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De l’importance de ne pas détester Mme Y

Les vraies ornières, les vraies difficultés dans sa relation au patient ne sont pas nécessairement là où on les imagine de prime abord.

Certes, la pédiatrie, par exemple, lorsqu’on quitte le cadre des maladies « classiques », bien codifiées et souvent bénignes parce que bien pris en charge, cela peut être dur, comme on l’imaginait.
Parce que voir une dysmorphie à la naissance, associée à d’évidents problèmes moteurs, voir qu’il y a effectivement un problème, mais, en dépit des analyses ne pas trouver lequel, et n’avoir au final que l’anxiété de l’attente à offrir aux parents, ce n’est pas facile. Comme ce n’est pas évident de voir une mère s’effondrer dans le couloir au mot « ponction lombaire », d’avoir envie de la rassurer avec la certitude que ça ira, mais sans pouvoir le faire, pas encore, pas sans les résultats.

Certes façon générale, en pédiatrie ou ailleurs, beaucoup de choses sont dures (le spectre de ce terme allant de pénible à atroce) pour le patient ou la familles, et pas toujours évidentes pour l’étudiant -ou le médecin j’imagine. Pas évident l’intox volontaire au paracétamol qui, à 18 ans, vient de foutre son foie en l’air et d’acheter un ticket simple pour la greffe de foie. Pas évident Mr W qui pleure devant vous, parce qu’il a peur, et qu’il a bien raison.

Mais on le savait. C’était, quelque part, non formulé, mais compris dans le contrat. Tu seras confronté à des choses pas jolies jolies, tu seras aussi impuisant, parfois indifférent, et parfois ça éveillera des choses pas nettes en toi. Parfois tu seras même considéré comme le « salaud de docteur », et si ça aide ton malade à dormir la nuit, pourquoi pas.

Alors du coup, on s’arme comme on peut, souvent mal, et ensuite on évacue comme on peut, on le savait, on l’a choisi, on s’en plaint parfois, mais on essaie de faire avec, de sortir, boire, courrir, rire ou manger, diluer tout ça dans la normalité.

Ce qu’on imaginait pas,  c’est tout le reste, tout ce qui sort du cliché, qu’on ne pensait pas devoir gérer, mais qu’il faut quand même intégrer et assumer.
Ca m’a sauté au visage lors de ma dernière garde aux Urgences.

Mme Y me poursuivait dans le couloir, brandissant sa canne, me houspillant et me reprochant de ne pas s’occuper d’elle, affirmant avec aplomb qu’elle était une Urgence Absolue, ne voyant manifestement pas l’absurde contraste entre ses mots et son comportement.
J’avais très envie de lui prendre la canne des mains, et avec de lui péter ses genoux à cette Mme Y et être ainsi sûre qu’une fois remise sur son brancard, elle y reste.

L’anévryse de mon agacement s’est soudain rompu et j’en ai eu marre, de devoir justifier de mes actes, d’entendre remis en question nos protocoles d’accueil, de m’excuser auprès des patients pour une attente qui n’est pas de mon fait.
Il était très tard, ou plutôt très tôt j’en avais assez, pire j’en voulais à la pile de dossier « tri 4 » qui attendaient dans leur coin. Je leur en ai voulu d’être là, à Mme Y et aux autres, et ce ressentiment n’aurait pas du être, car il me fermait à eux. On a souvent des « syndromes méditerranéens » aux Urgences (oui c’est une image très fine pour désigner les hypochondriaques, mais sinon on a rien contre les marseillais hein), mais le piège est que tout ce qui se présente comme tel, qu’on a envie d’étiquetter « grosse chochotte hyponchondriaque » n’en n’est pas forcément un. Et si ce soir là, ma lassitude et mon agacement n’ont pas eu de conséquences, parce que il y a toujours quelqu’un pour passer derrière moi, et que par chance je n’avais rien laissé passé (car il n’y avait rien) je sais que ce n’est pas viable à long terme.
Quand les gens se dispersent et vous font l’historique de leurs rhumes depuis 1972, vous parlent d’un mal là, et là, mais aussi ici, et puis là ; c’est à vous d’être systématique et de rester construit et cohérent. Mais je n’y parvenais pas ce soir là, je me dispersais aussi, oubliant mon fameux plan d’observ et d’examen, qui pourtant, à force d’habitude, m’est quasiment devenu sous-cortical.

