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Méta
Archives de l’auteur : Fluorette
Prendre le large
Finie la promenade de santé. Je vous remercie pour ces années passées ensemble, pour vos lectures, vos mots, votre soutien, le livre, les rencontres, les rires, les calins, les découvertes. Vous avez été formidables. Vous m’avez apporté du grain à moudre… Continuer la lecture
Life begins at the end of your comfort zone – Neale Donald Walsch
Je glisse dans la poche arrière de mon jean le sécateur avec lequel j’ai élagué les rosiers. Il faudrait tondre la pelouse, mais elle est mouillée, et ce serait bruyant. Or j’ai besoin de silence, ma tête est suffisamment pleine. Simon le fera. J’enlève… Continuer la lecture
Mais, si tu m’apprivoises…
Secrétaire m’avait dit je sais que c’est pas votre patiente, elle est suivie par AssociéEnBaskets mais elle voudrait que ce soit vous aujourd’hui. J’ai grommelé, comme si j’avais pas assez de travail, que j’allais encore rentrer à pas d’heure, et patati… Continuer la lecture
Rire
Rire. De tout. Mais surtout des autres. De leur souffrance. Les mettre tous dans le même sac, la caste des connards nantis. Dénigrer leur amour du métier, leurs capacités, leurs connaissances. Méconnaître leur exercice. Leur expliquer qu’ils devraient… Continuer la lecture
Burn out
Je te regarde. Je t’écoute. Tes mâchoires sont serrées. Tu as encore cassé une couronne d’ailleurs. Une de plus. A combien est-ce que tu en es ? Malgré la prothèse mandibulaire nocturne, malgré la relaxation. Ça faisait un petit moment qu’elles tenaient… Continuer la lecture
Tentacules
Il est un peu en retard et je l’attends sous la verrière de la gare, espérant qu’il ne m’a pas oubliée. J’entends sa voix sur son répondeur à l’instant où je le vois sortir en courant du parking. Je glisse mon téléphone dans ma poche et je réajuste mes… Continuer la lecture
Bolduc et chocolats
En disant “au revoir et bonnes fêtes” à Mr Patin, j’ai ouvert la porte et vous étiez là toutes les deux, dans le couloir. J’allais te demander si tu venais chercher une ordonnance ou s’il y avait un problème avec ta grossesse. Mais je n’ai pas eu le temps…. Continuer la lecture
Cambodia
Il fait chaud, terriblement chaud. Nous sommes assis côte à côte, après que j’ai couru après lui dans les grottes. Je bois mon Coca, frais. Il a huit ans, dix peut-être. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il serait mieux à l’école. Il demande si je… Continuer la lecture
Sans rendez-vous
Il est dans la salle d’attente. Il sait que c’est sur rendez-vous, il n’est pas sur ma liste, et pourtant il est là. Il a les yeux rouges. Lui, le colosse, celui qui est si prompt à me taper sur l’épaule et à faire une blague, il est effondré. Je comprends… Continuer la lecture
Septembre 2004
Normalement c’est aujourd’hui que je choisis. Normalement parce que ce n’est pas au point ce système de choix. J’espère que mon nom n’est pas passé hier, je n’ai pas regardé avant de partir. Nous sommes des milliers à avoir passé ce concours. Drôle de… Continuer la lecture
Ouvrir une porte
Ce serait tentant de dire que tout a commencé à cause de @docteursachs. Parce qu’un jour où nous comparions une énième fois la taille de nos ulcères gastriques et nos consommations d’alcool et de xanax en rentrant du boulot, il a dit “l’important c’est… Continuer la lecture
On dirait…
Ce matin, on dirait qu’on n’irait pas travailler. Parce qu’on n’aurait pas envie d’aller ronchonner en traînant les pieds toute la journée de la salle d’attente au cabinet et du cabinet à la salle d’attente. Alors on chausserait ses grosses godasses de… Continuer la lecture
Ils étaient formidables…
Ils se sont rencontrés au bord de la mer, en buvant des mojitos, ils pensent vivre leur vie main dans la main, tant qu’ils sont aussi bien ensemble qu’au premier jour. Ils se sont dit oui. Ils sont un couple sur six. Quand elle regarde dans ses yeux,… Continuer la lecture
Holocène
Comme souvent, il restait des médicaments chez Marie et les ordonnances pour les infirmières sont encore valables. Elle avait juste besoin de me voir, de parler, de sa famille qui ne vient pas, de cette maladie qui la ronge, de me montrer des photos,… Continuer la lecture
La peau d’un autre
J’avais oublié l’angoisse du dimanche soir, celle qui prend au ventre et coupe l’appétit, celle qui fait pleurer, qui tourne dans la tête, qui empêche de s’endormir et qui réveille souvent. J’avais oublié comme ça peut être déstabilisant de se couler… Continuer la lecture
PROJET DE LOI
Nos hommes politiques sont en grande forme et ont donc pondu une énième proposition de loi qui, loin de lutter contre les déserts médicaux, pourrait l’aggraver encore un peu plus. J’ai l’impression d’avoir déjà lu tout ça, ça fait des années que ça tourne, ça finira bien par passer. On peut difficilement faire plus caricatural. En noir, le texte, en italique, mes remarques.
PROPOSITION DE LOI VISANT A LUTTER CONTRE LES DESERTS MEDICAUX.
18/02/2015.
En décembre 2012, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, lors de la présentation du « Pacte santé-territoire », nous a affirmé vouloir s’engager à faciliter l’installation des jeunes médecins en milieu rural. Bon moi je vous rappelle que je l’avais rencontré avec les autres de l’internet et qu’elle n’a rien écouté de ce qu’on lui a raconté.
Ne lui en déplaise, mais plus de deux ans après, comme les mesures de ses prédécesseurs, force est de constater qu’elles ont été d’une grande inefficacité. Forcément, puisque ce qui a été proposé n’est pas ce que nous, depuis le terrain, on avait demandé.
Les déserts médicaux sont de plus en plus nombreux en milieu rural alors que les médecins généralistes sont pléthores au sein des zones urbaines. Pléthore les gars, je vous conseille d’aller regarder la définition parce que dans certaines zones urbaines, ça manque aussi de médecins, pour d’autres raisons qu’à la campagne souvent, mais quand même. Un petit tour sur Cartosante serait intéressant.
Il faut passer de l’incitation à l’obligation. AH VOILA ENFIN DEPUIS LE TEMPS QU’ILS VEULENT LA METTRE CETTE OBLIGATION, à un moment ils vont la voter, ça ne marchera pas mais ce sera super bien vu de la population.
Il en résulte du maintien de l’assurance d’une égalité de soin sur l’ensemble de notre territoire, qui, aujourd’hui est très fragilisé. A cause de ces salauds de médecins, et pas du tout à cause du fait qu’il y a des zones qui sont des zones urbaines trop chères pour un C à 23, trop dangereuses, des zones rurales abandonnées par les pouvoirs publics et dans lesquelles il n’y a pas de boulot pour les conjoints, pas de crèche, pas d’école, pas de service public, etc.
C’est ainsi que, dans le même esprit qu’une proposition de loi qui avait été déposée sous la précédente législature (n° 4144 relative à la lutte contre l’inégalité de l’accès aux soins sur le territoire français présentée par Philippe Folliot), un groupe de travail composé de sénateurs toutes tendances confondues (avec pour président le socialiste Jean-Luc Fichet et pour rapporteur le centriste Hervé Maurey) ont publié en février 2013 un rapport dans le but de lutter contre ces déserts médicaux. En effet, ce texte, qui part d’un constat alarmant (baisse du nombre d’étudiants admis en deuxième année, augmentation et vieillissement de la population : on voit bien que l’obligation d’installation des médecins va permettre d’augmenter le nombre d’étudiants en médecine et de diminuer le vieillissement de la population), propose un durcissement des mesures et encourage la coercition afin de forcer les médecins à mieux s’implanter sur l’ensemble du territoire. Cette mesure qui n’a fonctionné dans aucun autre pays va forcément marcher en France, parce qu’en France on est vraiment trop meilleur.
Alors que le nombre de médecins augmente (ils sont 200 000 aujourd’hui, deux fois plus qu’en 1980), on compte 330 médecins pour 100 000 habitants, ce qui place la France au 14e rang des 34 pays de l’OCDE. Sauf que notre pyramide des âges des médecins généralistes fait flipper, que les gens consultent plus qu’avant et qu’on doit faire des tas de consultations inutiles pour des certifàlacons, qu’on perd inutilement notre temps dans des paperasseries, à courir après des tiers payants, etc.
De plus, les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, concernant l’évolution du nombre et de la densité de médecins de 1985 à 2025 sont édifiants. Si en 2007 le nombre de médecins s’élevait à 208 191, il poursuivra, selon les projections de cet institut, une diminution de près de 10 % sur les années à venir pour atteindre son minimum en 2019 avec 188 000 médecins seulement. Cette diminution s’explique par le numerus clausus instauré par le gouvernement en 1971 et fixant le nombre de places ouvertes en deuxième année d’étude de médecine suivant l’évolution de la démographie.
Néanmoins, ces chiffres concernent une moyenne au niveau national. Il advient maintenant de s’attarder sur les conséquences de cette diminution des effectifs pour les années à venir au niveau local dans les zones les moins bien dotées en médecins.
Les différentes projections tendent en effet à affirmer que les disparités géographiques iront en s’accroissant. Telle est la problématique majeure de cette diminution. Elle constitue un problème de santé publique, un enjeu majeur pour les années à venir et un réel défi que nous devons relever. Car, si l’on se réfère à la Constitution de 1946, un droit à la protection de la santé y est bel et bien inscrit. Et celui-ci vaut pour tous les citoyens de manière égale et sur tout le territoire de manière homogène. Et c’est là qu’il faudrait se pencher sur l’inadéquation entre un “droit pour les gens” et une “profession libérale”. Soit c’est un droit et l’état paie et assure ses employés, soit c’est des professionnels libéraux qu’on encadre en exigeant d’eux tout et n’importe quoi mais sans leur assurer de droits ni de couverture sociale, et c’est un peu la débandade actuelle.
Si l’État, les collectivités territoriales, l’Assurance Maladie, ont déjà œuvré pour inciter les jeunes médecins à s’implanter dans des zones sous-médicalisées, en instaurant des aides financières et matérielles, des bourses, des exonérations fiscales, les résultats ne sont que trop peu visibles Nombres de ces mesures sont inconnues des médecins, ce qui est contre-productif. De plus ces mesures sont récentes car ça fait peu de temps qu’on brasse de l’air pour faire semblant de faire quelque chose (et encore une fois, rien de ce que nous avons demandé à la ministre n’a été suivi de quoi que ce soit, donc aucune mesure n’était ce que nous pouvions en attendre).
Les professionnels de santé demeurent peu enclins à contribuer spontanément au rééquilibrage de la démographie médicale Traduction : Quelle bande de chacals qui ne veulent pas abandonner leur conjoint, ni aller bosser 24/24 dans un trou.
Un sondage commandité par le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) indique que 63 % des étudiants et 60 % des jeunes médecins n’envisagent pas de s’installer en zone rurale, en raison des fortes exigences de disponibilité requises et de l’isolement de ces zones. À ces chiffres s’ajoute la tendance actuelle de féminisation de la profession AAAAAHHHHH. Les femmes médecin ont tendance à se déplacer géographiquement suivant la profession de leur époux Et là on oublie aussi de dire qu’on n’est pas vraiment bien couverts en cas de maladie ou de maternité, donc oui on peut favoriser celui qui a un boulot qui permettra de tenir en cas de problème. Mais j’ai envie d’ajouter que les jeunes médecins hommes ont aussi envie de voir leur famille et ne veulent pas aller s’isoler dans des zones où ils seront seuls en place tous les jours .
Dans la plupart des cas, ces professions concernent des entreprises situées dans des grandes villes, ce qui ne fait qu’amplifier le phénomène Il faudrait donc forcer les médecins à épouser les agriculteurs. Lançons un L’amour est dans le pré et le cabinet.
De même, un courant actuel accroît la salarisation des médecins libéraux en clinique privée. Ces établissements privés ne dispensent pas toujours les soins que peuvent attendre les populations rurales, que ce soient des consultations de médecine générale ou d’urgence. S’il ne s’agit pas d’opposer inutilement service public hospitalier et activités privées salariales, il convient de trouver les modalités permettant de garantir l’égalité des territoires et le maintien de médecins libéraux salariés ou exerçant dans le service public en zone rurale.
Ainsi, après avoir dressé ce bilan sur la situation actuelle et de l’évolution des mentalités dans notre pays, il convient d’agir afin de remédier à cette problématique touchant de plein fouet les populations rurales.
Dans un premier temps, cette proposition de loi promeut des mesures coercitives afin de réguler les flux de jeunes médecins s’installant après leurs études. Pour cela, elle instaure un numerus clausus à l’installation des médecins, à l’instar du dispositif en vigueur pour les officines de pharmacie, afin de réduire les écarts de densité que l’on constate aujourd’hui sur le territoire. Je rappelle que ça n’a fonctionné nulle part, dans aucun autre pays… (et qu’aujourd’hui, on peut partir travailler dans un autre pays où les conditions sont plus favorables si on nous impose trop de choses ici, sans devoir faire le tour de la planète). De plus, comme ça ne touchera une nouvelle fois que les généralistes, parions que d’ici trois ans, on se retrouve avec un nouveau texte de loi qui demandera “mais pourquoi donc les jeunes ne veulent pas faire médecin généraliste ? ”. Et tout le monde fera semblant d’être surpris.
Dans un second temps, elle pose le principe suivant lequel il advient de sensibiliser davantage les jeunes sur le besoin crucial de médecins en milieu rural, notamment par la réalisation obligatoire d’un stage sur le terrain. Le 2e cycle du cursus de médecine correspond à une étape de la formation communément appelée « externat ». Au cours des quatre années de ce cycle, ces dits « étudiants hospitaliers » se doivent de réaliser quatre stages d’une durée de trois mois chacun. Cette proposition de loi soumet au Parlement qu’un de ces stages doive se faire dans un cabinet de médecin généraliste en milieu rural afin que les étudiants découvrent le travail sur le terrain et n’aient pas de préjugés avant même d’y avoir vécu une expérience professionnelle. Alors c’est bien, mais c’est présenté comme une punition, et après avoir mis en place la coercition, pas sur que ça motive. D’autre part, le stage en médecine générale est déjà obligatoire mais est mis en place de façon très inégale selon les facultés. Alors si en plus il faut que ce soit “rural”, peu de chances que tout le monde y ait accès.
Dans un troisième temps, elle crée de nouvelles incitations à l’implantation des médecins généralistes en milieu rural en complément des dispositifs existants; dans un souci d’équité elles seront réservées aux médecins conventionnés Vu le vent qui souffle ces derniers temps en faveur de la déconvention, il est bon de le préciser.
Il s’agit premièrement de l’instauration d’une aide dégressive de l’État au profit des médecins généralistes dans les zones rurales exigibles aux aides versées dans le cadre du Fonds de réorientation et de modernisation de la médecine libérale (FORMMEL).
Mais alors qu’est ce que c’est que ça le FORMMEL ? Créé en 1996, ce fond est inconnu des médecins généralistes… Donc si quelqu’un a des informations, qu’il n’hésite pas dans les commentaires.
Deuxièmement, une aide de l’État sera également versée de manière dégressive aux médecins généralistes désireux d’ouvrir un cabinet secondaire dans certaines zones du territoire déficitaire en termes de soins.
Il semble que personne ne veuille s’installer, mais si ceux qui travaillent déjà à blocs souhaitent bosser encore plus, c’est possible. Bon. Se posera alors le problème des gardes et astreintes. Car si on s’installe dans une zone rurale, rares sont les zones où il n’y en a pas. Il faudra alors ouvrir un site secondaire et faire des astreintes, en plus de son site primaire. On a intérêt d’avoir des médecins qui ne dorment pas. Ou alors on supprime les astreintes. Ou ? Est-ce qu’on ne pourrait pas de penser sur la question des conditions de travail de ceux qui sont en rural, qui se font insulter car ils n’en font pas assez d’après les patients, en font bien trop d’après leurs familles, et pensent à la corde après une énième consultation de garde où le patient finalement n’est pas venu parce que quinze minutes de délai pour être vu c’était trop long.
Enfin, elle a pour but de favoriser une meilleure mise en œuvre de politique d’accès aux soins à l’échelle du territoire en redéfinissant les territoires de santé à l’échelle départementale via la création d’une commission de démographie médicale, en favorisant le transfert d’actes et ainsi la coopération entre les différentes professions de santé ainsi que l’allongement de la durée d’activité en exonérant du paiement des cotisations d’assurance vieillesse les médecins.
