délai de 10 semaines.

Le débat fait rage à l’assemblée nationale, dans les journaux, dans la rue. 

Le débat prend des aspects moraux, voire moralisateurs. Les députés contre l’IVG brandissent la figure de la dévergondée.

L’un des arguments des pro-IVG a été de prouver, enquête socio, à l’appui que le profil type de la femme qui avait recours à l’avortement n’était pas la jeune fille dévergondée. Mais au contraire la mère de famille, mariée, avec déjà 2 voire 3 enfants, et n’en souhaitant pas un 4ème de son mari ! 
L’argument phare des pro-IVG, et de S Veil, ce qui a fait gagner, c’est le principe de réalité = il y a des avortements, mais ils sont clandestins (on estime autour d’un milllion)

Il fallait donc  légaliser pour permettre des IVG médicalisées et sécurisés afin de limiter mortalité et stérilité ; à quoi s’ajoutent des arguments de justice sociale et d’égalité entre les femmes du fait de leur inégalités dans l’accès à une IVG sécurisée.

Réécouter le discours dans lequel Simone Veil défend son projet de loi : 




Le projet est présenté au représentant de la nation le 26 nov 1974, et fait rare dans l’histoire de la Ve, l’issue du scrutin est totalement inconnue, rien n’excluant que la majorité (de droite) ne vote contre le texte du gouvernement.
Les consignes de discipline de vote, de temps de parole sont levées, ce qui va donner un débat incroyable, entièrement retransmis à la télé. 

Il y eu de tout : des débats d’une haute tenue, des propos odieux et inacceptables, des passages de cirques….

Tout ça alors que des catholiques intransigeants égrainaient des rosaires devant le Palais Bourbon, organisaient des manifestations, alors que parallèlement, le MLF manifestait en criant « Un enfant, Si je veux, Quand je veux ! »


Le 28 nov, en pleine nuit, à 3 h 40, le projet est mis au voix : il est adopté à une majorité de 284 contre 89.
Pour la première fois, le projet loi d’un gouvernement de droite était passé avec une majorité de voix qui venaient de la gauche + une partie des députés de droite

D’un coté c’est une victoire ENOOOOOOrme. L’IVG était autorisée en France. et il n’y avait pas de conditions de motifs qui limitent la possibilité d’avorter. 

C’était enfin la fin des avortements clandestins et dangereux

Mais, c’était un droit à l’IVG malgré tout contrôlé et le MLF pouvait être déçu. En effet l’IVG ne pouvait intervenir que dans les dix premières semaines. 

Il n’était pas remboursé par la sécu (mais gratuit pour les femmes sans ressources) et il fallait une autorisation parentale pour les mineures. 

Obligation était faite à la femme de suivre un entretien, pensé comme dissuasif,

où on lui proposait tout un tas de prospectus sur les aides pour les mères seules, sur l’accouchement sous X… 

Entretien suivi de 8 jours de réflexion puis d’un second entretien, ce qui risquait de faire perdre du temps au vu du délai légal. 


Les médecins pouvaient refuser de pratiquer un avortement. Les étrangères non résidentes ne pouvaient pas avorter. Enfin la loi n’était appliquée que pour 5 ans, ce qui renvoyait à un nouveau débat en 79 pour son adoption définitive.
Le débat de 79 fut à nouveau houleux, long difficile, mais on notera que l’Ordre des médecin, constatant la disparition des morts après avortement se déclara désormais en faveur de la loi.
La loi est reconduite indéfiniment, à nouveau avec une partie de la droite qui vote contre et l’appui de la gauche. 

Après l’élection de Mitterrand, les femmes obtiennent le remboursement de l’IVG (mais pas sur les comptes de la sécu, sur un budget à part). 


En 1986, le retour de la droite au pouvoir déçoit les anti avortement car Jacques Chirac dit cette fois clairement que l’on ne reviendra pas sur la loi Veil. (Il avait été contre en 79)

Dès lors privés d’appuis parlementaires (ou très minoritaire, il y a la député des Yvelines, Christine Boutin), les anti-IVG se replient sur l’extrême droite (Le FN). 

Des membres de l’extrême droite, ou des intégristes ont recours à des stratégies violentes, inspirées des USA, avec la mise sur pied de commandos anti IVG. 
Leur stratégie est mise en échec d’abord par des contre commandos, puis par la loi Neiertz (Véronique), de 1992, qui institue le délit d’entrave à l’IVG. 

Nombreuses entraves au début années 90 avec le retour de la droite.  Les carrières des médecins qui pratiquent les IVG sont freinées, les services d’IVG sous dotés, les délais d’attente trop longs, les femmes sortent des délais et sont encore obligées d’aller à l’étranger (5000/ans). 

C’est le retour de la Gauche qui va redonner un coup de pouce.  La loi Aubry Guigou  allonge en 2000 le délai à 12 semaines, délivre les mineurs de l’autorisation parentale et rend l’entretien préalable facultatif. 
Plus récemment, la loi  Vallaud-Belkacem rembourse l’IVG à 100% et sur la sécu désormais. 

Un site un site gouvernemental dédié ivg.gouv.fr est lancé et toute entrave à l’information sur l’IVG est sanctionnée. 


Enfin la loi de 2014 supprime la condition de « détresse avérée » que la loi de 1975 exigeait pour ouvrir droit à une IVG (suppression symbolique mais importante). 

On estime de nos jours que 45 % des femmes ont pratiqué au cours de leur vie une IVG.

Les difficultés actuelles tiennent aux politiques d’austérité : faute de personnel, l’attente est longue et à nouveau les femmes dépassent les délais…

Voici donc l’histoire d’un droit. Un aspect de l’histoire politique et sociale du 20e sc, un aspect de son histoire des mentalités.

Mathilde Larrère
*************
Notes de MW :

(2) Parmi les autres livres consacrés au sujet, citons aussi La Ventriloque (éd. des Femmes) de Claude Pujade-Renaud et Hôpital, Silence, de Nicole Malinconi (éd. de Minuit). Deux écrivains-médecins français ont également abordé la question et se sont positionnés fermement en faveur de la liberté des femmes – André Soubiran dès les années 60 dans Les Hommes en Blanc et le Journal d’une femme en blanc (Le Livre de Poche)qui fit l’objet d’un film engagé de Claude Autant-Larat en 1965 ; MW dans La Vacation (POL, 1989). 

(3) Quand on lit le site de l’Ordre aujourd’hui, on peut se demander s’il ne l’est pas toujours… 

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L’avortement est un droit et l’entrave à l’IVG ou à l’information sur l’IVG est punie par la loi.

L’Ordre des médecins français est une institution critiquée et discutable à bien des égards, mais elle existe et on est obligés de faire avec.

Cela étant, il n’est pas acceptable de la laisser dire des choses fausses sur son site, puisque cet organisme officiel a pour  « mission » en principe de s’assurer que ses membres – les médecins – respectent la loi et les patients.

Aussi, quand on tombe sur la page du site officiel de l’Ordre consacrée à l’IVG, on est surpris de lire :

« Les dispositions de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) restent encore assez mal connues des médecins (!!!) et des femmes.  L’IVG n’est ni un moyen de contraception, ni un droit à l’avortement. C’est une exception au principe du respect de la vie, réaffirmé à l’article 16 du code civil, exception justifiée par la nécessité. La loi distingue deux situations : l’interruption de grossesse pratiquée avant la fin de la douzième semaine de grossesse, en cas de détresse maternelle ; l’interruption de grossesse pour motif médical (IMG) (état pathologique maternel ou fœtal). »

La dite page est un commentaire destiné à « éclairer » les articles du Code de déontologie – et du Code de la santé publique, qui en régit le contenu.

Or, cette page date de 2012. Et la loi du 4 août 2014 sur l’égalité des chances entre les femmes et les hommes a modifié la loi sur l’IVG. En particulier, la notion de « détresse » a disparu et l’avortement est devenu un droit et non une « exception ». La loi a été une nouvelle fois reformulée en 2016 pour permettre aux sages-femmes de pratiquer les IVG médicamenteuses

Voici l’intitulé actuel du Code de la Santé publique :  

·      

 

La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l’interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la douzième semaine de grossesse.

Toute personne a le droit d’être informée sur les méthodes abortives et d’en choisir une librement.

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables.

*** 

Ainsi, contrairement à ce qu’on pouvait lire sur le site en 2012, depuis la loi du 4 août 2014l’IVG est bel et bien un droit – tout comme l’accès à l’information la concernant.

Je suis bien placé pour connaître les délais de mise à jour d’un site, alors loin de moi l’idée de jeter la pierre à ceux qui ne le font pas à la minute. Mais le site de l’Ordre est tout aussi officiel que l’Ordre lui-même. On est en droit d’attendre qu’il soit à jour des dispositions légales qu’il est censé rappeler aux professionnels.

Il ferait bien, également, de rappeler que la loi punit désormais l’entrave à l’IVG ou à l’information la concernant :

Article L2223-2 du CSP

·       Modifié par LOI n°2014-873 du 4 août 2014 – art. 25

Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 :

– soit en perturbant de quelque manière que ce soit l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ;

– soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues y subir ou s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières.

***

(NB Cet article s’adresse à tous les citoyens, y compris donc aux praticiens qui reçoivent une femme en consultation ou pour une échographie et qui tentent de la dissuader d’interrompre sa grossesse. Ce serait bien que l’Ordre – et les syndicats de gynécologues, par exemple – le rappellent aussi à leurs membres.)  


Je suggère aux internautes de contacter l’Ordre pour demander que cet organisme censé faire respecter la loi soit à jour des informations qu’il délivre aux médecins. 

Téléphone, fax ou courriel, vous avez le choix. Faites-vous entendre. 

Marc Zaffran/Martin Winckler

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Le bol d’eau chaude – par Florence Braud

C’est une chambre d’hôpital. Dans cette chambre, un homme va mourir. Dans quelques jours ou dans quelques semaines, personne ne sait au juste, mais il va mourir, ça, tout le monde le sait. C’est une chambre qui attend la mort, cependant elle est pleine de vie. Les murs sont décorés de photos, c’est interdit pourtant, mais le personnel soignant a gentiment fermé les yeux. Au bout du lit trône un vieux doudou, c’est Martin, le doudou de l’homme qui va mourir.  Bien sûr, ça fait bien longtemps que Martin ne sert plus de doudou à personne, mais la fille a retrouvé cette vieille peluche dans un carton et elle l’a amenée à son père, comme un petit clin d’œil. La fille, justement, est assise sur le fauteuil. Dans ses bras, un bébé endormi. Un tout jeune bébé, qui n’a que quelques semaines à peine. Trois générations dans cette chambre pleine de vie qui sent déjà la mort, trois générations silencieuses et fatiguées.

Deux petits coups discrets frappés à la porte. L’homme malade dort, le bébé aussi, seule la fille relève la tête. Une aide-soignante entre doucement et dépose un bol d’eau chaude à côté du fauteuil. La fille sourit et remercie, elle a envie de pleurer mais elle se retient, ses sanglots risqueraient de réveiller l’homme et l’enfant endormis. L’eau chaude, c’est pour sa tisane, parce qu’au distributeur de l’hôpital il n’y a que du thé et du café. Ce n’est qu’un bol d’eau chaude, mais c’est tellement plus que ça. Ce bol d’eau chaude, c’est aussi la merveilleuse attention d’une aide-soignante pour cette maman fatiguée qui va bientôt perdre son père. C’est la bienveillance de toute une équipe qui accompagne sa famille depuis plusieurs mois. C’est le sourire de l’aide-soignante, l’écoute de l’infirmière, l’humour du brancardier. C’est la douceur de la kiné et la gentillesse de l’ASH. C’est le soin dans ce qu’il a de plus beau, le soin qui ne soigne pas mais qui prend soin.

C’est cette équipe soignante qui m’a donné l’envie d’être aide-soignante. Grâce à un bol d’eau chaude.

Florence Braud
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Ce billet de Florence a été originellement publié sur son blog, « Soignante en devenir« . Vous êtes vivement invité à lire également ce second billet, « côté obscur » de celui qui précède. 

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Soupçon, incrédulité et maltraitance, une expérience vécue – par H.

Vous vous souvenez de ce jour où vous êtes tombé dans un champ d’orties ? Vous avez essayer de l’éviter, mais la pente était raide, le vélo s’est emballé. Et vous voilà prisonnier de plantes hostiles qui attaquent votre peau. Ca gratte, ça pique, ça brûle. Il y a un an je me suis réveillée dans cet état, et les orties ne m’ont plus quittée, attaquant toujours plus fort, les fesses, les jambes, le torse, les bras et un jour le visage ou les parties génitales. Au fur et à mesure elles ne se satisfont plus des boutons et des plaques qu’elles infligent, elles attaquent plus profond, elles font gonfler les membres ou le visage. Ce champ d’orties qui m’accompagne en permanence est une maladie : l’urticaire chronique. Mon corps produit tout seul ces attaques. Ca gratte comme des boutons d’araignées, ça pique comme des insectes qui mordilleraient la peau, ça brûle comme un coup de soleil, ça fait mal comme un bleu. Tout le temps.

J’ai écrit la majeure partie de ce texte dans la salle d’attente des urgences, parce qu’après un an de nomadisme médical, je suis devenue folle, au sens propre. Folle de douleur et de démangeaison, mais aussi rendue folle par l’absence de traitement et de considération du corps médical. La violence du système médical m’a fait perdre un an de ma vie. Mais ce texte n’est pas une plainte, c’est un témoignage. Nous sommes des centaines de milliers à devoir nous battre contre la maladie et dans le même temps contre un système médical hostile. Dans ce combat nous partons inégaux. Or mon niveau d’instruction et ma position sociale me placent dans les privilégiés. Je ne suis pas une victime, je suis une combattante et ce texte est une arme. Ecrire me permet de mettre au loin ma colère pour continuer ma vie, publier offrira, je l’espère, des outils pour les malades et leurs proches.

            Urticaire chronique 366ème jour, salle d’attente des Urgences

Ce matin la démangeaison m’a réveillée. Pas plus atteinte qu’un autre mauvais jour, mais c’était le jour de trop. Le jour où les tergiversations, les examens inutiles et humiliants, les promesses de traitement non tenues devaient cesser. Ce soir je devais avoir un traitement ou je sombrerais dans la folie. Déjà je m’entendais chantonner des chansons que je n’ai jamais entendues.

J’ai filé aux urgences. Ils sont gentils aux urgences, une fois passé le suspicieux « Vous venez pour de l’urticaire ?? ». Pourtant dans la salle d’attente je vois un peu des minuscules violences que subissent les malades. Mises bout à bout durant des mois, de médecins en examens, d’hôpitaux en cabinets, elles constituent une souffrance qui s’ajoute à la maladie. Elles sont responsables de l’obsession qui envahit petit à petit notre esprit, jusqu’à la folie. Cette accumulation est un rite initiatique, un bizutage organisé inconsciemment par tout le corps médical. Tu veux un traitement ? Prouve nous que tu es « compliante », que tu obéis aveuglément.


Aux urgences, d’abord on nous suspecte (« ce n’est que de l’urticaire »), ensuite les aides soignants appellent des  noms du fond de la salle, ils se retournent, ils laissent les patients les suivre de loin. On marche vite vite pour les rattraper en se demandant pourquoi cette personne en pyjama ne nous a pas dit bonjour, ne nous a pas regardé.

Ca a commencé comme ça mon parcours médical. L’attente. 6 semaines pour que mon urticaire soit déclarée chronique pour avoir droit de voir un spécialiste, puis encore 4 semaines pour avoir un rendez-vous chez un dermatologue. J’ai vu la « meilleure » dermatologue de Paris paraît-il, en tout cas une des plus chères. Pas besoin de se demander pourquoi je l’ai laissé faire sans rien dire j’étais impressionnée par son énorme bureau en marbre massif dans cet immense cabinet à 50000€ le mètre carré. Je payais 100€ la consultation, je n’avais aucun souci à me faire à ce prix là. Et puis la toubib était drôle et sympathique. Ce n’est que des semaines après que j’ai réalisé qu’elle n’avait même pas jeté un oeil sur ma peau. Ce n’est qu’aujourd’hui que je m’aperçois que je suis repartie avec une batterie d’examens à subir, mais pas d’ordonnance qui augmente ma dose d’antihistaminique. Alors que de toute évidence j’avais besoin d’un traitement plus fort. En sortant, je me disais qu’elle avait fait de son mieux, que je devais serrer les dents et être forte. Je me suis dit ça 200 fois par jour pendant un an.


Un mois plus tard, toujours couverte de plaques, la même médecin m’apprend que j’ai une urticaire chronique. Ca existe, c’est une maladie, dans 6 mois ce sera fini, je dois continuer mon traitement qui ne marche pas, mais bon ça va quoi, on vit très bien avec de l’urticaire, faîtes pas votre chochotte, ça gratte tant que ça ? Heu non non, pardon docteure, ça ira. J’ose tout de même demander pourquoi mon urticaire est plus fort pendant mes règles. Mais parce que je suis focalisée sur mes cycles, comme toutes les jeunes, je suis parisienne et stressée voilà tout, allez voir ce bon gynéco ma petite (vous avez l’âge de ma fille) et voilà tout.


Et moi, si habituée à ces discours, je repars, bonne petite soldate, la bourse allégée et plutôt rassurée. Le « bon » gynéco confirme les dires de sa consoeure et « j’ai fait 10 ans d’étude, je sais de quoi je parle. On va arrêtez les cycles si ça peut vous rassurer.» Moi aussi j’ai fait 10 ans d’étude, je ne vois pas le rapport, mais encore une fois je sors rassurée, tout va s’arrêter c’est la docteure qui l’a dit et elle a été à l’école.

Mais tout est allé de mal en pis. La pilule progestative prescrite a rendu mon urticaire absolument incontrôlable. J’ai passé 10 jours dans un brasier, à me gratter au sang. J’ai arrêté cette contraception nocive (mais puisqu’on vous dit que l’urticaire n’a rien à voir avec vos cycles ou les hormones enfin !). Depuis ma maladie n’a jamais retrouvé son niveau d’avant cet épisode. Chaque menstruation est une torture. Il existe une maladie appelée « dermatite auto immune à la progestérone », mais aucun spécialiste que j’ai vu n’a voulu me faire le test. Ils n’y « croient pas » (sic).

Cela faisait maintenant 7 mois que je vivais dans mon champ d’orties, je devenais chaque jour moins active, moins joyeuse, plus angoissée. Comme j’ai la chance de savoir faire des recherches, je me suis mise à lire des articles scientifiques, à tenter de comprendre comment fonctionne cette maladie. J’ai échangé avec d’autres patients, j’ai appris l’existence de traitements qui fonctionnent mais qui sont donnés en dernier recours. Comme dans toutes les maladies chroniques, il y a plusieurs phases de prise en charge (4 dans mon cas), avec un traitement de plus en plus fort. J’ai pris rendez-vous dans un service spécialisé. Le 1er docteur m’a passé de la phase 1 à la phase 3, il m’a fait faire une biopsie. Il m’a à peine regardé pendant les 5 minutes de la consultation, il a été méprisant et m’a fait des reproches. Mais je m’en moquais, j’avais un traitement et une biopsie c’est du sérieux quand même, on me prenait en charge, enfin. Comme à chaque fois, je suis ressortie pleine d’espoir et toute confiante dans la médecine.

Je crois que c’est dans l’attente des résultats de cette biopsie que je suis devenue folle petit à petit. Les premières semaines le traitement m’a accordé du répit, l’hôpital allait me rappeler avec les résultats et il en découlerait un ajustement thérapeutique, tout roulait. Mais bien sûr que non. Il a fallu prendre moi-même rendez-vous et retourner à l’hôpital.

Ah madame, c’est qu’on ne trouve plus votre dossier, ah le voilà, des résultats quels résultats, non non ils ne sont pas arrivés, ça prend du temps vous savez. Mais madame soyez patiente un peu, je n’ai pas de temps, prenez votre ordonnance, je n’ai pas le temps, dans 3 à 5 ans ce sera fini, allez au revoir, je file je n’ai pas le temps.

Et j’ai basculé. Le traitement ne marchait plus, ces résultats qui n’arrivaient pas, c’était impossible, ça tournait en boucle dans ma tête, il me fallait ces résultats, c’était la clé. Pendant 10 jours j’ai appelé 10 fois par jour le service, ça sonnait dans le vide. Pour éloigner mon esprit de la douleur et des démangeaisons, j’avais construit d’autres obsessions : avoir mes résultats, avoir un traitement, trouver le bon médecin. Mais personne ne répondait, comment se battre contre un fantôme ? Le désespoir m’a envahie, entrecoupé de sursaut de vie.

Un beau matin j’ai débarqué dans le service bien décidé à ne pas en repartir sans mes résultats, prête au scandale s’il le fallait. Je me pensais forte… je suis repartie la queue entre les jambes.

La biopsie a été faite il y a 4 mois ? Mais ma petite dame j’ai pas le temps de vous recevoir je m’en fous de vos résultats allez les chercher au labo de l’hôpital c’est pas mon problème.