Je ne l’avais pas vue venir, la difficulté de savoir rester pro malgré la connerie de certains, malgré la mauvaise foi et le mépris ou la simple antipathie.
De ne pas répondre à cela en miroir mais savoir voir au delà, ne pas étiquetter trop vite, ne pas négliger inconsciemment parce qu’antipathique.
C’est plus dur à maitriser que le reste, que les extrêmes qui éprouvent mais appelent à eux tous les moyens pour les dépasser, pour ne pas rester impuissant. On voyait les difficultés « nobles » et évidentes, la souffrance et la mort, sans voir les quotidiennes, bien plus piégeuses.
C’est plus dur à maitriser car moins aigu et quotidien, presque anondin, et parfois inconscient.
Si je foire, le patient n’est pas foudroyé sur place, ne tombe pas en asystolie sous mes yeux, non, il rentre chez lui, les conséquences ne seront peut être pas immédiates, mais elles seront là, j’aurai foiré, je serai peut être passée à côté de quelque chose, j’aurai retardé sa prise en charge.

Je n’aurai pas su voir la pathologie derrière la chiantise, et aux dernières nouvelles, les cons étant plus nombreux que les agonisants, ce serai pire que tout.

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Gériatre, une profession d’avenir.

Il y a une chose plus exaspérante que tout, c’est les rélexions gentilles mais pleines de condescendance larvée qu’on vous assène si vous êtes une fille et que vous parlez de votre stage en pédiatrie, ou que vous envisagez d’être pédiatre.
« oh oui, c’est mignon les gosses », etc etc. Ce qui, si on ajoute les sous titres veut dire « ah ces utérus sur pattes, dès que ça voit un gamin, ça perd toute dignité ».
Si vous êtes un mec, c’est une preuve d’humanité et de sensibilité toute particulière que de vous intéresser aux gosses.
Si vous êtes une nana, c’est parce que vos hormones vous travaillent et que vous avez décider de vous éclater en faisant gouzi gouzi toute votre vie durant.

Alors que, par exemple, quelqu’un qui choisit la gériatrie n’aura jamais droit à ces réflexions condescendantes, pourtant la gériatrie c’est aussi drôle et mignon que la ped.

– Les couches ? Elles y sont dans les deux cas. Alllez allez, ne te voile pas la face, lecteur, tu es assez grand pour entendre ce genre de vérité, tu n’es pas comme ces femmes enceintes pour la première fois à qui personne n’ose dire qu’elles ont une bonne chance de se déféquer dessus lors du plus beau moment de leur vie (il ne faut pas gâcher le plaisir en révélant cela à l’avance).

– Les arts plastiques que savent faire les gamins plus grands ? Ils y sont toujours. Du point de croix, à la fresque en caca sur les murs (pour les plus évolués), tous trouvent un moyen d’exprimer leur extraordinaire créativité.

– Les deux sont taquins.
Si vous demandez à un gamin « et tu as mal, ? », comme c’est influençable un gamin, il répondra quasi immanquablement « oui’. Vous en serez pour vos frais, vous devrez ravaler le « et tu te foutrais pas un peu de ma gueule là ? », et trouver un autre moyen de savoir où il a mal vraiment.
Si vous demandez la même chose à un petit vieux, il se peut qu’il vous répondre « Gare du Nord, j’attends le train », auquel cas vous revoilà exactement dans la même situation. Sauf que vous aurez un fou rire à gérer en plus.

