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CHLOROQUINE et Coronavirus: Méfiez-vous des raccourcis pour faire le buzz
CHLOROQUINE et Coronavirus: Méfiez-vous des raccourcis pour faire le buzzJe ne suis pas infectiologue, ni toxicologue.J’avais décidé de ne pas parler du coronavirus.Autant en 2009 pendant l’épidémie de grippe H1N1, il m’avait semblé utile de décrypter… Continuer la lecture
IVRE DU TEMPS PERDU
« Il revint, posa sur le rebord du lavabo un tee-shirt coloré, un short en jean. Il appuya du pied sur la pédale d’une poubelle en inox, y jeta mes vêtements. Je voulus protester mais n’en fis rien. Je n’avais plus qu’une envi… Continuer la lecture
Au revoir et adieu, jolie fille madrilène
Ce blog va disparaître, et avec lui douze années d’articles. Ceux qui le désirent pourront en retrouver certains sur mon site en construction, christian-lehmann.org , et de nouveaux textes et de nouvelles informations plus axées « littérature » que « méd… Continuer la lecture
Le sens des responsabilités ( Lettre ouverte à Edouard Philippe, Premier ministre)
Monsieur le Premier ministre je vous écris cette lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps. Je vous écris parce que vous êtes un homme d’action, un homme qui ose, et vous l’avez maintes fois prouvé.En… Continuer la lecture
« No Pasaran Le Jeu »: la trilogie de Christian Lehmann est disponible en édition de poche à l’Ecole des Loisirs
Lorsque j’ai mis la touche finale au manuscrit de « No Pasaran le Jeu », hier… c’est à dire il y a près d’un quart de siècle, je ne pouvais imaginer que ce roman, mon premier roman « jeunesse » rencontrerait un … Continuer la lecture
Lettre d’un Castor au Président Macron ( 4 Mai 2018 )
Cher Emmanuel Macron, Monsieur le président de la République,Un an déjà. Quelques jours avant le débat du second tour, j’avais publié un long article, Longtemps les nazis ont eu mauvaise presse , dans lequel je retraçais… Continuer la lecture
La connivence de plateau ( J’étais une Grande Gueule )
En dix ans, radios et télévisions ont élargi le champ de ce spectacle aussi insolite qu’insensé: remplir le vide avec du néant. En 2005, et pendant trois ans, je me suis retrouvé parmi les Grandes Gueules de RMC. … Continuer la lecture
Obligation vaccinale: un pari orwellien
La ministre de la Santé Agnès Buzyn a donné jeudi 25 janvier 2018 un délai de trois mois aux parents pour réaliser les 11 vaccins désormais obligatoires de leur enfant. Une obligation visant à pallier le manque de confiance dans ce… Continuer la lecture
« Un minimum de dignité, est-ce trop demander aux fossoyeurs de la médecine générale? »
C’est un courrier des lecteurs comme il y en a tant, s’offusquant du manque de médecins et de l’incapacité à trouver un médecin traitant, ou à obtenir une visite à domicile. A classer dans la catégorie bien connue des médecins encore en exercice #OnPeutMourir.
Mais ce courrier-là n’est pas publié n’importe où, et pas par n’importe qui. Il est publié dans un hebdomadaire médical, Le Généraliste, par Dinorino Cabrera, ancien syndicaliste, Président du Syndicat de la Médecine Libérale de 1981 à 2008, qui coule aujourd’hui une retraite qu’on espère ensoleillée en République Dominicaine.
Pour ceux d’entre nous, médecins généralistes, qui approchons de la fin de notre carrière, le nom de Dinorino Cabrera n’est pas inconnu. Nous l’avons subi pendant un quart de siècle. Mais en le lisant, il me semble injuste que la jeune génération médicale, qu’il fustige, ainsi que le grand public, ignore ce que lui doit le système de santé français. Ce n’est pas tous les jours qu’un des fossoyeurs de la médecine générale en France vient se plaindre du désastre qu’il a contribué à créer. Mais, comme le soulignait Michel Audiard: « Les cons, ça ose tout, c’est à ça qu’on les reconnaît »
Longtemps la médecine générale a été le parent pauvre de la médecine de ville. Taillables et corvéables à merci, dénigrés par la nomenklatura médicale, les généralistes n’étaient alors bons à rien le jour, et soudain parés de toutes les vertus quand tombaient la nuit et les gardes obligatoires. Une génération de Français n’a vu de généraliste qu’à trois heures du matin, pauvre type blafard montant l’escalier avec sa mallette pour la fièvre du petit entre deux journées de travail sans repos compensateur. Au mi-temps des années 90, la Caisse Nationale d’Assurance-Maladie, pas encore sous la coupe des assureurs, mit en place un système innovant, le système du médecin référent. Sans refaire le match,rappelons que le référent respectait les tarifs conventionnels, pratiquait le tiers-payant ( tiers-payant simplifié car la Sécu se chargeait de le payer et d’obtenir ensuite remboursement auprès des complémentaires), tenait pour chaque patient un dossier informatisé et se formait indépendamment des firmes pharmaceutiques. En contrepartie, le généraliste recevait une somme de 45 euros par an et par patient optant ( car le référent était une option, pas une obligation) sensée lui permettre de mettre son outil de travail aux normes et rémunérer le travail de coordination hors-consultation. En 2004, seuls 15% des médecins avaient choisi l’option référent, en grande partie du fait du tir de barrage des opposants, menés par deux syndicats réactionnaires, la CSMF du Docteur Michel Chassang, et le SML du Docteur Dinorino Cabrera. Pour le faire simple, et court, la CSMF défendait les intérêts des médecins spécialistes, le SML défendait le secteur 2 avec dépassements d’honoraires.
L’existence d’un corps de généralistes bien rémunérés, à même de coordonner peu à peu les soins de leurs patients optants, était pour ces deux syndicats une hérésie.
En 2004, Jacques Chirac nomma à la tête de l’Assurance Maladie Frédéric Van Roekeghem. Ce proconsul, ancien directeur d’audit chez AXA ( et qui ses forfaits accomplis retournerait dans le giron de l’assurance-privée), avait tout pouvoir décisionnaire, placé comme il l’était au-dessus des représentants des syndicats médicaux et des syndicats de salariés. C’est sous sa présidence que Philippe Douste-Blazy ( tête de gondole à mèche juste bonne à passer dans les média et totalement ignorant de la médecine de ville) et son âme damnée d’alors, Xavier Bertrand ( lui-même ancien assureur chez AXA, promu à de hautes fonctions par la suite) mirent en place la réforme dite « du médecin traitant ». Sur le papier, cette réforme obligeait chaque patient à désigner un médecin traitant afin que ses soins soient correctement remboursés. Dans la réalité, ce système présenté comme une simple extension du médecin référent à l’ensemble de la population souffrait d’une faille énorme: l’absence de toute rémunération forfaitaire. Michel Chassang et Dinorino Cabrera avaient longtemps bataillé sur ce point, et obtenu gain de cause. Pour Frédéric Van Roekeghem, c’était l’assurance ( ah ah) de dépenses en moins. Pour les deux syndicalistes, c’était une victoire à la Pyrrhus.
Après avoir dissuadé, pendant des années, les généralistes de rejoindre un système optionnel, incitatif, rémunéré et non pénalisant pour les patients, Chassang et Cabrera avaient bataillé ferme pour le détruire, à la veille de mettre en place un système obligatoire, non rémunéré et pénalisant pour les patients.
Dans un éditorial de sa revue, « Médecin de France« , Michel Chassang pérorait: « Jusqu’au dernier moment il a fallu batailler ferme pour que nos interlocuteurs acceptent de renoncer au médecin référent au profit du médecin traitant« .
Dinorino Cabrera, dans une lettre à ses adhérents, n’était pas en reste: « Nous avons dû batailler ferme et tenir bon ( la collaboration CSMF-SML et Alliance a été efficace et sans faille, puisque nous n’avons pas cédé). Tout le monde doit prendre conscience que le médecin référent constituait une menace grace, dont nous devions nous débarrasser« .
Je le répète tant la formulation est singulière, provenant d’un président de syndicat parlant de certains de ses collègues: « Une menace grave, dont nous devions nous débarrasser« .
Dinorino Cabrera
Confrontés à la réforme de 2005, destinés à devenir « médecin traitant » sans rémunération adaptée à cette fonction, nombre de généralistes qui avaient aveuglément suivi les consignes de la CSMF et du SML pendant des années restaient quelque peu perplexes, réalisant, mais un peu tard, qu’on leur imposait gratuitement une fonction proche de celles que leurs syndicats avaient conspué pendant des années lors qu’elle était rémunérée, au prétexte fallacieux de ne pas aliéner leur statut libéral.
Qu’importe. La « menace » était éloignée. Sans rémunération adaptée, le système du médecin traitant était destiné à ne pas fonctionner, à devenir une simple usine à gaz de remboursement. La coordination des soins vantée en paroles avait été reléguée aux oubliettes.
Dans les années qui suivirent, j’ai vu nombre de mes confrères et consoeurs dévisser, déplaquer: ceux qui s’étaient investi dans le système référent, qui avaient opté pour une médecine différente, plus lente, moins dispendieuse ( sur le seul poste pharmaceutique, l’Assurance Maladie économisait 20.000 euros par an par médecin référent, en tenant compte de la rémunération de celui-ci); ceux qui avaient cru et espéré exercer leur art différemment étaient relancés dans la course à l’acte et à la prescription. J’ai leurs noms. J’ai les noms de ceux qui économiquement n’ont pas survécu à cette grande première syndicale en France, comme le souligne Jean-Paul Hamon, Président de la Fédération des Médecins de France ( FMF) : « supprimer un avantage acquis sans contrepartie et léser des confrères« . Philippe F… Pierre C… Bernard B…Catherine D… Jacques M… Patrice M… J’ai les noms de ceux qui ont abandonné la médecine de ville pour se recaser dans des postes administratifs. Je fais partie de ceux qui se sont adaptés à ce nouvel environnement, sans gloire. La médecine générale que je voulais exercer, celle à laquelle aspirait la jeune génération, ces fossoyeurs l’ont assassinée en 2005.
Chassang et Cabrera voulaient une médecine générale à genoux, des généralistes le nez sur le guidon, incapables de coordonner l’accès aux soins des patients. Sans chef d’orchestre, pensaient-ils, la médecine spécialisée serait libérée de contraintes d’organisation du système de soins. Evidemment, l’inverse eût lieu.
La médecine générale, déjà peu attrayante de par la charge de travail et les horaires, gagna en complexité administrative. Sans les moyens de rémunérer un secrétariat, nombre de médecins âgés accélérèrent leur départ en retraite. Le manque d’attractivité de cette profession, dont les actes étaient moins rémunérés et la charge administrative plus lourde, dissuada les jeunes de s’installer comme généraliste. Ce qui était prévisible dès 2005 est aujourd’hui notre réalité quotidienne. Le nombre de généralistes diminue, rapidement. La moyenne d’âge est élevée, la pyramide des âges tient sur la pointe, en l’absence de renouvellement. Chaque année, dans des grandes villes comme à la campagne, des médecins partent sans remplaçant, aggravant la charge de travail de ceux qui restent, et qui pour beaucoup sont quinqua ou sexagénaires.
Et dans ce désastre qu’il a contribué à créer, depuis sa retraite dorée en République Dominicaine, Dinorino Cabrera, ce fossoyeur tout droit sorti d’un sketch d’Audiard, interpelle les survivants:
« Il n’est pas normal que la profession libérale ne s’organise pas pour suivre et prendre en charge les personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer. Les Yvelines ne sont pourtant pas un désert médical !«
L’homme qui a contribué à désorganiser la médecine générale et à dissuader les jeunes de s’installer vient nous faire la morale… Les Yvelines, j’y exerce. C’est un désert médical, dans l’un des départements les plus riches de France, à 20 kilomètres de Paris. Le Chesnay, ce n’est effectivement pas dans la Creuse.
Et ce final, qui ne manque pas de panache: « J’ai envie de dire à la profession, il faut que vous vous réveilliez ! Organisez-vous au plus vite notamment par des délégations ou transfert de charges. (Peu importe l’expression). Ou il ne faudra pas s’étonner si les politiques cognent !«
L’homme qui a mis la médecine générale à terre menace les survivants de la schlague bien méritée. Imagine-t’on un coach sportif trancher les jarrets de ses joueurs puis leur reprocher de ne pas courir assez vite? On croit rêver, mais c’est un cauchemar.
Si je m’adressais à Dinorino Cabrera ( mais ma réserve de métoclopramide est dangereusement basse), je lui dirais:
« Cher confrère,
Vous récoltez ce que vous avez semé. Vous vouliez des généralistes sans moyens, courant après l’acte sans jamais relever la tête. Vous pensiez que cela laisserait toute liberté aux médecins spécialistes, et aux dépassements d’honoraires. Vous avez mis la médecine générale à terre, et en l’absence de première ligne de soins en ville, la médecine spécialisée de ville a suivi, parce que la population s’est tournée vers l’hôpital, le surchargeant de demandes.
Dans le même temps, les jeunes ont fui la médecine libérale, optant pour un travail en maison de santé, sous la tutelle hélas d’agences administratives aujourd’hui, d’assureurs demain, qui imposeront leurs conditions, comme l’Assurance-maladie, grâce à vous, impose aux médecins une rémunération à la performance sur des indicateurs parfois médicalement ridicules. La dernière chance d’auto-organisation indépendante de la médecine de ville, vous l’avez étouffée dans l’oeuf.
J’ai commencé avec Audiard, je finirai avec Ridley Scott, et le personnage de Maximus, interprété par Russel Crowe: « Ce que l’on fait dans sa vie résonne dans l’éternité« . Oh, je sais que l’éternité est bien trop vaste pour un fossoyeur de votre espèce. Mais j’aurais été sincèrement peiné que vous n’ayez pas vous aussi votre quart d’heure de gloire warholien. Que les Français, et parmi eux mes jeunes collègues médecins, oublient ce qu’ils vous doivent: la mise à genoux de la profession, la désorganisation du système de soins français, la main-mise progressive des assureurs sur la médecine, la désertification médicale et ses drames.
La médecine générale a été poignardée en 2005. Vos empreintes sont sur le manche. Est-ce trop vous demander de montrer un minimum de dignité au-dessus de son cadavre agonisant, et de vous taire?
Bien confraternellement »
Docteur Christian Lehmann
Lettre ouverte aux députés contre le projet d’extension de l’obligation vaccinale des nourrissons
« Mais que diable allait-il faire dans cette galère? » Molière, les Fourberies de Scapin Courant Septembre 2017, des confrères se sont rapprochés de moi dans le but d’écrire une lettre commune destinée aux représentants de l’As… Continuer la lecture
Richard Ferrand. Tranquille le gland
De l’affaire elle-même, je ne dirai rien que n’aient déjà dit Le Canard, Mediapart, Le Parisien, Libération… Les éléments de langage distribués par la compol de l’Elysée au fur et à mesure que s’enferre Ferrand suffisent à la délimiter:
« Mais puisqu’on vous dit que c’est légal »,
« La justice n’a constaté aucune anomalie »,
« Si maintenant les journalistes s’érigent en juge… ».
Viendront, à mesure que le naufrage d’une moralisation promise de la vie politique progressera, les chapitres suivants:
« J’ai ma conscience pour moi »,
« J’aime ma femme et mes enfants »,
« Je ne le referai probablement pas aujourd’hui mais vous n’allez pas m’en chier une pendule », puis
« Mais tout le monde a toujours fait comme ça ».
Ce qui est intéressant, à ce stade, outre les cris d’orfraie des fillonnistes d’hier ( qui soudain applaudissent Le Monde et Mediapart) , c’est le concert de perfidies en provenance du camp ex-socialiste.
Jean-Christophe Cambadélis, Kofi Yamgnane, Catherine Lemorton, chacun y est allé de sa petite banderille, maintenant que Ferrand, hier enfant du sérail, a changé d’écurie. Et ce que disent ces gens, qui connaissent bien le sujet, est assez éclairant.
On a quoi, en fait? Un type, directeur de mutuelle, qui fait réaliser une opération immobilière au terme de laquelle, sans coup férir, sa compagne s’enrichit personnellement de quelques centaines de milliers d’euros. Tranquille le gland. En toute légalité, puisque la mutuelle n’a jamais porté plainte, et que de toute façon ( je cite) il n’était pas dans les attributions de celle-ci de se créer un patrimoine immobilier.
La presse semble alors découvrir, pelure d’oignon après pelure d’oignon, les petites affaires de Richard Ferrand, l’incessant mélange des genres public-privé de ce nouveau parangon de vertu.
Lorsque les médecins dénonçaient, sous le quinquennat Hollande, le passage en force de la loi sur les réseaux de soins, qui préfigurait la mutuelle obligatoire pour tous, personne n’écoutait. Ils pointaient que Ferrand, rapporteur de la loi, était dans le même temps député et salarié des Mutuelles de Bretagne, et ça faisait pschiitttt.
Sous la pression, Ferrand avait dû comme ses coreligionnaires ex-mutualistes Fanélie Carrey-Compte et Bruno Le Roux, restreindre les réseaux de soins au dentaire et à l’optique ( abandonnant pour l’instant les réseaux de soins mettant les médecins sous tutelle directe des assurances complémentaires). Il ironisait même en direction des opposants: « Il ne faut pas crier avant d’avoir mal ».
On sait ce qu’il advint de Le Roux, ex de la MNEF. On sait comment finit la LMDE, assez ignominieusement, malgré le soutien appuyé des Touraine, Sapin et autre Hamon, qui jusqu’au bout et en dépit de l’évidence auront tenté de faire perdurer cette gabegie qui laissa des milliers d’impayés aux professionnels de santé, dissuada des milliers d’étudiants de faire rembourser leurs soins.
Mais au détour des vacheries des uns et des autres, on voit le noyau dur du PS se déliter, et les camarades d’hier baver leurs secrets.
C’est Jean-Christophe Cambadélis, comdamné dans l’affaire de la MNEF pour « recel d’abus de confiance », qui en orfèvre conseille à Ferrand de démissionner.
C’est Kofi Yamgnane, ex secrétaire d’Etat sous Mitterrand, qui benoîtement explique comment on devient directeur de mutuelle, quand on est l’obligé du député socialiste local: Ferrand a été son conseiller en communication à partir de 1991, et ne voulait pas revenir sur Paris lorsque Kofi Yamgnane a perdu les législatives en 1993. Qu’à cela ne tienne! « On avait un ami qui était le président des Mutuelles de Bretagne. Il y est rentré et il en est devenu le directeur en 1998. » Elle est pas belle, la vie des tâcherons multicartes du Parti « Socialiste »?
La presse s’est fait l’écho des passerelles multiples entre Solférino et le monde merveilleux et solidayyyyre des mutuelles. De Jean-Marie Le Guen à Laurence Rossignol, tous ces curriculum vitae estampillés MNEF ou LMDE donnent le tournis. Expliquent la tendresse particulière du clan Hollande, de Marisol Touraine, pour ces mutuelles auxquelles elles permettaient en 2012 de repousser encore d’un an la divulgation de leurs frais de gestion, « dont nous connaissons les difficultés qu’elle créait pour vous » ( on croit rêver).
Nous eûmes ensuite droit au tiers-payant, que la ministre utilisa comme marqueur social d’un quinquennat qui le fut bien peu, au profit d’assurances complémentaires qui y voyaient un moyen de contracter directement avec les médecins en mettant fin au monopole de la Sécurité Sociale. Puis les thuriféraires du benêt Hollande acclamèrent l’accord national interentreprises, et son cadeau-surprise, la mutuelle obligatoire pour tous, plus chère et moins avantageuse en terme de remboursement. Aujourd’hui, la messe est dite, chacun sait qu’il s’est fait baiser sous Hollande, mais longtemps, le slogan « Une mutuelle pour tous! » fit fureur. Il est sûr que c’était clair, direct, concis, plus vendeur que « Une mutuelle pour tous, et une SCI pour madame ».
Le Parti « Socialiste » prend l’eau de toutes parts, et tandis que certains tentent désespérément de relier les chaloupes d « En Marche », d’autres font mine de découvrir l’évidence.
C’est Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales à l’Assemblée quand même, qui découvre aujourd’hui, éberluée, que Ferrand était payé par les mutuelles alors qu’il rapportait la loi en leur faveur ( Le fait, ainsi que le montant des émoluments, étaient écrit noirs sur blanc sur sa déclaration de liens d’intérêt à la Haute Autorité, mais Catherine a parfois du mal avec les chiffres, elle qui explique que « Un ça peut pas être une moyenne ». Il faut dire que le PS n’est pas avare de pointures de compétition quand il est question de faire des propositions innovantes en santé). Evidemment, si Catherine Lemorton avait écouté ces nantis de médecins libéraux opposés au tiers payant social et solidaire, ça l’aurait peut-être éclairé. Hélas, elle avait mieux à faire. D’où sa surprise surjouée de la vingt-cinquième heure:
« Richard Ferrand m’avait dit qu’il avait travaillé pour les Mutuelles de Bretagne, mais pour moi c’était du passé. Si j’avais su qu’il était encore chargé de mission [aux Mutuelles], la question, je l’aurais posée clairement. Il était en lien d’intérêts. »
C’est Marisol Touraine, au début de l’année, dénonçant les projets avortés de Fillon de bascule de la prise en charge des soins de ville, de la Sécurité Sociale aux assurances complémentaires, et tweetant:
En fin de mandature, la ministre découvrait que les mutuelles qu’elle avait défendue avec tant d’acharnement étaient en fait « des assureurs privés ». Ce ne fut pas le moindre de ses retournements de veste, jusqu’à sa candidature de Schrödinger aux législatives, affiliée PS mais refusant de mettre le logo sur ses affiches tout se déclarant membre de la majorité présidentielle malgré s’être vu refuser l’investiture par Macron.
Au passage, signalons le tour de force de son petit protégé, Gabriel Attal, membre du cabinet de la sinistre ( aux côtés de Benjamin Grivaux) , aujourd’hui relooké jeune premier issu de la société civile dans les clips pour chaînes d’infos macronistes en continu.
Un petit nettoyage de bio et de compte Twitter plus tard, Gabriel est un oisillon tout juste tombé du nid, une start-up de la Génération Macron . L’équipe Macron aura montré plus de miséricorde envers Gabriel qu’envers son ancienne patronne, comprenne qui pourra.
Au-delà de ces péripéties, ce qui se joue autour de Ferrand, c’est rien moins que la crédibilité du projet Macron. Faire du neuf avec du vieux, créer une offre politique différente en recyclant des hommes du passé, n’est possible qu’au prix d’une vigilance de chaque instant. On ne peut pas décemment promettre au peuple de « moraliser » la vie politique, en traînant avec soi des gens qui ont profité du système « parfaitement légal » de prébendes qu’ils ont eux-mêmes pendant des décennies voté, mis en place et protégé.
Le système mutualiste a été gangréné par le politique, qui s’en est servi pour recaser ses has-been, ses destitués, ses triquards. C’est devenu tellement malsain, tellement évident lors du déplorable quinquennat de l’adversaire de la Finance que certains dirigeants de la Mutualité elle-même s’en étaient émus: « Nous payons au prix fort la trop grande proximité entre la mutualité et le parti socialiste ». Du côté des petites mutuelles indépendantes, la Fédération Diversité et Proximité Mutualiste, dans un communiqué récent, demande, tout comme Anticor, la démission de Richard Ferrand, et accuse:
Il reste à savoir à Emmanuel Macron quel prix il est prêt à payer pour sauver l’homme qui plombe le début de son quinquennat, et une promesse emblématique, celle d’en finir avec l’Ancien Monde des prébendes et des rentes de situation. Si l’homme est aussi fin stratège qu’il le paraît, restera à Richard Ferrand à faire fructifier ailleurs ses incroyables talents dans l’immobilier de bureau.
Christian Lehmann est médecin généraliste et romancier.
Longtemps, les nazis ont eu mauvaise presse
Longtemps, les nazis ont eu mauvaise presse.
Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, comme on dit. Un temps où la mémoire des crimes commis par les fascistes ( de merde ) était une tache indélébile sur le front de l’extrême-droite française. Incapables de consigner à l’oubli les massacres et exactions du Reich et de ses collaborateurs soumis, les héritiers des ligues fascistes, les pétainistes, les antisémites rasaient les murs, échangeant sous le manteau leurs écrits négationnistes.
Vint Jean-Marie Le Pen, qui les décomplexa en partie, en jouant avec les mots. L’homme était bon orateur, cultivé, suffisamment pervers pour tenir un double langage lui permettant comme un clown de tréteaux d’adresser à son public conquis des signes de connivence qui passaient au-dessus de la tête du plus grand nombre. Autour de lui, il agrégea du monde, un premier cercle d’ultracatholiques coinçés et de nazillons païens, de zélateurs du beau langage d’une France Eternelle et de saoûlards bedonnants fiers d’appartenir à la race blanche. Le Pen père les amalgama tous sous sa bannière, faisant taire les dissensions, écrasant les prétendants au trône et les «traîtres», avec une égale férocité.
Cela dura des années. Des années durant lesquelles s’était constitué autour de lui et de ses sbires un cordon de sécurité difficilement franchissable. Ce cordon bordait une fosse, dans laquelle gisaient des millions de morts et une Europe en flammes. Nier cette extermination pour les plus déments, la relativiser pour les plus retors, était un exercice périlleux. D’autant que tout autour, les hommes et les femmes qui avaient vécu cet enfer, qui l’avaient combattu, gardaient dans leur mémoire le nom des disparus, le prix de la liberté.
Cette liberté n’était pas totale, aucune liberté ne l’est. Très vite, le grand rêve des jours heureux avait été perverti. Très vite les « grandes féodalités », les patrons de presse, les barons de l’industrie qui avaient accueilli à bras ouverts le « redressement national » de Pétain et la collaboration avec le nazisme, reprirent le dessus, fustigeant les avancées sociales de l’après-guerre, acquises de haute lutte. Au point que dès les années 80-90, d’aucuns, qui combattaient en vain la main-mise des puissances d’argent, se mirent à trouver audibles les parias lepénistes. Avec le recul, le discours commun apparaît dans son extrême indigence: les uns niaient le génocide juif, faute indélébile, les autres théorisaient qu’un autre génocide était passé sous silence, celui de la classe ouvrière opprimée par les puissants. Fallait-il que ces coeurs soient secs, fallait-il que leur capacité d’outrage soit défaillante, pour ne pouvoir dans le même temps condamner les assassins d’hier et les oppresseurs d’aujourd’hui? Cette alliance rouge-brune eût un temps, fut dénoncée, créa au sein de l’extrême-gauche des déchirures irréparables.
Les années passèrent, les témoins se firent plus rares. Et la mémoire de la Shoah, le combat antiraciste, furent instrumentalisés, pour des raisons politiques. Ces petits calculs n’avaient rien à voir avec le respect dû aux victimes, mais servaient les intérêts géopolitiques du jour.
Longtemps cantonné au rôle de pitbull de la politique, le vieux leader d’extrême-droite confia enfin les rênes à sa fille Marine, charge à celle-ci de «nettoyer» l’image du parti, ce dont elle s’était empressée avec zèle, faisant d’une pierre deux coups.
Avec le soutien tacite de son père et une maîtrise de la communication insoupçonnée, « Marine » avait fait entrer le Front National dans le vingt-et-unième siècle. Les blagues douteuses sur les fours crématoires, le négationnisme bonhomme de son père, avaient été relégués aux poubelles de l’Histoire. Dans « Le Point », Marine Le Pen avait affirmé que la Shoah avait constitué « le summum de la barbarie », un moment atroce de l’histoire de l’humanité, sur lequel elle ne tolérait aucune ambiguïté. Et s’était empressée de cibler son discours sur un bouc-émissaire plus acceptable, l’Immigré.
Un moment déboussolées, ses troupes avaient rapidement entendu le message. L’Immigré, l’Arabe, c’était un ennemi à leur portée, un ennemi qu’ils pouvaient croiser au quotidien, un ennemi sur lequel ils pouvaient à loisir, aiguillonnés par tout ce que le gouvernement comptait de ministres racistes, reporter leurs frustrations, accuser de tous les maux: chômage, inflation, bientôt même la hausse du prix de l’essence.
Les nostalgiques de l’Ordre Ancien, ceux qui pendant des décennies avaient traqué et dénoncé le Juif, moquant les commémorations de la Shoah, discréditant les survivants, mettant en doute la réalité des camps, ceux-là avaient fait leur temps. Ceux qui n’acceptaient pas de mettre en veilleuse leur haine, ceux qui ne comprenaient pas qu’il était devenu nécessaire, beaucoup moins dangereux politiquement, et beaucoup plus porteur, de concentrer leur fiel sur l’Immigré, devaient être exclus.
Le coup de maître de Marine Le Pen fut de pratiquer ces exclusions publiquement, quand souvent son père s’était contenté de mises à l’écart discrètes. A chaque skinhead dévoilé sur Facebook avec le bras tendu dans une arrière-salle de brasserie, elle organisait une conférence de presse, dénonçant devant des journalistes médusés qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez l’insupportable déviance que représentait cet affront aux victimes du nazisme, et l’incompatibilité de ce comportement avec les «valeurs» que portait selon elle depuis toujours son parti. Cette purge pratiquée au grand jour, sous l’oeil même de média complaisants, lui permettait de gagner sur tous les tableaux, en rassurant l’électorat de droite modérée par sa prise de distance avec les extrêmistes, et en pratiquant au sein même du Parti, sans la moindre hésitation, le bannissement de tous ceux qui pouvaient la gêner. Flanquée de Florian Philippot en gendre idéal, elle se rendit fréquentable.
Pendant des années, les média qui aujourd’hui se muent en résistants de la dernière heure lui offrirent des colonnes, des unes, des photographes de talent, des chroniqueurs complaisants, quand ses adversaires les plus virulents, à gauche, étaient pointés du doigt comme de dangereux irresponsables. Les injustices grandissaient, les boucs émissaires étaient tout trouvés: arabes, Roms, pauvres, populations dangereuses, mises à l’écart par ceux-là même qui nous jouent « No Pasaran » aujourd’hui.
Qui a oublié les propos de Manuel Valls sur les Roms, ou sa ville trop peu pourvue en « whites », en « blancos »? Qui a oublié la déchéance de nationalité? Ou ces lois liberticides que firent voter hier les mêmes députés qui aujourd’hui nous disent: « Vous n’imaginez tout de même pas laisser ceci aux mains du Front National? » Ou Elisabeth Badinter repeignant Marine Le Pen en défenseur de la laïcité? Ou Alain Finkielkraut éructant que « l’avenir de la haine raciste est dans le camp des gens qui se sont réjouis de la défaite électorale de Jean-Marie Le Pen en 2002, et non dans le camp des fidèles de Vichy »? Pendant des années, ceux qui dénonçaient l’injustice sociale, le joug de l’austérité, le poids de la finance sur leurs vies, furent traités comme des pestiférés, tandis que petit à petit Marine, qu’on appelait par son prénom, devenait audible, et que son patronus, Florian Philippot, cumulait les ronds de serviette sur les chaînes d’info.
Et nous voilà ce soir. A la veille d’un second tour entre Marine Le Pen, l’héritière de la boutique paternelle, et Emmanuel Macron, ex-banquier qui se rêverait philosophe, adversaire rêvé. Comment en sommes-nous arrivés là? Sûre de tenir sa revanche sur un quinquennat haï, la droite s’est suicidée, se livrant au candidat le plus réactionnaire, le plus austéritaire, le plus malhonnête. C’était un pourri? Peut-être, mais c’était leur pourri. La gauche de gouvernement n’avait cessé de se saborder pendant cinq ans. Le Président avait menti pour se faire élire, dénonçant la Finance à laquelle il avait ensuite ouvert toutes les portes, s’entourant de repris de justice, de corrompus, de lamentables. Dans la dernière ligne droite, elle se déchira: après cinq ans de reniements, elle enchaîna la trahison de son propre candidat.
A gauche un espoir était né, incarné par Jean-Luc Mélenchon, qui avait autour de son nom et de sa personne amalgamé des centaines de milliers d’insoumis. Au moment où cette vague se brisait au soir du premier tour, on vit Mélenchon défait, inaudible. Immédiatement, il fut sommé de se désister, de donner une consigne de vote, dénoncé par ceux-là même qui avaient longtemps ridiculisé son mouvement. Et dans le même temps, de ses propres rangs, naquit un mot d’ordre #SansMoiLe7Mai. Pour nombre des insoumis, il semblait inconcevable de voter pour un candidat estampillé comme candidat des élites et de la finance, dont le programme, la volonté de légiférer par ordonnances, heurtait ceux qui se trouvaient soudain pris au piège, entre le fascisme et l’horreur économique. Mélenchon se tut, lui avait l’âge et le vécu nécessaires pour savoir ce que représentait le Front National, dont il avait combattu les idées pendant des années. Et parmi les insoumis, ce furent des hommes mûrs, Axel Kahn, Gerard Miller, Sam Karmann, qui prirent la parole dans les jours qui suivirent pour dire qu’à l’évidence, et la rage au coeur, ils voteraient pour Emmanuel Macron, quitte à le combattre dès le lendemain. La distinction entre l’adversaire et l’ennemi était claire pour eux. Et on avait l’impression que Mélenchon refusait de faire de même, parce que sa stature d’opposant dépendait de ce non-dit: ayant fait naître un grand espoir, il ne pouvait mettre genou à terre.
Et nous voilà ce soir. J’ai lu, comme vous, des dizaines d’articles, de prises de position, de commentaires. Il y a ceux qui invectivent les abstentionnistes, ceux qui exigent des preuves, ceux qui refusent de se salir les mains en votant, ceux qui soulignent la tolérance des candidats du système pour un FN qui longtemps leur a permis par sa seule présence d’accéder au pouvoir, ceux qui s’en remettent aux autres, les « castors » pour faire barrage, ceux-là même qui ne voulaient pas voter Macron pour ne pas le plébisciter mais s’y résolvent devant la médiocrité de cette campagne d’entre-deux tours. Et puis il y a ceux qui se révèlent, pour qui ne les avait pas bien saisi: les Christine Boutin, les Marie-France Garaud, les Nicolas Dupont-Aignant, les futurs collaborateurs à qui on voudrait hurler #RendsLaCroixDeLorraine, si ce mot avait encore un sens.
Je suis un castor, je ne m’en cache pas. Je n’invective personne. Je n’enjoins personne. J’ai vécu le 23 Avril 2002, je me souviens des manifestations quasi-spontanées jusque dans ma petite ville de région parisienne. Nous étions des milliers. Nous savions qui était Jean-Marie Le Pen, nous savions ce qu’il incarnait. Le Front n’avait pas encore fait profil bas, n’avait pas mis son masque de fausse respectabilité. Pendant des années j’ai écrit des livres où il apparaît, souvent sous le nom d’un parti en quête de respectabilité, « Patrie et Renouveau », en marche vers la conquête du pouvoir. Un de ces livres, « No Pasaran le Jeu », plébiscité par les professeurs de français, d’histoire, les documentalistes, s’est retrouvé au programme des classes de collège, vendu à plus de 350.000 exemplaires. Un autre, « Tant pis pour le Sud », où il était question de la gestion d’une ville passée au FN, et qui m’avait été inspiré par la profanation du cimetière de Carpentras, où déjà Gilbert Collard avait oeuvré pour dédouaner Le Pen père, m’avait valu des menaces de poursuite du cabinet de Bruno Mégret à l’époque. Si vous les avez lu, si vous faites partie de ces 350.000 adolescents qui ont suivi la quête d’Eric, Thierry et Andreas, adeptes de jeux vidéo propulsés dans la mémoire des guerres du XXème siècle, souvenez-nous de la « morale » de cette histoire: Si la vie est un jeu video, elle n’a pas de sauvegarde.
Je voterai Emmanuel Macron. Je voterai pour renvoyer Marine Le Pen devant ses juges, et à ses luttes internes fratricides. Je ne sais pas ce que feront les autres, je ne sais même pas ce que feront certains de mes amis. Je sais juste que chaque vote, chaque bulletin blanc, chaque abstention comptera, que comme les Britanniques, comme les Américains, nous vivrons, tous, avec les choix de chacun.
Christian Lehmann
( médecin et romancier)
tableaux de Zdzislaw BEKSINSKI
Mr P.
Dans les années 80, je débutais comme jeune médecin généraliste.
Parmi mes patients, Mr P. Une caricature: gros, sale, le béret enfoncé sur des cheveux gras. Un manteau noir râpé, des fringues raides de suint, et souvent des pantoufles aux pieds. Gros Dégueulasse, de Reiser, IRL
Mr P était mal poli, hirsute, puant. Il entrait dans la salle d’attente, levait sa béquille et fusillait la secrétaire et les autres patients, « ra-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta », et leur effarement le faisait marrer.
Sa mère, une pochtronne de compétition, a fini par réussir à se suicider à la bière qu’elle planquait dans une cache sous la baignoire.
Mr P. 60-65 ans à l’époque je pense, en faisait 10 de plus. il avait été appariteur à la fac à Paris, et j’imaginais ce qu’avait été cette vie.
Un jour, il était arrivé dans le cabinet, précédé par son odeur, et m’avait dit: « Le mieux c’est que je vous montre ». Il avait lâché la ceinture miteuse de son bène, découvrant un calcif répugnant, décoloré de diverses taches géographiques jaunes ou verdâtres. Puis tandis que mes yeux commençaient à piquer, il avait baissé son calcif, m’avait exhibé ses génitoires et m’avait dit sur le ton de la confidence: « J’étais en train de me faire une petite gâterie quand du sang est sorti ». Il était effrayé, je lui ai expliqué que même si c’était impressionnant, ce n’était pas grave, une hémospermie, un incident de parcours. Il s’était rhabillé, et je ne sais pas comment mais il m’a dit qu’il avait un truc à me raconter, qu’il n’avait jamais dit à personne.
Il m’a dit que pendant la guerre, il était parti de son hameau, un matin, à vélo avec son pote, chercher du pain au village. En route, il avait crevé. Son pote s’était un peu foutu de lui puis avait tracé la route. C’était la guerre, et du pain, t’étais pas sûr d’en avoir si tu lambinais. Mr P avait mis une bonne demi-heure à réparer son pneu, et quand il avait enfin approché du village, il avait vu les flammes, et la fumée dans le ciel. Et senti l’odeur. Il n’a pas ramené de pain ce jour-là.
Le village s’appelait Oradour sur Glane, et en crevant un pneu, il avait manqué d’une demi-heure la division Das Reich.
« Du passé faisons table rase » : Mélenchon et la Grosse Dame
Mélenchon.
Mélenchon Jean-Luc.
Voilà trois semaines que j’ai terminé le ( attention, spoiler ) très bon livre de Marion Lagardère sur JeanLuk et que j’hésite à en parler. Pour plein de raisons. Dont l’espoir qu’il a contribué à faire naître.
Longtemps, je n’ai pas su ce que je pensais du puzzle que me présentait l’homme de la France Insoumise, des fragments apparemment contradictoires de sa personnalité et de son parcours.
Un tribun hors-pair, habité parfois d’une vraie émotion, et un type qui peut te lâcher, d’un ton qui ne souffle aucune protestation, que bien évidemment il voyage en avion en première classe, il ne va pas se casser le dos comme du vulgaire bétail.
Un esprit littéraire assez fin, un lettré, parfois traversé par le sens du tragique, et un guignol de plateau prêt à faire applaudir Drucker, ce grand professionnel.
Et j’en passe.
En tant que médecin, j’ai assez vite été confronté au dilemme Mélenchon. Comme je l’ai déjà raconté (ici), il fut l’un des rares hommes politiques à se déplacer lors du combat contre les franchises ( avec la députée Jacqueline Fraysse et le sénateur Guy Fischer ), et pas seulement le temps de choper les caméras du vingt heures avant de s’engouffrer à l’arrière d’une berline ( bonjour, Julien Dray, et au revoir). Mais lors de la calamiteuse campagne vaccinale Bachelot en 2009, son aveuglement vis-à-vis d’une profession ( la médecine de ville, pour faire vite: « si vous allez chez votre médecin vous devrez le payer à l’acte avec tous les débordements habituels auxquels ces gens se livrent sur le dos de la Sécurité Sociale et de la santé publique… ») parée de toutes les tares du libéralisme , l’amena à soutenir à bout de bras les vaccinodromes de Sarkozy et Bachelot, croyant déceler les prémisses d’un retour au temps béni des dispensaires de santé publique, là où il n’était question que d’esbroufe ascientifique, de stratégie de la terreur et d’autoritarisme imbécile. Huit ans plus tard, cette saillie: «Devant les campagnes de santé publique, on fait d’abord la campagne on discute après, pas l’inverse… » reste gravée dans ma mémoire. Pas parce que je serais particulèrement rancunier, mais pas qu’elle concentre ce qui m’a toujours gêné chez JeanLuk. Cette grille de lecture obsolète qui lui permet de planquer ses propres défauts tout en désignant les ennemis du peuple, ceux qui pensent de travers.