Pourtant une semaine après, quand je suis revenue, après avoir changé de médecin et prévenu la cheffe de service, ils étaient là mes résultats. Comme depuis que le labo les avait transmis, 4 mois plus tôt. Normal quoi. Cependant, la docteure A m’a expliqué qu’ils n’étaient pas utiles. Manière de me dire que j’avais fait un scandale pour rien ? Ainsi, les examens c’était terminé pour moi, je repassais en phase 2 de traitement mais seulement pour 15 jours et si ça ne fonctionnait pas hop phase 4, le médoc qui marche à tous les coups. Quel légèreté en sortant ! Dans15 jours tout ça serait derrière moi. Le cauchemar était terminé, cette docteure A était mon héroïne.

Mais non. Finalement la docteure a changé d’avis. 15 jours après, les résultats de cette biopsie il fallait les prendre en compte, il fallait refaire plein d’examens, c’était inquiétant tout ça. A partir de ce moment, la maladie a pris le pouvoir sur moi. Je passais mon temps à lire des publications, à essayer de comprendre pourquoi on me demandait ces absurdes examens, pourquoi je n’avais pas droit au traitement, pourquoi ils attendaient comme ça. Je réfléchissais à des stratégies, je demandais des justifications scientifiques. Mes proches étaient rassurés qu’on me demande des examens. Je voulais leur crever les yeux : ils ne voyaient rien, ne comprenaient rien ou quoi ? Dans mon délire, je m’accrochais à une date, le 28 juin j’avais décroché un nouveau rendez-vous avec la docteure A, je ne partirai pas sans un traitement, je serais forte, c’était ça ou me foutre en l’air, de toute façon.


Pourtant, encore une fois, ce 28 juin j’ai quitté l’hôpital sans nouveau traitement. Et cependant rassurée. Comme d’habitude. Après m’avoir reproché mes mails, la docteure A m’a fait comprendre que mes résultats d’examens étaient inquiétants, qu’elle devait discuter avec ses collègues. Même traitement qui ne fonctionne pas, nouveaux examens et on se revoit dans un mois. A chaque visite le patient remplit des questionnaires sur la qualité de vie, le mien explicitait que depuis 9 semaines je n’avais pas eu un jour de répit, j’avais précisé que je voulais mourir et j’étais recouverte de plaques d’urticaire de la tête au pied. Mais je suis repartie sans traitement et sans date de rendez-vous. Et – par quel tour de passe passe ?- rassurée. Dans un mois maximum tout serait terminé.

Combien de fois aurais-je gobé cette fable, si un soir, je n’étais devenue si méchante et délirante qu’Edouard a crié que j’étais folle ? Oui, j’étais folle, folle de douleur, folle de démangeaison, folle de ne pas avoir de traitement, folle d’être maltraitée par le système. Je me mettais des échéances, tenir encore 15 jours, encore 1 semaine. J’avais construit un raisonnement selon lequel puisque la maladie augmente pendant mes règles, même si les médecins refusent de voir le lien, être enceinte arrêterait tout, donc je regardait les sites pour devenir mère porteuse. Pourquoi mes amis trouvaient cette idée lumineuse idiote ? Le plus souvent, je leur affirmais très tranquillement, persuadée que c’était d’une logique implacable, que j’allais me suicider dans 3 semaines si il n’y avait rien. J’avais envie de mourir et c’était une évidence.

Puisant dans mon instinct de survie, j’ai demandé à refaire l’examen qui inquiétait tant le Dr A. J’étais sûre que tout allait bien. Et j’avais raison, mes examens ne montraient rien d’inquiétant. Il n’y avait en réalité aucune raison d’attendre encore avant de me traiter. Mais alors, à part pour me punir, pour quelle raison le Dr A m’avait laisser partir de l’hôpital recouverte d’urticaire, le cerveau embrumé par les idées noires ?

Ce matin, j’ai compris que j’étais en danger. Quand on veut mourir, on est en danger de mort. J’ai réuni tous mes résultats, le calendrier qui montre l’évolution de ma maladie, avec les traitements successifs, la concordance des crises avec mes règles, le fait que depuis un mois mon traitement a été réduit à peau de chagrin, les compte-rendus des toubibs. Direction les urgences de l’hôpital où je suis suivie. Un urgentiste c’est pragmatique, c’est là que je trouverais du secours.

369ème jour – Dans le train pour les vacances

Et ça a marché ! Pour la première fois un médecin m’a écoutée, ne m’a pas coupée, ne m’a pas demandé ce que je fais dans la vie blablabla. Elle a seulement accueilli mes plainte , elle m’a rassurée « oui, c’est une urgence » et elle m’a soignée. Grâce à cette urgentiste j’ai vu une psychiatre, qui entre 2 défenses de ses confrères, m’a fait comprendre que cette maladie est invalidante et nécessite une prise en charge psychologique qu’on ne m’avait jamais proposée. Grâce à cette urgentiste j’ai eu un rendez-vous dans la journée avec la Dr A et d’autres médecins du service qui me traite. Et tout à coup, elles se sont occupé de moi.

La clé pour choisir mon traitement était bien la biopsie. Cela détermine le choix du médicament, il faut un mois pour vérifier si ça fonctionne mais on m’a donné directement le prochain rendez-vous, pour que je ne m’inquiète pas de ça. Une simple politesse qui m’était jusqu’alors refusée. J’aurais dû bénéficier de ce traitement il y a 6 mois, mais pas un mot d’excuse de la part des médecins qui m’ont reçue.

Les premiers bénéfices ont mis 2 jours à apparaître. L’arrêt de la douleur a eu l’effet d’une drogue sur mon cerveau. En me réveillant, j’ai constaté que ça ne me grattait plus, je n’avais plus mal. Et j’ai passé 12 heures de pur bonheur, ivre sans alcool, cotonneuse comme après un orgasme sans sexe, une petite voix me murmurait « dors, sois sans crainte » , mais je ne voulais pas dormir, je voulais savourer encore un peu. Puis j’ai eu une violente migraine comme une descente de LSD. Pas besoin de drogue, de vodka ou de sexe  : je n’avais tout simplement plus mal. Cette journée m’a fait comprendre la violence de ce que j’ai vécu. Mon cerveau décompressait de semaines de souffrances.

Du jour au lendemain, plus d’idées noires, plus de folie, rien. L’urticaire me rendait folle, mais dès qu’elle s’est arrêté mon cerveau est retourné à son état précédent, il est tout à fait sain. Jamais le système médical ne reconnaîtra qu’il m’a fait perdre 6 mois de ma vie dans la folie de la démangeaison, que ce n’est pas l’urticaire mais l’absence de traitement qui m’a poussée aux urgences parce qu’il me restait assez de lucidité pour comprendre que souffrir et vouloir mourir n’est pas normal ou logique. Que j’étais en danger.

Il ne le reconnaîtra pas car ce bizutage est inconscient. Et il risque de continuer, je vais encore longtemps devoir me battre pour avoir les bons dosages ou pour que le lien avec mes cycles menstruels soit exploré. Mon histoire est la même que celles de dizaines de milliers de patient-es, je ne suis pas plus à plaindre qu’un-e autre. C’est l’histoire banale d’un rite initiatique, vécu par des millions de malades, pour que la médecine les considère assez pour les soigner. Un rite où l’ont doit attendre, marquer sa déférence vis-à-vis médecins, adhérer à leurs croyances, ne pas dire un mot plus haut que l’autre. Un rite pour montrer qu’on est capable de supporter, la maladie, la douleur, l’humiliation, l’incertitude. Ce n’est que si l’on est un « bon malade » (j’ai entendu l’expression), que le système médical nous prendra en compte. Ou si l’on se bat. Alors arrêtons de supporter, battons-nous.



H. 

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A propos des vaccinations – un extrait des « Brutes en blanc »

Je reproduis ici cinq pages de Les Brutes en Blanc – La maltraitance médicale en France (Flammarion, Octobre 2016). 


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Les femmes, les hommes, les pharmaciens et la contraception d’urgence

Pendant mes vingt-cinq ans d’exercice en médecine générale (à la campagne puis en centre de planification), je ne compte pas le nombre de femmes qui sont venues me demander une contraception d’urgence (CU). Avant la commercialisation du Norlevo, on prescrivait 4 cp de Stédiril (2 toutes les 12 heures) – ce qu’on appelait la « méthode de Yuzpe » ; le Tétragynon, commercialisé dans les années 80, était la même chose sous une présentation unitaire. 

C’était très efficace, mais pas dénué de risques. Que je sache, et j’en suis heureux, aucune des patientes à qui j’ai prescrit du Stédiril ou du Tétragynon n’a eu d’effet secondaire grave, mais j’ai reçu en consultation, un jour, une femme qui avait fait une thrombose de l’artère centrale de la rétine après la prise de Tétragynon. Elle en avait gardé un champ visuel réduit sur un oeil. Elle n’avait que 25 ans. 

(Ce qui était inacceptable, c’est que lorsqu’un médecin la lui avait prescrite, le Norlevo existait déjà. Il lui avait donc prescrit celle des deux CU qui était la plus dangereuse. Dans les pays où le Norlevo n’existe pas, le risque est acceptable (il est moins grand que les risque d’une grossesse non désirée) ; le connaissant, les femmes choisiront le plus souvent d’utiliser ce type de méthode. Dans les pays où le Norlevo est commercialisé, un médecin qui prescrit une autre méthode commet à mon sens une faute professionnelle, puisqu’il fait courir à la patiente des risques inutiles et démesurés.) 

Si je commence par cette histoire, c’est parce qu’il me semble que la question centrale de la délivrance du Norlevo en tant que CU réside avant tout dans la sécurité des femmes. Et que c’est la question de la sécurité qui devrait primer sur toutes les autres. (NB, dorénavant je parlerai seulement du Norlevo, car Ella-One n’a pas d’avantage démontré sur lui, comme l’écrivait encore en 2015 La revue Prescrire)

Rappelons les faits :

       du point de vue de la santé des femmes et de la santé publique, les bénéfices d’une CU sans danger et d’accès facile sont incommensurables, quand on les compare à l’alternative (grossesses non désirées, IVG) ;

       le lévonorgestrel à dose efficace pour servir de CU ne fait courir aucun risque d’effets cardiovasculaires graves (aucun décès recensé sur toute la planète) ;

       le lévonorgestrel en CU est considéré comme un médicament essentiel par l’OMS qui recommande explicitement :  

« Toutes les femmes et jeunes filles exposées au risque d’une grossesse non désirée ont le droit d’avoir accès à la contraception d’urgence et ces méthodes doivent être systématiquement intégrées dans les programmes nationaux de planification familiale. De plus, la contraception d’urgence doit être incluse dans les services de soins destinés aux populations les plus exposées au risque de relations sexuelles non protégées, notamment après le viol, et ceux destinés aux femmes et aux jeunes filles vivant dans des situations d’urgence ou d’aide humanitaire. »

       les « risques » de l’acheter et de l’utiliser librement (même plusieurs fois par an) sont inexistants, et c’est ce qui a motivé la délivrance sans ordonnance et la délivrance gratuite aux mineures en France.

Ce rappel étant fait, en France, quand un médecin prescrit du Norlevo, quel est le risque pour la femme ? (Même s’il n’a jamais vu cette femme auparavant et ne sait absolument rien d’elle.)

Zéro. Rien. Nada. Nothing. Niente. Null.

Quel est le risque s’il ne le prescrit pas ?

Refuser du Norlevo ce n’est pas seulement contraire aux bonnes pratiques, c’est faire courir à la femme le risque d’une grossesse non désirée et de ses conséquences. C’est plus risqué que de lui en délivrer. (Culpabiliser/humilier une patiente qui en demande est aussi une faute professionnelle et un comportement contraire à l’éthique.) 
Il en va de même pour le pharmacien. Si la patiente a une ordonnance, il doit la délivrer. Si elle n’en a pas, il doit la délivrer aussi – c’est en vente libre, comme l’aspirine, le paracétamol, l’ibuprofène ou, si je ne m’abuse, l’association paracétamol + codéine, qui sont tous les quatre potentiellement toxiques si on prend la boîte entière mais aussi à doses « normales » chez certaines personnes sensibles.

Délivrer de l’aspirine à une personne qu’on ne connaît pas est statistiquement plus risqué que délivrer du Norlevo.

Si la femme dit être mineure, il doit la délivrer gratuitement et déclarer les boîtes ainsi délivrées pour être indemnisé.
Quel est le risque de délivrer du Norlevo à un homme qui la demande pour une femme ?

Cette femme peut être son amie, sa compagne, mais aussi sa sœur, sa fille, sa nièce, sa cousine et au fond n’importe quelle femme de son entourage qui ne veut pas aller l’acheter elle-même pour ne pas être stigmatisée, justement ! Ou, plus prosaïquement, parce qu’elle ne peut pas : on peut avoir eu un rapport sexuel à risque et être clouée au lit le (sur)lendemain par la grippe ou par un lumbago ; on peut aussi avoir des horaires de travail impossibles. 

Bien sûr, il ne s’agit pas de délivrer trente boîtes à quelqu’un qui les demande. Mais UNE boîte ? Quel est le risque de la délivrer à un homme ?



La revente ? C’est idiot, puisque le Norlevo est en vente libre. La revente au marché noir concerne essentiellement les médicaments qui ne sont pas en vente libre (ou gratuits pour les mineures). Et encore une fois, il s’agit d’UNE boîte, pas de trente.

Il peut la prendre lui-même ?  Ça ne le tuera pas. Il n’est même pas sûr que ça le rende malade.

Il peut la donner à une femme qui n’en a pas besoin ?  Le Norlevo n’a pas plus d’effets secondaires sur les femmes sans risque d’être enceintes que sur celles qui le sont. S’il est pris par quelqu’un qui n’en a pas besoin, où est le danger ?


Il peut l’utiliser comme abortif ? Ca ne marchera pas, et on ne voit pas pourquoi les hommes seraient tentés d’utiliser comme abortif un médicament connu pour ne pas l’être. 

On peut aussi demander aux pharmaciens s’ils accepteraient de délivrer du Norlevo à une femme de 70 ans qui la demande pour sa petite-fille (en sachant qu’il est impossible de vérifier que c’est vrai.) Si la réponse est « oui » alors qu’elle est « non » pour un homme, on est en droit de penser qu’il s’agit d’un préjugé sexiste.



Il y a beaucoup de situations où des hommes pourraient être amenés à demander du Norlevo pour une femme en toute légitimité : 
– confidentialité protégeant la femme, pour des raisons familiales, ethniques, religieuses, etc.
– l’homme parle français, la femme non

– l’homme est valide, la femme ne l’est pas (on peut être handicapée et avoir des relations sexuelles mais ne pas pouvoir se rendre à la pharmacie) 
– l’homme a une voiture et conduit ; la femme non et elle ne peut pas l’accompagner ; or, la pharmacie est loin… 
– l’homme est un travailleur social qui veut fournir une CU à une femme qui en a besoin
Etc…

L’argument selon lequel l’homme « peut mentir » en demandant du Norlevo n’est pas pertinent, ni recevable. Tout le monde peut mentir, mais pour des raisons éthiques, un professionnel de santé doit partir du principe qu’un patient dit la vérité. Enfin, le mensonge (si mensonge il y a) peut concerner aussi bien une femme qu’un homme. Une mineure peut très bien aller demander du Norlevo gratuitement pour une amie majeure qui n’a pas d’argent, et personne n’en saura rien. Où est le mal puisque ça évite une grossesse non désirée, qui aurait coûté à la femme et à la collectivité plus cher que la prise en charge du Norlevo ? 

Il m’est arrivé plus d’une fois d’aller acheter du Norlevo dans une pharmacie. Bien sûr, quand il s’agissait d’un pharmacien qui me connaissait et savait que je suis médecin, il ne posait pas de question. Mais je suis allé une fois dans une officine qui ne me connaissait pas et j’ai demandé deux boîtes. On m’a demandé pourquoi. Je n’ai pas dit que j’étais médecin, j’ai dit (c’était vrai) que je voulais avoir du Norlevo d’avance pour que mes enfants (quatre étaient adolescents) en aient à leur disposition. J’avais aussi acheté une (grosse) boîte de préservatifs. La pharmacienne m’a regardé un instant, puis elle a souri, hoché la tête, et m’a vendu le Norlevo (je ne m’étais pas fait d’ordonnance) et les préservatifs. Sans poser de question.

Il m’est aussi arrivé à maintes reprises d’acheter du Norlevo pour en avoir au cabinet médical et en donner gratuitement aux femmes qui en avaient besoin. C’était moi qui le payais, mais ça rentrait dans mes frais généraux. Et j’en ai prescrit et donné plus d’une fois (à mon cabinet ou à l’hôpital) à des femmes que je n’avais jamais vues et que je n’ai jamais revues.

Puisqu’il n’y a pas de risque (ni infraction à la réglementation) et que le coût social est négligeable alors que les bénéfices potentiels sont énormes, le refus de délivrer du Norlevo à un homme est un refus de vente lié à une discrimination, laquelle est punie par la loi. Alors que la délivrance du Norlevo à un homme n’est dangereuse pour personne (et ne coûte rien à la société, puisque l’homme ne sera pas remboursé), le refus de délivrer le Norlevo met en danger avant tout la femme qui en aurait besoin.

Et si l’homme qui demande le Norlevo est mineur ?



Personnellement, pour avoir eu deux ou trois fois affaire à des adolescents qui me demandaient du Norlevo « pour en avoir chez eux au cas où une capote craquerait », je n’ai que de l’admiration et du respect pour des jeunes hommes qui se préoccupent de la sécurité des femmes avec qui ils ont des relations sexuelles. Refuser du Norlevo aux garçons qui en demandent UNE boîte, c’est décourager ces garçons de prendre leurs responsabilités et de contribuer à la sécurité des femmes. 



(Dans ce cas, il reste au pharmacien à déterminer s’il fait payer le garçon ou s’il délivre le Norlevo comme à UNE mineure. Mais pourquoi le faire payer, franchement ? Ce serait une discrimination par l’argent…) 

Car encore une fois, se mettre en avant pour éviter à sa compagne mineure d’être stigmatisée (n’oublions pas que les filles le sont toujours plus que les garçons en matière de sexualité) je trouve ça non seulement respectable, mais réconfortant. 

Je ne suis pas pharmacien, mais la lecture de la réglementation donne de bonnes raisons de croire que vendre une boîte de Norlevo à un homme (ou à un tiers qui ne peut pas être l’utilisatrice) ne pose aucun problème médico-légal. En revanche, encore une fois, les bienfaits possibles de cette délivrance sont considérables pour les femmes qui en ont besoin – même si le pharmacien ignore de qui il s’agit

Beaucoup de pharmaciens se plaignent d’être méprisés par les médecins et par les patients. Or, le respect et la confiance, ça se gagne en ayant un comportement respectueux et nuancé, qui tienne compte de la réalité concrète des individus, et non en se retranchant derrière une réglementation, une idéologie ou des préjugés envers les individus, quel que soit leur genre.

Pour les nombreux pharmaciens qui ne se retranchent pas derrière ces excuses, je suis certain qu’il est facile de délivrer du Norlevo à toute personne qui en demande, homme ou femme, de n’importe quel âge, sans question ni soupçon, et en donnant toutes les informations nécessaires à une bonne utilisation. 

Ces pharmaciens-là ne regardent pas les personnes qui entrent dans leur officine et leur font cette demande avec méfiance, mais ils sont gratifiés de pouvoir éviter à une femme – et, si c’est l’homme qui se présente, à un couple – une situation très difficile. Sans aucun risque pour personne. 

Ces pharmaciens-là se comportent en soignants et ils font honneur à leur profession.

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Pourquoi débattre ?

Chaque année en février, les étudiants en quatrième année de médecine de l’Université McGill participent à un séminaire de trois semaines dans le cadre de ce qu’on appelle leur programme de « Physicianship » – leur programme de formation à l’exercice médical.

Ce séminaire se déroule à la fin leur quatrième année de formation clinique (en tant qu’externes), juste avant leur internat. Au Canada, les étudiants qui ont rempli toutes leurs obligations universitaires postulent dans les services qui les intéressent et sont recrutés sur dossier et entretien. Il n’y a pas d’examen national classant. Chacun est recruté au vu de ses accomplissements propres.
Au moment où le séminaire a lieu, ils sont en attente de l’affichage des postes – disponible le même jour dans tout le pays.

Le séminaire auquel je participe en tant qu’enseignant comporte deux volets : un atelier optionnel et un atelier obligatoire. Les ateliers optionnels sont au nombre de douze et comportent des sujets très variés, en particulier : Spiritualité et éthique en médecine ; Le langage de la médecine ; Comment la médecine est devenue moderne ; Médecine des peuples autochtones ; Loi, politique et santé ; ils comptent aussi un atelier d’écriture que j’ai l’honneur d’animer depuis cinq ou six ans. Chaque atelier optionnel reçoit 10 à 15 étudiants.