– Les deux sont contagieux. De principe.
Si vous faites un stage en pédiatrie en période de bronchiolite, vous avez toutes les chances de vous chopper une toux. Si vous le faites en période de gastro…
Et si vous n’avez pas fait la varicelle, vous allez immanquablement saisir l’occasion, tel le petit veinard que vous êtes.
En gériatrie ce n’est pas la même flore bactérienne, mais c’est le même topo. Un ami, qui, comme moi, faisait AideSoignant en maison de retraite l’été, a (contrairement à moi), réussi à y choper la gale. La classe.

– Les deux sont surprenants au quotidien.
Vous pouvez voir un gamin de 8ans remercier l’aide soignante qui remporte son plateau repas d’un « Je vous remercie infimiment, c’était excellent », ce qui, d’une part vous prouve qu’il existe des gosses bien élevés (ma bonne dame), d’autre part vous donne la furieuse envie de prolonger son hospitalisation de quelques jours. Trouver un plateau repas d’hôpital excellent, est forcément le symptôme de quelque chose. Au moins de mythomanie.
Vous pouvez aussi croiser une petite vieille dans l’ascenceur, en revenant de la radio qui se trouve 4 étages sous votre service, et voir, en réponse à votre obligeant « Quel étage, madame ? », la petite vieille enfoncer le bouton de l’étage de gériatrie aiguë en vous assenant, l’air triomphant « Moi je vais au 8ème merci ». Ce qui en soit est perturbant, mais l’est d’autant plus quand on sait qu’il n’y a que quatres étages.

– Les deux ont des prénoms ridicules, rarement dans le même genre (quoique). Entre Roberte ou Britney… que choisir ? Mais surtout, pourquoi, pourquoi, faire ça à un enfant (encore) innocent ?
En prévision de toutes les conneries qu’il fera plus tard, vous lui offrez un passeport pour se faire lapider au quotidien dans la cour de récré ? Alors, allez y, lâchez vous.

Et enfin, la gériatrie a même des avantages. Alors, la prochaine fois, soyez condescendants avec les pédiatres ET les gériatres
– Un vieux, ça se drogue. Regardez les médicaments que prend boulotte votre grand mère. Je suis prête à parier qu’au milieu des vitamines et des trucs pour le coeur, vous aurez de l’haldol ou du rivotril. Ca aide à dormir, ça calme les angoisses. Appliquer la même logique à un gosse est certes fort tentant, mais n’est pas une pratique qui fait consensus dans le monde médical.

– Si mamie se pète la hanche, on la confie à l’orthopédiste. Mais quand vous essaiez de vérifier que les hanches d’un ancien prématuré qui vient d’atteindre les 2kg300 g ne sont pas instables, vous avez l’impression que quelque chose va vous rester entre les doigts et que vous n’aurez alors d’autre choix que vous retourner vers la mère un peu méfiante dans son coin de chambre, pour lui laisser le choix « vous préférez l’aîle ou la cuisse ? ».

– Et enfin, gros gros avantage de la gériatrie, et qui rend la pédiatrie bien moins fun de nos jours :
Il n’y a pas de parents. Parce que quand quelqu’un est suffisament vieux pour vous faire un alzeihmer galopant, en général, c’est que ses parents boulottent des pissenlits depuis un moment.

Et ça c’est grandiose, parce que vous pouvez faire un examen clinique sans avoir l’impression que l’oeil de dieu est sur vous. (Rien n’est plus stressant qu’une mère inquiète, ou même curieuse. Je veux dire, faire tomber un bébé discrétos, pas de problème… Mais si les parents sont là… aaaah…).
Il paraît qu’à une époque bénie, avant l’avènement des chambres « mères enfant » dans les services, certains externes sussuraient à des gosses d’un ton apaisant et doucereux « mais qu’est ce que t’es laid(e) toi. oh làlà, tu vas en avoir du mal à trouver une nana plus tard », (Françoise Dolto, si tu me lis, cesse de te retourner dans ta tombe).
Si les préma sont des crevettes hallucinantes de fragilités et au delà des vannes, certains nouveaux nés tiennent plus de la baudroie que de l’être humain. Alors évidemment, ce genre de phrase ça passe toujours par nos têtes (au moins par la mienne), mais ne franchissent jamais mes lèvres, parce que si la mère entre à ce moment là, je suis bonne pour devoir lui expliquer que « mais non, une tête de baudroie, c’est pas grave, ça passe souvent en grandissant, et au pire, on fera de lui un orthopédiste ».
Et là, franchement, le prosélytisme pour l’ortho, c’est au dessus de mes forces.