Pendant des années, Marion Lagardère, journaliste, a suivi la campagne de JeanLuk pour France-Inter. Dans ce livre, elle répond à la question qu’on lui pose systématiquement ( et qui l’agace): « Il est comment Mélenchon, en vrai ? ». Un peu de la défiance du candidat a déteint sur elle, semble t-il, tant elle y va à reculons, certaine que chacun ne trouvera dans son livre que ce qu’il voudra bien y voir: les groupies fondront d’aise, les ennemis seront confortés dans leur haine. Mais ce défaitisme n’est pas de mise, parce qu’elle-même ne s’est pas laissé avoir. Son portrait psychologique de Mélenchon est aussi détaillé que complexe.
Mélenchon, c’est l’homme qui attend et espère la Révolution. C’est le « pistolero de l’Essonne », ce hiérarque socialiste qui très jeune, à trente-cinq ans, a décroché la queue du Mickey, un poste de sénateur, et a passé des décennies au coeur du pouvoir socialiste, participant à tous les combats, guettant un signe d’approbation de Mitterrand à l’époque, rompu aux basses oeuvres et aux manoeuvres d’appareil bien dégueulasses quand il le fallait. C’est un des reproches qu’on lui fait souvent: Mélenchon fait partie intégrante du système qu’il dénonce.
A plusieurs reprises, dans le livre, il balaie cette accusation. Il faudrait le juger sur pièces, sur l’étendue d’une carrière qui aurait une cohérence propre. Il ne renie pas son passé, on voit même dans ses réponses qu’il en est fier, comme on pourrait être fier d’une breloque au veston: c’est pas donné à tout le monde, hein, c’est pas le premier venu qui décroche tout ça aussi jeune. Et aussitôt, sans rien renier de son passé, il embraie sur la suite, sur l’avenir, sur son combat en cours: l’élection présidentielle, la Révolution, la VIème République. Pour cet homme plus tout jeune donc, c’est maintenant, ou jamais. « Eh! J’ai 63 ans alors la révolution, c’est tout de suite. Comprenez-moi, je ne suis pas éternel, il faut que je me magne. »
Cet homme est presque sourd, mal à l’aise dans la cohue des foules parce qu’il n’entend pas venir les gens, les coups, qu’il ne verrait pas venir un éventuel assassin ( le rapport de Mélenchon à la foule est un mélange d’ivresse et de paranoïa).
Cet homme qui aime la bonne chère met en scène son soudain attrait pour le végétalisme et le quinoa, histoire de s’économiser, de se préserver. Il faut durer, encore un peu. « La vraie angoisse, c’est que je n’ai plus quinze ans devant moi pour faire tout ça. »
« L’important c’est de ne jamais flancher, il faut tenir le fil et amener les idées jusqu’au bout, quoi qu’il arrive et, pour ça, c’est simple, il faut savoir être économe de ses forces. Et il ne faut pas mourir, évidemment. »
Il y a plein de belles choses chez Mélenchon, son amour de la littérature, de toute la littérature, y compris des mauvais genres, comme la science-fiction. Mais il y aussi cette grille de lecture caricaturale qui le fait détester Star Wars: « Et ensuite ce n’est pas compliqué, ce film est une métaphore, celle des Etats-Unis libérateurs contre le grand méchant Empire soviétique, le dark Vador moche et méchant, une entité monstrueuse sans coeur, cruel et sans visage. Alors, avec tout ça, Star Wars, non merci. »
Mon pauvre JeanLuk, si tu savais comme t’as tout faux. Philippe Squarzoni, dans Garduno, Zapata, et Dol, magistral roman graphique sur les politiques néolibérales, a mieux que quiconque analysé l’ambivalence du discours culturel dominant aux Etats-Unis, la culture « corporate » traversée par des fulgurances, des héros solitaires, des rebelles. Et il faut être aveugle pour ne pas voir que Star Wars questionne la naissance du fascisme au sein même de la République. Comme le dit Padme Amidala au moment où le Sénat vote les pleins pouvoirs à Palpatine: « C’est ainsi que meurt la liberté, sous les applaudissements »
C’est un autre point d’achoppement avec JeanLuk, ça, cette grille de lecture plaquée sur la politique internationale. A ce stade, ce n’est plus simplement de l’anti-américanisme ( et Dieu sait la responsabilité de la « Land of the Free and Home of the Brave » dans les massacres des siècles passés et présent), c’est un bréviaire pour tomber du côté des despotes les plus pourris, du moment qu’ils ne sont pas pro-US, qu’ils font mine d’incarner la résistance à l’impérialisme américain, quitte à maintenir leur peuple, ou celui d’à côté, sous leur botte. ( A ce stade les JeanLukbots se mettent habituellement en route, et lui-même leur a maintes fois donné l’argumentaire. Relevez l’une des nombreuses prises de position ambigües de Mélenchon envers des dirigeants « anti-impérialistes » peu suspects de droitdelhommisme, et il montera dans les tours, et ses soutiens avec, en vous expliquant que vous n’avez RIEN compris, qu’il n’a jamais dit ce que vous avez entendu, que d’ailleurs pas plus tard qu’avant-hier sur son blog, en douze feuillets serrés, il a dit le contraire. Et ce sera vrai, tant JeanLuk est fort, lorsqu’il s’agit d’ensevelir sous des pages de philippiques rudement bien argumentées ses moments moins glorieux. Quand il ne peut justifier, JeanLuk, il enterre.
Ca fait partie de la caricature dans laquelle il s’est par moments lui-même enfermé. Le type qui raille devant un public ouvrier « les belles personnes », alors que sur le tapis rouge entre Luchini et Audrey Pulvar, il est comme un gosse à Disneyland. Le type qui rit aux blagues de Drucker ou de Ruquier, mais qui peut agonir d’injures un pigiste ou un photographe, devant un parterre médusé, parce qu’il aura eu un coup de sang. Marion Lagardère raconte un épisode consternant lors d’un déplacement à Bobigny après les attentats perpétrés par Mohamed Merah. Sur le parvis devant la préfecture, à Saint-Denis, son service d’ordre est dépassé. Scènes de cohue. Monté ensuite à bord du bus des journalistes, Mélenchon s’en prend à un photographe, au hasard: « Je ne vous fais pas confiance, vous les photographes, vous bousculez les enfants! » Le type, innocent, réplique: « Pourquoi mettez-vous tous les photographes dans le même sac? Nous on ne dit pas: vous les politiques, vous êtes tous des pourris ». Mélenchon cherche à faire virer le type par ses propres collègues… les journalistes refusent. Mélenchon fait arrêter le bus, se barre: « Allez, au revoir, restez tous avec vos certitudes corporatistes! » Interrogé plus tard par Marion Lagardère « Mais ce jour-là, vous vous êtes trompé de personne », après avoir tenté de réécrire l’histoire, JeanLuk conclut: « Oui, ca arrive. Dégât collatéral. Des fois, les Américains bombardent à côté et ça tombe sur leurs alliés ». Voilà. Le type qui trouve génial de passer chez Mireille Dumas est aussi capable de passer ses nerfs sur un clampin inconnu, d’en faire son bouc-émissaire, et de noyer le poisson ensuite en revenant sur les démons de l’impérialisme US. De la part d’un des abrutis incultes qui nous gouvernent, cela n’aurait rien d’étonnant. De la part d’un « grand esprit du socialisme révolutionnaire », ça l’est plus. On imagine pas Orwell passer sa rage sur un « anonyme » au hasard.
On a l’impression que le Jean Luc Mélenchon que cerne par touches successives Marion Lagardère écrit chaque jour sa notice Wikipedia. J’aime beaucoup cette boutade qui dit que l’Opéra n’est pas fini « tant que la Grosse Dame n’a pas chanté ». Mélenchon le sait. Il sait que dans sa carrière politique, il est très tard, et que la Grosse Dame est sortie de la loge et attend dans la coulisse. Il pourrait être celui qui aura passé le témoin, il pourrait être ce sexagénaire encore fringant, roué, cultivé, passionné, qui aura passé la flamme de la Révolution à une jeunesse militante qu’il envoûte, et qui l’anime. C’est son espoir: gagner, ou probablement, s’il ne gagne pas ( je n’exclue rien, qui dans le bordel actuel peut exclure quelque chose, et certainement pas qu’au mouvement du vide dans le creux proposé par Macron, la jeunesse préfère JeanLuk), recréer une gauche révolutionnaire vivante à côté des ruines du Parti « Socialiste ». Car perdre, perdre vraiment, ce serait redevenir, passé la campagne grisante qu’il mène avec son hologramme, un homme du passé, un homme du passif, lui qui, écrivant quotidiennement, voudrait rester dans les mémoires comme « un grand esprit du socialisme révolutionnaire ».
Jean Luc Mélenchon, il est comment, en vrai? Dans le livre de Marion Lagardère, on le découvre touchant et imbuvable, cultivé et borné, suffisant et hanté. C’est l’histoire d’un homme qui aurait pu continuer à profiter tranquillement du système, comme beaucoup, mais crie son épuisement à un cheminot qui l’alpague: « J’use ma vie à vous défendre! ». C’est l’histoire d’un ex-apparatchik qui veut convaincre n’avoir jamais lâché « le fil conducteur révolutionnaire », et voudrait se le prouver à lui-même.
« Il est comment Mélenchon, en vrai ? », de Marion Lagardère, chez Grasset
Un mois de lectures, dans le désordre…
Un mois de lectures, ça donne, dans le désordre…
Charlie Hebdo, le jour d’après, de Marie Bordet et Laurent Telo, chez Fayard
Deux journalistes racontent une histoire interdite, l’histoire de Charlie Hebdo après les attentats. Un hebdomadaire au bord du gouffre financier, soudain transformé en icône de la liberté d’expression, et autour duquel s’agitent un gouvernement socialiste en mal d’image, des communicants spécialistes de la gestion de crise plus habitués à protéger des politiques corrompus que des dessinateurs bordéliques, des avocats d’affaires, des « militants » de la laïcité. Ceux qui ont lu « Mohicans » de Denis Robert connaissent déjà les dessous de la prise en main du journal par Philippe Val puis par ses successeurs, les mauvaise manières faites à Cavanna et à Siné, les rancoeurs cachées derrière l’image d’une joyeuse bande de potes toujours prêts à faire des conneries ensemble. Après les assassinats, refaire un journal tient de la gageure. Mais quand ce journal au bord de la faillite devient riche à millions, c’est une malédiction. Les deux auteurs sont plus mesurés dans leur jugement que ne l’est Denis Robert. Il n’empêche. Ce qui se dit de la comédie humaine est glaçant.
L’histoire secrète de Twin Peaks, de Mark Frost, chez Michel Lafon
Dans l’attente de la nouvelle saison de Twin Peaks, le scénariste Mark Frost réalise cet objet geek bizarre, compilation hétéroclite de documents censés nous rappeler l’intrigue passée, et élargir sur de nouveaux mystères: terres sacrées indiennes profanées, esprit de la forêt, objets volants non identifiés, rien ne manque à la panoplie de David Lynch. C’est à la fois totalement barré, intriguant, et parfaitement dispensable.
L’illusion nationale, de Valérie Igounet et Vincent Jarousseau, chez les Arènes
Valérie Igounet ne s’était pas fait que des amis en publiant en 2000 « Histoire du négationnisme en France », une formidable somme qui aujourd’hui encore lui vaut la haine des révisionnistes. Ici, elle publie un roman-photo vrai. Avec Vincent Jarousseau, elle a arpenté les rues de Beaucaire, de Hénin-Beaumont, d’Hayange, pendant deux ans. Deux ans d’enquête dans les villes tenues par un FN bleu-marinisé, par un FN dédiabolisé. Elle enregistre les conversations, et c’est tout un peuple de gens abandonnés, désabusés, trahis, qui s’exprime, et retranscrit les « réinformations » dont le FN l’a abreuvé: « Pour un bon nombre de ses électeurs », conclut-elle, « le FN symbolise un espoir, une autre vie, plus sûre… sans immigrés. Le parti d’extrême-droite leur vend un rêve: leur rendre une fierté qu’on leur aurait retirée. Il leur fait espérer une meilleure justice sociale, du travail pour tous, une ville sans migrants, comme si quelques fleurs, quelques coups de balai et une police municipale renforcée était une réponse à leur maux et leurs désillusions ». Les auteurs ne se moquent pas, ils retranscrivent les propos des exclus, des sans-grade, des oubliés de la mondialisation capitaliste, leurs divergences aussi. Jean-Marie, le père, c’est à la fois l’ancien qu’il faut respecter mais aussi un type qui disait des trucs infréquentables. La fille, par contre, c’est autre chose. On fait des selfies avec, elle rassure.
Il y a dans « L’illusion nationale » quelque chose de l’attention donnée par un François Ruffin aux oubliés de la classe politique actuelle, mais le constat est beaucoup plus sombre que celui de l’auteur de « Merci Patron »
Santé, le trésor menacé, d’Antoine Vial, chez l’Atalante
Antoine Vial a longtemps travaillé et milité pour un système de santé plus juste. Proche de La Revue Prescrire, membre de collectifs prônant une meilleure régulation du marché du médicament, ancien producteur de magazines santé sur France-Culture, il livre ici un constat, et des propositions. Père d’un jeune homme handicapé dans un accident de voiture, il dépeint particulièrement bien la double peine qui touche ceux qui vivent avec un handicap, et leurs aidants. Ce chapitre, comme le chapitre sur la fin de vie, est de nature à ébranler toute personne douée d’un minimum d’empathie, et jusqu’au médecin blanchi sous le harnais que je suis. Je ne suis pas d’accord avec tous les constats, franchement en désaccord avec certaines facilités: Le gentil médecin ne reçoit pas les labos (yes) et se préoccupe de sa cessation d’activité au point de s’investir dans la création d’une maison de santé (est-ce de son ressort?), le mauvais médecin mange dans la gamelle des labos ( yes) et se moque bien de ce qu’après lui, le déluge. ( non, juste non) Et le couplet éculé sur les prétendues zones surdotées en médecins, et les devoirs des étudiants en médecine dont les études sont payées par la communauté, est indigent. ( Pitié, trouvez quelques chose de plus crédible. Les étudiants en médecine font tourner les services hospitaliers pendant des années dans des conditions merdiques, pour de salaires indécents)
Mais un livre qui étrille en les nommant Guy Vallancien , Roselyne Bachelot ou Agnès Buzyn ne peut être intrinsèquement mauvais… Le premier, défenseur des franchises sur les soins et de Big Pharma, lobbyiste sans relâche contre les « aboyeurs… » du Formindep et d’ailleurs, la seconde pour son refus d’étudier la question de l’assistance sexuelle eux handicapés, la dernière, oncologue, nouvelle présidente de la Haute Autorité de Santé, pour ses déclarations alambiquées sur la nécessité pour les experts de travailler en lien avec les firmes, malgré les attaques des « vociférants ».
Vial plaide pour la mise en place d’un site internet d’information sur la santé réellement indépendant de toute puissance extérieure, y compris celle du ministère de la santé.
Il plaide avec vigueur et une foi communicative pour les living labs, où tous, soignants, patients, techniciens, s’unissent autour de projets participatifs clairement définis. ( Vial donne des exemples, que ceux qui se mettent en Position Latérale de Sécurité dès qu’ils entendent ces mots valises cent fois ressassés par des télévangélistes comme Ségolène Royal, Emmanuel Macron ou Luc Ferry se rassurent). Son site: www.participation-sante.fr
La démarche d’Antoine Vial est intéressante, son livre en apprendra beaucoup à ceux qui ne connaissent pas le monde de la santé mais sont conscients qu’un système solidaire bascule insensiblement dans l’incohérence hyper-administrée et la tyrannie des lobbys. Il n’est, paraît-il, pas nécessaire d’espérer pour entreprendre. Du moins l’ai-je cru moi aussi, un temps. Je recommande ce livre, parfois irritant, intelligent, sensible, beaucoup plus utile que les compilations de souvenirs et d’anecdotes grandiloquentes d’urgentistes médiatiques.
Polarama, de David Gordon, chez Babel Noir
Un serial killer reconnu coupable du meurtre de quatre femmes qu’il a dépecées et arrangées en « tableaux artistiques » accepte se se confier à un nègre de romans vampiriques de supermarché. Ce pourrait être, comme l’annonce la quatrième de couverture, « un polar satirique, une enquête littéraire », c’est juste un polar mal écrit, qui tombe des mains, un pavé indigeste de 400 pages écrit par un protagoniste infantile, une réserve d’urgence de papier toilette en cas d’apocalypse zombie.
Vie de ma voisine, de Geneviève Brisac, chez Grasset
Geneviève Brisac a été mon éditrice. Elle a écrit beaucoup de livres, que je n’ai pas tous lus. J’ai acheté celui-ci par curiosité et j’ai fini ma lecture les yeux embués, essuyant mes lunettes à plusieurs reprises pour aller jusqu’au bout. Geneviève Brisac déménage, arrive dans un nouvel appartement, est abordée, maladroitement, par une voisine âgée, Jenny, qui peu à peu lui révèlera sa vie, sa vie d’avant le Vel d’Hiv, et sa vie d’après. On croit avoir tout lu sur ces sujets, comme Geneviève Brisac l’écrit très bien, d’ailleurs: « Oui, on connaît, ne nous cassez pas la tête à radoter toujours sur la même chose. On sait tout ça, on sait tout sur vous. Les Juifs. Les Polonais. Les Athées ».
Geneviève Brisac a pas mal radoté sur ces sujets. Moi aussi. D’autres encore. D’où vient que nous radotons toujours? D’où vient que des noms, disparus, nous les psalmodions encore, afin que tout à fait ils ne disparaissent pas encore? Vie de ma voisine évoque Charlotte Delbo, Rosa Luxemburg assassinée et jetée à la rivière, Maurice Rajsfus, le frère de « la voisine », que j’ai un peu connu et qui maudissait tous les flics délateurs, tous les Français complices des rafles, quand sa soeur, Jenny, veut toujours et encore croire, aujourd’hui, que les hommes ne sont pas tous sourds, tous aveugles. Il y a aussi « ceux qui comprennent », le soldat allemand qui a un geste d’humanité, les gens qui aident, qui cachent, qui protègent. Et pas seulement les concierges qui pillent les appartements vides, les flics délateurs qui vivent bien et intègrent ensuite le Parti Communiste pour se faire une vertu, les membres éloignés de la famille qui viennent voler les grands draps blancs du lit des parents raflés, puisque de toute façon ils n’en auront plus besoin. Mention spéciale, parmi « ceux qui comprennent », à ce cheminot inconnu qui sur le côté d’une voie de chemin de fer a ramassé un petit bout de papier chiffonné sur lequel le père de Jenny et Maurice avait griffonné au crayon les derniers mots adressés à ses enfants, et jetés comme une bouteille à la mer.
Je me posais beaucoup de questions sur les livres et la littérature, ces derniers temps. Je vois certains de mes livres disparaître des rayons, ne pas être réédités, moi qui ai eu la chance de voir tous mes livres disponibles pendant plus de vingt-cinq ans. Je vois mes éditeurs, mes éditrices, évincés pour faire place à de nouvelles exigences de rentabilité immédiate, par des élèves d’école de commerce nourris aux préceptes du marketing et de la culture de masse. Je vois, il me semble voir, Farenheit 451 se jouer au ralenti devant nous. Pourtant des gens écrivent des livres et gardent vivante la mémoire de ceux qui ne sont plus. Quand j’écrivais de la fiction, il me semblait que c’était le but ultime de toute littérature, et en fait, lisant « Vie de ma voisine », je réalise que ça n’a pas changé.
« Call me Ishmael… »
Benoit Hamon: LAST APPARATCHIK STANDING
Depuis des années, le Parti Socialiste agonise. Pas d’idées, pas de souffle, une succession de reniements. Dans une petite bande dessinée très acide, « Un odieux connard« avait imaginé en 2014 ce qui se passerait si Jaurès revenait de nos jours rue de Solferino, et découvrait, entre autre, le système mortifère des motions, qui travestit les ambitions des diverses écuries présidentielles en courants de pensée, et a servi pendant des années à organiser le statu-quo et la stagnation.
Des années que les prétendants au trône se déchirent, se rabibochent. Des années que l’on nous présente, d’un côté des partisans d’une gauche d’ordre et de gouvernement, et de l’autre des frondeurs rebelles, le cheveu fou et l’oeil brillant, prêts à toutes les aventures révolutionnaires, quand au final le fonctionnement du Parti fige tout ça dans l’immobilisme le plus total, voire les compromissions même plus cachées avec « La Finance ».
Ainsi tandis que Hollande s’entoure au gouvernement d’anciens banquiers aux dents longues et de fraudeurs fiscaux, à l’Assemblée nationale les « frondeurs » jouent les trublions de pacotille, menaçant… de menacer, mais échouant systématiquement, à UNE ou DEUX voix près, c’est ballot, à renverser le gouvernement… et à remettre en jeu leur propre mandat. Jusqu’à l’ultime pantalonnade avant liquidation.
Mais qu’est-ce qui pouvait clocher, franchement, dans cette Primaire de la Belle Alliance Populaire?
Cette tripotée d’anciens ministres de Hollande, avec quelques parjures écologistes et autres radicaux pour donner l’illusion d’un rassemblement de gauche, et auxquels manquaient seulement Denis Baupin et Jean-Vincent Placé pour parfaire le tableau…
Ce Premier Secrétaire repris de justesse, condamné pour emploi fictif…
Ce grand Chambellan de la Primaire, magouilleur reconnu de toutes les investitures depuis des années…
Benoit Hamon a donc remporté le premier tour de la Primaire de la Belle Alliance Populaire, et le droit de se vautrer comme une merde à la Présidentielle. Le droit, surtout, de tenter de peser lors du prochain Congrès du Parti Socialiste, cette entité fictive en décomposition avancée.
Et un vent d’espoir se lève chez certains. Face à Valls, l’énervé identitaire qui voit des musulmans partout, Hamon entonne le chant des Partisans, parle « social », parle « solidarité », parle « renouveau ». Une « vraie gauche » à la « puissante imagination » appelle tous les militants à la Résistance. Un apparatchik vieilli sous le harnais, qui a soutenu Valls puis Cazeneuve, a refusé de voter la censure contre la loi El Khomry…
Alors, je voudrais vous parler de Benoit Hamon. Vous rappeler quelques trucs. Parce que si je comprends l’appétit des plus jeunes pour un candidat « vraiment de gauche », je m’en voudrais de ne pas rappeler que pour beaucoup d’hommes et de femmes de ma génération, les noms de Moscovici, Dray, Cambadélis, Morelle, Hollande, etc, etc, etc, nous ont longtemps été vantés comme représentant un véritable espoir, vite douché quand ces types sont enfin arrivés au pouvoir et ont révélé leur incompétence et leur malhonnêteté intellectuelle (et pas que).
Hamon, apparatchik maintes fois parachuté, a terminé sa carrière dans les Yvelines. Il y tient la fédération du PS, à l’ancienne, comme ses grands aînés avant lui. La Fédé décide de tout, les petits arrangements entre amis du moment priment sur le vote des militants, on se voudrait Jaurès et on rejoue Baron Noir.
Ceux qui connaissent le parcours de Hamon savent qu’il fut le premier Président du Mouvement des Jeunes Socialistes, et a gardé la main-mise sur cet appareil, que de vilaines langues appellent « L’Ecole du Vice ».
Avant lui, Julien Dray pendant des années a manipulé Sos-Racisme et ceux qui y ont fait leurs premières armes.
Dans le même temps, Cambadélis, DSK, Le Guen, ont émargé à la Mutuelle Nationale des Etudiants de France (MNEF), qui après son naufrage scandaleux a donné naissance à La Mutuelle Des Etudiants (LMDE).
C’est à travers ce prisme de l’accès aux soins des étudiants que j’ai découvert l’intrication de tous ces gens qui, la main sur le coeur et Jaurès à la bouche, ont pendant des années vidé de son sens la notion de socialisme, jusqu’au bout de la trahison.
Pendant des années, la MNEF, puis la LMDE, ont servi à payer des permanents, des petites mains, finançant à l’UNEF ceux qui plus tard grimperaient dans l’organigramme socialiste. La raison d’être de ces « mutuelles étudiantes », garantir aux étudiants un meilleur accès aux soins, a été dévoyée. Les scandales sont quotidiens: des milliers d’étudiants jamais remboursés de leurs soins, des milliers de professionnels de santé, pharmaciens, médecins, dentistes, chirurgiens, jamais payés. En Juillet 2014, après des années d’immobilisme coupable, un coup de tonnerre survient: la LMDE est placée sous administration provisoire. La nouvelle tombe un 4 Juillet, juste au moment où, comme chaque année, les nouveaux bacheliers, leur Bac en poche, commencent à s’inscrire dans les facultés et se font démarcher par les mutuelles étudiantes. Panique à la LMDE, et par ricochet à l’UNEF, au MJS, et jusqu’à Solferino. Si les étudiants délaissent par prudence la LMDE, la pompe à fric se tarit…
A cette époque, Laure Pollez, une journaliste de la société Premières Lignes, qui produit et réalise des documentaires pour Envoyé Spécial et Cash Investigation, m’a interviewé au sujet des mutuelles étudiantes, après que j’ai été confronté au cas d’une jeune femme nécessitant un lourd traitement pour une maladie auto-immune, et dont le dossier, et les remboursements, étaient en rade depuis dix mois. Ce qu’elle va mettre au jour lors de la réalisation de ce reportage est glaçant. Derrière le sempiternel discours sur la solidarité et la nécessité impérieuse pour les étudiants de « bénéficier » d’un régime autonome, une « infiltrée » en caméra cachée révèle l’envers du décor: une « mutuelle » dans les placards de laquelle s’entassent des milliers de dossiers en souffrance, parfois depuis des années.
Car la réalité est alors celle-là. Des milliers d’étudiants et leurs familles, des milliers de soignants, se heurtent à l’incompétence d’un système construit pour siphonner l’argent des étudiants. Etudiants et familles qui souvent, après deux ou trois ans de galères, laissent tomber au moment où la fin des études arrivée, le jeune entre dans la vie active et retrouve le régime obligatoire. Le système est parfait. Il suffit d’attendre qu’étudiants et parents se lassent, et passent par pertes et profits les remboursements dûs. Après des années d’inertie, certains parlementaires s’en sont émus. Et ce 4 Juillet 2014, deux ans après que la Cour des Comptes ait épinglé la gestion de la LMDE, et malgré une tentative de repêchage par la MGEN ( sans en informer ses cotisants, qui sont là pour éponger), la LMDE est mise sous administration provisoire. De la LMDE, l’émoi gagne le MJS, l’UNEF, Solférino.
Rappelons qu’en sept ans, ni Marisol Touraine, ni François Hollande, ni aucun des députés socialistes hier vient debout contre les insupportables franchises sur les soins de Nicolas Sarkozy n’a trouvé le temps de les abroger, ce qu’ils avaient tous promis de faire dès leur arrivée aux affaires.
Il ne faudra que trois jours pour que la même Marisol Touraine et deux éminents membres du gouvernement socialiste volent au secours de la très transparente LMDE, et réaffirment leur « attachement au régime étudiant de sécurité sociale. » Je cite: « Ce régime définit l’étudiant comme un assuré social autonome et permet la prise en compte de spécificités de la population étudiante en matière de santé ».
Miracle!!!! En moins de 72 heures, trois ministres socialistes et non des moindres viennent garantir « le remboursement des soins aux étudiants ». Mieux, ils écrivent que ce remboursement est « garanti et continuera à être assuré » comme si le rapport des la Cour des Comptes n’existait pas, comme si ils ignoraient, les uns et les autres, que des milliers de dossiers sont entassés dans des armoires, que des milliers d’étudiants sont spoliés chaque année. Ces trois ministres, qui tentent de rassurer faussement les étudiants et leurs familles pour laisser perdurer encore une année ce système pervers, sont Michel Sapin, Marisol Touraine, et l’Antisystème Benoît Hamon. Lequel est abondamment cité dans le documentaire « Mutuelles étudiantes, remboursez! », lorsque des étudiants venus discuter du dossier avec le ministre de l’Education qu’il est alors se heurtent à un refus définitif de régler ce problème. Comme le notent ses interlocuteurs, le conseiller du ministre à l’époque n’est autre qu’un ancien Président de l’UNEF.
Quelques années plus tard, la LMDE n’est plus qu’une coquille vide, adossée au régime général et à la Caisse Nationale d’Assurance-Maladie. Ses administrateurs, comme l’avait alors prévu un bon connaisseur du dossier, en sont réduits à choisir la couleur des préservatifs lors des manifestations autour de l’accès aux soins. Le dossier a été enterré, ainsi que les créances impayées. Depuis lors, comme par miracle, les soins des étudiants sont remboursés.
Lorsqu’ils signent ce communiqué de presse commun le 7 Juillet 2014, garantissant le remboursement des soins qui « continuera à être assuré », alors que toute personne un tant soit peu au fait du dossier sait que cela est totalement faux, Hamon, Touraine et Sapin le font-ils par incompétence, ou par malhonnêteté? Je vous en laisse juge.
Mais de grâce, ne faites pas l’erreur qu’a fait ma génération avec les Mosco, les Cambadélis, les Morelle, les DSK et les Cahuzac. De croire que malgré leurs casseroles, ces apparatchiks qui ont fait depuis cinq ans la preuve éclatante de leur nullité et de leur malhonnêteté, ont quoi que ce soit à voir avec l’idée du socialisme que portaient Jaurès ou Blum.
Benoît Hamon n’est pas le recours, Benoit Hamon n’est pas « AntiSystème ». Il est juste le dernier apparatchik encore debout. Last Apparatchik Standing.
« On va tous mourir »: Comment la com a tué la grippe…
La grippe, sa vie, son oeuvre. Ce ne devrait même pas être un sujet de polémique, tant la pathologie est banale, récurrente, de retour chaque année… Et pourtant à chaque hiver, c’est la même chose: polémiques, accusations, reportages sur l’apocalypse dans les services d’urgence, mise en cause, ici des médecins, ici du ministère, là des « anti-vaccinaux » ou de Big Pharma. Avant d’aborder les causes du bordel ambiant, j’ai posé une question basique sur Twitter, la question que je pourrais poser aux patients dans ma salle d’attente:
Je m’attendais à des questions « politiques »: A qui la faute? C’est quoi ce bordel? On nous enfume ou c’est vraiment la fin du monde? » Il y en a eu, mais il y eu aussi voire surtout des questions basiques sur les symptômes de la grippe, la nécessité de se vacciner, etc…
Je vais commencer par répondre à celles-là, en précisant d’où je parle. Je suis médecin généraliste en activité depuis trente-trois ans, je n’ai aucun lien d’intérêt avec un laboratoire pharmaceutique, aucune affiliation politique.
La grippe est une maladie virale. Le virus, ou plutôt les virus grippaux car il y en a plusieurs, évoluent, mutent, au fil des années. Le but d’une maladie virale n’est pas de tuer ses hôtes, mais d’en infecter le maximum. La plupart des personnes qui sont infectées par un virus grippal ont des symptômes similaires: une élévation souvent rapide et importante de la température, accompagnée de frissons, de douleurs: maux de tête liés à la fièvre, douleurs articulaires et musculaires liées à la réponse immunitaire de l’organisme. En résumé, en l’espace de deux-trois heures à peine, un sujet qui se sentait bien est brutalement terrassé: il est très fiévreux, il se sent très faible, il a la sensation d’avoir été roué de coups. Souvent des symptômes ORL et respiratoires apparaissent: le nez qui coule comme une fontaine, des éternuements, des maux de gorge, une toux.
L’évolution dépend des individus. La majorité des individus en bonne santé va vivre quelques jours plus ou moins inconfortables, puis peu à peu reprendre pied parce que son système immunitaire va combattre le virus en sécrétant des anticorps, plus ou moins adaptés à l’infection actuelle en fonction des « armes » que l’organisme a engrangées au fil des années, des vaccinations ou des épisodes infectieux précédents. Plus récemment on a rencontré un virus ayant des caractéristiques en partie similaires au virus en activité, ou plus récemment on a été vacciné avec un vaccin destiné à lutter contre ce virus en activité, plus on a de chance de lancer rapidement la contre-attaque en sécrétant suffisamment d’anticorps adaptés pour bloquer la progression du virus dans l’organisme.
Mais les individus ne sont pas tous égaux, ni devant la maladie, ni dans leur réponse immunitaire. Certains vont ressentir une phase d’invasion virale, frissons, fièvre, nez qui coule… mais leur réponse va être si rapide et efficace qu’en moins de 24 heures ils vont se sentir nettement mieux, au point de se demander même s’ils ont bien eu la grippe. D’autres vont être durablement affectés, et le virus va parfois provoquer des complications, le plus souvent parce que des bactéries vont « profiter » de l’affaiblissement de l’organisme pour « surinfecter » une muqueuse nasale ou respiratoire affaiblie. Le patient va developper une sinusite, ou une bronchite, voire une pneumopathie. D’autres enfin vont avoir des symptômes minimes, voire pas de symptômes du tout. ( En Septembre 2009, le ministère de la Santé anglais cherchait des cobayes pour le vaccin en fabrication. Parmi les volontaires, sains, un grand nombre avait des anticorps contre H1N1. Ils avaient été infectés par le virus pendant l’été et l’avaient surmonté, sans s’en apercevoir. Cette constatation fut d’ailleurs cruciale pour les médecins indépendants qui doutaient dès cette période de la communication catastrophiste de la ministre et de ses conseillers)
Les personnes fragiles, insuffisants cardiaques ou respiratoires, personnes âgées, ou souffrant de pathologies lourdes ou prenant des traitements diminuant la réponse immunitaire, sont les plus à risque. Mais il arrive aussi que des personnes jeunes en parfaite santé développent une grippe « maligne » avec en particulier une atteinte pulmonaire très sévère pouvant nécessiter ventilation par oxygène, réanimation, et pouvant mettre en jeu le pronostic vital. C’est le cas chaque année, même si c’est relativement rare, et ce fut apparemment le cas en 2009 lors de la grippe H1N1 qui vit de nombreux gouvernements dont le gouvernement français mettre en place un plan pandémique dont l’efficacité reste sujette à caution ( Nous y reviendrons. Les écrits restent, ceux qui voudraient se remémorer ce fiasco pourront remonter le temps sur ce blog).
En règle générale, la grippe est bénigne pour les sujets en bonne santé. Les symptômes qui doivent alerter sont: des troubles de conscience, une gêne respiratoire majeure. Des cas sont rapportés de médecins ou de services d’urgence à domicile poursuivis pour n’avoir pas réagi suffisamment rapidement, ou ne pas avoir revu suffisamment vite un patient vu la veille et s’aggravant le lendemain. Le problème est que ces aggravations chez des sujets jeunes sont heureusement très rares, et qu’en période d’épidémie les soignants peuvent être débordés et rechigner à revoir un patient déjà vu la veille « et qui ne va pas mieux, docteur ». Il ne faut pas déranger les soignants pour rien. Il est normal d’avoir encore de la fièvre, beaucoup de fièvre, dans les jours qui suivent la consultation. Ce qui doit alerter, c’est un patient qui présente des troubles de la conscience, ou qui respire très mal. Un des petits outils très utiles pour déterminer l’état d’un patient est l’oxymètre de pouls, qui permet de mesurer la quantité d’oxygène qui circule dans le sang artériel.
Peu onéreux, utilisable par le médecin ou par une personne un peu expérimentée, il permet de savoir si une personne fragile s’aggrave au niveau respiratoire, ou pas. ( Et donc de fournir au téléphone une indication extrêmement utile si on appelle un service de secours… Un oxymètre de pouls coûte une vingtaine d’euros. Un instrument extrêmement utile, autrefois fréquemment retrouvé à domicile, mais étrangement de plus en plus rare, s’appelle un « thermomètre ». Oui, je sais, je suis une brute en blanc.)
La majorité des patients grippés est malade pendant 4 à 7 jours, et c’est la durée moyenne des arrêts de travail pour grippe. Beaucoup de gens rechignent à s’arrêter, veulent continuer à travailler sous médicament, mais c’est déconseillé. Ils se fatiguent, risquent de se surinfecter, lors des trajets en transport en commun par exemple, et surtout vont disséminer leur virus, lors des trajets comme sur leur lieu de travail. Travailler grippé, faire oeuvre de présentéisme, n’est pas recommandé. Sauf par les économistes de plateau et Laurent Wauquiez, probablement.
Le vaccin antigrippal a une efficacité modérée. Certains sujets vaccinés font la grippe, certains sujets non vaccinés passent à travers l’épidémie. Le vaccin n’est qu’un élément de défense, comme le sont les mesures d’hygiène: le lavage fréquent des mains, le port d’un masque si l’on est atteint, le fait de ne pas laisser traîner des mouchoirs infectés ou de ne pas éternuer sur ses congénères.
Le vaccin protège mieux ceux qui en ont le moins besoin… C’est-à-dire qu’il protège mieux les jeunes que les personnes âgées. C’est la raison pour laquelle on peut envisager des mesures-barrières, de vaccination « altruiste », et par exemple proposer de vacciner tous les membres d’une famille qui vivrait à domicile avec un aïeul âgé ou fragile. C’est aussi la raison pour laquelle on peut envisager de vacciner le personnel soignant, mais, et c’est là que le bât blesse, comme souvent dans ces histoires de grippe, d’épidémie, et de vaccin, il n’existe encore aujourd’hui aucune preuve scientifique que la vaccination des personnels soignants diminue la mortalité des personnes âgées en institution, par exemple. D’autres facteurs peuvent jouer, comme le respect de mesures d’hygiène, et la ventilation des chambres et des services de soins pour éviter que les patients « baignent » dans une atmosphère viciée par une grande quantité de virus.
La décision de se vacciner ou non dépend de chaque individu, de son état de santé, de ses fragilités, de son âge, de son entourage, de ses traitements en cours.
Les vaccins homéopathiques (comme les traitements homéopathiques de la grippe) sont utiles… pour le chiffre d’affaires du laboratoire qui en inonde le marché. Mais cette belle arnaque reste, en France, populaire.
Le fait d’attraper la grippe et de développer une immunité naturelle contre le virus rencontré profère apparemment une défense croisée contre d’autres virus grippaux, de meilleure qualité, et de plus longue durée, que l’immunité artificielle développée par vaccination. Ceci complique le choix, évidemment. Vaut-il mieux courir le risque d’attraper la grippe ( mais ensuite d’être naturellement mieux immunisé pendant quelques années) ou vaut-il mieux se vacciner de manière répétée? Je n’en sais rien, et soyons clair, personne n’en sait rien, surtout pas les experts multicartes qui viennent gloser sur tous les plateaux en omettant à chaque fois de signaler qu’ils travaillent avec, et sont payés par, les laboratoires qui fabriquent et vendent les vaccins. Cela a été particulièrement flagrant pendant la grippe H1N1 de 2009, ou de grrrrands professeurs sont venus vous expliquer que si vous n’étiez pas vaccinés vous alliez tous mourir. Un grand ponte, au doigt mouillé, en se basant sur des calculs totalement approximatifs, avait prédit des millions de morts. Il continue à pavoiser sur les plateaux, sans le moindre mea culpa. Cette grippe H1N1, et la réponse politique qui fut apportée alors, est au centre de la polémique actuelle, car même sans être spécialistes de la question, un très grand nombre de gens a très mal vécu cette période: le ministère et les experts leur ont expliqué que la situation était très grave, les a incité à se vacciner dans des conditions très particulières, dans des vaccinodromes, avec des vaccins par lot de dizaine de doses, fabriqués dans des conditions de précipitation assez opaques, et en répétant à cette population que les médecins auxquels on leur demandait de confier leur santé ( et leurs autres vaccinations) tout au long de leur vie étaient soudain totalement incompétents et incapables de gérer la situation.
Si Roselyne Bachelot, après ce fiasco total, a réussi son relooking extrême en sexa sympa au rayon sexo et conso d’antennes de qualité comme D8 et RMC, si les experts de l’apocalypse ont finalement retrouvé le chemin des plateaux, la confiance des Français, déjà échaudés par d’autres campagnes vaccinales trop martiales ( hépatite B, papillomavirus) , a été durablement ébranlée.