“redéfinir les territoires à l’échelle départementale” alors que de l’autre côté on groupe les ARS avec le regroupement des régions… Tout est très logique. “allonger la durée d’activité en exonérant” : alors qu’on est dans une optique où de nombreux médecins installés aimeraient en faire un peu moins, on lui propose de faire plus longtemps…
De manière globale, ces dispositifs proposés visent donc à rapprocher le système d’installation des médecins de celui des pharmaciens qui est plus efficace pour permettre un accès à leurs services à tous les citoyens, même ceux résidant sur des territoires reculés à première vue peu attractifs Et à deuxième vue : aussi !. Pour garantir l’égal accès aux soins sur l’ensemble du territoire et mettre en œuvre à cet effet une meilleure régulation de la démographie médicale, il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d’adopter la proposition de loi suivante.
Cette promesse d’accès au soin pour tous, même dans les villages de 250 habitants, est le rêve absolu pour tout politicien. Si ce n’est pas suivi d’effet, gageons que de nouvelles punitions suivront…
D’un point de vue médical, ces mesures qu’on nous promet sont une agression et si des étudiants en médecine les lisent, pourquoi choisiraient-ils la médecine générale ? Pour n’avoir que les contraintes du libéral sans plus aucun de ses avantages.
Epidémies et cassoulet
En ce moment, je passe des journées entières à courir. A tenter de gérer les vraies urgences. Pour lesquelles quand j’appelle aux urgences, j’entends d’abord un immense soupir, et le confrère me demande si c’est vraiment indispensable de l’adresser parce que c’est plein tout partout. A tenter de programmer de courtes hospitalisations, pour ce qui ne relève pas des urgences, et il n’y a pas de lits, puisque c’est encore plein tout partout. A tenter de caler plein de monde sur un planning qui déborde, en créant de nouveaux créneaux, en agrandissant mes journées. En soupirant parce que je m’aperçois que j’ai créé des créneaux et je rentrerai épuisée parce que certains ont seulement le nez qui coule depuis le matin et qu’il leur faut un arrêt de travail. Et en écoutant d’une oreille plus que distraite les reproches sur les délais de rendez-vous, parce quand même 48 heures, quel scandale, on peut mourir, et tout le monde le dit au village que c’est un scandale.
Entre deux, je lis mes mails, qui parlent de la diminution des possibilités de formation des médecins, de grève de la télétransmission, de la préparation de la manifestation du 15/03/15, du ras-le-bol de mes confrères d’être pris pour des blaireaux…
Le soir, je sors donc dîner en famille, pour me changer les idées et manger en plus que quinze minutes en prenant le temps de mâcher. Et j’entends que “c’est normal de faire des gardes, [je] l’ai choisi, que [je] dois faire des journées de 16 heures, sinon qui verra les gens, déjà que [je] m’arrête à minuit, franchement on peut mourir, comment ça [je] suis déjà débordée mais ils ont dit à la télé que le pic n’est pas encore atteint” et que “ah bon [je] ne vais pas manger au restaurant tous les midis ? par manque de temps ? (et de budget, ndlr)”. Comme c’est la vision globale de mon travail que doit avoir la majorité de la population je suis un peu déprimée, je reprends des frites et un verre de vin. Je laisse le Poilu répondre et s’énerver.
Après, je vais à la réunion des gardes. Et j’y souris intérieurement. Quand je suis arrivée, il y a quelques années, je suis passée pour une emmerdeuse parce que j’ai dit que les patients étaient trop exigeants et qu’on devait faire bloc, éduquer et cadrer, que la démographie locale allait s’effondrer et qu’on ne pourrait pas gérer des journées plus grosses et plus de gardes, que c’était maintenant qu’on devait tous se serrer les coudes et réfléchir à notre avenir. Je sortais de remplacement en département sinistré, j’avais plein d’idées. On m’a dit que j’étais une chieuse, jeune et inconsciente, et qu’il fallait que je bosse et me taise. Cette année, curieusement, on m’a dit du bout des lèvres que c’était bien d’avoir demandé l’arrêt des astreintes à minuit parce qu’au moins on pouvait dormir un peu. J’ai aussi entendu que les patients insultaient la femme de l’un qui ne prend plus de nouveaux patients comme ils insultent ma secrétaire, quand elle propose un rendez-vous 5 heures plus tard, alors qu’eux veulent un rendez-vous tout de suite. Certains pensent aussi qu’il y a plus de menaces qu’avant. J’ai entendu que beaucoup en avaient marre des astreintes. J’ai entendu l’inquiétude de ceux dont les locaux ne sont pas aux normes handicapés, leur peur d’investir alors que la loi de santé leur fait peur et que la démographie médicale commence à leur arriver dans la figure. Le burnout se profile dans leur propos. Je leur rappelle que si ceux qui étaient intéressés pour reprendre le cabinet du DrKisenva sont repartis c’est parce qu’ils habitent loin et que les gardes loin de chez soi c’est un sacré frein sur une installation alors maintenant qu’est ce qu’on décide. Je savoure la réponse : on attend. [Visualiser ici une joli image de crash d’avion]
En rentrant, j’allume mon twitter. Et je tombe sur ça :
“Le cassoulet parfois plus équilibré que le poisson cuisiné ? Contre-intuitif mais vrai. Avec la loi santé, enfin des repères clairs ! “ Marisol Touraine, le 24/02/2015, 20h.
Bon.
Je vois que notre ministère a bien cerné quelles sont les priorités.
Je suis rassurée.
Zusammen
Le stade entier chante. Quarante mille personnes. Un peu plus peut-être. Mes lèvres chuchotent des paroles que je ne comprends pas. Enfin pas toutes. Je suis hypnotisée par la scène. Sa voix me berce. Inexplicablement, sa voix m’a toujours rassurée. Ma voisine, comme tant d’autres, remue son téléphone et des milliers de lumière ondulent sur le stade. Il pleut sur la fosse et les fans sont trempés. Il tiennent bon et depuis les gradins j’admire leur ferveur.
Cela faisait des mois que Le Poilu avait noté “week-end surprise : finir tôt” sur mon agenda. J’avais pensé qu’on allait traverser la frontière et s’enterrer deux jours pour randonner dans la Forêt Noire. Comme souvent. L’idée me séduisait mais je ne voyais pas bien pourquoi faire tant de mystères.
Quand je suis montée dans la voiture, le GPS était déjà lancé, les sacs alignés dans le coffre, il a dit, un peu nerveux, “bon on en a pour quelques heures et j’espère qu’il n’y aura pas trop de bouchons”. Il y a eu l’arrêt inopiné des essuie-glaces en pleine pluie. Et des bouchons, beaucoup. Quand il m’a fait courir à travers un Parc Olympique avec mes sandales qui me brûlaient les pieds, j’ai râlé en riant que rien ne pouvait être si urgent. Il a répondu que si, et a levé son doigt pour m’expliquer que nous avions une réservation en haut de “ça”. J’ai levé les yeux vers l’Olympiaturm. J’ai souri. Nous avons fini par trouver l’entrée. Le dîner était excellent, comme les vins, à déguster en regardant dans la nuit les lumières du musée BMW. En découvrant dans le paquet cadeau un CD avec le DVD du concert, j’ai pensé qu’il me connaissait vraiment bien. Et quand les places de concert sont tombées de la pochette, il a ajouté “c’est pour lui que nous sommes venus ici”. Un petit frisson a parcouru mon dos.
Le soleil a brillé toute la journée. Une journée entière pour boire des mass bier dans l’Englischer Garten au milieu des gars en tenue bavaroise. Pour admirer la Cathédrale. Pour se tromper de bus. Pour écouter de la musique à la Hofbräu. Pour profiter simplement du soleil.
Ce soir il pleut. Des trombes. Depuis que Xavier est monté sur scène. Et ça ne s’arrête pas. Parfois nous recevons un peu d’eau qui traverse la verrière qui couvre les gradins. Il fait chaud, malgré tout. Ma voisine attrape mon bras, me chuchote un “so schön”.
Je suis si bien, tellement loin, portée par le chant du stade, oubliant qu’il faudra commencer les piqûres demain, à sept heures tapantes. Pour l’instant, il fait nuit, il pleut, Xavier chante. LePoilu attrape ma main, il a les larmes aux yeux et il me dit “ tu entends ? Ce qu’on ne peut faire seul, on peut le faire ensemble. Was wir alleine nicht schaffen, Das schaffen wir dann zusammen “.
Demain je commencerai les piqûres. Demain.
Nausée
Marisol,
Tu vois, ces derniers temps, j’étais plutôt contente de faire mon boulot, j’aimais bien. Curieusement, regarder un médecin travailler dans un système où ce serait plus intéressant à tous points de vue pour moi, ça m’avait plutôt regonflée. Je me disais qu’on fait quand même un beau métier et qu’on a des moyens, et blablabla. Même si de l’autre côté de la frontière, je pourrais rouler en Cayenne, je me suis dit que j’allais continuer encore quelques temps de rouler en voiture du peuple parce que voilà, j’avais la foi.
Je recommençais à batailler pour les antibiotiques qui ne sont pas automatiques, je reprenais le temps d’expliquer aux gens, en faisant des dessins, et tant pis si je trouve toujours que le paiement à l’acte c’est clairement l’arnaque. J’aimais de nouveau mon métier.
C’était sans compter Mr Cancer…
Mr Cancer s’est battu contre son cancer. Longtemps. Mais le cancer est en train de gagner. Les oncologues lui ont dit que ce n’était plus pour eux maintenant. Alors j’ai tenu la main de Mr Cancer et je lui ai dit “je ferai tout ce que je peux pour que tout se passe le mieux possible, vous resterez à la maison tant que nous le pourrons”. Mr Cancer, il n’a pas souri parce qu’il ne sourit plus beaucoup, une petite larme a coulé sur sa joue. J’ai posé mon numéro de portable sur la table, je lui ai serré la main et j’ai continué ma journée.
Mais aujourd’hui, Mr Cancer est fatigué. Parce que les différents traitements l’ont épuisé. Même s’ils n’ont pas été assez fort pour éloigner la maladie, ils l’ont assez été pour abimer Mr Cancer. Pas assez abimé pour mourir. Assez abimé pour qu’il ne puisse plus manger. Sa prise de sang montre qu’il faudrait qu’il mange pourtant, vite et beaucoup. Mr Cancer ne veut pas aller à l’hôpital, parce que ça sent le cancer, la solitude de la chambre, sa femme qui est morte là-bas. Bref. Alors j’ai fait comme je fais d’habitude, j’ai négocié. Et Mr Cancer a fini par être d’accord qu’une nutrition parentérale à la maison, ce serait une bonne idée, au moins pour quelques jours, pour qu’il puisse se relever et profiter encore quelques jours. Il était d’accord, sa fille était d’accord, moi j’étais d’accord, les infirmières étaient d’accord, il avait déjà une chambre implantable, c’était bien.
Et j’ai appelé le prestataire pour les poches et tout. Et je me suis pris une gifle monumentale. Parce qu’on m’a répondu “ah mais vous n’avez plus le droit de prescrire ça, il faut que ce soit l’hôpital”. L’HÔPITAL. Voilà. Alors c’est vendredi après-midi, Mr Cancer a besoin d’une nutrition parentérale, et moi je n’ai pas le droit. Tu sens la difficulté ?
Bon, qu’est ce qu’on fait ? J’envoie Mr Cancer qui ne veut pas aller à l’hôpital aux urgences pour qu’il attrape les microbes des couloirs et encombre un brancard alors qu’on peut gérer tout ça ? Je tente de joindre un vendredi après-midi un confrère hospitalier, j’essaie de lui faire pitié pour qu’il accepte de signer des ordonnances pour un patient qu’il ne connait pas ? Je dis à Mr Cancer “bon ben tant pis, je vais vous regarder vomir, ce sera sympa” ? On se tape sur les cuisses et on pleure ? A ton avis ? A TON AVIS, BORDEL ?
Ben j’ai dit “tant pis, je vais quand même le faire”. Alors voilà, j’ai prescrit un truc que depuis septembre nous, pauvres miteux de généralistes, n’avons plus le droit de prescrire. Et j’attends que la sécu me tombe dessus et refuse de rembourser, je pense que ce sera drôle.
J’aimerais bien que tu m’expliques pourquoi, après les aérosoles de bricanyl que seuls les spécialistes ont droit de prescrire, vous nous faites ce coup-là. Parce que mon diplôme de docteur n’a pas autant de valeur que celui d’un confrère qui bosse à l’hôpital ? Ca va le mépris ? Qui est-ce qui sera là tous les jours et toutes les nuits jusqu’au dernier moment ? Des fois que tu comprendrais pas, je vais te le dire : c’est moi ! Moi, ma voiture, ma petite mallette et mes petits moyens, on ira. Quelle que soit l’heure. Moi qui n’ai pas le droit de prescrire ce dont nous allons avoir besoin.
C’est quoi le prochain truc sur ta liste à nous retirer ? L’oxygénothérapie ? La morphine ? L’hypnovel ? J’ai hâte…
J’ai hâte d’entendre de nouveau un discours sur “l’intérêt des soins à domicile”, le “médecin généraliste pivot du système”, “la dignité des soins” et “il faut que les jeunes s’installent”…
Mais je dois te dire merci. Parce que c’est plutôt sympa de ta part et de celles de tes copains de me trouver tous les jours une ligne à ajouter à la liste des bonnes raisons pour dévisser ma plaque.
Porte close
Une fois de temps en temps, ça fait les gros titres. “Le vendredi, elle recevait des patients, le lundi elle était partie”, Ouest-France, Sainteny, 2010. « Ce jour-là, le docteur Pierre a mis la clé sous la porte et a disparu », LePost, Béthény, 2008. « A Caromb, le médecin part sans laisser d’adresse », La Provence, 2014.
De leur côté, les médecins interrogés expliquent que “ça les regarde” et que “le problème de fond c’est la pénurie”. Ils n’ont pas tort.
Certains patients réagissent plutôt calmement : “Ce n’est pas parce qu’elle est partie que je vais en dire du mal. J’ai été son patient pendant quinze ans. C’est un très bon docteur. Elle est partie, c’est son choix. Elle avait le droit de le faire”.
D’autres à Belesta par exemple ont été plus revendicatifs et ont affreté un bus pour chercher leurs dossiers médicaux au nouveau cabinet de leur ancien médecin, mais surtout pour “lui demander des explications” et “prevenir ses nouveaux patients”, et ainsi lui faire capoter son nouveau départ. Belle vengeance…
C’est bien là que se situe le problème, il faudrait une raison, et une bonne pour partir. Parce que dans l’imaginaire collectif, si un médecin s’installe, c’est pour toujours. Parce qu’avant, le Dr Dévoué il s’est installé et il est resté jusqu’à sa mort, même quand sa femme l’a quitté. Oui, bon, il s’est pendu aussi, mais ça on a oublié. Qu’est-ce qu’il était bien Dr Dévoué.
Alors pourquoi le docteur Kivepartir est-il parti ? Supputons.
Parce que dès le départ il ne voulait pas s’installer ici. Ce n’était pas sa région, il s’était dit que ce serait transitoire. Il s’est installé quand même parce qu’il en avait envie et pour les gens ce serait déjà bien. Il pensait qu’il trouverait quelqu’un pour reprendre, parce qu’il y a du travail, que le coin est sympa. Il s’était dit qu’il prendrait des étudiants et que parmi eux, il trouverait une perle rare, mais il n’a pas tenu assez longtemps pour accueillir des étudiants. Il a mis des annonces mais les rares intéressés lui ont expliqué que c’est loin de la ville quand même, et il y a des gardes, de plus en plus, et les autres autour vont partir, aussi, alors est-ce que ça deviendra ingérable ? Et il n’a pas trouvé quoi répondre à ça.
Parce que son mari lui a dit qu’il devait bien être possible de terminer plus tôt, que 21 heures, ce n’est pas une heure pour rentrer, qu’après pour manger c’est trop tard, qu’elle n’est pas venue avec lui au dernier festival de jazz qu’il aime car elle était encore d’astreinte et que si ça continue comme ça c’est fini entre eux parce qu’il y en a marre de ne pas se voir et à quoi bon être ensemble. Et comme en fait elle s’aperçoit que, quel que soit le temps passé au cabinet, ce n’est jamais assez, elle ne voit qu’une seule solution pour préserver cette partie de sa vie.
Parce qu’elle est célibataire et que la solitude lui pèse. Quand elle vivait en ville, c’était mieux, elle pouvait sortir, voir des amis, rencontrer des gens. Là elle finit ses journées sur les rotules et elle ne va quand même pas finir avec le garagiste, même s’il la drague, il a 50 ans et plus toutes ses dents. Elle a besoin de foule, de magasins, de cinémas, de bars, de quitter la campagne. Et peut-être d’un enfant, et même seule, mais pas ici, comment ?