L’atelier obligatoire, auquel tous les étudiants de la promotion participent en petits groupes s’articule autour d’un programme unique, intitulé « Médecine et Société ». On y aborde, deux matins par semaine, un sujet qui touche à la fois la pratique médicale et la santé publique – par exemple : épidémies et vaccinations ; influence de l’industrie pharmaceutique ; ou encore fin de vie et assistance médicale à mourir.

Chaque séance (une demi-douzaine réparties sur trois semaines et demie) dure deux heures, pendant lesquelles les étudiants rendent compte, à tour de rôle, d’articles qu’on leur a donnés à lire sur le sujet, et discutent non seulement des enjeux abordés, mais aussi de leur implication personnelle – en tant que professionnels.

En février 2016, la séance consacrée à la fin de vie et à l’aide médicale à mourir était nouvelle : la Cour Suprême du Canada avait rendu un an plus tôt un arrêt annulant l’article du code criminel qui punissait l’AMM. Deux patientes atteintes de maladie terminale avaient en effet présenté comme argument que leur refuser une aide médicale à mourir était une discrimination (elle entravait leur liberté de décider de mettre fin à leurs jours sans souffrance).

De ce fait, les médecins canadiens en formation devaient s’attendre à ce que l’AMM soit réglementée dans toutes les provinces. Il ne s’agissait plus d’un problème théorique, mais d’un problème réel.
Je préciserai que mon groupe était (comme tous les autres groupes, probablement) multiethnique : il y avait un peu plus de femmes que d’hommes ; elles et ils étaient originaires d’Amérique, d’Europe, d’Afrique, d’Inde, d’Asie du sud-est ; ils se destinaient à des spécialités médicales très variées (médecine générale, médecine interne, chirurgie, pédiatrie, gynécologie-obstétrique, radiologie, etc.)

Pour faire débattre les étudiants sur la question brûlante de l’aide à mourir, j’ai demandé lesquels parmi eux étaient favorables à l’AMM, et lesquels y étaient opposés. Dans chaque groupe, j’ai sollicité trois volontaires. Enfin, j’ai confié à chaque trio la tâche de préparer une argumentation contraire à leurs convictions : les étudiants favorables devaient présenter les arguments contre ; les étudiants opposés devaient présenter les arguments pour.

Ca les a fait sourire, mais ça ne les a pas désarçonnés ni surpris. Débattre est une activité scolaire très répandue en Amérique du Nord. Quand j’étais lycéen à Bloomington, Minnesota, en 1972-73, plusieurs de mes camarades faisaient partie du Debate Team qui allait se mesurer contre les équipes d’autres établissements au cours de compétitions interscolaires, au niveau du comté, de l’Etat, voire au-delà. (Ces débats argumentatifs se déroulent en suivant des règles précises (un exemple ici pour les écoles secondaires dans le Vermont), comme pour un match sportif ou une compétition d’échecs ; tous les coups ne sont pas permis, et chaque équipe (ou membre) dispose d’un certain temps pour argumenter, contre-argumenter et poser des questions à l’équipe adverse. Et des juges spécialement formés notent chaque équipe selon des barêmes prédéfinis.)

De sorte que lorsque j’ai confié aux étudiants de mon groupe la tâche de débattre de ce sujet difficile, je savais que tout le monde bénéficierait de l’exercice.  Chaque groupe a présenté des arguments à la fois sensibles et rationnels ; le reste de la classe a ajouté son grain de sel, chacun à son tour, en nuançant certains points, certaines situations, certaines réflexions.

Ce qui était assez impressionnant dans ce débat c’est que, malgré des croyances personnelles très différentes (il y avait là des athées, des catholiques, des juifs, des musulmans), personne n’essayait de dénigrer les opinions des autres. Chacun se positionnait en tant que personne, disant ce à quoi il croyait et ajoutant qu’il se garderait bien d’imposer son opinion à un patient, dans un sens ou dans l’autre. Et tous disaient qu’il leur paraissait normal de respecter la loi, puisque celle-ci est censée servir équitablement tous les citoyens.

A la fin du débat, j’ai demandé aux étudiants ce que ça leur avait apporté. La plupart m’ont répondu que ça n’avait pas changé leur convictions, mais (en particulier ceux qui avaient présenté les arguments) que ça les avait aidés à comprendre la position des autres.

Ce qui m’a frappé, aussi, c’est que tous se considéraient encore comme des patients – ou des parents, amis, enfants de patients – avant de se considérer comme des médecins.

*** 

Dans le domaine de la santé, quand il s’agit de la vie des autres, un débat devrait être un échange, une mise en commun, une réflexion collective. Chacun devrait avancer ses arguments en précisant s’ils reposent sur des faits avérés ou s’il s’agit d’une opinion personnelle. Car les deux types d’argument n’ont pas le même poids. Une opinion est toujours respectable car elle détermine ce que la personne veut ou ne veut pas faire pour elle même. Quand il s’agit de ce qu’on fait pour les autres, on ne peut pas en rester à son opinion personnelle : il est nécessaire que les décisions tiennent compte de ce qui est acceptable pour l’ensemble des personnes concernées. La difficulté réside dans le fait de distinguer entre ce qui concerne la personne et ce qui concerne le groupe.

La vie en commun devrait toujours être guidée par cette double préoccupation : les bénéfices pour l’individu, les bénéfices pour la collectivité. Et pour les professionnels de santé, dont le rôle fondamental consiste à maintenir tout le monde en bonne santé, tant que faire se peut, ça devrait aussi être une préoccupation constante : soigner la personne en tenant compte du bien commun, mais sans asservir la personne aux intérêts (ou aux valeurs) du groupe, ce qui n’est pas simple : quand le groupe stigmatise un comportement, le professionnel de santé doit-il se comporter comme un allié de l’individu, ou comme un mandataire du groupe ?

Sans compter que chaque professionnel.le a ses opinions propres sur la question…

Bref, c’est compliqué.

Un (1) professionnel de santé « en sait plus » (ou du moins, sait autre chose) sur la maladie et sa prévention que les autres citoyens. Il se sent (peu ou prou) investi d’une mission : soigner. Il se sent parfois responsable de beaucoup de choses, y compris de ce qui ne le concerne pas directement : les convictions, les peurs, les préjugés, les décisions des patients.

Je me souviens avoir longuement discuté, il y a une dizaine d’années, avec un groupe de généralistes britanniques et suédois (ils s’étaient rassemblés pour un atelier de formation continue en Bretagne), à propos de l’autonomie des patients et de l’influence des médecins sur leurs choix. Tous m’avaient dit très clairement qu’ils avaient à coeur de respecter avant tout ce que leurs patients désiraient, et que cela les amenait souvent à agir (et plus souvent encore à ne pas agir) à l’encontre de ce qu’ils avaient appris. C’était difficile, mais ils y parviennent en se soutenant mutuellement. « Quand un patient prend une décision avec laquelle nous ne sommes pas d’accord, c’est dur, mais on les soutient dans leur choix, et nos collègues nous soutiennent moralement. Bien entendu, souvent, les débats avec les patients sont longs et émotionnellement prenants. »

De leurs côtés, les patients s’organisent, eux aussi, en groupes d’intérêts, par communauté de préoccupations (lesquelles ne se réduisent pas nécessairement à la maladie). Ils forment des associations et, surtout, ils communiquent de manière plus libre qu’autrefois. Plus libre que ne le faisaient les médecins à l’époque où ceux-ci ne disposaient que des revues médicales. L’information venait toujours d’en haut. Aujourd’hui, pour les uns comme les autres, elle peut être horizontale. Ce changement de paradigme s’est fait si rapidement qu’il est encore difficile d’en apprécier les conséquences.

*** 

Pendant longtemps, les patients n’ont pas pu débattre, voire même seulement discuter avec les médecins. D’abord parce qu’ils n’avaient pas la parole : les débats se déroulaient sans eux. Les décisions se prenaient sans eux. Souvent, elles ne leur étaient pas communiquées du tout.

L’expérience des médecins n’était le plus souvent pas partagée avec les patients. Celle des patients n’était pas entendue par bon nombre de médecins.

Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, aux forums et aux blogs, il est possible à toute personne disposant d’un accès internet de partager son expérience, sa réflexion, ses opinions. Est-ce que ça permet d’établir des échanges, des discussions, des débats ? Parfois, mais pas toujours. Ce n’est pas la brièveté des messages qui me semble être en cause : quand on veut faire passer une pensée développée, on n’est pas obligé de s’en tenir à Twitter ou FB. On peut écrire un long texte, poster le lien, et libre à ceux qui veulent vous lire et réagir de le faire.

Et il y en a pour tous les goûts : patients et soignants peuvent s’exprimer en parallèle, se lire, se répondre.

Le problème ne réside plus dans les lieux ou les moyens, il réside dans le type de réponse que l’on choisit de donner au texte qu’on vient de lire. Pour chaque article d’un blog, beaucoup de lecteurs répercutent (partagent sur FB, retwittent sur Twitter), ce qui n’est pas du tout négligeable, mais la proportion de ceux qui décident d’apporter des (contre-)arguments sous la forme d’un commentaire ou d’un courriel est assez faible, ce qui est dommage.

Quelques-uns font des commentaires désagréables ou ironiques. Un petit nombre écrivent quelques phrases agressives à l’intention de l’auteur.e. Dans ces derniers cas, il ne s’agit ni d’un échange ni d’un débat, mais d’invectives, d’accusations ou de dénigrement. (Il vous est certainement arrivé plus d’une fois de voir sur FB des réactions à un article portant essentiellement… sur l’existence de l’article – ou sur son auteur.e, ou sur ce qu’on croit savoir de son auteur.e, et non sur son contenu. Beaucoup de « commentateurs » ne prennent pas la peine de lire. C’est encore pire sur Twitter où nous sommes tous tentés de réagir de manière épidermique à des tweets que nous ne comprenons pas.)

Ce n’est pas seulement dommage, c’est un peu désespérant. Car cela signifie que l’élément fondamental du partage est absent. Entendre l’argumentation d’autrui, ça commence par  : « Ce que vous dites a attiré mon attention. Pouvez-vous m’en dire plus ? » ou « Est-ce que j’ai bien compris ce que vous avez dit ? »

Débattre de manière constructive, ça ne nécessite pas seulement des idées, des opinions, des convictions ou du savoir, ça nécessite avant tout de respecter l’autre, de l’écouter énoncer ses arguments sans les dénigrer, et de les prendre en compte dans sa réponse. Et de répondre sans mépris ni invectives., quelle que soit la place d’où l’on parle. Les professionnel.le.s de santé ne devraient pas mépriser les patient.e.s. Les patient.e.s ne devraient pas a priori se méfier des professionnel.le.s de santé.

Mais écrire, lire, réfléchir, répondre, ça nécessite du temps, de la réflexion, de la patience. Ca nécessite aussi – et c’est encore plus difficile – de distinguer entre ce qu’on pense et ce qu’on ressent.

Cela nécessite enfin de lire un article de blog comme un argumentaire, plus ou moins construit, plus ou moins teinté d’émotion, qui ne s’impose à personne mais attend d’être discuté, interrogé, contre-argumenté pour contribuer à la réflexion commune. Isolé, un article n’a aucune importance en soi. C’est parfois le débat qu’il soulève qui peut avoir un intérêt. A condition, encore une fois, qu’il s’agisse d’un partage et d’un échange et non d’une escarmouche.

Car un débat n’a aucune raison d’être s’il ne vise pas, quelle que soit la personne qui l’initie, à éclairer la réflexion et à aller plus loin. Tous ensemble.

MZ/MW

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(1) J’utilise le masculin par souci de simplification. Dans ce qui suit, « un » ou « il » désigne les professionnel.le.s de tous les genres.

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Quelques aphorismes de Franz Karma

– Quand un médecin met deux doigts dans le vagin d’une femme qui va bien et ne lui a rien demandé, il le fait essentiellement pour se rassurer. Ça ne fait pas de lui un bon médecin, mais un anxieux pervers.   
– La profession de médecin, c’est risqué, même quand on s’occupe de cadavres. Si tu ne veux pas faire face à l’inconnu, change de métier.   
– On devient soignant parce qu’on a un patient symbolique à soigner. Qui est le tien?  
– Tu n’as pas de jugement à porter… mais tu en porteras quand même. Et ils reviendront te frapper en pleine gueule. 
– Il est difficile de ne pas porter de jugement. Tu es un être humain. Mais ça ne t’autorise ni à condamner, ni à appliquer des peines. 
– Tous les patients ne sont pas aimables ; mais ils n’ont pas besoin d’être aimés pour aller moins mal. Ils ont juste besoin que tu les respectes. 
– Si tu ne les respectes pas, qui donc te respectera ? 
– Qui donc es-tu pour affirmer que ce patient ne dit pas la vérité ? 
– Soigner, c’est autre chose que jouer au docteur. 
– Tu ne sauveras peut-être jamais personne. Mais tu peux soulager et soigner presque tout le monde. Choisis. 
– Pose ton stylo, tu écriras plus tard. Enlève tes bouchons d’oreille. Ôte tes verres fumés. Ecoute. Regarde. Sens ! 
– N’hésite jamais à dire NON quand on t’impose une sale besogne. Si elle est vraiment importante, ton patron doit pouvoir la faire lui-même. 

– Tout le monde ment mais, le plus souvent, les patients mentent pour se protéger ; les médecins,  en revanche, mentent pour garder le pouvoir. 
Le Choeur des femmes, POL 2009, Folio 2010

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Réflexions sur la « clause de conscience »


Pour le  @collectif_pharm

Ces derniers jours, les réseaux sociaux bruissaient de la tentative par certains membres de l’Ordre des pharmaciens, d’introduire une « clause de conscience » dans leur Code de déontologie. Ladite clause visait, en substance, à permettre à tout pharmacien de refuser de délivrer une pilule, une contraception d’urgence ou de la mifépristone (molécule utilisée pour les avortements médicamenteux).

Cette tentative montre à quel point certains pharmaciens aimeraient qu’on les prenne au sérieux, au même titre que les médecins – et qu’on leur laisse la possibilité (comme c’est malheureusement le cas pour les médecins) d’exposer – voire d’imposer – leurs valeurs ou leur idéologie individuelle aux patients qu’ils sont censés servir.

La tentative a… capoté, mais elle a le mérite de soulèver tout plein de sujets de réflexion, et c’est de ça que je vais vous parler aujourd’hui.

Le pharmacien est-il un soignant ?

Pour commencer, une précision. Pour avoir exercé pendant vingt-cinq ans, à la campagne puis en consultation externe à l’hôpital, et avoir collaboré pendant plusieurs années à La Revue Prescrire avec un certain nombre de pharmaciens, je mesure l’importance d’une bonne relation entre les deux professions. Je pense que tout médecin qui s’installe devrait aller rendre visite au(x) pharmacien.ne.s du secteur (c’est ce que j’ai fait) pour faire connaissance et établir des bases de travail saines. Expliquer qu’on n’a pas d’égo, qu’on sait qu’on peut se tromper ou manquer d’expérience, et assurer au pharmacien qu’on ne sera pas vexé de recevoir un coup de fil pour discuter d’une ordonnance qui pose problème, c’est peu de chose, mais ça rend des services inestimables. Et ça permet d’établir une relation de respect et de confiance. Tout ça pour dire que je ne considère pas les pharmaciens comme « à part » dans le système de santé, mais aussi étroitement liés à la délivrance des soins que tous les soignants de terrain.
Cela étant posé, les  pharmaciens sont-ils, à proprement parler, des dispensateurs de soins primaires comme les médecins, les infirmier.e.s ou les sages-femmes ? Pas tout à fait, car ils ne font pas de geste de soin, mais ils délivrent des produits de santé (des médicaments, des instruments). Ils délivrent aussi – et ce n’est pas anecdotique – du conseil ; autrement dit des informations sanitaires aux patients et aux professionnels. Leur rôle est essentiel, puisqu’ils contribuent à rendre équitable l’accès aux informations et aux produits. C’est parce qu’il y a des pharmacie(n)s partout en France que tous les patients peuvent (en principe) être soignés de la même manière.

Soigner, c’est d’abord informer et expliquer. Même s’il ne s’agit pas d’un « acte » médical coté comme tel, le conseil délivré par le pharmacien ne diffère pas de celui que donnent le médecin, l’infirmier.e ou la sage-femme. De ce fait, c’est, à mon sens, un soin. C’est d’ailleurs évident pour de bon nombre de patients – sinon, ils ne lui demanderaient pas son avis. Ça devrait l’être aussi dans l’esprit des autres professionnels.

Si le conseil est un soin, alors le/la pharmacien.ne est un.e soignant.e.  Mais dans ce cas, les pharmaciens sont tenus aux mêmes obligations éthiques que tout autre soignant :

       bienfaisance et non-malfaisance ;

       respect de la confidentialité ;

       non-discrimination (et donc, absence de jugement de valeur) ;

       respect de l’autonomie du patient ;

       équité et justice.

En tant que soignant, un pharmacien est-t-il en droit d’invoquer une clause de conscience ?

La « clause de conscience » que souhaitait l’Ordre des pharmaciens est une « possibilité de se démettre » similaire à celle dont disposent les médecins. Rappelons qu’en France, les clauses de conscience prévues par la loi concernent trois types d’actes : l’IVG, la stérilisation et la recherche sur les cellules embryonnaires. Invoquer la clause de conscience c’est pouvoir dire : « Je me refuse à faire l’un de ces trois actes médicaux » sans qu’on puisse vous le reprocher. Et, encore une fois, ce sont les seuls. 

Un médecin peut invoquer la clause de conscience pour refuser de prescrire de la mifépristone à une femme. Pour qu’un pharmacien puisse l’invoquer aussi, il faudrait considérer que la délivrance d’un médicament prescrit par quelqu’un d’autre est un soin effectué par le pharmacien – avec la responsabilité qui en découle
La responsabilité d’un pharmacien est entière concernant un médicament en vente libre (de l’aspirine, ou un anti-acide par exemple) puisque sa délivrance est accompagnée d’une information – d’un « conseil » – que personne d’autre n’est là pour donner au patient. 

En revanche, il ne viendrait à personne à l’idée d’affirmer qu’en délivrant à un patient de l’insuline ou un traitement antibiotique, le pharmacien traiteson diabète ou sa pneumonie.


Or, non seulement le pharmacien ne prescrit pas de mifépristone mais de plus ce n’est pas lui qui assure le suivi des femmes qui l’utilisent. Il n’est pas professionnellement responsable des conséquences de son utilisation. Ou alors, il est également responsable des effets néfastes de tous les médicaments qu’il délivre : un pharmacien délivre parfois des médicaments potentiellement tératogènes comme l’acide trétinoïque (antiacnéique) ou le Di-Hydan (un antiépileptique). S’il est responsable de l’utilisation de ces médicaments au même titre que le médecin, alors la naissance d’un embryon malformé peut lui être reprochée, ou encore l’insuffisance rénale d’un patient à qui il a délivré de la gentamicine (un antibiotique). 
Puisque le pharmacien n’est pas responsable professionnellement de la délivrance de la mifépristone, la question devient : « Un soignant peut-il se considérer comme moralement impliqué par un acte qu’il n’effectue pas ? » 

Dans le cas de l’IVG, la réponse est non ; et on peut l’affirmer en rappelant des situations similaires parmi les médecins : la clause de conscience n’est pas opposable par un interne de gynécologie ou un radiologue à qui une femme demande une échographie pour dater sa grossesse, car ce serait une discrimination : le médecin n’a pas à juger de la validité de ce que la patiente fera de son échographie. De même, je n’ai jamais entendu dire qu’un médecin biologiste ait invoqué la clause de conscience pour refuser de rendre un test de grossesse au prétexte que la femme pourrait décider d’avorter ; ou encore qu’un anatomo-pathologiste ait refusé d’analyser un prélèvement d’amniocentése au prétexte que la découverte d’une anomalie puisse conduire à une interruption thérapeutique de grossesse… Ils sont médecins l’un et l’autre mais ce n’est pas à eux qu’on demande une IVG. Ils ne sont impliqués ni dans la décision ni dans l’accomplissement. Ils n’ont pas à la « refuser ». Le pharmacien non plus. 

Deux remarques supplémentaires : quand un médecin refuse de pratiquer une IVG, il n’en a pas moins l’obligation d’adresser la femme qui la demande à quelqu’un qui la fera (c’est dit dans la loi). En toute bonne logique, si un pharmacien pouvait refuser de délivrer de la mifépristone, il serait tenu d’indiquer aux patientes dans quelles pharmacies on leur en délivrerait.


Par ailleurs, de même qu’un médecin n’a pas le droit de « faire la morale » à une femme qui demande une IVG, le pharmacien ne l’aurait pas non plus. C’est contraire à l’éthique du soin. Et puisque le pharmacien est un soignant, il est tenu aux obligations éthiques de tout soignant.  
Et la contraception, alors ?

Le projet de l’Ordre des pharmaciens visait à inclure la possibilité de refuser la délivrance d’une contraception d’urgence ou d’une pilule. Or, aucune clause de conscience ne permet aux médecins de refuser une contraception (quand ils la refusent, c’est un abus de pouvoir). On ne voit donc pas comment pareille clause pourrait être accordée aux pharmaciens. 