Une personne qui a programmé un voyage, ou une intervention chirurgicale, ou doit passer un concours, pourra choisir de se faire vacciner afin de tenter d’éviter la grippe cette année-là. Le délai de création des anticorps est de deux à trois semaines après la vaccination. A ce titre, rappelons que le vaccin est disponible en pharmacie dès la fin Septembre. Et que si on a choisi de se vacciner, il est incohérent d’attendre pour le faire. L’épidémie débute parfois tôt, voire très tôt. Et soit le vaccin sera efficace cette année-là, soit il le sera moins ( parce qu’entre le moment où auront été choisies à la fin du printemps les souches incluses dans le vaccin en fonction des modélisations géographiques, et le moment où la grippe surviendra, le virus aura muté, ou bien une souche différente aura pris le dessus). Mais le vaccin de l’année ne perdra pas son efficacité en Mars parce qu’il aura été pratiqué en Octobre, comme semblent le croire beaucoup de patients. Si on a décidé de se faire vacciner, il n’y a pas de raison d’attendre… au risque de le faire trop tardivement.
Quelle est la mortalité de la grippe? On ne le sait pas. On ne sait pas combien de personnes meurent en France de la grippe chaque année. Mon bon camarade de fac Jean-Baptiste Blanc a écrit un très bel article à ce sujet.
Pendant très longtemps on a parlé de plusieurs dizaines de milliers de morts par an, et puis lorsqu’on a compté en 2009 ( pendant la terrrrible pandémie Bachelot), de mémoire, on est arrivé à 488 décès. 421 cas en moyenne chaque année depuis 2005. Beaucoup de patients âgés meurent parce que la grippe, ou une autre infection hivernale vient fragiliser un organisme déjà fragile. Et après une canicule, ou une forte grippe un hiver, il y aura moins de morts l’hiver suivant…parce que la Faucheuse est déjà passée…
Que se passe-t’il dans les hôpitaux? J’ai posé la question à plusieurs confrères travaillant dans des services d’urgence, tant la situation qui est décrite à longueur d’articles et de journaux télévisés est discordante avec ce que voient un grand nombre des médecins généralistes du pays. En résumé, nos cabinets voient l’afflux hivernal habituel de rhinites, d’angines, de bronchites, d’infections virales orl et respiratoires, beaucoup de syndrômes grippaux, quelques rares grippes « cognées », et aussi le lot habituel de gens qui, du fait du tabagisme, de la pollution, de la mauvaise aération chronique de leurs maisons, traînent une toux désagréable et un mouchage irritant, des maux de gorge, pendant parfois plusieurs semaines. Dans le même temps, la situation décrite dans les hôpitaux, et en particulier dans les services d’urgence, est très difficile. Je laisse la parole à mes confrères hospitaliers, n’étant pas, à la différence de nombre d’éditorialistes, doué de la science infuse:
« On a actuellement des problèmes de place mais ça n’a rien à voir avec la grippe, juste une population âgée qui tombe malade mais sérieux j’ai eu un cas de grippe… un cas sur mes deux dernières gardes »
« En pratique, on hospitalise beaucoup de vieux en ce moment. Ils ont pas tous la grippe loin de la. Pneumopathies et insuffisance cardiaque. Le système est toujours à fond donc pas besoin de beaucoup plus de patients pour le dérégler, surtout sur les vieux, car personne n’en veut dans les services. Les lits soi disant disponibles ne le sont pas pour eux… »
« Je vois ça indirectement au point hebdomadaire sur les lits. L’hôpital a 750 lits. Sur ces 750 tu as un UHCD de 15 lits et une unité post urgences (pas pareil) de 15 lits. Et tu as 24 lits qui sont distribués par 2 dans des services de médecine et qui ne sont pas ouverts. Quand il ne reste plus que 10 lits normaux disponibles dans l’hôpital, les gestionnaires de lits ont le droit d’ouvrir ces 24 lits. Ça c’est la période de tension. Quand il ne reste plus que 10 lits tout court dans tout l’établissement, les gestionnaires de lits peuvent utiliser des chambres non équipées (par exemple celles pour les examens de sommeil). C’est la période de surtension.Quand il n’y a plus rien, ils stockent les patients dans une vaste zone de transit non boxée. Ça c’est la période pas cool. Depuis mi septembre l’hôpital est en période de tension tous les jours et depuis les vacances des Noël et jusqu’à hier on a eu une quinzaine de jours de surtension. La grippe là dedans est apparue en même temps que la surtension. Ce qui est plus difficile avec la grippe, c’est que tous les patients d’un service où il y a deux cas sont isolés ( masque et gants partout tout le temps) et ça donne une impression que l’hôpital est face à une situation hors normes. »
Ce que disent ces hospitaliers, y compris des chefs de service d’urgence, c’est que la situation est en permanence tendue, que trouver des lits pour des personnes âgées est très difficile voire impossible ( et chronophage), alors que l’hôpital est régi par la tarification à l’activité qui sur le plan financier fait que pour un service il est plus avantageux de prendre en charge un infarctus chez un quadragénaire qu’une bronchite chez une vieille dame désorientée .( Merci Monsieur Xavier Bertrand, merci Madame Roselyne Bachelot, merci les économistes de la santé jamais malades).
(Magnifique illustration photographique d’un exemple assez rare de « LITHIASE DE COULOIR »)
Ce qu’ils disent aussi, mais qui ne le dit pas, c’est que la ministre actuelle fonctionne uniquement en fonction de la com, sans écouter les soignants, ni ceux qui travaillent dans les hôpitaux, ni ceux qui travaillent en ville. Qu’il lui importe de « faire semblant » d’affronter une situation hors-norme, alors que seuls les soignants, au quotidien, l’affrontent, et que cette situation n’est pas « hors-norme », elle est en grande partie la conséquence de choix administratifs et financiers faits en amont. Pour incise, je noterai qu’actuellement la situation du National Health Service anglais est catastrophique, du fait des coupes budgétaires répétées des gouvernements conservateurs qui se sont succédés et de la débilité mentale du ministre qui ne cesse de désigner comme coupables de la catastrophe actuelle les jeunes internes et les généralistes.
Je n’ai pas abordé un sujet qui impacte fortement le quotidien des malades: la désertification médicale en cours, que nombre d’entre nous, médecins, avons prévu de longue date, pour laquelle nous n’avons eu de cesse de tenter de prévenir nos ministres de tutelle ou les ARS, sans que celles-ci ne se saisissent du problème, ou uniquement pour hurler qu’il faudra des mesures coercitives pour forcer à s’installer dans des zones désertes des médecins… qui n’existent pas. Très schématiquement, l’absence d’investissement sur les conditions d’exercice de la première ligne de soins: (médecins généralistes, infirmiers libéraux, kinésitherapeutes de ville) , amène à la disparition progressive de la médecine générale, et amène de nombreux patients supplémentaires à considérer « les urgences » comme leur premier recours (et je ne les en blâme pas).
Au moment où l’Ordre des Médecins lui-même, par la bouche de son Président, le Docteur Bouet, un homme de qualité ( non non, je vous jure, je ne cherche pas un poste, je le pense vraiment), envisage de rendre la vaccination antigrippale des personnels de santé obligatoire, je conclurai cet article bien incomplet en signalant quatre études médicales canadiennes, mises en avant par un confrère, le Docteur Yvon Le Flohic… Ces études ont révélé que pendant la grippe pandémique H1N1 de 2009-2010, le fait d’avoir été vacciné l’année précédente ( 2008-2009) par le vaccin saisonnier annuel antigrippal AGGRAVAIT le risque de faire une grippe pandémique sévère. Les mécanismes restent inconnus, mais rappellent que nous en savons beaucoup moins que nous ne le voudrions sur la vaccination antigrippale . Le docteur Dominique Dupagne, pas opposé par principe à la vaccination, souligne les incertitudes sur ses bénéfices ou désavantages à long terme. Cela signifie que la décision ou non de se vacciner doit être prise par chaque individu en fonction d’informations indépendantes, honnêtes, en tenant compte des incertitudes. Les décisions autoritaires engendrent la méfiance. Le fiasco de 2009, dont, soignants comme patients, nous payons toujours le prix, vient de l’imposition par les politiques de conduites inadaptées décidées par des conseillers aux multiples casquettes.
La médecine, les soins, ne s’imposent pas.
On ne trouve plus de petit personnel: émouvant drame de la bourgeoisie socialiste ( épisode 2)
( Une fois n’est pas coutume, ce post est un work-in-progress, qui reprend des réflexions disparates que je me suis fait depuis plus de quinze ans, au sujet du pouvoir politique, et d’une certaine « élite » socialiste)
Ségolène, la Khaleesi attitude ( épisode 2)
En Avril 2007, à un mois de la présidentielle, la pétition contre les franchises « médicales » que j’avais lancée avec quelques confrères avait été signée en une dizaine de jours par 10.000 personnes( ce qui avant les smartphones et la banalisation des pétitions en ligne était un succès). Plusieurs candidats, dont José Bové, Dominique Voynet et Marie-Georges Buffet, l’avaient signée. Le 10 Avril, la candidate socialiste avait demandé à nous recevoir dans son quartier général de campagne, rue de l’Université, à deux pas du siège du Parti Socialiste rue de Solferino. Pour notre petit groupe, c’était l’assurance d’une plus large médiatisation de notre combat, et le moyen de faire connaître cette franchise que Nicolas Sarkozy appelait de ses voeux, livre après livre, depuis de nombreuses années, et dont j’avais décortiqué la genèse et les conséquences prévisibles dans « Les Fossoyeurs », sorti deux mois plus tôt. Le sujet était intéressant, me disaient les journalistes que je connaissais, « mais tu comprends, on ne peut pas en parler maintenant, les sujets de la campagne, c’est l’identité nationale et le drapeau ». De cet état de fait, la candidate du Parti Socialiste était en très grande partie responsable, elle qui avait, sur les conseils de son coach Bernard-Henri Lévy, axé sa campagne sur ces thèmes identitaires en faisant fi des questions sociales, avec, au final, le succès que l’on sait. La théorie de la triangulation, popularisée par Tony Blair ( utiliser les thèmes de l’adversaire pour lui couper l’herbe sous le pied) avait savamment été régurgitée par BHL, de son propre aveu « un peu sourd à la question sociale », et avalée par la candidate.
Nous étions arrivés au quartier général à l’heure, et avions poireauté pendant une heure avec Jean-Louis Bianco et Jean-Marie Le Guen, Ségolène Royal étant retardée par le tournage d’un clip de campagne. Je n’avais jamais rencontré Bianco, qui se montra courtois et sembla s’intéresser à la problématique que nous abordions. Je connaissais Jean-Marie Le Guen depuis quelques années, l’ayant croisé dans des manifestations contre la réforme Douste-Blazy de Décembre 2004, qui avait mis à terre la médecine générale en ensevelissant les généralistes sous les charges administratives sans leur en donner les moyens. Le Guen était « strauss-kahnien », mais son champion ayant été éliminé à la primaire du PS en faveur de Ségolène Royal, il faisait partie des sherpas de la candidate, à qui il avait « vendu » cette rencontre. Avec une heure de retard, on vint nous chercher: « Madame Royal est arrivée, elle vous attend ».
Je me levai, suivis la secrétaire dans le couloir… où je fus accueilli par des flashs, et l’allumage simultané de lumières intenses, tandis qu’une douzaine de caméras se mettaient en route, pour s’éteindre rapidement. Suivi par le reste de notre petite troupe, je me frayai un chemin au milieu d’une forêt de micros. La pièce était bondée de journalistes, d’équipes de radio et de télévision dont certaines venaient d’Australie, de Chine, de Corée du Sud. Nous fûmes guidés dans un corridor, et à l’entrée d’une petite salle de réunion se tenait Ségolène Royal, dans une robe de lin blanc qui fit défaillir derrière moi un confrère ex-soixante-huitard. Elle nous serra la main, s’assit du bout des fesses sur un siège. J’avais révisé les quelques éléments que je voulais lui faire passer, qu’il me semblait utile qu’elle entende « depuis le terrain ». Mais rien ne m’avait préparé à son entrée en matière, qui en moins de dix secondes m’ouvrit les yeux.
« Bon. Bien évidemment nous n’avons pas le temps d’aborder le fond ici. Comment procède-t’on avec les media? »
Dans mon souvenir, il y a eu un blanc, tant le cynisme décomplexé de ces deux phrases cueillit l’ensemble des présents. Même Jean-Marie Le Guen, qui n’était pas exactement né de la dernière pluie, eut un moment d’hésitation avant d’intervenir:
« C’est que… le docteur Lehmann et ses collègues pourraient rapidement t’expliquer le but de leur démarche et le caractère injuste de la franchise envisagée par Sarkozy… »
« Au second tour, lors du débat entre vous deux… » coupa mon confrère soixante-huitard, « ce sont des éléments très clivants qui peuvent vous permettre de marquer fortement votre différence. L’électorat âgé, les malades chroniques, seraient très sensibles… »
Elle ne le laissa pas finir: « Nous ne sommes pas au second tour »
Je n’avais rien dit. Je l’observais. Elle n’était pas désagréable, juste agacée de perdre du temps. Le Guen insista: « Christian est habitué. Il peut te faire le topo en deux minutes ».
« Soit », dit-elle, sans se caler dans sa chaise.
Je « fis le topo ». Je connaissais les faits, l’argumentation, par coeur, ayant décortiqué les textes, les interviews de Sarkozy et de ses sbires, dont François Fillon, Philippe Juvin, toute la clique. En deux minutes c’était plié.
Ségolène Royal se redressa, sans un commentaire:
« Bon, je vais sortir en premier. Vous, docteur, vous vous placerez à ma droite, vous, Mr le directeur, à ma gauche… »
Elle désignait le président d’Aides, qui avait débarqué de Roissy et nous avait rejoint à l’instant, un certain Christian Saout.
« Vous direz quelques mots, docteur Lehmann, puis vous me remettrez les dix-mille signatures, et je m’exprimerai devant les caméras. »
Tout le monde se levait, se mettait en marche, un peu excité par la proximité des lumières de média.
«Excusez-moi…» ai-je murmuré, pas assez fort pour me faire entendre.
« Excusez-moi… » , un peu plus fort. Jean-Marie Le Guen vit qu’il y avait un problème, fit mine de se tourner vers moi, ralentissant un instant le flux vers la porte
« Excusez-moi, madame, mais je ne peux pas vous remettre les dix-mille signatures. »
Ségolène Royal me jeta un regard incrédule.
« Je ne peux pas vous les remettre parce que je ne les ai pas »
Elle baissa la tête vers la pochette de documents que je tenais dans mes mains:
« Mais qu’est-ce que c’est que ça? »
« Ce sont juste des notes, et les copies des communiqués de presse de la pétition. Et de toute façon même si j’avais les signatures je ne pourrais pas vous les remettre »
Tout le monde s’était arrêté.
« Je suis, nous sommes très reconnaissants que vous souteniez notre démarche, mais d’autres candidats l’ont fait, le feront encore. Et tous ces gens qui ont signé la pétition, qui nous ont fait confiance, je ne peux pas les instrumentaliser, ils sont libres de leur vote… »
La température dans la pièce baissa brutalement. Je venais de dire à Ségolène Royal que je n’étais pas son vassal, que nous n’étions pas les bourgeois de Calais, que je ne venais pas remettre à Jeanne d’Arc les clés de la ville et les signatures des manants. Je venais de lui dire qu’elle n’était qu’une candidate parmi d’autres, et que ce qu’elle m’avait demandé était une forfaiture, une trahison.
« Vous parlerez en premier, puis vous me donnerez vos papiers »
Elle se remit en route, tout son staff à sa suite, et entra dans la lumière.
J’ai dit quelques mots, puis j’ai tendu quelques feuilles qui ne contenaient aucune signature, aucune pétition, à Ségolène Royal. La supercherie ne la gêna en rien. Dès qu’elle eut parlé, et alors que d’autres intervenants annoncés devaient s’exprimer, elle tourna les talons et quitta la pièce, laissant tout le monde, invités et collaborateurs, en plan. Immédiatement les caméras s’éteignirent, les micros s’abaissèrent. Quelques journalistes vinrent m’interviewer, parce que j’étais l’initiateur identifié de la pétition, le-docteur-qui-avait-remis-les-signatures-mais-en-fait-non-à-la-candidate. Les autres invités en furent pour leurs frais.
Franchise: vidéo rencontre Ségolène Royal/médecins
Au final, les dépêches d’agence annoncèrent que:
« A l’issue d’une rencontre brève avec les initiateurs de la pétition, Ségolène Royal a fait une déclaration à son quartier général de campagne pour dénoncer la philosophie de la franchise et affirmer qu’elle serait « la présidente de la République qui garantira le modèle social, qui sauvera la sécurité sociale et qui la consolidera en prenant en charge au niveau de la sécurité sociale les questions du vieillissement et du handicap ». « Les déremboursements de soins correspondent à un risque, c’est dangereux et c’est brutal. La sécurité sociale est un des acquis du modèle social français, elle doit être préservée. En particulier, les Français doivent avoir la garantie de l’égalité d’accès aux soins. (…) Moi, je leur garantis le maintien de l’égalité d’accès à la santé« . « Dans une société moderne, le fait que les médecins se mobilisent (…) est un mouvement citoyen très important. Je voudrais dire que demain l’ensemble des réformes et des améliorations apportées au système de soins s’appuieront sur des mouvements citoyens et de médecins comme celui-ci qui s’est levé pour dire non à la privatisation de la sécurité sociale« . APM
Pendant son discours, j’avais écouté Ségolène Royal reprendre les éléments de langage qu’elle avait mémorisé de mon bref topo. Elle les avait mis à sa sauce, se définissant comme celle qui sauverait la France des funestes visées de son adversaire principal, celle qui garantirait la Sécu, celle qui préserverait le pacte social, celle qui lutterait contre l’injustice. Je l’avais vu réceptionner cinq pages de notes griffonnées et de communiqués de presse comme si elle recevait les suppliques de toute l’humanité souffrante.
Un mois plus tard, au cours du débat de l’entre-deux-tours, entre deux prises de bec sur l’identité nationale et le drapeau, elle ne dit pas un mot de la santé, des franchises, de la Sécurité Sociale. Devant un Nicolas Sarkozy qui se retenait de ne pas éclater de rire, l’illuminée poitevine expliqua que lors de son mandat, elle s’assurerait qu’aucune gardienne de la paix ne rentre chez elle tard le soir sans être raccompagnée à sa porte.
J’ai suivi la fin de la campagne sans illusion. En une phrase, la candidate s’était révélée. Le total désintérêt pour les sujets de fond, ou le fond des sujets « Bien évidemment nous n’avons pas le temps », l’obnubilation du paraître « Comment procède t’on avec les media? ». Et cette façon de considérer le peuple comme des manants, et ceux qui étaient censés le représenter, comme des vassaux, tout juste bons à venir déposer aux pieds de la Khaleesi leurs suppliques.
Ségolène Royal a enchaîné les meetings, prenant des poses de télévangéliste, et, ayant perdu l’élection, a appelé les électeurs « à d’autres victoires ». Quelques mois plus tard, en Novembre 2007, une fois Sarkozy installé, elle a à nouveau parlé des franchises, contre lesquelles elle a déclaré « partir en croisade ». « Je reçois énormément de courrier sur le sujet… les gens ne me parlent que de ça » Mieux vaut tard.. que tard. La croisade de Ségolène Royal dura vingt minutes, « une visite éclair », selon le Parisien. Cela ne m’étonna guère.
François Fillon: Avis de tempête sur la Sécurité Sociale
Fillon. Le châtelain, le catho, le réac. Le taiseux, le pessimiste, l’austéritaire. Ce sera ( très probablement) Fillon. Hier moqué, il est aujourd’hui la coqueluche des média. Les ondes bruissent de tous ses conseillers, tous ses supporters libéraux venus vanter ses réformes à venir, ses réformes d’avenir : Thatcher, le retour.
Fillon, je le vois venir depuis longtemps. Il était premier ministre de Nicolas Sarkozy quand celui-ci a mis en place les franchises sur les soins, que j’ai combattues à l’époque aux côtés de Martin Winckler puis de Bruno-Pascal Chevalier. La pétition contre les franchises sur les soins a été relayée partout, a été signée par plus de 350.000 personnes. Avec le succès que l’on sait… Il n’empêche. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour combattre. Cela permet de se compter, de faire reculer en partie l’adversaire, de le forcer à se dévoiler.
Et c’est ce que fit Fillon à l’époque, Fillon qui soutenait totalement Sarkozy sur ce dossier. L’agité du bocal alignait les vannes foireuses sur les patients irresponsables qu’il fallait pénaliser, en anonnant son bréviaire d’assureur de mobylettes : « Nous parlons d’assurance-maladie… Y a-t-il une seule assurance sans franchise ? » Escamotant le mot « solidaire », Sarkozy traitait la protection sociale comme une simple question d’assurance commerciale. Fillon n’était pas en reste : « Comment comprendre que le paiement d’une franchise soit insupportable dans le domaine de la santé alors qu’une charge de plusieurs centaines d’euros par an pour la téléphonie mobile ou l’abonnement internet ne pose pas de question ? »
Pour Fillon, la téléphonie mobile et la santé, même combat. Et sa proposition était plus radicale encore que celle finalement retenue par Sarkozy : il s’agissait de mettre en place une franchise globale, universelle, sur l’ensemble des dépenses de santé, un seuil en-dessous duquel l’assurance-maladie ne rembourserait rien du tout ( à la différence du complexe système actuel ou un euro est retenu sur chaque consultation, et 50 centimes d’euro sur chaque boîte de médicament, à hauteur de 50 euros).
Un tel système, toujours envisagé par François Fillon aujourd’hui, revient à écarter du remboursement par l’Assurance-Maladie une forte proportion de Français dont les dépenses n’atteignent pas 200 euros par an. Les inconvénients socio-économiques de cette mesure sautent aux yeux : les jeunes, les bien portants, continueraient à se voir ponctionner des cotisations d’assurance-maladie sur leurs revenus… sans bénéficier du moindre remboursement. Quel meilleur moyen pour détruire complètement l’adhésion déjà fragilisée à un système d’assurance-maladie solidaire, pour pousser les Français dans les bras de l’assurance privée. Sous la pression de l’opinion publique, Sarkozy avait reculé, mais ses lieutenants expliquaient bien que ce ne serait que partie remise.
Et revoilà Fillon en selle, et revoilà sa franchise médicale universelle. Interviewé dans le Quotidien du médecin en novembre 2015 sur les avantages de cette mesure, il répond :
« D’abord, cela simplifierait le labyrinthe actuel des tickets modérateurs de taux différents, de la participation forfaitaire de un euro ou des franchises qui existent. Ensuite, ce système contribuerait à la responsabilisation des assurés. »
Et il enchaîne :
« Je propose aussi de centrer l’assurance-maladie sur un panier de soins de base. Il ne s’agit pas de faire une médecine à deux vitesses mais de bien répartir les rôles entre ce qui doit être couvert par la solidarité et l’assurance-maladie et ce qui incombe aux choix individuels et aux organismes complémentaires. »
Plus récemment, dans son programme 2017, Fillon précise : il s’agit de réserver l’assurance-maladie solidaire à la prise en charge des affections de longue durée et des hospitalisations, et de laisser « le petit risque », les « consultations courantes », aux mains de l’assurance privée.
A ce stade, un petit rappel. En 2007, dans le magazine Challenges, Denis Kessler, ancien vice-président du MEDEF et ex-directeur chez AXA, avait salué le programme de Nicolas Sarjozy dans une chronique révélatrice et incendiaire aujourd’hui disparue du site du magazine très libéral, dont je cite le plus éclairant :
« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. (…) Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…
A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
Défaire le programme du Conseil National de la Résistance, c’est détruire le droit du travail, mais détruire aussi l’Assurance-Maladie solidaire, dont l’existence met à mal l’appétit de gain des assureurs. Pour Kessler, inventeur des concepts de « riscophilie » et de « riscophobie », la peur de la maladie peut générer des dividences conséquents pour les assureurs si et seulement si, les Français vivent dans la terreur des conséquences financières d’un problème de santé. Le programme de François Fillon va dans ce sens. En diminuant la part des dépenses de santé prises en charge par la solidarité nationale à travers la « Sécurité Sociale », il offre les soins médicaux et paramédicaux courants aux assurances complémentaires, et augmente la compétitivité de la France à l’international en diminuant fictivement les charges sociales.
( Fictivement, parce que les Français se retrouvent contraints de cotiser à une complémentaire, voire à une surcomplémentaire)
Qui plus est, pour diminuer encore le coût de la protection solidaire, il suffit de restreindre petit à petit le périmètre des affections de longue durée. C’est ce que fit Nicolas Sarkozy pendant son quinquennat, en faisant disparaître de la liste des affections de longue durée prises en charge à 100% l’hypertension sévère.
Du jour au lendemain, au prétexte que l’hypertension artérielle sévère n’était pas une maladie mais un facteur de risque de maladie, les soins, les examens complémentaires, les médicaments de l’hypertension artérielle sévère ne furent plus pris en charge. En clair, cela signifie que les patients hypertendus sévères doivent assurer la charge de leurs soins tant que ne sont pas survenues les complications quasiment inéluctables d’une maladie insuffisamment soignée.
Autrement dit : vous ne serez pris en charge qu’une fois que sera survenu l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral. Dans un pays où l’espérance de vie d’un ouvrier est de 7 ans inférieure à celle d’un cadre, cela revient à aggraver le risque de ceux qui, pour cause de contraintes financières, ne pourront payer l’intégralité des soins de prévention nécessaire. Au-delà du caractère choquant de cette mesure, sa débilité saute aux yeux sur le plan financier. Le coût pour la collectivité de la prise en charge d’un accident vasculaire cérébral étant largement supérieur à celui de la prise en charge préventive.
A ce stade, je voudrais faire une incise. Nous ne vivons pas le deuxième quinquennat de Nicolas Sarkozy, mais le premier ( et unique) quinquennat de François Hollande, adversaire auto-proclamé de la Finance. Parmi les innombrables réformes du Président Normal, j’avais raté la dépénalisation du cannabis, seule explication possible à la pétition proprement stupéfiante signée récemment par une soixantaine d’artistes proches des communicants de l’Elysée. Alors que le Président recueille 96% d’insatisfaits ( soit, d’après un calcul au doigt levé, plus de 49.3 millions de mécontents), les artistes hollandolâtres s’élèvent contre le « Hollande-bashing » en énumérant une liste de Prévert de magnifiques réformes du quinquennat, parmi lesquelles, en santé : « la complémentaire santé pour tous, la généralisation du tiers payant ». Il est intéressant que les deux « réformes » soient liées, tant elles découlent, sous un vocabulaire orwellien, du même objectif : vendre la santé aux assureurs, en mettant les soignants sous leur dépendance financière et en forçant les salariés à cotiser à une complémentaire aux acquets. Si la complémentaire pour tous a été mise en place, avec d’amères surprises au final pour les assurés, le tiers-payant généralisé est une annonce vide de sens, dans la mesure où le projet totalement virtuel s’est heurté dès le départ à une impossibilité technique : les assureurs désiraient être en lien informatique direct avec les professionnels de santé sans passer par l’Assurance-maladie, et les solutions informatiques bancales promises à de multiples reprises par leurs représentants de commerce proches du pouvoir socialistes ( autrefois affublés du doux nom de « mutualistes ») se sont révélées poudre aux yeux et élixir d’huile de serpent.
Rappelons que du temps où il était dans l’opposition, Hollande et sa clique ( Marisol Touraine, Catherine Lemorton, etc…) n’avaient pas eu de mots assez durs à l’encontre du bilan santé de Nicolas Sarkozy : ses franchises sur les soins étaient intolérables, son détricotage des ALDs était une honte et un non-sens médical. Une fois au pouvoir, faut-il le rappeler, les socialistes ont maintenu les franchises sur les soins ( allant jusqu’à projeter de les prélever directement sur le compte bancaire des assurés), la pénalisation des diabétiques, la responsabilisation des cancéreux. Marisol Touraine n’est jamais revenue sur la sortie de l’hypertension artérielle sévère du périmètre des ALD.
En un mot comme en cent, le cap est resté le même. La révolution voulue par Kessler, la destruction des acquis sociaux du pacte de 45 voulue par les Maîtres des Forges, s’est poursuivie, portée par d’autres visages malhonnêtes, parée d’éléments de langage différents. Mais elle s’est poursuivie. Et arrivant demain au pouvoir, Fillon n’aurait qu’à reprendre la suite, qu’à accélérer le mouvement, sans dévier.
Qui plus est, nul doute qu’il saura s’adresser aux médecins, aux soignants meurtris par le désaveu constant et le mépris affiché de Marisol Touraine et de son cabinet pour trouver les paroles de réassurance nécessaires.
« La loi HPST était une loi nécessaire, notamment pour l’hôpital et l’association des cliniques au service public. Je ne regrette pas la création des ARS. Mais leur mise en œuvre s’est accompagnée d’une intervention administrative tatillonne et trop centralisée. Je veux faire des ARS un outil de modernisation associant étroitement les professionnels de santé, dans l’esprit de liberté et de responsabilité qui est le cœur de la réforme que je propose. »
Ou encore :
« Mon objectif est de garantir aux médecins de ville une juste rémunération à laquelle ils ont droit du fait de leurs études, de leurs responsabilités et de leur dévouement. Ne restons pas figés sur le paiement à l’acte mais développons en complément des modes de rémunération correspondant à des objectifs partagés en termes de santé publique. Je redis qu’un système de nature à garantir l’équilibre financier de l’assurance-maladie est le plus à même d’offrir aux médecins cette juste rémunération. »
Il parlera du joug croissant d’une administration que son camp a contribué à mettre en place, il promettra des améliorations des conditions de travail des médecins en échange d’une main de fer sur les dépenses de santé. Et certains de ceux qui ont hurlé le plus fort contre les réseaux de soins que voulaient mettre en place le pouvoir socialiste et les « mutuelles », se retrouveront demain invités à contracter avec les mêmes assureurs pour obtenir le règlement des soins de leurs patients.
Hollande aura été le trait d’union entre Sarkozy et Fillon, le concierge à qui on laisse les clés le temps d’une course. En toute franchise : un quinquennat pour rien.
Christian Lehmann
François Fillon: Avis de tempête sur la Sécurité Sociale
Fillon. Le châtelain, le catho, le réac. Le taiseux, le pessimiste, l’austéritaire. Ce sera ( très probablement) Fillon. Hier moqué, il est aujourd’hui la coqueluche des média. Les ondes bruissent de tous ses conseillers, tous ses supporters libéraux venus vanter ses réformes à venir, ses réformes d’avenir : Thatcher, le retour.
Fillon, je le vois venir depuis longtemps. Il était premier ministre de Nicolas Sarkozy quand celui-ci a mis en place les franchises sur les soins, que j’ai combattues à l’époque aux côtés de Martin Winckler puis de Bruno-Pascal Chevalier. La pétition contre les franchises sur les soins a été relayée partout, a été signée par plus de 350.000 personnes. Avec le succès que l’on sait… Il n’empêche. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour combattre. Cela permet de se compter, de faire reculer en partie l’adversaire, de le forcer à se dévoiler.
Et c’est ce que fit Fillon à l’époque, Fillon qui soutenait totalement Sarkozy sur ce dossier. L’agité du bocal alignait les vannes foireuses sur les patients irresponsables qu’il fallait pénaliser, en anonnant son bréviaire d’assureur de mobylettes : « Nous parlons d’assurance-maladie… Y a-t-il une seule assurance sans franchise ? » Escamotant le mot « solidaire », Sarkozy traitait la protection sociale comme une simple question d’assurance commerciale. Fillon n’était pas en reste : « Comment comprendre que le paiement d’une franchise soit insupportable dans le domaine de la santé alors qu’une charge de plusieurs centaines d’euros par an pour la téléphonie mobile ou l’abonnement internet ne pose pas de question ? »
Pour Fillon, la téléphonie mobile et la santé, même combat. Et sa proposition était plus radicale encore que celle finalement retenue par Sarkozy : il s’agissait de mettre en place une franchise globale, universelle, sur l’ensemble des dépenses de santé, un seuil en-dessous duquel l’assurance-maladie ne rembourserait rien du tout ( à la différence du complexe système actuel ou un euro est retenu sur chaque consultation, et 50 centimes d’euro sur chaque boîte de médicament, à hauteur de 50 euros).
Un tel système, toujours envisagé par François Fillon aujourd’hui, revient à écarter du remboursement par l’Assurance-Maladie une forte proportion de Français dont les dépenses n’atteignent pas 200 euros par an. Les inconvénients socio-économiques de cette mesure sautent aux yeux : les jeunes, les bien portants, continueraient à se voir ponctionner des cotisations d’assurance-maladie sur leurs revenus… sans bénéficier du moindre remboursement. Quel meilleur moyen pour détruire complètement l’adhésion déjà fragilisée à un système d’assurance-maladie solidaire, pour pousser les Français dans les bras de l’assurance privée. Sous la pression de l’opinion publique, Sarkozy avait reculé, mais ses lieutenants expliquaient bien que ce ne serait que partie remise.
Et revoilà Fillon en selle, et revoilà sa franchise médicale universelle. Interviewé dans le Quotidien du médecin en novembre 2015 sur les avantages de cette mesure, il répond :
« D’abord, cela simplifierait le labyrinthe actuel des tickets modérateurs de taux différents, de la participation forfaitaire de un euro ou des franchises qui existent. Ensuite, ce système contribuerait à la responsabilisation des assurés. »
Et il enchaîne :
« Je propose aussi de centrer l’assurance-maladie sur un panier de soins de base. Il ne s’agit pas de faire une médecine à deux vitesses mais de bien répartir les rôles entre ce qui doit être couvert par la solidarité et l’assurance-maladie et ce qui incombe aux choix individuels et aux organismes complémentaires. »
Plus récemment, dans son programme 2017, Fillon précise : il s’agit de réserver l’assurance-maladie solidaire à la prise en charge des affections de longue durée et des hospitalisations, et de laisser « le petit risque », les « consultations courantes », aux mains de l’assurance privée.
A ce stade, un petit rappel. En 2007, dans le magazine Challenges, Denis Kessler, ancien vice-président du MEDEF et ex-directeur chez AXA, avait salué le programme de Nicolas Sarjozy dans une chronique révélatrice et incendiaire aujourd’hui disparue du site du magazine très libéral, dont je cite le plus éclairant :
« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. (…) Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…
A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
Défaire le programme du Conseil National de la Résistance, c’est détruire le droit du travail, mais détruire aussi l’Assurance-Maladie solidaire, dont l’existence met à mal l’appétit de gain des assureurs. Pour Kessler, inventeur des concepts de « riscophilie » et de « riscophobie », la peur de la maladie peut générer des dividences conséquents pour les assureurs si et seulement si, les Français vivent dans la terreur des conséquences financières d’un problème de santé. Le programme de François Fillon va dans ce sens. En diminuant la part des dépenses de santé prises en charge par la solidarité nationale à travers la « Sécurité Sociale », il offre les soins médicaux et paramédicaux courants aux assurances complémentaires, et augmente la compétitivité de la France à l’international en diminuant fictivement les charges sociales.
( Fictivement, parce que les Français se retrouvent contraints de cotiser à une complémentaire, voire à une surcomplémentaire)
Qui plus est, pour diminuer encore le coût de la protection solidaire, il suffit de restreindre petit à petit le périmètre des affections de longue durée. C’est ce que fit Nicolas Sarkozy pendant son quinquennat, en faisant disparaître de la liste des affections de longue durée prises en charge à 100% l’hypertension sévère.
Du jour au lendemain, au prétexte que l’hypertension artérielle sévère n’était pas une maladie mais un facteur de risque de maladie, les soins, les examens complémentaires, les médicaments de l’hypertension artérielle sévère ne furent plus pris en charge. En clair, cela signifie que les patients hypertendus sévères doivent assurer la charge de leurs soins tant que ne sont pas survenues les complications quasiment inéluctables d’une maladie insuffisamment soignée.
Autrement dit : vous ne serez pris en charge qu’une fois que sera survenu l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral. Dans un pays où l’espérance de vie d’un ouvrier est de 7 ans inférieure à celle d’un cadre, cela revient à aggraver le risque de ceux qui, pour cause de contraintes financières, ne pourront payer l’intégralité des soins de prévention nécessaire. Au-delà du caractère choquant de cette mesure, sa débilité saute aux yeux sur le plan financier. Le coût pour la collectivité de la prise en charge d’un accident vasculaire cérébral étant largement supérieur à celui de la prise en charge préventive.
A ce stade, je voudrais faire une incise. Nous ne vivons pas le deuxième quinquennat de Nicolas Sarkozy, mais le premier ( et unique) quinquennat de François Hollande, adversaire auto-proclamé de la Finance. Parmi les innombrables réformes du Président Normal, j’avais raté la dépénalisation du cannabis, seule explication possible à la pétition proprement stupéfiante signée récemment par une soixantaine d’artistes proches des communicants de l’Elysée. Alors que le Président recueille 96% d’insatisfaits ( soit, d’après un calcul au doigt levé, plus de 49.3 millions de mécontents), les artistes hollandolâtres s’élèvent contre le « Hollande-bashing » en énumérant une liste de Prévert de magnifiques réformes du quinquennat, parmi lesquelles, en santé : « la complémentaire santé pour tous, la généralisation du tiers payant ». Il est intéressant que les deux « réformes » soient liées, tant elles découlent, sous un vocabulaire orwellien, du même objectif : vendre la santé aux assureurs, en mettant les soignants sous leur dépendance financière et en forçant les salariés à cotiser à une complémentaire aux acquets. Si la complémentaire pour tous a été mise en place, avec d’amères surprises au final pour les assurés, le tiers-payant généralisé est une annonce vide de sens, dans la mesure où le projet totalement virtuel s’est heurté dès le départ à une impossibilité technique : les assureurs désiraient être en lien informatique direct avec les professionnels de santé sans passer par l’Assurance-maladie, et les solutions informatiques bancales promises à de multiples reprises par leurs représentants de commerce proches du pouvoir socialistes ( autrefois affublés du doux nom de « mutualistes ») se sont révélées poudre aux yeux et élixir d’huile de serpent.
Rappelons que du temps où il était dans l’opposition, Hollande et sa clique ( Marisol Touraine, Catherine Lemorton, etc…) n’avaient pas eu de mots assez durs à l’encontre du bilan santé de Nicolas Sarkozy : ses franchises sur les soins étaient intolérables, son détricotage des ALDs était une honte et un non-sens médical. Une fois au pouvoir, faut-il le rappeler, les socialistes ont maintenu les franchises sur les soins ( allant jusqu’à projeter de les prélever directement sur le compte bancaire des assurés), la pénalisation des diabétiques, la responsabilisation des cancéreux. Marisol Touraine n’est jamais revenue sur la sortie de l’hypertension artérielle sévère du périmètre des ALD.
En un mot comme en cent, le cap est resté le même. La révolution voulue par Kessler, la destruction des acquis sociaux du pacte de 45 voulue par les Maîtres des Forges, s’est poursuivie, portée par d’autres visages malhonnêtes, parée d’éléments de langage différents. Mais elle s’est poursuivie. Et arrivant demain au pouvoir, Fillon n’aurait qu’à reprendre la suite, qu’à accélérer le mouvement, sans dévier.
Qui plus est, nul doute qu’il saura s’adresser aux médecins, aux soignants meurtris par le désaveu constant et le mépris affiché de Marisol Touraine et de son cabinet pour trouver les paroles de réassurance nécessaires.
« La loi HPST était une loi nécessaire, notamment pour l’hôpital et l’association des cliniques au service public. Je ne regrette pas la création des ARS. Mais leur mise en œuvre s’est accompagnée d’une intervention administrative tatillonne et trop centralisée. Je veux faire des ARS un outil de modernisation associant étroitement les professionnels de santé, dans l’esprit de liberté et de responsabilité qui est le cœur de la réforme que je propose. »
Ou encore :
« Mon objectif est de garantir aux médecins de ville une juste rémunération à laquelle ils ont droit du fait de leurs études, de leurs responsabilités et de leur dévouement. Ne restons pas figés sur le paiement à l’acte mais développons en complément des modes de rémunération correspondant à des objectifs partagés en termes de santé publique. Je redis qu’un système de nature à garantir l’équilibre financier de l’assurance-maladie est le plus à même d’offrir aux médecins cette juste rémunération. »
Il parlera du joug croissant d’une administration que son camp a contribué à mettre en place, il promettra des améliorations des conditions de travail des médecins en échange d’une main de fer sur les dépenses de santé. Et certains de ceux qui ont hurlé le plus fort contre les réseaux de soins que voulaient mettre en place le pouvoir socialiste et les « mutuelles », se retrouveront demain invités à contracter avec les mêmes assureurs pour obtenir le règlement des soins de leurs patients.
Hollande aura été le trait d’union entre Sarkozy et Fillon, le concierge à qui on laisse les clés le temps d’une course. En toute franchise : un quinquennat pour rien.