Parce que finalement il n’y a pas assez d’argent qui rentre dans les caisses, qu’il n’y a pas assez de patients sur le coin, malgré ce que le maire lui avait promis, ou alors il y en a, mais ils sont trop nombreux à préférer consulter au village d’à côté un médecin qui n’a pas d’accent, lui. Et quelqu’un lui a dit, et ça lui a fait mal.
Parce qu’ils sont de moins en moins nombreux sur ce canton, que les gardes se multiplient en plus des journées déjà lourdes. Au début, comme il y avait plusieurs locaux, on lui avait dit qu’on trouverait un autre médecin, qu’il y avait du travail pour deux. Et en effet, il y a toujours du travail pour deux. De plus en plus. Mais que justement il est seul. Et que les gens n’hésitent pas à venir sonner chez lui sur son jour de repos. L’un d’entre eux est même passé le réveiller à 5 heures du matin un jour en passant sur le chemin du travail pour demander une visite pour sa mère pour 11 heures… Et voir avec plaisir ceux avec qui les consultations se passent bien ne compense plus les reproches de refuser une consultation à un horaire tardif pour convenance personnelle du patient, les reproches de prendre un jour de repos, les reproches tout court.
Parce qu’il a fini par comprendre pourquoi il est le cinquième médecin à s’être installé ici en neuf ans.
Parce qu’il est allé présenter son projet pour les astreintes avec son dossier sous le bras à son conseil de l’ordre, pour alléger la charge de chacun, pour rendre la situation plus attrayante, qu’ils ont ri en disant que ce n’était pas la peine, que tout tenait très bien comme ça. Il a argumenté, disant que la situation démographique s’aggravait doucement, que ce n’est pas comme ça qu’un autre s’installerait. Ils ont répondu qu’il n’avait qu’à travailler moins et que les jeunes n’avaient qu’à travailler plus. Il est resté estomaqué. Alors il dévisse, avant de couler, écoeuré.
Parce que quand elle souhaite prendre des vacances, elle ne trouve pas de remplaçant, et que les patients lui reprochent, qu’il y en ait un ou pas d’ailleurs. Il faudrait qu’elle ne prenne pas de vacances. En plus, quand elle a été malade, même si elle ne s’est arrêtée que quelques jours quand ses collègues hospitaliers lui conseillaient de se reposer au moins deux semaines, ils lui ont reproché pendant des mois, insidieusement, par de petites remarques vachardes. Et ses collègues du secteur eux aussi se sont montrés agressifs face à cet arrêt de travail impromptu.
Parce qu’elle a trouvé un poste salarié, intéressant, avec des horaires plus légers, moins de paperasses, un peu moins de responsabilité, où elle ne sera plus seule, où elle travaillera en équipe, plus près du boulot de son mari, dans une petite ville où ce sera moins compliqué de faire garder les gamins, et où elle pourra souffler un peu, enfin elle espère parce qu’elle n’en peut plus.
Il y a plein de situations, plein de raisons. Certains continuent. D’autres ne le peuvent plus.
Un des articles rappelle qu’un médecin peut partir quand il le veut. C’est la théorie. Le reproche qui est fait à chaque fois, c’est de ne pas avoir averti les gens.
Alors bon, c’est un peu compliqué.
Si le Dr Kivepartir a miraculeusement trouvé un successeur, c’est plutôt facile. Il fixe une date, il parle du suivant, il essuie quelques pleurs, il se remémore la larme à l’oeil lui aussi leurs premières rencontres, il en rajoute un peu dans les violons en disant que ce ne sera pas facile d’arrêter, mais globalement, il part sans trop de culpabilité. Et deux mois plus tard, il se demande pourquoi il n’est pas parti plus tôt à la retraite.
Mais s’il n’a trouvé personne, c’est le drame. En autant d’actes que de consultants.
Le médecin est resté longtemps dans l’expectative mais n’a pas trouvé repreneur. Il met sa petite affichette sur la porte : “le Dr Kivepartir cessera son activité au 31 juillet”. La première, ce jour-là, c’est Georgette. Elle veut savoir pourquoi. Il pourra toujours tenter de regarder Georgette comme Colin Firth le ferait, dernière tentative de séduction, mais Georgette est une dure à cuire, on ne la lui fait pas. Alors le médecin ne se justifie pas, il dit qu’il part, il a lu Dominique Dupagne et la stratégie du disque rayé, il raie : “parce que point”. Georgette veut savoir. Elle pleure. Elle dit qu’il n’a pas le droit de les abandonner, après tout ce qu’ils ont vécu ensemble. Et pourquoi hein, POURQUOI ? Le Dr Kivepartir doit être fort. S’il tente la moindre explication, elle ne sera pas comprise de toute façon et demandera de nouvelles justifications. Un salariat ? Mais pourquoi ? Vous allez vous pendre si vous continuez ? Mais pourquoi ? Etc.
Quand Georgette a enfin accepté de sortir du bureau, le suivant rentre, et le cirque des pourquois reprend. Toute la journée. Toutes les journées.
Voilà. Tomber de rideau.
Alors bien sûr, “c’est la moindre des choses d’avertir ses patients, sinon c’est irrespectueux”, mais….
Mais de son côté le Dr Kivepartir a déjà tellement culpabilisé. Il a eu mal au ventre souvent depuis qu’il a pris sa décision, surtout quand il allait voir Mme Rose et qu’il se demandait qui prendrait soin d’elle après son départ. Il a lutté avec lui-même tellement fort, tentant de se convaincre que c’était courageux de partir et qu’il le fallait. Et que les instances ne l’ont pas aidé, et qu’ils l’accuseront de tous les maux dès qu’il sera parti. Il a cherché plein de justifications, des tonnes, listant tout ce qui n’allait pas. Mais il n’avait plus de courage quand il s’est agi de l’annoncer et qu’il ne se sentait pas la force d’affronter les Georgette. Parce qu’au fond de lui, il n’y a qu’une seule raison : il veut partir. Point.
Le projet de loi de santé est une ignominie. Nos instances appuient sur nos têtes quand elles sont dans l’eau. Le ministère rend responsable les médecins des problèmes de démographie créés par les politiques. Les patients rendent le médecin responsable de sa surcharge de travail. Le glissement se fait tranquillement de l’Assurance-Maladie vers les mutuelles, ce qui sera au détriment de tous. La situation ne s’arrange pas, les journaux pourront encore longtemps s’indigner face aux portes de cabinets médicaux qui resteront closes.
NB : rappel légal concernant les dossiers.
Je rêvais d’une petite Violette…
Elisabeth ne veut pas de cet enfant mais elle est déjà à 8SA. Je décroche mon téléphone. Heureusement que nous sommes le matin, c’est toujours plus facile pour joindre quelqu’un. Pourtant, le centre le plus proche ne répond pas. J’appelle plus loin. La secrétaire comprend bien que c’est urgent et trouve une solution. Quelques jours plus tard, je reçois un compte-rendu laconique. Elisabeth revient régulièrement, elle n’en parle jamais.
Elisa a consulté le Dr Désagréable, son conjoint ayant seulement quelques spermatozoïdes fatigués. Elle me raconte combien c’est dur d’aller voir Dr Désagréable. Elisa n’entrevoit pour le moment que de loin la PMA. Elle aurait aimé un autre médecin mais ce n’est pas possible. Dr Désagréable lui a servi le même baratin qu’à moi, la facilité du parcours, le fait d’être de « bons candidats », la compatibilité avec la vie de tous les jours. Elisa a déjà compris que les choses allaient être bien plus compliquées.
Léa consulte parce qu’elle souhaite être rassurée. Sa fausse couche l’a déstabilisée. Elle a besoin de pleurer. Les kleenex sont là pour ça. Elle a besoin de réentendre que ce n’était pas sa faute. Elle a besoin que quelqu’un lui dise que ça ne présage rien pour la grossesse en cours. Je suis là pour ça.
Pendant que Madeleine rédige le chèque, Liam pleure. Je repose sa carte vitale, me lève et attrape le lourd cosy, dans lequel il est de moins en moins confortablement installé, profitant pleinement de l’allaitement maternel. Je balance doucement le cosy en chantonnant, il s’apaise. Elle pose le chèque sur le bureau, range le carnet de santé, le doudou, le chéquier puis se lève. Elle me dit : “vous avez des enfants, docteur ?” Devant ma réponse négative, elle dit “c’est dommage, vous vous en occupez si bien”. Je lui tends le cosy et je souris en lui souhaitant une bonne journée.
Parfois j’ai besoin de refermer la porte entre deux consultations.
Parce que parfois les choses simples deviennent plus compliquées à gérer que de réussir à faire venir l’hélico pour un infarctus.
Ce qui est précieux
Je sais qu’avec le temps, tu oublieras certains événements, certaines parties de l’histoire. C’est comme ça, la mémoire sélectionne. Parfois même elle transforme les choses, positivement ou négativement. Mais je voudrais que tu n’oublies pas.
Je voudrais que tu te souviennes de sa main dans la tienne à chaque instant. Son étonnement quand d’autres gars lui racontent qu’eux n’ont jamais accompagné leurs femmes aux différents rendez-vous. Ses yeux qui s’ouvrent immensément d’incompréhension quand il te le raconte.
Je voudrais que tu n’oublies pas qu’il a toujours dit “nous ferons comme toi tu veux, nous irons où tu veux, quel qu’en soit le prix, nous ne le ferons pas si tu ne le veux pas”. Toujours.
N’oublie pas le poids de la culpabilité sur ses épaules, qui ne s’en ira jamais vraiment, quoi qu’il arrive.
Oh bien sur, une fois il a dit “ça va hein, je suis allée les chercher TES piqûres”, déclenchant une dispute, des cris, des excuses. Bien sur qu’il s’est levé de nombreuses fois juste trop tard, juste après l’injection quotidienne, jusqu’au jour où tu as compris qu’il détestait cette impression de te faire du mal, jusqu’au jour où il a compris que tu avais besoin de lui, tous les matins.
N’oublie pas son regard à ton retour du bloc, la peur que tu y as lue, et ses mots “ça a duré plus longtemps que la première fois, j’ai cru que ça ne se passait pas bien, j’ai cru…”.
Rappelle-toi que vous êtes d’accord pour ne plus recommencer. Parce que c’était éprouvant, physiquement, émotionnellement, psychologiquement. Parce que personne ne devrait vivre ça, c’est trop dur. Souviens-toi des espoirs sans cesse déçus : six puis deux puis zéro. Dix puis sept puis trois puis… N’oublie pas, même dans un an, même dans dix ce que tu as subi, ce que vous avez vécu, rien ne vaut tout ça, n’ayez aucun regret.
Souviens-toi des reproches des patients de ne pas en faire assez, alors que tu était au bout du bout, et que tu continuais quand même d’être présente, avec l’angoisse de mal faire car trop fatiguée. Peut-être qu’un jour tu mettras enfin ton poing dans la figure d’Associé, tu me diras si ça t’a fait du bien. Garde en tête ce désir de partir, ces projets de changement, son “on partira si tu le souhaites”, ce projet un peu fou qu’il a raconté un jour et auquel tu n’aurais jamais pensé, cette envie de dévisser qui monte.
Garde les mots gentils de tes parents, les chocolats offerts par une amie, les bougies allumées par d’autres, les mots doux de Germaine, les tweets de certains, les mails d’autres…
Souviens-toi des moments de rire quand il te racontait des blagues de Melon et Melèche pour que les injections soient moins douloureuses. De ses bras autour de toi quand tu soupirais “je n’en peux plus, c’est trop difficile”. De ses blagues, de niveau drôlatique variable, pour détendre l’atmosphère. Des repas préparés tous les soirs, des tupperwares prêts à emporter tous les matins, des chats nourris tous les jours, des tomates cueillies à ta place, de l’intendance encore plus parfaite que d’habitude.
N’oublie pas comme tu as été surprise de la vague de larmes déclenchée par la demande en mariage de Barney à Robin, le lendemain du dernier jour, alors qu’il avait toujours été un soutien sans faille et qu’enfin toi tu reprenais ta respiration, recommençais à dormir et retrouvais le sourire. Tu étais tellement épuisée que tu n’as pas vu, ou pas voulu voir, que ce n’était pas difficile que pour toi.
Quelle que soit la suite, je voudrais que tu n’oublies pas ce qui est important, ce qui est précieux, ceux qui sont précieux.
Et par dessus tout, n’oublie pas que tu l’aimes. Et combien tu l’aimes.
Inpes
Avant, je recevais mes patients, je les écoutais raconter leur problème, je prescrivais des médicaments, je leur offrais des pistes comme la relaxation, le sport puis je leur demandais ce qu’ils pouvaient changer dans leur vie pour aller mieux, j’avais écrit dans leurs dossiers qu’ils n’avaient pas de mutuelle, je les encourageais à chercher un autre travail, je renouvelais leur arrêt de travail pour leur permettre de ne pas retourner à celui qui les faisait pleurer le temps de reprendre pied et de trouver autre chose, je me demandais comment les envoyer chez le spécialiste à GrandeVille alors qu’ils n’ont pas de moyen de transport, je suturais les fronts des gnomes à coups de colle en leur racontant des histoires pour éviter à leur maman qui se déplace à vélo de devoir aller aux urgences, je faisais du tiers payant pour ceux qui me le demandent, je cherchais un vélo pour mon patient SDF qui apparemment n’aura pas de vélo puisqu’il semble être en prison, je relisais les ordonnances avec chaque patient en expliquant les modalités de prise, je faisais des tableaux récapitulatifs des traitements pour faciliter les prises voire je faisais passer l’infirmière pour préparer les traitements, je leur donnais les coordonnées de l’assistante sociale, je leur prenais rendez-vous pour une imagerie, je faisais déjà beaucoup.
Et puis j’ai reçu ce document de l’INPES dans mon courrier du jour. Et toute ma pratique a changé.
…
…
Non, je rigole.
D’habitude, ils envoient des dépliants, sur le tabac, sur l’alimentation, je les utilise, ou pas. Pour le tabac, je les trouve plutôt bien foutus.
Mais là…
Là, l’Inpes veut m’apprendre à prendre en compte les inégalités sociales en médecine générale. Et j’ai un peu l’impression qu’on se moque de moi.
Quand je lis que le médecin peut adopter une attitude proactive en adaptant ses pratiques pour améliorer l’efficacité de ses actions, je me dis qu’un gars a dû réfléchir longtemps et être bien payé pour trouver une telle phrase-pipeau.
Je pense à mes patients qui me racontent qu’ils sont dans le rouge à chaque fin de mois, et qui bouffent de la merde, alors qu’ils sont diabétiques et je me demande quelle attitude proactive je pourrais adopter pour identifier les obstacles à son suivi. Et la seule chose qui me vient, c’est qu’il leur faudrait de la thune pour acheter des légumes.
Et oui, je pense que je conseille de faire du sport à ceux qui ont un niveau socioéconomique haut parce qu’ils ont le cul vissé sur leur chaise tout la journée, alors que les maçons me disent que le soir ils sont de toute façon trop fatigués pour faire du sport. Je leur rappelle que le sport c’est pas comme le travail, ils me regardent comme s’ils avaient pitié de moi car je suis trop bête pour comprendre.
Comme conseillé par l’Inpes, je sais ce que font mes patients comme boulot, et c’est écrit dans leur dossier. C’est gentil de m’expliquer que savoir ce que font mes patients comme travail me permet de les situer socialement. Ah bon ? Mais non je ne sais pas s’ils sont à risque. Souvent quand ils déboulent dans mon bureau en pleurs, c’est autant une surprise pour eux que pour moi d’apprendre que leur boite va fermer.
Le tableau avec la traduction des questions est délectable : si je demande une adresse et que le patient me donne une adresse administrative, cela m’indique une situation précaire. NAN MAIS SANS DECONNER L’INPES?
J’aime aussi beaucoup l’item pouvoir orienter le patient vers des ressources proches de son domicile : terrains de sports, associations… Bien sûr oui. Mais à quel moment j’ai le temps de faire tout ça ?
Et puis conseiller d’utiliser des sites internet pour aider mes patients précaires, comment dire… Certains ont encore des Nokia qui supportent d’être plongés dans l’eau et qui tiennent 10 jours de batterie sans recharge car bon c’est dur à charger quand on vit dans sa voiture et qu’on s’est fait piquer sa tente. Bien sûr que c’est une situation extrême mais d’autres n’ont pas internet, ni d’ordinateur, et n’ont même pas de smartphones. Parce que oui des gens qui ne sont pas reliés à l’Internet* ça existe encore.
On peut continuer à tout décortiquer mais bon, j’ai du boulot qui m’attend.
