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Méta
Archives de l’auteur : Babeth
Alors elle se tait
Ailleurs
Voilà, c’est fini. Après six ans d’aventure bloguesque anonyme (ou presque), j’arrête. Les blogs de Babeth resteront en ligne, mais je serai ailleurs. Et dans cet ailleurs, je serai moi, enfin.
J’ai raconté beaucoup de choses ici et là. Quelques autres aussi par là.
J’ai parlé de jolies choses, de ces beaux moments qui me faisaient aimer mon métier, et de choses moins jolies, beaucoup moins jolies, qui me faisaient douter de tout, et surtout de moi. Et vous étiez là.
J’ai parlé de mon père, de sa maladie, de sa mort, du deuil si difficile. Et vous étiez là.
J’ai parlé de l’école, des stages, de mes doutes incessants, de mon craquage complet en fin de formation. Et vous étiez là.
Et pour tout ça, merci, vraiment.
Ces blogs m’ont permis de faire de très belles rencontres. Ils m’ont aussi et surtout permis de m’exprimer, d’écrire un tas de choses que je n’aurais sans doute pas osé dire « en vrai », avec mon nom. Mais ça commençait à devenir compliqué. Compliqué pour moi d’être Babeth, et compliqué pour Babeth d’être moi. Vous suivez? Parce que parfois j’avais envie de défendre mes écrits, mais c’était ceux de Babeth. Parce que parfois Babeth avait envie de vous parler de ce qu’elle écrivait ailleurs, mais c’était moi, avec mon nom. Vous suivez toujours?
J’ai fait un peu de ménage ici, quelques billets ont disparu. Bizarrement, ce ne sont pas les plus personnels. Je commence une nouvelle aventure, avec mon vrai nom, et finalement ça n’est pas si compliqué que ça. Oh, j’avoue, je me la joue facile puisque pour le moment je me contente de reprendre de vieux billets… Mais il faut bien commencer non?
Allez, je me lance! C’est par ici, c’est tout nouveau, ça sent encore la peinture : http://soignanteendevenir.blogspot.fr/
À bientôt?
De l’autre côté…
Avant, j’étais monitrice éducatrice. Je travaillais avec des personnes psychiquement handicapées, dans une équipe pluridisciplinaire, et j’aimais ça. J’avais la fabuleuse impression de me sentir utile. En réunion, les professionnels décortiquaient les histoires de vie et les faits et gestes des résidents, essayaient de comprendre plein de choses et de proposer des accompagnements adaptés. Une fois par an, la famille était invitée pour la restitution de la synthèse, mais la plupart du temps elle était la grande absente de la prise en charge. On parlait beaucoup d’elle, mais on lui parlait peu. Après tout, si les enfants étaient handicapés, il y avait bien une raison non? Et comme le dit si bien le proverbe, la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre…
Puis j’ai déménagé, je me suis mariée, j’ai eu un enfant… et je suis devenue la maman d’une enfant handicapée. Je me suis retrouvée de l’autre côté. « Du mauvais côté ». Je n’étais plus la professionnelle diplômée qui accompagnait l’enfant/l’adolescent/l’adulte handicapé, j’étais la mère perdue qui venait demander de l’aide. Je n’étais plus la professionnelle diplômée qui avait des réponses, j’étais la mère démunie qui avait des questions. Je n’étais plus la professionnelle diplômée bientraitante et bienpensante qui savait ce qui était bien/pas bien pour les autres, j’étais la mère forcément coupable qui ne savait pas ce qui était bien pour sa propre fille.
J’ai cessé d’être monitrice éducatrice. D’une part parce qu’il n’y avait que très peu de postes dans ma région, d’autre part parce que c’était un peu compliqué de me remettre dans la peau d’une professionnelle diplômée alors que je me sentais comme une maman ratée ayant probablement gâché la vie de sa fille.
Ma fille a grandi. Le spectre du handicap s’est éloigné et j’ai cessé d’être une maman d’enfant handicapée. Je suis une maman, point. Mais je ne suis pas redevenue monitrice éducatrice pour autant, parce qu’il y a toujours aussi peu d’offres.