Christian Lehmann
On ne trouve plus de petit personnel: émouvant drame de la bourgeoisie socialiste (1)
( Une fois n’est pas coutume, ce post est un work-in-progress, qui reprend des réflexions disparates que je me suis fait depuis plus de quinze ans, au sujet du pouvoir politique, et d’une certaine « élite » socialiste)
Ségolène ou la bouleversitude ( épisode 1)
Tout a commencé par un fait-divers sordide: une jeune élève du lycée Marguerite de Valois et Jean Rostand d’Angoulême a accouché dans les toilettes du lycée d’un enfant vivant qu’elle a ensuite laissé mourir dans un sac en plastique déposé dans une poubelle proche. Nous sommes en Mars 2000, bien longtemps avant l’affaire Courjault et la médiatisation du « déni de grossesse ». Ce qui se passe dans les heures suivantes me paraîtra d’une telle violence symbolique qu’à l’époque je publie cette chronique dans Impact-Médecin, soru le titre « Un aveuglement aussi fort »
La ministre bouleversée tourne son beau visage chaviré vers les caméras, et, sous les lambris de son bureau de déléguée à l’Enseignement scolaire, elle dit : «Je suis bouleversée. »
Elle est bouleversée parce qu’une jeune fille de 17.ans vient d’accoucher seule dans les toilettes de son lycée, et s’est débarrassée du nouveau-né dans une poubelle. Mais elle est surtout bouleversée parce que cette jeune fille avait vu les infirmières scolaires, qui n’avaient rien remarqué.
« Je ne m’explique pas comment les infirmières n’ont rien pu voir», s’indigne la ministre bouleversée, «comment elles n’ont pas eu la capacité de dialogue de qualité suffisante pour que la jeune fille se confie, comment aucune n’a pu lui tendre la main avant qu’il n’y ait deux victimes, elle et son bébé».
Elle explique que l’adolescente, interne au lycée, aurait dû être entourée, et conclut : «Je veux savoir pourquoi il y a eu un aveuglement aussi fort.»
La ministre bouleversée termine sa prestation, Les caméras arrêtent de tourner, et il y a maintenant, au lycée Marguerite-de-Valois, en l’espace de quelques secondes, au moins trois victimes supplémentaires : les infirmières scolaires, nommément désignées comme responsables probables, coupables potentielles, et une bonne partie de l’encadrement scolaire.
Imaginez un instant la violence psychologique intolérable que subissent les protagonistes de ce drame dans les suites de cette déclaration. Imaginez leur sentiment de culpabilité, leur accablement, leur dégoût.
Imaginez le meurtre rituel que représente cette mise en accusation publique, télévisée, dans la bouche d’un représentant de l’Etat. Un représentant de l’Etat chargé de l’Enseignement scolaire, qui ne peut donc ignorer les difficultés auxquelles se heurtent quotidiennement les enseignants, et la pénurie du secteur de la santé scolaire.
On répugne cependant à imaginer qu’une attaque aussi virulente envers le personnel d’encadrement pourrait servir à la ministre bouleversée à botter en touche, à désigner des responsables immédiats pour éviter de se trouver mise en cause, à nommer des coupables pour passer sous silence les carences de son ministère.
On répugne à l’imaginer. Mais alors, quelle explication nous resterait-il ? Si ce n’est pas du machiavélisme, ce peut être simplement de la bêtise, la bêtise bornée de la bourgeoise habituée à fustiger les insuffisances de son petit personnel, entre copines, à l’heure du thé: «Ah, vous savez ce que c’est, ça devient de plus en plus difficile de trouver une femme de ménage… »
Reste que le lendemain, devant l’évidence grandissante du déni de grossesse présenté par l’adolescente, devant le tableau contrasté qui se dévoile peu à peu, la ministre bouleversée, ou plutôt ses conseils en communication, font volte-face : elle assure les personnels de son soutien, et s’excuse bien sincèrement… «de propos forcément partiels et retirés de leur contexte». On peine à voir en quoi ces propos, complaisamment retransmis sur les ondes la veille, auraient été retirés de leur contexte, et on se demande si ce n’est pas la ministre bouleversée elle-même qui gagnerait à être retirée de son contexte.
( à suivre)
Marisol Touraine et les anti-Alzheimer: l’incompétence à visage humain
Jusqu’au bout, Marisol Touraine aura été à l’image du quinquennat de François Hollande: veule, stupide, consternante. Scrupuleusement attachée, comme ses prédécesseurs de droite, à faire de la santé publique une simple variable d’ajustement du politique.
#AlzheimerGate
Revenons rapidement sur le sujet des Anti-Alzheimer: ces médicaments coûteux sont inutiles. Ils n’ont aucune efficacité clinique démontrée, ne freinent pas l’évolution de la maladie, ne retardent pas l’entrée des patients dépendants en établissement.
Ces faits sont connus, de longue date. Ils sont dénoncés, par un nombre croissant de médecins. Mais le poids de l’évidence, les études scientifiques qui s’accumulent, ne sont rien par rapport à l’inertie du système, la frilosité des agences, et l’incompétence des politiques. Rien, enfin, vis à vis du pouvoir des firmes pharmaceutiques et des lobbies qu’elles génèrent et entretiennent.
En 2011, déjà, la Haute Autorité de Santé avait publié un avis négatif sur cette classe de médicaments, mais les tiraillements internes entre experts pas pressés de déjuger brusquement leur enthousiasme passé avait abouti, malgré le travail titanesque fourni par l’un des experts, le docteur Philippe Nicot, médecin généraliste, à une recommandation ambigüe: à mots couverts, tout en reconnaissant l’inutilité clinique de ces médicaments pour les malades, et leur risque, il n’a pas été recommandé de les dérembourser au motif ubuesque qu’ils permettaient à la filière gériatrique qui en dépendait… de survivre. Tout au plus était-il conseillé aux médecins généralistes… de ne pas initier de nouveaux traitements!!! D’éminents gériatres s’étaient exprimés dans les colonnes des journaux, plaidant pour leur chapelle. Traduisons le fond de leur pensée: « Si nous révélons que nous n’avons pas de traitement efficace, si nous cessons de prescrire des molécules inutiles voire potentiellement dangereuses, pourquoi les patients continueraient-ils à nous consulter, pourquoi les familles continueraient-elles à amener leurs proches malades aux consultations mémoire? » On peut y voir, au choix, du pur cynisme, ou cette forme de paternalisme médical qui consiste à mentir au patient pour son bien.
Cinq ans plus tard, la HAS publie un nouvel avis, et celui-ci est plus tranché. L’inutilité des traitements est reconnue, et le maintien de leur remboursement est considéré comme très problématique, dans un environnement financier contraint où la ministre fait semblant de courir après les économies, où l’antienne « chaque euro dépensé doit être un euro utile », est psalmodiée rituellement, après Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot, par Marisol Touraine.
L’avis de la HAS « fuite » dans Libération, ou un Eric Favereau très bien inspiré interviewe longuement Olivier Saint-Jean, membre de la Commission, et l’un des spécialistes les plus critiques sur ces traitements depuis longtemps. Celui-ci décrypte toute l’histoire, les manipulations des firmes, la très faible qualité scientifique des études de départ ayant amené à survendre ces produits inutiles, puis l’accumulation de preuves de leur inefficacité. Sans jamais dénoncer clairement le fonctionnement des agences, il explique que les temps ont changé, que les informations ont amené la HAS à revoir son avis. En français, cela signifie simplement que certains des experts ont, avec le temps, été obligés de constater l’évidence: leur position n’était plus tenable, d’autant que leurs liens d’intérêts avec les firmes avaient entre-temps été révélés. Dans cette affaire, comme dans plusieurs autres affaires touchant des médicaments soudain sur la sellette, il n’y a jamais de coupable. On attend, on tergiverse, on dilapide l’argent public, on fait courir des risques aux malades, et puis un jour du bout des lèvres on lâche le médicament en cause, en expliquant qu’il est maintenant obsolète, et que de toute façon on ne le prescrivait plus, depuis longtemps, ou si peu.
Rapidement, la contre-attaque s’organise. Le lobby se met en branle. Sur les réseaux sociaux, on fustige Olivier Saint-Jean, cet ayatollah opposé aux médicaments, ou bien encore les liens d’amitié supposés entre le journaliste et sa source. Relayant l’information après avoir déjà fréquemment bataillé sur ce dossier, j’ai la surprise de voir un confrère psychiatre ( dont les liens d’intérêts, éclairants, sont consultables sur transparence.sante.gouv.fr ) expliquer que je suis un écrivain de talent, mais certainement pas un pharmacologue. Sempiternelle ritournelle des experts de l’expertise, qui eux savent, mieux que le clampin moyen, même s’ils n’ont en main aucun élément scientifique, aucune étude, pour appuyer leurs dires.
Dans le flou persistant pendant quelques semaines, tandis que la HAS tarde à publier son avis, que le ministère fait le dos rond, voici qu’apparaît France-Alzheimer, qui s’inquiète du possible déremboursement de médicaments inutiles aux effets indésirables potentiels gravissimes. Avec des défenseurs de patients aussi zélés, les laboratoires ( qui, généreux mécènes, financent l’association) n’ont qu’à bien se tenir!
Le courage, c’est maintenant
La balle est maintenant dans le camp de l’intrépide, de la perspicace, de la courageuse Marisol Touraine. Celle qui porte le bilan sociââââââl de François Hollande, essentiellement un tiers-payant généralisé à la charge des médecins, pour le plus grand bien des assurances complémentaires. Tiers-payant totalement virtuel, d’ailleurs, puisque retoqué par le Conseil d’Etat, et pas prêt de s’appliquer en France, au grand dam des « mutuelles » qui avalent vos cotisations pour refaire la pelouse de leurs stades gigantesques, sponsoriser des catamarans, ou beurrer les épinards d’ex-comiques de répétition.
Marisol Touraine, donc, se retrouve devant un choix simple. Acter l’inutilité et la nocivité de ces médicaments, ordonner leur déremboursement ( dans un premier temps) puis les modalités de leur arrêt de commercialisation ( puisqu’il en va de la santé des malades). Ou bien satisfaire les lobbies, maintenir un statu-quo déclinant, ne pas faire de vague, surtout, ne pas ouvrir une nouvelle brèche dans le pédalo en voie de submersion de François Hollande.
Et Marisol Touraine tranche: pas question de dérembourser ces médicaments, dans l’état actuel des choses. Pas tant que ne sera pas mis en place « un protocole de soins en accord avec les scientifiques et les associations de patients ». Traduisons-la: il n’est pas question, même en s’appuyant sur des données scientifiques accablantes, de désespérer Billancourt et de mettre un terme à une affaire qui marche. Pas question de dire la vérité aux malades, à leurs familles, ce qui nécessiterait du courage, ouvrirait la porte à des questionnements aussi légitimes que dangereux pour les pouvoirs en place: « Depuis combien de temps saviez-vous? Quels éléments nouveaux font basculer la décision? Qui a payé le prix de votre lâcheté, de votre malhonnêteté intellectuelle? » Non, rien de tout ça. On attendra un « protocole ». On se cachera encore pendant quelques années derrière les apparences, derrière un modèle obsolète, honteux, où on n’imagine pas un instant qu’un soignant a envers un patient et sa famille un devoir d’accompagnement, un devoir de vérité, plutôt qu’une obligation à prescrire, à prescrire n’importe quoi pour faire fonctionner la filière et cultiver des espoirs qui sont autant de supercheries.
Cela coûtera au pays encore quelques centaines de millions d’euros( 180 millions par an en 2016, 300 millions par an à la grande époque). Encore quelques centaines ou milliers d’accidents vasculaires, de troubles du rythme cardiaque, de chutes, de fractures du col du fémur. Cet argent qui aurait pu, qui aurait du, financer depuis des années des milliers de postes d’aidants, d’aides-soignants, de kinésithérapeutes, d’orthophonistes, continuera d’être dilapidé en pure perte. Mais avec un peu de chance personne ne fera le lien avant longtemps. Et les ministres qui se sont succédés éviteront le box des accusés. Ou pas.
Mais puisque les politiques ont choisi la lâcheté, que les médecins qui hésitaient encore le comprennent bien: avec l’avis de la Haute Autorité de Santé, ils ont le droit d’arrêter des médicaments inutiles et dangereux. Certains diraient même, mais le concept fera sourire en ces temps, que c’est un devoir.
La Boîte Noire:
En Septembre 2003, un groupe de médecins généralistes suédois m’avait demandé d’animer un séminaire indépendant sur le système de santé français. A la fin de celui-ci, gênés, à voix basse, certains d’entre eux étaient venus me demander: « Est-ce que vous aussi, en France, vous avez l’impression que les médicaments contre l’Alzheimer ne servent strictement à rien?«
Je n’ai aucun lien avec des firmes pharmaceutiques. Je n’ai jamais prescrit de médicaments anti-Alzheimer, je n’ai jamais accepté de renouveller une ordonnance de ces médicaments, arguant de ma responsabilité médicale, civile, éthique. C’était possible. Ca l’est aujourd’hui plus encore. Et dans ce combat, l’aide de revues indépendantes comme la Revue Prescrire, l’aide de confrères ou de consoeurs « droits dans leurs bottes », m’a été particuièrement précieuse. Je tiens à les en remercier.
Dépistage des cancers du sein : quand agence et ministère tentent de glisser un rapport dérangeant sous le tapis
NDLR 😉 : Une fois n’est pas coutume. Le blog s’ouvre aujourd’hui à une tribune de Jean Doubovetzky, médecin généraliste, membre de la rédaction Prescrire et de Cancer-Rose.
Alors figurez vous qu’en octobre 2015, Madame le Ministre de la santé demande à l’Institut national du cancer (INCa) d’organiser une grande « Concertation citoyenne et scientifique ». L’opération a duré un an, et a vraiment mis en branle une très grosse machine.
– Recueil de contributions écrites recueillies sur internet (395 citoyen-ne-s, 69 professionnel-le-s de santé, 25 associations),
– Trois « conférences » ayant auditionné des experts et débattu avant de rédiger chacune un rapport : conférence de 27 citoyennes, conférence de 18 professionnel-le-s, conférence de 21 experts (tiens, le mot n’est qu’au masculin dans les textes)
– Présentation publique des trois rapports ainsi que d’une synthèse des contributions internet, suivie d’un débat
– Audition de 32 personnes supplémentaires par le comité dit d’orientation (9 personnes d’horizons divers : sciences sociales, droit, santé publique, médecine générale, cancérologie)
– Rédaction du rapport final par ce comité.
À mes yeux, toutes les conditions semblaient réunies pour que l’éléphant accouche d’une souris, la multiplicité des instances et des contributions permettant au Comité d’orientation chargé du rapport final de choisir sans peine la voie de plus grande facilité, c’est-à-dire celle qui provoquerait le moins de conflits, en se contentant d’émettre quelques critiques gentillettes, de proposer quelques aménagements à la marge et de demander un peu plus de sous.
Eh bien pas du tout. La Conférence des citoyennes, tout d’abord, a fait un travail remarquable, et son rapport insiste à de nombreuses reprises sur la nécessité de reconnaître aux femmes le droit de faire le choix du dépistage ou non, en se basant sur une information équilibrée, qui ne dissimule pas les controverses, les inconnues et les effets indésirables. Leur rapport indique : « Nous ne souhaitons pas conserver la politique de dépistage organisé telle qu’elle est définie et appliquée à ce jour ». Pour les citoyennes, le dépistage devrait être évalué régulièrement économiquement, scientifiquement et technologiquement, et « évoluer en fonction des avancées scientifiques et technologiques ». Il devrait aussi être « plus ciblé et adapté à chaque situation individuelle » en fonction des risques de chacune, « plus transparent », et accompagné d’une « information complète, claire et neutre pour comprendre la balance bénéfices / risques de la participation » et d’« outils d’informations et d’aide à la décision ». La Conférence des professionnels a elle aussi fait quelques propositions intéressantes, proposant par exemple « une stratégie de dépistage différencié, bien définie et claire en fonction du niveau de risque des femmes ». Elle a demandé « des améliorations portant sur la qualité de l’information et le taux de participation », mettant « le médecin traitant au cœur du parcours de dépistage », avec la « suppression du remboursement du dépistage individuel ».
Le Comité d’orientation ensuite, n’y est pas allé par quatre chemins, refusant la voie toute tracée d’un rapport langue-de-bois-bravo-à-tous-circulez-i’a-rien-a-voir-poubelle. Son rapport est une critique sévère du dépistage organisé, de l’INCa, de la prétendue information faite aux femmes (qui est mieux décrite sous le nom de marketing), de la formation et de l’information des professionnels de santé. Ses pages 127 et suivantes avancent une série de recommandations. Notamment la prise en compte de la controverse et des effets indésirables dans la communication à destination des femmes, pour leur permettre un choix éclairé ; une évaluation du dispositif qui se penche sur la question du surdiagnostic et du surtraitement ; l’arrêt des dépistages chez les femmes âgées de moins de 50 ans sans facteur de risque.
Mais la recommandation la plus retentissante est l’arrêt du dépistage organisé. Soit l’arrêt complet (scénario 1), aboutissant à confier aux médecins de premier recours le soin d’informer les femmes et de prescrire à bon escient un dépistage à certaines d’entre elles, avec leur accord. Soit l’arrêt sous sa forme actuelle (scénario 2), aboutissant à une refonte complète avec là encore passage par les généralistes, en utilisant des grilles de risque (à établir) en vue d’éviter que des femmes à faible risque soient dépistées et subissent les effets indésirables du surdiagnostic (bon, c’est pas écrit comme ça, mais c’est assez clair quand même). Dans les deux cas, un élément clé est que la formation initiale et continue des médecins impliqués dans le dépistage (en particulier les généralistes) les mette en mesure d’informer les femmes de la controverse et des effets indésirables du dépistage, afin qu’elles fassent leurs choix personnels en connaissance de cause. Le comité de pilotage estime ne pas avoir les données pour choisir entre les deux scénarios, et détaille quelques uns de leurs avantages et inconvénients ou risques.
Vous trouverez tous les documents ici : http://www.concertation-depistage.fr/
L’INCa a réagi avant la publication. En fait, il semble que l’INCa et le ministère de la santé ont tenté de ne pas rendre le rapport public, ce qui explique que la lettre de présentation du rapport à Madame le ministre précède de deux semaines la publication dudit rapport. Profondément mis en cause par la Concertation citoyenne, l’INCa propose… de renoncer tout de suite au scénario 1, décrit comme « un cas d’école » auquel les rédacteurs du rapport eux-mêmes ne croiraient pas. (On se demande bien pourquoi l’INCa a confié cette tâche à des personnalités suffisamment sottes pour écrire le contraire de ce qu’elles pensent dans un rapport officiel.) Il faudrait donc confier à l’INCa elle-même, et à personne d’autre, la « refonte ». Cela semble bien logique, vu que, selon le rapport, depuis 10 ans, l’INCa a échoué sur tous les plans : scientifique (pas d’étude adéquate) ; technique (le dépistage n’atteint pas les seuils critiques jugés indispensables par ses défenseurs) ; de communication (jugée partiale et mensongère) et éthique. On ne change pas une équipe qui perd et qui continue de travestir la réalité en présentant de manière biaisée le contenu du rapport !
La prétendue « analyse » de l’INCa est ici : Concertation sur le dépistage du cancer du sein : analyse de l’Institut – PDF 82,34 ko
Là dessus, le Ministère de la santé se fend d’un communiqué de presse. Je résume : bravo à Octobre rose (celui dont la communication est qualifiée par le rapport de « marketing (…) trompeur et outrancier »), youpi la tour Eiffel est toute illuminée de pink, on va rénover le dépistage organisé, l’INCa et la DGS vont prévoir un plan (en toute discrétion et opacité) et le proposer d’ici décembre.
Ici : http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/16_10_03_-_cp_-_octobre_rose_2016.pdf
Alors disons les choses clairement : la Concertation citoyenne et scientifique a fait un énorme travail, aboutissant à la conclusion qu’il doit être mis fin au dépistage systématique, ou qu’il doit être radicalement transformé pour répondre aux besoins minimaux de démocratie sanitaire, de transparence et de validité scientifique. L’Institut National du Cancer (INCa) vient de démontrer qu’il est décidé à poursuivre dans la voie de ses anciens errements en tentant de cacher la poussière sous le tapis. Il n’est pas pensable que l’INCa et le ministère de la santé préparent entre eux un « kit de rénovation » qu’ils proposeront ensuite sans discussion aux femmes comme aux professionnels de santé.
Pour répondre aux demandes de la Conférence des citoyennes et à celles du Comité d’orientation, la réforme doit se faire de manière démocratique, ouverte et transparente. Elle doit être pilotée par un comité comprenant des membres de la Concertation citoyenne et scientifique ainsi que des partisans du dépistage et des opposants. Les travaux de ce comité doivent être publics, ses comptes rendus de réunion étant mis rapidement en ligne sur internet. Ses propositions doivent pouvoir être discutées et critiquées ouvertement sur internet, et les internautes doivent pouvoir faire des propositions de modifications.
Il est temps que leurs seins soient rendus aux femmes.
Jean DOUBOVETZKY
Médecin généraliste, membre de la rédaction Prescrire et de Cancer-rose (site cancer-rose.fr), sans conflit d’intérêt avec les industriels du médicament ou du matériel médical, ni avec l’organisation du dépistage des cancers du sein ou les officines de communication médicale.
Orgueil et préjugés: Martin Winckler et les brutes en blanc
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans les studios de France-Culture, c’était en Janvier 2002. L’émission nous avait confrontés, généralistes-écrivains, à Gabriel Cohn-Bendit, frère de l’autre, qui dans une tribune de Libération avait qualifié de preneurs d’otages les généralistes en grève des gardes de nuit . J’avais renvoyé l’idiot utile dans ses buts, et devant l’ampleur inattendue du mouvement, France-Culture nous avait invités. On ne se connaissait pas alors, ou seulement par livres interposés. Chacun de nous tournait autour des ouvrages de l’autre, partagé entre la curiosité, l’approbation et la jalousie. Cette rencontre a scellé le début de notre amitié.
Au terme de l’émission, celui qui avait dénoncé notre grève de nantis irresponsables changea soudain de registre:
-Ah, vous êtes vraiment deux médecins humanistes et formidables. Si tous les autres étaient comme vous, quel merveilleux système de santé nous aurions! Mais force est de reconnaître qu’hélas vous êtes vraiment des êtres exceptionnels!
Je l’ai coupé assez sèchement, tant cette tentative de connivence médiatique me dégoûta. Je dis que c’était faux, que la seule différence entre nous deux et grand nombre de nos collègues qui à cette-heure là roulaient sur des routes de campagne entre deux visites ou faisaient face à une salle d’attente pleine, c’est qu’ils ne travaillaient pas en région parisienne et que la station ne possédait pas en mémoire leur zéro-six… Ce que nous proposait Cohn-Bendit, en fait, c’était d’accéder au wagon de tête, d’accepter la main tendue, de quitter le bordel des anonymes aux semelles crottées pour être adoubés généralistes-humanistes-portant-beau-dans-les-média. De manière instinctive, je l’ai envoyé chier. On n’achète pas sa place au soleil en poignardant ceux qui espèrent que peut-être enfin quelqu’un portera leur voix.
Les années qui ont suivi ont été fertiles en livres, et en combats divers. Nous avions des modes d’exercice différents, des compétences complémentaires. Tu connaissais la santé des femmes, tu combattais le mandarinat, je connaissais le monde du médicament, la cardiologie, je combattais la main-mise grandissante de la finance sur le soin. Nous avons lancé des pétitions, alerté, fait oeuvre de vigie, parfois de Cassandre. Les années ont passé, avec leur cortège de réformes débiles, de pénalisation des patients, de franchises sur les soins, d’affaires pharmaceutiques. Nous avons tenté de ne pas devenir des pétitionnaires professionnels, mais par la force des choses on nous a collé cette image de lanceurs d’alerte à grande gueule.
Nous devions notre légitimité, non seulement à nos écrits, mais aussi à ceux qui nous suivaient, qui nous épaulaient dans nos combats. Dix ans avant que le professeur Even se réinvente en lanceur d’alerte, nous avons ensemble écrit une tribune sur le cholestérol, refusée par tous les grands quotidiens français. Tu en as fait une chronique radiophonique qui a attiré sur toi les foudres de l’industrie. Lorsque tu as été viré de France-Inter du jour au lendemain par Jean-Luc Hees en 2003 et qu’à la place de ta chronique un matin nous avons eu droit à un gluant droit de réponse de Big Pharma, j’ai failli faire une sortie de route sur le chemin du cabinet. Une consoeur m’a dit qu’elle avait dû arrêter sa voiture sur le bas-côté parce qu’elle avait été saisie d’une crise de larmes. Quand Paul Moreira a révélé quelques années plus tard sur Canal Plus que Jean-Luc Hees faisait des ménages pour les firmes, de nombreux médecins ont eu le sentiment que tu avais été vengé, et eux avec.
Tu as quitté la France, ayant trouvé au Québec un environnement plus propice à ta vision de ce que devrait devenir l’enseignement de la médecine. Ce n’était pas « déserter », comme je l’entends parfois. Chacun mène sa vie comme il l’entend, comme il le peut. J’ai moi-même souvent hésité à partir, mais finalement je suis toujours là, 32 ans et près de 150.000 consultations plus tard, dans le même cabinet de médecine générale. Tu connais le dicton: « Dans le miroir d’un homme de 58 ans, il y a un homme de 26 ans qui se demande ce qui s’est passé. » Je ne te dirais pas comment j’ai exercé pendant ces trente-deux années, un ami l’a fait pour moi.
Au fil des ans, tu avais affronté l’industrie pharmaceutique, les mandarins, tous ceux qui voyaient d’un mauvais oeil « un petit médecin » comme avait déclaré Jean-Luc Hees, les emmerder, remettre en cause leurs certitudes. Je te lisais toujours, mais souvent j’étais surpris du ton que tu adoptais. Sur ton blog, où tu recevais des témoignages de patients ou de patientes, tu commençais à t’ériger en donneur de leçons, tu publiais un décalogue à l’attention de tes confrères, tu dressais un bestiaire de médecins malfaisants, plus infâmes les uns que les autres. Tu te laissais aller à des généralisations que je trouvais insupportables. J’avais l’impression de me retrouver dans ce studio de France-Culture, des années plus tôt. « Les médecins sont corrompus par l’industrie », disais-tu. Je répondais « Tu ne peux pas dire ça. Tu ne peux pas dire LES médecins et passer par pertes et profits celui ou celle qui dans son coin refuse de recevoir la visite médicale, affronte la colère d’un mandarin local parce qu’il a refusé de renouveler telle ou telle molécule inutile ou dangereuse » Tu répondais: « Le lien à l’industrie est quand même très ancré dans le corps médical. Ce que je dénonce, c’est une tendance générale ». Nos discussions avaient quelque chose de biblique. Tu brandissais les tables de la Loi, moi je te demandais si tu daignerais sauver Gomorrhe si j’y trouvais dix soignants de bonne volonté. Au fil du temps, et avec quelques rechutes, il m’avait semblé que je t’avais convaincu d’être plus prudent, de ne pas écrire « LES médecins », généralisation hâtive, quand tu dénonçais le comportement de CERTAINS médecins.
Il y a quelques mois, tu m’as parlé de ton prochain livre: « Les brutes en blanc », dont tu avais posté la couverture sur les réseaux sociaux, avec un bandeau accablant: « Pourquoi les médecins nous maltraitent-ils? » Interrogé, tu m’avais expliqué que le bandeau n’était pas de toi, mais de ton éditrice, Muriel Hees…( le monde est petit) , et que justement la réaction outragée ( et légitime) des médecins amènerait à modifier le bandeau « Pourquoi y-a t-il tant de médecins maltraitants ? ». Tu m’avais demandé d’attendre, pour juger sur pièces.
Ton livre est paru après tes premiers interviews, qui m’ont attristé, atterré.
Je t’ai questionné, t’ai demandé si ton propos avait été trahi. Tu m’as envoyé le livre. Je l’ai lu.
Mon désarroi est intact. Désarroi, parce que je partage certains des constats que tu fais, que nous sommes nombreux à faire, depuis longtemps. Mais tant d’eau a passé sous les ponts depuis que nous étions étudiants sur les bancs de la fac, Martin. Le monde a changé, Internet a bouleversé la donne, permettant aux médecins qui le souhaitaient, et ils sont nombreux, d’échanger, de bousculer leurs certitudes, de s’épauler et de partager leurs savoirs. Je ne remets pas en cause le nombre de mails que tu dis avoir reçu dénonçant des situations de maltraitance, ni la nécessité d’y mettre un terme, mais ta tendance à généraliser nuit à ton propos. Tu sembles considérer que le soignant a par nature un crime à se faire pardonner, une absolution à demander PARCE QU’IL EST SOIGNANT. Nous savons tous que le cadre de la relation médecin-patient est asymétrique: l’un a un pouvoir, lié à son savoir ( qui lui donne des devoirs); l’autre est souvent en situation de faiblesse et/ou d’angoisse. Que certains en abusent, ou émoussent au fil des ans, plus ou moins vite, leur empathie et leur humanité, c’est certain. Mais tu sembles considérer que c’est le cas de la majorité, voire de la quasi-totalité des soignants. Dans les discussions sur les réseaux sociaux, je lis des choses surréalistes, que la bienveillance, c’est pour les patients uniquement, que les médecins, parce que soigner c’est leur job, doivent tout assumer, tout encaisser. Je crois l’inverse. Je crois qu’on a beau être soignant ( ce qui n’est pas un crime ni une perversion), on est aussi et avant tout un être humain et que l’empathie et la bienveillance, c’est la base de toute relation humaine.
Tu te poses en juge, en accusateur, entraînant derrière toi un curieux aréopage, dans lequel au milieu de patients légitimement blessés par ce qu’ils ont subi se glissent quelques fameux maltraitants, du genre à légitimer la violence aux urgences, par exemple, ou à nier aux soignants leur humanité.
A de nombreuses reprises, dans ton livre, tu fustiges la médiocrité de tes confrères. Et tu t’ériges en exemple. Avec des contresens fameux, comme ce passage sur la tension artérielle:
Laisse-moi t’expliquer un truc. « Les médecins » français connaissent l’effet blouse-blanche, depuis une quinzaine d’années au bas mot. S’enquérir des résultats de l’auto-mesure du patient à domicile est très utile, surtout pour les patients visiblement stressés en milieu médical, mais écrire que la VRAIE tension est la tension à la maison est un non-sens. Il n’y a pas de vraie tension. La tension artérielle varie tout le temps, et les études ( sur lesquelles on peut revenir et argumenter) ont dressé une corrélation entre la tension artérielle prise au cabinet dans des conditions standardisées et le risque de mortalité ou d’accident cardiovasculaire. Hormis les cas de patients stressés en milieu médical, c’est donc sur cette mesure que l’on se basera pour déterminer si un individu est considéré hypertendu ou normotendu. Ce n’est pas LA VRAIE TENSION, c’est le chiffre de tension au cabinet dans des conditions standard, corrélé à un risque de mortalité.
A de multiples reprises, tu expliques ce que tu sais toi, et que la majorité des autres ne savent pas…
Tu expliques que la France est affreusement en retard, et qu’aucune place n’est donnée aux patients dans l’enseignement… avant d’être contredit par les étudiants eux-mêmes
Tu assènes que les médecins français interrompent leurs patients au bout de vingt-trois secondes. Les cons! Les cons paternalistes odieux!
Pour ta gouverne, sache que les deux auteurs de ce livre, à ma connaissance, n’ont mené aucune recherche en France sur ce sujet mais se sont référées à une unique étude basée sur l’interrogatoire de généralistes… en milieu semi-rural aux Etats-Unis en… 1999
D’où t’est venu ce mépris des confrères, des consoeurs? Où est passée ta responsabilité envers ceux qui n’ont pas accès aux média, ceux qui oeuvrent honnêtement et difficilement dans l’anonymat, loin des plateaux de télé?
Tu me répondras que ton code moral personnel fait de toi avant toute chose un avocat de la cause des patients, leur défenseur envers et contre tous. Tu l’affirmes d’ailleurs avec force au début de ton livre. Tu n’interviens pas en tant que médecin mais en tant que patient, fils de patient, père de patient, arrière-petit-neveu de patient…
Mais à qui veux-tu faire croire ça, Martin, dans un livre où tu ne cesses de mettre en avant ton expérience personnelle de médecin, et souvent de pointer tes compétences personnelles???
A ce stade, je vais avouer quelque chose. A quelques rares exceptions près, je n’ai pas eu à subir de maltraitance pendant ma formation. Sur dix ans, je compte sur les doigts d’une main les chefs de services, les assistants, qui se sont mal comportés avec moi ou avec mes collègues externes. Autant je suis d’accord avec toi que la formation à notre époque était surannée, apprenant le rabâchage et la répétition plutôt que la remise en question, autant je suis en désaccord avec ton présupposé que TOUS les médecins auraient subi la même formation maltraitante, qui aurait engendré une répétition de cette maltraitance. D’ailleurs, parlons-en, de la formation. J’ai coutume de dire que j’ai appris la médecine malgré mes études. J’ai appris la médecine auprès d’autres soignants, auprès des patients, à l’hôpital, en situation. Sur un sujet qui te touchera, celui des infections urinaires de la femme, « pain quotidien » de la médecine générale, je n’ai eu en tout et pour tout que sept minutes de cours, avec un vieux chef de service qui nous a expliqué, en gros, que l’appareil génital des femmes était assez mal foutu avec la poche à urine s’abouchant dans une cavité fermée, une sorte de cloaque ( alors que le robinet masculin pissait dru à l’air libre), et que donc les infections urinaires étaient une fatalité naturelle. J’ai fouiné, j’ai acheté un livre édité par une association américaine de patientes, « Understanding Cystitis », et j’ai appris comment les femmes pouvaient au mieux se protéger de ces récidives. Imaginer, postuler, qu’un médecin n’est que la résultante de sa formation forcément maltraitante est un non-sens. Tu n’es pas, Martin, je ne suis pas, le seul soignant doué de réflexion et de curiosité.
Nous avons tous les deux une culture anglo-saxonne. Tu expliques à quel point le schisme entre la royauté et l’église, la capacité anglo-saxonne à penser contre le dogme, contre les pouvoirs établis, a différencié le mode d’apprentissage, en France et ailleurs. C’est possible. Mais je vois plein de jeunes confrères ici, qui n’ont pas cette double culture, et qui fonctionnent cependant de manière empathique, ouverte, non normative vis-à-vis des patients. Imaginer que tous les jeunes médecins français terrorisent les patients avec leur taux de cholestérol, ou que nul médecin américain ne dépiste annuellement l’antigène spécifique de la prostate, est un non-sens.
Parfois un soignant trouve grâce à tes yeux. Ainsi dans cet extrait les jeunes soignants sont-ils gentils et humanistes… mais un peu cons quand même.
Les gentils sont très crédules et influençables ( à part toi, bien sûr), mais la majorité est maltraitante par indifférence, sembles-tu dire. Ainsi dans ce passage sur le traitement de la douleur:
La réalité est toute autre. L’hôpital a crée des consultations anti-douleur, a survendu ces consultations comme ZE PLACE TO BE pour traiter la douleur. Les files d’attente s’allongent pendant des mois, pour aboutir dans la plupart des cas à modifier à la marge les traitements instaurés en médecine de ville. Comment peux-tu asséner que pour la majorité de tes confrères, la douleur n’est qu’un symptôme utile au diagnostic, pas « une souffrance à soulager »?
Où as tu fait tes études? A l’université Marcel Petiot?
Je n’ai pas entendu parler de « beaux diagnostics » avec gourmandise et inhumanité depuis… 1979 ( et ça m’avait choqué, évidemment). Sur les réseaux sociaux, les médecins s’épaulent quotidiennement quand l’un ou l’autre, confronté à la dégradation ou à la mort d’un patient, partage sa souffrance.
A de nombreuses reprises, tu accables les soignants en général, tout en te ménageant, à toi, et à toi seul, une porte de sortie. Ainsi dans l’Humanité: tu assènes: « Les préjugés des médecins sont des préjugés de classe »
En résumé:
Tous les médecins sont issus de la bourgeoisie ( faux)
D’où leur mépris de classe, assumé ou inconscient. ( Et s’ils le nient, c’est encore pire)
Moi-même Martin Winckler je suis issu de la bourgeoisie.
MAIS MOI, MA GRAND-MERE FAISAIT LE MENAGE
Donc je suis sauvé du lot.
Mais dis-moi, Moïse, crois-tu être le seul dont la grand-mère passait la serpillière, le seul dont le père ou la mère pointait à l’usine, le seul à avoir enquillé les gardes d’infirmier de nuit entre deux journées d’externe?
Ce qui me désole, c’est que sur de nombreux sujets, la surmédicalisation, la maltraitance institutionnalisée de certains diktats de prévention, nous sommes en accord, et de très nombreux confrères et consoeurs aussi. Mais en reniant leur humanité et leur compétence, en les livrant au soupçon généralisé, en les dénigrant, crois-tu servir la cause des patients?
Le passage qui m’avait alerté lors d’un de tes premiers interviews, dans le Figaro, c’est celui-ci:
Questionné à ce sujet, tu m’as fait l’habituelle réponse, qu’il fallait juger le livre. J’y retrouve peu ou prou les mêmes affirmations.
Les mots ont un sens. Je ne peux pas imaginer une seconde que tu crois vraiment ce que tu écris là, Martin. Tu fais le buzz, tu provoques ( tu l’as admis sur Twitter), tu généralises en te disant qu’au final cela fera connaître et lire le livre. Et bien laisse-moi te dire que tous les moyens ne sont pas bons. Que tu insultes et maltraites des confrères et des consoeurs qui n’en ont pas besoin. La profession ( comme beaucoup d’autres) est en grande souffrance, sa mission de soins mise à mal par l’appétit des financeurs privés, des assureurs, et le désengagement sournois des politiques pour qui la prise en charge solidaire de la santé entame notre compétitivité à l’international. S’y rajoute une gouvernance bureaucratique qui ne cesse de dénoncer les travers supposés du corps médical pour asseoir, au nom de sa supposée supériorité morale ( ah les ronds-de-cuir de la bienveillance en guise de plan de carrière!), la maîtrise comptable, étouffer les soignants sous les protocoles les plus stupides et les plus retors, et créer une situation d’injonction paradoxale dont beaucoup ne s’échappent que par le burn-out ou le suicide.
Tu me répondras qu’à de multiples reprises, dans le livre, et dans les interviews au fur et à mesure que monte la colère, tu précises quand même que tu ne parles pas de tous les médecins. Mais c’est pourtant ce que tu as écrit, répété, insinué, maintes et maintes fois dans le même livre. Parce que généraliser sert le propos, amène des média à embrayer: « Les médecins sont-ils méchants? » « Faut-il avoir peur de nos médecins? » « Une réalité crue frappe pourtant de plus en plus de patients: la maltraitance médicale ». Toujours cette confusion entretenue à dessein entre « LES » et « DES », afin de souligner l’ampleur du phénomène. Nous en avons parlé tant de fois, je n’imagine pas que tu ne connaisses pas le poids des mots. Alors, comme tu le dis très bien:
Tu es agressé en retour, verbalement, par des confrères qui répondent à ta violence symbolique injustifiée par l’insulte. D’une certaine façon, cela a pour toi valeur d’exemplarité: cette profession dans son ensemble ne supporte pas d’être remise en question, CQFD. Tu es défendu par quelques médecins qui t’aiment, qui ont confiance en toi, et qui cherchent désespérément, du fait de ton aura, à être reconnus dignes, adoubés, sauvés du lot commun. Les « gentils » médecins non maltraitants qui protestent feraient preuve d’une susceptibilité inappropriée, probablement parce qu’ils rêvent de faire partie d’un mythique « corps médical ». Alors même que tu accuses l’ensemble des médecins en bloc, certains cherchent auprès de toi un signe de rédemption. Je n’en suis pas. Je refuse. Tu me cites dans ton livre, tu me remercies à la fin, mais je n’en suis pas. Comme il y a quinze ans dans les locaux de France-Culture, et bien que chaque patient ait toujours été pour moi un être unique et irremplaçable, je refuse de monter dans le wagon de tête. Je refuse de me singulariser de la plèbe des soignants anonymes, de ceux que tu maltraites pour faire avancer ta cause.
S’ils sont coupables parce qu’ils sont médecins, je suis médecin, donc je suis coupable.