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Comment Dr House m’a convaincue

Il aura suffit d’un seul geste pour que Dr House me persuade de ses talents, un trait de génie à vrai dire. Je le regardais, détente de fin de journée, amusée par le personnage mais dubitative quand à la médecine spectacle ainsi mise en scène, quand soudain m’a réserve m’a entièrement abandonnée.

Le patient suffoque. Dr House, très pro, s’empare de son stéthoscope, l’enfonce précipitamment dans ses oreilles et ausculte soigneusement le type avant d’annoncer « ses poumons sont en train de se remplir d’eau ».
Là, je n’ai pas peur de le dire, je reconnais en lui un frère.
Parce qu’avec son stétho enfoncé à l’envers dans ses oreilles (oui oui il y a un avant et un arrière à cette chose), ce brave homme n’a guère entendu que le battement du sang dans ses propres oreilles. Mais, avec l’aplomb du stagiaire de deuxième année qui se dit que si personne ne se rend compte qu’il ne sait pas ce qu’il fait et qu’il n’entend ni souffle au coeur, ni battement de coeur, ce n’est pas grave, il pourra garder ce petit secret pour lui et vivre avec sans trop de problème -et accessoirement essayer plus tard de comprendre comment ça marche tout ça, il ne s’est pas laissé démonté, a fini son examen et pondu son diagnostic avec un culot monstre.
Petit effronté.

Moi je dis, avoir aussi bien cernés quelle bande de charlatants nous sommes, chapeau. Quelle intelligence, quelle sensibilité dans la perception du monde médical…
La prochaine fois que télérama fait un article sur les séries américaines, je leur écrirai pour dire tout le bien que j’en pense.

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Joyeuses Pâques

Jeudi matin avait un goût de fin du monde, les urgences avaient implosé pendant la nuit et personne n’était parvenu à aller se coucher. 6h du mat dans le bureau médical, nous nous reposions enfin, échangeant les vannes en regardant d’un oeil torve les éclairs d’un gyrophare qui nous parvenaient au travers du verre dépoli de la fenêtre. Mais ils ont que ça a foutre les gens à 6h du mat ?
Derrière la détente qui venait enfin, derrière la lassitude et les vannes fatiguées, M X était là, et je savais déjà qu’il le resterai longtemps, pour moi. Il est de ses patients dont j’ai du mal à me détacher, qui me poursuivent. Je dors quand même la nuit, mais ils sont là au détour des pensées, ressurgissent à l’occasion d’un cours, d’un stage, d’une conversation.
Son histoire cristalise ce qui me fascine et me terrifie à la fois dans ce métier, l’instant où tout bascule, où vous savez que c’est très très très mauvais, et qu’une fois que vous l’aurez dit au patient, plus rien ne sera pareil.

Mr X, 34 ans, amené par les pompiers avait totalement récupéré de sa PC*, et s’attendait à devoir subir un bref examen, puis à rentrer chez lui. Il avait mangé un truc pas très frais, et se disait qu’après tout, c’était peut être ça. Raisonnement bancal mais rassurant.
Mais bancal. Sa PC était louche. Manifestement convulsive. Hématomes des membres, morsure latérale de langue etc.
Sympathique comme tout, il était presque embarassé d’être venu.
Mais son histoire ne sentait pas bon, (et en plus il était marié et avait des enfants en bas âge, et c’est bien connu, la probabilité que tu aies un problème grave est directement proportionnelle à ta gentillesse, la sympathie qu’on a pour toi, ta jeunesse et le nombre d’âmes à charges que tu as), et lorsqu’il a compris qu’il serait hospitalisé au moins deux jours pour « un bilan », que ça justifiait des examens, il en est tombé des nues.