Je suis devenue aide à domicile, puis aide-soignante. Je suis tombée amoureuse de la gériatrie et je n’imaginais pas la quitter, mais un très joli hasard a mis une bonne étoile sur mon chemin et j’ai atterri en psychiatrie. Je reviens « du bon » côté. Je redeviens une professionnelle diplômée. Mais mon regard a changé.
Un jour j’ai entendu une infirmière dire qu’elle voulait se spécialiser en addictologie et, plus tard, travailler avec des enfants handicapés, car parmi ces derniers il y en avait beaucoup dont les parents étaient alcooliques. J’ai eu un pincement au coeur en me disant que c’était peut-être ce que l’équipe éducative avait pensé de nous à l’époque où Amélie était considérée comme handicapée.
Un autre jour j’ai entendu un soignant parler de la vie « dissolue » d’un résident séropositif et dément, sous-entendant que bon, il l’avait un peu cherché quand même. J’ai eu un pincement au coeur en me disant qu’en plus d’être malade et interné, ce patient devait aussi porter le poids du jugement des bien-portants.
Un dernier jour enfin j’ai assisté impuissante au discours moralisateur d’un soignant qui reprochait à un patient son manque de savoir-vivre. J’ai eu un pincement de coeur en me disant que si j’étais à ce point privée de la simple liberté d’avoir une vie « normale », je n’aimerais pas qu’en plus on vienne me donner des leçons sur ce qu’il convient de faire et de dire dans cette vie que je n’ai pas choisie.
Que serait ma vie si je n’étais pas soignante mais soignée?
Que serait la vie d’Amélie si elle était encore considérée comme une enfant handicapée?
Que serait la vie de mes parents si leurs addictions les avaient menés à la maladie plutôt qu’à la mort?
Que seraient nos vies si nous n’avions pas la chance d’être « du bon côté »?
La vie rêvée de l’aide à domicile. #2
Un témoignage de Sophie, auxiliaire de vie dans une entreprise de services à la personne.
Je suis déléguée du personnel. Il y a deux ans j’ai demandé expressément à ma gérante de mettre en place le temps de déplacement. Obligatoire. On m’a ri au nez mais on m’a toutefois envoyé un courrier m’assurant que ça allait être fait.
Je n’y ai jamais cru mais après tout si une bande de dindes accepte de se faire voler au détriment de leur sécurité et et de leur confort de travail…. Je ne vais pas me battre pour des esclaves qui se foutent de la convention.
Cale pied enfoncé dans le mollet, scanner du tronc cervical etc…
La gamine choquée que qui a failli tuer ma fille est rentrée dans ma boîte il y a quelques mois et est censée être à deux endroits a la fois. Elle n’a pas de temps de déplacement.
Certaines collègues me reprochent parfois mon agressivité et mon ton cru.
Toutes celles qui s’assoient sur nos droits je leur souhaite d’avoir une gosse qui s’éclate sur leur capot. Ou même de glisser et de se briser une épaule comme une de mes collègues.
J’étais encore aux urgences que ma boss m’envoyait un texto pour me dire que les heures manquées seraient à rattraper.
Ma fille ne peut pas monter les escaliers seule. Et bien croyez le ou non je suis censée, à partir de lundi, aller chez un nouveau client de 17h à 19h. Ça fait cinq ans que je travaille dans cette boîte, et quatre ans et demie que je travaille de 8h à 13h et de 14h à 17h. J’élève seule mes deux enfants, la gérante sait depuis longtemps que je ne suis pas disponible après 17h, et pourtant…
Pour info, la convention collective dont dépend l’entreprise de Sophie est la Convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012 (cc 3217). Vous pouvez la consulter ici.
Concernant les temps de déplacement entre deux interventions, il est précisé au Chapitre II, section 2 :
e) Temps de déplacement entre deux lieux d’intervention
Le temps de déplacement professionnel pour se rendre d’un lieu d’intervention à un autre lieu d’intervention constitue du temps de travail effectif lorsque le salarié ne peut retrouver son autonomie.