Christian Lehmann est médecin généraliste et écrivain
Shit-eating grin
Le viril suprématiste blanc Eric Zemmour se vante de ne jamais avoir changé les couches de ses mômes. Il était déjà à l’époque très occupé à jouer avec son propre caca
LA BROSSE A RELUIRE DANS LA PLAIE
Pour qui se pose la question de ce qu’est un journalisme indépendant, pas de meilleure illustration que le téléscopage, aujourdhui, de deux articles de presse, au moment où Agnès Buzyn, ancienne présidente de l’Institut National du Cancer, est nommée par le Président François Hollande ( que le monde entier nous envie) présidente de la Haute Autorité de Santé.
Je ne m’arrêterai pas sur cette manie bien française de distribuer des hochets, ni même sur ces appellations fantoches: « Haute Autorité de Santé, « Haut Conseil Pour l’Avenir de l’Assurance Maladie », censées faire taire le bon, et bas peuple, et le maintenir dans une attitude de soumission aux décisions des « Hauts » sachants.
Je ne m’arrêterai pas non plus sur le bilan des agences sanitaires françaises, bilan lamentable, d’autres l’ont fait mieux que moi, d’un scandale sanitaire l’autre.
Je noterai cependant que le milieu de la cancérologie est probablement l’un des plus truffés de liens d’intérêt entre grrrrands professeurs et complexe pharmaceutico-industriel, et que le choix d’un membre du sérail a certainement valeur d’exemple.
Pour ceux qui n’auraient pas connaissance des missions de la Haute Autorité de Santé:
« La HAS est une autorité publique indépendante qui contribue à la régulation du système de santé par la qualité. Elle exerce ses missions dans les champs de l’évaluation des produits de santé, des pratiques professionnelles, de l’organisation des soins et de la santé publique.
La HAS évalue d’un point de vue médical et économique les produits, actes, prestations et technologies de santé, en vue de leur admission au remboursement. Elle élabore des recommandations sur les stratégies de prise en charge.
La HAS certifie les établissements de santé et accrédite les praticiens de certaines disciplines afin d’évaluer et d’améliorer la qualité des soins et la sécurité des patients dans les établissements de santé et en médecine de ville. »
Certification des établissements de santé, évaluation des pratiques professionnelles et des médicaments, on mesure donc dans notre France toujours en quête de nouvelles normes l’importance théorique de cette nomination.
Dans Libération, Eric Favereau, dont on a pu suivre pendant tout le long et fastidieux déroulement de la guerilla contre la Loi Santé de Marisol Touraine les injonctions répétées à lutter contre les refus d’un corps médical forcément réactionnaire, dresse aujourd’hui un portrait d’Agnes Buzyn, portrait idyllique où rien ne fâche.
La brosse à reluire si souvent passée dans le dos d’Etienne Caniard, président de la Mutualité Française, zélateur du tiers-payant généralisé, mais aussi « une des personnalités les plus attachantes et les plus compétentes du monde de la santé » ( et accessoirement partenaire et sponsor des Jeudi de la Santé… de Libération), trouve ici un nouvel usage.
« Dans ses nouvelles fonctions, la professeure Agnès Buzyn a bien des atouts. Elle arrive, auréolée d’un parcours sans tache. Lors de ses auditions au Parlement, la droite comme la gauche ont salué la nomination d’une femme d’expérience et de science, qui a réussi ces cinq dernières années à la présidence de l’Institut national du cancer. Personnalité efficace, peu sensible aux mirages du pouvoir, elle se montre très attentionnée sur les questions des inégalités de santé.«
Dans le même temps, sur Mediapart, on peut lire une véritable enquête, qui soulève un questionnement chez toute personne un peu au fait des combats qui se jouent autour de la notion d’indépendance des experts en médecine. On y lit noir sur blanc que sur cet épineux sujet, Agnes Buzyn a tranché dans le sens le plus ouvertement réactionnaire et corporatiste:
« L’industrie pharmaceutique joue son rôle, et je n’ai jamais crié avec les loups sur cette industrie. Il faut expliquer que vouloir des experts sans aucun lien avec l’industrie pharmaceutique pose la question de la compétence des experts. »
En clair, écrit la journaliste Pascale Pascariello dans le journal inventé par Edwy Plenel, « Agnès Buzyn regrette de ne pouvoir prendre des chercheurs qui ont, avec l’industrie pharmaceutique, des liens d’intérêt pourtant susceptibles d’influencer leurs expertises. »
De ceci, de cette information cruciale qui révèle le degré d’indigence éthique et scientifique de cet incessant mercato de personnalités BigPharma-compatibles à la tête des agences sanitaires françaises, le lecteur de Libération ne saura rien.
Et c’est ainsi, Madame, que votre fille est muette, sourde, et aveugle. Et que nous n’avons pas le cul sorti des ronces.
Sur l’autel de l’austérité: Quand la Sécu rejoue Orwell avec la bénédiction de l’Etat
« Quand vous voulez qu’une foule se tienne à carreau, vous en fusillez un. En général, les autres se tiennent tranquilles. »
Pour nombre de commentateurs et de journalistes, l’affaire semble entendue:
Marisol Touraine est de gauche, et sa Loi Santé regorge de mesures sociales dont le Tiers Payant généralisé est la plus emblématique. Les médecins, « de droite, forcément de droite » , s’opposent à ces avancées sociales. Et plus ils s’y opposent bruyamment, plus on peut les classer sans hésitation « à droite de la droite ».
Au risque de créer chez certains commentateurs un début de dissonance cognitive, j’aimerais m’arrêter sur une question jamais traitée au fond dans les média, celle des arrêts de travail injustifiés.
Jusqu’à l’arrivée à la tête de l’Assurance-Maladie en 2004 de Frédéric Van Roekeghem, ancien auditeur d’AXA nommé par Jacques Chirac, le pourcentage d’arrêts de travail litigieux était de 2%. Très rapidement, le chiffre d’arrêts de travail injustifiés va être chiffré à 12%. Les mots ont un sens, la com de l’ancien assureur aussi. Sous prétexte que « c’est en changeant tous un peu qu’on peut tout changer », « litigieux » devient « injustifié ». Une différence de point de vue entre médecin soignant et médecin contrôleur est transformée d’emblée en fraude.
J’ai déjà révélé, sur ce blog, et jusque devant Frédéric Van Roekeghem lui-même, étrangement crispé sur le plateau d’Yves Calvi à C dans l’air en 2011, les dessous des manipulations orchestrées par les caisses. Sous Nicolas Sarkozy, la « responsabilisation des patients », ce discours punitif des politiques de droite, fut étayé par l’instrumentalisation des données de la CNAM sur « les fraudes aux prestations sociales »: Frédéric Van Roekeghem mit en oeuvre une falsification des chiffres en inventant le désaccord du médecin-conseil sur un arrêt de travail virtuel jamais demandé par le médecin ni pris par le patient. Ou comment gonfler les chiffres donnant raison à Sarkozy et autres Wauquiez, et stigmatiser ces médecins commerçants délivrant contre rémunération des arrêts complaisants à des patients malhonnêtes…reproduisant ainsi le sempiternel discours patronal tenu dès 1948 par la Chambre de Commerce de Paris, ancêtre du MEDEF: « La Sécurité sociale est devenue pour l’économie une charge considérable. Les salariés ont profité de traitements dont ils n’avaient peut-être pas un besoin certain, la moindre maladie a été le prétexte de repos. L’absentéisme s’est développé. »
La procédure n’a jamais cessé, comme l’a noté sur mon blog un de mes fidèles informateurs, petite main des services administratifs de la CNAM, pas dupe du contrat orwellien qu’acceptent tacitement nombre de médecins-conseils: taper sur les soignants pour remplir les objectifs de la direction, au prétexte de sauver l’Assurance-maladie solidaire.
La Sécurité Sociale multiplie ainsi les procédures envers des médecins considérés comme « délinquants statistiques ». Alignant les chiffres et les moyennes, elle cible des praticiens dont l’activité paraît statistiquement trop écartée de la norme. Il ne s’agit aucunement de discuter la justification médico-sociale de chaque arrêt, mais de considérer globalement qu’une déviation par rapport à la moyenne représente une déviance à redresser. Le praticien est convoqué et mis devant le fait accompli par une caisse juge et partie: soit il accepte d’être mis sous tutelle provisoire (reconnaissant ainsi de fait un abus de prescription) pendant quelques mois en s’engageant à réduire d’un pourcentage déterminé à l’avance ses arrêts de travail pendant la période, auquel cas, ayant rejoint le vaste troupeau il sera tiré d’affaire, soit il refuse et pourra encourir une pénalité financière pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros. Tout ceci est présenté par les garde-chio….. pardon, les contrôleurs de la Caisse comme une simple démarche administrative, « un accompagnement ». Les tentatives d’explication de médecins déstabilisés par ces accusations, et cherchant d’une manière pathétiquement humaine à justifier leur pratique, leur souci des patients, leur type de patientèle ou leur mode de travail, sont systématiquement balayées. Les chiffres parlent, le ratio indemnités journalières/consultations est trop élevé.
Aux médecins accusés, dont certains sont profondément bouleversés tant l’accusation de nuire au bien commun leur est insupportable au vu de leur pratique et de leur vocation, les accusateurs demandent avec agacement de ne pas se complaire dans leur affect: « Il n’y a là rien de personnel, ce sont juste les chiffres ». Lorsque certains d’entre eux menacent de cesser leur activité, de « déplaquer », parce que la double-contrainte leur est insupportable ( faire semblant de soigner chaque malade comme un individu, mais appliquer globalement sans le dire les consignes des caisses pour tenir des objectifs comptables, quitte à pénaliser les patients) , les contremaîtres réagissent avec mépris: « Reprenez-vous, c’est simplement une procédure administrative. Et ne venez-pas nous faire du chantage! »Tant il est pénible, quand on est le bras armé de la Matrice, d’entrevoir un instant sa responsabilité individuelle dans l’écrasement de l’autre.
Il ne s’agit pas pour eux de traiter le dossier de chaque patient, mais globalement de faire rentrer le « délinquant statistique » dans le rang. De faire courber la tête pour maintenir l’ensemble des praticiens sous le joug, de les inciter collectivement à lever le stylo au moment de prescrire, en remerciant silencieusement le Ciel que la sanction soit tombée sur un bouc-émissaire. Certains représentants syndicaux, particulièrement attachés à leurs petites prérogatives locales et ravis de côtoyer les instances dirigeantes, n’hésitent pas à enfoncer leurs confrères « indéfendables », comme peut en témoigner Marcel Garrigou-Grandchamp, fondateur de la Cellule Juridique de la FMF ( syndicat qui se retrouve de plus en plus régulièrement taxé de « poujadisme »ou de « propos outranciers »parce qu’il ne joue pas le jeu).
Aux médecins accusés, il serait très simple d’accepter la mise sous tutelle. Désignés coupables, il leur suffit pour échapper à la sanction de fragmenter leurs arrêts de travail, puisque c’est le ratio arrêts de travail/nombre de consultations qui est mis en cause. Quatre arrêts de travail consécutifs d’une semaine ( occasionnant donc quatre consultations distinctes) sont ainsi moins coupables qu’un arrêt de travail d’un mois. Mais nombre d’entre eux ne réalisent pas qu’il est possible de se sortir de la nasse en étant plus mesquins que leurs contrôleurs. Alors certains s’enfoncent, dépriment, d’autres dévissent leur plaque. Mettant alors les Caisses et leur système de fliquage orwellien tout entier en difficulté, quand l’information diffuse dans les média, et jusqu’aux premiers concernés, les patients.
Dans les Yvelines, c’est une généraliste, Véronique Mollères, qui, après avoir spontanément cessé son activité pendant deux mois suite à sa mise en cause, se rebiffe, et se retrouve soutenue par une coordination spontanée de confrères et consoeurs ( forcément « à droite de la droite ») qui refusent l’arbitraire des caisses et le font savoir. Elle a tenté de faire valoir que le nombre d’indemnités journalières élevé qu’elle a prescrit est lié à la fermeture de cabinets et à la désertification médicale dans son secteur, avec une population majoritairement ouvrière. Peine perdue.
Dans la Marne, c’est une autre généraliste, Virginie Thierry, qui dévisse sa plaque. Elle explique sa réaction à la procédure engagée contre elle: la sidération, la honte, les larmes, les insomnies, suivies par une froide détermination: malgré son amour pour son métier, son attachement à ses patients, renverser la table, déplaquer. Mettant ainsi à jour le système institutionnalisé de fliquage de ce qui fut, un temps, « notre »Sécurité Sociale: « Si leur objectif c’est de faire peur aux autres, ça marche très bien. Tous mes confrères qui sont au courant y pensent quand ils font des arrêts de travail. Quand vous voulez qu’une foule se tienne à carreau, vous en fusillez un. En général, les autres se tiennent tranquilles. J’ai un peu l’impression d’être sacrifiée »
A ce sujet l’absence d’investissement visible des syndicats de salariés sur ces questions, l’absence de positionnement de la majorité des formations politiques « de gauche »est une honte. Car bien évidemment, à travers le médecin humilié et harcelé, forcé de se soumettre, c’est le salarié que l’on vise. En Commission des Pénalités, explique Marcel Garrigou-Grandchamp, « nos adversaires les plus vindicatifs sont les représentants du MEDEF… » Le médecin qui cède à cette traque offre en fait la santé de ses patients sur l’autel de l’austérité. La droite de Nicolas Sarkozy « responsabilisait »les patients à coup de franchises, fliquait les médecins sur les arrêts de travail. La « gauche »de François Hollande poursuit EXACTEMENT les mêmes buts, avec les mêmes méthodes. Ainsi, vent debout contre les franchises et contre les approches comptables des caisses lorsqu’elle était dans l’opposition, la députée Catherine Lemorton, Présidente de la Commission des Affaires Sociales à l’Assemblée Nationale, entérine aujourd’hui les franchises et la « responsabilisation »des cancéreux et des diabétiques qu’elle combattait hier, et salue en Frédéric Van Roekeghem , aujourd’hui reparti dans le privé, « un grand serviteur de l’Etat ».
Son successeur, Nicolas Revel, veut donc renforcer « l’accompagnement » des médecins auxquels la CNAM propose déjà un bilan des prescriptions associé à une comparaison régionale ou locale, des outils « d’aide à la prescription » au travers de « fiches repères » relatives aux durées indicatives d’arrêt, couvrant actuellement 60% des pathologies. Ces dernières, assure t-il, sont « validées par la Haute autorité de santé (HAS) ». Sans préciser que ces référentiels, aussi incroyable que cela paraisse, sont validés par défaut par la HAS en l’absence de consensus scientifique. En langage commun, cela signifie que l’Assurance-maladie propose à la Haute Autorité de Santé des référentiels qui demain permettront de sanctionner les médecins, et que la HAS, en l’absence de données scientifiques validées permettant de confirmer ou d’infirmer les durées d’arrêt de travail proposées, les entérine par défaut.
Il existe de bonnes raisons, opposées, de soutenir, ou de combattre, le tiers-payant généralisé, selon que l’on porte crédit, ou non, au discours de la Ministre sur la facilitation de l’accès aux soins, et selon l’appréciation que l’on a du risque de désengagement de la Sécurité Sociale au profit d’assureurs à qui le gouvernement offre, au nom d’ « une mutuelle pour tous », une population captive obligée de cotiser deux fois.
Mais pour ceux qui désirent soutenir aveuglément Marisol Touraine et sa Loi Santé, il serait urgent de trouver d’autres arguments que ceux de l’anathème, d’autres éléments de langage que l’accusation de poujadisme ( où se profile, à peine voilée, l’accusation de lepénisme), pour expliquer au peuple français que les diktats de Marisol Touraine représentent l’apha et l’oméga du socialisme français. Certes, cela obligera certains économistes multicartes pas réticents à publier dans les magazines du néolibéralisme à sortir de la pensée binaire, et certains journaux, qui présentent en couverture Emmanuel Macron comme une sorte de Wonderboy de la politique tout droit sorti d’American Gigolo, à un peu plus de sérieux. Ce n’est pas gagné.
Boîte noire:
Je suis médecin généraliste, membre de la FMF.
En 1985 j’ai été poursuivi par la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie des Yvelines.
Pour utilisation du tiers-payant.
Fin.
Du.
Game.
Bouvard et Pécuchet en manteau d’hermine
Un confrère américain m’a récemment fait passer le document suivant, qui montre l’évolution du nombre de médecins et d’administratifs dans le domaine de la santé entre 1970 et 2009. Il s’agit de la situation américaine mais je doute que la situation en France soit très différente. Bientôt, pour chaque soignant, on aura dix évaluateurs auto-proclamés expliquant pourquoi tout n’a pas été fait dans les règles ( voir la fable des rameurs de Dominique Dupagne)
Comme chaque année à même époque, la Cour des Comptes publie son énième catalogue Vermot de réformes en pointant en bons inspecteurs des travaux finis ce qui ne fonctionne pas dans le monde de la santé ( entre autres). Les professionnels de santé sont mal répartis, les infirmiers coûtent trop cher, les kinésithérapeutes font trop d’actes, et on devrait greffer des reins au lieu de dialyser parce que ça serait plus efficient, ça coûterait moins cher, Mâme Michu, et c’est quand même pas bien compliqué, hein?
Non mais dites-donc, là, les Bouvard et Pécuchet de la Cour des Comptes dans vos manteaux d’hermine: « VOUS NOUS COUTEZ UN BRAS. QUAND DONNEZ-VOUS UN REIN? »
PS: Ceux qui veulent en savoir un peu plus sur le fringant Gilles Johanet ( à gauche, mais seulement sur la photo) ex maoïste devenu énarque ayant atterri comme procureur général à la Cour des Comptes après avoir exercé comme directeur de l’Assurance-Maladie, liront ce billet précédent où ils pourront mieux apprécier les grandes capacités d’adaptation de cet immense serviteur de l’Etat.
RAINBOW WARRIOR: UN CRIME SOUS MITTERRAND
« La lutte de l’homme contre le pouvoir, c’est la lutte de la mémoire contre l’oubli »
Milan Kundera
10 Juillet 1985. Une brève. Le Rainbow Warrior, navire amiral de la flotte de l’organisation pacifiste Greenpeace, aurait coulé dans le port d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, à l’autre bout du monde.
Pour ma génération, pour ceux qui avaient poussé un cri de joie en voyant apparaître sur l’écran de télévision le visage pixellisé de François Mitterrand à la télévision au soir du 10 Mai 1981, cet été sera meurtrier. Nous avions subi pendant de longues années une droite bien-pensante certaine que le pouvoir lui était acquis à vie. Mitterrand, pour nous, c’était, enfin, le socialisme, la rose au poing, l’espoir d’un monde sans crime.
Nous avions imaginé que le PS, s’il s’avérait moins doué pour l’économie, nous débarrasserait au moins des inégalités sociales, et de certaines dérives post-coloniales. Au lieu de cela, comme me le déclarerait Edwy Plenel en interview quelques années plus tard: « La succession des reniements qui se sont joués pendant le premier septennat devrait nous sauter à la figure : sécurité, rigueur,recul du social, raison d’Etat… C’est sous le mitterrandisme, avec sa politique monétariste, que s’est produit un basculement sidérant du travail vers le capital. » Tout ceci était décelable en 1985 pour ceux qui s’astreignaient à refuser (et ils étaient fort peu nombreux) la mitterrandolâtrie, mais ce pouvoir semblait au moins encore avoir les mains propres.
Et puis ces deux bombes posées sur la coque du Rainbow Warrior, et quelques heures plus tard un couple arrêté par la police néo-zélandaise au moment où il remet au loueur une camionnette vue sur les lieux de l’attentat. Ces deux faux-époux Turenge retenus à l’aéroport, bizarrement munis de passeports suisses… alors que la Suisse était l’un des rares pays à l’époque à avoir informatisé ces informations, ce qui permit aux néo-zélandais de savoir très rapidement que les passeports étaient des faux. La révélation de leur qualité d’agents secrets français, puis les dénégations surréalistes, pendant des semaines, du gouvernement français. Pierre Joxe, ministre de la Justice, prêtant main forte aux investigateurs néo-zélandais à la demande de Laurent Fabius, Premier ministre de l’époque. Charles Hernu, ministre de la Défense, affirmant « les yeux dans les yeux » à l’un et à l’autre que ses services n’avaient aucune responsabilité dans l’affaire .Mitterrand ne daignant même pas s’abaisser à répondre aux interrogations, et débarquant dans le Pacifique pour assister à quelques nouveaux essais nucléaires, histoire de montrer que son pouvoir personnel n’acceptait aucune contrainte, intérieure ou extérieure.
Et de jour en jour, dans la presse, des bribes, des sous-entendus, des intox distillées par quelques officines pour embourber l’affaire. Ils sont quelques-uns à l’époque à traquer la vérité, et pour ceux qui comme moi ressentent confusément un trouble grandissant devant ce que semble révéler cette affaire, Plenel est aux avant-postes, avec Marion, Derogy, Pontaut…
Dans « La Troisième Equipe » ( ed. Don Quichotte), Edwy Plenel remonte trente ans en arrière et nous ramène à cet été 1985. L’empire soviétique s’effrite, l’apartheid domine en Afrique du Sud, l’Irak de Saddam Hussein est le grand allié des Occidentaux contre l’Iran de Khomeini. Plenel est alors rubriquard au Monde, et il fait revivre en quelques pages ce monde disparu de la presse d’avant-hier, la presse d’avant Internet, d’avant les réseaux sociaux. Une presse papier fabriquée par des artisans dans un décor qui ne semble pas avoir beaucoup changé depuis l’avant-guerre.
Pour qui se sent un minimum citoyen du monde, pour qui n’obéit pas le doigt sur la couture du pantalon aux injonctions du patriotisme cocardier, l’idée que le gouvernement français aurait pu mener à bien un attentat terroriste sur le bateau d’une organisation non-gouvernementale pacifiste dans le port de la capitale d’un pays ami est effrayante. Et pourtant on peut trouver dans la presse d’alors des éditorialistes pour défendre cet attentat. Minute salit la mémoire de Fernando Pereira, le photographe décédé dans la seconde explosion, et l’étiquette « agent de Moscou ». Le Figaro-Magazine laisse entendre que la France ne saurait mettre de gants dans cette région du monde où nos ennemis héréditaires, les Anglo-Saxons, tentent de contester notre droit sacro-saint à irradier les populations pour consoler le pouvoir mitterrandien déclinant de ses dysfonctions érectiles.
C’est un monde d’avant Internet, d’avant les réseaux, mais quiconque a des amis étrangers perçoit à quel point l’attitude du gouvernement français est suicidaire, suicidaire et obscène. Et puis début septembre l’édifice de mensonges s’effondre, quand Edwy Plenel révèle l’existence d’une troisième équipe de nageurs de combat, responsable de l’attentat lui-même, alors que les agents arrêtés ont servi à amener les explosifs sur place et à planifier la logistique. On apprend beaucoup de choses, on apprend qu’une agent française s’est infiltrée sur le bateau pendant des semaines, a vécu une aventure amoureuse avec une militante pacifiste, a partagé les repas et l’amitié de celui qui va mourir pour raison d’Etat. Des fusibles sautent, au niveau politique (Charles Hernu), militaire (l’amiral Lacoste) et François Mitterrand passe à autre chose. C’est un moment stupéfiant, le moment où le pouvoir personnel de cet homme est mis à nu, et dans le même temps conforté: il est possible de tuer un innocent à l’autre bout du monde et de continuer, de durer, alors que tout le monde sait.
« Le reproche radical que l’on peut faire au mitterrandisme, » me dira Plenel, « c’est d’avoir totalement épousé la Veme République, que l’homme avait pourtant conspuée, en contribuant à accroître sa logique institutionnelle de privatisation du pouvoir, d’identification monarchiste à un individu. Je suis convaincu que, si un accident de l’Histoire donnait la majorité à un quelconque national-populisme, celui-ci pourrait, sans problème, instaurer une république autoritaire,voire dictatoriale.Tous les éléments constitutionnels y sont:il peut passer outre au Parlement, soumettre le pouvoir judiciaire, s’appuyer sur l’article 16. C’est la fameuse phrase de Mitterrand :« Ces institutions étaient dangereuses avant moi, elles le seront après moi. » Cette formule est férocement individualiste, révélant une profonde indifférence aux autres.»
Pendant les années qui suivirent, Edwy Plenel poursuivit son travail d’investigation, et devint la bête noire du Prince, qui le plaça sous écoute. Le monde d’aujourd’hui n’est pas né de nulle part,la fascination du pouvoir actuel pour le renseignement, la morgue hors-sol de ceux qui nous avaient promis le changement et se vautrent sous les ors de la République, rien de tout cela n’est neuf. Du hollando-vallsisme au mitterrandisme, il n’y a qu’un pas.
« Ces institutions étaient dangereuses avant moi, elles le seront après moi». A qui Hollande, Valls et Cazeneuve laisseront-ils la Loi Renseignement en 2017?
Dans les années qui suivront, l’ombre de cette affaire poursuivra Edwy Plenel, et nombre de ses protagonistes. Dans « La Troisième Equipe », le créateur de Mediapart montre une grande retenue pour les acteurs de cette tragédie, pour les sous-fifres qui agirent sur le terrain, réservant sa colère pour les tireurs de ficelle dont il nous apprend que l’un finira au directoire d’HSBC, l’autre au directoire de Vivendi.
Dix ans plus tard,en 1995, Dominique Prieur,l’ex fausse-épouse Turenge, livrera dans Agent Secrète (ed. Fayard) «sa» vérité sur l’affaire Greenpeace. On attendait des révélations, voire une remise en cause, de la part de celle que son gouvernement, commanditaire de l’opération, faillit bien lâcher. On obtient 240 pages d’auto-justification, ou le périple d’une petite bourgeoise séduite par l’uniforme et qui devient l’une des premières femmes françaises à pratiquer «un métier de voyou exercé par des seigneurs », selon le mot d’Alexandre de Marenches. Voire… Dès le départ, Dominique Prieur et ses collègues nourrissent de graves doutes sur la légitimité et la faisabilité de cette action brutale dirigée contre un mouvement inoffensif, et plus encore sur ses modalités.Tous soulignent que le déclenchement de deux charges l’une après l’autre contre la coque du bateau, alors qu’il suffirait d’en endommager l’arbre d’hélice ou le gouvernail, est absurde et multiplie le risque de faire des victimes à bord. Mais l’ordre est maintenu et : «De toute façon une mission ne se refuse pas. Ou alors, il faut changer de métier !»
L’opération a lieu, c’est le fiasco que l’on sait.
Arrêtée, puis jugée, Dominique Prieur n’a qu’un souci : qu’à travers ce procès, l’image de la France ne soit ternie. Si la mort d’un homme est «dure à assumer», elle ne supporte pas que la presse titre sur «les Pieds Nickelés de la DGSE».
Parmi les victimes, seront passés par pertes de profits les militants de Greenpeace France. Choqués, culpabilisés ( c’est en les infiltrant que la DGSE a réussi à mettre en place l’opération), ils seront plus ou moins lâchés par la maison-mère.
Les années ont passé, Mitterrand n’est plus. De temps en temps on ressort la statue de cire du Commandeur, on rappelle « Touche pas à mon pote », et la fin de la peine de mort. Ses amis tressent ses louanges, sa grande culture, son sens de l’Etat. On s’intéresse à sa vie privée,elle émoustille à l’heure des déballages trierweileresques. « Il y a aussi des moments de regrets et de manque. C’est parfois douloureux. En réalité je n’ai pas l’impression qu’il m’ait quittée, il est encore en moi. J’y pense encore tous les jours », écrit sa fille.
Fernando Pereira aussi manque à sa fille Marelle, et reste dans son coeur: « Moi et ma famille avons pour ainsi dire accepté ce qui s’est passé en 85, mais cela ne veut pas dire que nous sommes prêts à pardonner ou à oublier. Chaque jour, chaque année, vous tournez un peu plus la page, vous arrivez un peu mieux à vivre avec votre passé mais cela ne veut pas dire que vous ne pensez pas à votre père tous les jours. Ou que vous ne pleurez pas sur sa disparition certains jours en vous rappelant les bons souvenirs que vous avez…«
Fernando Pereira, photographe de presse, dont le seul crime était de suivre le périple du Rainbow Warrior en Nouvelle Zélande. Fernando Pereira qui avec tout l’équipage du bateau avait aidé quelques jours plus tôt à évacuer les habitants de l’atoll de Majuro, capitale des îles Marshall.
L’équipage avait adressé ce télex au président Mitterrand:
« Nous tenons à exprimer notre réprobation envers ces tests, non seulement en raison de l’aggravation de la course aux armements nucléaires qu’ils engendrent, mais aussi à cause du mépris indigne de la France envers les souhaits des peuples du Pacifique qui veulent faire de leur océan une zone libre. Nous sommes actuellement engagés dans une opération humanitaire d’évacuation des habitants de l’atoll de Rongelap, sévèrement contaminés par des tests nucléaires américains dans les années 40 et 50- et dont les îles demeurent dangereusement radioactives jusqu’à ce jour. La France doit- elle continuellement répéter les erreurs des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dans le Pacifique? Doit-elle continuer à ignorer avec morgue l’opinion publique locale et dans le monde qui crie « Assez »?»
La réponse à cette supplique de lèse-majesté ne se fit pas attendre, envoya le Rainbow Warrior par le fond et tua Fernando Pereira. Dans « La Troisième Equipe », Edwy Plenel s’attarde un instant sur ceux qui conspuent le travail de Mediapart lors des scandales politico-financiers de ces dernièresannées,
« Ce journalisme de gouvernement qui s’empresse de réclamer des preuves quand nous mettons sous les yeux des faits. Habitué à être du côté du fort plutôt que du faible, il n’imagine pas l’inégalité des armes entre nos curiosités démocratiques et les secrets illégitimes grâce auxquels les pouvoirs et les puissants se protègent du regard des citoyens ».
Une investigation comme celle qui démonta l’écheveau de mensonges du pouvoir mitterrandien serait-elle envisageable aujourd’hui, demande-t’il, alors que l’Etat vient de se doter de moyens d’espionner tous et chacun sans intervention de la justice. « La Troisième Equipe » est le récit d’une enquête qui avança à tâtons, par recoupements, demi-aveux, coups de pouce. Dans le même interview, il m’avait dit,au sujet de ses sources: « L’Etat n’est pas fait que d’hommes politiques! N’oublions pas que les questions d’éthique que nous nous posons, un policier, un magistrat, un préfet, un conseiller d’Etat… se les posent aussi. On ne nous donne jamais une information pour nos beaux yeux, mais lucidement. Certains de ceux qui, par fonction, savent, nous confient tel ou tel secret au nom d’une réflexion de citoyen, la même que vous et moi. Ils prennent des risques pour cela. »
Au final, le livre d’Edwy Plenel est aussi un hommage à ces anonymes qui, au sein de l’appareil d’Etat, refusent la tentation du despotisme. Refusent que certaines victoires troquent une survie momentanée contre un éternel naufrage.
Christian Lehmann
Boîte noire:
En 1993, j’ai publié « Un monde sans crime », un roman noir dévoilant la face cachée du mitterrandisme à travers l’affaire du Rainbow Warrior. L’année précédente, Edwy Plenel avait publié « La Part d’Ombre ». Nous avons sympathisé, et je l’ai interviewé à plusieurs reprises pour Impact-Médecin.
Economistes sous influence: les conflits d’intérêt nuisent gravement à la politique de santé
Depuis des mois, Marisol Touraine répète en boucle que le tiers-payant généralisé est une simple mesure de justice sociale qui règlera les problèmes d’accès aux soins en France.
Mais une des économistes les plus en vue au Parti Socialiste, ancienne membre de l’équipe de campagne de Martine Aubry, conseillère du Premier ministre Manuel Valls et membre d’un impressionnant réseau de think-tanks, vend la mèche sur France-Culture quelques jours à peine après le passage du projet de loi Santé à l’Assemblée Nationale.
Sans cacher sa jubilation, Brigitte Dormont, de la Chaire Santé Paris-Dauphine, révèle que le tiers-payant signe « la mort annoncée de la médecine libérale », et que « c’est une bonne chose ». Enfonçant le clou, elle confirme ce que dénoncent sans relâche depuis plus de deux ans une majorité de professionnels hostiles à cette Loi : les médecins, payés directement par l’assureur, en deviendront dépendants, devront suivre ses consignes. « L’organisme en charge du paiement », annonce t-elle fièrement, aura « les moyens financiers de faire pression sur les médecins ».
Si ce désastre réjouit Brigitte Dormont, c’est que la ligne directrice de ses travaux, depuis des années, consiste à dénigrer les médecins. Dans une étude intitulée « Est-il profitable d’être médecin généraliste », elle utilise des équations mathématiques qu’elle manipule au gré de ses besoins pour nier que le différentiel de revenu entre médecins et cadres tient à l’amplitude des horaires de travail. Dans une autre étude particulièrement caricaturale, « Médecins généralistes à faibles revenus : une préférence pour le loisir ? », une de ses collègues explique benoîtement que si certaines femmes-médecins ont de faibles revenus, c’est qu’elles consacrent trop de temps aux loisirs et pas assez à leur pratique médicale. La preuve ? Nombre d’entre elles ont obtenu tardivement leur thèse, ce qui « pourrait révéler un manque de motivation du futur médecin qui se traduirait… par une plus grande difficulté à attirer sa clientèle ». Lorsqu’on sait la difficulté pour une jeune interne de mener conjointement cursus hospitalier et grossesse, la piètre prise en charge des congés-maternité des femmes médecins de ville, ou le fait que la profession de généraliste fait partie des grossesses considérées comme à risque, on reste ébahi de l’incohérence des conclusions hâtives d’économistes hors-sol totalement déconnectés de la réalité de la pratique quotidienne, et pour qui médecin comme patient ne représentent que des variables économiques.
Biais méthodologiques manifestes, bidouillage des données économiques, jugements à l’emporte-pièce, refus de confronter leurs théories farfelues à la réalité sociologique, « certains économistes théoriques peuvent parfois être assez déconnectés de la réalité », comme l’énonce un chercheur à l’Ecole d’économie de Toulouse récemment dans Les Echos.
Mais au-delà de ces partis pris, c’est tout le fonctionnement de la Chaire Santé Paris-Dauphine qui est en cause. En l’absence des régulations mises en place par les meilleures universités anglo-saxonnes ( Berkeley, Stanford, London School of Economics), pour gérer les liens d’intérêt, des puissances financières : banques, assureurs, peuvent étendre leur influence au sein de l’Université Française et la transformer en simple faire-valoir, caution qu’ils utilisent à des fins de lobbying afin d’influencer la décision politique.
Le rôle de Brigitte Dormont, économiste contemptrice des médecins libéraux qu’elle rêve voir demain « dépendants de leurs financeurs » avec qui par le plus grand des hasards elle met en place de lucratifs partenariats public-privé au sein de l’Université, pose question : Les conflits d’intérêt nuisent gravement à la politique de santé.
Pour ceux qui veulent pousser la réflexion plus avant, deux textes longs:
Mort planifiée de la médecine libérale: A qui profite le crime?
et
Les conflits d’intérêt nuisent à la politique de santé
ainsi qu’une vidéo amusante, et pédagogique:
Les conflits d’intérêts nuisent gravement à la politique de santé.
« Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées » Winston Churchill.
« There are three types of lies : lies, damned lies, and statistics ». Mark Twain
Le secteur de la santé voit depuis quelques années s’affronter les appétits féroces de grands groupes, pharmaceutiques et assurantiels. De nombreux projets, qu’ils concernent des médicaments innovants, de nouvelles maladies, de nouvelles « guidelines » sont promulgués par des experts pas toujours neutres, à l’aide d’études qui peuvent être biaisées.
Les années passant, le phénomène semble s’aggraver, et les médecins généralistes se sentant quelque peu cernés ont développé, en partie grâce aux réseaux sociaux, leur liberté de ton et de jugement, ont créé des structures de résistance (Formindep, La Revue Prescrire, les blogs, entre autres) et sont régulièrement montés au créneau pour dénoncer certaines absurdités ministérielles,administratives ou médicales (vaccinodromes de Roselyne Bachelot pendant la grippe H1N1, dépistage du cancer de la prostate par test sanguin, business de l’alzheimerologie, recommandations vaccinales douteuses à géométrie variable…).
Ils constatent avec stupeur l’absence d’investissement dans les soins primaires de santé, pourtant défini par l’OMS comme étant une priorité seule à même de faire évoluer positivement un système de soin, que ce soit sur le plan de l’accès ou de la qualitédu soin.
Il faut en effet faire le constat qu’en 2013, le coût d’administration de la Sécurité Sociale était quasiment deux fois supérieur à celui de la médecine générale, dont pourtant, on n’arrête pas de regretter la disparition, nocturne et diurne.(1)
Cette absence d’investissement fait exploser des dépenses indues, et contreproductives, en particulier les transports sanitaires et la consommation de soins banals aux urgences ; elle constitue une économie factice qui d’année en année nous coûte collectivement très cher, tout en dégradant la qualitédu soin.
De tout cela nous ne trouvons guère trace dans les publications officielles ou universitaires, et les experts en santé qui légitiment voire organisent la politique de santé ne semblent pas s’intéresser à ces sujets fondamentaux : quelle architecture pour notre système de soin? Qui doit faire quoi ? Où doit aller l’investissement ?
A l’occasion de l’étude de la Loi Santé de Marisol Touraine, nous avons découvert la façon dont fonctionne une partie significative du monde de l’expertise en politique de santéainsi que la fabrique du consensus pré-législatif.
Beaucoup de structures, think tanks, associations, sont subventionnés plus ou moins discrètement par des organismes qui ont un intérêt financier direct dans la façon dont seront orientées les études. Le monde de la santé étant exposé de longue date aux conflits d’intérêts, nous sommes quelque peu habitués à décrypter les études et leurs biais, et à pister ces liens d’intérêts.
Quelques jours après l’adoption du projet de Loi Santé par l’Assemblée Nationale, nous avons remarqué l’éditorial à charge de Jean-Michel Laxalt, dirigeant de l’Institut Montparnasse (2), institut créé et financé par la MGEN sans que ses adhérents en connaissent le coût.
Dans cet éditorial férocement à charge Jean-Michel Laxalt s’égare quelque peu, associant les médecins libéraux aux lobbys pro-alcool ou pro-tabac, allant jusqu’à les accuser d’avoir retardé de dix ans la mise en place de l’Assurance Maladie alors que celle ci fut installée en 1928 sous l’impulsion de Rayond Poincaré (5 avril 1928 et 30 avril 1930 : Lois créant au bénéfice des salariés de l’industrie et du commerce le premier système complet et obligatoire d’assurances sociales, couverture des risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès).
Cet adversaire déclaré de la médecine libérale a été vice-président de la MutualitéFrançaise et a dirigé la MGEN et ses centres de santé, et nous ne pouvons que difficilement souscrire à la politique qui y a été menée, qu’il souhaiterait sans doute voir répliquer au niveau national… Eric Chenut, responsable de ces centres de santé, a fait deux aveux en 2012 : le tarif des actes à 23 euros est trop faible pour assurer la survie des centres de santé ; et la gestion du tiers payant coûte très cher : « Pas de porte de sortie possible du côté d’une hausse de cotisations qui serait insupportable pour les assurés, ni du côté de la Sécurité sociale qui fait la sourde oreille aux demandes de réévaluation du tarif de la consultation de base (23€), des charges financières importantes pour gérer le tiers payant dans les établissements : il ne reste qu’à introduire de nouveaux modes d’organisation » Pour gagner davantage et rentabiliser l’activité, est-il suggéré chiffres àl’appui aux praticiens, il faut voir plus de patients par heure (quatre) et recourir à des actes techniques bien plus importants que ceux facturés aujourd’hui par les centres de la MGEN (3). Est-ce à dire qu’il faudrait organiser une surconsommation d’actes inutiles ?
Jean-Michel Laxalt a par ailleurs dirigé l’UNOCAM, instance de représentation de l’ensemble des familles de complémentaires, qu’elles soient mutualistes ou capitalistiques, sans oublier les institutions de prévention. Les points d’accord y semblent bien plus nombreux que les sujets d’opposition : tous les avis y ont été rendus à l’unanimité(4) après une durée de fonctionnement de deux années, mettant à mal l’antienne si souvent répétée qu’il existerait un « esprit mutualiste »encore aujourd’hui fondamentalement différent de la logique assurantielle.
Le point fondamental jamais évoqué est que la dérive philosophique des mutuelles est due à la mise en place de politiques de segmentation de l’offre totalement contraires aux principes de la Sécurité Sociale : ainsi disparaît la solidarité intergénérationnelle et le principe même de la mutualisation du risque. La raison en est fort simple : les assureurs de la FFSA concurrencent les mutuelles avec des contrats low-cost en direction des jeunes, sans mutualisation du risque (avec donc des prix qui s’envolent pour les personnes âgées mais des prix attractifs pour les jeunes) ; ainsi les mutuelles historiques ont subi une érosion dans l’acquisition de jeunes cotisants, avec à terme le risque de n’avoir que des clients à risque ou âgés; leur réponse a été de segmenter et de finalement désolidariser en appliquant les mêmes principes que leurs adversaires : on passe d’une mutualisation solidaire du risque à un projet bien plus individualiste. (5)
Sans surprise on retrouve donc d’autres lieux de convergence d’intérêts communs entre les assureurs privés et la Mutualité.