Bref j’ai jeté le document à la poubelle et je vais continuer d’essayer de m’adapter au patient, selon ses capacités financières, de compréhension, de transport, etc. Je ne pense pas que j’y arrive toujours. Parce que malgré tous mes efforts, je ne me rends en effet pas bien compte de ce qu’ils vivent vraiment. Parce que je n’ai pas le temps, et que je ne suis pas assistante sociale. Parce que je ne connais pas les tarifs de tous les spécialistes du coin. Parce que je ne peux pas tout faire, tout simplement. J’essaie déjà de faire de la médecine, entre deux paperasses.
Ce document n’est pas une aide, c’est une provocation pour les médecins généralistes car ils les rend responsables des difficultés des gens, difficultés causées par des problèmes économiques auxquelles les médecins n’ont pas LA solution. C’est une nouvelle pirouette pour accuser les généralistes des difficultés d’accès au soin.
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* à l’internet : private joke, pour ceux qui se reconnaitront.
Un petit effort…
C’est passé relativement inaperçu. Il faut dire qu’il y a plus important que ce dont je voulais vous parler pour se crêper le chignon en ce moment : le tiers payant généralisé chez le médecin généraliste qui réglera évidemment tous les problèmes d’accès aux soins puisque les gens renoncent en premier aux soins dentaires et aux lunettes… Effets d’annonce et de manches. C’est bien expliqué ici.
Et puis Catherine Lemorton, occupe un peu le terrain médiatique en insinuant que les médecins libéraux laissent mourir les gens. Oui, c’est vrai, quand ils m’appellent à 17h pour un nez qui coule et que je refuse un rendez-vous pour le jour-même, parfois ils me menacent d’un « on peut mourir alors » et ils vont probablement gonfler les statistiques de ceux qui ont dû « renoncer au soin car il n’y avait pas de médecin disponible » en prenant une pose à la Sarah Bernhardt.
Bref, l’autre jour, VanRoeky a parlé et a a été relayé par le Quotidien du Médecin :
« L’Assurance-maladie pourrait économiser 500 millions d’euros si les médecins augmentaient la part des médicaments génériques dans leurs prescriptions, a affirmé sur RTL le directeur général de la CNAM, Frédéric van Roekeghem. « Un petit effort des médecins à mieux prescrire le médicament, moins d’antibiotiques, plus de médicaments génériques lorsque c’est possible, nous permettrait tout à fait de dégager des marges de manœuvre sans dérembourser les patients et d’introduire les innovations », a ajouté le patron de la Sécu.
Bien sûr. Applaudissements.
Parce qu’évidemment, si l’assurance-maladie va mal, c’est à cause des médecins. Comme d’habitude. Ces salauds qui prescrivent trop, trop d’antibios, pas assez de génériques. Pfff.
Ben scoop, pas seulement à cause d’eux.
Parce que les gens n’aiment pas les génériques. Même si certains c’est juste par principe. Et yen a qui ne comprennent rien parce que quand ils ont eu un princeps prescrit en premier, faut que j’écrive « non substituable », sinon le nom change à la délivrance du médicament. Pas très logique car les médocs que j’ai prescrit en DCI, là ça ne les dérange pas d’avoir le générique puisque c’est le même nom sur l’ordonnance et la boite, donc ce n’est pas un générique. Ça me donne mal à la tête d’essayer de comprendre. VanRoeky ne s’est pas posé la question de savoir si présenter les génériques comme une punition, c’était finaud de sa part dès le début, pas sûr que ça aide bien à faire accepter la substitution. Au début, j’ai perdu du temps à expliquer le princeps, le générique, la dci, etc. J’ai perdu tellement de temps… De toute façon, je prescris en DCI. Et s’ils ne veulent pas du générique pour les autres qu’ils ont depuis longtemps, j’écris consciencieusement comme une punition « non substituable » de ma belle écriture de docteur. Et quand ils aiment d’amour le Doliprane, je prescris Doliprane et pas du paracetamol.
Alors l’autre effort demandé, c’est les antibiotiques, sauf que ne pas prescrire un antibiotique, ça prend du temps ! Prescrire, c’est facile, on dit juste : voilà vous prendrez ça matin et soir pendant 6 jours. Dix secondes ça prend ! Mais ne pas prescrire, c’est long, faut expliquer que ça passera tout seul, que c’est viral, et que non l’antibiotique ne marchera pas même si la bouchère elle a dit que son médecin à elle il lui met toujours un antibio et que ça passe plus vite, qu’il faut dormir, laver le nez, et que la toux c’est quinze jours, voire plus, etc. Donc je perds encore ce temps-là, parce que je suis encore convaincue que moins on en prescrit, moins il y aura de résistances à type collectif, et moins d’effets indésirables, à titre individuel.
Donc tout ça c’est du temps. Le temps c’est malheureusement de l’argent. Alors avec l’URSSAF qui a augmenté, la prochaine obligation de payer une mutuelle aux employés, EDF qui va augmenter aussi, le gars qui tond la pelouse du cabinet qui a augmenté sa facture parce que si tout le monde le fait, pourquoi pas lui, ben si on voulait moins prescrire, il faudrait plus de temps par consultation. Donc il faudrait revaloriser les consultations.
Mais ce même VanRoeky* expliquait en 2012 qu’on ne pouvait pas augmenter le prix des consultations parce qu’il fallait que les médecins voient plus de patients. Donc pour les stimuler à en faire plus, on n’augmente pas le coût du C.**
Et cerise sur le cake : VanRoeky prévient que si on ne fait pas de « petit effort », cette pauvre CNAM ne pourra pas dégager des marges pour rembourser et innover. Je traduis : si VanRoeky dérembourse, ce sera encore de ma faute. Notre faute à tous, les nantis en Porsche Cayenne.
Ben moi j’en ai marre, je ne ferai pas de petit effort, ni de gros. Maintenant je facture tous les actes, comme me l’a expliqué ma déléguée d’assurance maladie quand j’ai râlé que mon volume de prescription rapporté à mon activité était déconnecté de la réalité puisque je faisais des actes gratuits. L’acte gratuit c’est le mal. Genre si tu renouvelles l’arrêt de travail du cancéreux pour deux mois sans compter une consult, ben tu perds une consultation dans ton ratio nb jours d’arrêt / nb consultations.
Et mon culpabilitomère est à zéro.
Et si ça continue, j’irai en Suisse. Ou plus loin.
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Je n’ai pas l’habitude de linker des trucs comme ça, mais ça m’a un peu remuée. Pis c’est un peu en lien, puisque c’est une sombre histoire de paperasseries de sécu.
Et vous pouvez signer ici si ça vous remue aussi, merci.
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* à la minute 57 : « on a bien pensé à faire des consultations longues à 46 euros, mais ce que nous ne souhaitons pas, c’est que le prix de la consultation augmente, que les médecins prennent plus de temps, parce qu’on a besoin des généralistes pour soigner la population française. Il faut dire que nous avons des généralistes qui travaillent beaucoup. » Puis il nie le temps de travail passé en niant les 25 euros de l’heure gagnés par généralistes, estimés par MGFrance selon le temps de travail, les congés qui ne sont pas payés, etc.
** Pour une fois que la cause c’est même pas la crise, mais la pénurie de docteurs. Faut dire que c’est la faute des jeunes ne s’installent pas ces feignants***, ça fait plus de boulot pour ceux qui sont installés et ceux-là, on va les épuiser jusqu’à la corde à leur faire voir des rhumes et signer des certifàlacons. Là on a énuméré tous les pompons de la pomponette.
*** Second degré, je précise, on ne sait jamais.
Les vaches seront bien gardées
Nous avons échoué.
Nous avons échoué alors je me suis demandée : pourquoi y retourner alors que malgré tous les efforts, le test était négatif. Est-ce que ça aurait marché si nous avions essayé en France ? Qu’est-ce que j’aurais pu faire de plus ? Pourquoi continuer d’aller là-bas alors qu’on doit tout payer et que le remboursement risque d’être une longue bataille, en France tout serait pris en charge ?
C’est à ce moment qu’un courrier du Centre est arrivé, Centre qui s’est enfin aperçu que LePoilu n’avait pas fini ses prélèvements, et mon estomac s’est noué. Et il se noue chaque fois que je repense aux reproches du DrPasGentil quand LePoilu a pris du selenium, à ses moqueries quand j’ai dit que l’hystérographie était un examen un peu douloureux, aux après-midis entières de boulot perdues pour un seul rendez-vous et des heures d’attente dans une salle bien nommée d’attente, à son « non » catégorique pour un protocole court « parce qu’ici c’est comme ça », aux mots « bons candidats » dans sa bouche et au mépris dans ses yeux quand j’ai dit que oui je préférais une anesthésie générale pour la ponction…
Je préférais retourner où on m’a tenu la main pendant qu’on m’endormait pour le prélèvement, là où on m’a caressé le bras pour me dire sans les mots qu’on était là pour moi, là où on ne nous a jamais dit qu’on était de « bons candidats », là où on répond à nos questions, là où on nous sourit…
Et puis ils nous avaient demandé de revenir. Je me suis quand même demandée pourquoi LePoilu avait pris rendez-vous si tôt. Pourquoi si tôt après l’échec, et pourquoi si tôt le matin.
Parce que le réveil à 5h45, ça pique un peu les yeux. Et malgré l’heure, il y a déjà tellement de voitures, les bouchons commencent et c’est stressant car on n’aime pas être en retard.
En salle d’attente, j’ai essayé de lire Kundera, mais nos voisins ultra-tatoués et percés étaient bien plus intéressants à étudier et j’ai fini par poser ma tête sur l’épaule du Poilu qui jouait à CandyCrush. DrHans avait un peu de retard. Il était comme d’habitude souriant. Une ombre a voilé son visage quand il a dit : 6 ovocytes, 4 œufs, 2 implantations, et rien. Puis il a demandé la date de mes dernières règles, il a attrapé un calendrier, et il a dit « bon on commence la semaine prochaine ? « .
Nous on s’était dit qu’on attendrait octobre, parce que le centre serait fermé en août. Et que là c’était trop tôt. Et puis septembre LePoilu serait en déplacement alors octobre, voire même novembre, ce serait bien, comme ça, après ce serait Noël, les marchés, les lumières et ce serait moins douloureux en cas d’échec, et après on partirait en vacances en janvier au soleil. Tout était bien planifié et les vaches seraient bien gardées.
LePoilu a ouvert la bouche. En sortant mon agenda, j’ai dit « la semaine prochaine ça ne va pas être possible ». LePoilu a fermé la bouche. DrHans a dit qu’ils fermaient en août mais seulement jusqu’au 15, alors il a plissé les yeux, calculé des trucs sur son petit calendrier, et a dit « alors le 18 Août ? « . LePoilu a demandé si ça serait le même protocole. DrHans a répondu que non, si on rate, on change. J’ai mmh-mmhé. Je me suis grattée le menton, le voyage en avion du Poilu posant problème. LePoilu a regardé mon agenda, et on a commencé à calculer des trucs. DrHans a dit de sa voix calme : « Ne calculez pas, vous me dites quand, et moi je calcule, et j’adapte, c’est mon travail ». Alors on a choisi de changer complètement de protocole, ce sera plus long, mais ce sera quand même bientôt. Nous n’avions plus de questions.
Nous avons serré la main de DrHans qui souriait. Et j’ai proposé au Poilu d’aller manger un pain au chocolat accompagné d’un café. Mon premier pain au chocolat allemand. Différent et semblable à la fois. Commandé par moi, dans un allemand bafouillant.
– C’est trop tôt pour toi ?
– Non, mais on avait dit octobre, alors…
– Ben c’est sûr que niveau remboursement, pour l’instant on n’a rien. Financièrement on peut ?
Il a souri et dit en hochant la tête :
– On peut.
– Bon, j’ai bien vu que t’avais tiqué, qu’est ce qui te gêne ?
– On avait dit plus tard et là…
– Oui je sais, on avait dit octobre car on pensait qu’août n’irait pas. Pour le boulot, c’est mieux comme ça. Et j’ai besoin de le faire. Dans deux mois, je n’en pourrai plus d’attendre, comme la dernière fois. Et on vieillit, quand même – il sourit – et puis si on doit échouer encore, autant que ce soit maintenant.
– Mais c’est quoi ce protocole long ? Ca sera moins de piqûres ?
– Non, ce sera plus. Et je mériterai un énorme diamant pour tout ça. Déjà que c’est moi qui paie les pains au chocolat.
Je lui ai fait un clin d’œil. Il a ri et il m’a embrassée dans le cou.
Chacun a repris sa voiture. J’ai pleuré dans la voiture, nerveusement. Je suis arrivée au cabinet largement à temps, j’ai briefé secrétaire concernant la suite. Elle est prête à annuler des rendez-vous, je suis prête aux réflexions qui suivront. Elle m’a souri. Ça ira.
Et là, j’ai compris. Il fallait y retourner, ne pas laisser l’échec s’installer. Et il fallait retourner là-bas. Pour la confiance, pour les sourires. Parce qu’un poids est parti de mes épaules quand DrHans a rappelé que c’est lui qui s’adapte. Parce qu’avec eux, je sais qu’on me tiendra la main. Parce ce qu’au moins on peut y aller tôt le matin, même si ça pique les yeux. Parce que ça laisse le temps de prendre un café accompagné d’un petit pain. Parce que ça laisse le temps de se tenir la main.
A partir de quand…
Il y a des jours comme ça où le matin tu quittes la maison, tu penses « cool, c’est le printemps, le soleil brille, les papillons volent, les gens sont probablement partis à la piscine, je vais pouvoir vérifier qu’il reste des médicaments non périmés dans ma trousse d’urgence, faire le point sur le matériel, et pourquoi pas vérifier les impayés de la sécu si je suis d’humeur un peu folle ».
Tu prends un café, tu rigoles bêtement avec Secrétaire, tu hésites à faire un croche-pied à Associé quand il passe, il te dirait peut-être bonjour comme ça. Jusqu’ici tout va bien. Puis bon, c’est l’heure alors tu appelles le premier. Et là brutalement ça commence.
Ça commence par quelqu’un qui te parle de cette famille. Comme lui, tu t’es fait avoir par ce que tu voyais ou croyais voir, cette spécialiste aussi, qui s’est permis de te téléphoner pour t’engueuler après coup, alors que tu as géré comme tu as pu. Tu ne dis rien, tu fais mmh mmh. Secret médical. Ton interlocuteur se trompe. Mais toi tu sais. Une fois de plus l’adage « un enfant que tu pourrais avoir envie de secouer est un enfant battu » s’est révélé vrai. Mais tu t’étais trompée de coupable. Et puis c’était encore plus compliqué que ça, et ça l’est encore. Même si maintenant l’enfant sourit.
Monsieur Triste raconte qu’il perd son emploi. Il a changé de patron. Le nouveau était à une époque marié avec sa sœur. Il se retrouve au chômage pour une vieille histoire de famille qui ne le regardait pas vraiment.
Ça continue par une maltraitance médicale. Tu te demandes bien comment c’est possible, franchement. C’est triste, mais triste. On ne fait pas médecine parce qu’on veut être méchant et s’en mettre plein les fouilles, on fait homme politique dans ce cas. Ou alors je me suis trompée ?
Tiens donc, voilà MrCancer, bien mal en point aujourd’hui, tellement qu’en le voyant du bout du couloir, tu as déjà ton téléphone dans la main pour l’hospitaliser. Comment a-t-il pu attendre jusqu’à aujourd’hui ? Et pourquoi ? En creusant un peu, évidemment MrCancer a fait comme d’habitude, il a arrêté certains médicaments, ça explique très bien le diagnostic déjà fait à vue de bout de couloir. Combien de temps va-t-il tenir comme ça ?
Mme Déprimée touche le fond plus que d’habitude. Difficile de savoir où s’arrête le syndrome de persécution et où commence la réalité.
Ça enchaîne avec un inceste. Tu te doutais bien que c’était un truc comme ça, depuis le temps, sous la montagne des symptômes et examens divers et variés. Une souffrance enfouie sous une souffrance montrée.
Arrive Monsieur Fatigué qui n’en peut plus de gérer ses deux parents déments. Tu penses que toi à sa place, tu n’en pourrais plus non plus.
Après Mr Gentil raconte sa nouvelle vie, avec cette femme, ses enfants, et les menaces de l’ex-mari. Des menaces. Du stress. De la peur. Des plaintes. Des gendarmes.
Et puis arrive cette fille qui d’habitude a gravement la patate, mais aujourd’hui pas. Elle est harcelée au boulot, elle ne comprend pas. C’est dur de lui remonter un peu le moral, d’éclaircir l’avenir.
Entre deux, quelques nez qui coulent, un peu de gynéco, mais pas suffisamment de futilités pour compenser.
Et puis la journée s’est enfin terminée.
Enfin.
A quel moment ça devient trop pour une seule paire d’oreilles. A quel moment apparaît l’envie de placer ses mains sur ces oreilles-là en chantonnant « j’entends rien, lalala, j’entends rien ».