En cas d’utilisation de son véhicule personnel pour réaliser des déplacements professionnels, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à 12 centimes d’euros par kilomètre.
f) Temps entre deux interventions (1)
Les temps entre deux interventions sont pris en compte comme suit :
-en cas d’interruption d’une durée inférieure à 15 minutes, le temps d’attente est payé comme du temps de travail effectif ;
-en cas d’interruption d’une durée supérieure à 15 minutes (hors trajet séparant deux lieux d’interventions), le salarié reprend sa liberté pouvant ainsi vaquer librement à des occupations personnelles sans consignes particulières de son employeur n’étant plus à sa disposition, le temps entre deux interventions n’est alors ni décompté comme du temps de travail effectif, ni rémunéré.
La douloureuse attente
Été 2012.
Le crabe a gagné, il a perdu. Il va bientôt mourir. Il le sait, sa famille le sait, les soignants le savent. C’est plus simple ainsi. Pour l’heure, il bénéficie des soins palliatifs à domicile, avec passage quotidien des infirmiers et aides-soignants. Ça se passe plutôt bien, quelques couacs avec la pharmacie mais rien d’insoluble. Sauf ce soir. Ce soir, il y a un problème avec la perfusion. Il est tard et l’infirmière de l’HAD ne peut pas se déplacer, pas d’autre choix que les urgences. Embarquer un père en fin de vie et sa fille en fin de grossesse n’est pas une mince affaire, heureusement que le fils est ambulancier, ça aide! Après un trajet légèrement angoissant (pourquoi cette fichue perfusion ne veut-elle pas s’écouler normalement?), la petite famille arrive à bon port. Chance inouïe, il n’y a que deux personnes en salle d’attente. Chic, ça devrait aller vite, et tant mieux parce que tout le monde est crevé!
L’enregistrement est assez rapide. Le monsieur est suivi dans cet hôpital, ça tombe bien. Commence l’attente.
La première heure passe presque vite. On discute, on bouquine, on dit bonsoir aux nouveaux arrivants. C’est presque amusant de se trouver là. Si la fille accouche maintenant, elle sera bien entourée, dit-elle en riant!
La deuxième heure est plus difficile. Le père ne dit rien mais il serre les dents. Le fils fait des allers-retours entre la petite salle d’attente et l’accueil. Pourquoi est-ce si long? Pourquoi personne ne vient voir son père? Pourquoi ne propose-t-on pas un lit à ce dernier pour qu’il puisse au moins se reposer?
La troisième heure est éprouvante. Le père souffre. Il ne dit rien, mais ses enfants ont remarqué le tremblement qui l’agite. Dans l’angoisse qui a précédé le départ, personne n’a pensé à prendre la morphine. Ils demandent à la dame de l’accueil si elle peut prévenir un médecin, mais celle-ci leur répond qu’il y a hélas d’autres urgences à gérer. La douleur, ça n’est pas une priorité ici.
La quatrième heure est horrible. Un lit s’est libéré et le père peut enfin s’allonger en attendant qu’un médecin le voie. Mais il n’a toujours pas reçu d’antalgique. Un cancer, au stade terminal, ça fait mal. Très mal. N’importe quel soignant sait cela. Mais ça a l’air tellement compliqué de trouver de la morphine dans cet hôpital… Le fils est furieux. Ils sont venus pour un petit problème de perfusion, n’ayant pas d’autre choix que les urgences, ils n’imaginaient pas que ça se transformerait en séance de torture. Du coup, il est de moins en moins patient. Il a envie d’insulter tout le monde, mais il n’y a personne d’autre que la dame de l’accueil, qui d’une part n’y est pour rien, et d’autre part est fort aimable, alors ce serait dommage. La fille est furieusement inquiète. Pour son père qui souffre d’abord. Mais aussi, plus égoïstement, pour elle. Elle se dit que si elle doit accoucher dans cet hôpital, elle a intérêt à venir avec un stock de paracétamol, parce que pour la péridurale c’est pas gagné! Le père est furieux. Mais lui, il est trop faible pour dire quoi que ce soit, alors il se tait.
Cinquième heure. La perfusion est réglée, ça n’était pas très grave finalement. La petite famille rentre enfin chez elle et le père peut enfin prendre sa morphine. Tout le monde est épuisé, et amer. L’attente, le stress, l’absence des soignants, tout ça, ils peuvent le comprendre. Il y avait d’autres urgences que la leur, et la jeune fille avec sa fracture du coude arrivée après eux était une situation bien plus urgente que leur perfusion bouchée.