Le site de l’Institut Montparnasse nous apprend qu’un programme de recherche a été mis en place par cet institut, avec la MGEN et l’ISTYA (mutualistes), il s’agit d’un « programme d’études soumis aux partenaires universitaires. Sont privilégiés des angles d’étude délaissés voire totalement ignorés par les recherches et publications auxquelles se réfère le débat public. » (6)
Il est ici indiqué que le programme de recherche est élaboré par les assureurs, et ensuite soumis à des laboratoires de recherche. Et que ces recherches privilégient des approches et des thèmes choisis par les assureurs.
Deux structures imbriquées qui acceptent de travailler dans ces conditions ont retenu notre attention pour différentes raisons que nous allons détailler : la Fondation du risque de l’Institut Louis Bachelier et la Chaire Santé Paris Dauphine.
La Fondation du risque (7), a été créée par un banquier, André Lévy Lang, et regroupe assureurs privés et ex-mutualistes autour d’une structure de recherche ; le conseil de surveillance intègre aussi bien Axa (Allianz), que Groupama ou SCOR (dont le dirigeant actuel est Denis Kessler, ex dirigeant du MEDEF, d’AXA et de la FFSA ; Guillaume Sarkozy y représente Malakoff Médéric).
La seconde structure qui a attiré notre intérêt, c’est la chaire santé Paris Dauphine. Créée par l’économiste Claude Le Pen en 2007 avec un partenariat d’Axa (Allianz) assurant un financement de 300.000 € pendant 5 ans, elle fait partie de cette Fondation du risque. L’économiste Brigitte Dormont a succédé à Claude Le Pen en 2009, avec initialement ce financement Axa, puis en 2012 un financement MGEN, probablement du même niveau (8).
Les objectifs de cette chaire sont la recherche mais aussi « améliorer la qualité du débat public sur les questions d’efficience et de régulation ».
Les deux partenaires actuels, l’Institut Montparnasse et la MGEN ne font qu’un en réalité, puisque le deuxième finance le premier (sans que l’on sache précisément à quelle hauteur).
Les interactions sont décrites comme fortes, puisque dans les quatre items décrivant l’activité de cette chaire nous trouvons « interaction avec la MGEN sur des questions de régulation du secteur » (9), et que nous avons vu précédemment que l’institut Montparnasse soumet les thèmes d’études qu’il a préalablement défini à cette Chaire Santé, avec un angle différent (et à sa convenance) de ce qui a pu se pratiquer dans le passé.
Qui est Madame Brigitte Dormont la directrice de cette Chaire ?
Elle est actuellement titulaire de la Chaire Santé Dauphine (Institut Louis Bachelier), directrice du Laboratoire d’économie et de gestion des organisations de santé (LEGOS) et codirectrice du programme Économie publique et redistribution au CEPREMAP. Elle est aussi membre du Haut-Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie (depuis 2011), du comité d’experts de l’Institut des données de santé (depuis 2011) et de la Commission des comptes de la santé (depuis 2001). Elle a été nommée en 2012 au conseil d’analyse économique, instance qui conseille directement le Premier ministre ; elle intervient dans nombre de commissions dont «Evaluation des stratégies de Santé», puis «Evaluation économique et santépublique », Haute Autorité de Santé(2004-2009).
Elle est par ailleurs membre de deux think-tanks proches du PS (Terra Nova, Fondation Jean Jaurès) et membre de l’équipe de campagne de Martine Aubry en 2011 (10)
La déclaration d’intérêts de Brigitte Dormont au Conseil d’Analyse Economique indique, malgré ce que nous venons d’observer, une absence totale de liens d’intérêts, qu’ils soient politiques ou financiers. (11)
Cette déclaration ne semble pas suivre les normes légales définies par l’ Article R1451-2 du code de santé publique, cette déclaration devant inclure « Les travaux scientifiques et études pour des organismes publics ou privés ».
Récemment interrogée sur France Culture, l’économiste de la santé Brigitte Dormont s’est exprimée sur la loi de santé et sur la mise en place du tiers payant généralisé.
Le tiers payant généralisé,« c’est la mort annoncée de la médecine libérale et c’est une bonne chose parce que la médecine libérale est incompatible avec un système d’assurance maladie comme le nôtre« , explique-t-elle avant d’ajouter quelques minutes plus tard, « le tiers payant généralisé rend les médecins dépendants du financeur ». « Si l’Assurance maladie veut faire pression sur les médecins, elle a les moyens financiers de faire pression sur les médecins », conclut-elle. Ainsi, « les médecins recevront leurs rémunérations de la sécurité sociale ou de l’organisme qui sera en charge du paiement », leur niveau de vie et leur rémunération « dépendra du financeur ».
Nous reconnaissons là des prises de position profitables aux assureurs, qu’ils soient publics ou privés, et le discours méprisant de Jean-Michel Laxalt.
Le déni de réalité est extraordinaire : Brigitte Dormont indique que la médecine libérale serait incompatible avec notre système actuel, alors que la quasi-totalité de la médecine ambulatoire, médecine de ville, est pratiquée par des libéraux qui constituent précisément l’essentiel de la première ligne de soins. Sur 102.140 omnipraticiens recensés par l’INSEE en 2014, 69.226 exercent en libéral (ou avec une activité salariée annexe) (12). On peut parfaitement appeler de ses vœux un système totalement public, celui-ci n’existe pas actuellement, et l’Université gagnerait grandement en crédibilité en acceptant, même à son grand regret, cette réalité.
Constatons toutefois que ce passage sous silence d’environ la moitié du système de santéfrançais n’est pas spécifique de la chaire santé Paris Dauphine : le Ministère de la Santé lui-même publie une liste des 200 métiers de la santé et oublie…les médecins et les chirurgiens (mais a inclu les chefs administratifs de pôles et les indispensables…conseillers en communication!) (13)
Comment Brigitte Dormont a-t-elle pu faire cette déclaration et nier la simple réalité de notre système de santé tel qu’il existe ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel scotome intellectuel, lui faisant perdre de vue la moitié de notre système de santé?
Cette explication tient probablement dans les liens d’intérêts décrits précédemment, les prises de position de Mme Dormont épousant curieusement les intérêts et discours des partenaires de la Chaire Santé.
Nous avons recherché des mécanismes de protection vis a vis des conflits d’intérêts et des liens d’intérêt, mais n’avons trouvé aucun document, aucune publication à ce sujet. La responsable des partenariats entreprises de Paris Dauphine jointe téléphoniquement n’a semble-t-il pas entendu parler de ces problématiques, et l’interrogation par mail du vice président de Paris Dauphine chargé des relations aux entreprises est restée sans réponse.
Les documents de Paris Dauphine proposant des partenariats aux entreprises n’évoquent jamais la problématique des liens d’intérêts.
La littérature sur ce sujet et les précautions prises par les plus grandes universités en économie au monde éclairent ces dysfonctionnements d’une lumière cruelle : Stanford (14), Berkeley (15), LSE (London School of Economics) (16), pour ne citer que le peloton de tête, se sont toutes dotées depuis plus de dix ans de mécanismes d’analyse et de protection, les COI policies (Conflict Of Interest policies) ; celles ci encadrent strictement les interactions université-entreprises, et définissent un cadre éthique de recherche et de partage des résultats.
Un auteur particulièrement prolifique sur ce sujet, David B. Resnik (NIEHS) définit les problèmes éthiques que posent ces collaborations université-entreprises : (17)
« Ethical issues or problems may arise, however, because researchers or institutions may have a financial conflict of interest (COI) that biases judgment or decisions-making and undermines adherence to professional, ethical, or legal standards.COIs can compromise the integrity of research and erode the public trust in science ». (Resnik 2007)
Traduction:« Des questions ou des problèmes éthiques peuvent se poser quand les chercheurs ou les institutions développent un conflit d’intérêt financier qui entraîne un biais de jugement ou de prise de décision et fragilise l’adhésion aux standards professionnels, éthiques et légaux. Les conflits d’intérêts peuvent compromettre l’intégrité de la recherche et la confiance publique envers la science« (Resnik 2007)
« There is a growing body of evidence that financial interests influence research outcomes (Lexchin et al 2003, Krimsky 2003, Sismondo 2008) »
Traduction: « Il existe une littérature scientifique de plus en plus prolifique attestant que les intérêts financiers influencent les résultats des recherches« (Lexchin et al 2003, Krimsky 2003, Sismondo 2008)
» How Financial Interests Can Impact Research
– Problem selection
– Research design
– Data collection
– Data analysis
– Data interpretation
– Publication and data sharing «
» Comment les Intérêts Financiers peuvent-ils impacter la Recherche ?
- Sélection des sujets traités
- Design des recherches
- Mode de collection des données
- Analyse des données «
- Interprétation des données
- Publication et partage des données «
(NDA: Nous retrouvons ici l’angle de vue cher à l ‘Institut Montparnasse : « problem selection », la sélection d’angles de recherche favorables aux thèses du financeur…)
« Managing Academic-Industry Collaborations
Institutions should establish fair and effective policies and procedures for reporting research misconduct (e.g. data fabrication or falsification or plagiarism) as well as other violations of university policies or legal rules (such as violations of rules for research with human or animal subjects).
The policies should encourage reporting and protect whistleblowers as well as those who are accused of wrongdoing.
The institution should establish an office to oversee research integrity/ethics. The office should provide consultation and advice to faculty, students, staff, and administrators concerning ethical issues. A research integrity office can help ensure that ethical issues are dealt with on campus and that significant problems do not « fall through the cracks. »
Traduction:
« Gestion des Collaborations Académie-Industrie
Les institutions devraient établir des politiques et des procédures justes et efficaces pour relever les falsifications de recherche (c’est à dire la fabrication de données ou le plagiat) ainsi que d’autres violations de politiques universitaires ou de règles légales (telles que les violations de règles sur la recherche humaine ou animale).
Ces politiques devraient encourager les lanceurs d’alerte et les protéger aussi bien que ceux qui sont accusés de malversations.
Les institutions devraient établir un bureau de contrôle de l’intégrité et de l’éthique des recherches. Ce bureau devrait proposer consultations et conseils aux membres de la faculté, aux étudiants, aux employés, aux administrateurs, concernant les questions d’éthique. Un bureau de contrôle de l’intégrité de la recherche est le moyen d’assurer que les questions éthiques sont gérées au sein de l’Université et que ces problèmes importants « ne passent pas entre les mailles du filet » ».
L’absence de politique de gestion des conflits d’intérêts semble être la règle à Paris Dauphine. A sa décharge, l’antériorité des liens entreprises-universités dans le monde anglo-saxon explique sans doute l’absence actuelle de prise en compte de ces problématiques cruciales que nous connaissons bien en médecine : le « Sunshine Act » à la française fait obligation aux laboratoires pharmaceutiques de déclarer tout don à un médecin de plus de dix euros (en oubliant toutefois les contrats de recherche, couramment de plusieurs de dizaines de milliers d’euros, de quelques centaines d’ »experts » des agences publiques et des laboratoires privés, souvent les mêmes) et ces dons sont publiés en ligne et consultables par le public.
La question soulevée ici est, comme l’indique Resnik, celle du risque d’érosion de la confiance du public dans la recherche universitaire, et plus grave, l’influence des politiques publiques par des groupes de pression dont les objectifs sont avant tout financiers et occultes.
Le financement public en tant que laboratoire d’excellence LABEX Institut Bachelier, dont dépend la chaire santé de Paris Dauphine, à hauteur de 8,5 millions d’euros, ainsi que les déductions fiscales dont bénéficient banques et assureurs mais aussi donateurs privés (allègement de l’ISF…) donnent pourtant toute légitimité à l’Etat pour définir les programmes de recherche qui influenceront la prise de décision publique. Nous aurions de nombreux thèmes a proposer dans ce cadre : efficience sociale et financière du régime Alsace Moselle, comparaison européenne du financement des soins de premiers recours ambulatoires, coût de la production de soin par le système ambulatoire libéral…Mais gageons que ces sujets pourtant fort intéressants pour la défense de notre système de santé ne sont pas à l’ordre du jour des recherches de la Chaire Santé Dauphine.
Capture d’écran de la page partenaires d’une des chaires de l’institut Louis Bachelier (Transitions démographiques, transitions économiques) : « nos travaux de recherche visent à faire des propositions de politiques publiques afin de réconcilier les générations ». (18)
Medi fact Checkers:
Christian Lehmann, médecin généraliste, écrivain, initiateur de la pétition contre les franchises
Marco Gabutti, reviewer
Jacques Marlein, médecin généraliste retraité(FMF)
Yvon Le Flohic, médecin généraliste, élu MGF aux élections URPS (UFML)
Charles Cousina, médecin généraliste (UFML)
Aucun économiste indépendant n’a été blessé pendant la réalisation de cet article. Les auteurs ne présentent aucun conflit d’intérêt avec des compagnies mutualistes ou assurantielles ou des partis politiques. Ils s’engagent à ne pas comptabiliser le temps de réalisation de cet article et de la vidéo attenante dans le décompte de leur temps de travail.
N’oubliez pas de visionner la vidéo amusante et pédagogique: Brigitte Dormont ou l’économétrie pour les nuls
1. http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/comptes_sante_2013_edition_2014.pdf
Les frais de gestion apparaissent p 243 :
sécu 7,449 milliards
état, collectivités, CMU-C : 0,887
total public : 8,336 soit 4,22 % de leurs 197,502 milliards
mutuelles : 3,257 milliards
assureurs : 2,315 milliards
instituts prévoyance : 0,799
total de : 6,371 soit 19,9 % de leurs 32 milliards totaux …. (23,96 % pour les assureurs ….)
pour comparaison la médecine générale avec ses 8,6 milliards fait 3,47 % du total dépenses
Autrement dit, les frais de gestion de la Sécu sont de 126 euros par habitant, les frais de gestion des complémentaires de 96 euros pour un total frais de gestion de 222 euros par habitant… et la dépense annuelle de soins par un généraliste par habitant est de 130 euros
(pour 66 millions d’habitants)
2. http://www.institut-montparnasse.fr/la-sante-ne-fait-pas-la-loi/
3. la MGEN pousse ses médecins a devenir rentables http://rue89.nouvelobs.com/2012/06/30/la-mgen-pousse-ses-medecins-devenir-rentables-233332
4. https://www.ffsa.fr/webffsa/risques.nsf/html/Risques_070_0004.htm
5. http://www.cnt-f.org/sante-social.rp/mgen.pdf
6. http://www.institut-montparnasse.fr/institutpour-une-securite-sociale-durable/etudes/
7. https://www.ffsa.fr/webffsa/risques.nsf/html/Risques_69_0017.htm
8. http://www.fondation.dauphine.fr/fileadmin/mediatheque/docs_pdf/
9. diapositive 7 http://slideplayer.fr/slide/3513928/
10. http://www.elisabeth-guigou.fr/martine-aubry-annonce-son-equipe-de-campagne/
11. http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/didormont2.pdf
12. http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF06102
13. http://www.sante.gouv.fr/metiers.html
14. https://doresearch.stanford.edu/research-scholarship/conflicts-interest/coi-policies
15. http://researchcoi.berkeley.edu/
16. http://www.lse.ac.uk/supportingLSE/PoliciesAndProcedures.aspx
17. http://www.tudelft.nl/fileadmin/UD/MenC/Support/Internet/TU_Website/TU_Delft_portal/Over_TU_Delft/Strategie/Integriteit/Resnik_Ethical_Problems_Concerning_Academic-Industry_Collaborations.pdf
18. http://www.tdte.fr/search.aspx?mode=partners&rezp=1000
Mort planifiée de la médecine libérale: A qui profite le crime?
Mort planifiée de la médecine libérale: A qui profite le crime ?
14 Avril 2015. Au bout d’un long parcours semé d’embûches et de contestations, la Loi Santé de Marisol Touraine est adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale. La ministre pavoise, la presse salue cette « victoire », les opposants continuent à marteler leur refus de plusieurs dispositions de cette Loi dont l’emblématique Tiers-Payant Généralisé, qui a concentré une bonne partie (mais pas la totalité) des critiques.
Le tiers-payant: mesure de justice sociale…ou mise en coupe réglée des médecins par les assureurs?
Du côté du service de communication de la Ministre, les choses sont simples : le tiers-payant généralisé est une avancée sociale, qui permettra aux Français d’accéder plus facilement aux soins. Seuls s’y opposaient des médecins passéistes, attachés à un paiement àl ’acte suranné.
En face, les opposants pointent inlassablement les mensonges du ministère :
1- Sur le plan social, le tiers-payant, déjà largement appliqué par les médecins, ne modifiera en rien les possibilités d’accès aux soins en dentisterie et en optique, deux domaines abandonnés par l’Assurance-Maladie qui concentrent l’immense majorité des renoncements aux soins.
2- Sur le plan technique, du fait des difficultés de recouvrement des honoraires auprès des 600 complémentaires françaises, le tiers-payant a un coût, calculé dans de nombreuses études à plus de 4 euros par acte. Ce coût plombe lourdement les comptes des centres de santé qui pratiquent le tiers-payant intégral (sur la part Sécurité Sociale comme sur la part complémentaire) et les hôpitaux. Sont pointés du doigt les systèmes informatiques obsolètes, voire la mauvaise volonté de nombreuses complémentaires plus promptes à augmenter chaque année leurs cotisations qu’à rembourser les soins. La catastrophique Mutuelle des Etudiants, vivier et vache-à-lait du Parti Socialiste depuis les temps pas si anciens où elle s’appelait la MNEF, en est un pitoyable exemple.
3- Sur le plan éthique, enfin, les opposants répètent que le tiers-payant donnera aux complémentaires un levier de pression sur les professionnels de santé, selon l’adage qui veut que celui qui paie commande.
Au-delà des satisfecit, des pleines pages déroulant des portraits d’une ministre forcément courageuse, forcément féministe, tenant avec ferveur la barre sociale contre tous les obscurantismes, peu d’écho est donné aux dénonciations des perdants du moment.
C’est le cas des associations de patients non stipendiées par le ministère, qui pointent que Marisol Touraine et François Hollande, farouchement opposés aux franchises sur les soins du temps où ils étaient dans l’opposition, les ont maintenues et ont conditionné l’application du tiers-payant àl’autorisation donnée par le patient de prélever directement ces mêmes franchises sur son compte bancaire. Cette disposition va interdire de tiers-payant social les patients démunis avec qui le médecin pratiquait jusque-là une dispense d’avance de frais, et, pour qui connait vraiment « la France d’en bas », génèrera probablement une flopée d’interdictions bancaires…
C’est aussi le cas des professionnels de santé qui pointent qu’au final, les Agences Régionales de Santé définiront le panier de soins. Le paiement par l’assureur sera conditionné étroitement au respect par le soignant du cahier des charges prédéfini, dont le but sera naturellement l’économie, ou l’efficience, selon le terme préféré des énarques, ce qui conduira mécaniquement à privilégier les soins les moins coûteux. A moins que le patient ne choisisse une sur-complémentaire, dont les assureurs dessinent déjà les contours…et les tarifs.
Dans ce contexte tendu, France-Culture invite le 19 Avril dans l’émission « L’économie en questions » quatre économistes pour discuter de ce projet de loi santé, parmi lesquels Brigitte Dormont, économiste, professeur à l’Université Paris Dauphine, spécialiste de questions de santé, dont les prises de positions font référence au Parti Socialiste. Et là, dans l’ambiance feutrée des studios de la radio qui vient de mettre un terme à une longue grève, elle se lâche, comme aucun membre de l’entourage de la Ministre n’a osé le faire jusqu’ici.
Au sujet du tiers-payant, Brigitte Dormont dit :
« C’est la mort annoncée de la médecine libérale et c’est une bonne chose parce que la médecine libérale est incompatible avec un système d’assurance maladie comme le nôtre »(39’14’’)
« L’intérêt principal est que les circuits financiers ont changé » (40’17’’) « Le tiers payant généralisé rend les médecins dépendants du financeur » (40’38’’) « Si l’Assurance maladie veut faire pression sur les médecins , elle a les moyens financiers de faire pression sur les médecins » (40’53’’) « Les médecins recevront leurs rémunérations de la Sécurité sociale ou de l’organisme qui sera en charge du paiement » (41’05’’) « Les médecins vont dépendre pour leur niveau de vie, pour leur rémunération, du financeur » (41’15’’)
En l’espace de trois minutes, une économiste de la santé proche du Parti Socialiste, conseillère du Premier Ministre, membre d’un impressionnant réseau de comités et de think-tanks, annonce sans ambages que le tiers-payant, loin d’être une simple mesure administrative de justice sociale, obéit à une volonté planifiée d’attenter à l’indépendance des médecins, de donner aux assureurs le moyen de faire pression sur eux, et d’organiser « la mort annoncée de la médecine libérale ».
Cette mise à mort est d’ailleurs « une bonne chose » nous annonce l’économiste, au motif que « la médecine libérale est incompatible avec un système d’assurance maladie comme le nôtre ».
La jubilation avec laquelle Brigitte Dormont fête ainsi la mort de la médecine libérale pose question, et nous a amené à nous intéresser à ses publications comme à son réseau d’influence.
Le médecin généraliste, cette machine à faire du fric… pourtant en voie de disparition
Dans de nombreuses publications, Brigitte Dormont ne masque pas le mépris dans lequel elle tient les médecins. Le portrait qu’elle dessine en creux du corps médical a le mérite de la simplicité : on devient médecin par intérêt. Par pur intérêt financier. Et une fois médecin, on s’arrange pour maximiser les profits, engranger le plus d’argent possible, en induisant une demande chez des patients captifs (c’est le syndrôme du docteur Knock) et en écourtant les consultations pour faire du chiffre. Toute motivation altruiste est écartée, le médecin est ramené à une simple machine économique vouée à faire du fric.
A noter que ce concept de la demande induite, battu en brèche par de nombreux articles, est à l’origine de la pénurie médicale actuelle. De puissants économistes de la santé, dont Brigitte Dormont, ont considéré depuis des décennies les médecins comme des agents pathogènes, dont la libération au sein de la collectivité entraînait immanquablement un flot de dépenses induites : restreindre le nombre de médecins en exercice afin de restreindre les soins et donc les maladies, a été le fil d’or de la politique de santé suivie ces trente dernières années, avec le succès que l’ont voit actuellement : une population de médecins vieillissante, une désertification accélérée qui touche jusqu’au coeur des grandes villes.
Emblématique de cette conception d’une médecine de ville uniquement vouée à « faire du chiffre », le titre d’un des travaux de Brigitte Dormont : « Est-il profitable d’être médecin généraliste ? » L’économiste y professe de comparer les revenus et le niveau de vie des cadres supérieurs et des médecins, au moyen d’une équation économétrique dont elle a le secret.
Mais dans le calcul de la valeur théorique de la carrière d’un médecin, elle se retrouve dans l’incapacité de quantifier un terme de son équation : GammaT, le « différentiel d’utilité » qui pourrait représenter les avantages et les inconvénients du métier de généraliste libéral (aussi bien le prestige local de la fonction, l’absence relative de hiérarchie, que les horaires à rallonge, les gardes de nuit, le stress de la responsabilité, l’absence de congés payés, l’absence de couverture sociale en cas de maladie… une multitude de facteurs qui intéresseraient un sociologue ou un simple humaniste cherchant à comprendre pourquoi le taux de suicide chez les médecins est trois fois supérieur à celui du reste de la population, et pourquoi la France devient un désert médical, nombre de jeunes diplômés optant pour des carrières administratives…) Qu’à cela ne tienne. Rien ne résiste au zèle simplificateur de Brigitte Dormont. Toute sa théorie est basée sur UNE équation dont l’une des données lui est inaccessible….
Pas de problème! Elle élimine cette donnée. Ayant éliminé ce qui gêne, elle peut continuer tranquillement à prouver, tel un Lyssenko du 21ème siècle, son postulat de départ.
Eliminer ce qui gêne, discréditer ce qui ne va pas dans son sens… une attitude très curieuse pour un scientifique, mais à Paris Dauphine, apparemment, cela ne choque pas. Comme ne choque pas non plus la conclusion de l’article, où, forcée malgré tout de faire référence quelques secondes au réel, Brigitte Dormont doit aborder la question des horaires de travail des médecins. Problème gênant : le différentiel de revenu entre cadre et médecin, de l’ordre de 20%, semble peu ou prou correspondre au différentiel de temps de travail hebdomadaire des deux métiers : 41h43 pour les cadres (en 2004) et 52h46 pour les généralistes. Mais il en faut beaucoup plus pour freiner l’ardeur réformatrice de Brigitte Dormont : « On sait par exemple que les médecins libéraux intègrent dans leur durée du travail le temps passé à la lecture d’articles médicaux pour actualiser leurs connaissances (2h30), les consultations gratuites, etc. Les cadres interrogés dans l’enquête emploi ont-ils la même conception des activités qui doivent être inclues dans le périmètre de leur temps de travail ? » Le silence qui suit une assertion fallacieuse de Brigitte Dormont, c’est encore du Brigitte Dormont. Décortiquons cet enchaînement de sophismes : l’actualisation des connaissances des médecins (probablement un des éléments de ce différentiel d’utilité que Brigitte Dormont a choisi d’éliminer) ne devrait pas être comptabilisée dans le temps de travail, pas plus, on croit rêver, que les consultations gratuites… dans la mesure où seul ce qui est lucratif compte… L’idée qu’un médecin puisse choisir de réaliser des actes gratuits pour certains patients la heurte au point qu’il lui faut même nier l’existence de ce travail non rémunérateur dans son étude. On atteint au sublime lorsqu’elle se demande fielleusement si les cadres comptabilisent dans leur temps de travail… leurs consultations gratuites. Outre l’image du médecin qu’elle dresse, parasite social capable de mentir jusque sur l’amplitude de son temps de travail, ou de comptabiliser dans celui-ci des actes… purement altruistes, son absolue méconnaissance du vécu de la médecine générale au contact d’une population réelle laisse pantois.
Tout aussi gênant que ce parti-pris est l’absence de référence à des données factuelles qui ne correspondent pas avec le postulat que Brigitte Dormont s’échine à conforter, à savoir que la carrière de médecin généraliste serait plus « profitable » que celle d’un cadre supérieur, théorème qui pose un problème de taille, à savoir pourquoi les jeunes dès la sortie du lycée ne se ruent pas en masse dans la filière médicale pour accéder à la profitable prébende généraliste… Dans la vraie vie, loin des équations de Brigitte Dormont, seuls 9% des jeunes diplômés en médecine s’installent en libéral…
En 2007, la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques) avait publié un article de référence sur le sujet, au titre beaucoup plus neutre : « Comparaison des revenus des médecins libéraux à ceux des autres professions libérales et des cadres » Brigitte Dormont n’en tient aucun compte, n’y fait aucune référence, probablement parce que les conclusions de cette étude sont radicalement opposées aux siennes :
« Si les revenus d’activité libérale des médecins sont régulièrement évalués, ce n’est pas le cas de leurs revenus salariés…. Cette étude apporte pour la première fois des éléments de comparaison des revenus complets d’activité et du niveau de vie des médecins à ceux d’autres professions. Entre 35 et 64 ans , les revenus et le niveau de vie des médecins libéraux sont proches de ceux des autres professions libérales. Et s’ils gagnent en moyenne près de deux fois plus que les cadres, ils en sont relativement proches en niveau de vie. »
Cette dernière notion peut sembler surprenante, mais les auteurs l’explicitent à partir de données sociologiques, sans s’en tenir à la seule comptabilité : entre autres éléments jouent les charges de famille (installés plus tardivement, 70% des médecins ont des enfants à charge contre 59% des cadres), et surtout l’amplitude horaire de travail des médecins amène plus souvent le conjoint ou la conjointe à ne pas travailler, diminuant les revenus d’activité du couple et le niveau de vie.
Cette étude, basée sur les enquêtes Revenus Fiscaux de l’INSEE, pourrait prêter à discussion. Brigitte Dormont pourrait la contester, voire même la tailler en pièces. Non, elle préfère l’ignorer, comme elle ignore le GammaT « inobservé » qui disparaît donc de son équation. Cette manière de faire permet sans difficulté de ne jamais être pris en défaut : il suffit d’ignorer toute donnée scientifique contraire à ses propres présupposés.
Cette étude fallacieuse permet à Brigitte Dormont d’être invitée à de nombreux colloques, dans lesquels, comme lors des Journées de l’Economie en 2012, elle peut asséner que : « les revenus des médecins progressent plus rapidement que ceux du reste de la population ». En réalité, si l’on compare les données de la CARMF (Caisse Autonome de Retraite des Médecins Français) et ceux de l’INSEE, on constate que le revenu (Bénéfice Non Commercial moyen) des médecins évolue deux fois moins vite que le salaire moyen (public-privé) sur la période 2003-2011… Mais, comme l’assène Brigitte Dormont, le revenu moyen des médecins est très supérieur à celui de la moyenne de la population… et « La responsabilité sociale des médecins est forte… mais c’est aussi le cas du cheminot qui va contrôler les signaux d’aiguillage des trains » (La Croix, 2013)
Les femmes-médecins, ces branleuses peu motivées qui travaillent trop peu
Un rapide survol des publications de Brigitte Dormont et de ses collègues révèle donc une tournure d’esprit très particulière, un regard méprisant porté sur les médecins de ville, uniquement considérés comme des parasites du corps social gavés d’argent public. Dans un autre article des Cahiers de la Chaire Santé, « Low-income self-employed GPs, a preference for leisure ? » (« Médecins généralistes à faibles revenus : une préférence pour le loisir ? »), Anne-Laure Samson, la co-signataire de l’article sur les revenus des médecins, s’intéresse aux médecins à faible activité, des médecins dont le revenu ne dépasse pas… 1.5 SMIC. Ce nouveau chef-d’œuvre de l’économétrie pour les nuls vaut d’être copieusement cité, tant sa méthodologie est symptomatique des biais de l’équipe de la Chaire Santé Paris-Dauphine, mais aussi de leur propension à établir des conclusions fallacieuses quand bien même ils avouent eux-mêmes manquer d’éléments cruciaux pour légitimer les dites conclusions. Point de départ de l’étude, l’existence d’une « importante minorité » (5 à 7%) de médecins généralistes aux faibles revenus, mettant à priori à mal la théorie de base selon laquelle ce métier « profitable » est essentiellement un moyen de faire tourner la planche à billets. Etudiant les revenus des médecins sur une dizaine d’années, l’économétricienne découvre que ces médecins, essentiellement des femmes, semblent se contenter d’un faible revenu car, même en période d’augmentation de la demande de consultations (épidémie de grippe ou de gastro-entérite), le nombre de consultations et le revenu de ces médecins ne varie pas. En période de moindre consommation de soins, ce revenu, par contre, diminue. La conclusion qu’en tire Anne-Laure Samson après de savants calculs : si ces femmes se satisfont d’un faible revenu, c’est très probablement en raison de… leur préférence pour le loisir. Et dans ce cadre, dans un contexte de désertification médicale en cours et de « problèmes de planification à long terme de l’offre de soins… on voit ici les potentiels effets pervers des revalorisations tarifaires ». Autrement dit : maintenir les tarifs de consultation au plus bas de l’échelle européenne permet bon gré mal gré de contraindre les médecins à augmenter leur charge de travail pour obtenir un revenu décent. Les augmenter pourrait les amener à lever le pied…
Discutant ses conclusions, l’auteure pointera quand même n’avoir aucun élément sur la situation de famille de ces femmes-médecins à faible revenu, ni « aucune indication sur le temps de travail des médecins »… ce qui ne l’empêche pas de diagnostiquer une forte propension au loisir !
L’idée de descendre de sa tour d’ivoire, de se confronter au réel en interviewant des femmes-médecins, ne semble pas l’avoir effleurée. Et alors que la sociologie ne cesse de pointer la double-peine qui touche les femmes dans notre société, leur implication dans les tâches ménagères confinant à une « deuxième journée » de travail, il est possible de trouver des économistes concluant que si une femme se « satisfait » d’un faible revenu, c’est le signe d’une propension immodérée au loisir, pourquoi ne pas l’avouer, à la fainéantise. On notera aussi ce morceau de bravoure : Le pourcentage de médecins à faible revenu « passe de 5 à 7,7% quand le médecin a obtenu sa thèse après l’âge de trente ans, ie probablement après plusieurs redoublements lors de sa scolarité. La difficulté à accomplir ses études dans le terme moyen pourrait révéler un manque de motivation du futur médecin, que se traduirait, dans l’exercice de la médecine, par une plus grande difficulté à attirer sa clientèle, et, par conséquent, des revenus plus faibles ». Nous rappelerons brièvement ici la difficulté pour une jeune interne de mener sa carrière hospitalière en même temps qu’une grossesse, la difficulté pour les femmes médecins libérales de poser un congé-maternité, et le fait que la profession de médecin généraliste fait partie des grossesses considérées à risque, du fait du faible niveau de protection sociale des femmesmédecins.
Au-delà du caractère particulièrement pitoyable des conclusions de l’économétricienne, comme le note Guillaume de Calignon dans un récent article des Echos :
La question est plus vaste: c’est celle de la place de l’économie au sein des sciences sociales. « L’économie a peu àpeu quittéle grand continent des sciences humaines », dit AndréOrléan. Dans les années 1960, la modélisation mathématique a fait une percée àla suite des travaux d’Arrow et de Debreu, qui ont développéla théorie de l’équilibre général, donnant ainsi àl’économie une crédibilitéproche des sciences dites « dures ». « Certains économistes théoriques peuvent parfois être assez déconnectés de la réalité», avoue Augustin Landier, chercheur àl’Ecole d’économie de Toulouse. »
On ne saurait mieux dire…
A ce stade, la question se pose : cette médecine libérale honnie, dont la fervente économiste de la Chaire Santé de Paris-Dauphine souhaite la mort, par quoi pourra-t-elle être remplacée demain ? Brigitte Dormont a LA solution : des médecins travaillant en centre de santé sous la direction des organismes d’assurance-maladie, obligatoire ou complémentaire. D’où son plaidoyer en faveur du tiers-payant généralisé : en tenant les cordons de la bourse, en pouvant décider de la rémunération et du revenu des médecins, les assureurs pourront influer sur le choix des soins dispensés aux malades. Plus de risque de demande induite, justement, puisque les assureurs auront tout intérêt à engranger les cotisations…. tout en restreignant au maximum les dépenses. Ce « meilleur des mondes » de la déprescription, les Américains en ont longtemps fait les frais, comme le révèle « Sicko », le film de Michael Moore, qui voit témoigner de nombreux médecins d’assurances dont le seul travail, très bien rémunéré… est d’éplucher les dossiers des assurés pour… leur refuser des prises en charge de soins, toute dépense de santé autorisée par ces assureurs correspondant à une ligne comptable « Medical Losses », autrement dit « Pertes Médicales »!
Dans une récente publication (Avril 2014) qui a fait quelque bruit, Brigitte Dormont et deux collègues du Conseil d’Analyse Economique ont proposé plusieurs pistes pour l’évolution du système de santé actuel. Rappelons que le CAE est placé auprès du Premier Ministre (rien que ça) pour orienter les politiques économiques de la France… On retrouve dans ce texte « Refonder l’Assurance-Maladie », une analyse du système d’assurance mixte français : Sécurité Sociale et asureurs complémentaires. Les auteurs pointent la complexité et les défauts de coordination du système (à noter qu’il s’agit des mêmes arguments réfutés par ces mêmes économistes lorsqu’ils sont brandis par les opposants au tiers-payant généralisé…). Ils proposent plusieurs solutions : prise en charge à 100% des frais hospitaliers et franchises sur les soins de ville, contractualisation des médecins avec les assureurs, fin du système d’assurance mixte.
Etrangement, cette publication passée relativement inaperçue reprend les analyses des opposants à la Loi Santé, dont La Loi Santé de Marisol Touraine: une étape dans la longue marche des complémentaires, qui détaille comment le gouvernement, sans le dire, et sous couvert de justice sociale, organise le lent désengagement de la Sécurité Sociale solidaire dans le champ des soins de ville au profit des assureurs complémentaires, sous le slogan triomphal « Une mutuelle pour tous ». Dans ce cadre les propositions de Dormont et de ses collègues ne constituent qu’une modalité tactique d’atteinte de l’objectif stratégique originel : réserver les cotisations Sécu pour l’hôpital seul en refilant aux complémentaires privées la gestion des soins de ville.
Une incise ici pour affirmer que depuis au moins 2004 l’orientation constante et déterminée de l’Etat dans sa politique de santé (je dis de l’Etat pour mieux souligner qu’à quelques variantes près la même politique a été et est appliquée par les gouvernements de droite comme de gauche), a été suivie par tous les partis « de gouvernement », obéissant à un impératif auquel ils ne peuvent plus se dérober : contribuer à la diminution de la dette publique de la France (à laquelle concourt notablement la Sécurité Sociale) et dont Bruxelles a maintenant le pouvoir de sanctionner lourdement la non-résorption. En un mot, les dépenses de santé des Français, et leur prise en charge par une protection sociale encore solidaire… diminuent la compétitivité du pays et freinent sa croissance…
Taper sur la médecine de ville, maillon faible… une spécificité française
Mais la résorption de ces dépenses se heurte aussi une difficulté particulière à la France : le poids spécifiquement élevé de l’hospitalisation dans notre système de santé ; si les comptes officiels de l’Assurance Maladie (ONDAM) situent autour de 50 % du budget chacune des parts respectives de l’Hôpital et de la médecine de ville, cela n’est permis que par leur double distorsion, beaucoup des prescriptions hospitalières (médicaments, transports, arrêts de travail) étant « externalisées » – et comptabilisées – en ville, et l’assiette des calculs étant faussée par l’attribution exclusive à l’Hôpital des très considérables fonds « MIGAC » financés par l’Assurance-Maladie mais comptabilisés hors ONDAM, et par l’absence de publications fiables depuis 2010, date où un nouvel identifiant individuel, le RPPS, était censé permettre d’attribuer de manière plus précise à chaque professionnel de santé les dépenses de santé qu’il aurait prescrites. Il faut ajouter que la croissance de la part hospitalière a toujours été supérieure à celle de la ville et persiste ces dernières années alors que les dépenses de ville diminuent.
Il ne s’agit absolument pas ici de fustiger l’hôpital ou ceux qui y travaillent dans des conditions difficiles sous le poids et le contrôle d’une administration pléthorique et d’un management coupé de la réalité du métier, mais de pointer le poids financier considérable que représente…. l’absence totale d’investissement sur les soins de premier recours, comme en témoigne ce diagramme détaillant les postes de dépenses de santé en 2013 (à partir des Comptes Nationaux de la Santé : http ://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/comptes_sante_2013_edition_2014.pdf).
L’hospitalisation recouvre près de 50% des dépenses… quand les honoraires des acteurs de premier recours… ne dépassent pas 10% : (généralistes, infirmiers…) Un tel déséquilibre, un tel désinvestissement à long terme, a entre autre pour conséquence la désertification médicale, le recours inapproprié aux urgences des hôpitaux, en l’absence de première ligne correctement identifiée et dotée des moyens de fonctionner.
Brigitte Dormont ne cesse de fustiger les médecins de ville, leurs horaires à rallonge et leur carrière profitable… Lors d’un autre colloque à La Baule en 2013, parlant au nom du Conseil d’Analyse Economique du Premier ministre, elle assène que « les urgences hospitalières, actuellement on le sait, c’est un problème, sont engorgées à cause du défaut de la médecine de ville sur la performance des soins ». Dans la réalité, si l’on fait fi de cette syntaxe approximative, l’engorgement des urgences hospitalières est avant tout lié à l’absence de régulation des demandes de soins urgentes, à une tarification à l’activité inflationniste octroyant aux hôpitaux une somme de 170 euros pour tout patient enregistré aux urgences (en supplément de la tarification du coût des soins), et à l’absence de financement pérenne des dispositifs de permanence (et non performance) des soins en ville, de nombreuses maisons de garde s’étant vues retirer leurs maigres financements. Brigitte Dormont concentre donc sans grand courage sa hargne et son dénigrement sur le maillon faible du système, avec un zèle que ne peut expliquer le seul mépris, et dont nous étudierons le contexte dans la dernière partie de cet article.