Quand on pousse la logique jusqu’au bout, ce projet de « clause de conscience » n’était pas seulement indéfendable sur le plan moral mais aussi impraticable : si un pharmacien est opposé à toute forme de contraception, alors il doit aussi refuser de vendre des préservatifs (qui servent aussi à ça), des diaphragmes, de la crème spermicide, des tests de grossesse (qui servent aussi aux femmes qui désirent avorter), des appareillages (fort coûteux) destinés à calculer la période infertile du cycle, etc. Dans les faits, cela équivaudrait à permettre au pharmacien de choisir quels services il délivre, et à qui. En dehors même de l’illégalité, ce n’est commercialement tenable que parce que cette délivrance est probablement minoritaire dans le chiffre d’affaires d’une pharmacie. Cela s’appelle alors un abus de pouvoir.

De plus, refuser de délivrer une contraception autorisée par la loi (par exemple la « pilule du lendemain » à une mineure), est une discrimination, laquelle est interdite par la loi. En effet, si l’unique pharmacien d’une commune refuse de délivrer des contraceptifs, il instaure une inégalité de fait entre les femmes qui pourront aller se fournir dans la pharmacie d’une autre commune, et celles qui n’en ont pas la possibilité. Quand les communes sont très éloignées les unes des autres, ça équivaut à laisser les femmes sans contraception. 

(NB : La femme à qui on refuse la délivrance de mifépristone ou d’un contraceptif est en droit d’aller porter plainte au commissariat ou en écrivant directement au procureur. C’est simple, c’est gratuit, et il ne faut pas s’en priver, puisque le pharmacien est dans l’illégalité.)

« D’abord, ne pas nuire. »

N’étant pas médecins, les pharmaciens ne peuvent guère invoquer le serment d’Hippocrate pour refuser de participer à une IVG médicamenteuse. J’ai déjà commenté longuement ledit serment et ses ambiguïtés au sujet de l’avortement dans un autre texte de ce blog, je n’y reviens donc pas. Mais la remarque d’une juriste impliquée dans la démarche de l’Ordre des pharmaciens a attiré mon attention. Pour la justifier, elle évoquait (rapidement) le principe hippocratique élémentaire qui dit : « D’abord, ne pas nuire. » C’est un principe tout à fait fondamental, mais que signifie-t-il exactement ?

« La plus ancienne trace de ce principe se trouve dans le Traité des Épidémies (I, 5) d’Hippocrate, daté de 410 av. J.-C. environ, qui définit ainsi le but de la médecine : « Face aux maladies, avoir deux choses à l’esprit : faire du bien, ou au moins ne pas faire de mal » (« σκέειν, περτνουσήματα, δύο, ὠφελέειν, ἢ μβλάπτειν »). Le principe de non malfaisance dérive de cette sentence. Une autre façon de l’exprimer est que face à un problème particulier, il peut être préférable de ne pas faire quelque chose ou même de ne rien faire du tout que de risquer de faire plus de mal que de bien. » (Wikipédia)
Le « D’abord ne pas nuire » des Grecs n’avait pas les mêmes fondements philosophiques et moraux que celui de la  bioéthique moderne. En effet, à l’époque des Grecs, il appartenait au seul médecin d’apprécier ce qui était « bon » ou « mauvais » pour le patient, auquel il n’était pas censé demander son avis. Aujourd’hui, les principes de bioéthique (et le Code de déontologie des médecins, soit dit en passant) stipulent que tout geste de soin doit être décrit, expliqué et soumis à l’accord du patient. C’est à lui de décider de sa vie et de ses soins, pas aux professionnels. Et la loi est là pour énoncer les soins qu’un patient peut ou non obtenir… et les obligations qui incombent aux professionnels !

Pour un pharmacien, « D’abord, ne pas nuire » est un principe valide lorsqu’il sous-entend : «  s’abstenir de conseiller un médicament s’il n’est pas avéré que la situation en nécessite un » ou encore « ne pas délivrer un médicament si l’on sait que sa prise sera dangereuse alors que le patient ou le médecin, eux, ne le savent pas ». C’est ce qui se passait, par exemple, quand le pharmacien de mon secteur m’appelait pour me dire : « Vous avez prescrit telle molécule à Madame X, mais elle prend aussi telle autre molécule incompatible, prescrite par un autre médecin. Est-ce que vous êtes d’accord si je lui délivre telle autre molécule à la place ? » Les pharmaciens avec qui je travaillais expliquaienttout ça précisément au patient avant et après m’avoir m’appelé. C’était du soin et de la bonne pratique, coopérative et respectueuse.

Mais le même « D’abord ne pas nuire » ne peut pas être opposé à une patiente qui prend en toute légalité et en connaissance de cause un traitement auquel elle a consenti – en l’occurrence, une pilule contraceptive ou de la mifépristone. En le prenant, elle ne court pas de « risque de se faire du mal » puisqu’elle le fait sciemment pour éviter une situation (la grossesse) qu’elle a librement définie comme non souhaitable pour elle. Cette femme n’est ni « incapable », ni « ignorante », ni « inconsciente » et encore moins « en danger » (physique ou moral). Or, c’est ce que suggèrent les pharmaciens en refusant de les servir : il ne s’agit donc pas pour eux ici de « refuser d’effectuer un acte médical » (puisqu’ils n’en font aucun), mais tout bonnement d’empêcher les femmes d’accéder à un soin auquel elles ont droit.
On a moralement le droit d’être opposé à l’IVG ou à la contraception pour soi-même ; aucune éthique professionnelle n’autorise, en France, à empêcher les autres d’y avoir recours.

Refuser de délivrer une pilule ou de la mifépristone n’est pas une « clause de conscience » ; c’est tout simplement une manière d’entraver la liberté d’autrui. Et c’est tout à fait nuisible. Du moins, quand on respecte les gens qu’on est censé soigner.



(Bien entendu, tout ce que je dis ici serait valable de la même manière pour la fin de vie, si l’assistance médicale à mourir était légalisée. Le pharmacien ne serait pas du tout en droit d’invoquer la clause de conscience pour refuser de délivrer des médicaments destinés à une assistance médicale à mourir, puisque… Non, je vous la refais pas une deuxième fois.) 

Si les pharmaciens veulent être considérés comme des soignants, il leur incombe de se comporter comme tels. Professionnellement et moralement. Heureusement pour les citoyens français, la plupart des pharmaciens sont très attachés à la liberté des patients. Il est souhaitable que la minorité d’entre eux qui voudrait s’y opposer n’ait pas le dernier mot.

Marc Zaffran/Martin Winckler

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Ma pose de DIU – par Mäsha

Mäsha m’avait écrit pour me poser des questions sur les DIU, et ces jours-ci elle m’a envoyé un long témoignage sur la pose, avec une Sage-Femme. Ce texte est à mes yeux un modèle, à double titre : sur la relation patiente-soignante, et sur le vécu d’une patiente face à un geste médical qui devrait être pratiqué couramment. On apprend énormément en le lisant.

Je la remercie vivement de le partager avec nous.

MW

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MOI, Mäsha :

J’aime pas les blouses blanches. Les gynécos c’est mort, aucune chance que je retourne en voir un. Les médecins généralistes, à la limite (NotAllMédecinsGénéralistes).

Mais bon, quand j’ai voulu me faire poser un DIU, j’ai pas trouvé de médecin généraliste en qui j’avais suffisamment confiance.

LE CHOIX D’UNE SOIGNANTE :

Sur le conseil de deux amies, je suis allé voir une sage femme. Je l’avais déjà vue à une rencontre féministe, donc la trouille, mais ça allait. Et puis ça c’est super bien passé. C’est une soignante, alors ma barre de confiance est pas à 100%, mais je pense que je pourrais pas trouver quelqu’un avec qui j’aurai moins peur. Elle n’est pas jugeante, du tout. Je sais que quelle que soit la question que je pose, elle me prendra pas pour une conne et que si elle a la réponse elle me la donnera. Si elle a pas la réponse, elle essaiera de la trouver.

LA PREMIÈRE CONSULTATION :

J’ai pris RDV via Doctolib. C’est un site qui permet de voir les dispos des soignants et de bloquer un créneau. Par téléphone, trop de stress pour moi. Je repousse encore et encore et encore… Y aller ? C’est à Paris et je suis à Rouen. Du coup c’était l’idéal.

Le jour de la première consultation est là. Je stresse beaucoup quand même. Dans la salle d’attente y’a pleins de dépliants sur les différents types de contraception. J’en chope un sur la cape cervicale. J’hésite à demander plus d’infos, mais en fait nan, c’est vraiment un DIU que je voudrais. C’est mon tour, je rentre, il y a la sage-femme et une étudiante. Elle me demande si ça me dérange si elle reste. J’ai eu du mal à dire que ça me dérangeait, mais j’ai réussi (hourra pour moi !) et elle est sorti avec un sourire et m’a dit au revoir. J’étais déjà très étonnée qu’on me demande mon avis, j’étais encore plus étonnée qu’on me sermonne pas sur le besoin des étudiantEs à se former, que sans ça ils apprendront jamais blablabla (le discours habituel quoi) et que en plus elle soit polie et agréable, malgré que je ne veuille pas d’elle (si tu me lis, étudiante sage-femme, merci beaucoup à toi). A partir de là je suis en confiance.

On parle un peu de mon parcours médical (chaotique), de mes expériences avec les blouses blanches (souvent violentes). On parle des contraceptions que j’ai eues. Des grossesses que j’ai eues (avortées). Et puis on parle du DIU. Elle m’explique les deux sortes qui existent, leurs avantages, leurs inconvénients, celui qu’on pose le plus. Les conséquences que ça peut avoir (les bonnes et les mauvaises). Elle me laisse le temps de réfléchir un moment. Et puis je prends ma décision. Je voudrais un DIU hormonal, pour ne pas avoir des règles plus abondantes et douloureuses (ce qui est déjà le cas). Elle me prescrit un examen que je dois faire, chlamydia et le DIU que je dois acheter à la pharmacie. Je m’occuperai de tout ça à Rouen et je reviendrai à Paris pour la pose.

LE JOUR DE LA POSE (hier) :

J’y vais avec un petit stress, mais franchement ça va, c’est pas la grosse angoisse de d’habitude (que j’ai eu même pour un simple renouvellement de pilule).

On se dit bonjour, on papote vite fait banalité. Je m’assois. Elle me demande comment je veux que ça se passe. J’avoue que j’ai buggé, je pensais pas que y’avait plusieurs possibilités. Elle m’explique que je peux aider, ou alors je peux tout lui laisser faire. Pour l’aider je peux notamment poser le spéculum. Trop cool le DIY de la gynécologie quoi ! J’opte pour poser moi-même le spéculum.

Je me déshabille, elle retourne à son bureau et me laisse me déshabiller et m’installer tranquillement.

On m’installe bien sur la table. Pour la pose du spéculum elle me dit que c’est pas compliqué, m’explique dans quel sens, y’a du lubrifiant dessus donc je l’enfonce et ça va tout seul.

Elle l’ouvre, me demande si ça va bien. Ca appuie un peu sur ma vessie, ça me donne envie de pisser, mais ça fait pas mal. Elle l’enfonce un peu plus, comme je lui demande, et effectivement j’ai un peu moins envie. Et puis on commence direct la pose. Moi qui m’attendais à devoir rester 1h les pattes écartées, on y va direct. On papote. Je sens que ça touche au fond mais rien de douloureux. Mon col résiste un peu apparemment donc elle tournicote l’appareil pour rentrer. Ca rentre. Je le sens. C’est pas une douleur, c’est pas désagréable, mais je sens que c’est l’endroit ou je sens qu’il se passe des trucs quand j’ai mes règles.

Une fois l’inserteur à l’intérieur, elle me prévient qu’elle va relâcher le DIU doucement. Que si ça fait mal je le dit, on ralenti. Je n’ai pas eu de douleur, au moment ou il va se déplier elle me prévient que ça va pincer. J’ai eu un coup de stress une demi seconde, ça pique. C’est fini.

J’ai ressenti une pique dans ma cicatrice d’appendicite (c’est un endroit souvent douloureux chez moi pendant mes règles). Beaucoup moins fort qu’un point de côté. Beaucoup moins douloureux que lors de mes règles.

Elle chope les ciseaux et me dit qu’elle va couper les fils. Autant dire que pour moi c’est le moment le plus flippant. J’étais pas terrorisée, mais des ciseaux dans ma chatte quoi ! C’est la première fois ! Elle coupe les fils. C’est fini. Elle retire le spéculum doucement.

Je demande à voir un fil de plus près, je voudrais toucher la matière. Je joue un peu avec, je fais un noeud pour voir si ça tient (l’instinct de couturière reprend le dessus !).

Je me sens un peu bizarre. Genre comme après avoir bu un petit verre, pas plus pas moins. Je met des doigts dans ma chatte pour sentir les fils. Je trouve ça trop cool. Effectivement je sent un ou deux cm de fils. Je m’allonge plus confortablement je resserre les jambes.

J’attends un peu pour voir si tout va bien. C’est pas vraiment une douleur, j’ai un peu chaud, les oreilles un peu bourdonnantes. Mais tout va bien. J’attends quelques minutes, on papote un peu de tout et de rien. Quand je sens que j’ai moins peur je me redresse. Je me ressuis avec un bout de papier sous mes fesses du lubrifiant que j’ai entre les jambes. Je me lève et je vais me rhabiller. Je me lave les mains. Je marche bien. J’ai pas mal. J’ai peur par contre d’avoir mal, peur qu’un malaise arrive, même si rien de tout ça n’est là.

Elle m’explique comment je peux sentir les fils. Ce qui se passe si je les sens plus. L’expulsion possible etc… On en avait déjà parlé, mais on revient dessus pour être sûres. C’est rassurant, les infos sont identiques à celles que j’avais eu lors de la première consultation.

Je paye la pose du DIU (25 euros j’ai une carte vitale, je ne sais pas comment ça sera remboursé). Je demande s’il est possible que j’ai mal plus tard même si j’ai pas mal pour le moment. Elle me dit que oui, et me donne des astuces contre la douleur (ibuprofène, bouillotte, gingembre).

Je rentre en voiture parce que je me sens pas rassurée. Et effectivement ça commence à faire un peu mal dans la voiture. Le truc qui se rapproche le plus de ce malaise/douleur pour moi, ça serai une diarrhée qui me coupe la force dans les jambes. J’avais exactement la même sensation, et quelques nausées.

Arrivée à la maison j’ai mal comme si j’avais mes règles mais en un peu moins intense (j’ai des règles particulièrement douloureuses. A ne plus pouvoir bouger du tout parfois). Je saigne un peu.

Je prends deux ibuprofènes et un cachet pour dormir.

AUJOURD’HUI (6 juillet) :

Je me réveille à 9h30. Je n’ai pas mal. Je trottine en chantant n’importe quoi dans l’appart. Je mange un énorme petit dej’. La routine quoi. J’ai eu peur d’aller à la selle. Est ce que le DIU peut bouger ? Est ce que ça va faire mal comme quand j’ai mes règles ? Je me suis retenu une heure, mais bon, je vais pas pouvoir me retenir pour toujours. J’y vais. Ca se passe bien, je sens, je crois que c’est parce que la pose date d’hier mais aucune douleur.

J’ai repris un ibuprofène, plutôt parce que j’ai peur, car j’ai pas de douleur.

Je saigne toujours légèrement.

Sous la douche je met mes doigts dans ma chatte pour sentir les fils. Ils sont beaucoup plus courts. Le DIU a du remonter. Mais je les sens toujours.

Tout va bien. Hier soir j’étais trop contente, je suis encore trop contente ! J’espère qu’il va tenir et que mon utérus va pas l’expulser. J’espère ne pas avoir trop d’effets secondaires chiants. J’espère avoir des effets secondaires cool (plus de règles et des gros seins, allez je croise les doigts !) Et si c’est ça, je suis tranquille pour 5 ans ! Le pied quoi !

Mäsha

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Que pourrait-on enseigner d’autre en médecine ?

Beaucoup de sujets ne sont pas abordés pendant les études de médecine, ils seraient pourtant pertinents pour la pratique. Ces sujets sont parfois abordés ici et là, dans un cours, une faculté ou un enseignement, mais ils ne font pas partie du bagage délivré à tous les étudiants, dans tous les facultés. A mon sens, c’est très dommage.

Le fait qu’on aborde « un peu » l’un ou l’autre dans un cours est louable, mais il ne suffit pas, en soi. Les sujets énumérés ici devraient accompagner les étudiants à chaque étape de leur formation –  être abordés en théorie puis revus « en situation » – ou de manière réflexive, à l’occasion de situations vécues ou rencontrées.


Ainsi, les questionnements éthiques sur le consentement ne sont pas identiques selon qu’on est dans un stage d’obstétrique, de chirurgie ou de pédiatrie. Avoir reçu des bases théoriques au cours des années précédentes ne garantit pas qu’on pourra les appliquer. Pas plus que l’apprentissage théorique de l’anatomie de l’abdomen ne permet d’emblée d’aller opérer quelqu’un de l’appendicite.

Et donc, quelques thèmes en vrac (liste non exhaustive, qui mériterait d’être complétée ou nuancée).
·      Histoire et sociologie de la médecine des professions de santé : qui devient médecin ou sage-femme ou psychologue, et pourquoi ? En quoi l’origine sociale influe-t-elle sur le type de métier choisi et le type de pratique de chaque professionnel ?

·      Les déterminants sociaux de la santé : comment la pauvreté, l’analphabétisme ou l’illétrisme, l’exclusion interviennent dans l’apparition des maladies.

·      La santé sexuelle : quels sont les critères et variantes de la santé sexuelle ? Existe-t-il des « normes » médicales en terme d’orientation sexuelle, d’identité de genre, d’anatomie des organes sexuels, etc ?

·      La physiologie reproductive : existe-t-il des « normes » en terme de reproduction ? Et, sinon, quelles sont les variantes ?
·      La mort vue par le médecin, vue par le patient.

·      Comment examiner une personne en respectant sa pudeur et sans lui faire mal.

·      Comment demander le consentement d’un patient pour l’examiner et délivrer des soins même s’il le refuse.

·      Comment user de son imagination pour faire face à une demande inattendue ou à un refus de soin ou d’exploration.

·     L’absention thérapeutique, traitement à part entière. 
·     Les soins palliatifs au quotidien. 
·     L’effet placebo au quotidien. 
·     Comment respecter les croyances des patients pour les soigner sans s’énerver.  
·      Le bon sens en médecine.

·      Conférences sur la maladie par les patients qui la vivent

·      L’écoute des membres de la famille

·      Ecouter et coopérer avec les autres professionnel.le.s de santé

·      Le déni de réalité – du médecin, du patient.

·     Désir et dégoût en consultation. 
·      Rapports de pouvoir en médecine : entre médecins, entre administration et professionnels, entre professionnels et patients. Leurs conséquences sur la délivrance des soins.

·      Les droits des patients et l’attitude des médecins face à ces droits. Comment repérer les transgressions à la déontologie chez les autres et dans son propre comportement. La défense des droits des patients fait-elle partie des obligations des professionnels de santé ou relève-t-elle d’un choix individuel ?

·      Comment analyser une information (radiophonique, télévisée, dans une revue) et déterminer si elle est crédible ou sans implication pratique immédiate. Comment aider les patients à l’analyser.

·      La douleur – comment la soulager en fonction des organes et des pathologies concernées.

·      Evolution et biologie : pourquoi la physiologie et les pathologies des humains varient en fonction de la géographie, du climat, du bagage génétique, etc.

·     Anthropologie et géographie du soin : comment soigne-t-on ailleurs, et pourquoi ? Médecines traditionnelles, médecines « alternatives ». 

·      L’empathie et l’altruisme chez les primates.

·      Cognition, perceptions et comportement : comment le fonctionnement du cerveau humain intervient-il dans les décisions quotidiennes – et par extension dans les décisions face à la maladie ?

·      Préjugés et biais cognitifs : comment ils influent sur les diagnostics et les décisions thérapeutiques.
·      La peur : comment elle influe sur le comportement des patients et sur celui des professionnels de santé.

·      Postures de caste et préjugés de classe dans la profession médicale.

·      Vérités scientifiques et dogmes invérifiables dans la pensée médicale occidentale. 

·      Faire face aux émotions des patients : l’anxiété, la peur, l’agressivité, le chagrin, l’abattement.

·      Annoncer des mauvaises nouvelles sans brutalité et en accompagnant les patients.

·      Le temps dans les décisions médicales : faire la part entre ce qui est urgent, et ce ne l’est pas. Les inconvénients de la hâte, les vertus de l’attente.

·      L’impatience du médecin : origines, formes cliniques, symptômes, complications, traitement.

·      Pressions, chantages et négociations : comment identifier une tentative de manipulation – de la part du patient et de la part du médecin ; mais aussi de la part des politiques et des marchands.

·      « Tout le monde ment » (Confidentialité et secret) : comment soigner sans savoir « toute » la vérité ; comment respecter le silence ou garder le secret pour protéger les patients ; comment ne jamais utiliser les secrets contre les patients.