A partir de quand on pense à la bouteille de rhum qui doit encore traîner dans le bar, enfin on espère parce que ça fait longtemps qu’on n’y a pas touché, et pis s’il n’y a plus de rhum de Marie-Galante, il y aura bien un rhum arrangé qui traînera quelque part, moins bon, mais tout aussi efficace pour anesthésier l’esprit et dormir dans un semblant de calme. Et on pense à AssociéEnBaskets, lucide, qui a dit « et ben ce sera un miracle si on ne finit pas tous alcooliques ».
A partir de quel moment le soleil arrête de briller et les oiseaux de chanter dans la tête… et qu’on a seulement hâte de se serrer tout contre celui qu’on aime pour sentir l’odeur de son cou, caresser la peau de son ventre, au milieu des vapeurs de rhum, pour oublier ce dont l’Homme est capable en attendant qu’un nouveau lever de soleil nous fasse croire que la vie est belle.
Mais…
Que se passera-t-il quand même le rhum ne sera plus assez fort pour anesthésier les pensées ? Que se passera-t-il quand les levers de soleil ne suffiront plus à balayer la noirceur ?
Quand est-ce qu’on bascule ?
NB : ça va, ne vous inquiétez pas. Et merci pour vos petits mots 🙂
Et vous, vous faites quoi le 10 Mai ?
Comme le 10 Mai c’est la Sainte-Solange, et que « c’est à la Sainte-Solange que l’on ferme la grange », et bien le 10 mai, je serai à Paris – comment ça vous ne voyez pas le rapport? – Et à 16h, je serai à Barbès chez Gibert Joseph. Avec mon stylo, mes petites mains pour le tenir, et mon cerveau pour tenter d’écrire des choses intelligentes, ou presque, sur des livres dont la couverture montre un oeuf rafistolé avec un sparadrap.
Donc si ça vous dit de passer, vous pouvez vous inscrire là. Et si vous n’êtes pas inscrit, venez quand même, qu’on discute.
Et je vous promets qu’on ne défilera pas dans la rue en portant une statue de Sainte-Solange en costume traditionnel.
A samedi !
Ces cheveux qui tombent
Je t’ai serré dans mes bras. Pas assez longtemps, et pas assez fort. De toute façon, t’es trop grand pour moi. Et pis je voulais pas pleurer sinon je t’aurais foutu de la morve sur ta jolie chemise. Alors j’ai sautillé d’un pied sur l’autre, comme quand je ne sais pas vraiment quoi faire. Puis je suis montée dans la voiture et j’ai secoué ma main par la fenêtre pendant que tu rentrais dans la maison, disparaissant du rétroviseur. Pourtant, j’aurais voulu t’en dire des choses.
J’aurais voulu te remercier de nous avoir accueillis, d’avoir pris soin de nous à ce moment où nous en avions tant besoin. Je suis arrivée le cœur gros, les yeux encore humides, et je suis repartie plus sereine. Bien sûr, boire du Bourgogne, ça aide, et manger des cannellonis au fromage au nom imprononçable, j’en parle même pas mais tout ça n’est rien comparé à ta gentillesse. J’aurais voulu te raconter que Le Poilu m’a dit « Sa voix fait du bien, elle est très calme ».
J’aurais voulu te remercier d’avoir supporté et même ri aux blagues du Poilu qui, plus il est stressé, plus fait des blagues pourries qui ne font rire que lui. Alors chapeau, hein, vraiment parce qu’en ce moment, il touche des sommets.
J’aurais voulu t’expliquer pourquoi j’allume toujours des petites bougies dans les églises. Parce que je pense à ceux qui voudraient être aimés, à ceux qui le sont mais qui n’arrivent pas à avoir de bébé, à ceux qui ont perdu celui qu’ils aimaient… Faut pas que je rentre dans trop d’églises, sinon ça finit par coûter cher en cire.
J’aurais voulu te dire qu’on ne juge pas la réussite d’une vie à un célibat. J’aurais dû te dire que je te trouve bien plus détendu qu’avant, quand il était là. Et que moi je te préfère comme ça. Même si je me doute bien qu’au jour le jour, c’est pas ça qui crée une présence à la maison quand tu rentres le soir. « Réussir sa vie », ça consiste en quoi hein, franchement?
J’aurais voulu te dire qu’on s’en foutait des cons sapés comme des caricatures qui ont probablement défilé à la Manif pour tous. Mais en fait, on ne s’en fout pas, et ça blesse, je sais bien. Au moins, on a ri d’eux, un peu. Et je ne les envie pas, même s’ils ont réussi à fabriquer des mini-Marie-Clotilde et mini-Clotaire.
J’aurais voulu pouvoir adoucir ta tristesse. J’ai eu envie de te serrer tout fort pour te murmurer combien tu es beau, et sexy, oui oui. Qu’on s’en tape des cheveux qui tombent. Qu’à notre âge, on commence à sentir parfois que les années passent mais qu’on a encore du temps devant nous et que l’amour c’est à tout âge. Tu verras, on en rira quand je viendrai me réfugier chez toi pour picoler parce que mes trois grands benêts d’ados me gonfleront trop, que tu me parleras de ton mec qui t’énerve parce qu’il est encore parti au sport et qu’on aura les cheveux blancs mais qu’on s’apercevra qu’on n’a jamais cessé d’être beaux.
J’aurais voulu te dire tout ça. Mais je sais pas vraiment dire les choses, souvent je suis maladroite. J’ai pas osé. Alors je pense à toi, simplement. Et j’attends avec impatience la prochaine fois que tu verseras du vin dans mon verre.
Une histoire d’oeuf

Je suis un peu comme un oeuf. Un oeuf à la coquille à la fois solide et fragile. Une coquille qui se fendille parfois et sur laquelle moi ou l’Autre collons un petit pansement pour que je continue de rouler. Rouler irrégulièrement mais rouler. Un oeuf à l’intérieur schizophrène. Jaune et blanc. Calme et en colère. Battant et fatigué. Heureux et triste. Soignant mais pas dévoué.
Ce fut un peu comme une conception. J’ai cliqué sur “créer un blog”. Je l’ai créé à mon image. J’ai choisi une police que j’aime lire. J’ai fait la mise en page du mieux que j’ai pu. J’ai appliqué des couleurs qui sont douces à mes yeux. J’ai mis un peu de moi, un peu des autres, beaucoup de l’Autre.
C’était un peu comme une gestation. Je l’ai nourri, je l’ai l’abreuvé. Les commentaires que d’autres y ont fait ont nourri mes réflexions. Ma vision de certaines situations a changé. J’ai grandi. J’y ai trouvé la force de continuer. Je prends soin de l’Autre. L’Autre prend soin de moi. Et je finis par prendre soin de moi, parfois.
Ce fut un peu comme une échographie. J’ai eu rendez-vous. On m’a dit : regardez, ça c’est bien, ça moins, on pourrait tout grouper et tout faire sortir en même temps. Alors j’ai trié, repris, réécrit, regroupé.
Ce fut un peu compliqué. On n’était pas d’accord sur le nom, ni sur l’image, ni sur mon pseudo. Et finalement, il me ressemblera.
C’est un peu comme un arrêt maternité. J’attends. C’est long.
Et j’ai peur. Certains l’ont déjà commandé et j’ai peur qu’ils n’aiment pas. J’ai peur que ma famille ne l’apprécie pas, mon frère m’a déjà demandé s’il serait obligé de le lire :/ J’ai peur que mon Poilu, qui ne m’a jamais lue, ne comprenne pas. J’ai peur de donner une mauvaise image de ce métier que j’aime. J’ai peur qu’on me pose des questions auxquelles je ne saurai pas répondre. Je n’ai plus peur pour mon anonymat. Ce n’est qu’un roman. Mais je ne suis pas encore prête à laisser tomber Fluorette, elle est ma coquille. Je vais rester au chaud dedans encore un peu.
Ce sera un peu comme une éclosion qui aura lieu le 16 Avril. Un recueil de ce cheminement. Une histoire d’oeuf qui a roulé. Des histoires d’oeufs qui se sont cassés. Une histoire d’oeufs qui se sont rencontrés.
Ce sera disponible ici en livre papier ou version kindle.
On m’a demandé comment faire pour les dédicaces, ce n’est pas prévu. Mais si vous êtes libraire et que vous voulez qu’on s’organise un petit quelquechose, contactez-moi, il y a peut-être moyen de se rencontrer. Ca me ferait plaisir de vous voir.
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Consécutive à…
Je suis devant la feuille bleue. Et je ne sais pas quoi écrire. Parce que je ne sais pas pourquoi ce patient est mort.
Enfin je sais, hein, son coeur s’est arrêté. Voilà.
Mais deux problèmes : il faut remplir la feuille bleue sur laquelle il y a plein de lignes.
Maladie ou affection(s) morbide(s) ayant directement provoqué le décès : ………………………………………
Due à ou consécutive à : …………………………………………..
Due à ou consécutive à : …………………………………………..
Due à ou consécutive à : …………………………………………..
Dans les exemples donnés en dessous, ça a l’air simple : noyade consécutive à suicide, toxoplasmose consécutive à SIDA. Cas rares.
Et puis, deuxième problème, et c’est le plus difficile, il faut que j’explique à la famille pourquoi il est mort.
Et je ne sais pas. Honnêtement, je ne sais pas. Il n’était pas si jeune, il n’était pas si vieux, il n’était pas si malade. Et il y a peu d’indices. Je me dis que parfois, une autopsie serait utile.
Alors voilà, je suis assise devant la feuille bleue, deux sont assis avec moi à la table, le troisième est accoudé à la fenêtre et regarde dehors. Il propose d’aller faire du café. Oui, bonne idée, ça m’aiderait peut-être à réfléchir. Parce qu’il est tard, ou tôt, enfin c’est selon. En tous cas, la journée va être longue après ça, pour nous qui restons. Je sors mon téléphone de ma poche, pour confirmer la date. Consciencieusement je note la date et l’heure. Une fois, j’ai oublié l’heure, l’employée de mairie eue par la suite au téléphone a failli en faire un infarctus. Je signe, je tamponne. Je regarde la feuille bleue, je secoue mon stylo, j’attends le café.
C’est calme aujourd’hui, personne ne crie « pourquoi, pourquouaaaaaa », ils ne se reprochent pas des trucs entre eux. Peut-être attendent-ils que je sois partie.
Sa fille parle du temps qu’il fait, et si c’est pas malheureux quand même ce verglas, ça ne va pas faciliter… Je n’écoute pas, j’essaie de mettre les pièces d’un puzzle dans ma tête. Mon examen clinique post-mortem ne m’a pas aidée. Il n’y a pas si longtemps qu’il a fait du vélo chez le cardiologue, ça s’était bien passé. Il n’avait pas d’antécédent familial connu. Et je ne crois pas que cette mort ne soit pas naturelle. Bon. En écrivant sa date de naissance, je pense qu’il avait le même âge que mon père.
Le café arrive. Je remercie. Je souffle un peu dessus. Je regarde dehors les oiseaux qui se goinfrent dans la mangeoire.
Sa femme dit qu’il va falloir appeler le curé. S’ensuit un débat, parce que son fils ne veut pas qu’il vienne.
Pendant ce temps-là, j’écris « arrêt cardiorespiratoire ». Et sur la deuxième ligne, j’écris « âge ». Voilà. Toute cette réflexion pour ce résultat. Il parait que c’est pour les statistiques. Vont pas être déçus aujourd’hui aux statistiques. Je lèche les bords du certificat et je le colle.
J’ai fini mon café. Ils me regardent tous. Je dis « Bon voilà, il a fait un arrêt cardiaque ». Ils hochent la tête. Apparemment, ça leur suffit.
Je me lève, je dis au revoir. Sur le chemin du cabinet, je passe acheter des pains au chocolat, ça fera plaisir à Jacques, qui râlera d’abord qu’il a déjà déjeuné et qu’il a pris du poids ces derniers temps, mais qui en mangera quand même un, voire deux.
Et arrivée au cabinet, comme il est trop tôt pour l’appeler, j’envoie un mail à mon papa.
Un boulot facile
Une journée un peu plus stressante que d’autres. Une journée où pendant les visites matinales, Secrétaire m’appelle cinq fois. Un fois pour une visite urgente pour un malaise et quatre fois car elle a refusé des visites supplémentaires, estimant que je vais déjà avoir du mal à finir la liste qu’elle m’a donnée ce matin, mais souhaitant avoir mon assentiment car elle n’a pas envie de passer à côté de quelque chose.
Je passe entre deux à la poste pour y poser l’enveloppe qui contient ma demande de prise en charge en ALD pour ma FIV. Ce sera difficile d’être présente au cabinet et d’assurer le suivi de mes ovaires en même temps. L’assurance m’a expliqué que non, ça ne rentre pas dans les clauses d’aide financière, que si je m’arrête, je ne serai pas couverte. Les différents centres consultés sont unanimes, je ne peux pas prévoir de dates à l’avance et trouver un remplaçant en dernière minute me semble un vœu pieu. Et puis Associé en profitera pour balancer des vacheries sur ma fainéantise aux patients.
Ma dernière visite est bien plus grave que prévu. Mme F est dyspnéique, elle me fait peur. J’appelle le 15. Ils m’envoient les pompiers, qui mettent un peu trop de temps à mon goût à arriver. C’est pas le fait de surveiller son pouls toutes les deux minutes qui fait remonter sa saturation. Alors je lui parle pour dédramatiser, pour penser à autre chose, elle rit un peu.
Je rentre tard au cabinet, j’ai à peine le temps de manger. Puis j’appelle un chirurgien pour un avis. Et je fais entrer le premier patient de l’après-midi. La salle d’attente est pleine.
Les motifs de consultation défilent. Quelques suivis de problèmes graves aujourd’hui. Et des histoires bizarres, pas franchement urgentes à vue de nez, mais pas franchement rassurantes non plus. Le genre d’histoires qui me font flipper de peur de passer à côté de quelque chose et auxquelles je repense la nuit, au lieu de dormir.
Le téléphone sonne à trois reprises : l’hôpital pour Mme V, hospitalisée, un spécialiste pour Mme I que je lui ai envoyée ce matin et le comptable parce que j’ai oublié de payer la taxe foncière de la SCI qui aurait dû être versée il y a 4 mois maintenant. Oups. A chaque fois, il faut se dépêcher, pour ne pas perdre trop de temps, et à chaque fois, il faut reprendre le fil de la conversation en cours.
J’ai soif. Je prends deux minutes pour chercher un coca et aller aux toilettes. Et quand je reviens, ils sont plus nombreux. Je refuse Mr C qui est venu sans rendez-vous. La secrétaire m’explique qu’elle l’avait prévenu.
Je vois le planning qui s’allonge pour ce soir, des fièvres d’enfant. Je me demande à quelle heure je vais encore rentrer.
Lorsque Mme A s’installe sur la table d’examen, son fils de 4 ans essaie de s’y installer avec elle. Alors, en riant, elle lui dit « tu veux faire docteur plus tard? ». Il ne répond pas. « Mais si, c’est un boulot facile, sans stress, toujours à l’intérieur ».
Oui, voilà, un boulot facile, sans stress, toujours à l’intérieur, dont les études sont payées par la collectivité, avec un revenu garanti et élevé, etc etc.
Normal qu’on nous montre du doigt. Normal que les gens nous détestent.
Brève ophtalmique
Mme A est diabétique. Je ne suis pas en retard dans le planning, je me dis qu’aujourd’hui est un bon jour pour faire la « consultation annuelle de suivi », moment où j’essaie de refaire le point sur les consultations chez les spécialistes, le planning des bilans biologiques de surveillance, etc.
– Bon Mme A, vous avez vu le cardiologue en novembre, l’angiologue en décembre. Quand est-ce que vous irez chez l’ophtalmo?*
– Ben en mars, j’y vais deux fois par an.
– Deux fois? L’ophtalmo? Pour quoi faire?
– Ben pour mes yeux.
Voilà. L’ophtalmo, pour les yeux. Moi et mes questions aussi…
* Chez les diabétiques, il est de bon ton de faire une consultation annuelle chez l’ophtalmologue, pour éliminer une rétinopathie diabétique.
Léa passion bricolage option dévissage de plaque

Hier, j’ai pris du temps pour écouter un jeune homme me parler de ses difficultés à gérer sa mère dépressive. Je me suis battue pour obtenir un rendez-vous rapide pour un sportif de haut niveau. La patiente dont je sens le mal-être depuis toujours a enfin réussi à m’en parler. J’ai fait beaucoup de kilomètres pour aller voir Edmond, son handicap, et sa femme qui n’en peut plus. Je suis rentrée au cabinet et j’ai fait un frottis, tranquillement, j’ai tenté des blagues pour dédramatiser l’acte. J’ai ouvert un pansement parce que je voulais voir, et j’ai vu, j’avais bien fait d’ouvrir, mais ça a été long à refermer. J’ai posé un implant. J’ai appelé Gertrude, afin de réévaluer sa douleur. J’ai palpé une boule au sein, et ça sent mauvais. Certains toussaient aussi, j’ai expliqué, pour tenter d’éviter de prochaines inutiles consultations. Etc etc.