Si nous avions été dans une série américaine, il y aurait eu un plan de moi, de ma mine attérée devant son scanner cérébral que je regardais sur le négatoscope, qui confirmaient mon intuition, alors que j’aurais tant voulu me tromper.
Puis il aurait eu un fondu enchaîné sur une salle de neurochirurgie, ou sur un traitement encore à l’essai et hasardeux en réalité que les scénaristes auraient présenté comme le traitement miracle ; sur des perfs qui gouttent, avec à l’arrière plan du tissu bleu, des mines graves, et les dessins que ses gosses ne manqueront pas de lui faire.
Et finalement, la sortie les retrouvailles un après midi d’été, le retour chez soi, et la fin en suspens. L’espoir.
Mais dans l’ellipse toujours optimiste de ces séries, vous ne verrez jamais les inoppérés, la survie moyenne médiocre, les pronostics effroyables dès que les stades précoces sont dépassés (dans ce cas précis hein), les effets indésirables de la chir, la vie qui s’arrête là pour tant d’entre eux.

On ne balance pas un diagnostic effroyable à deux heures du matin, dans un glauquissime couloir d’urgence. On ne prononce pas « tumeur cérébrale » (et le premier mot n’est pas loin de s’écrire en deux), pas quand le diagnostic n’est pas suffisamment documenté pour pouvoir expliquer quelle thérapie on va mettre en place, pas quand on est pas spécialiste soi même et qu’on ne peut apporter un espoir en même temps, qu’on en sait juste assez pour savoir que c’est mauvais, mais trop peu pour savoir à quel point.
Mon interne et moi nous sommes donc bornés à dire « il y a une anomalie, qu’il faut documenter à l’IRM », et avons répondu à « vous ne savez pas ce que c’est, cette anomalie ? », par une formule usée et haissable « non, il est trop tôt pour pouvoir être affirmatif ».

M X s’est contenté de cette réponse, il a refermé les yeux en attendant le brancardier qui devait l’emmener en neuro. Il commençait peut être à comprendre que ça pouvait être mauvais, et préferait ne pas savoir, acheter encore un peu de tranquillité.

Du poste de soin je l’observais, il était là, cet instant où la vie bascule, cet instant incompréhensible et effrayant, il était sous mes yeux et somnolait sur son brancard.
Et savoir avant lui, savoir qu’il s’embarquait pour un long chemin de croix (je fais des métaphores de circonstance), à l’issue plus qu’incertaine, que demain, après demain sa vie et celle de ses proche serait changée à jamais, me donnait presque la nausée.
L’impression obcène d’avoir surpris un secret intime, et d’en être l’illégitime détentrice.

Que sa vie, leurs vies si vous incluez sa femme et ses gosses, jusque là si banalement heureuses, puissent être si intensément bouleversées à la suite d’un symptôme qui leur paraissait minime de prime abord, me paraissait absurde, et faisait ressortir avec une violence aveuglante leur fragilité absolue.

Et à son échelle, cela suscitait en moi, la même fascination morbide et la même détresse sans objet (« sans objet » car il n’y a rien de plus obsène à mon avis que de prétendre s’approprier la souffrance d’un autre) qu’une catastrophe dont les images vous inondent ou la mort d’un des patients que je suis en stage.

L’épuisement aidant, j’ai dormi ce matin là, mais en ouvrant les yeux, M X était là.

*PC = Perte de conscience (bien noté Gaël)

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Où on apprend à négocier

Dans la série, « survivons au quotidien dans ce milieu hostile qu’est l’hôpital », si il y a une chose qu’il faut savoir peaufiner, c’est bien le mensonge. Non, non, rassurez vous, il n’est pas question ici de mentir au patient, il le fait assez pour deux (que celui qui n’a jamais eu droit au « non non, je n’ai jamais été opéré » et ensuite découvert sur le même patient moult cicatrices opératoires me jette ici la première pierre), mais mentir ou manipuler les gens pour parvenir à obtenir un service.