·      Communication, 1 : comment recevoir les informations des patients et les utiliser ; comment leur en donner de manière appropriée (et respectueuse).

·      Communication, 2 : méthodes employées (par les industriels, par les Etats) pour influer sur la demande et la délivrance de produits de santé.

·      Ethique clinique : comment se comporter avec les patients et les autres professionnels pour instaurer des conditions de travail propices au soin et à la coopération.

·      Groupes de pratique/groupes Balint : comment mettre en place des groupes de professionnels permettant échanges et partages d’expériences en vue d’améliorer les pratiques individuelles et collectives.

·      Les autres professions de santé : en quoi consistent les professions d’aide-soignant/e, d’infirmier/e, de sage-femme, d’orthophoniste, de psychologue, de kinésithérapeute, de psychomotricien… 

·      Savoir demander de l’aide – à un.e aîné.e, à un.e collègue, à un.e professionnel.le extérieur.e.

·      Critères personnels de choix d’un mode d’exercice : l’argent fera-t-il mon bonheur de praticien.ne ?

·      Réflexions sur l’image du soignant : au cinéma, à la télévision (dans les documentaires et les fictions), dans les discours de patients.

·      Comment tenir un dossier médical fiable, loyal, qu’on puisse transmettre au patient et qui soit utilisable par lui et les autres professionnels de son choix.

·      Ce que les artistes nous disent de la santé, de la maladie, des patients et des soignants

·      Comment préserver son énergie et éviter le burn-out

·      ….

 

 

Toutes les suggestions ou informations d’expériences d’enseignement similaires en cours sont les bienvenues, je les rajouterai à la liste.

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Patients et soignants : qui souffre et qui fait souffrir ?

Sur un réseau social, un patient se plaint violemment du comportement d’un médecin. 

Un médecin twitteur réagit vivement contre cette violence verbale, déclare qu’elle est inacceptable et demande qu’elle soit condamnée. Et que ce type d’expression  soit empêché. 


D’autres personnes (médecins, non-médecins) réagissent à leur tour en disant que cette violence n’a pas à être « interdite » ou « condamnée ». Qu’elle est probablement réactionnelle (A quoi ? Nul n’en sait rien). Elle ne s’adresse pas aux médecins qui la lisent. (Elle ne les concerne pas directement.) Il est incompréhensible qu’on veuille censurer ces cris de douleur. 


Les médecins choqués répliquent qu’ils font l’objet, quotidiennement, de violences verbales et parfois de gestes ou de menaces physiques de la part de certains patients. Cette expression de violence sur les réseaux sociaux leur semble entretenir une violence plus large. Pour eux, la « justifier » (en ne la condamnant pas, ou en la considérant comme « audible »), c’est l’entretenir. 


Les arguments fusent des deux côtés. Et une fois qu’ils ont été échangés, on ne peut guère aller plus loin. Chaque camp reste sur ses positions. 

Une fois que la poussière retombe, qu’est-ce qui en reste ? 


Voici les réflexions que ces échanges houleux ont déclenché pour moi.  J’invite les lecteurs/trices éventuel.le.s à apporter leurs propres réflexions. Soit dans la zone de commentaires, soit sous forme d’un article : les contributions envoyées à l’adresse du blog (ecoledessoignants/at/gmail.com) seront publiées. 



***


Souffrances de part et d’autre


Les patients souffrent. Comme leur nom l’indique. Ils souffrent d’être malades, mais aussi de leurs conditions de vie, de la situation économique et parfois du comportement de certains soignants, de certaines institutions. 


Beaucoup de professionnels de santé souffrent. C’est tout aussi indéniable. Ils souffrent en particulier d’être pris entre deux feux : d’une part, leur métier comporte son lot de pressions, souvent intolérables : le suicide est fréquent dans les professions de santé, plus que dans la population générale ; le burn-out et la dépression extrêmement répandus. D’autre part, les pressions sont vives de la part du système, qu’on exerce en institution ou en libéral. Et dans un pays où la seule solution aux coûts de la santé consiste à pratiquer des coupes, tout le monde est susceptible de morfler. 


Enfin, les soignants souffrent par ricochet de la souffrance institutionnelle (ou d’Etat) que subissent les patients. Un patient au chômage, harcelé moralement ou  criblé de dettes, par exemple, a beaucoup de motifs d’ être désagréable ou agressif avec un professionnel de santé. Non que le professionnel en question y soit pour quelque chose, mais parce qu’il est dans une position paradoxale : il est censé soulager le patient, mais il doit parfois le faire dans des conditions impossibles. Et il est en première ligne. Alors, c’est lui (ou elle) qui prend. 


Et là encore, les deux côtés campent sur leurs positions : 


Les exigences des patients semblent démesurées au professionnel qui manque de moyens. 


L’impuissance ou la fatigue du soignant sont perçues comme un rejet par le patient qui s’adresse à lui de bonne foi. 


Et quand l’incompréhension mutuelle est si grande, les conflits sont inévitables. 

Il y a donc de la souffrance de part et d’autre et chacune des deux ignore l’autre. 


*

Il y a cependant des différences, et il est important de les rappeler : 

le patient n’a pas choisi d’être malade ; il le subit, comme il subit le reste de ses conditions de vie ; et l’appel qu’il fait au soignant vise au moins à atténuer la situation de maladie ; à l’égard des professionnels de santé, il n’a pas d’obligations particulières pas plus qu’à l’égard des enseignants, de la police ou des fonctionnaires de La Poste. 


Un patient n’est pas obligé de faire confiance à un médecin. La confiance, ça se mérite. Et tous les médecins savent que les patients les testent un certain temps avant de la leur accorder. 

Enfin, la « politesse » ou la « courtoisie » sont des choses toutes relatives, fixées par des critères de classe dans un pays donné ; et variables en fonction du milieu socio-économique et bien sûr de l’origine culturelle de la personne. Alors s’il est impossible de définir une « norme » de la courtoisie dans la population générale, ça l’est tout autant quand il s’agit d’un patient face à un médecin. 

Cela dit, l’immense majorité des patients sont gentils et courtois avec les médecins et leur font confiance. Quand les patients sont désagréables, c’est inconfortable, voire insupportable pour les professionnels mais ça n’est pas une infraction à un code ou à des lois, c’est une attitude personnelle. 

– le professionnel de santé a choisi son métier ; en tant que tel, il a des obligations (morales, déontologiques, légales). Et l’une de ses obligations, est d’être bienveillant et respectueux envers tous les patients. 


Il est bon de rappeler que les professionnels de santé sont a priori au service du patient. Ils ne leur font pas une faveur en s’occupant d’eux. Ils font leur travail. Pour un professionnel de santé, la bienveillance n’est pas optionnelle. Elle n’est pas une convention sociale, mais fait partie de ses obligations. Etre bienveillant, ça fait partie du boulot. 


Ca ne veut pas dire qu’il doit tout encaisser sans rien dire, bien entendu. Face à un patient désagréable ou agressif, le professionnel est en droit de dire qu’il ne peut pas travailler dans ces conditions et de demander qu’il se calme. S’il ne le fait pas, il est aussi en droit de lui dire : « Je ne peux pas m’occuper de vous si vous êtes dans cet état. » 

Professionnellement parlant, c’est même mieux de dire calmement à un patient que s’il est trop énervé, on ne peut pas l’aider : la communication étant impossible, le soin l’est aussi. Souvent, les choses se calment. Quand on prend le temps de les laisser se calmer. 

Le calme d’un soignant calme le patient. La colère accentue leur agressivité. C’est de la psychologie élémentaire. Malheureusement, on n’enseigne pas aux médecins la manière de désamorcer l’agressivité d’un patient. On devrait. On le fait dans d’autres pays, et ça profite à tout le monde. 

En dehors de son interaction directe avec un patient, il me semble qu’il n’est pas du ressort d’un professionnel de porter des jugements es-qualités sur l’expression des patients. 


Quand on dit qu’un patient qui twitte ses doléances « outrepasse ses droits de patient » par exemple, ou qu’il « agresse le corps médical », que dit-on exactement ? 

Que certaines paroles ne devraient pas pouvoir être dites publiquement quand elles désignent certains corps professionnels ? 
Le corps médical (et j’aimerais qu’on me dise ce que c’est, tant il est hétérogène) mérite-t-il plus d’égard que les avocats, les instituteurs ou les agents de la force publique ? Ou les épiciers ? Ou les coiffeurs ? 

Les droits d’un patient et les limites de ces droits sont circonscrits au cadre de la relation de soin. En dehors d’elle, chaque citoyen a les mêmes droits. A priori, en dehors de l’attaque ad hominem et de la diffamation ou des propos haineux ou visés par la loi, la liberté d’expression est assurée pour tous, même pour un patient qui vitupère à l’égard de professionnels de santé. Demander que cette liberté d’expression soit limitée pose de furieux problèmes éthiques et légaux.


Pour la loi, les positions respectives du patient et du professionnel ne sont pas identiques. Ni même symétriques. 

Beaucoup de professionnels de santé (pas tous, hélas) ont pu choisir s’installer, quoi et comment soigner. Aucun médecin, par exemple, ne dépend des patients : il peut presque tout le temps les sélectionner, les choisir, en écarter certains. (Même si en principe, la loi interdit la discrimination). 


Cette indépendance est même inscrite dans le Code de déontologie des médecins. Et les médecins disposent de prérogatives très importantes quand il s’agit d’exercer leur profession. Si importantes que pendant longtemps, l’exercice de la médecine était aussi le règne des abus de pouvoir. Depuis 50 ans, des lois ont été rédigées pour limiter ces abus. C’est tout le sens du code de déontologie, dont la deuxième partie s’intitule : « Devoirs envers les patients ». C’est aussi le sens de la loi Kouchner de 2002. 


Le patient, en revanche, est dépendant de beaucoup de monde, et à beaucoup d’égards : il ne peut pas toujours choisir son médecin (pour des raisons démographiques ou de spécialisation) et il a fallu voter une loi pour lui permettre d’exercer sa liberté de refuser des traitements, par exemple. Cette loi malheureusement ne suffit pas, car pour la faire respecter, il faudrait que tout le système de santé (du haut en bas) la respecte, sur tout le territoire. Ce n’est pas le cas. 


D’un côté, une loi qui restreint les abus de pouvoir des médecins. De l’autre, une loi qui permet l’exercice de la liberté des patients. L’asymétrie des positions respectives n’est donc pas seulement une vue de l’esprit. C’est une réalité inscrite dans le Code de la Santé Publique. En être conscient est essentiel. Ne pas voir cette asymétrie, la nier ou la tenir pour négligeable, c’est certes plus confortable, mais ça interdit toute réflexion sur les dynamiques et les rapports de force en jeu.  



Souffrance des patients et souffrance des soignants sont deux problèmes distincts  


La souffrance des patients est liée d’abord à la maladie et à leurs conditions de vie ou de travail, ensuite parfois à certains professionnels, à certaines institutions de soins. Les professionnels font ce qu’ils peuvent. (Au moins pour « ne pas nuire ».)


La souffrance des soignants est provoquée d’abord et avant tout par les institutions, dès l’école (de médecine, d’infirmières/iers, de sages-femmes) jusqu’aux administrations de l’Etat, en passant par les établissements de soin. De manière occasionnelle, les professionnels subissent aussi les éclats des patients. Et ce sont toujours les mêmes soignants qui les subissent, comme on le verra plus loin. 


Il n’est pas possible de comparer ces deux situations de souffrance ; pas plus qu’on ne peut comparer la souffrance des manifestants matraqués à celle, réelle, de certains membres des forces de police. (1) Les deux souffrances existent. C’est tout ce qu’on peut dire. Et elles doivent être envisagées séparément, et non comme deux souffrances qui s’opposent. 



Les patients sont-ils responsables de la souffrance des soignants ? 


S’ils ne sont ni agressifs ni insultants, non. Ils sont soumis aux mêmes lois, aux mêmes contraintes (et souvent à des contraintes pires). Et en plus, ils consultent parce qu’ils sont obligés, pas par plaisir ou pour mettre exprès les médecins en échec avec des problèmes insolubles. 


Est-ce que la violence des patients à l’encontre des professionnels est fréquente ? Impossible de le dire : il n’y a pas d’enquête là-dessus à ma connaissance (si vous en connaissez, s’il vous plaît, communiquez-moi les références, je les publierai). Ce serait pourtant utile d’en analyser les circonstances, pour les comprendre et les prévenir. 

Les professionnels sont-ils responsables de la souffrance des patients ? 


Quand cette souffrance est due à la maladie, aux conditions de vie ou aux institutions, bien sûr que non. 

Quand elle est due au système de santé ou à ses professionnels, tout soignant est concerné. De près ou de loin. Je ne parle pas ici de culpabilité, mais de responsabilité. Quand un individu est membre d’une profession de santé, tout ce que fait cette profession le concerne. Et il doit, à mon avis, se sentir impliqué dans ce que font ses collèges. S’il se réjouit des succès et des accomplissements, il doit se révolter devant les ratages. Et s’il ne prend pas position clairement pour condamner les méfaits d’un confrère, cette confraternité complaisante sera toujours perçue comme de la collusion par les patients. Comment peut-il s’attendre, alors, à ce que les patients aient confiance en lui ou dans la profession ? 

Dans un conflit entre patient et soignant, la parole du patient devrait être prise en compte au même titre que celle du professionnel. Et avoir le même poids. 

Or, dans les faits, parce que nous vivons dans une société hiérarchisée, c’est loin de se passer comme ça. La paroles des patients est souvent mise en question dès l’énoncé de leur maladie ou de leurs plaintes. Alors, quand ils invoquent la maltraitance, elle l’est encore moins. 


Comment alors, les soignants eux-mêmes pourraient-ils attendre que les patients prennent en compte leur souffrance ? Les patients n’ont pas pour vocation de soigner les soignants. Et s’ils ont le sentiment de n’être pas entendus par beaucoup de soignants, pourquoi les entendraient-ils en retour ? 


Patients et soignants souffrent-ils tous de la même manière ? 

Non, je ne vais pas comparer les deux types de souffrance l’une à l’autre… 

Je veux souligner ceci : 

Tous les patients ne sont pas égaux devant la maladie  : les déterminants socio-économiques et culturels ont un poids immense dans la santé d’un individu. Les riches ont accès à plus de possibilités de se soigner, et à des soins de meilleure qualité que les pauvres. Ils ont les moyens d’être courtois et de bonne humeur avec leurs médecins. 


Tous les soignants ne sont pas égaux non plus dans la hiérarchie sociale. Ceux qui caracolent au sommet de la hiérarchie non seulement ne souffrent pas (de burn-out, de harcèlement, de conditions de travail insensées), mais ils sont souvent en position de décider et, parfois, de faire souffrir tout le monde : les patients et les autres soignants. 

Parce qu’ils sont en position de pouvoir.
Les soignants de terrain sont à l’autre bout de l’échelle. Ils dépendent des spécialistes, des hôpitaux, de la sécu, de tout le monde. 

Et là, une question toute simple se pose : qui sont les véritables adversaires des soignants de terrain ? De qui devraient-ils être les alliés ? 

Un conflit qui empêche de lutter contre les véritables causes

A l’heure actuelle, les patients reprochent aux soignants de terrain (qui sont en position de les écouter) les souffrances que d’autres leur ont fait subir. Et qu’ils n’ont pas pu dénoncer. 
Quand les professionnels sont hésitants à les croire, parce qu’ils se sentent impuissants ou submergés, les patients prennent ces hésitations comme une fin de non-recevoir et une forme de collusion. Et dans le même temps, les soignants de terrain reprochent aux patients de ne pas tenir compte de leurs conditions de travail. 

Cette incompréhension mutuelle alimente les conflits (verbaux, sinon physique) et empêche les deux camps de s’unir et d’oeuvrer ensemble contre la cause commune de ces inégalités et de ces souffrances : un système élitiste, qui dessert la majorité des citoyens et exploite la majorité des professionnels de santé. 


Un système qui ne fait que reproduire, de manière aiguë, l’élitisme et les inégalités de la société française dans son ensemble. 


Le temps est-il enfin venu, pour les soignants qui en ont assez d’être exploités, de s’allier aux patients qu’on maltraite ? 

Marc Zaffran/Martin Winckler 


————————-(1) Si cette analogie vous déplaît, elle n’en est pas moins valide : dans les deux cas, il s’agit d’opposer les citoyens aux membres d’une institution destinée à servir les citoyens. La différence, c’est que beaucoup de médecins sont des libéraux et ont le sentiment de ne pas faire partie d’une institution. Ils font pourtant partie du système de soin, qui travaille à servir le public, comme la police, l’armée, l’éducation nationale ou la fonction publique dans son ensemble. Cette ambivalence entretient la confusion chez tout le monde : les patients voient les médecins comme des membres du service public, les médecins se voient comme des individus autonomes. 



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Ne pas croire ce que disent les patients est une attitude antiscientifique et contraire à l’éthique. C’est aussi une posture de classe.

Une internaute écrit : « Comment reconnaître les malades qui mentent de ceux qui sous-estiment leurs symptômes ? Apparemment, c’est un dilemme pour le corps médical… J’ai souffert de troubles cardiaques pendant des années avant qu’on ne me prenne au sérieux. »

Une autre me confie : « Je suis médecin, et parce que je suis médecin on m’a cataloguée comme hypocondriaque pendant des années avant de reconnaître que j’avais une endométriose. »


Une autre me raconte que lorsqu’elle s’est présentée à l’échographie demandée par son médecin pour une douleur très violente de l’abdomen, l’échographiste a dit : « Alors, vous nous faites du cinéma ? » 

Il y a aussi cette vidéo d’une jeune femme souffrant de maladie d’Ehlers-Danlos, et qui parle très bien de ce que lui ont fait subir les médecins qui ne la croyaient pas. 
En France (et c’est très spécifique de ce pays), l’un des messages « subliminaux » les plus transmis aux étudiants en faculté de médecine est : « Surtout, faut pas croire tout ce que disent les patients. »

Cette injonction a des conséquences redoutables : si le médecin ne peut pas croire tout ce que dit un patient, que doit-il croire, alors ? La réponse, on la lui donne sous la forme de grilles diagnostiques : si les symptômes évoqués par le patient entrent dans les cases, alors on peut le croire. S’ils n’y entrent pas (ou s’ils ne semblent pas appartenir au diagnostic auquel le médecin croit le plus) alors, il ne faut pas le croire.

C’est aussi inepte et aussi terrible que ça. Et c’est d’autant plus terrible que cet apprentissage est subliminal, transmis par l’attitude, la contiguïté, l’émulation, et non dans les cours. C’est ce que les Anglo-Saxons nomment « the hidden curriculum » : l’enseignement par sous-entendus.

Je me souviens d’avoir fait des diagnostics de migraine et d’hyperthyroïdie chez des hommes, des diagnostics de cancer du rein et d’angine de poitrine chez des femmes, et avoir entendu mes correspondants s’étonner que j’aie évoqué « ces diagnostics-là chez chez gens-là ». Pourquoi ? Parce que j’avais identifié chez des patients d’un sexe des maladies qu’on voit beaucoup plus souvent chez les patients de l’autresexe.

Cela m’avait surpris : en quoi le sexe ou le genre devraient-ils orienter (ou en l’occurrence dés-orienter) mon diagnostic ?

Je me souviens aussi avoir fait à de nombreuses reprises (je l’ai raconte dans  La Revue Prescrire[1]) des diagnostics de hernies abdominales minuscules mais responsables de douleurs aussi intenses que fugaces, que d’autres médecins avaient attribuées… au stress, à l’anxiété, au « psychisme ». Le diagnostic était confirmé par l’intervention – et les patients et moi avions de la chance : il y avait dans l’hôpital un chirurgien qui savait qu’une hernie abdominale  peut être minuscule et faire un mal de chien, et qu’il faut parfois beaucoup de patience pour mettre (littéralement) le doigt dessus. Alors quand je lui envoyais un(e) patient(e) en évoquant ce diagnostic, il me prenait au sérieux.

Et s’il me prenait au sérieux, c’est parce que j’avais, d’abord, pris le patient au sérieux.

Et j’en viens au fait. Il n’est pas acceptable de fonder la relation de soin sur la méfiance et le soupçon. Penser « Ce patient me raconte peut être des histoires » ou « C’est dans sa tête » est, tout simplement, incompatible avec le soin.

1° Le point de vue éthique

Ne pas croire le patient (ou choisir de le croire en fonction de notre humeur, de nos opinions, de nos préjugés), c’est poser d’emblée que le médecin sait mieux que lui ce qu’il ressent, et si c’est vrai ou non. Or, la relation de soin est en principe fondée sur la confiance réciproque. La confiance du patient est souvent immédiate : il s’adresse au médecin en confiance. Sinon il irait voir quelqu’un d’autre.

En retour, de la part du médecin, attendre du patient qu’il avance des symptômes « convaincants », c’est de la méfiance et, pire, de la discrimination. Car ce qui pousse à croire certaines personnes plus immédiatement que d’autres repose le plus souvent sur des préjugés. De genre, de classe, de culture, de valeurs.