Mais la douleur, putain, la douleur! Comment peut-on à ce point ignorer quelqu’un qui a mal? Comment peut-on le laisser plusieurs heures durant sur un siège en métal sans même lui proposer ni fauteuil ni antalgique? Comment peut-on oser lui dire qu’on ne peut rien lui donner d’autre que du paracétamol? Pour un cancer au stade terminal dont il mourra quelques semaines plus tard?
Comment peut-on soigner sans prendre soin?
Et c’est le buuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuut!
En ce moment, les résidents ne parlent que de l’Euro2016… J’envisage donc d’adapter ma pratique professionnelle en conséquence 😉
La vie d’avant
20 septembre 1994.
Sept heures. Le bip-bip du réveil sort Christelle du sommeil. Elle s’étire longuement, enfile ses chaussons et descend silencieusement les escaliers. Il ne faut pas réveiller les enfants. Elle prépare le café et, pendant qu’il coule, allume le chauffage dans la salle de bain. Café, cigarette, douche. La petite demi-heure calme de la journée, avant la course. Puis tout s’enchaîne : il faut réveiller les enfants, les préparer, les emmener à l’école, filer au boulot… S’il n’y a pas trop d’embouteillages elle arrivera avec cinq minutes d’avance et se prendra un petit café-clope avec les collègues avant de commencer.
Christelle est vendeuse en librairie. Elle aime son boulot, elle le trouve intéressant et l’équipe est sympa. Ce soir, elle fera un petit crochet par la boutique d’à côté avant de rentrer. Elle y a repéré une jolie veste qui serait parfaite pour le mariage de son frère. La vendeuse est sympa, elle lui fera une petite ristourne. Quand elle arrivera chez elle, son mari sera déjà rentré et aura préparé le repas. Ils mangeront tous ensemble, coucheront les enfants et elle profitera du calme du début de soirée pour appeler ses parents.
20 septembre 2014.
Sept heures. Deux coups brefs frappés à la porte, le bruit de la clé de la serrure, le soignant entre dans la chambre.
– Bonjour Christelle, il est sept heures! Bien dormi? Tu sors du lit et tu vas dans la salle de bain, je prépare tes vêtements et j’arrive.
Christelle s’étire, enfile ses chaussons et se dirige dans la salle de bain. Là, elle prend sa douche sous le regard et avec l’aide du soignant.
Quand elle revient dans la chambre, ses vêtements sont posés sur le lit. Pantalon noir, t-shirt bleu, pull bleu. Elle aurait préféré un autre pantalon, mais impossible de changer, son placard est fermé à clé et le soignant est pressé. Tant pis.
Huit heures moins dix. Christelle attend devant la porte de la salle à manger avec les autres résidents. Le petit-déjeuner est servi à huit heures, il faut patienter.
Huit heures et demie. Christelle a bu son café et mangé ses tartines. Chez elle, elle mangeait du pain aux céréales le matin, mais ici il n’y en a pas. Elle débarrasse son plateau et se dépêche de sortir de la salle à manger, trop bruyante à son goût. Dans une demi-heure le soignant lui donnera sa cigarette, il faut patienter encore un peu. Ici, tout est compté. C’est un café le matin, pas plus, et une cigarette à 9h. Le budget est serré, le café coûte cher à la société qui paie pour les malades et le prix du tabac augmente plus vite que l’Allocation aux Adultes Handicapés.
Neuf heures dix. Christelle a fumé sa cigarette et elle attend. Pas d’activité programmée ce matin, elle essaiera de trouver quelqu’un, soignant ou soigné, pour une partie de dominos, en attendant la cigarette de onze heures.
Midi. Au menu, crudités, poisson, riz et petits légumes, yaourt aromatisé, fruit. Christelle demande si elle peut avoir un yaourt à la fraise au lieu de celui à l’ananas. Impossible, il n’y en aura pas assez pour tout le monde si chacun décide du goût qu’il préfère.