Je m’explique.
L’hôpital a ceci de pratique que vous avez à portée de téléphone sans fil des spécialistes d’à peu près tout. Que vous pouvez aussi joindre d’un coup de fil le médecin référent de votre patient dans un autre hôpital. Ce qui vous permet si votre patient a un problème cardio et que vous êtes un vieil orthopédiste (donc que votre connaissance après quelques années s’est amenuisée et se réduit à « un coeur qui bat c’est bien, un coeur qui bat pas c’est pas bien, mes patients sont vieux et ils ont plein de problèmes cardiaques, que fais je ? »), vous pouvez demander assez facilement un « avis cardio (ou pneumo ou autre…) » pour un de vos patient qui vous inquiète.
Bon, en fait vous le faites pas directement, c’est votre interne qui le fait, et si il est débordé c’est l’externe qui s’y colle.

L’hôpital a ceci de charmant que cette chose en apparence si simple et évidente peut devenir monstrueusement difficile. Parce que tout le monde a beaucoup de boulot donc préfère ne pas s’en voir rajouter. C’est sans doute un parcours du combattant visant à éviter les consults inutiles, mais dans le fond, c’est un peu le même principe que le Père Noël, à moins d’être irréaliste (N’y a t il personne qui guérisse par imposition des mains ici ?) on finit (presque) toujours par obtenir ce qu’on veut, mais faut vraiment le mériter.

Un matin, mon interne Brenda s’adresse à moi :
« bon écoute, j’ai une mission pour toi, du vrai boulot d’interne, je suis désolée mais j’ai des blocs toutes la matinée et Brian aussi » (oui, j’ai changé les noms de mes internes avec des noms de série Z, il faut savoir insuffler du glamour au quotidien). Bon déjà, à cet instant, je sens l’arnaque venir, parce que toute adorable que mon interne Brenda de viscéral est habituellement avec moi, quand elle flatte mon ego à 8h15 du matin, avant même d’avoir fini son café, c’est que ma matinée va être rendue difficile dans les minutes à venir.
« Mme X doit sortir tout à l’heure. Le problème c’est qu’elle était bradycard e ce matin, on lui a fait un ECG, il faudrait que tu lui en refasses un autre. Tu les compares, mais si ya un truc bizarre il faut ABSOLUMENT un avis cardio »
Là, je me dis, l’arnaque se confirme, parce que, arrêtez un peu, quelle probabilité a un  ECG d’être normal chez quelqu’un qui a 75 balais passés et qui est hospitalisé ?

« Et si le cardio te dit ok, tu la laisses sortir, sinon, tu t’y opposes ».

Là c’est marrant, parce que c’est un peu comme la fois où elle m’avait dit « Mme Y, faut que tu vérifie sa NFS, si l’hémoglobine a baissé d’un point, surtout tu t’opposes à sa sortie, c’est  grave, et tu cries, tu fais ce que tu veux jusqu’à ce qu’on t’écoute, mais faut qu’elle passe une fibro en Urgence parce si elle déglobulise c’est que son ulcère saigne » (oui, Brenda me fait confiance, et de fait, aime jouer avec mes nerfs). (et ça n’avait pas manqué, MmeY avait bel et bien baissé son hémoglobine).

C’est marrant disai je donc, parce que, dit comme ça, ça donne l’impression, non seulement qu’on va m’écouter, mais en plus qu’officiellement j’ai le droit de faire des trucs. Alors que bon, en pratique, une sortie, c’est signé par un interne au moins, une fibro, faut faire remplir trois papiers différents par un interne ou un médecin, un TDM, faut le négocier.