Or, ce que ressent une personne n’est pas réfutable. On peut discuter de ses croyances ou de ses demandes, on ne peut pas réfuter les perceptions qu’il ou elle a de son corps. On peut parfois dire que ces perceptions ne sont pas dues à une maladie en évolution (les brûlures d’estomac ne sont pas toujours dues à un ulcère) mais on n’a pas le droit de dire qu’elles n’existent pas : elles existent, puisqu’il les éprouve.

Considérer les perceptions d’un(e) patient(e) comme suspectes (ou inexistantes), c’est donc une posture de jugement, et non une posture de soin. 

Du point de vue éthique, il me semble moins grave de se tromper avec le patient (parce qu’on l’a cru) que d’avoir raison contre lui (en ayant refusé de le croire).

Or, tout médecin a une obligation de moyen. Cette obligation nécessite qu’il mette tout en œuvre pour (au moins) servir le patient, et parmi ces moyens, il y a d’abord la propre personne du médecin ! (Le premier médicament du médecin, c’est le médecin lui-même, écrivait Michael Balint.)

L’examen clinique, la recherche d’informations, les examens complémentaires sont des outils importants. Mais l’échange avec le patient, un échange loyal, en confiance est primordial. Il conditionne tout ce qui va suivre.

Même s’il ne peut pas tout résoudre, la fonction d’un médecin devrait être, in fine, de soigner. Et soigner, ça n’est pas seulement « guérir ». Comme le dit l’aphorisme : « Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours. »

2° Le point de vue scientifique

Ce que raconte le patient peut ne pas figurer dans les « cases » du médecin qui le reçoit ; ça ne veut pas dire que ça n’existe pas. Ça peut simplement vouloir dire qu’il n’a pas la formation ou l’expérience qui lui permettraient de les comprendre. En médecine, c’est toujours le cas, en raison de la propension à sectoriser, fragmenter, surspécialiser la pensée. On ne peut pas tout savoir.

Par conséquent, manifester de la méfiance ou de l’incrédulité devant le symptôme décrit par un patient, c’est une attitude antiscientifique similaire à celle qui, de la part d’un ichtyologiste, consisterait à dire : « Quoi ? Un poisson qui change de sexe en fonction de l’environnement ? C’est pas possible, ça n’existe pas ! »

Eh bien si, ça existe. Nemo fait partie de ces poissons-là. 

La seule attitude scientifique de la part d’un médecin devant un symptôme « inhabituel » ou « atypique », devrait être l’intérêt, la curiosité, le désir de comprendre, l’envie d’explorer. C’était mon attitude quand je voyais des patients venir plusieurs fois pour ces douleurs abdominales qu’aucune radio ou échographie n’avait élucidées.

Et j’ai utilisé ma tête : je me suis dit « Qu’est-ce qui peut faire mal, dans l’abdomen ? » Et au bout d’un moment j’ai pensé : « Il n’y a pas que ce qu’il y a dedans ! Il y a aussi ce qui le délimite. »

Idem pour les douleurs thoraciques des sujets jeunes. Il n’y a pas que le cœur qui fait mal. Les muscles intercostaux, les douleurs projetées des dérangements intervertébraux mineurs font un mal de chien, eux aussi. Et la normalité de l’ECG ne veut pas dire que le patient est un simulateur ou un hypocondriaque. Il y a très peu de vrais hypocondriaques. En revanche, des gens qui souffrent et qui ont peur, il y en a beaucoup. Même s’ils n’ont rien de grave. Mais comment pourraient-ils savoir qu’ils n’ont rien de grave : ils ne sont pas médecins, eux !!! 

L’une des choses les plus importantes dans la pratique de tout médecin est l’une de celles qu’on enseigne le moins : l’analyse d’une douleur. 



Une douleur, ça n’est jamais univoque ou simple. La douleur est toujours une production du cerveau et, en tant que telle, c’est une indication imparfaite pour le patient – et pour le médecin. 

L’intensité d’une douleur et sa localisation peuvent être tout à fait trompeuses : une sciatique peut provoquer une douleur du gros orteil sans aucune sensation dans le bas du dos ; une colique néphrétique peut se manifester par une douleur isolée du testicule ; une appendicite peut être prise pour la perforation d’un ulcère gastrique. 

Guérir, parfois. Soulager, souvent.

Deux de mes amis, spécialisés dans le traitement de la douleur, m’ont dit combien il est pénible de voir débarquer à leur consultation spécialisée des patients qui auraient pu être soulagés par des traitements simples, car leur problème était simple, mais n’avait tout simplement pas été pris en compte de manière rationnelle.

Bref, pour comprendre un symptôme, il est indispensable de savoir penser « hors des cases ». Mais d’abord, ces cases, il faut les avoir explorées !!! C’est à dire s’être comporté en homme de science, et pas en idéologue paresseux !

Et pour ça, évidemment, il faut d’abord avoir cru le patient.

3° Le point de vue politique et déontologique

L’enseignement de la médecine en France ne remet pas vraiment en perspective les déterminants socio-économiques de la santé – à savoir qu’on n’est pas malade par hasard : qu’il s’agisse d’obésité, de cancer, de diabète ou d’alcoolisme, le milieu d’origine, les conditions de vie et l’environnement socio-professionnel y ont une part majeure, contrairement au préjugé selon lequel « les patients sont malades parce qu’ils ne font pas ce qu’ils doivent faire. » 

Ce préjugé, fort répandu, est un préjugé de classe. Et le monde médical français en est imprégné.

Car, même si les médecins ne sont pas tous (quoique majoritairement) issus de classes favorisées, ils se retrouvent de fait dans un milieu favorisé, où ils ont accès à des soins auxquels peu de gens ont accès.

Une étudiante en médecine a la possibilité d’éviter une grossesse non désirée, de faire suivre une grossesse à risque ou de se faire avorter dans de meilleures conditions qu’une caissière de supermarché. Un étudiant en médecine pourra faire soigner ses chlamydiae, sa gonococcie ou sa biture de weekend plus facilement qu’un ouvrier d’usine. Ce n’est pas une accusation, ni un reproche, c’est un fait.



Et les inégalités entre les étudiantEs et les étudiants sont, déjà, criantes : une étudiante ou une interne enceinte ne peut pas faire valider son stage si elle accouche pendant son déroulement. Il y a déjà deux classes parmi les étudiants en médecine : les femmes et les hommes ne sont pas traités (ni crus, voir les exemples ci-dessus) de la même manière. 

Oublier ces réalités, et projeter ses propres valeurs (en matière d’arrêt de travail, par exemple) sur les patients, c’est inacceptable : les conditions de vie des patients sont rarement superposables à celles qu’ont connues les médecins. Le seul critère, en l’occurrence, c’est donc ce que le patient dit de sa vie. Il n’est donc pas seulement indispensable de le croire pour des raisons morales, c’est aussi essentiel d’un point de vue strictement médical.

*

En France toujours, la formation médicale est fondée sur le mépris des autres professionnels de santé. Il ne faut donc pas s’étonner que les présidents de syndicats de gynécologues s’offusquent que les sages-femmes puissent prescrire des arrêts de travail aux femmes qui font une IVG médicamenteuse. Qu’un représentant syndical puisse écrire : « (…) la prescription (par les sages-femmes), d’un arrêt de travail renouvelable une fois, apparaît comme les prémices d’une médecine pleinement exercée par une profession qui ne l’a jamais apprise, avec les risques que cela comporte pour les patientes. », c’est une posture de classe et de mépris. 

Pour le code de déontologie, les médecins ont pour mission de soigner tout le monde, sans discrimination. Ils sont aussi censés respecter l’indépendance professionnelle des autres professionnels de santé.

Quand un médecin ne respecte ces principes, c’est donc non seulement une posture de classe, mais aussi une manière de dire que les lois ne s’appliquent pas à lui : « Je fais partie d’une aristocratie. Moi seul décide ce que sont mes obligations. »

4° Le point de vue pratique et soignant

Il arrive, rarement, qu’un médecin ait affaire à un simulateur ou à un patient qui délire. C’est toujours très pénible, mais c’est extrêmement rare en médecine générale et en spécialité de ville. Voir des simulateurs partout après en avoir vu un(e), c’est un biais cognitif, et non une réalité. 



Et certes, on doit traiter sans hésiter un patient délirant lorsque son délire est manifeste (il entend des voix ou a vu la vierge ou pense que son voisin veut le tuer).

Mais ça ne justifie pas de désigner comme « délirant » tout patient dont on ne comprend pas les symptômes.

L’immense majorité des patients qui consultent disent précisément ce qu’ils ressentent, parce qu’ils veulent que ça cesse. Ils n’ont aucune envie d’être fourrés chez le médecin tous les quatre matins ; ce qu’ils veulent, c’est se passer du médecin. 



L’objectif d’un médecin devrait donc être de chercher avec eux le meilleur moyen de faire en sorte qu’ils n’aient plus besoin de lui. Et, pour cela, encore une fois, il faut que le médecin croie le patient qui s’assied en face de lui.

Et le meilleur moyen de ne pas voir revenir sans arrêt les patients qui présentent des plaintes « incompréhensibles », c’est de les élucider. C’est seulement après avoir pris la plainte dans tous les sens (y compris ceux qui ne sont pas martelés à la faculté) qu’on pourra, de temps à autre, envisager que cette plainte est seulement « dans la tête ».

Et quand bien même serait-il certain que la plainte existe seulement « dans la tête » que le travail du médecin ne serait pas terminé : tout simplement parce que dans le fond, toutes les souffrances sont dans la tête : c’est notre cerveau qui nous dit que nous souffrons.

Les amputés qui souffrent de douleurs dans leur « membre fantôme » ne délirent pas. Ils souffrent. Les patients qui souffrent de douleurs inexpliquées doivent, eux aussi, être si possible soulagés et toujours écoutés. Car écouter, c’est montrer à l’autre « Je suis là, je suis avec vous, je vous crois. » 

Ce n’est pas une « posture », c’est la seule attitude moralement acceptable pour un professionnel de santé, celle qui permet d’apporter au moins réconfort et consolation.

Soulager, souvent. Consoler, toujours.

Marc Zaffran/Martin Winckler


[1] Marc Zaffran, « Douleurs abdominales : il faut aussi savoir palper superficiellement », La revue Prescrire, 1985, n°47

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Les mots sous le sarrau – par Isabelle Burnier

            À 8h45 ce matin là, c’est à mon tour d’être la patiente du service de chirurgie générale. Je suis dans la salle d’attente du bloc opératoire, où cinq personnes anonymes, habillées du traditionnel costume de malade, jaquette, bottines et chapeau bleu, sont comme moi allongées dans des lits collés les uns aux autres. Je suis là pour une cholécystectomie,  opération bénigne qui n’a pas pu sauver la vie de ma grand-mère dans les années 60, que mon père a subi avec une large laparotomie et qui, sur moi, ne laissera que la trace de  quatre incisions discrètes. Les lithiases biliaires ayant chez nous un caractère héréditaire, je me sens donc très privilégiée d’avoir une intervention aussi simple pour soulager une affaire de famille.

            Je ne suis donc pas très anxieuse, connaissant le milieu hospitalier et ses routines, ayant eu une bonne impression du jeune chirurgien rencontré en pré opératoire et n’ayant pas de facteurs de risques majeurs. Je suis ainsi allongée dans le lit, toute nue de bleu vêtue, identique aux autres patients qui, comme moi, attendent qu’un homme en sarrau traverse les portes battantes du bloc opératoire, pour venir chercher la prochaine personne qui sera opérée. Je patiente en observant cette valse des entrées et sorties, infirmiers, brancardiers, préposés, ou  médecins portant encore sur leur visage, les traces du masque porté lors de l’opération précédente. A chaque fois que la porte s’ouvre, j’imagine le cœur de chaque patient en train de sursauter, d’anxiété ou de soulagement, pour savoir à  qui le tour. À en croire l’ordre d’arrivée, quatre personnes sont avant moi, mais je comprends que la logique du bloc échappe à cette mathématique. Alors, plutôt que de calculer l’avenir et les probabilités de passage, je me concentre davantage sur les visites des anesthésistes qui viennent vérifier auprès des patients, les détails importants comme les médicaments, les prothèses dentaires ou l’heure de la dernière cigarette. Du fait de la proximité des lits, et malgré moi, sans écouter, j’entends tout.

            À 9h15, la porte du bloc valse dans un courant d’air tandis qu’un chirurgien s’approche avec confiance vers la femme du troisième lit. Il lui parle doucement, la rassure, lui touche le bras et dans les demi mots dits à voix basse pour ne pas l’embarrasser, j’entends malgré moi «hystérectomie, chimio et puis ensuite on verra… » La femme a environ 40 ans. Je lis sur son visage, la peur de cette chose qu’elle veut que le chirurgien lui arrache au plus vite par crainte que cela ne l’envahisse. Elle répond par un sourire forcé, au  «  ça va aller » que le chirurgien lui confie avant de partir. Lui succède un jeune médecin que je suppose être l’anesthésiste. Il passe rapidement en revue le questionnaire habituel des médicaments, habitudes de vie, antécédents et alors que la patiente parle de sa dernière cigarette, fumée la veille à 22h30 avec son mari, le jeune médecin se lance dans un cours sur la nocivité du tabac agrémenté d’une séance de counseling intensive. Passionné par son sujet, accoudé aux barreaux du lit, le voilà transformé en orateur pourchassant les dangers de la nicotine, truffant son discours de statistiques et de stratégies pour vaincre cette dépendance malsaine et convaincre cette patiente qu’elle est maitre de son destin. Je regarde la femme du troisième lit, se tasser sous sa jaquette bleue, immobile, écrasée tandis que son visage, déjà couvert d’inquiétude, se voile d’incompréhension face à cette leçon. Dans son ventre, sa chair  se multiplie en cellules anarchiques, insensibles à la logique du futur, et ce sermon, mille fois entendu, ne fait qu’amplifier l’impuissance qu’elle ressent face à son avenir et la culpabilité qui l’habite depuis le diagnostic. Dans  ce moment fragile où le simple mot « hystérectomie » la fait trembler, où l’idée d’être anesthésiée se confond avec la peur de ne pas se réveiller, où le carcinome, pas encore accepté, se tapit dans l’ombre de sa psyché,  elle a plutôt l’impression de n’être maitre de rien !

             À 9h22, les portes se referment derrière la patiente du troisième lit qui roule vers le bloc opératoire. Son cœur fait du bruit mais personne ne l’entend. Je ne la reverrai jamais et ne saurai pas si son cancer de l’utérus lui laissera le temps de cesser de fumer. Mais ce que je sais, c’est  que les discours inappropriés sont aussi nocifs que la fumée  car, que ce soit par maladresse ou inexpérience, le médecin anesthésiste n’a pas vu, derrière la cigarette, la patiente angoissée. Il n’a pas senti que ses judicieux conseils ne pouvaient pas être entendus dans un moment aussi délicat. Bien sûr, ce sont les gardes trop longues, les agendas trop remplis, les suivis trop exigeants qui ont chassé l’empathie au fond des poches de l’anesthésiste, le rendant intolérant au silence dans un monde d’urgence, l’obligeant à trop de mots pour supporter tous les maux indécents. L’habitude des recommandations et des protocoles a eu raison de sa sollicitude. Et c’est pourquoi la patiente du troisième lit s’est endormie en pensant à sa prochaine cigarette.

Isabelle Burnier MD

Mars 2016

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« Et si… ? » n’est pas un argument médical ou scientifique

« Et si… ? » n’est pas un argument scientifique, c’est un argument de peur destiné à entraver la liberté des patient.e.s

Pour commencer quelques rappels sur les obligations des médecins et les latitudes dont ils disposent lorsqu’ils délivrent des soins .

Premier petit rappel tiré du Code de déontologie :


Article 32 (article R.4127-32 du CSP) Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents.

Article 33 (article R.4127-33 du CSP) Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés.

Si je souligne certains mots, c’est pour rappeler qu’exercer la médecine en France, c’est avoir une attitude scientifique, rationnelle, fondée sur les preuves et non sur l’idéologie ou les croyances personnelles.

Deuxième rappel, non moins important : la loi Kouchner de 2002 sur les droits du patient, dont l’élément majeur (le consentement est obligatoire) est lui aussi inscrit dans le code de déontologie :

Article 36 (article R.4127-36 du CSP) Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.

Troisième rappel, qui concerne  les « clauses de conscience ».

La loi, en France, n’en reconnaît que trois :

       l’interruption de grossesse

       la stérilisation

       la recherche sur les cellules de l’embryon

En dehors de ces cas, aucune « clause de conscience » pour refuser un soin ou un service n’a de valeur légale. Ce qui veut dire concrètement qu’un médecin ne peut pas invoquer sa « clause de conscience » pour refuser une échographie à une femme qui demande une IVG (l’écho n’est pas l’IVG) ; et que, de même, un médecin ou un pharmacien ne peut pas invoquer une clause de conscience pour refuser la délivrance d’une pilule contraceptive, par exemple.

D’ailleurs, l’article 47 du Code de Déontologie dit :


Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée.

Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles.

S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins.

On est en droit de penser que « les devoirs d’humanité » n’ont pas à être définis par le seul médecin : la femme à qui on refuse une contraception est en droit de dire que c’est inhumain si ça l’expose à une grossesse non désirée et/ou à une IVG ; on doit aussi remarquer que « se dégager de sa mission », ça n’est pas purement et simplement renvoyer l’individu sans rien dire : « S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. »

Un médecin peut refuser ses soins, ça ne l’autorise en aucun cas à empêcher le patient d’accéder aux soins auxquels celui-ci a droit.

Quatrième rappel : le refus de soin opposé au patient

L’institut droit et santé de Paris-Descartes a publié un document très intéressant sur le refus de soin (par un médecin) opposé à un malade. Un très grand nombre d’attitudes relevant du refus de soin y sont énumérés, par exemple :

– Refus de prescrire un médicament ou de proposer un traitement  nécessaire et adapté.

– Refus d’un médecin de rediriger vers un autre professionnel de santé ayant la compétence requise.

– Rendez-vous donné sous réserve de l’application d’un dépassement  d’honoraires.

Un refus de soin est puni par la loi s’il peut être assimilé à une discrimination (interdite par l’article 225-1 du Code pénal). Le code pénal prévoit des sanctions attachées à la reconnaissance d’une discrimination à l’article 225-2 :
« La discrimination définie à l’article 225-1, commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 Euros d’amende lorsqu’elle consiste : 1° A refuser la fourniture d’un bien ou d’un service ; 2° A entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque ; 3° A refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ; 4° A subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ; 5° A subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ; 6° A refuser d’accepter une personne à l’un des stages visés par le 2° de l’article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 Euros d’amende ». 

Au vu de toutes ces remarques, il est relativement facile de savoir si un refus de soin est acceptable ou ne l’est pas – et s’il s’agit d’une discrimination. 


Ainsi, par exemple, se comporter de manière abusive et pratiquer l’obstruction (ou le refus d’information) envers un homme ou une femme qui demandent une stérilisation, est non seulement une infraction au code de déontologie mais aussi au code pénal : cela équivaut à une discrimination « aux fins d’interdire l’accès » à un droit fixé par la loi.

Le refus de soin planqué derrière un « Et si… ? »

Mais le refus de soin ou l’obstruction sont souvent pratiqués sans recourir au rejet pur et simple de la procédure ou du traitement demandés mais par l’emploi de l’expression « Et si… ? »

Exemples :

– Quoi ? Vous voulez accoucher chez vous ? Et si ça se passait mal ?

– Quoi ? Vous refusez que je vous examine ? Et si vous aviez une tumeur ?

– Quoi ? Vous voulez vous faire avorter ? Et si vous le regrettiez plus tard ?

– Quoi ? Vous voulez vous faire stériliser ? Et si vous perdiez un enfant ? Et si vous divorciez et reformiez un couple avec quelqu’un qui veut des enfants ?

– Quoi ? Faire un enfant à votre âge ? Et si vous aviez un enfant trisomique ? Et si vous mouriez avant que votre enfant ait vingt ans ? 

– Quoi ? Vous refusez le vaccin contre le HPV ? Et si vous avez un cancer du col plus tard ?

La plus ridicule que j’aie personnellement entendue était, en 2009, alors que toutes les observations menées dans l’hémisphère sud montraient que le virus de la grippe A/H1N1 était bénin, l’argument employé par les « experts » pronant la vaccination de millions de personnes en Europe et en Amérique : « Et si le virus mutait en passant l’Equateur ? »

« Et si… ? » n’est pas un argument scientifique. Quand un risque existe, de deux choses l’une, ou bien on peut le quantifier, ou bien on ne peut pas. Si je vous dis « Et si vous deviez gagner au loto ce soir ? » vous savez parfaitement que je vous invite à rêver, pas à planifier vraiment les gains que vous rapportera l’achat d’un billet.