L’après-midi s’écoule lentement. Cigarette de treize heures, sieste, cigarette de quinze heures, télé, goûter, cigarette de dix-sept-heures, télé… Comme tous les jours, Christelle dit au soignant qu’elle aimerait s’acheter un nouveau sac à main. Comme tous les jours, le soignant lui répond qu’il faut voir ça avec son tuteur et en discuter en équipe par la suite afin de programmer une sortie.
Vingt heures. La journée est bientôt finie. Christelle a mangé, fumé sa dernière cigarette de la journée, et elle attend maintenant que le soignant passe lui donner son traitement pour la nuit. Quand il arrive, elle lui dit qu’elle aimerait appeler sa fille.
– Pas maintenant Christelle, tu sais bien que le soir on n’a pas le temps pour les accompagnements personnalisés. Tu en parleras à ton référent et vous ferez ça ensemble, d’accord? Allez, bonne nuit Christelle, à demain.
Christelle s’endort rapidement. Aujourd’hui était comme hier et demain sera comme aujourd’hui. Parfois, elle repense à sa vie d’avant, quand elle pouvait choisir ce qu’elle buvait, mangeait et fumait, quand elle s’habillait comme elle en avait envie et téléphonait sans attendre qu’on lui en donne l’autorisation. Quand tout était si simple. Mais ça, c’était avant. Avant la maladie, et avant l’hôpital.
Vingt et une heures. Transmissions.
– Christelle a eu beaucoup de demandes aujourd’hui, dit un premier soignant.
– Oui, en ce moment elle est exigeante, il lui faudrait tout et tout de suite. Mais bon, ça fait partie de sa pathologie ça, elle est intolérante à la frustration, répond le deuxième soignant.
Laisse-toi faire #2
Le début de l’histoire est ici.
Elle s’endort tard, elle ne se sent pas bien, et tellement coupable de n’avoir pas protesté plus fermement.
– Pourquoi as-tu pleuré hier soir? lui demande soudain Stéphanie.
Elle est sidérée par cette question. Son amie n’a-t-elle rien vu elle non plus? Et si c’était elle qui se faisait des films? Et si tout cela était vraiment normal?
La matinée s’écoule, ils mangent, puis les gamines vont à leur cours de gym. Le parrain est venu. Il passe une heure au fond de la salle à les regarder. Elle rate tous ses enchaînements ce jour-là, son regard insistant la gêne, elle rase les murs pour l’éviter. Lui, il sourit, l’air calme… et normal.
17h, fin du cours. Elle rentre chez elle directement et s’enferme dans sa chambre. Sa mère vient la voir pour lui demander si la soirée s’est bien passée. Elle pleure, elle hoquette. « Surtout ne dis rien à papa, surtout ne dis rien ! Promets ! » Sa mère s’inquiète, lui demande ce qui s’est passé. Alors elle raconte : l’exhibition des petits singes savants, le gâteau pas frais, le coq au vin, le mal de ventre, les gestes déplacés, les mains du parrain qui remontaient à chaque fois vers l’intimité, ces mêmes mains qui la retenaient, qui la reprenaient à chaque fois qu’elle essayait de se lever, le baiser du soir « pour rire », la peur, le silence complaisant des adultes…
Elle pleure, elle ne s’arrête plus, tout sort dans le désordre, elle se sent sale, stupide, coupable… Sa mère est furieuse, elle veut appeler les parents de Stéphanie pour leur demander des explications mais elle la supplie de ne pas le faire.
La mère ne téléphone pas, elle attend que le père rentre du travail pour lui parler. Elle se sent trahie, elle avait fait promettre de ne rien dire. Son père lui demande de lui raconter, elle recommence. C’était déjà difficile d’en parler à sa mère, ça l’est encore plus de raconter à son père.
Suite à cette discussion, ils lui interdisent de retourner chez Stéphanie. C’est tout.