Donc voilà une externe qui hérite du bébé, pardon de la mission : obtenir un avis cardio, c’est ce que j’appelle la technique du « Dis tu voudrais pas obtenir un avis par tous les moyens, prostitution comprise ? ».
Devant elle, l’annuaire de l’hôpital et un téléphone. Trois techniques s’offrent à elle (en excluant le racolage passif) :

-La Franchise : Théoriquement la plus payante, si je me fie à ce qu’on a toujours voulu me faire croire.
En pratique, quand je dis « bonjour, je suis externe en chir viscérale, j’appelle pour un de mes patients qui… blablablabla, bref, on m’a demandé d’obtenir pour lui un avis cardio, pourriez vous blablabla ? », j’ai deux types de réponses :
De temps en temps j’ai de la chance et je tombe sur un CCA adorable qui me réponds « vas y, monte avec son ECG, on va déjà le voir ensemble », ou « lit combien ?, ok, je passe ». (En général, je note soigneusement le numéro et le nom de ces gens précieux pour un usage ultérieur)
Mais bien souvent, j’ai perdu la partie juste après avoir prononcé mon grade, et mon interlocuteur joue au jeu préféré de toute personne overbookée : essayer de perdre le problème dans les méandres téléphoniques de l’hosto. Ce qui donne une réponse de ce type « alors moi ça ne va pas être possible, mais essayez au 3615 ou au 2214. Et ils doivent avoir un petit bouton qui déclenche une alerte rouge dans le service ou sur leurs bips « attention, attention quelqu’un demande un service », parce que immanquablement, un des deux numéros ne répond pas, et l’autre aussi est overbooké, il faut donc envisager de passer à une autre stratégie (la troisième par exemple), ou alors se mettre à pleurer (ce qui ne fait pas plus avancer le schmilblik que le belge dans le sketch de coluche).

-L’Omission : Risquée, mais parfois payante :
Ca consiste à oublier de dire que vous êtes externe. La trame est la même, vous appellez de chir pour un de vos patients, vous avez besoin d’un avis cardio, mais dit comme ça, ça peut donner l’impression que vous êtes interne, voire mieux, (à ceci près qu’un « interne, voire mieux », s’anoncera comme tel) et tant qu’on vous a pas demandé qui vous êtes ou à quel numéro on peut vous joindre, on vous prend un peu plus au sérieux et on ose parfois un peu moins vous envoyer paître. Et vous obtenez ce que vous voulez. Si vous avez de la chance.
Car le côté risqué de la chose est qu’il faut à tout prix écourter la conversation téléphonique, juste faire accepter à la personne de passer voir le malade sans trop s’étendre sur le sujet, parce que si ça devient un peu technique, votre interlocuteur va vite comprendre que vous ne comprennez rien à ce que vous dites (vous avez le dossier ouvert sous les yeux et tournez frénétiquemment les pages à la recherche de l’essentiel qui n’est jamais ce que vous croyiez)), et qu’il peut vous envoyer promener en découvrant l’arnaque.

-La Technique de l’externe trisomique : a fait ses preuves, demande un petit talent d’actrice (j’aime à croire que je ne suis pas aussi bête que j’en ai l’air dans ces moments là), c’est à dire qu’il faut retrouver l’état d’esprit que vous aviez quand vous jouiez la vache dans cette pièce de théâtre à l’école primaire. A user en dernier recours, parce que bon, quand même il y a cette chose qu’on appelle dignité qui persiste au fond de vous je l’espère :
Prenez votre voix la plus naïve et la plus molle (voire déplacez vous et prenez votre air le plus absent et le plus abruti), et dites quelque chose approchant de
« oui, bonjour je suis externe en chir viscérale, mon interne est au bloc, j’arrive pas à le joindre, mais il faut un avis cardio pour un de mes patients ». A l’autre bout du fil (ou en face de vous) on vous assène les reproches habituels, pourquoi l’interne n’appelle t il pas lui même, pourquoi appeller au dernier moment, etc etc. C’est maintenant que tout se joue, avec votre première phrase vous avez clairement énoncé votre incompétence, mais c’est maintenant qu’il faut briller et parvenir à susciter chez l’autre une exaspération mêlée de pitié.
Mouillez votre voix (voire vos yeux), et dites « ah oui, mais non, mais moi je sais pas (bafouille), mon interne est au bloc vous comprennez (bafouille), on m’a juste dit que c’était important, et l’ECG n’est pas très normal, (bafouille), et j’arrive pas à joindre mon interne et il n’y en a pas dans  service ils sont tous au bloc. (bafouille) ».
Si vous vous y êtes bien pris, la personne à l’autre bout du fil a le sentiment que vous avez 7ans et demi et quelqu’un est en train de mourrir sous vos yeux pendant que vous vous tordez les mains de panique. A ce moment là elle craque sous la pression de sa conscience professionnelle et se déplace (ou envoie un subordonné).
Une amie a, avec cette technique, réussi à négocier un TDM dans la journée pour un de ses patients, alors que son interne n’avait obtenu qu’un créneau 5jours plus tard. Du grand art.
Inconvénient majeur : Vous êtes suceptible de devenir externe dans les services où vous appellez pour obtenir un avis. Faites attention à ne pas faire une impression trop durable, car si c’est votre prochain stage, votre premier mois là bas risque d’être embarrassant.