Autrement dit, le problème financier et organisationnel ne se trouve pas en ville mais à l’hôpital…Et c’est un très gros problème. Car l’hôpital est le coeur d’un formidable consortium d’acteurs influents. Citons en vrac :
L’industrie bio-médicale : à l’hôpital les équipements lourds et très lourds, salles d’opération, appareils d’imagerie, de réanimation, d’endoscopie, de laboratoire, de rééducation, l’informatique médicale lourde, le mobilier médical, l’habillement et le linge professionnels, etc …
L’industrie pharmaceutique dont le gros des bénéfices provient désormais de médicaments parfois extrêmement onéreux lancés et utilisés à l’Hôpital quasiment gratuitement, puis vendus à prix d’or aux pharmacies
L’industrie des services : nettoyage, restauration, buanderie, etc…
Les ambulanciers.
Les grosses entreprises du bâtiment.
Les syndicats de salariés dont la fonction publique hospitalière est un des bastions, et qui s’ils ont perdu l’essentiel de leurs anciens pouvoirs dans les Caisses d’Assurance-Maladie y sont toujours présents et y disposent de quelques prébendes et influences en rapport.
Les élus locaux avec les relais politiques proportionnels à la taille des établissements.
Les médecins hospitaliers, et notamment leur frange hospitalo-universitaire disposant d’une aura médiatique spécifique.
Bref, dans un environnement économique « social-libéral », et bien plus « libéral » au sens économique, que social, plus possible de laisser filer le déficit pour cause de bâton bruxellois, mais pas possible non plus pour les gouvernements de « s’attaquer » réellement à la cause de la moitié des dépenses, sans réorganiser le système. Or toute innovation vantée par le politique, comme par exemple la chirurgie ambulatoire, ou la réduction des durées de séjour, est vue uniquement sous l’angle d’une réduction budgétaire, et non d’une redistribution : les patients sont éjectés de plus en plus vite, en fonction d’une tarification à l’activité qui dissuade les services de garder trop longtemps des patients âgés, fragiles, grands consommateurs du temps des soignants, ou les femmes après l’accouchement.
Les Politiques français ont décidément un bien dur métier qui justifie sans doute les très coûteux privilèges qu’ils s’octroient. En tout cas ils sont en l’occurrence restés à la hauteur de leur réputation : trop dangereux politiquement de s’attaquer aux dépenses d’hospitalisation qui sont le cœur du problème ? Eh bien il suffit de s’attaquer aux soins de ville, aux 3,5% des médecins généralistes, aux infirmiers, aux dentistes et spécialistes : les médecins de ville sont dispersés et individualistes, la plupart le nez dans le guidon à longueur d’année, peu organisés et peu au fait de la gestion socio-politique…C’est le maillon faible !
S’attaquer à la première ligne de soins de ville, c’est mieux que rien et on doit pouvoir rogner de quoi calmer Bruxelles une dizaine d’années, ça laissera toujours le temps de voir la suite plus tard.
L’acteur sur lequel il était possible d’agir était trouvé, mais comment effacer les dépenses affectées à ce secteur, la médecine de ville, du montant de la dette ?
Dépendance aux financeurs ? Les profitables partenariats public-privé d’universitaires peu regardants
Les dépenses de la Sécurité Sociale comptent pour le déficit parce que c’est de l’Argent Public. La solution radicale pour les sortir de ce compte, c’est de transformer cet Argent Public en dépenses privées, c’est-à-dire transférer leur couverture de l’Assureur Public qu’est la Sécurité Sociale aux assureurs privés que sont les « complémentaires », compagnies d’assurances, mutuelles et autres instituts de prévoyance.
Si ces assureurs privés ont très tôt été partie prenante d’un processus dont l’enjeu colossal ne pouvait guère les laisser indifférents, ils ont en vrais businessmen longuement et durement négocié avec les gouvernements successifs pour que leurs conditions y soient incorporées :
- Disparition progressive mais rapide du « secteur II »des médecins ayant encore une libertéde fixation de leurs honoraires (en ville) .
- Possibilitéde constituer leurs propres réseaux de médecins agréés.
- Disposer (comme la Sécu) de moyens de pression administratifs et financiers sur l’ensemble des médecins.
- Accéder aux données de santédes patientèles, véritable mine d’or pour un assureur, permettant d’individualiser les contrats proposés selon le profil du patient.
C’est ce qu’a entrepris l’Etat en un peu plus de dix ans, au fil des tractations, des louvoiements, des faux blocages et des vraies glissades, petit à petit, réforme par réforme, décret après décret et loi après loi (et pour les médecins convention par convention et avenant par avenant aussi), la récente loi de Santé devant apparemment en figurer une sorte de point d’orgue.
Il ne devrait plus rester au fil du temps et des opportunités qu’à faire glisser les uns après les autres les remboursements des actes et prestations pratiqués en ville de la Sécurité Sociale aux complémentaires obligatoires.
Qui seront les grands perdants de ce petit glissement progressif du plaisir ? Certains médecins encore attachés à leur indépendance de prescription et d’action au sein d’un colloque singulier… (mais l’exemple américain montre qu’il est tout-à-fait possible pour un médecin de maximiser sa rentabilité en obéissant au nouveau donneur d’ordre qu’est l’assureur, fût-ce au détriment du patient…). Certains médecins, donc, mais surtout l’immense majorité des patients, soumis à la double peine : leurs cotisations Sécu ne baisseront pas et serviront à financer l’hôpital (tandis que l’Etat continuera à empiler les exonérations de charge en faveur des grandes entreprises et des financiers), et leurs cotisations de « mutuelle obligatoire » augmenteront d’année en année pour couvrir des dépenses de ville encadrées au plus juste en fonction de leur contrat d’assurance. Seuls les plus riches, contractant une « surcomplémentaire », pourront espérer une couverture maladie comparable à la situation actuelle, à l’exception du prix, bien entendu.
Cet avenir radieux qui se dessine, c’est celui que dénoncent et combattent en ordre dispersé les médecins depuis de nombreuses années, certains dès 2004 et la nomination à la tête de l’Assurance-Maladie d’un ancien directeur d’AXA aujourd’hui reparti dans le privé, d’autres depuis 2007 au moment des franchises sur les soins de Nicolas Sarkozy, quand son frère Guillaume, prenant la direction de Malakoff-Mederic, se félicitait de pouvoir relever « les défis des réformes à venir qui transformeront profondément l’intervention des acteurs complémentaires, notamment dans le domaine de la santé, pour jouer un rôle de premier plan dans l’amélioration des services de protection sociale.» D’autres enfin, plus nombreux, depuis l’arrivée au pouvoir de l’ennemi de la Finance, dont la Ministre de la Santé n’a cessé de dénigrer et de fustiger les médecins de ville pointés du doigt comme feignants, passéistes, insensibles à la détresse sociale et à la nécessaire évolution du système de santé sous la férule autoritaire des agences sanitaires, ces lieux de recasage à l’échelle industrielle de tout ce que le système politique français compte de sbires à remercier.
Cette modification profonde du système de santé français, on le voit, s’est faite par étapes, subrepticement, les véritables enjeux étant souvent masqués sous des prétextes de justice sociale : tiers-payant généralisé, mutuelle pour tous, etc… Elle n’a pu voir le jour que grâce à l’accompagnement discret de zélés thuriféraires des puissances en présence, certains défendant les laboratoires pharmaceutiques qui les arrosaient copieusement, d’autres prenant plus ou moins ouvertement parti pour les assureurs privés.
Curieux hasard, l’immense majorité des travaux de Brigitte Dormont conforte les positions prônées par les assureurs, lesquels se retrouvent parmi les généreux donateurs des nombreux think-tanks, instituts de recherche et fondations qu’elle illumine de sa science, et sans apparemment que l’Université Paris-Dauphine s’inquiète un tant soit peu des conflits d’intérêt que peuvent receler ces montages étonnants. Ainsi Brigitte Dormont, cette contemptrice des médecins libéraux qu’elle espère bientôt « dépendants de leur financeur », n’hésite pas, avec la bénédiction de Paris-Dauphine, à mettre en place de lucratifs partenariats public-privé entre l’université et les assureurs.
Medi Fact Checkers
Christian Lehmann, médecin généraliste, écrivain, initiateur de la pétition contre les franchises
Marco Gabutti, reviewer
Jacques Marlein, médecin généraliste retraité (FMF)
Yvon Le Flohic, médecin généraliste, élu MGF aux élections URPS (UFML)
Charles Cousina, médecin généraliste (UFML)
Aucun économiste indépendant n’a été blessé pendant la réalisation de cet article. Les auteurs ne présentent aucun conflit d’intérêt avec des compagnies mutualistes ou assurantielles ou des partis politiques. Ils s’engagent àne pas comptabiliser le temps de réalisation de cet article et de la vidéo attenante dans le décompte de leur temps de travail.
N’oubliez pas de visionner la vidéo amusante et pédagogique: Brigitte Dormont ou l’économétrie pour les nuls
« L’esprit du 11 Janvier, je dois le prolonger »: François Hollande
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La Loi Santé de Marisol Touraine, une étape dans la longue marche des complémentaires
La Loi Santé de Marisol Touraine ne tombe pas du ciel. Elle est le fruit d’un long processus de mise à mort d’un système de santé solidaire.
La longue marche des complémentaires
« Il faut une génération pour changer un système de santé » avait prédit Henri de Castries, PDG d’AXA®, président du groupe Bilderberg et ami de trente ans de Manuel Valls.
« Nous avons besoin de la finance« : Manuel Valls à Henri de Castries
A la fin de la seconde guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance a créé un système de protection sociale solidaire, et nationalisé les grandes sociétés d’assurances privées, au motif que la souffrance ne devait pas être source de profit pour « les grandes féodalités ».
Cette Sécurité Sociale a rapidement agacé le patronat de l’époque.
Dès 1948, la Chambre de Commerce de Paris s’en indignait: « La Sécurité sociale est devenue pour l’économie une charge considérable. Les salariés ont profité de traitements dont ils n’avaient peut-être pas un besoin certain, la moindre maladie a été le prétexte de repos. L’absentéisme s’est développé. »
En 2000, Claude Bébéar, alors PDG d’AXA®, crée l’Institut Montaigne, un think-tank d’économistes « indépendants »… financé par des banquiers et des assureurs (Areva®, Axa®, Allianz®, BNP Paribas®, Bolloré®, Bouygues®, Dassault®, Pfizer® ), qui dans les média est chargé de distiller le venin : le système de santé, déficitaire, doit être réformé de toute urgence. La preuve : le « trou de la Sécu », conséquence de l’irresponsabilité des malades et de la malhonnêteté des médecins. Jamais aucun de ces experts ne pointe qu’en 25 ans, 10% de la richesse nationale est passée des salariés aux dividendes financiers des actionnaires, entraînant une baisse cumulative des cotisations. La protection sociale des Français est donc constamment pointée comme coûteuse, irresponsable, un frein à la compétitivité et aux profits.
En 2004, Jacques Chirac, ami intime de Claude Bébéar, nomme à la tête de l’Assurance-Maladie Frederic Van Roekeghem, un ancien directeur du groupe AXA®.
Proconsul nommé par l’Elysée, l’assureur Van Roekeghem peut enfin passer outre les avis des centrales syndicales et des syndicats médicaux, qui toutefois ne dénoncent pas la manipulation, trop heureux de garder leurs postes et leurs jetons de présence.
Dans le même temps, les assureurs entrent au Conseil de la Sécurité Sociale au sein de l’UNOCAM. Nommant et virant les directeurs de caisses locales comme il l’entend, Van Roekeghem s’entoure de sbires qui transforment la Sécu en intégrant les pires techniques de management : utilisation d’un langage commercial orwellien « C’est en changeant tous un peu qu’on peut tout changer », non-remplacement des agents retraités, transfert non rémunéré de la saisie informatique des feuilles de soins aux soignants, primes d’intéressement des médecins conseils, manipulation programmée des chiffres d’arrêts de travail « injustifiés », pouvoir disciplinaire discrétionnaire des directeurs de caisses sur les soignants, harcèlement des médecins. A force d’endoctrinement et de primes, les médecins-contrôleurs de la Caisse intégrent ce paradigme: utiliser les pires méthodes de management du privé « sauverait la Sécu ».
Début 2005, un petit arrangement entre amis permet à Xavier Bertrand, accessoirement ancien assureur chez AXA® lui aussi, de signer une convention avec les syndicats médicaux les plus proches du pouvoir en détruisant le système du médecin référent. Ouvrant la voie à la pénalisation des assurés, aux franchises sur les soins, le système du médecin traitant consiste en un magnifique tour de passe-passe, surchargeant les généralistes de travail administratif sans leur octroyer les moyens de payer un secrétariat, désespérant leur relève et hâtant leur disparition sur l’ensemble du territoire.
Quand un ex-assureur rencontre un autre ex-assureur, par le plus grand des hasards…
Dans le même temps, à l’hôpital, se met en place la tarification à l’activité. Les directeurs d’hôpitaux, eux aussi nommés par le pouvoir politique, inculquent au personnel soignant la culture du résultat. Rapidement, les vieux, les sans-grade, les malades atteints de pathologies complexes et nécessitant, outre des explorations médicales, du « temps soignant », sont refoulés de l’hôpital, pour des raisons d’équilibre budgétaire.
En 2006, à sa prise de fonction, Guillaume Sarkozy déclare être « fier de prendre la direction de Médéric®, un acteur historique majeur de la protection sociale. Mon ambition est que Médéric® relève les défis des réformes à venir qui transformeront profondément l’intervention des acteurs complémentaires, notamment dans le domaine de la santé, pour jouer un rôle de premier plan dans l’amélioration des services de protection sociale.»
Liberté, égalité, fraternité, opportunités
Stigmatisation des patients, dénigrement des soignants
En 2007, son frère Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir et, au prétexte de la réduction des déficits, se lance dans la « responsabilisation » des patients en instaurant des franchises sur les soins. Philippe Seguin, président de la Cour des Comptes, propose une alternative: plutôt que de ponctionner 800 millions d’euros par an dans la poche des cancéreux et des diabétiques, la simple taxation des stock-options ramènerait 4 milliards par an dans les caisses de l’Etat. La proposition est évidemment passée à la trappe.
La même année, Denis Kessler, ex-directeur général d’AXA® et ex-vice-président du MEDEF le félicite de ses réformes : « Il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple… Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
Dans ce climat de désespérance générale des soignants, de colère des malades, le pouvoir s’attache les services d’associations de patients « représentatives » comme le CISS® en les finançant à 75%. Pour s’assurer la fidélité de leurs représentants, on leur fait miroiter un avenir radieux, où grâce à l’éducation thérapeutique, on pourra enfin se passer de médecins.
Confrontés en 2009 à une campagne vaccinale contre la grippe aussi calamiteuse sur le plan scientifique que financier, ces « représentants » se taisent courageusement, concentrant leur tir sur les médecins de ville, accusés de vouloir vacciner leurs patients par appât du gain. Ils évitent ainsi à Roselyne Bachelot-Narquin et à Nicolas Sarkozy d’avouer clairement qu’il ne leur est pas venu un instant à l’idée de baser un plan pandémique sur une espèce dont ils organisent la disparition.
En faisant une fois de plus preuve de leur indépendance d’esprit vis-à-vis des pouvoirs et des pseudo-experts, les médecins de ville renforcent la conviction des politiques : il n’y a rien à attendre d’un corps de métier aussi disparate, individualiste, rétif à toute directive administrative infondée : le magistère de la santé doit être retiré au corps médical. Béats d’admiration devant les vaccinodromes Bachelot, certains idiots utiles comme Jean-Luc Mélenchon et François Chérèque accompagnent la manœuvre, incapables de saisir que ce n’est pas aux pieds du peuple, mais aux pieds des assureurs que le politique compte déposer ce magistère.
» Devant les campagnes de santé publique, on fait d’abord la campagne on discute après, pas l’inverse… »
En 2009, Frédéric Van Roekeghem innove en proposant aux généralistes une rémunération à la performance. Certains des items scientifiques en sont très discutables, voire contraires à l’intérêt des patients, le calcul de la rémunération en est opaque. Le but est de déterminer, au sein des soignants, les plus compliants. Ceux qui passent sous les fourches caudines de la CNAM pour quelques deniers pourront demain, pour une somme modique, être agréés par les réseaux des assureurs privés.
En 2010, de déremboursement en franchise, la « Sécu » ne rembourse bientôt plus que 50% des soins ambulatoires, en maintenant la pression sur les professionnels de santé les moins bien rémunérés, infirmiers, généralistes et spécialistes de secteur 1, pour les pousser à la disparition. Sous couvert d’améliorer la gestion, se créent alors des Agences Régionales de Santé, sous la houlette de Nicolas Sarkozy. Une flopée de pontes « de gauche » habitués des hauts salaires, dont Claude Evin, qui a vigoureusement soutenu la réforme des hôpitaux, s’y précipite pour accepter des postes, cautionnant la manœuvre. Au menu: restrictions financières, coupes claires et autoritarisme d’une administration pléthorique jamais satisfaite.
En 2010 toujours, la légalisation de la « télémédecine » fait les unes de la presse. Experts du ministère et charlatans 3.0 exaltent conjointement une industrialisation du soin qui réaliserait le rêve d’une médecine sans médecin, gérée à distance depuis un centre d’appel vers des objets connectés.
De retour aux affaires, Xavier Bertrand relance le chantier du Dossier Médical Personnel, vantant aux Français les mérites d’un outil qui, in fine, permettra aux assureurs, une fois les généralistes éliminés, de disposer des données médicales personnelles des patients pour mieux affiner leurs offres tarifaires, calculer leur marge, et proposer aux patients… des surcomplémentaires.
Alzheimer, c’est maintenant
En 2012, c’est l’alternance. « La changement, c’est maintenant ». Après avoir vitupéré contre les franchises pendant cinq ans, les socialistes sont brutalement frappés d’Alzheimer. Eux qui dans l’opposition avaient vilipendé la gestion comptable à la hussarde de Van Roekeghem et le retrait de l’hypertension artérielle sévère de la liste des affections prises en charge en longue durée, le confortent dans sa position. Pas à un reniement près, l’inénarrable député Catherine Lemorton explique que l’ancien assureur privé est… un immense serviteur de l’Etat.
Marisol Touraine, bouleversée par le drame de la phobie administrative
Au Congrès de la Mutualité cette année-là, Marisol Touraine vient plier le genou devant le véritable Ministre de la Santé, Etienne Caniard. Elle lui accorde le report de publication des frais de gestion des complémentaires, « dont nous connaissons les difficultés qu’elles créaient pour vous« . Le pauvre homme est probablement comme le député Thévenoud l’une des premières victimes de la phobie administrative, et Marisol Touraine ne veut pas l’accabler en le contraignant à révéler aux cotisants quel pourcentage de leur argent est réellement consacré au remboursement des soins, et quel pourcentage va au marketing, aux publicités calamiteuses de Chevalier et Laspalès, ou au sponsoring de rallyes automobiles. Sous les vivats des dirigeants de complémentaires, François Hollande annonce la mise en place de l’Accord National Inter-régimes (ANI). « Une mutuelle pour tous », lance fièrement l’ennemi de la finance. L’Association Diversité et Proximité Mutualiste ( ADPM) regroupant de petites mutuelles, dénonce sans être entendue les manoeuvres en cours de financiarisation du secteur au profit des grands groupes. Et très peu comprennent que cette prétendue avancée signe un recul supplémentaire de la solidarité: dans un pays où la Sécurité Sociale rembourserait chacun correctement, personne ne devrait se voir contraint de cotiser à une complémentaire…
« Une mutuelle pour tous »
Dans le même temps, tandis que Cahuzac et Morelle donnent des leçons de morale à la Terre entière, en flagrant conflit d’intérêt, des députés socialistes ex-administrateurs de mutuelles douteuses, de la MNEF à la LMDE, passent en force à l’Assemblée Nationale la loi sur les réseaux de soins, histoire de renforcer le pouvoir des assureurs sur les professionnels de santé.
Bruno Le Roux, le lobbyisme pour les nuls
Dans le même temps, les laboratoires de biologie médicale font l’expérience de la main-mise des ARS sur leur survie. Accablés par la loi Bachelot de démarches-qualité et d’évaluations onéreuses, ne pouvant faire face à l’avalanche de textes et de contraintes administratives, nombre de biologistes sont contraints de vendre leur laboratoire à de grands groupes. Comme par hasard, le dossier est géré au gouvernement sous la houlette de Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au budget, et par certains de ses proches.
« Etre de gauche, c’est concilier réforme économique et progrès social »
Diminuer le « coût » de la protection sociale et servir la finance
Et nous voici en 2015. Accélérant le mouvement, le gouvernement de reniement de François Hollande cherche à déréglementer le secteur de la santé, et à livrer les professionnels aux financiers et aux assureurs, appâtés par l’odeur du gain, tout en cherchant désespérément une mesure emblématique de gauche pour servir de caution sociale de sa politique antisociale: ce sera le tiers-payant généralisé.
Dans le même temps, au prétexte de la loi sur l’accessibilité aux personnes handicapées, le gouvernement met en péril la survie de nombre de cabinets médicaux isolés. Les moyens diffèrent, mais la technique est identique à celle qui a été utilisée avec succès pour les laboratoires de biologie médicale. Empiler les contraintes ingérables au tarif actuel de la consultation, forcer au regroupement dans des structures qui demain seront bradées aux complémentaires et aux financiers. Quand 50.000 médecins refusent telle ou telle directive imbécile, il est plus simple pour les ARS d’ordonner aux directeurs de 3000 maisons de santé de suivre les protocoles décidés en haut lieu.
Dans ce contexte, le tiers-payant généralisé qu’agite Marisol Touraine comme preuve de son engagement socialiste est un leurre. Et cela lui évite de parler de la véritable menace sur l’accès aux soins des français: la totale déconnexion entre le tarif de remboursement et la valeur économique de l’acte, qui dissuade les jeunes de s’installer en ville et accélère la désertification médicale.
Avec le TPG, il ne s’agit pas de diminuer le coût final pour les malades, mais de rendre l’assureur maître d’œuvre de la procédure médicale, selon l’adage qui veut que celui qui paie décide, surtout s’il a tout moyen de faire pression sur le professionnel. Lorsqu’elle répète en boucle dans les média que le tiers-payant généralisé ne coûtera rien à l’Etat, Marisol Touraine n’a pas tort, dans la mesure où la Sécurité Sociale est totalement incapable de gérer informatiquement 600 mutuelles complémentaires. Frédéric Van Roekeghem, qui a quitté son poste de fossoyeur après dix ans de bons et loyaux services pour retourner pantoufler dans le privé, a tellement dégraissé la Sécu que ses services ne sont même plus capables de comptabiliser correctement le nombre de patients ayant choisi tel ou tel médecin traitant. Comment son successeur, Nicolas Revel pourrait-il gérer correctement le règlement des soins aux professionnels ? De son côté, Etienne Caniard fait le tour des médias, annonçant comme un camelot de téléachat qu’il a dans ses cartons une solution informatique simple et fiable pour assurer le paiement aux professionnels, alors qu’encore aujourd’hui la majorité des complémentaires est incapable d’assurer correctement le règlement de la part mutualiste aux assurés bénéficiant du tiers-payant. Mais Marisol Touraine s’en moque. Ce qui lui importe, c’est l’effet d’annonce. C’est de marteler une fois de plus, comme Cahuzac Morelle et Thévenoud avant elle, qu’elle est de gauche, et donc du côté des petits, des démunis, des pauvres et des sans grade, avant de monter en voiture pour aller dîner au Siècle.
Comble du cynisme, ces disciples autoproclamés de Jaurès n’hésitent pas à proposer de conditionner le tiers-payant que nombre de professionnels de santé appliquent aujourd’hui spontanément à leurs patients en difficulté… à l’autorisation directe de prélèvement de ces franchises (autrefois dénoncées par les socialistes comme injustes et inefficaces) sur le compte bancaire des cancéreux et des diabétiques.
Ultime retournement de veste d’un gouvernement aux abois et signe de l’amateurisme qui a accompagné tout au long le projet de Loi Santé, Marisol Touraine lâche dans la dernière ligne sous la pression insistante des médecins les mutuassureurs en chargeant la seule Assurance-Maladie de gérer le tiers-payant, provoquant la colère dépitée d’Etienne Caniard. Le président de la Mutualité, qui n’a pas ménagé ses efforts de lobbyiste, voit s’éloigner avec ce flux unique l’accès direct des assureurs aux données des patients. Même son de cloche chez Cegedim, éditeur de logiciels pour l’industrie pharmaceutique dont le PDG… mis en examen dans l’affaire de la MNEF, fustige un dispositif « techniquement et juridiquement » intenable… qui protège encore un temps les données des patients… jusqu’au prochain décret ou amendement passé en douce.
« La Sécurité sociale de 1946 n’était sûrement pas ce que certains prétendent »
Car derrière ce recul momentané, la menace est toujours présente, et de plus en plus clairement exprimée par les parlementaires « socialistes ». Olivier Véran, rapporteur de la Loi Santé, plaide en termes sibyllins pour une « redéfinition du panier de soins », tandis que Pascal Terrasse, député PS de l’Ardèche et spécialiste des affaires sociales, se prononce de manière plus franche pour le transfert de la médecine de ville, « les petits soins » aux assureurs, quand la Sécurité Sociale se concentrerait sur les pathologies lourdes : « Oui, il faut aller vers ce transfert, et y aller à fond… » Quand aux données de santé, que convoitent les assureurs… « il faut avancer sur l’open data, je le demande au gouvernement ». Pour que les choses soient parfaitement limpides, il assume de manière décomplexée, comme Denis Kessler à droite, l’abandon du pacte fondateur du Conseil National de la Résistance: « Le monde avance, le monde change. Et la Sécurité sociale de 1946 n’était sûrement pas ce que certains prétendent ».
Ce qui se joue ici, c’est une certaine façon d’exercer la médecine. C’est la destruction d’une médecine de l’individu, au profit d’une industrie de santé adossée aux appétits des actionnaires. Il y a deux ans, l’énoncer clairement aurait soulevé l’incompréhension. Mais après deux ans de règne de François Hollande, de reniement en reniement, il est évident que l’homme qui se proclamait ennemi de la finance est en fait son meilleur ami, et que pour passer sous les fourches caudines de la Commission Européenne, il est prêt à brader la santé et le système de protection social français en les livrant aux assureurs et aux financiers pour bien montrer sa capacité de « réformes » antisociales. Financiarisation du secteur santé, perte d’indépendance des professionnels… Hollande, Valls, Macron, Touraine, Moscovici, Cahuzac… Si la finance n’a pas de visage, elle a un gouvernement.
A force de servir les 1%, on se retrouve à 1 %
Christian Lehmann est médecin généraliste et écrivain, initiateur en 2007 du combat contre la franchise sur les soins.
Sans odeur
Rien n’est plus déprimant pour un peuple désemparé qu’une classe politique qui ne tient pas ses promesses. Trop de nos « élites » politiques autoproclamées vérifient l’adage: « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
Dans ce marasme, certains phares éclairent loin dans la nuit et ravivent l’espérance vacillante.
10 Juillet 2007, Assemblée Nationale:
« C’est une vieille habitude nationale: la France est un pays qui pense. Il n’y a guère une idéologie dont nous n’avons pas fait la théorie. Nous possédons dans nos bibliothèques de quoi discuter pour le siècles à venir. C’est pourquoi j’aimerais vous dire: assez pensé maintenant. Retroussons nos manches.«
23 Janvier 2014, Forum de Davos:
« A sa manière discrète, le roi Abdallah ( d’Arabie Saoudite) était un ardent défenseur des femmes »
Quel soulagement de voir une femme politique mettre en pratique chaque jour avec constance ce qu’elle professe. Nous sommes tous convaincus que depuis des années vous avez cessé de penser, pour retrousser vos manches. Et l’odeur de ce que vous touillez au FMI remonte jusqu’à nos narines.
Une dernière, pour la route:
8 Juillet 2007, rencontres économiques d’Aix-en-Provence
« J’entends souvent dire que la France refuse le capitalisme. Moi je n’y crois pas. Je ne crois pas en particulier que notre jeunesse refuse le capitalisme. Il suffit d’écouter et de disséquer les paroles des rappeurs français, qui expriment bien souvent un goût prononcé pour un certain nombre des éléments de notre économie capitaliste… Nous voulons réhabiliter le succès et son corollaire, l’argent, la rémunération qui en résulte. »
Loi Santé, Grèves des médecins: de quoi Marisol Touraine est-elle le nom?
« Etre de gauche, c’est concilier réforme économique et progrès social… »
Inlassablement, à chaque apparition dans les média, Marisol Touraine répète qu’elle est de gauche. C’est sa petite litanie à elle, version cheap de la fameuse anaphore de François Hollande : « Moi président ». « Etre de gauche », martèle Marisol Touraine, c’est offrir de nouveaux droits aux patients. « Etre de gauche », c’est mettre en place le tiers-payant généralisé, car trop de personnes renoncent encore aux soins en France. « Etre de gauche », c’est concilier réforme économique et progrès social…« Etre de gauche », etc etc etc…
Au-delà de cet affichage, de quoi Marisol Touraine est-elle le nom ?
En quoi cette grande bourgeoise membre du club d’élite autoproclamée qu’est le Siècle, en quoi cette strauss-kahnienne qui s’enorgueillit de ne jamais avoir milité–« Je n’ai jamais collé d’affiches, je suis ce qu’on appelle un expert, au PS»- est-elle de gauche, et quelle est sa place dans le gouvernement de l’homme qui affirmait être l’ennemi de la Finance et, jour après jour, nous prouve le contraire, rognant le droit du travail, les congés parentaux, les retraites, augmentant les impôts des ménages au bénéfice des actionnaires des grandes entreprises, plaçant à Bercy Emmanuel Macron, un ancien banquier d’affaires richissime membre de la dream-team du parvenu Jacques Attali ?
La loi de Santé pondue par les énarques et portée aujourd’hui par Marisol Touraine a un double but : mettre les professionnels de santé, et particulièrement les médecins de ville, sous la coupe d’administratifs ne connaissant rien au soin, mais tout à la gestion des coûts, et, sous couvert de faciliter l’accès aux soins, poursuivre le désengagement de la Sécurité Sociale solidaire vers les complémentaires, assurances et mutuelles alléchées par ce gigantesque marché.
Marisol Touraine répète inlassablement que le tiers-payant facilitera l’accès aux soins des plus démunis, quand le tiers-payant est déjà largement utilisé pour les patients en affection longue durée, et pour les patients couverts par la CMU. Elle répète que les Français renoncent aux soins pour des raisons financières… alors que c’est dans le domaine de l’optique et dans le domaine des soins dentaires, dont la Sécurité Sociale s’est désengagée, que le renoncement est le plus flagrant. Le tiers-payant n’y changera rien, parce que la Sécurité Sociale ne prend pas, ou très peu en charge ces soins. Le but de Marisol Touraine est double : brandir une mesure à caractère apparemment social, pour promulguer une Loi de Santé fourre-tout comportant des mesures profondément attentatoires à la qualité des soins aux patients et à l’indépendance des médecins.
Les limites techniques du tiers-payant sont liées au désengagement de la Sécurité Sociale
Je ne suis pas opposé au tiers-payant, comme je l’ai déjà expliqué longuement.
Tiers-payant généralisé: ce que cache l’efet d’annonce de Marisol Touraine ( Juin 2014)
Mais le pratiquant depuis des années, j’en connais les difficultés et les limitations techniques. Le tiers-payant a été complexifié depuis une dizaine d’années suite à la mort du système du médecin référent et à la mise en place du système du médecin traitant, avec un système de pénalités pour les patients considérés comme consultant « hors-parcours de soins », une usine à gaz tarifaire, auxquels se sont greffées les fameuses franchises sur les soins de Nicolas Sarkozy, minable tour de passe-passe consistant à piocher dans la poche des cancéreux et des diabétiques, des cardiaques et des Alzheimer, pour les res-pon-sa-bi-li-ser. Notons que Marisol Touraine, « épidermiquement de gauche »pour paraphraser Carla Bruni, n’avait pas de mots assez durs pour fustiger les franchises quand elle était dans l’opposition. Comme François Hollande, Jean-Marc Ayrault, et toute une cohorte de députés prétendument « socialistes »qui s’accommodent parfaitement du maintien de cette « inique mesure de droite »maintenant qu’ils sont aux affaires, et au service de la Finance.
Marisol Touraine, une fausse générosité payée par d’autres
Dans les centres de santé, la gestion du tiers-payant a un coût moyen de 4.38 euro par acte, du fait de la complexité du système et du grand nombre de situations administratives entraînant des refus de paiement aux professionnels de santé. Marisol Touraine s’assied sur ce coût, le nie. En dame patronnesse, elle n’a cure des difficultés que causerait aux médecins un tiers-payant obligatoire. ELLE a décidé une mesure « généreuse », qui ne lui coûtera rien, mais dont D’AUTRES feront les frais. Preuve, s’il en est, qu’elle a parfaitement sa place dans le gouvernement de François Hollande.
Marisol Touraine prise en flagrant délit de mensonge, une fois de plus…
Devant la fronde médicale, la ministre de la Santé est obligée de lâcher du lest. Elle promet de nouvelles discussions, quand les palabres de l’an passé ont consisté à inviter les représentants des médecins et à leur asséner les vérités révélées des administratifs des ARS, sans tenir aucun compte de leur retour de terrain. Elle promet un système simple et efficace où le paiement aux médecins serait garanti. Un peu comme, en Juillet 2014, aux côtés de Michel Sapin et de Benoît Hamon, elle se portait garante des remboursements des soins aux étudiants par la calamiteuse LMDE ( La Mutuelle Des Etudiants) , rejeton de la MNEF qui nourrit grassement pendant de nombreuses années bien des hiérarques solfériniens. A ce jour, la LMDE est en pleine déroute financière, les témoignages des étudiants floués s’accumulent sur les réseaux sociaux, et la ministre fait profil bas. Quelle crédibilité ont ses garanties réitérées, quand on voit à quel point ces réassurances de Juillet 2014 ont conduit des étudiants dans le mur ?
( merci à Xavier Gouyou-Beauchamps, de l’UCDF)
Retour sur investissement
Marisol Touraine réussit avec sa Loi de Santé un exploit inédit : lever la quasi-totalité des médecins du pays contre elle. Paraît alors dans Libération le 8 décembre 2014 un article écrit par la Présidente du CISS, collectif d’associations de patients. Sous le titre : « Santé : des patients soutiennent la loi Touraine », Danièle Desclerc-Dulac, ancienne directrice-adjointe de la Caissse Primaire du Loiret, et présidente du CISS ( financéà 80% par la DGS et la CNAM), affirme son soutien résolu et personnel à la Loi Touraine. Elle défend avec justesse le tiers-payant des accusations de « surconsommation des soins », mais sans répondre à la question majeure de la faisabilité technique du dispositif ni de son coût global. Elle moque la crainte de perte d’indépendance des médecins, rappelant que la précédente loi HPST de Roselyne Bachelot avait donné lieu aux mêmes griefs, et que « ni la médecine libérale ni les établissements de soins privés n’ont disparu ». Elle ne rappelle pas le soutien affirmé du président du CISS de l’époque, Christian Saout, à cette loi qui a fragilisé un peu plus les hôpitaux comme la situation des médecins de ville, et ne commente pas non plus l’aggravation constante de la désertification médicale liée entre autre à cette accumulation de lois kafkaïennes qui jamais ne posent la question de la viabilité économique des cabinets médicaux dans un système où le tarif de remboursement des consultations stagne à un des plus bas niveaux de l’Union Européenne tandis que les charges continuent leur augmentation. Elle pointe certains éléments positifs de la Loi, comme la mise en place d’un service public d’information en santé similaire à celui du National Health Service anglais. C’est d’ailleurs une des forces de l’entourage de Marisol Touraine d’avoir amalgamé tant de mesures différentes dans la Loi Santé qu’il est toujours possible d’y trouver une petite avancée que l’on peut utiliser pour masquer le caractère globalement délétère de l’ensemble. Ainsi à l’époque où nous luttions contre les franchises, le ministère Bachelot avait-il tenté de faire miroiter à mon camarade Bruno-Pascal Chevalier ( militant contre les franchises ayant pratiqué une grève des soins pour alerter l’opinion) et aux autres associations de patients qui participaient au mouvement leur projet d « éducation thérapeutique »sensé libérer les patients du magistère médical. A l’époque, ni Bruno-Pascal ni ses amis n’étaient tombés dans le panneau, refusant en vrais militants de l’accès aux soins de jouer les idiots utiles pour la ministre.
Décédé le 17 Décembre 2012, Bruno-Pascal Chevalier était un militant, pas un Playmobil
Deux jours après publication de l’article passé relativement inaperçu parmi le cortège de prises de position négatives contre sa Loi, Marisol Touraine se retrouve obligée de signaler elle-même sur Twitter l’existence de l’article, non sans commettre un très gros mensonge (de plus) :
« 40 associations de patients publient une tribune dans @libe pour soutenir le projet de loi santé: http://bit.ly/1wgW6m4 «
Le rapport à la réalité de Marisol Touraine se révélant apparemment fluctuant, il n’est pas possible d’affirmer qu’elle ment comme elle respire. Mais elle fait passer la tribune d’un individu pour une prise de position collective. Comme si elle ne connaissait pas la différence entre une tribune et une pétition. Comme si elle avait oublié ce 4 Mars 2009 où Bruno-Pascal Chevalier, décédé aujourd’hui, était venu symboliquement déposer à l’Assemblée Nationale les centaines de milliers de signatures contre les franchises sur les soins qu’elle se faisait un devoir de supprimer dès l’arrivée de la gauche aux affaires…
Dans cette vidéo, Marisol Touraine, à 15’40 », ment effrontément à Bruno-Pascal Chevalier
Comment privatiser la Sécu en loucedé…
Ce qui se joue dans la Loi Santé, c’est un pan crucial de l’exercice médical, l’indépendance du médecin par rapport au financeur. En fragilisant l’Assurance-Maladie solidaire depuis des années, en la livrant à un assureur d’AXA qui a réussi à désorganiser profondément la médecine de ville et à instaurer au sein de la CNAM les pires méthodes de management du privé au nom du slogan orwellien : « C’est en changeant tous un peu qu’on peut tout changer », la droite chiraquienne puis sarkozyste, sous Douste-Blazy, Bertrand et Bachelot, puis la gauche hollandaise, sous Touraine, poursuivent le même but : démanteler la protection sociale de manière plus ou moins occulte pour « plaire aux marchés »et « améliorer la compétitivité de la France ».
Quatre ministres et un enterrement: celui de la Sécurité Sociale…
Pour se faire, un seul moyen : par glissements successifs, substituer à la prise en charge Sécu la prise en charge par les complémentaires. Les Français paieront alors deux fois pour un seul service. D’où ce cortège de louanges dans sa majorité l’an dernier quand François Hollande mit en place avec l’accord National Interentreprises, une « mutuelle pour tous »obligatoire. Qui pointa alors que cette pseudo-avancée était en fait un recul ? Que dans un pays où l’Assurance-maladie prendrait correctement en charge les soins, il ne serait pas besoin de complémentaire ?
D’autant que non content de forcer les citoyens à souscrire à une assurance au travers de leur employeur, le gouvernement socialiste ouvrait dans le même temps la possibilité pour les assureurs de mettre en place des réseaux de soins, comme aux Etats-Unis. Sous couvert de maîtriser les coûts, il s’agissait en fait d’assujettir les professionnels de santé aux assurances, ceux là-même que Jacques Attali désignait lors d’un colloque comme « les futurs maîtres »de la santé, auxquels dans son fameux rapport il désirait confier les campagnes de prévention…ainsi qu’aux firmes pharmaceutiques !
François Hollande sacrifie la santé au fondamentalisme de marché
Incapables de gérer le pays, obnubilés par la nécessité d’obéir au « fondamentalisme de marché »de l’Union Européenne, François Hollande et ses ministres sont prêts à brader le système de santé aux assureurs pour diminuer fictivement le coût de la protection sociale en France en le transférant sur les complémentaires, et donc sur chaque citoyen. Le dogme européen « d’un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée »amène à sacrifier les droits acquis en matière de santé, de travail, de protection sociale, en individualisant leur prise en charge par chaque citoyen. L’Etat n’est plus garant de rien, mais fait semblant de gérer en imposant une pléthore de règles administratives aux effecteurs de terrain.