Elle reste seule avec sa culpabilité, sa honte et son dégoût. Pourtant ça devrait être aux grands de se sentir coupables : le parrain pour les gestes qu’il a eus, les parents de Stéphanie pour leur absence de réaction, les siens pour leur silence. Tous coupables, tous complices. Mais devant l’absence de réaction des « grands », devant leur manque de protection, c’est elle, la gamine de onze ans, qui se sent coupable : coupable de n’avoir pas crié, d’avoir laissé faire, de n’être pas partie. Et puis, quand elle grandira, coupable de ne rien dire, coupable de ne pas porter plainte. Mais porter plainte pour quoi ? Pour un type aux mains baladeuses qui tripote les petites filles ? Pas de viol, pas de coups, juste une salissure.
Quelques années plus tard, elle le reverra, par hasard. Ce jour-là, il sera avec ses filles. La plus petite sera sur ses genoux, et elle ne verra que les mains du parrain caressant le dos de la petite. Elle se demandera si elle-aussi… et elle se sentira encore plus coupable du silence des adultes.
Laisse-toi faire… #1
Elle a onze ans, elle fait de la gymnastique et rêve de ressembler à Nadia Comaneci, son idole. Dans son club il y a Stéphanie, c’est une très bonne copine. Il lui arrive d’aller dormir chez elle de temps en temps. Leurs parents se connaissent et ils s’aiment bien.
Un vendredi soir, Stéphanie lui propose de venir dormir chez elle, ainsi elles pourront passer la soirée et la matinée ensemble avant d’aller à l’entraînement du samedi après-midi. Ses parents ont invité son parrain et son « amie » (en langage adulte, son « amie » veut dire sa maîtresse), sa mère aura préparé un bon plat et commandé un gâteau à la pâtisserie. Elle demande à ses parents, ils sont d’accord, elle passe donc chercher des affaires de rechange chez elle et repart aussitôt chez sa copine. Quand elle arrive, son parrain est déjà là. C’est un monsieur d’une quarantaine d’années, qui parle et rigole beaucoup, et regarde les gamines avec insistance. Les adultes prennent l’apéritif. Sont présents : les parents de Stéphanie, son grand frère (qui doit avoir une vingtaine d’années), son parrain et son amie, Stéphanie et elle. Ça picole pas mal ce soir-là. Le parrain de Stéphanie lui demande qui elle est, elle explique qu’elle est une amie du club de gym. Les parents de Stéphanie ont alors une idée complètement stupide : ils demandent aux gamines d’aller mettre leurs justaucorps et de leur montrer la petite chorégraphie qu’elles préparent pour la prochaine compétition. Elle n’aime pas beaucoup les exhibitions de ce genre, elle ne se sent pas l’âme d’un singe savant, mais ils insistent lourdement alors, pour avoir la paix, elle accepte de faire l’andouille avec Stéphanie qui, elle, semble y prendre beaucoup de plaisir. Justaucorps enfilé, musique, c’est parti pour le mini spectacle. Elle se sent complètement ridicule, un salon n’est pas une salle de gym, des adultes à moitié saouls ne sont pas un jury idéal. Après la petite démonstration elle veut se rhabiller, mais ces idiots insistent pour qu’elles restent ainsi car « elles sont tellement mignonnes ! » Tout le monde passe à table, les gamines dans leurs tenues ridicules. Au menu, coq au vin et gâteau dont la crème a tourné. Elle est malade, elle a mal au ventre, la tête lui tourne. Après le repas elle s’assoupit sur le canapé. C’est la main du parrain qui la réveille, elle est posée sur sa cuisse et remonte doucement. Elle n’aime pas ça, elle est mal à l’aise, elle repousse sa main mais il recommence. Plusieurs fois elle repousse sa main, plusieurs fois il la repose. Elle est nauséeuse, dans une espèce de brouillard, ça tourne. Elle essaie de se relever, il la retient par les épaules. Elle regarde autour d’elle, les « grands » continuent à parler, à rire. Mais ne voient-ils donc rien ? Elle n’ose pas lui dire d’arrêter, elle a peur de passer pour une impolie, elle n’est pas chez elle et elle doit dormir ici, donc pas question de faire un scandale. Il est tard, trop tard pour appeler ses parents, et de toute façon ils n’ont pas de voiture, comment viendraient-ils la chercher ? Elle essaie encore de le repousser, de se relever, mais à chaque fois il la retient, recommence son manège, remonte sa main, insiste. « Laisse-toi faire, je ne fais rien de mal » lui dit-il doucement. Les autres, ils rigolent, ils font semblant de ne rien remarquer, ils parlent de tout et de rien.