J’ai fini ma journée sur les genoux, comme souvent. Je suis rentrée agressive à la maison, comme parfois. Et LePoilu m’a traînée au sport, geignante et râlante, comme chaque semaine. Alors que j’avais juste envie d’aller dormir.
Et puis là-bas, quelqu’un m’a expliqué : « Moi tout ce que j’attends d’un médecin, c’est que je vienne comme ça, qu’il me prenne tout de suite, qu’il fasse le bon diagnostic, qu’il me donne un traitement et que je rentre à la maison ». Quelqu’un qu’on voit entre deux portes, devant les oreilles de tous ceux en salle d’attente, mais tout de suite, et vite, et qui sort du cabinet avec une ordonnance à la main.
J’ai pensé que je suis vraiment trop con. Moi qui fais asseoir les gens, qui ferme toujours la porte de mon cabinet, qui tente de faire de la prévention, qui explique dans l’espoir de diminuer le nombre de consultations globales, qui note des mots dans les dossiers, qui vais en formation, qui lis des études… Moi qui vois mes patients partir parce que je n’ai pas prescrit un sirop, parce que j’ai proposé un rendez-vous seulement trois heures plus tard pour un problème loin d’être urgent, ou parce qu’ils partent tout simplement pour des raisons que je ne connaîtrai jamais.
Au fond, qu’est ce qui me fait le plus mal dans tout ça?
L’impression de ramer toute seule pour tenter de faire du bon travail, de la prévention, moins de prescription, moins de « bilans biologiques complets » etc. Cette impression d’être un pion qui lutte pour faire un travail du mieux qu’il peut dans un système qui fait tout pour que ce travail soit vite fait en transformant les médecins traitants en simples aiguilleurs vers les spécialistes?
Le fait de ne pas réussir à torcher toutes mes consultations en cinq minutes? Mon incapacité morale à voir trois patients à la fois dans le couloir et mon bureau en virevoltant avec leurs Carte Vitale?
Ou ce sentiment d’isolement professionnel?
Ou le fait que mes consultations aient la même valeur financière que si je les baclais, ne prenant en compte ni le temps passé, ni le nombre de motifs évoqués pendant ces consultations, ni l’économie réalisée sur des consultations suivantes évitées.
Ou encore le fait que dans le système, étant « jeune » installée, je n’ai toujours pas touché un centime de ce fameux ROSP censé valoriser notre travail (même si je pense encore au fond que ce système n’est pas le bon). Même pas la partie « récompensant » l’équipement informatique?
Ou le fait d’être « quittée » pour une non-prescription de sirop, entrainant une remise en question douloureuse, pas forcément utile. Je sais pourtant que les patients vont et viennent au gré de la météo. Je le sais mais j’ai l’impression d’avoir perdu une confiance que je croyais avoir gagné.
Ou ce ras-le-bol de voir encensées dans la presse certaines installations vues comme providentielles de médecins, sans jamais revoir les bases du problème?
Ou le fait que quoi que je fasse, ce n’est jamais assez aux yeux de certains. Malgré cette impression de courir, toujours.
Ou l’accumulation de tout?
Je tente de me rassurer : j’aime mon métier, j’aime bien les gens, je ne vois pas quoi faire d’autre, certains jours je me sens utile, je m’ennuierais à la maison… Je manque juste de confiance en moi ces derniers temps. Et puis il ne fait pas beau. Et j’ai envie d’aller skier, ou juste de faire un bonhomme de neige. Et puis ce n’est pas le jour, je commence à avoir mal au ventre, la chute hormonale me rend triste. Les nausées des jours précédents m’avaient donné un fol espoir et comme chaque mois, mon propre corps m’a trahie.
Ah ça, je peux trouver plein de raisons justifiant cette sensation de malaise, des tonnes. Mais au fond, je sais que le jour se rapproche où la balance penchera du côté qui fera sauter ma plaque de docteur du mur où elle est pour le moment vissée.
Alzheimer
La consultation est finie, son mari m’a déjà serré la main et l’attend dans le couloir. Je m’apprête à lui dire au revoir mais je remarque son écharpe rouge oubliée sur mon bureau, je l’attrape et lui tends.
Elle sourit et me dit « c’est ça le problème avec moi, ma tête est sur mes épaules, mais elle est vide, complètement viiiiiiiiiiiiiiide! ».
Elle m’attrape par les épaules, me fait une grosse bise sur chaque joue puis me dit « Merci beaucoup, à la prochaine ». Et elle rejoint son mari.
Je reste plantée là quelques minutes, surprise de cette démonstration inhabituelle d’affection et de cette phrase. Tellement lucide.
La vie c’est comme une boite de chocolats…
Assise sur le bord du coffre de la voiture, je tente, malgré le vent qui me colle les cheveux dans les yeux, d’enfiler mes chaussures de randonnée. Le Poilu a déjà sorti le sac à dos. Je doute que nous manquions d’eau, il ne fait pas vraiment chaud. Nous sommes en juillet mais c’est le premier jour de beau temps depuis que nous sommes arrivés, le vent souffle sans s’arrêter, il a chassé les nuages.
Je râle. Il est grand temps de faire couper cette touffe de cheveux. Quelle idée de les laisser pousser comme ça. Évidemment, je n’ai pas emporté d’élastique. Cette après-midi sera longue…
Les autres refont le point sur le contenu des sacs, il doit manquer quelque chose mais je ne les entends plus, je me suis éloignée. Je regarde la mer, les reflets du soleil sur la surface ondulée par le vent, le phare du Cap Fréhel. Je me souviens qu’il y a quelques années, un jour de pluie, Alibabette et moi avions mangé un Kouign Amann ici, avec un chocolat chaud, il faisait tellement froid. De beaux souvenirs. Je sens que l’oppression sur ma poitrine s’allège.
La sonnerie de mon téléphone retentit dans ma poche. Je grommelle parce que j’ai oublié de l’éteindre, et quelle idée, et je m’énerve et franchement ça capte ici, au bout du monde? Un numéro que je ne connais pas. Et pourtant, je réponds.
Elle s’appelle Martine, elle m’a entendue sur France Culture, et elle m’a lue, elle a demandé mon numéro de téléphone, et elle voudrait faire un livre, et quand est-ce que je vais à Paris, qu’on se voie… Et moi je suis un peu sonnée, et avec le vent qui souffle, c’est difficile d’entendre alors je me demande si je comprends bien. Je lui dis qu’il y a du bruit, qu’on m’attend. Ils sont tous devant le phare, ils trépignent de me voir au téléphone alors qu’on doit y grimper avant de nous diriger vers Fort la Latte. Elle dit oui oui bien sûr, on se rappelle, on en parle, tout ça.
Je raccroche, je regarde mon téléphone, je trouve ça surréaliste. Je les rejoins. On me demande ce que c’était. Rien je réponds, c’était rien.
Je grimpe les 145 marches. Évidemment je me suis trompée, je n’en ai compté que 143. En haut du phare, je regarde l’horizon, je respire l’air marin, je me sens bien. Et je souris. Déjà les questions se bousculent dans ma tête. Est-ce une bonne idée, quelqu’un pourrait-il se reconnaitre, comment prendrai-je les critiques, et surtout pourquoi faire ça, pourquoi hein, etc.
Je suis redescendue du phare, j’ai marché jusqu’au Fort la Latte. J’ai souri tout au long. Et puis je suis rentrée, je suis allée à Paris, j’en ai parlé, avec LePoilu, avec des amis, j’y ai pensé, le jour, parfois la nuit. Dix-huit mois plus tard, je n’ai toujours pas les réponses. Je ne sais pas s’il fallait ou pas.
On verra quand il sortira ce bouquin qui reprend beaucoup du blog, quelques histoires en plus, un peu de liant. Un livre dont je suis contente. Parce qu’il parle des gens. Et que j’aime les gens. Leurs histoires, leurs vies. Parce que j’aime toujours ce métier, je pense qu’on peut encore bien le faire.
Une nouvelle année commence. C’est le bon moment pour vous dire merci. Parce que ce livre, c’est grâce à vous. Parce que si je tiens encore debout, c’est grâce à vous. Vous qui m’avez appris la médecine, avec qui j’ai bu du thé ou d’autres boissons qui donnent un peu mal à la tête, vous qui avez toujours été là, pour parler des garçons en écoutant les NegMarrons, vous qui êtes venus me consulter, vous qui m’avez lue, qui m’avez écrit, qui twittez avec moi, qui m’envoyez des sms, qui m’appelez, vous qui m’avez aidée au long de mon parcours, pendant mes études, mes remplacements, et au début de ma difficile installation. Alors merci.
La vie est pleine de surprises. Parfois en répondant à un numéro inconnu, on s’expose au douloureux rappel d’une garde oubliée. Et d’autres fois, cet appel ouvre d’autres portes.
Je vous souhaite une bonne année. Je vous souhaite plein de bonnes surprises, de portes qui s’ouvrent et de beaux moments. Je vous souhaite d’être heureux. Simplement.
Le premier jour du reste de ta FIV
Vacances, sous le soleil, tout le groupe discute, de golf, de voiture, je ne sais pas vraiment, je n’écoute plus. Je l’écoute lui. Il est l’inverse de tous ceux qui ont partagé ma vie auparavant. Il est drôle, il est beau, il est différent. Quelques heures plus tard ses mains guident les miennes sur un tam-tam pour tenter de m’apprendre comment rythmer Hotel California. Et encore quelques heures plus tard, alors que la lune nous éclaire, nous partageons des verres d’une délicieuse vodka polonaise jusqu’à ce que nos lèvres se touchent. Et quelques jours plus tard, il me donne envie de croire que même à distance, nous deux, c’est possible.
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Aéroport Roissy Charles de Gaulle. Retour de nos premières vacances ensemble. Notre avion ayant été décalé, nous sommes arrivés trop tard pour le dernier train. Je me suis affalée sur un banc, posant mes pieds sur nos bagages. Le Poilu s’est allongé, épuisé, la tête sur mes cuisses et s’est endormi. Alors que je somnole, à l’autre bout du hall, un enfant fait un caprice et hurle tout ce qu’il peut pendant qu’il se roule par terre. Ouvrant un oeil, LePoilu murmure « Mais noyez-le », avant de se rendormir.
Et étrangement, moi qui n’en ai jamais voulu, c’est là, à ce moment précis, qu’après seulement deux mois, passant ma main dans ses cheveux, je sais que c’est avec cet homme-là, celui-là et pas un autre, que je veux un enfant.
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Las Vegas. Cent-septième étage du Stratosphère Hotel.
Je regarde Vegas à travers les verrières en profitant de mon cocktail quand il sort de sa poche un petit écrin dans lequel brille une bague parfaite, sobre et discrète, et me demande si je veux l’épouser.
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Noël, plein de monde autour de cette table, ça piaille partout. GrandPère me propose un vin chaud que j’accepte avec plaisir. LePoilu tient ma main. Il constate que nous avons oublié d’apporter une boite en métal pour la remplir de bredeles. Il m’embrasse dans le cou, je glousse bêtement. GrandPère pose devant moi un plein verre fumant et sentant la cannelle. Je lui souris.
– Alors Poilu, quand est-ce que vous faites un gamin, t’as perdu la recette?
L’attaque est venue de la droite, brutale et inattendue. LePoilu broie ma main sous la table. Je serre les dents. Je n’entends pas sa réponse, trop occupée que je suis à retenir mes larmes et à envoyer mon esprits au pays des poneys roses, là où personne ne demande si qui que ce soit a perdu la recette.
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Ça fait deux fois que les résultats sont « catastrophiques ». Je ressens face à tout ça une solitude immense. Curieusement la seule personne à qui j’ai envie de parler est ma mère. Je compose le numéro. Elle n’est pas là, c’est mon père qui répond. On parle de tout et de rien. Et, alors qu’il a fini de me raconter la fin prochaine du GulfStream, les soucis de mes frères, les mêmes choses que d’habitude, je murmure :
– Papa, nous ne pouvons pas avoir d’enfant.
– Et tu ne t’en doutais pas?
– … Euh, ben, si.
– Bon, ben, faut bien que la médecine serve à quelque chose.
– Oui. Bonne soirée papa.
Et je raccroche. Plus tard, il m’envoie un mail, Comme quoi parfois l’émotion est trop forte pour trouver les bons mots. Oui, je sais. Mais bon quand même.
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Au téléphone, avec un ami :
– J’ai pensé à toi ce matin, Fluo. Tu vois, c’est l’histoire d’une fille, elle a 40 ans, elle pensait ne jamais avoir d’enfant, elle a rencontré un gars, et pis, là tu vois, elle est enceinte et ses yeux pétillent.
– Et ça t’a fait penser à moi?
– Ben oui, c’est beau non?
– T’es con, tu sais, t’es juste con.
– Oh, mais arrête.
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Insomnies.
Est-ce que si nous ne pouvons pas en avoir, ce n’est pas parce que nous ne devons pas en avoir? Est-ce qu’il n’y a pas une vraie raison derrière, un truc qu’il ne faudrait pas que nous transmettions?
Est-ce que je suis punie d’avoir toujours pensé que je ne voudrais jamais d’enfant?
Est-ce que nous serons de mauvais parents?
Est-ce que je vais grossir? Est-ce qu’il va m’arriver des bricoles avec toutes ces injections?
Est-ce que le jeu en vaut la chandelle?
Est-ce que c’est normal que je me sente assez forte pour me battre pour adopter mais pas assez forte pour une fécondation in vitro?
Est-ce qu’on m’incite tant à le faire parce que « notre cas est facile » et qu’on va améliorer les statistiques du Centre?
Est-ce que c’est normal que quand on m’annonce une grossesse, je sois partagée entre la joie et la haine?
Si les tests ADN n’existaient pas, aurais-je été voir ailleurs pour « simplifier » tout ça?
Est-ce qu’on se séparera un jour? A cause de ça? A cause d’autre chose?
Je peux encore dire non à cette FIV, dois-je le faire? Est-ce que je le regretterai?
Est-ce que je suis un monstre de penser tout ça?
Putain, si peu de réponses…
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On me parle de quelqu’un :
– Mais si, tu sais, Machin et Machine, ils se sont séparés. Ben forcément, comme ils ne pouvaient avoir d’enfants.
Ha oui, forcément…
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Dr Spécialiste nous serre la main et nous dit au revoir. Il m’attrape par la taille. Il sourit. Et quand il parle, je m’aperçois que nous n’avons pas du tout entendu les mêmes choses sortant de sa bouche. J’ai entendu « FIV/ICSI ». Il a entendu « ça va marcher ». J’ai entendu « médicalisation d’un acte censé être naturel et effets secondaires », il a entendu « ça va marcher ». J’ai entendu « 25% de chance, l’âge avance, et vos chances diminuent », il a entendu « ça va marcher ». J’ai compris que ça allait être la merde à gérer tout ça, pour moi, il a compris que ça allait marcher, du premier coup.
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– Non, il ne faut surtout pas vous arrêter de travailler pour une FIV. Il faut maintenir un certain degré de stress sur l’organisme. Et puis vous pouvez emporter les injections en week-ends. Les échographies seront faites le matin, on vous appelle l’après-midi et après vous pouvez aller à votre pharmacie. Facile. Non, il n’y pas d’effet indésirable. Ou vraiment rarement. Les seuls symptômes que vous pouvez avoir sont ceux du stress.
« Un certain degré de stress », moui je pense que mes patients s’en chargeront en me reprochant d’avoir décalé mes rendez-vous avec eux, puisque tout ça sera décidé en dernière minute. Et puis quand je les planterai pour courir chercher des piqûres à la pharmacie. Et aussi quand mon associé leur expliquera que « les femmes médecins, c’est vraiment un scandale, elles sont tout le temps enceintes ».
Mais comme il n’y aura aucun effet secondaire aux injections et que tous mes symptômes seront dûs à ma tête, ça va. Ouf alors.
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Pendant que je rédige une ordonnance, dans une cuisine en formica marron.
– Vous avez des enfants Docteur?
– Non.
– Faudrait se dépêcher quand même.
– Ben c’est un peu compliqué.
– Avec vous les jeunes, tout est toujours compliqué.