[j’ai coupé un sac herniaire et fait du surjet intradermique cette semaine. C’est rien, mais je tenais à le dire parce que j’aime (finissez vous même la phrase, vous savez ce qu’il en est)].

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Et surtout, de la rationnalité.

Ce que j’aime par dessus tout, dans le fond, c’est que nos années de formation payées par le contribuable commencent à porter leurs fruits.

En effet avec à peine 4 ans d’études (dont 2 qui n’avaient pas grand chose à voir avec de la médecine), nous voilà capables d’analyse rationnelle d’un cas, d’aboutir à un diagnostic en réfléchissant aux hypothèses les plus probables et les plus pertinentes, le tout avec une objectivité parfaite, évidement. Envisager d’abord les diagnostics les plus évidents, avoir recours aux « arguments de fréquence » (par exemple une infection des VAS a toutes les chances d’être virale donc sauf preuve de surinfection ou terrain débilité à la base on s’amuse pas à prescrire des antibiotiques, tant pis pour les quelques chances que ce soit bactérien), prendre en compte le contexte etc.

Séance de brainstorming à la bibliothèque.

[moi]: raaaaaah, j’arrive pas à me remettre de ma crève, je suis tout le temps crevée, j’ai des myalgies, même la nuit.

[n’importe quel pékin doté d’un cerveau aurait répondu] :
si t’avais pas cherché à aller en stage avec 40 de fièvre (ce qui s’est soldé par un cuisant échec : je suis restée 1h30 avant qu’on me renvoie à mes pénates et me suis emplafonnée dans un camion sur le chemin du retour avec la voiture parentale), et que tu t’étais vraiment reposée t’en serai pas là, hein, quant au myalgies, entre ton virus et le fait que tu reviennes d’une semaine de snow intense alors que d’habitude ton summum sportif consiste à enchainer des longueur de piscines en zig zaguant entre les aqua gymeuses, ça t’étonne vraiment ?

Au lieu de ça, j’ai eu le droit à :

[copain 1] : C’est peut être la mono ? Allez t’en as pour un moment, mais ça va aller.
[copain 2,3,4], occultant le fait que je tousse plus vraiment, mais se souvenant du cours sur la coqueluche de la veille :T’es sûre que c’est pas la coqueluche ? Je suis sûr que t’as la coqueluche.
[copain 5] se souvenant aussi d’un cours récent : T’as eu la varicelle ? Parce que si c’est pas le cas, t’es peut être en train de faire une forme pulmonaire, c’est plus fréquent chez l’adulte.
(ouais, c’est ça et le tout sans boutons, des esprits brillants et rationnels je vous dis…)
[copain 6, avec un grand sourire préoccupé], mon préféré : Si t’as une fièvre traînante et que t’es fatiguée, c’est peu être le début d’un lymphome ou autre cancer ?

Ah ben il est beau l’avenir de la médecine.

Au fait, prochain stage : Pédiatrie. Si je ne suis pas morte d’ici là, donc.

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Commentaires fermés sur Et surtout, de la rationnalité.