De même, quand pour dissuader quelqu’un de faire quelque chose on lui dit « Et si ça se passait mal ? » il s’agit purement et simplement d’une invitation à avoir peur, à penser au pire, même si ce pire est extrêmement peu probable – ou à penser que ce pire est plus probable que son contraire. C’est donc une menace, destinée à exercer une contrainte morale ou, au moins, à empêcher un patient de prendre une décision rationnelle. 

Prenons l’exemple de l’examen gynécologique refusé par une femme. Lui dire « Et si vous aviez une tumeur ? » est scientifiquement malhonnête : aujourd’hui, le consensus scientifique est que l’examen gynécologique systématique n’a pas d’intérêt médical, mais beaucoup d’inconvénients. Et de toute manière, une patiente a le droit de le refuser, comme tout geste médical; 

Il en va de même pour le « Et si… ? » concernant la vaccination contre le HPV. La prévention du cancer du col de l’utérus n’est pas assurée à 100% par le vaccin contre les HPV. La meilleure preuve, c’est que la mesure de prévention qu’est le frottis continue à être vivement recommandée, qu’on ait été vaccinée ou non. Une femme qui ne se vaccine pas n’est pas plus exposée au cancer du col qu’une femme qui se vaccine, puisque la mesure de prévention n°1 (le frottis) leur est offerte à toutes les deux. 

Le « Et si… ? » est purement et simplement destiné à faire croire  à un risque « supplémentaire » si on refuse le vaccin. 

Pareillement, le « Et si… ? » opposé à une personne qui demande une stérilisation n’est pas un argument scientifique. Or, dans ce cas présent, il en existe : des enquêtes menées aux Etats-Unis auprès de personnes ayant choisi la stérilisation montrent que la proportion de celles qui regrettent, 5 ou 10 ans après, est inférieure à 10%. 

Dans ce dernier cas, la loyauté scientifique impose de  dire (c’est ce que je faisais aux femmes qui parlaient de recourir à une stérilisation) : « Le risque de regret est plus important quand on procède à une stérilisation avant 25-30 ans ; et avant 25-30 ans les échecs de ligatures de trompes sont plus fréquents que les échecs de DIU ou de SIU… Mais une fois que je vous ai dit ça, c’est toujours à vous de décider ! »
Tout ceci pour en venir à une règle simple : tout médecin est en devoir de donner des informations scientifiques (avérées) sur les avantages et inconvénients du traitement ou de la procédure qu’il propose/que le patient demande. 
Il n’est jamais en droit, d’un point de vue éthique et légal, de lui opposer un « Et si… ? »

Car encore une fois, il ne s’agit pas un argument scientifique. 

Rappelons que le Code impose aux médecins de se maintenir à jours des connaissances. (Article 11 (article R.4127-11 du CSP) Tout médecin entretient et perfectionne ses connaissances dans le respect de son obligation de développement professionnel continu.)

Ne pas le faire, et user d’arguments non scientifiques est donc un viol des obligations. 

Par ailleurs, le mensonge est interdit par le Code de déontologie : (Article 35 (article R.4127-35 du CSP) Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose.)


« Et si… ? » est clairement un argument déloyal, menaçant et non scientifique, qui empêche le patient de prendre une décision éclairée et autonome. C’est un viol du code de déontologie en vue de 1° 

A refuser la fourniture d’un bien ou d’un service  et 2° aux fins d’interdire l’accès  à un service ou un soin auquel le patient a droit ou, pire encore à imposer un soin ou un geste refusé par un patient (examen ou geste comme, mettons, une épisiotomie comme dans cette histoire abominable de violence banalisée en salle d’accouchement…) 


Ce n’est donc pas seulement une faute professionnelle, mais un délit.  

Alors, aux professionnels de santé qui utilisent le « Et si… ? » (ou sont tentés de le faire) je suggère de se demander s’ils veulent vraiment « protéger » les patients ou s’ils ne font qu’exprimer leur peur – ou désirent faire peur au patient – et commettre un délit en le faisant. 
S’ils ne savent pas, je leur recommande d’aller se pencher sur la littérature scientifique, pour voir si leur peur est fondée.
Aux patients qui subissent des « Et si… ? » de la part d’un professionnel de santé, je suggère ceci :

    – demandez-lui s’il s’agit d’une menace ou d’un fait avéré ? Et s’il pense que c’est un fait avéré, demandez-lui de vous donner les références scientifiques qui le fondent, conformément  l’Article 35 (ci-dessus) et indiquez lui que le refus de soin est un délit ; 

     – s’il vous répond de manière incorrecte, agressive, hautaine, méprisante ou brutale, levez-vous et sortez. Sans payer. Vous n’avez pas à payer un professionnel qui ne fait pas son boulot et manque à ses obligations.

Martin Winckler/Dr Marc Zaffran


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Tout choix de contraception est respectable. Y compris celui de ne pas en avoir – par Marc Zaffran/Martin WInckler

J’ai lu ces jours-ci un article (sur le blog Les filles électriques) dans lequel Lucile expliquait qu’elle avait décidé de ne pas utiliser de contraception.

J’imagine que ce blog va faire hurler certains médecins, qui n’hésiteront pas à qualifier l’attitude de cette femme d’ « obscurantiste » et de « rétrograde ». Dans leur esprit, en 2016, une femme qui décide de ne pas utiliser de contraception et de courir le risque d’une grossesse est probablement une folle ou une écervelée.

D’autres médecins et/ou militant.e.s, vont peut-être déclarer qu’utiliser une contraception est une « liberté chèrement gagnée » et que toutes les femmes devraient en profiter.

Je pense que les premiers sont paternalistes et obtus, et que les second.e.s se trompent de combat. Car la liberté des femmes ne consiste pas à choisir une contraception, elle consiste pour chaque femme à décider ce qu’elle veut faire de sa vie, chaque jour. Et ça peut consister à ne pas utiliser de contraception. Même si elle n’a aucune intention ou désir d’être enceinte.

Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de raison médicale ou morale à opposer aux femmes qui ne veulent pas utiliser pilule, DIU, implant ou préservatifs et capes cervicales (les méthodes « médicalisées ») et préfèrent d’autres méthodes qu’elles considèrent comme plus naturelles et moins invasives.

Il n’y a, à l’heure actuelle, aucune raison médicale ou morale d’interdire (ou de diaboliser) l’utilisation de la contraception du lendemain (Norlevo) plusieur fois par an à une femme qui voudrait n’utiliser que ça.

Il n’y a aucune raison médicale ou morale de refuser une stérilisation volontaire à une femme qui le demande, tout au plus devrait-on les prévenir que les regrets sont plus fréquents quand on le fait avant trente ans (1), qu’avant cet âge, une ligature de trompes est statistiquement moins efficace qu’un DIU, et que la méthode Essure, quoique très efficace, n’est pas dénuée de complications…
Mais une fois qu’on les a informées, si leur décision est prise, personne n’a le droit de la contester.

Il n’y a même aucune raison médicale – et certainement aucune raison morale ou légale – d’interdire à une femme de recourir à l’IVG à plusieurs reprises. Cela étant, ce « recours à l’IVG comme contraception » est un fantasme. Pour avoir travaillé pendant vingt-cinq ans dans un centre de planification, j’ai pu constater de mes yeux que très peu de femmes ont recours à cette extrémité, et que celles qui le font ont une vie plus que difficile, et cessent d’y avoir recours quand leur vie s’améliore.

Et je remercie le sort de m’avoir fait vivre et exercer la médecine à une époque où elles ont le droit de se faire avorter sans courir le risque de mourir ou de rester mutilées. Car ce sont toujours les plus pauvres qui paient le prix de l’illégalité. La légalisation de l’IVG n’était pas seulement une liberté auxquelles les femmes avaient droit, c’était une mesure d’équité envers les femmes les plus démunies et les plus vulnérables, celles qui ont le moins accès aux médecins, à l’information et à la contraception.

Tout ça pour affirmer clairement ceci : une femme qui décide de ne pas avoir de contraception et court le risque d’être enceinte – et assume d’avoir à décider ce qu’elle fera ensuite – est aussi respectable dans ses choix qu’une femme qui décide de ne pas courir ce risque.

Car l’enjeu réel du choix, c‘est celui de la liberté de chacune et non des valeurs que l’on plaque sur ce choix. Quand il s’agit de choisir ce qu’on fait de sa propre vie, d’un point de vue moral tous les choix se valent (2). C’est du point de vue social ou psychologique qu’on leur attribue des différences. C’est parce qu’on projette ses valeurs sur les choix des autres.

Comme beaucoup, j’ai tendance à penser qu’une sexualité libérée de l’éventualité d’une grossesse non désirée est préférable à une sexualité qui comporte ce risque. Mais c’est mon opinion, ma perception des choses. J’ai admis depuis longtemps que ça n’est pas celle de tout le monde, même si c’est une des plus répandues. Et je ne dirai jamais que mon opinion vaut mieux que celle des femmes qui en ont une autre. Cela reste une perception subjective, dans mon cas comme pour quiconque.

On peut, comme c’est mon cas, avoir eu des enfants et militer pour la liberté de se faire stériliser quand on n’en veut pas.

On peut, comme c’est mon cas, défendre l’accès libre à toutes les formes de contraception – et à une information loyale – et militer pour la liberté de ne pas en utiliser.

Car chaque fois que nous prenons une décision, nous le faisons en sachant qu’elle comporte des risques. Avoir des relations sexuelles, prendre la pilule, décider d’être enceinte et d’avoir un enfant, tout ça comporte des risques : la vie, c’est risqué. Et les conséquences, il faudra les assumer.

De sorte que personne n’a le droit de porter de jugement sur les risques que nous décidons, chacun.e, de courir.

Surtout pas les médecins.

Marc Zaffran/Martin Winckler

—————-
(1) Ce sont des enquêtes de grande ampleur qui le disent, pas moi. Ces mêmes enquêtes montrent aussi, dans les pays où la stérilisation volontaire est légale depuis les années soixante que, parmi la faible proportion de personnes qui regrettent, une proportion plus faible encore recourt à une chirurgie de réparation… Un regret n’est pas la même chose qu’un désir.

(2) D’un point de vue moral, on peut même défendre qu’avoir des enfants est plus discutable que ne pas en avoir. Après tout, les enfants que nous mettons au monde – et que nous exposons à ses cruautés – ne nous ont rien demandé… Continuer la lecture

Commentaires fermés sur Tout choix de contraception est respectable. Y compris celui de ne pas en avoir – par Marc Zaffran/Martin WInckler

La discrimination par un médecin est passible de la correctionnelle – par Marc Zaffran/Martin Winckler

Une internaute m’écrit via Twitter :

@MartinWinckler ma gyneco vient de refuser de me poser DIU cuivre car je « tue » une vie chaque mois 😔 A t-elle le droit ?
La réponse est Non. Un médecin n’a pas le droit de refuser une contraception pour un motif non scientifique. C’est une faute professionnelle, et le code de déontologie (qui fait partie du Code de la Santé publique, et fait figure de réglementation légale) est très clair à ce sujet (les italiques sont miens).

Article 8 (article R.4127-8 du CSP) Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance.Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles.

Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, un médecin ne peut pas affirmer qu’un DIU tue « une vie ». Il inactive des spermatozoïdes par le cuivre ou les hormones qu’il diffuse. Point final. (La meilleure preuve qu’un DIU n’est pas abortif, c’est qu’il y a des grossesses sur DIU ; elles sont beaucoup plus rares que sous pilule, mais il y en a.)  (1) 
Mais de toute manière la question n’est pas là. L’article 7 du code précise : 

Article 7 (article R.4127-7 du CSP) Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard.Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. 


Autrement dit : Quand une femme demande une contraception, le médecin n’a pas à lui opposer son opinion personnelle, morale ou idéologique sur ses choix de vie. L’objection de conscience invoquée par certains médecins (et parfois certains pharmaciens au sujet de la contraception d’urgence) ne concerne que l’IVG, pas les méthodes de contraception. 
Le problème c’est qu’en France, beaucoup trop de médecins semblent penser que le Code de Déontologie ne s’applique pas à eux. Il est vrai que la phrase : « le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance » est plus qu’ambiguë. Certains s’appuient sur elle pour faire ce qu’ils veulent, un peu comme certains Etats Américains s’appuient sur le 2e amendement de la Constitution pour autoriser la vente libre des armes à tout un chacun. Et on sait ce que ça donne. 

La prescription d’une contraception est un soin, même si elle s’adresse le plus souvent à des femmes en bonne santé ; c’est ce qu’on appelle un soin primaire, et une mesure de prévention, comme la vaccination des personnes de tous les âges ou la prescription de vitamine D. La « liberté » que certains médecins s’octroient d’accepter ou de refuser un soin est non seulement une entrave à la liberté des patientes qui la demandent, un abus de pouvoir et une infraction au code de déontologie. Mais refuser un soin refuser un DIU sous un prétexte idéologique signifie que le médecin pratique une discrimination. C’est donc un délit passible de la correctionnelle. 
Le Code de la santé publique pose comme principe à l’article L. 1110-3 qu’ « aucune personne ne peut faire l’objet de discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins ». 
Ce qu’en dit le Code pénal : 
Article 225-1 

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de l’apparence physique, du patronyme, de l’état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l’orientation sexuelle, de l’âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales » 

Le code prévoit des sanctions attachées à la reconnaissance d’une discrimination à l’article 225-2 :

« La discrimination définie à l’article 225-1, commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 Euros d’amende lorsqu’elle consiste : 1° A refuser la fourniture d’un bien ou d’un service ; 2° A entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque ; 3° A refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ; 4° A subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ; 5° A subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ; 6° A refuser d’accepter une personne à l’un des stages visés par le 2° de l’article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 Euros d’amende ». 

(Si le médecin qui refuse – un DIU ou une échographie pour dater une grossesse avant IVG, par exemple – travaille dans un hôpital ou une clinique, il s’agit de lieux publics. On peut également porter plainte contre la dite institution, qui est responsable de ce que fait ses salariés.)  
Par conséquent, devant un refus de soin, en toute bonne logique, le ou la patiente qui l’a subi devrait aller porter plainte au commissariat de police. Cette plainte (gratuite) sera transmise au procureur. Il n’est pas inutile également d’écrire au Conseil de l’Ordre pour l’informer de la plainte, ainsi qu’à la sécurité sociale (et, le cas échéant, au directeur de l’établissement où ce médecin pratique) et d’envoyer une copie de la lettre au médecin. Pour qu’il dorme moins bien, dans un premier temps. 
Il sera convoqué au commissariat pour donner sa version de l’affaire. 
Une plainte ne suffira peut-être pas, mais si plusieurs patient.e.s portent plainte, on commencera à s’intéresser à son cas.

Il faut parfois plusieurs années pour qu’un médecin voie ses comportements remis en cause. Il est très probable que c’est parce que la plupart des patients ne savent pas comment réagir, ou réagissent de manière inappropriée (les plaintes devant l’Ordre des médecins sont rarement suivies d’effet). Il est temps que ça change. 

En attendant, j’invite tous les lecteurs et lectrices de cet article à lire les articles 1 à 55 du Code de Déontologie (Devoirs généraux des médecins et Devoirs envers les patients) ainsi que ce document de l’Institut Droit et Santé de l’Université Paris-Descartes consacré au refus de soin opposé au patient, en particulier à partir de la page 38.

Le jour où vous vous trouverez face à un. praticien.ne qui viole l’un ou  plusieurs de ces articles, vous pouvez déjà faire quelque chose de très simple : vous lever, sortir et partir sans payer. L’article 53 précise en effet que des honoraires ne peuvent être demandés que pour un acte réellement effectué. 

Le refus de soin n’est pas un acte médical. Vous n’avez pas à le payer. S’il s’agit d’une discrimination, en revanche, celui qui vous le refuse doit en assumer les conséquences. 
Dr Marc Zaffran/Martin Winckler
(1) Il n’est pas question de me croire sur parole, mais de consulter des documents scientifiques. En voici un datant de cette année disant clairement qu’un DIU au cuivre ou un DIU hormonal agissent sur les gamètes (spermatozoïdes, ovocytes) et non sur les embryons. Malheureusement, il est en anglais, et un trop grand nombre de gynécologues obstétriciens français ne lisent pas la presse anglophone. Trop rétrograde, sans doute. 

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« Les blouses blanches qui ne voient qu’un utérus sur pattes » – par Anna

Ce texte est le contenu – légèrement édité – d’un courriel qui m’a été envoyé par « Anna ». Après l’avoir lu, j’ai demandé à son auteure l’autorisation de le reproduire ici. Il me semble très significatif des relations difficiles que rencontrent aujourd’hui les femmes auprès des médecins en général, et des gynécologues en particulier, quand elles ont envie de dialoguer, de s’informer, et d’avoir une attitude responsable. 
MW  

*


Je viens de lire un article aujourd’hui, qui citait un rhumatologue argentin en ces termes: « Le soin constitue une démarche infiniment plus complexe et subtile que la seule mise en oeuvre d’un protocole ou l’administration d’un geste ou d’une substance et comporte – et devrait normalement intégrer – des dimensions culturelles, sociales, relationnelles et psychologiques« .

Ces lignes m’ont refait penser à une situation dans laquelle je me trouve et à votre livre, Le Choeur des femmes, que j’ai lu il y a quelques années.

Inquiétant « seulement si ça dure plus de dix jours »

En novembre dernier j’ai eu des saignements anormaux (je suis sous pilule que je prends en continu et n’ai donc jamais de règles, depuis des années) accompagnés de douleurs vraiment, vraiment aigües. Je prends rarement rendez-vous chez le médecin, mon rendez-vous annuel chez ma gynécologue approchait… Je me suis contentée d’appeler son cabinet et l’ai un peu avancé.

Elle m’a dit que seuls des saignements durant plus de dix jours ou des douleurs « vraiment particulièrement anormales » devaient m’inquiéter. Bon, j’ai pris ça pour moi, même si je trouvais mes douleurs anormales.

Le contrôle s’est fait de manière normale (je consulte souvent votre site, www.martinwinckler.com, je sais que vous indiquez qu’un frottis n’est nécessaire que tous les trois ans pour les jeunes femmes (je viens d’avoir 28 ans) mais bon… Pour obtenir la pilule en Suisse, il est obligatoire de consulter chaque année et ma gynéco fait un frottis d’office (en gros elle fait un peu tout l’inverse de ce que vous préconisez, exigeant de ses patientes qu’elles se mettent totalement nues, pas super à l’écoute, et avec une consultation qui dure en général 5 minutes, entre le moment où je sonne à la porte d’entrée et celui où je me retrouve devant la porte de l’ascenseur).

Suite à ce contrôle, elle m’a dit qu’a priori, tout allait bien « au-revoir-à-l’année-prochaine ». Une semaine après, je rentre chez moi et trouve une lettre m’indiquant qu’on ma décelé une « petite infection du col de l’utérus ». En lien, deux pages imprimées d’un site internet avec des questions-réponses sur le HPV. Déjà, là, j’ai eu un certain choc. Je ne savais pas quoi faire de cette lettre, j’ai tout de suite appelé mon ami, qui n’était pas avec moi ce soir-là. Bref, j’ai senti mes entrailles se serrer et un sentiment de malaise global qui ne s’est jamais évanoui depuis. 

J’ai bien sûr lu qu’une énorme partie de la population était porteuse de HPV, que tous les papillomavirus ne sont pas oncogènes, que la plupart du temps le virus disparaît de lui-même, que les pharmas sont bien contentes de l’inquiétude que la menace de ce virus peut générer pour pouvoir vendre d’autant plus facilement leur Gardasil (qui ne m’a pas été proposé, car il s’est généralisé au moment où il était déjà trop tard pour moi, selon ma généraliste)…

Mélange de banalisation et de messages préoccupants

Mais j’affrontais un mélange d’info qui banalisaient l’affection et la rendaient préoccupante à la fois. Et je ne parvenais pas à définir l’attitude à adopter rationnellement face à ça. Mon feeling, lui, était assez sûr: cette histoire, je la sentais mal. J’avais la tête bourrée de questions, et beaucoup tournent toujours.

Dans tout ça, j’ai eu une chance: mon ami s’est montré extrêmement présent et à l’écoute, sans dramatiser les choses mais en prenant mes signaux au sérieux. Ce que j’aurais attendu, en partie, du corps médical.

Le problème, je crois, c’est que tous les médecins que j’ai vu depuis se foutent totalement de ma personne (je n’ai pas d’autre expression…). Ma gynéco voulait me donner un rendez-vous un mois après m’avoir envoyé la lettre. J’ai dû insister pour dire que je voulais la voir le plus vite possible. Sa secrétaire se voulait rassurante: « Mais vous savez, c’est rien, on en voit tous les jours, des cas comme vous, faites comme si de rien n’était ». Je n’avais pas spécialement envie de faire « comme si de rien n’était », je voulais savoir ce que j’avais et ce que je devais faire. 

J’ai fini par obtenir un rendez-vous qui ne m’a rien apporté. Il s’agissait pour ma gynécologue de me dire de prendre rendez-vous avec un autre collègue pour une colposcopie. « Il peut vous faire une séance de laser dans la foulée, c’est l’avantage avec lui. Il faut juste que vous ameniez un acompte ». Bon, ok… J’essaie de savoir si je suis donc contagieuse. « Oui ». Et donc ce que je dois changer dans mes habitudes. « Rien, faites comme avant ». 