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Forums doctissimo :
« alors nous on a essayé pendant deux ans un bébé-couette, mais la couette ne devait pas être assez confortable, lol, pis après on a rencontré le gygy et il nous a dit que ça ne marcherait pas. Alors j’ai eu des stimulations, et pis ils ont fait une insémination et ça n’a pas marché. Mais là maintenant ils m’ont implanté un brybry et il y en a trois encore au congélateur, hihihi »
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Dans la voiture, sur une autobahn en direction du nord, Xavier Naidoo chante dans la radio (rhaaa Xavier, graou graou). LePoilu conduit, je bouquine en levant de temps en temps les yeux :
– Dis donc, t’as raté le panneau où c’était écrit 100?
– Alors là, venant de la meuf qui va rentrer de week-end pour trouver une amende dans la boîte aux lettres, c’est une remarque légèrement déplacée.
– En attendant, quand demain on ouvrira la boite aux lettres et qu’on tombera sur mon amende et ton spermogramme, qui c’est qui fera moins le malin?
Je me mords la lèvre en pensant que là, je suis allée un peu trop loin. Il me regarde et il me sourit :
– Rhooo c’est moche de taper en dessous de la ceinture.
Il attrape ma main. Il est beau, il est drôle. Et il tient ma main.
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Je rentre à la maison, je jette mon manteau dans un coin et lui demande si ça s’est bien passé. Il répond qu’ils l’ont fait attendre 45 minutes et qu’il a failli rater le rendez-vous avec son directeur qui pourtant était à 11h. Il faudra peut-être y retourner parce que le gars qu’il a vu a dit que s’il n’y avait pas assez de paillettes, il faudra refaire. Encore des prélèvements. Encore et encore.
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– Franchement, ça va, vous avez de la chance, c’est pas une maladie.
ou sa variante :
– Franchement, vous avez de la chance que ce soit lui le problème.
De la chance…
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Dimanche, j’ai de la fièvre, je ne me sens pas bien. Alors on regarde un film. Tiens, pourquoi pas Le premier jour du reste de ta vie? Je ne sais pas ce que ça raconte, on m’avait dit que c’était bien. Une famille. Le grand garçon fait médecine, le deuxième ressemble à mon frère. Leurs vies se déroulent petit à petit. C’est parfois drôle.
Et puis, le père dit à ses trois grands enfants : « Vous avoir eus et vous regarder grandir a été la chose la plus merveilleuse de ma vie ».
Paf.
Je me mords la lèvre, je retiens mes larmes. Je le sens vibrer dans mon dos, il renifle. Je me retourne vers lui, il pleure et moi aussi. Et il me murmure « je suis désolé, tellement désolé ». Je le serre tout fort contre moi.
« Chéri, on n’a pas à être désolé des choses qu’on n’a pas faites exprès. Par contre on devrait acheter des actions kleenex.
– Non.
– Non quoi?
– Kleenex n’est pas côté en bourse ».
Rire et pleurer en même temps…
Pleurer surtout. Tellement.
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Alors non, ce n’est pas « trop beau ce désir d’enfant« . C’est chiant, c’est douloureux. Mais à aucun moment ce n’est trop beau. Et à aucun moment, ça ne justifie la dureté du parcours.
Et non, le gars ne boit pas des bières en attendant que ça se passe. Il ouvre la boîte aux lettres des jours durant, fébrilement, pour recevoir le dernier résultat de son dernier tripotage dans une pièce glauque après trois jours d’abstinence. Alors bien sûr, ce n’est pas douloureux comme les piqûres, les sondes d’échographie qu’on t’enfonce sans prévenir et ça ne fait pas prendre de poids ni vomir, mais recevoir chaque fois la confirmation qu’il n’y a que trois spermatos qui font semblant de danser la tecktonik ces petits coquins, c’est violent. Le gars ne fait pas « juste des cauchemars », il souffre aussi, sacrément.
Et les chiffres, tout ça, c’est bien beau, ces fameux pourcentages de chance. Mais la stérilité, oh pardon l’infécondité, c’est plus compliqué que des chiffres. Ce sont les gens qui pensent à ta place. Ceux qui savent que si tu arrêtes d’y penser, ça viendra. Ceux qui ont des enfants mais qui savent mieux que toi ce que c’est de ne pas pouvoir en avoir. Ceux qui sont dans la même merde que toi, mais qui ont « moins de chance » que toi et qui ne comprennent pas que tu ne sois pas motivée comme eux pour tout ça. Ceux qui te disent « il FAUT continuer hein » comme si tu ne pouvais pas décider pour toi-même. Ceux qui classifient les problèmes « Toi c’est moins grave que Machin, mais plus grave que Bidule » alors qu’au final vous êtes tous dans le même bateau pourri. Ceux qui travaillent au Centre et qui tentent de te faire croire que c’est un parcours pavé de pétales de fleurs (et minimisent grandement les effets indésirables, puisqu’il semblerait que dans ce domaine, quelle que soit la gravité des effets, on doit être prêt(e) à tout encaisser).
L’infécondité, ce sont des histoires de couples, de couples qui ont eu envie d’un enfant, qui y ont cru, qui tentent d’y croire encore, et dont les têtes sont pleines de questions, sans avoir vraiment de réponses.
Je ne sais pas si le jeu en vaut la chandelle. Je pense que la possibilité doit être laissée à chaque couple de décider. Mais il faudrait une information plus éclairée que celle énoncée par les centres aux réunions d’information où moins du quart de la salle comprend ce qui se dit, tant c’est compliqué et tant l’information est noyée.
Le petit portail bleu
Un matin, tôt, le téléphone sonne pendant que tu te brosses les dents, tu te dépêches de finir tes ablutions matinales. Tu montes dans la voiture, tu te frottes les mains pour les réchauffer, elles sont glacées malgré les mitaines. Tu démarres. Tu fais la route en pilote semi-automatique. Tu l’as faite si souvent ces dernières semaines.
Tu pousses le petit portail bleu. Comme toi, la clématite semble souffrir du changement brutal de température. Tu entres par la porte de derrière sans sonner. Comme d’habitude.
Mais cette fois-ci, c’est un peu différent, ils sont tous là, autour du lit. La chambre est si petite, il y fait chaud, ils s’écartent pour te laisser passer. Certains en profitent pour aller refaire du café, la nuit a été longue pour eux. Tu t’approches du lit. Tu dis bonjour en caressant sa main. Ses yeux ne te voient déjà plus.
Tu as l’impression que le temps a suspendu sa course folle. Tous font des gestes lents. Tous parlent doucement. L’odeur du café qui coule emplit petit à petit la maison. Toute l’attention est centrée sur elle. Et puis brutalement, c’est fini. Certains pleurent, les autres se retiennent en se mordant la lèvre.
Ils te proposent de t’asseoir et t’apportent un café. Tu sors le papier bleu, tu complètes et tu signes. Tu essaies de n’oublier aucune case. C’est déjà arrivé et ça complique inutilement les choses après.
Tu n’es plus à ta place ici. Tu serres les mains de tous. L’air froid te brûle les joues malgré le soleil qui vient de se lever, les moineaux se battent dans la cour pour quelques miettes jetées quelques minutes avant, les lampes s’allument progressivement dans les maisons autour. Le temps reprend son cours. Tu fermes pour la dernière fois le petit portail bleu.
Quand tu montes dans la voiture, les vannes s’ouvrent. La route jusqu’au cabinet est difficile, les larmes coulent, sans s’arrêter. Comme si la tension de ces dernières semaines retombait. Ces semaines joignable vingt-quatre heures sur vingt-quatre au cas où. Ces semaines à manipuler les antalgiques. Ces semaines à garder le sourire et continuer les discussions, comme avant. Avant que tout ne se dégrade et que vous sachiez tous que la fin était proche. Et inéluctable, quels que soient les efforts de chacun. Des semaines éprouvantes. Émotionnellement. Physiquement.
En arrivant au cabinet, tu es évidemment très en retard. Tu as beau regarder tes pieds pour ne croiser aucun regard, Secrétaire voit tes yeux rouges et elle comprend tout de suite. Tu t’enfermes dans ton bureau, tu souffles sur le thé. Tu te donnes un peu de temps.
Puis, quand les yeux sont enfin secs, tu appelles le patient suivant. Ou plutôt sa maman qui le tient dans ses bras.
Et Jacques, assis sur le bureau de Secrétaire, regarde passer cette femme et son bébé et te glisse en souriant : « Une vie qui se termine, une autre qui commence ».
Il a raison. Et pourtant tu as ce sentiment d’avoir vraiment « perdu » quelqu’un. Quelqu’un que tu n’oublieras pas. Quelqu’un d’unique.
Une vie qui se termine, une autre qui commence… C’est douloureux parfois.
Les marées
Le froid est revenu, signifiant la fin de l’été. Les jours raccourcissent et la nuit est tombée. A travers la vitre, je vois le chat qui miaule, je lui ouvre et me penche pour le caresser. Cet ingrat file sous ma main et court se ruer sur ses croquettes sans m’accorder un regard. Je reste quelques secondes pensive, me demandant l’intérêt de nourrir un animal qu’on ne peut toucher. Puis je me dirige vers le halogène et d’un clic éclaire le coin du canapé. J’attrape le plaid gris et m’y enroule.
Dehors, la pluie commence à tomber. L’eau s’écoule dans les gouttières, créant une mélodie douce à mes oreilles. Je la vois ruisseler sur la baie vitrée, déformant les lumières des éclairages publics.
Je me cale bien dans le canapé et caresse la couverture du livre en détaillant la photo. Une femme seule face à la mer. Je relis le post-it que ma mère a collé « J’ai bien aimé ce livre. Peut-être l’aimeras-tu aussi. Bonne lecture et bon courage pour tout. Maman ». Je soupire. Pour tout… Maman, si tu savais tout. Associé, les insomnies, la boule au ventre, les palpitations, les émotions…
Le chat se nettoie sur le fauteuil en velours. Il est dans sa bulle. Je n’existe pas. Il ne me voit pas.
Il était une fois un homme. Barbu et bienveillant. Il vivait sur une île, dans une maison de pierre.
Je suis déjà sur l’île, j’entends la mer qui claque contre la falaise faisant rouler les galets, je vois l’écume qui s’échoue dans la crique. J’observe les mouettes voler. J’entends le bruit des casiers à homards quand on les sort de l’eau et qu’on les claque sur le fond du bateau. Je suis protégée par mon ciré mais j’ai les mains rongées par le sel et mon bonnet humide ne tient plus mes oreilles au chaud.
Le chat a négligemment glissé du fauteuil et me regarde avec insistance, ouvrant étrangement la bouche pour miauler silencieusement. Je dis non, baisse les yeux vers mon livre. Je sens son regard et finis par me lever pour ouvrir la porte. La pluie a redoublé d’efforts. L’eau ruisselle dans les gouttières, sur les branches des arbres, s’étale sur la table de jardin… Le chat regarde dehors, me regarde, hume l’air humide et finalement décide de ne pas sortir. Je ferme la porte avant d’aller mettre l’eau à chauffer.
Pendant que le thé infuse, je retourne sur l’île, appuyée contre la table, tenant le livre d’une main et le pouce de l’autre main dans la bouche. Les actes que nous commettons par amour sont les meilleurs de tous. Grâce à eux, le monde mérite que l’on s’y attarde. Mmmh, oui peut-être… J’emporte le thé au salon.
Le tic-tac de l’horloge me berce. Le vent fait crépiter le feu. Le bruit de l’eau est continu. C’est si cristallin qu’on dirait des tintinnabulements. Le chat est venu se blottir entre mes pieds, sur le plaid. Surtout pas trop près, que je ne puisse pas le toucher.
Quand elle découvrit qu’elle ne pouvait avoir d’enfants, Abigaïl ne pleura pas. Elle s’assit, les mains sur les genoux, pour considérer la chose. Il y a une explication. Je ne sais pas laquelle – mais il y en a une. Un ferme hochement de tête.
Je t’aime toujours.
Je sais.
Elle lui tapota la main.
Moi aussi je t’aime toujours.
Et ce monde est toujours merveilleux.
Ainsi, pas de culpabilité. Sa femme est heureuse. Tout ce qu’il voulait depuis qu’il vit Abigaïl pour la première fois.
La gorge me serre. La maison craque. LePoilu me manque. Sa chaleur. Sa présence. Son sourire. Encore douze jours. Plus que douze jours. Ces déplacements considérés comme des honneurs faits à l' »élite de Multinationale ». Ne pas trop y penser.
Abigaïl renifle. Elle connut le désespoir. Elle perdit toute foi dans le monde et n’eut plus rien à quoi se raccrocher. Oh comme elle voulait que ces histoires de Folklores et Mythe fussent vraies. Et puis il y eut Jim. Dieu soit loué pour Jim. Dieu soit loué pour ses mots magnifiques, son sourire nerveux. Dieu soit loué pour la façon dont il prononça son prénom – soigneusement, admirablement, comme on dit merci quand on le pense du fond du cœur. Il était sérieux, sûr et fiable. Elle adorait le voir entrer dans une pièce. Un feu, tout simplement. Sans lui, aurait-elle jamais trouvé la lumière? Sans lui son cœur, du moins, serait mort.
Les souvenirs reviennent. La déprime. Un hiver difficile. Les falaises, le froid, la pluie. Et au printemps, un premier regard. Un tam-tam. Hotel California. Des baisers. Des mojitos, évidemment. Son sourire. Sa main dans la mienne depuis.
Il pleut toujours. Tellement. Je me lève, choisis une bûche, la pose sur les braises, contemple leur rougeoiement.
Un feu oui, tout simplement.
Mes yeux picotent et se ferment. Ma main a de plus en plus de mal à tenir le livre. Je ne saurai pas ce soir qui est l’homme-poisson. Je ferme le livre, je repousse le plaid doucement autour du chat.
Il y a plus en ce monde que l’existence que nous vivons. Il y a tout un autre monde, sous les vagues.
Garder l’espoir.
Les extraits sont de Susan Fletcher, dans Les reflets d'argent. Chez Plon. Merci maman.
Les premiers d’une nouvelle espèce
« C’est un des derniers de son espèce, voilà 35 ans qu’il arpente les routes de Trifouillis, une carrière au service de ses patients. »
La voix est posée, faisant déjà sentir toute l’intensité dramatique de ce qui va suivre. L’histoire du « dernier de son espèce ». Un oiseau rare, précieux, en voie de disparition. Sortez les violons et préparez les mouchoirs.
« Dans ce désert médical autour de Trifouillis, ils ne sont plus que 2 généralistes. »
Voilà, le mot est laché : le DESERT MEDICAL! Si on regarde CartoSanté on peut constater que la situation à Trifouillis est celle de mon Trifouillisheim. Et, surprise : la densité médicale par rapport à la population est la même qu’ici, le nombre de consultations par habitants aussi! Mon dieu, quel désert! Au jeu des sept différences, j’en ai trouvé une : la densité globale de population est différente. A Trifouillis, 637 habitants (données Wikipedia, 2010). Deux médecins… Mais en fait les gens sont très éparpillés sur le territoire… Alors un désert médical non, un désert géographique oui.
« Ecoutons le Docteur Dévoué : « Le réveil sonne à 6h15 et je suis chez le premier patient vers 7h-7h15 le matin. Des journées de 13 heures sans pause repas pour avoir le temps de consulter. »
Quand est-ce qu’il mange? Parce que là, en 45 minutes le matin trajet compris, sans pause de la journée… A-t-il une femme? Des enfants? Les voit-il? Ca manque cruellement à ce reportage, si on peut appeler ce torchon un reportage…
J’en connais des médecins qui commencent à 7h en me reprochant de commencer à 8 heures. En fait, ils font des prises de sang. Faut dire que le prix d’une visite : 33 euros pour faire une prise de sang, c’est bien payé. Mais ça pourrait-devrait être fait par une infirmière… Parce que ça coûte cher à la sécu, que c’est du temps-médecin perdu pour un acte qui ne nécessite pas un médecin, parce que les infirmières m’ont raconté que c’est leur boulot…
Et puis bon, « le temps de consulter », on peut le trouver en prenant 30 minutes pour manger. Sur 13 heures, on n’est pas à 30 minutes près, il reste encore 12h30, faut pas déconner. J’aimerais savoir s’il prend le temps de recevoir les labos, temps qui pourrait être utilisé pour manger.
« Un dévouement, une confiance qui a tissé du lien entre ces familles et le médecin. « On me donne très souvent des oeufs, des champignons à la saison, des truffes de temps en temps, mais c’est un cadeau, ce n’est pas du troc c’est un plaisir. » »
Les cadeaux… C’est pas toujours clair. Parfois on sent une vraie gentillesse, et parfois on a l’impression que c’est en échange de plus et que si on refuse par la suite une visite ou une prescrition, on aura des reproches. Surtout que « ce n’est pas du troc », c’est en plus du prix fixé pour une consultation, alors est-ce pour « acheter » plus?