Obéir aux ordres plutôt que soigner des individus: le nouveau paradigme est en marche
Nulle part dans la Loi de Santé n’est abordée la question de la viabilité des tarifs actuels de remboursement de l’Assurance-Maladie, ce qu’on appelle le « tarif opposable ». Marisol Touraine ne cesse de répéter que les médecins sont correctement rémunérés, accumulant les mensonges sur les nouveaux modes de rémunération forfaitaire, le « paiement à la performance » instauré par l’ancien assureur qui a dirigé la Sécurité Sociale pendant dix ans. Outre que ce forfait ne couvre pas l’érosion monétaire de la valeur de la consultation, certains des items qui le composent sont scientifiquement très discutables. Mais peu importe à la ministre de la Santé : le dogme prime sur la science. Le dépistage systématique du cancer du sein par mammographie est remis en cause dans de nombreuses études à cause du risque de surdiagnostic pouvant conduire à la mutilation inutile de femmes dépistées par excès. La prescription systématique de statines chez le diabétique est remise en cause par des études pointant l’effet diabétogène de ces statines. Qu’importe ! Ce qui compte, pour les évaluateurs, pour les ARS, pour les énarques, et demain pour les assureurs, c’est que les médecins cochent les bonnes cases, qu’ils obéissent, qu’ils courbent l’échine. A l’autre bout de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon ne disait pas autrement, lorsqu’en plein fiasco vaccinal H1N1, il volait au secours de l’incompétente Roselyne Bachelot en fustigeant les médecins qui refusaient de vacciner sous contrainte en vaccinodrome : « Devant les campagnes de santé publique, on fait d’abord la campagne on discute après, pas l’inverse… »La haine et le mépris qu’éprouve le personnel politique pour le médecin, petit artisan de la santé, est liée àla confiance que lui accordent ses patients, citoyens-électeurs écoeurés et désabusés, et à son indépendance, qui peut encore, pour l’instant s’opposer aux mots d’ordre incohérents des ARS et des assureurs. Mais pour combien de temps ?
De Sarkozy à Hollande, la même vision purement comptable de la santé publique
Asphyxiés par les charges, assommés de contraintes administratives, les médecins de ville croulent sous le joug. Beaucoup de jeunes diplômés ne s’installent pas, préférant des postes administratifs moins exposés, et les médecins plus âgés ( la moyenne d’âge des médecins de ville est de 55 ans!!!) dévissent leur plaque ou burn-outent en silence. Le désert avance, et la marquise Touraine explique que « Tout va bien ». Alors que tous les audits des centres de santé pointent l’impossibilité de faire fonctionner sans subventions une structure au tarif actuel de la consultation, sans elle continue à claironner que la revalorisation des consultations des médecins n’est pas à l’ordre du jour. Demain, elle rasera gratis. Les consultations seront en tiers payant obligatoire…dans la limite des stocks de médecins disponibles. Sauvegarder l’accès aux soins des Français, ce n’est pas imposer un tiers-payant obligatoire techniquement impossible actuellement. C’est permettre aux médecins, de ville comme à l’hôpital, de travailler correctement. La Loi de Santé de Marisol Touraine prend un tout autre chemin : faire basculer la protection sociale de l’Assurance maladie solidaire vers les assurances privées, de manière occulte, pour obéir aux diktats de la finance. Gérer la santé publique « à la grecque »pour une population délibérément précarisée, mais, ministre « de gauche »oblige, sans que cela se voie. L’une des preuves les plus éclatantes du total mépris que portent Marisol Touraine et François Hollande aux questions de santé publique est leur refus de réintégrer l’hypertension artérielle sévère dans le cadre des affections de longue durée prises en charge à 100%. Sous Nicolas Sarkozy, l’assureur dirigeant la Sécu avait rayé l’HTA des affections de longue durée, dans le seul but de faire des économies. Les parlementaires de gauche, et François Hollande lui-même, avaient fustigé ce recul. Les patients « vasculaires »n’étaient dorénavant pris en charge à 100% qu’une fois atteint le seuil des complications quasiment inéluctables d’une hypertension négligée: accident vasculaire cérébral, infarctus, amputation…Dans un pays où l’espérance de vie d’un ouvrier est de sept ans inférieure àcelle d’un cadre, et où les maladies vasculaires sont la première cause de mortalité, leur renoncement aujourd’hui a valeur d’exemple. Derrière les déclarations de principe, l’économie prime sur la santé.
Ce qui se joue ici, c’est une certaine façon d’exercer la médecine. C’est la destruction d’une médecine de l’individu, au profit d’une industrie de santé adossée aux appétits des assureurs et des actionnaires. Il y a deux ans, l’énoncer clairement aurait soulevé l’incompréhension. Mais après deux ans de règne de François Hollande, de reniement en reniement, il n’est pas difficile de constater que l’ennemi de la finance est en fait son meilleur ami, et que pour passer sous les fourches caudines de la Commission Européenne, il est prêt à brader la santé et le système de protection sociale français en les livrant aux assureurs et aux financiers pour bien montrer sa capacité de « réformes »antisociales. Financiarisation du secteur santé, perte d’indépendance des professionnels…Si la finance n’a pas de visage, elle a un gouvernement.
Christian Lehmann
médecin généraliste, écrivain, initiateur de la pétition contre les franchises sur les soins
PS: Je suis médecin généraliste depuis plus de trente ans. Trente années pendant lesquelles j’ai vu naître, grandir, vieillir, mourir, un grand nombre de patients. J’ai été le médecin généraliste de chacun d’entre eux, considéré comme un individu, et non pas une ligne de bilan comptable. Comme j’ai refusé hier d’être le larbin de l’industrie pharmaceutique, je refuserai demain d’être le larbin d’un assureur, fût-il caché sous le mot-valise « mutualiste ».
Précieuse ridicule
« J’ai laissé mes larmes guider mon écriture », révèle Valérie Trierweiler.
Priez le Ciel qu’elle ne nous fasse pas une gastro.
De la MNEF à La Mutuelle Des Etudiants: A qui profite le crime?
4 Juillet 2014: En ce jour où sont dévoilés les résultats du baccalauréat, coup de tonnerre dans le monde feutré et volontiers opaque de l’assurance-santé : La Mutuelle Des Etudiants ( LMDE) est placée sous administration provisoire.
Sanction d’une gestion calamiteuse dénoncée par la Cour des Comptes et Que Choisir ( entre autres) et par nombre de professionnels de santé ou d’étudiants. Mais au-delà de cette sanction, le placement sous administration provisoire de la LMDE soulève de graves questions politiques, tant les accointances entre certains élus socialistes et la direction de cette mutuelle étudiante posent problème.
L’affaire n’est pas neuve. Elle a éclaté dans les années 1990 quand la LMDE s’appelait la MNEF, et nombre de hiérarques socialistes y ont trempé, et émargé, comme me le rappelle le docteur Stéphane Fraize, qui fut président de la section Alsace de la MNEF, et contribua avec d’autres à dénoncer alors le système mafieux dans lequel s’était engluée cette mutuelle sensée destinée à rembourser les soins aux étudiants.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?
Il faut savoir ( ce que beaucoup d’étudiants et de parents d’étudiants ignorent) qu’il existe en France un système très particulier et complexe. Lorsqu’un enfant devient étudiant, il est « viré » automatiquement de la « Sécu » de ses parents ( que celle-ci soit la Caisse Nationale d’Assurance-Maladie, la Mutualité Sociale Agricole ou le Régime Social des Indépendants) et affilié d’office à une « mutuelle » étudiante. Que les parents ou le jeune le veuillent ou non, ils quittent alors le giron de la Sécu et leurs soins, pour la partie habituellement prise en charge par le régime obligatoire, sont en théorie !!!! remboursés par cette « mutuelle » qui leur propose aussi de fonctionner conjointement en tant que régime complémentaire.
( J’en vois qui ne suivent pas : l’Assurance-Maladie rembourse en général la part obligatoire RO : 70% du tarif de l’acte – soit par exemple 16,10 euros sur une consultation à 23 euros- et la complémentaire rembourse le restant RC, soit 6,90 euros. En théorie.)
Ce que les deux mutuelles étudiantes existantes, LMDE et SMEREP, se gardent bien d’expliquer aux étudiants lorsque leurs jeunes VRP les accrochent à leur inscription en fac, c’est que s’ils doivent choisir une de ces deux enseignes, c’est uniquement en tant que régime obligatoire, et que le régime complémentaire est facultatif : autrement dit qu’ils ne sont absolument pas forcés de les choisir comme mutuelle et de payer pour ça !
L’Assurance-Maladie rémunère LMDE et SMEREP pour gérer à sa place le régime obligatoire ( c’est ce qu’on appelle une délégation de gestion) et ces deux enseignes tentent de pousser les étudiants à s’affilier aussi chez elles en tant que mutuelle car c’est sur cette cotisation qu’ils comptent pour assurer leurs comptes.
Des étudiants mal remboursés, sous couvert d’un militantisme autoproclamé
Là où l’affaire se corse, c’est que le passage de la Sécu parentale à la Sécu étudiante ne se fait pas sans problème. Des dossiers sont égarés, doivent être refaits plusieurs fois. Des informations cruciales, comme le nom du médecin traitant désigné, sont à refaire ( et ce sera à nouveau le cas quand l’étudiant retournera au régime général). Des remboursements en Carte Vitale, en tiers-payant par exemple, sont retoqués. Tout ceci a des conséquences, des conséquences préoccupantes sur la santé des étudiants, et leur accès aux soins.
Nombre de médecins pourront corroborer mes dires : confrontés à des difficultés de remboursements, beaucoup d’étudiants saoûlés par les questions administratives et les réponses téléphoniques bidon laissent tomber, et repoussent des soins. Quand on est jeune, pas blindé de tunes, et qu’on ne sait pas si on sera remboursé, ou qu’on a essuyé la mauvaise humeur d’un médecin qui pour la énième fois s’est fait escroquer sur le paiement des soins qu’il ou elle a effectué en tiers-payant partiel ou intégral pour faciliter l’accès aux soins, on n’y revient pas, tout simplement.
Pour justifier cette usine à gaz, et leur existence, les « mutuelles » étudiantes ne cessent de pérorer sur la nécessité d’une protection et d’une pérennisation d’un accès aux soins spécifique pour les étudiants, et insistent dans leurs professions de foi sur leur combativité militante.
Ce génialissime dessin de Aurel illustre l’article du Monde déjà cité plus haut
De piteux gestionnaires à la recherche de bouc-émissaires
Pourfendant les atteintes à l’accès aux soins, elle ne cessent de dresser des constats alarmants, complaisamment repris par ceux qui ont tout intérêt à accuser les professionnels de santé, ministres et futurs administrateurs de réseaux mutualistes en tête. Comme le dénonce avec efficacité Xavier Gouyou-Beauchamps de l’Union Des Chirurgiens de France dans une vidéo, le foutage de gueule n’a pas de limites. On y voit Marisol Touraine, hors-sol, affirmer devant le public réuni au congrès de la Mutualité Française en 2012, et devant son président Etienne Caniard, que « d’après la LMDE, 34% des étudiants ont reporté la consultation d’un médecin dans les douze derniers mois« . Etrangement, la ministre omet de noter ce que révèle le rapport de la Cour des Comptes: « seulement un quart des étudiants déclarent de fait avoir bénéficié d’une carte Vitale en état de fonctionnement moins d’un mois après leur affiliation quand 10% n’en étaient toujours pas dotés neuf mois plus tard ».
A de multiples reprises, la LMDE, et en moindre mesure la SMEREP, ont été fustigées pour ces retards, et une gestion qui laisse à désirer.
Les adhérents de la MGEN épongent les pertes à l’insu de leur plein gré
L’an dernier, il avait fallu adosser la LMDE à la Mutuelle Générale de l’Education Nationale ( MGEN) sans d’ailleurs en avertir les cotisants, comme le dénonce Yvon Le Flohic. Mais cela n’a pas suffi. D’autant qu’en cours d’année, comme les années précédentes, des étudiants ont continué à se plaindre: dossiers en retard, dossiers pas traités, remboursements partiels ou inexistants. L’une de mes patientes ( ce n’est qu’un exemple, le plus parlant certes, au milieu de beaucoup d’autres), une jeune femme en affection longue durée nécessitant un traitement médicamenteux lourd, n’a pu pendant toute l’année scolaire 2013-2014 se soigner que parce que ses parents ont avancé chaque mois le millier d’euros que coûte son traitement. D’autres bénéficient de la gentillesse d’un pharmacien qui accumule ainsi des impayés qui peuvent fragiliser sa trésorerie, d’autant que d’année en année le patient peut être perdu de vue, le dossier ne pas aboutir ( Oui, je sais, ça fait marrer les cons, l’idée qu’un pharmacien puisse dépanner un patient ou avoir des difficultés financières).
Pourquoi pérenniser cette gabegie?
Si cette histoire était celle que racontent les administrateurs de la LMDE, parmi lesquels il y a certainement beaucoup de braves gens qui n’en peuvent mais ( et de bénévoles à 2200 euros par mois…), ce serait triste, mais on ne verrait pas vraiment ce qui retiendrait de fermer ce système trop complexe et de faire revenir les étudiants dans le régime commun de l’Assurance-Maladie. D’autant que je n’ai jamais saisi en quoi la santé d’un « étudiant » devrait être gérée ou protégée différemment de celle d’un jeune qui n’a pas eu l’envie ou l’opportunité de poursuivre des études après le collège ou le lycée. Si on pourrait à la rigueur arguer sur la nécessité d’actions permettant un accès aux soins facilité aux jeunes, il n’y a aucune raison de faire un distinguo entre l’étudiant et le jeune qui travaille ou qui n’a pas trouvé un emploi…
Les représentants de la LMDE sentaient venir la tempête. Début Juin, ils dénonçaient la menace qui planait sur leur régime, amalgamant sans problème « les jeunes » et « les étudiants », prenant acte des reculs sociaux de François Hollande et de ses gouvernements, mais pour insinuer que toute décision de remise en cause serait dûe à une simple volonté comptable… et n’hésitant pas à demander « le retour à un opérateur unique de gestion du régime étudiant », autrement dit à cannibaliser la SMEREP née d’une scission lors de l’affaire de la MNEF, SMEREP dont la gestion est pourtant un peu moins problématique que celle de la LMDE… et qui, elle, ne traîne pas un nombre de casseroles politiques impressionnant…
Car nous arrivons à l’os. L’affaire de la LMDE, comme l’affaire de la MNEF avant elle, n’est pas seulement une affaire de gestion calamiteuse. La MNEF a servi de vache à lait à maints hiérarques socialistes. La LMDE est soupçonnée par la Cour des Comptes et Que Choisir de ne pas fonctionner très différemment.
Basse-cour « socialiste » nourrie au grain
Que Choisir révèle opportunément que Laurence Rossignol, l’actuelle Secrétaire d’Etat à la Famille et aux personnes âgées a été salariée pendant 18 ans par la LMDE pour un emploi qu’on semble pouvoir aisément qualifier de…. discret. Combien de hiérarques socialistes ont-ils ainsi émargé dans ce système «mutualiste», qui sait au moins se montrer «solidaire» envers ses amis?
Jean-Christophe « On n’est pas député de droit divin » Cambadelis
Ce sont des questions qu’on pourrait poser à Jean-Christophe Cambadélis, hiérarque parachuté à la direction du Parti Socialiste lors de l’exfiltration du pathétique Harlem Désir pour mener à la schlague les récalcitrants au Pacte de Solidarité. Jean-Christophe Cambadélis, impliqué dans le scandale de la MNEF, en a même tiré un livre. Des questions qu’on pourrait aussi poser au fanfaron Bruno Le Roux, autre porte-flingue qui menace les députés timidement frondeurs à l’Assemblée nationale. Bruno Le Roux qui fut vice-président de la MNEF. Ou à Fanélie Carrey-Conte, l’une de ces frondeuses justement ( qui fut administratrice de la LMDE et a été rapporteur de la fameuse loi dudit Le Roux poussant à créer des réseaux de professionnels de soins à la botte des mutuelles). Vous avez dit conflits d’intérêt? Noooooon, les conflits d’intérêt, c’est pour le clampin de généraliste corrompu qui accepte un stylo à 11,20 euros de la part d’une plantureuse représentante des firmes pharmaceutiques.
Parce que si l’histoire de la LMDE est « simplement » l’illustration de l’habitude bien française de créer des usines à gaz, selon l’adage Shadok qui veut que « Pourquoi faire simple quand tout peut être compliqué? », on peut se contenter de hausser les épaules, de contempler d’un air affligé les petites et grandes souffrances, les retards d’accès aux soins des jeunes étudiants. Mais si l’histoire de la LMDE cache autre chose, des emplois fictifs, par exemple, ou des rémunérations de dirigeants sans commune mesure avec leur activité réelle, alors il faudra bien poser la question: qui est responsable de cette situation? qui en a profité? qui a laissé pourrir aussi longtemps qu’il était humainement possible, et même au-delà? A qui, en somme, a profité le crime?
Opacité organisée, complexité mortelle
Mathias avait 27ans. Lorsqu’il a cessé ses études pour entrer dans la vie active, la LMDE l’a radiée. Ensuite… ensuite c’est sa mère qui raconte, sur son blog. L’histoire d’un jeune qui quitte la Sécu parentale pour être affilié comme étudiant, qui lorsqu’il cesse ses études se retrouve pris dans un imbroglio administratif, et décède.
De source officieuse, j’apprends que des administrateurs de la LMDE se plaignent du tarif de la délégation de gestion accordée par l’Assurance-maladie, qu’ils jugent trop faible… et qu’ils expliquent leurs chroniques difficulté de trésorerie par le fait que les réserves financières de la MNEF dont devait bénéficier la LMDE à sa création se seraient volatilisées. C’est ballot, hein? Et il n’y a aucun ancien représentant de la MNEF à qui demander des éclaircissements au gouvernement ou à l’Assemblée Nationale, c’est dommage… Ah, on me glisse dans l’oreillette qu’il y en a plusieurs. Je dis ça, moi, je dis rien. Dans un pays qui se glorifie à juste titre d’avoir depuis peu une justice réellement indépendante des pouvoirs politiques, JE-DIS-RIEN.
Tony Solferino et sa joyeuse bande
« Ostentatoire, ostentatoire… est-ce que j’ai une gueule d’ostentatoire? »
Christian Estrosi interdit l’utilisation ostentatoire d’un QI supérieur à deux chiffres dans le département
Christian Estrosi, chef d’escadrille ( avec deux superbes recrues)
Tiers-payant généralisé chez le médecin: ce que cache l’effet d’annonce de Marisol Touraine
Je suis médecin généraliste, et je pratique le tiers-payant depuis plus de quinze ans.
Et pourtant, le brouhaha médiatique orchestré par Marisol Touraine autour de la généralisation de ce dispositif me pose problème.
Je passe sur les cris d’orfraie de ceux qui ont toujours vilipendé le tiers-payant chez le généraliste comme une vilenie bolchévique, quand le tiers-payant chez le spécialiste ne serait qu’une facilité de trésorerie.( Vous payez intégralement votre IRM chez le radiologue, vous? )
Ainsi du Dr Ortiz, de la CSMF, qui explique qu’honorer le médecin de la main à la main, glisser le chèque ou le billet, est indispensable, un fondement même de l’acte médical. Mouaaaais… A d’autres. L’argument est pitoyable. (1)
Marisol Touraine, Don Quichotte abonnée aux dîners du Siècle
Je m’attarde un instant sur l’utilisation politique qui est faite par Marisol Touraine de cette mesure : incapable de traiter les vrais sujets, à savoir la désertification médicale liée à la totale déconnexion des tarifs de remboursement par rapport à la réalité économique de la pratique médicale, elle botte en touche, menant des campagnes médiatiques successives.
Hier, elle « luttait » contre les dépassements d’honoraires en ville, en laissant en l’état la situation aux consultations hospitalières avec leurs files d’attente à deux vitesses…(2)
Marisol Touraine, et un confrère en secteur 1 (sans dépassements d’honoraires)
Aujourd’hui, elle fait mine de découvrir le tiers-payant, quand le problème n’est pas « qui paie le médecin ? » mais « comment un médecin peut-il indéfiniment fonctionner correctement avec des tarifs déconnectés du coût de sa pratique ? »
A chaque épisode, la seule chose qui semble importer à la Ministre est son propre affichage médiatique : abonnée aux dîners du Siècle (3) , Marisol Touraine ne cesse de scander à qui veut encore l’entendre qu’elle est « de gauche », résolument « de gauche », épidermiquement « de gauche » un peu comme une Carla Bruni sous acide.
Le tiers-payant existe depuis longtemps
Reprenons en amont : le tiers-payant existe, depuis longtemps, et les médecins le pratiquent, depuis longtemps.
Certains parce qu’ils sont conscients de faciliter ainsi le recours aux soins de certains patients (4), et parce que cela leur permet de faire honorer les « petits actes » comme les actes plus lourds.
Le tiers-payant existe, et aucune des études menées depuis des années n’a mis en évidence ce que clament nombre de ses détracteurs, à savoir qu’il pousserait à la consommation de soins par des patients irresponsables. (5)
Le tiers-payant existe, et a toujours été combattu par une frange conservatrice de la profession, considérant que le patient DOIT payer de sa poche pour que le soin ait un sens. Mais non contents de camper sur leurs positions, leurs syndicats réactionnaires ont tout fait pour empêcher les généralistes ( et seulement les généralistes) de pratiquer le tiers-payant s’ils le souhaitaient.
CSMF et SML mirent ainsi à bas en 2004 le système optionnel du médecin référent, dans lequel le généraliste, en contrepartie d’un forfait annuel, se formait indépendamment des firmes pharmaceutiques, tenait un dossier informatisé, et pratiquait le tiers-payant intégral pour ses patients, en étant payé directement par l’Assurance-Maladie, qui se tournait ensuite vers les assurances ou mutuelles pour récupérer la part complémentaire.
( J’en vois qui ne suivent pas : l’Assurance-Maladie rembourse en général 70% du tarif de l’acte – soit par exemple 16,10 euros sur une consultation à 23 euros- et la complémentaire rembourse le restant, soit 6,90 euros. En théorie.)
Petits arrangements politiques entre amis sur le dos des patients et des généralistes
En 2004, il y a dix ans, Chirac plaça à la tête de l’Assurance-Maladie un assureur, Frédéric Van Roekeghem, qui ( pur hasard) venait d’AXA, dont, ( re-pur hasard), le PDG Claude Bébéar était un ami de trente ans du Président de la République. (Et on sait combien l’amitié, à l’UMP, est un bien précieux) (6)
Van Roekeghem avait une mission : au nom de la sauvegarde de l’Assurance-Maladie solidaire, utiliser les techniques libérales de l’assurance privée pour « dégraisser le mammouth ». Dans ce jeu de dupes, l’accès aux soins des patients fut prétexte à un petit arrangement politique entre amis.
Xavier Bertrand et Frédéric Van Roekeghem ( merci à l’UCDF)
Douste-Blazy, cardiologue à mèche spécialiste du massage cardiaque assis, fut envoyé sur les plateaux de télé pour vanter la réforme dite du « médecin traitant ». En back-office, Xavier Bertrand, accessoirement ancien d’AXA lui aussi ( le monde est petit, et plein d’amusantes coincidences), se rapprochait des syndicats réactionnaires et leur offrait sur un plateau les têtes des 11.000 généralistes référents. Assurés que le médecin traitant, dénué de moyens financiers, ne pourrait en aucune façon tenir le rôle de coordination qui lui était dévolu, CSMF et SML signèrent des deux mains la convention, poignardant dans le dos la médecine générale, qui ne s’en est jamais remise. (7)
Brimades et poursuites : l’Assurance-maladie ne défend pas le tiers-payant
Du côté de l’Assurance-Maladie, Frédéric Van Roekeghem empila les contraintes administratives, les contrôles, les brimades. Sous sa direction, le nombre d’arrêts de travail litigieux passa brutalement du simple au double ( quitte à utiliser des tours de passe-passe peu glorieux) , justifiant ainsi politiquement la chasse aux abus sarkozyste. Comme tout ultralibéral qui se respecte, l’ancien assureur voulut mettre en place sa propre alternative à l’option référent, la « rémunération à la performance ». CSMF et SML participèrent à la mise en œuvre de ce permis à points, qui chaque année fait office de marronnier pour nombre de journalistes de l’information sociale, lesquels titrent régulièrement sur « ce treizième mois pour les généralistes » sans jamais révéler que les items médicaux choisis pour cette rémunération sont pour certains moisis ( dosage des fractions du cholestérol, prescription d’aspirine ou de statine systématique aux diabétiques) voire carrément scandaleux ( promotion aveugle de la mammographie systématique de dépistage, alors que s’amassent les études prouvant sa faible utilité et les risques du surdiagnostic : mastectomies inutiles, etc…)
Dans le même temps, obéissant à la Voix de son Maître, Frédéric Van Roekeghem reproduisait le discours sarkozyste, récoltait les franchises dans la poche des cancéreux et des malades d’Alzheimer. Des directeurs de caisse, bien dressés, pourchassaient pendant ces années-là les soignants pratiquant encore le tiers-payant. La caisse du Lot et Garonne menaçait de poursuites médecins et infirmiers. Leur large utilisation du tiers-payant était considérée comme « une dérive » par Gilbert Pécouil (8), le directeur de la CPAM départementale, y compris dans le cadre des patients atteints d’une « affection longue durée » : « Le tiers payant est prévu en cas de précarité. L’ALD n’en est pas une forcément : c’est au professionnel de juger de la situation.» Frédéric Van Roekeghem laissa faire. (9)
Moi, Président des « mutuelles pour tous »
Lorsque François Hollande, le candidat du Parti « Socialiste », arriva au pouvoir, on put espérer un temps une amélioration de la situation. L’inverse se produisit. La politique de santé fut confiée à une grande bourgeoise qui, comme nombre de politiques, n’y comprenait que pouic.
Van Roekeghem, hier conspué, fut célébré par les anciens opposants aux franchises. L’ancien assureur d’AXA était donc « ce grand serviteur de l’Etat avec qui il est très agréable de travailler », selon Catherine Lemorton, députée « socialiste » et présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée, qui vanta dans les colonnes du Monde les qualités de celui que le quotidien considérait comme « le véritable ministre délégué à la Santé ».
Catherine Lemorton, alors encore opposée aux franchises et aux assureurs à la tête de la Sécu ( mais le changement c’est pour bientôt)
Dans le même temps, les incestueuses relations entre politiques et assureurs continuaient. Nicolas Sarkozy s’était montré prudent. Son frère Guillaume l’avait été nettement moins, déclarant à son arrivée à la tête du groupe Mederic : « Mon ambition est que Médéric relève les défis des réformes à venir qui transformeront profondément l’intervention des acteurs complémentaires, notamment dans le domaine de la santé, pour jouer un rôle de premier plan dans l’amélioration des services de protection sociale ».
Manifestation d’étudiants en médecine en 2007
Hollande, lui, ne se gêna pas, déroulant le tapis rouge à Etienne Caniard, « médiatique » (10) directeur de la Mutualité Française.
«Une mutuelle pour tous», glapissaient les sbires hollandais qui firent passer l’ANI ( Accord National Inter-Entreprises) au forceps, omettant de pointer que comme leurs prédécesseurs, ils poursuivaient le désistement programmé de l’Assurance-Maladie, ouvrant le marché des soins de ville aux assureurs privés, y compris ceux se parant encore de la raison sociale « mutuelle ».
A l’Assemblée Nationale, Bruno Le Roux ( ancien vice-président de la très sulfureuse MNEF) déposait une loi permettant aux complémentaires de créer leurs propres réseaux de soins, et Fanélie Carrey-Conte, en tant que rapporteur de cette loi Le Roux, fustigeait les médecins réticents. On a récemment pu voir le premier à l’œuvre, menaçant servilement de représailles les députés encore «socialistes» rechignant à couvrir d’un voile pudique la longue série des renoncements hollandais. Tandis que la seconde fait actuellement plutôt profil bas, la tristement célèbre Mutuelle des Etudiants ( LMDE) , dont elle fut longtemps administratrice, ayant été de manière répétée dénoncée pour sa gabegie et l’indigence stupéfiante de sa gestion par la Cour des Comptes, Que Choisir, et bien d’autres. Faire carrière politique ou servir l’intérêt public, le choix est parfois cruel. Mais pas pour tout le monde, apparemment. (11)
A l’automne 2012, devant un Etienne Caniard satisfait, Marisol Touraine vint annoncer au Congrès de la Mutualité Française que le gouvernement reportait d’une année l’obligation de publication des frais de gestion des mutuelles « dont nous connaissons les difficultés qu’elles créaient pour vous » ( On croit rêver, je sais). (12)
Nous semblons avoir dérivé très loin de la question initiale, celle du tiers-payant, mais un peu de patience, vous allez voir que nous sommes en fait très proche du cœur du réacteur.
Un gouvernement « socialiste » converti au néolibéralisme
Le gouvernement « socialiste », de reniement en reniement, cale de manière de plus en plus évidente son action sur le modèle de son prédécesseur, ignorant le peuple, flattant les puissants, se prosternant devant la banque.
Le calamiteux Hollande a nommé Ministre des Finances un fraudeur fiscal de compétition. Son conseiller personnel, rédacteur du fameux discours : « Mon adversaire c’est la finance », s’est révélé être un menteur pétri de conflits d’intérêt avec les firmes pharmaceutiques.
Hollande et Morelle: Leur adversaire, c’est la finance
Il a récemment viré son secrétaire général, ancien banquier de HSBC, pour le remplacer par une économiste de la Bank of America Merryll Lynch, accessoirement administratrice à jetons dans le groupe de luxe de François Pinault.
Pour Hollande et Valls, comme pour Margaret Thatcher avant eux : There Is No Alternative.
Conformément aux préceptes néolibéraux, et au dogme de la réduction des dépenses publiques, seule à même de permettre de continuer à servir aux banques les intérêts d’une dette illégitime, il faut réduire les dépenses sociales, quoiqu’il en coûte. Et pour ce faire, basculer progressivement la prise en charge de la protection sociale de la Sécu vers les complémentaires, affolées par ce gigantesque marché (13).
La mise en place du tiers-payant vise, dans ce contexte, à habituer le patient à ne plus payer le professionnel de santé directement, non pas tant pour lui faciliter l’accès aux soins, mais pour permettre un désengagement progressif et invisible de la Sécurité Sociale au profit des complémentaires. Ce qui se joue, c’est l’indépendance professionnelle du soignant, mise à mal par l’assureur-payeur, bien éloigné d’une logique solidaire. (14)
Une usine à gaz signée Xavier Bertrand
D’autant que la réforme mise en place par Xavier Bertrand a profondément complexifié les remboursements des soins, instaurant aujourd’hui des pénalités parfois incompréhensibles aux patients qui n’auraient pas choisi de médecin traitant… mais aussi à ceux, nombreux, pour lesquels les organismes d’assurance-maladie ont perdu trace administrative de cette déclaration, ou même ceux dont le médecin cesse son activité ou décède. Ces retenues et pénalités, nombre de patients ne s’en rendent pas compte, tant le « parcours de soins », grâce à Xavier Bertrand et Frédéric van Roekeghem, est une usine à gaz. Les médecins qui pratiquent le tiers-payant, eux, en sont bien conscients, car c’est eux qui subissent de plein fouet les erreurs des caisses, qu’ils imputent le plus souvent en pertes pures et simples. Le coût du recouvrement de ces erreurs fréquentes n’est pas nul : une étude sur les centres de santé l’a chiffré à près de 4,38 euros par acte(15) !
Le seul moyen de généraliser le tiers-payant serait donc, dans un premier temps, d’assurer un payeur à guichet unique, l’Assurance-Maladie, qui règle le professionnel de santé directement puis se retourne vers les complémentaires. Frédéric Van Roekeghem y rechigne : le cost-cutter que Chirac a mis en place, que Sarkozy a apprécié, que Hollande a conforté, a suffisamment taillé dans les effectifs des caisses pour que ce qui hier, du temps de l’option référent, était envisageable, le soit beaucoup moins aujourd’hui, alors que les dossiers en attente s’empilent dans les CPAM, incapables même de comptabiliser correctement le nombre de patients qui ont déclaré tel ou tel médecin comme médecin traitant.
Quand on n’est même plus capable de tenir à jour correctement un listing du nombre de patients d’un médecin, comment organiser le remboursement des actes, et gérer la multiplicité des 600 complémentaires et la grande médiocrité informatique et administrative de nombre d’entre elles ?…
Marisol Touraine, moderne Marie-Chantal, n’en a rien à faire. La ministre veut laisser une marque, une marque « sociââââle », et l’intendance suivra.
Du moins le croit-elle, en empilant sur les épaules d’une CNAM en difficulté gestion du tiers-payant et relance du « Dossier Médical Partagé » promis par son prédécesseur Douste-Blazy depuis… 2004. En complexifiant les tâches administratives de recouvrement de médecins dont le temps utile consacré au soin ne cesse de diminuer dans un univers de contraintes accumulées. Dans la grande lignée des réformes «socialistes», elle annonce une réforme courageuse… dont d’autres feront les frais.
Marisol Touraine, pompier-pyromane
Rendre le tiers-payant obligatoire, dans l’état actuel des flux informatiques soignant-AssuranceMaladie-complémentaires, est impossible, et conduira à l’explosion du système.
Si Marisol Touraine voulait généraliser le tiers-payant, il faudrait commencer par faire cesser les brimades qu’encourent aujourd’hui les médecins qui le pratiquent… et mettre en place un payeur unique. Il faudrait ôter les freins existant à la réalisation du tiers-payant par les soignants qui y sont attachés, et rémunérer le coût de cette tâche administrative, comme ce fut le cas du temps de l’option référent. Mais cela conforterait le rôle de l’Assurance-Maladie solidaire, dont le pouvoir politique, depuis plus d’une décennie, envisage avec soulagement la mort.
Dans l’état actuel des choses, outre l’inflexion du discours ( moins culpabilisant envers les patients) le tiers-payant généralisé de Marisol Touraine n’est donc que la caution sociale d’une politique antisociale.
Médecin généraliste depuis 1984, Christian Lehmann est écrivain, auteur de la trilogie « No Pasaran » ( Ecole des Loisirs) et de « Patients si vous saviez » ( Points-Seuil)
(1) Le docteur Ortiz passe sous silence l’essentiel, à savoir que la CSMF est l’un des responsables du bordel sanitaire actuel en médecine de ville, et non des moindres.
(2) Rendez-vous rapide avec le professeur renommé pour les (très) riches, rendez-vous plus tardif, éventuellement avec un membre de son équipe, pour le commun des mortels
(3) Le Siècle est un club fermé réservé à de grands « décideurs » financiers, industriels, et politiques, et autres éditocrates médiatiques : l « Elite » de la nation, en somme….
(4) Je pratique le tiers-payant parce qu’il facilite l’accès aux soins des patients aux ressources limitées ( pas seulement les patients bénéficiant de la CMU, comme il est dit souvent, mais les personnes âgées aux faibles retraites, les jeunes couples, les étudiants, etc…).
(5) L’irresponsabilité supposée des patients fut la grande litanie des temps sarkozystes, d’où la franchise sur les soins :
-franchise que Sarkozy mit en place
-franchise qui fit reculer l’accès aux soins des plus faibles
-franchise que les députés socialistes dénoncèrent lorsqu’ils étaient dans l’opposition
-franchise qui n’étouffe plus les mêmes députés socialistes maintenant que leur clan est aux affaires.
(6) On me glisse à l’instant même dans l’oreillette qu’au Parti « Socialiste » aussi, l’amitié est un bien précieux., comme le prouve Manuel Valls aux côtés de son ami Henri de Castries, actuel PDG d’AXA ( comme c’est charmant, toutes ces coincidences)
(7) L’option référent fut supprimée d’un trait de plume, et les deux syndicalistes signataires de ce forfait reçurent en temps utile la Médaille de la Légion d’Honneur des mains de Xavier Bertrand. On n’est jamais si bien servile que par soi-même.
(8) « Que ton nom soit inscrit quelque part… » Lorsqu’on Google le nom du zélé directeur, seuls remontent des articles sur les conflits internes de la caisse avec ses salariés { «Vous savez qu’on prend des antidépresseurs pour venir travailler ici ! » lance un agent} , des « soucis de remboursement » dans le département pour les pharmaciens en tiers-payant, ou encore un interview dans lequel le directeur affirme son implication dans les programmes de dépistage du cancer du sein et du colon ( dont la pertinence laisse fortement à désirer….) . Mais jusqu’ici, sa vision très particulière du rôle d’une Sécurité Sociale Solidaire, et ses menaces envers des professionnels de santé pratiquant le tiers-payant envers des patients en affection de longue durée, semblait être passé sous le radar du World Wide Web. L’injustice est réparée.
(9) Dans une tribune récente sur Mediapart, l’ami Marcel Garrigou-Grandchamp, spécialiste des questions juridiques à la Fédération des Médecins de France, le souligne : «Il faut aussi savoir, mais cela n’est pas politiquement correct, et ce n’est donc pas dit haut et fort, que l’assurance maladie n’est pas favorable au tiers payant ! Un exemple lorsque ses pôles de contrôle passent au crible l’activité d’un médecin (par exemple lors d’une procédure dans le cadre de l’art 315 du code de la sécurité sociale) tous les actes en tiers payant sont considérés comme suspects !» On notera aussi qu’une des raisons de l’opposition du directeur de l’Assurance-maladie au tiers payant intégral… est que celui-ci complexifie énormément la récupération des franchises qu’il lui faut ensuite aller réclamer directement aux assurés…
(10) On ne compte plus dans les média les tribunes du directeur de la Mutualité Française, les colloques que celle-ci sponsorise. On ne s’étonne pas de voir Alternatives Economiques (pourtant sourcilleux sur la question des conflits d’intérêt… chez les autres) réaliser son Spécial Santé avec le «partenariat » de la Mutualité Française, ni de voir Eric Favereau, dans Libération, louer « une des personnalités les plus attachantes et les plus compétentes du monde de la santé » entre deux Jeudi de la Santé organisés en partenariat avec…. vous aurez deviné…la Mutualité Française.
(11) Que Choisir révèle opportunément que Laurence Rossignol, l’actuelle Secrétaire d’Etat à la Famille et aux personnes âgées a été salariée pendant 18 ans par la LMDE pour un emploi qu’on semble pouvoir aisément qualifier de…. discret. Combien de hiérarques socialistes ont-ils ainsi émargé dans ce système «mutualiste», qui sait au moins se montrer «solidaire» envers ses amis?
(12) La publication des frais de gestion des mutuelles semble effectivement poser à celles-ci « quelques difficultés». Comment, effectivement, révéler aux assurés la part considérable de leurs cotisations qui sert à financer les salaires faramineux de certains dirigeants collectionneurs de voitures de course, les rallyes automobiles et les courses nautiques, sans oublier les confortables émoluments de comiques autrefois surréalistes ( Chevalier et Laspalès) depuis longtemps reconvertis dans la traite des pigeons ?
(13) Que les complémentaires françaises aient les yeux plus gros que le ventre, et soient elles-même menacées à terme par le jeu de l’ultra-concurrence libérale, est un autre problème. Le marché de la santé fait bander les assureurs, comme les subprimes faisaient bander Lehman Brothers. Beaucoup resteront sur le carreau… et commencent, un peu tardivement, à s’en rendre compte…. Alors que François Hollande fait des pieds et des mains pour faire adopter le traité transatlantique, il est urgent de rappeler ce qu’écrivait dès 1999 la Coalition des industries de service américaine au sujet des négociations du GATT: « Nous pensons pouvoir progresser largement dans les négociations afin de dégager les opportunités pour les compagnies américaines de s’implanter sur les marchés de soins étrangers… Historiquement les services de santé dans de nombreux pays ont été sous la responsabilité du secteur public. Cette appartenance au secteur public a rendu difficile l’implantation marchande des industries de service du secteur privé US dans ces pays…» A bon entendeur…
(14) Il suffit de voir la manière dont les banques et assurances font pression sur les patients, au nom de la loi Kouchner ( !!!) , pour forcer leur médecin à révéler des pans entiers de leur dossier médical, au mépris de la législation, lors des négociations de prêt, pour savoir à quoi ressemblera un monde où le médecin est financièrement lié à l’assureur «complémentaire».
(15) La médecine d’équipe avec application du tiers payant systématique a un coût que cette étude aura permis de chiffrer précisément :
coût du tiers payant par acte : 4,38 € (soit 20 % sur un acte de généraliste) ;
gestion des rejets et actes impayés : 5 % du chiffre d’affaires de la structure.
La pratique du tiers payant qui concerne obligatoirement les centres de santé d’aujourd’hui et les maisons de santé de demain (partie obligatoire du cahier des charges du rapport Juilhard- Vallancien) est d’abord un service pour le patient. Elle sous-entend la mise en place d’un accueil administratif et social. En effet, il est nécessaire pour chaque patient de vérifier ses droits ou de lui « dire ses droits » que souvent il ignore (AME, CMU, CMUC).
Cette simple fonction engendre un surcoût de 25 % par rapport à un exercice libéral classique.
in: La place des Centres de Santé dans l’Offre de Soins Parisienne, Richard Bouton Consultants.