Elle ne me demande pas si j’ai plusieurs partenaires, si mon compagnon a éventuellement d’autres relations, ni rien sur aucune de mes habitudes sexuelles. J’aurais été échangiste, on m’aurait donné un blanc-seing pour aller batifoler avec qui je l’entends… Pour une personne atteinte d’une maladie sexuellement transmissible, le message était perturbant.

La transmission? « C’est très mystérieux »

J’ai tenté d’en savoir plus sur la transmission, sur la date à laquelle aurait pu remonter mon infection, savoir si je devais prévenir mes ex…. « Oh, vous savez, c’est très mystérieux, la façon dont ça se transmet. Et ça ne veut pas dire que votre compagnon est infidèle, ça ne sert à rien de remonter dans votre historique ». Comme si je cherchais un coupable, sauf que je cherchais à savoir si et qui j’avais pu infecter, car en général, lorsqu’on est sorti avec une personne durant un certain temps, c’est qu’on tient à elle et je ne voulais pas faire courir de risque à quiconque…. 

J’ai tenté un minuscule « Et les relations bucco-génitales? » et j’ai eu l’impression d’ennuyer. Mais la même réponse: « maintenant, vous l’avez, votre partenaire est éventuellement déjà infecté et porteur sain, donc ne vous posez pas de question ». Je sors de cet entretien avec ces questions concernant des précautions à prendre, des attitudes ou pratiques à éviter… Et en face, rien. « Continuez tout comme avant »

Je prends rendez-vous avec le spécialiste. Sa secrétaire était surprise d’entendre que je prenais un rendez-vous pour une colposcopie ET un laser. « Ca se fait en deux fois, normalement, il faut d’abord qu’il vous observe ». Bon, ok…. (bis). En attendant le rendez-vous, j’ouvre l’enveloppe que m’a remise ma gynéco à l’intention de son collègue. Ca y parle d’ASC-US, d’atypies cytonucléaires de signification indéterminée et de HPV haut risque, mais autre que 16 ou 18. Je tente de garder la tête froide, j’essaie d’expliquer ce que je peux à mon compagnon, bien obligée de lui dire qu’au fond, je ne suis sûre de rien.

Le nouveau gynéco me reçoit mi-décembre. Entre les deux, ma libido s’est quelque peu effondrée, je suis perturbée par le fait de porter un virus dont la première gynéco m’a dit qu’il se transmettait lors des rapports, mais que « c’est assez mystérieux » et que le préservatif ne protège que partiellement face à ça. Je me sentais… porteuse d’un truc un peu sale et qui se refile et qui peut potentiellement causer le cancer. C’est schématique, mais c’est ce que je ressentais.

« On peut se demander si ça vaut la peine »

A l’examen, à peine le spéculum posé, il me dit « y a une mycose, là ». Ah bon… Moi je n’avais rien senti. Je lui demande si une mycose a pu se développer en un mois, entre mon rendez-vous gynécologique et ce jour. « Oh, elle est là depuis longtemps, surtout si vous n’avez pas vraiment ressenti de symptôme ». Je lui demande s’il est normal que rien n’aie été détecté au précédent rendez-vous. Pas de réponse. Il fait la colposcopie. Me dit de me rhabiller. Je passe dans son bureau. Il m’indique un « score » de 8. M’explique en vitesse l’échelle qui va jusqu’à 24. 

Je comprends que mon cas se développe depuis un certain temps, « aidé par la mycose », et ne partira pas tout seul et qu’il y a des lésions précancéreuses mais que le laser devrait régler tout ça. Je repartirai avec une prescription pour ma mycose, rendez-vous 4 mois plus tard, en mars, pour voir si elle est partie et alors on me fera du laser. Entre-deux, j’ai pour instruction de me badigeonner de Bétadine après chaque passage aux toilettes, douche ou rapport sexuel. Je me balade toujours avec ma petite bouteille, ça me fait un peu rire, mais c’est relativement contraignant, je dois dire.

Personne ne m’a demandé quel genre de vie sexuelle j’avais, à aucun moment. C’est moi qui ai dû venir en expliquant que j’avais eu plusieurs partenaires courant 2014-2015, et que je m’inquiétais des conséquences pour ces personnes. Face à ces questions, le second gynécologue a eu une réaction: « Bon, on peut se demander si ça vaut la peine de traiter au laser si c’est pour aller à droite et à gauche. Parce que plus il y a de partenaires, plus on s’expose. » Le ton m’a un peu bloquée. J’aurais très bien compris s’il m’avait dit une tournure du genre « Si vous souhaitez que le traitement soit efficace, il faudra limiter le nombre de partenaires » par exemple. Mais ce « Si c’est pour aller à droite et à gauche », sans s’adresser vraiment directement à moi… Je l’ai un peu pris comme un jugement de valeur par ce type en blouse blanche qui venait de me trifouiller le col.

Je ne savais pas si je devais en vouloir à ma gynéco d’être passée à côté de la mycose ou si ce sont des choses qui arrivent. Ce que voulait dire « elle est là depuis longtemps ». Un mois? Un an? Plus? Et ce papillomavirus? Depuis quand est-il planqué là? Depuis mes premiers rapports? Vais-je rester infectée (même si je ne suis plus contagieuse) toute ma vie? Vais-je devoir à l’avenir envisager d’expliquer à d’éventuels nouveaux partenaires avant l’acte « Tu sais, j’ai un HPV qui peut refiler le cancer, mais à mon dernier frottis tout était normal »? Bon, j’ai la chance de ne pas devoir insister sur cette question car je vis avec un homme formidable, et je compte rester avec lui longtemps. Mais bon, à 28 ans, on se dit qu’on a un peu la vie devant soi. Et ces réflexions sur l’avenir des relations, ça compte aussi…

Deux partenaires, un seul traitement

Une fois rentrée, j’ai parlé de tout ça avec mon compagnon et un proche, professionnel de la santé sexuelle. Tous les deux ont ouvert de grands yeux en entendant que j’étais revenue avec un traitement pour ma mycose seulement. Ils m’ont expliqué que, dans leur souvenir, on traite systématiquement les deux partenaires, sous peine de se refiler mutuellement la mycose, qui aura été traitée chez l’un mais pas chez l’autre. On est allé se renseigner en pharmacie, où il nous a été expliqué que « si le médecin a dit que c’était comme ça qu’il fallait traiter, alors il n’y avait rien de plus à faire ».

Les fêtes approchaient, on partait en vacances… On s’est mutuellement mis d’accord pour limiter les relations bucco-génitales (avec un HPV et une mycose, ça ne donne pas vraiment envie d’y mettre la langue, si j’ose dire…). A notre retour, j’ai tenté de voir ma généraliste pour lui dire que j’étais perdue, que je ne faisais pas confiance à mon ancienne gynéco, que je n’avais pas l’impression d’être entendue par le nouveau, que j’avais pas mal de questions. « Oh, vous savez, on meurt de plein de choses avant de mourir du col de l’utérus », finit-elle par lâcher, tout sourire. 

Ajoutant qu’elle ne peut pas faire grand chose pour moi: « Suivez les instructions des médecins, tout ira bien ». A ma sortie, elle me lâche qu’en revanche, le jour où j’aurai « un projet de maternité », je ne dois pas hésiter: « la porte est ouverte ». Sauf que je n’ai pas de projet de maternité, j’ai un HPV dont j’aimerais qu’on s’occupe, et sur le remplissage de mon utérus, qu’on me laisse en paix… Mais je crois que c’était sa façon à elle de se montrer rassurante.

Merci le planning…

Après tout ça, j’ai fini par appeler le planning familial où une adorable dame qui s’est excusée plusieurs fois de ne pas être médecin a répondu à bien plus de mes inquiétudes que tous les autres représentants du corps médical. A conseillé à mon compagnon, qui se sentait un peu laissé-pour-compte, de prendre rendez-vous pour une auscultation chez un spécialiste, à nous deux d’effectivement éviter les contacts avec la bouche tant que la mycose traînait, que mes colocataires ne risquaient pas d’attraper ce HPV mais qu’il m’était conseillé de séparer le linge… Des conseils pratiques, en somme. Sur la vie de tous les jours, sur ma vie sexuelle aussi… Qui était comme niée chez les praticiens, comme s’ils voulaient ne pas voir qu’on ne parlait pas que de mon col de l’utérus, mais aussi de moi, de mon partenaire, de mes ex…

Je vous écris car je suis énervée contre ces blouses blanches qui ne voient qu’un utérus sur pattes. Qui s’étonnent qu’on aille « chercher des informations sur internet », mais ne répondent pas à nos interrogations de patients. A qui il faut aller arracher des infos au lieu de recevoir des conseils… J’avais l’impression de devoir faire les démarches, et de ne pas être prise en charge. Comprenons-nous: j’ai fini par comprendre que je n’avais rien de particulièrement grave, quoique les termes utilisés (virus, IST, oncologique, laser, cellules précancéreuses…) soient assez flippants. Je trouve ce monde médical totalement inhumain et décharné

Je trouve irresponsable de dire aux gens atteints d’une maladie qui se transmet malgré le port du préservatif qu’ils peuvent « continuer comme avant ». Je trouve qu’avant de préconiser la vaccination de toute la population pour trois souches du virus, on devrait faire dans la prévention. Je trouve difficile pour les partenaires masculins qu’ils soient mis de côté dans la prise en charge parce que « Chez eux, c’est moins grave, ils ne risquent pas le cancer et en plus c’est difficile à détecter », tout en se fichant du fait qu’ils peuvent être porteurs et le refiler plus loin. Il ne s’agit pas d’être parano et de prôner l’abstinence. Mais juste d’informer des risques et des devoirs de chacun…

Voilà, c’est une réflexion finalement relativement banale, mais j’avais je crois besoin de la partager avec quelqu’un. Même si vous ne lisez pas ce mail, finalement, vous m’aurez déjà aidée – sans même le savoir- en me permettant de mettre ce début d’histoire par écrit.

Je ne sais pas où tout ça me mènera. Mais une chose est sûre: je vais changer de gynécologue. 

Anna Continuer la lecture

Commentaires fermés sur « Les blouses blanches qui ne voient qu’un utérus sur pattes » – par Anna

La violence verbale des professionnels de santé contre les femmes sans enfant (et qui veulent le rester) – par Laura

Laura n’a pas d’enfant et elle n’en veut pas. C’est son choix, et elle y tient. 
Elle m’a envoyé un long texte énumérant les réflexions désagréables, méchantes ou simplement stupides qu’elle a déjà entendues à ce sujet. Il y en a beaucoup. Certaines ont été proférées par des professionnel.le.s de santé. Elles en disent long sur la personnalité de ceux qui les ont dites – et sur le respect qu’ils manifestent pour les choix de vie qui ne sont pas les leurs. 
Je les publie ici. Accrochez-vous. MW

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“Si vous ne voulez plus avoir mal durant vos règles, faites des enfants !”

“Si vous avez mal durant vos règles, c’est parce que votre corps réclame une grossesse.”

“Vous auriez eu des enfants, vos syndromes prémenstruels ne seraient pas si forts.”

“A force de prendre la pilule en continu, vous allez devenir stérile.”

“Votre problème de poids est lié à votre non-désir d’enfant. Faites un enfant, vous perdrez du poids”

****

A la pharmacie située en bas de mon immeuble, j’avais 25 ans : 

 

 

“Je ne peux pas vous vendre une seule plaquette de pilule, c’est un lot de 3, ça ne s’est jamais vendu à l’unité.”
(Je suis alors allée dans une autre pharmacie, située un plus loin, qui la vendait à l’unité.)

“Le stérilet que le Dr Sachs vous a prescrit n’existe pas. Et puis un stérilet à votre âge… “

(Je suis retournée à l’autre pharmacie, un peu plus loin. Le UT380 existait bel et bien. Je suis ensuite toujours retournée à l’autre pharmacie.)

 

 

**** 

Chez une gynécologue renommée en banlieue parisienne. Cabinet situé dans mon nouveau quartier. Lorsque je lui dit que je ne veux pas d’enfant. (J’avais 34 ans.)
– Les femmes comme vous, ça devrait se faire soigner ! (en colère)

(Je lui réponds que je ne viens pas chez un médecin pour être jugée ou je sors de la consultation immédiatement – elle se calme un peu.)
– Vous ne voulez plus prendre la pilule, vous ne voulez pas d’enfant et moi je refuse de poser des stérilets sur les nullipares. Je vous prescris un anneau contraceptif.
– Je ne veux pas d’un anneau contraceptif, je trouve le concept peu pratique et trop invasif. A ce moment la, est-ce que vous pouvez juste renouveler ma prescription de pilule ?

– Moi, je vous prescris ce qui est bien pour vous. C’est pas vous qui décidez ! (hausse le ton)


– Au contraire, jusqu’à preuve du contraire c’est bien moi qui décide pour moi.

(Elle s’énerve à nouveau, m’insulte. Je reste calme. Je prends mon sac et sors de son cabinet, sans payer. (1) Une fois arrivée au niveau de la rue, j’essuie quelques larmes. Quelques jours après j’ai reçu un courrier de sa part me demandant le règlement de la consultation. Jamais envoyé.) 

 ****

“Si vous ne voulez-pas d’enfant c’est que vous avez un problème avec votre mère. Il faut en parler à un psy… je vais donner l’adresse d’un confrère.”

“Si vous ne voulez-pas d’enfant c’est parce que votre mère ne vous a pas autorisée à être adulte et donc, à devenir mère à votre tour. Vous n’êtes pas adulte, vous savez, vous êtes restée au stade  adolescent.”

“Ah, vous ne voulez vraiment pas d’enfant alors. Comment c’est possible ça ?”

“Et votre mari, il n’en veut pas non plus ? Comment c’est possible ça ?”

“Et le mari, il en dit quoi lui de ne pas être père ? Il est d’accord avec ça ? Et le jour où lui en veut vous faites comment ? Vous divorcez ?”

“C’est le mari qui n’en veut pas c’est ça ? Vous savez, à notre époque on n’obéit plus à son mari. Une pilule ça s’oublie.”

“Vous venez de vous séparer. C’est dommage, vous auriez fondé une famille, il ne vous aurait pas quittée. Ah c’est vous qui l’avez quitté. Un enfant consolide un couple, vous savez.”

“La pilule n’est pas responsable de votre chute de libido. Le responsable c’est votre mari. Amusez-vous un peu, prenez un amant ! Faites pas cette tête la, vous n’avez pas d’enfant, ne me faites pas croire que vous n’allez pas voir ailleurs de temps en temps !”
****
(Don du Sang, durant l’entretien avec un médecin.)

“Pas d’enfants ? Vous avez bien raison de ne pas vous emmerder avec ça.”

“Pas d’enfant ? Je note, pas d’enfant. Célibataire ? Mariée ? En couple ? En couple depuis combien de temps ? Dix ans, et vous êtes fidèle. Sérieusement, même pas une fois ? Allez me la faites pas, jolie comme vous êtes ! » 
(Regards insistants. Je lui réponds que son attitude est très limite et pas professionnelle.)

  
« Bon je note quand même que vous êtes à risque, si c’est pas vous, c’est lui…” (clin d’oeil)

****
(Pendant un examen gynécologique)

“Que c’est beau un petit utérus. J’aime bien avoir des patientes nullipares pour ça.”


(Durant la pose d’un DIU.)

“Mais non ça ne fait mal ! Heureusement que vous n’avez pas eu d’enfant, vous n’auriez pas supporté la douleur de l’accouchement ! (il rit)”
(Pendant un examen gynécologique)
“Vous voulez-un spéculum en plastique ? Mais c’est pour les vierges ! Vous n’avez pas d’enfant, mais vous n’êtes pas vierge bon sang ! C’est pas possible ça ces doudouilles !”
“Et surtout avec le DIU, surtout surtout pas d’anti-inflammatoire !”
“Vous savez, d’un point de purement biologique, vous n’êtes pas une vraie femme.”


****
“Des enfants ? Non ?  Il serait de s’y mettre à 25 ans !”
“Des enfants ? Non ?  Il serait de s’y mettre à 30 ans !”
“Des enfants ? Non ?  Il serait de s’y mettre à 35 ans !”


“Si vous voulez des enfants, il ne faut pas trop attendre, vous avez déjà 3x ans”


“Et après votre IVG vous n’avez jamais eu de désir d’enfant ? Ca s’est si mal passé que ça ?”


“C’est pas normal de ne pas vouloir d’enfant vous savez. Je peux vous donner l’adresse d’un confrère qui peut vous aider.”
  
“C’est quoi cette manie des nullipares à vouloir un stérilet ? Il faut arrêter l’internet. Pas d’enfant, pas de stérilet. C’est comme ça.”

“Bon. Vous être pleine de kystes ovariens. La bonne nouvelle, comme vous ne voulez pas d’enfant, vous allez contente, c’est que vous êtes certainement stérile.” (Le type était content de sa blague)

“Vous avez perdu 20 kilos, c’est très bien, votre IMC est presque dans la norme. Il est temps d’enchaîner sur une grossesse, vous avez 35 ans quand même…”
“La stérilisation, vous savez, c’est irréversible. Et si vous changiez d’avis ? Et si vous rencontriez quelqu’un d’autre ?” 
“Ne pas vouloir d’enfant et gérer sa contraception en conséquence, c’est une chose. La stérilisation, c’est trop extrême, trop définitif. Ca ne laisse pas de place aux surprises de la vie.”
“Vous vous rendez compte à quel point ne pas vouloir d’enfant est égoïste alors qu’il y a des femmes qui sont stériles ?”

“Et toujours pas de regret ?”
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(1) Quand un.e professionnel.le de santé vous insulte, vous traite mal verbalement ou vous maltraite physiquement, faites comme Laura : sortez sans payer. Un.e praticien.ne qui se comporte ainsi ne peut pas vous soigner de manière compétente et viole le code de déontologie. Son comportement le/la disqualifie et vous n’avez pas à payer, puisque le boulot n’est pas fait. (Non, il ou elle ne cherchera pas à vous retenir de force : ce serait une voie de faits, et vous pourriez porter plainte au tribunal de police. Et non, il ou elle ne peut pas non plus vous envoyer un huissier.) MW 

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Commentaires fermés sur La violence verbale des professionnels de santé contre les femmes sans enfant (et qui veulent le rester) – par Laura

La souffrance des soignants – par Franck Wilmart, médecin généraliste

J’ai envie de crier ce soir devant cette épidémie qui frappe tragiquement de plus en plus de soignants ; une épidémie silencieuse qui voit nombre d’entre nous soit mettre fin à leur jour (Encore un jeune confrère hier. Il y a moins d’un mois, c’était un jeune confrère hospitalier et une infirmière) – soit tenter de le faire (un copain de promo il y a quelques mois) !
Et toujours cette même phrase : « vous comprenez, ils avaient des problèmes personnels » ! Circulez, il n’y a rien à voir. On tourne la page. C’est toujours un cas différent donc on ne peut pas comparer disent-ils ! 
Et pendant ce temps-là, le taux de suicide chez les soignants explose (Je ne suis même pas sûr que les tentatives de suicide soient toutes comptabilisées !)
Et que dire de tous ces soignants en souffrance que l’on reçoit chaque jour dans nos cabinets ? Ils craquent, sont en pleurs, épuisés, démotivés. Surtout ne pas faire le lien avec leurs conditions de travail, des techniques de management du personnel sans nom (« Comment ? Vous ne vous imaginez pas dans quel pétrin vous me mettez  pour le planning ! Vous ne pouviez pas m’avertir avant, qu’on allait vous hospitalier en urgence ? »). 
Surtout, ne pas faire le lien avec les conséquences sur la vie de famille justement, sur ces couples qui se déchirent et se séparent pour aboutir parfois (souvent?) aux drames dont je parlais plus haut.
On parle souvent de la maltraitance envers les patients : quand prendra-t-on enfin à bras  le corps celle des soignants ? Quand les politiques , les décideurs de tout poil comprendront-ils que pour bien soigner un soignant a besoin d’être au mieux ?
Dégrader les conditions de travail comme c’est le cas actuellement en ville comme à l’hôpital, c’est maltraiter les personnels soignants avec les conséquences désastreuses que l’on constate désormais chaque semaine, c’est aussi risquer de voir se majorer la maltraitance des patients !
A terme c’est le soin qui est menacé : beaucoup de jeunes ne veulent plus s’installer et recherchent des postes moins exposés ! Comment ne pas leur dire qu’ils ont raison de se protéger, de protéger les leurs de toute cette violence que notre société leur inflige !
Finalement, peut-être qu’après 15 ans de médecine de campagne, je ne commence qu’à apprendre à l’école des soignants … Ou alors  j’ai tout simplement mal de voir cette école de vie perdre trop de ses élèves ! Et avec  le règlement intérieur que notre société applique à l’école des soignants, il ne faudra pas s’étonner qu’elle ferme faute de candidat pour apprendre à soigner !
Franck Wilmart

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