« Le Dr Dévoué est débordé, il doit renouveler ses ordonnances en prévision de ses congés d’été. « Je prends une semaine de vacance la semaine prochaine et cela fait 14 mois que je n’ai pas eu de vacances. » Pas de vacance faute de remplaçant. Personne pour une semaine l’été. »
Alors là, non. Pour renouveler des traitements, maintenant la pharmacie peut dépanner pour un mois pour les traitements chroniques. Et une semaine, c’est pas la fin du monde pour les patients. Si c’est urgent, alors qu’on n’est pas en fait dans un désert (rappel ci dessus), il y a d’autres possibilités.
Quand au remplaçant, je veux bien que l’été, ce soit difficile d’en trouver un, mais depuis 14 mois, pas un seul? Pour juste une semaine? J’aimerais savoir quelles conditions de remplacement le Dr Dévoué propose.
« Personne pour reprendre un jour le cabinet. Alors à 2 ans de la retraite le médecin de campagne s’inquiète : « c’est une catastrophe parce qu’il y a des gens que l’on soigne depuis 30 ou 40 ans, qu’on veut prendre sa retraite et qu’on ne sait pas à qui on va les confier. Même inquiétude chez les 15 derniers généralistes du secteur. Avec 9 départs non remplacés ces 3 dernières années, 8 à venir, d’ici 2 ans, le diagnostic est alarmant sur le plan de la santé publique et décevant sur le plan de l’éthique. »
Sur le plan de la santé publique, certes. Mais « éthiquement », rappelons ici que la raison principale de l’instauration du numerus clausus, c’est que souhaitant diminuer les dépenses de santé, les politiques ont pensé que diminuer le nombre de médecins était la solution. Quelle idée lumineuse… M’enfin maintenant reprocher aux jeunes médecins une décision politique de 1971, alors qu’ils n’étaient pas encore nés, c’est un raccourci facile, que les médias et les Dr Dévoués aiment faire.
Et puis, quand ici je dis qu’il faudrait anticiper sur les départs, on me répond « on avisera quand on sera face au problème ». Bien sûr. Attendons de n’être plus assez nombreux pour s’effondrer et tous partir… Je ne dis pas que tous ceux qui partent n’ont rien fait mais juste mettre une annonce, c’est bien léger.
« on ne fait pas de la médecine uniquement pour faire du pognon, on fait aussi de la médecine pour soigner les gens. Et chez mes très jeunes confrères, j’entend parler un peu trop de clients et pas assez de patients ».
J’aurais dit ça autrement « on fait d’abord de la médecine pour soigner les gens », pas « aussi pour soigner ». Venant d’un gars qui bosse 13 heures par jour, je trouve la leçon un peu gonflée. Passons sur le fait que ce serait surprenant qu’un gars qui bosse 13 heures par jour, nuits et week-ends, sans secrétaire, gagne « seulement » 4000 euros… Quand je discute avec mes « jeunes » confrères, j’entend plutôt : « j’aimerais prendre le temps de m’occuper au mieux de mes patients », « je voudrais pouvoir emmener mes enfants à l’école le matin », « j’ai encore fait un acte gratuit »… Contrairement à ce que dit le Dr Dévoué, j’entend plutôt le mot « clients » dans la bouche de certains vieux confrères. Mais lui et moi ne devons pas côtoyer les mêmes personnes.
« 4000 euros par mois mais des milliers de kilomètres, des journées à rallonge, des nuits et des week-ends de garde, un sacerdoce dont ne veulent plus les jeunes médecins, pour tenter de les séduire, le plan de lutte contre la désertification va proposer 3640 euros de salaire net garanti à 200 jeunes praticiens. »
Et le plan de lutte va donc aller droit dans le mur. Il n’y aura pas 200 volontaires, je suis prête à le parier (ou alors ceux qui voulaient de toute façon s’installer). Pourtant, cette somme semble énorme à ceux qui n’ont pas de boulot ou touchent le smic. Mais que ce que souhaitent les jeunes praticiens, ce n’est pas l’argent, contrairement à ce que raconte Dr Dévoué. C’est, comme tout un chacun, tenter de trouver un équilibre entre son travail et sa vie. Pour ne pas exploser en vol ou devenir aigri.
N’y a-t-il vraiment aucun journaliste pour un jour faire un reportage sur les « premiers d’une nouvelle espèce »? Un reportage qui parlerait de ce satané numerus clausus, de la surconsommation de soins dont médecins comme patients sont responsables? Un reportage sur la motivation des jeunes mais leur découragement face à un C à 23 euros? Un reportage sur des vieux installés qui bougent pour attirer des jeunes, sur des jeunes qui s’installent, sur des stagiaires en médecine générale… Une vision positive, pour une fois. Pas un truc à la va-vite où il manquera les 3/4 des informations utiles et dont le titre alarmiste attirera les clics internet et affolera MrEtMmeCampagneQuiRegardentLe13h. Sur Twitter et les blogs, je constate que nous sommes proportionnellement nombreux à nous installer, ce qui ne reflète pas la réalité. Peut-être que la vision positive de cette médecine que nous aimons et entretenons stimule. Pourquoi ne pas utiliser cette force?
Mieux, le ministère ne pourrait-il pas un jour rappeler tout ça? Arrêter de dénigrer les jeunes? Reconnaître que ce nous faisons tous les jours est un vrai travail? Que nos députés mettant en ligne leur salaire ne se permettent pas de dire que lui et moi touchons le même salaire, c’est une insulte! Cesser les mesures poudre-aux-yeux comme ces 3640 euros? Responsabiliser les gens en faisant des cours de santé? Créer des pôles dans les coins reculés, où en effet il n’y aurait pas un médecin par village, mais quelques médecins pour plusieurs villages. Certes, il faudra faire des kilomètres. Mais nos patients les font déjà pour aller acheter le pain ou aller chez le coiffeur.
J’ai l’impression de répéter toujours la même chose. Comment enfin faire tomber une noix de ce cocotier que nous sommes nombreux à tenter de secouer?
Edit : on me reproche de cliver les « vieux » et les « jeunes ». C’est un raccourci de vocabulaire, c’est celui employé par le médecin de ce reportage. J’utilise ses mots. Oui, quelque part moi aussi j’admire ce dévouement dont ils ont été capables. Mais le monde a changé. Et les médecins aussi.
Ce que je reproche, ce n’est pas son âge et sa vision des choses, ce sont tous les mensonges. Mon oreillette m’a en effet cet après-midi signalé que ce médecin a pris des vacances, 2 semaines sur les 14 mois où il dit n’en avoir pas pris (je trouve que 2 semaines c’est peu, mais ce n’était pas nécessaire de raconter qu’il n’en avait pas pris). On m’a confirmé qu’il n’avait pas cherché de remplaçant, il ne pouvait donc pas en trouver, et aussi qu’il gagne bien plus que ces soit-disant 4000 euros, alors bon. Il parait aussi qu’il a divorcé, peut-être cela n’a-t-il rien à voir avec ses 13 heures de travail journalières, mais quand même.
En fait, ce qui m’exaspère c’est le fait de montrer ces mensonges comme un exemple idéal et faire croire aux patients que ça existe, que tout cela est vrai. Alors que tout est faux!
Edit 2 : On m’a envoyé ceci Ca compense. Certains montrent d’autres facettes du décor. Comme c’est passé sur Public Senat, je ne suis pas sure que grand monde l’ait vu. (j’ai été dure avec les journalistes, je sais que tous ne font pas leur boulot par dessus la jambe, merci d’ailleurs à ceux qui ont fait ce reportage) Et si quelqu’un l’a en entier, j’attend le lien. Merci donc à DrPetille.
Edit 3 : Dzb17 le dit de façon plus jolie que moi ici
Un homme d’exception
Toute la journée n’a été que moiteur. Il est tard et il fait nuit et pourtant, je ne rêve encore que d’une chose, prendre une douche. Mais ils ont téléphoné. Alors j’ai englouti mon omelette, embrassé mon MrPoilu et je suis venue.
Il me fait un peu peur. Il est très grand, et musclé. Il est assis certes, et il est menotté, car il a demandé à le rester, expliquant qu’il pourrait recommencer. Bon. D’habitude, j’insiste un peu, mais pas ce soir. Ses yeux… Je sais que si je crie, les gendarmes sont derrière la porte. J’essaie de comprendre, j’essaie de réfléchir à ce qui sera le mieux pour lui, ce soir, je lui explique qui je suis, j’approche ma chaise, je lui parle doucement, il répond à mes questions. Il délire complètement.
Il a tes yeux. Enfin pas les tiens, mais les mêmes que toi, ceux que tu avais quand tu devenais fou. Ceux que tu avais le jour où tu as pris le couteau pour nous menacer. Ceux que tu avais ces jours où tu tapais dans les murs. Ceux que tu avais, pendant ce Noël où le médecin de garde est venu te faire une piqûre. Ceux que tu avais quand j’appelais le SAMU, et qu’on me répondait que ça ne les regardait pas. Ceux que tu avais cette nuit pendant laquelle tu t’es échappé des urgences. Ceux que tu avais quand j’appelais la gendarmerie pendant que papa essayait de te maintenir et qu’on me répondait que tant que personne n’était mort, personne ne se déplacerait. Ceux que tu avais quand tu as enfin été envoyé à l’HP. Tes yeux qui deviennent noirs et dans lesquels j’ai vu toute la douleur du monde un soir de mars.
Ce soir ses yeux à lui iront dormir à l’hôpital. Il est d’accord. Je souhaite une bonne nuit aux gendarmes et je monte dans la voiture, il fait si chaud. En rentrant, je pense à tes yeux.
Tes yeux qui faisaient peur. Et pourtant je me disais que tu ne le ferais pas, que tu ne l’utiliserais pas ce couteau. Pas contre nous. Pas contre moi.
Je me souviens d’avant. Quand nous préparions des spectacles pour nos parents, j’en ai imaginé des scénarios et des mises en scène. Quand nous jouions à Secret Of Mana collés côte à côte dans un mini-canapé, nous nous sentions si bien dans les mondes imaginaires, nos esprits s’y sentaient chez eux, nous pouvions corriger l’injustice, nous pouvions changer les choses, là-bas. Tu voulais tout faire comme moi, mais tu étais plus jeune, alors ça te mettait tellement en colère de ne pas y parvenir. Tes colères…
Ni toi ni moi ne nous sommes jamais vraiment sentis adaptés à cette société. Des intelligences différentes, des sensibilités exacerbées. Toi et moi étions tellement semblables. Nous grandissions trop vite. Je m’ennuyais à l’école mais je ne voulais pas décevoir nos parents. Les deux seuls professeurs à l’avoir compris m’ont proposé des « clubs » pour occuper mon temps libre, je m’y sentais bien mieux qu’en cours : kangourou puis olympiades. J’ai longtemps regardé les autres évoluer pour tenter de comprendre comment faire pour avoir des amis, pour être acceptée, pour arrêter les moqueries, ce n’est pas en allant au Club Kangourou que ça s’est arrangé. J’ai compris qu’il ne fallait pas dire ce qui passait dans ma tête et qu’il valait mieux regarder le monde plutôt que tenter d’y participer. Et pendant que je m’isolais des autres pour m’en protéger, tu répondais à leur incompréhension par la violence.
Toujours plus de violence. Et puis du shit. Plus de violence et plus de shit. Tellement de souffrances. Jusqu’à l’hospitalisation. Et le diagnostic a enfin été prononcé.
Nous avons recréé le lien. Nos appartements étant proches, tous les dimanches nous allions au marché. Sur le chemin, nous n’avons jamais parlé de ce qui nous rapprochait. Nous n’avons jamais parlé de tes crises ni de nos idées suicidaires. Nous avons rebâti petit à petit une fraternité, sans que je te dise jamais que dès que mon téléphone sonnait, j’avais peur qu’on m’annonce que tu t’étais jeté dans la Seine. Malgré nos divergences d’opinion et nos différences, personne d’autre que nous ne peut comprendre aussi bien ce que l’autre pense. Tu es le seul à ne pas dire « quoi? tout plaquer alors que t’as fait médecine? Et pour faire quoi en plus? comment ça les colibris? tu racontes n’importe quoi ».
J’ai mis trente ans à comprendre que je ne pouvais pas changer ce que je suis, qu’au fond, je serai toujours trop sensible et que ma tête fonctionnera toujours trop vite et trop fort, au point de m’empêcher de dormir et de m’épuiser. Je sais aussi qu’il vaut mieux que je ne raconte pas tout ce qui passe dans ma tête. Je me suis adaptée. Je fais un boulot qui permet à mon esprit d’être continuellement stimulé. Si mon hypersensibilité ne me faisait pas ressentir si fort les douleurs des gens, je pourrais aussi travailler plus mais j’ai besoin de reposer ma tête qui pense trop et mon corps qui ressent trop. J’aurais peut-être dû ne faire que des mathématiques mais j’ai beau être une nouille en relations humaines, j’ai beaucoup de mal à rester seule. Internet m’a permis des rencontres avec d’autres hypersensibles, l’écran permettant d’abolir certaines difficultés relationnelles. J’ai rencontré un Poilu que j’épuise. Et je le comprends : il vit avec une nana qui, après avoir longuement expliqué qu’elle voulait passer quinze jours en bord de mer car elle est fatiguée, réserve ensuite des billets pour aller trekker dans le désert ou qui, après une période où elle dit qu’elle arrête tout, s’intéresse aux MOOC. Il s’énerve de mes rangements par piles. Mais quand il me regarde il y a de l’amour dans ses yeux et il est la seule personne qui m’apaise. Nos débuts ont été un peu chaotiques et il ne comprend pas mes accès de violence verbale, mais il est la plus belle rencontre qui me soit arrivée. Parfois, je parviens à rester collée contre lui sans bouger tout un film, mon nez collé contre sa peau. Je ne suis pas sûre de ne pas tout quitter un jour, sur un coup de tête. Nous n’en avons jamais parlé mais il sent les choses et il a peur que je parte. Peut-être que c’est pour ça qu’il te critique. Tu es moi, en pire. Toi, tu as tout plaqué, tu ne rentres pas dans le rang. Nous entendre discuter l’a effrayé parce qu’avec toi, je dis tout ça, tout ce dont je ne parle jamais, pour n’inquiéter personne. Car je ne sais que trop bien comme nous faisons peur à l’ordre établi.*
J’ai l’impression d’être appelée plus souvent pour des histoires comme ça quand il fait chaud. Mais de tes moments de folie, j’ai plutôt des souvenirs d’hiver. Toi aussi je crois, peut-être est-ce pour cela que tu n’aimes pas Noël. Moi j’aime tellement Noël, j’ai chaque année l’impression qu’on pourrait effacer l’ardoise et être pour une fois, une famille « normale ». J’ai beau avoir envie d’un enfant, j’ai peur, j’ai peur qu’il soit comme nous. Sa vie serait tellement plus simple s’il était comme son père.
Il me faudra encore un peu de temps pour accepter que tu aies abandonné tes rêves et les batailles que tu voulais mener. Du temps pour comprendre que tu préfères jouer de l’accordéon toute la nuit plutôt que d’essayer d’utiliser tes connaissances en ébénisterie. Du temps pour comprendre que nos parents te pardonnent tout parce que toi tu es « malade ». Du temps pour enfin refaire ton numéro de téléphone. Après plus d’un an à s’ignorer. Tu m’as écrit que tu pensais à moi souvent. Tu as aussi écrit qu’il n’était pas trop tard pour rattraper tout ça, je le crois aussi. Tu ajoutes que tu as du mal à conjuguer émotion et raison… Si tu savais…
Tellement semblables et tellement différents.
Les jours pendant lesquels je me demande où je vais dans ma vie, où mes propres pensées me fatiguent, je pense à toi. Comme ce doit être encore plus difficile d’être toi.
J’arrive à la maison. Je coupe le contact et les phares de la voiture s’éteignent. MrPoilu m’attend, il trouve que c’était long. L’eau pour la tisane est froide.
* J’ai adoré participer à la relecture de ce livre http://www.leretourdeszappeurs.com/ Merci à Dominique Dupagne, grâce à qui je me sens un peu plus « normale », ou tout au moins un peu moins « anormale ». J’ai beaucoup hésité à publier ce post car c’est très personnel. Mais peut-être qu’à une époque ça m’aurait aidé de savoir que je n’étais pas « anormale » et que je pourrais un jour me sentir fière de moi et heureuse d’être comme je suis. Grâce à internet, j’ai découvert que nous n’étions pas des cas isolés et surtout qu’on pouvait vivr comme les autres et avec eux.
NB : J’ajoute, par rapport au titre, que ce film m’a aidé à comprendre ce qui se passait dans sa tête, ce qui se passe dans la mienne même si j’y suis seule. Et je l’ai vu comme un espoir. Même si c’est beaucoup de souffrances, il peut ressortir de ce trop plein de neurones qui bouillonnent de bonnes choses.