Elle ne sait pas combien de temps ça dure, ça lui semble infiniment long, mais au bout d’un moment les « grands » ont enfin la bonne idée d’envoyer les gamines se coucher. Enfin la libération ! Elles filent dans la chambre, elles se mettent au lit, et les grands viennent leur souhaiter une bonne nuit.
– Tu as déjà embrassé un homme ? lui demande alors le parrain en se penchant au-dessus du lit.
– Non, répond-elle (à onze ans la réponse semble plutôt logique!).
– Je vais te montrer… Et il le fait, vraiment, pas comme un adulte embrasse une gamine, mais comme un homme embrasse une femme. Les autres rigolent, ils trouvent ça très drôle. Elle non.
Après ça il veut lui faire « des papouilles, pour rire » (décidément ils n’ont pas le même humour!). Elle remonte la couverture sur elle, pensant qu’il n’osera pas insister, mais il ne se gêne pas pour la rabaisser et recommencer le même manège qu’au salon. Elle est bloquée contre le mur, elle se retourne pour qu’il n’ait « plus rien à se mettre sous la main », mais ça ne l’empêche pas de continuer. Même là, dans la chambre de son amie, elle n’est pas à l’abri. Les autres sortent de la chambre, le parrain reste « pour dire bonne nuit aux gamines ». Elle entend les « grands » rire à côté, continuer à parler, et pendant ce temps le parrain recommence son manège, ses mains insistent, « c’est pour rire » dit-il! Et puis les « grands » viennent le chercher, il est tard, les gamines ont un entraînement demain, il faut les laisser dormir maintenant. Ils sortent de la chambre, ferment la porte… et elle pleure.
À suivre… Continuer la lecture
L’urgence pas urgente
Ils arrivent vers 21h, main dans la main. Elle, jeune fille souriante malgré la douleur. Lui, jeune homme courtois lui tenant tendrement les épaules. C’est mignon un couple amoureux. Pendant qu’elle s’enregistre à l’accueil, il ne la quitte pas, la couvant de son regard protecteur. Puis ils vont s’asseoir en salle d’attente. Il lui parle doucement en lui tenant la main. Elle l’écoute d’une oreille distraite. Elle a mal. Vraiment mal. Elle regarde son index bleui et enflé et se dit que ça ne va pas être très commode pour le travail. Tant pis, elle fera avec. Perdue dans ses pensées, elle ne remarque pas que son copain s’impatiente. Il cherche à accrocher le regard des soignants, soupire, regarde l’heure à de nombreuses reprises. C’est quand même incroyable qu’on attende autant! Elle lui sourit calmement, il n’y a rien d’urgent, rien de grave, ça n’est qu’un doigt cassé après tout.
Elle a sommeil, elle voudrait s’allonger quelque part, mais les chaises de la salle d’attente n’invitent pas au repos. Son copain s’agite, il n’aime pas la voir souffrir. Il apostrophe un soignant, pourquoi est-ce si long? L’infirmier, agacé par le ton véhément du jeune homme, réplique qu’il y a des urgences plus urgentes. La jeune fille baisse les yeux, elle a un peu honte, elle préfère se taire.
Les heures passent. Elle essaie de s’endormir sur l’épaule de son copain, mais la douleur l’en empêche. Vers une heure du matin, elle passe à la radio. Son copain voudrait l’accompagner mais l’interne refuse, lui assurant que ce sera rapide.
Elle est seule maintenant. Dans la salle d’attente de radiologie, un interne explique à un jeune homme en pleurs qu’il faut opérer sa cheville et qu’il va devoir rester à l’hôpital. La jeune fille l’envie, rester à l’hôpital ça veut dire avoir un lit… et pouvoir y dormir.
La radio se fait rapidement. Le radiologue est fatigué, la jeune fille aussi. C’est cassé, mais sans gravité, une attelle et des antalgiques feront l’affaire. La jeune fille peut rentrer, il est bientôt deux heures du matin et la nuit sera courte. Le jeune homme, lui, est rassuré de retrouver sa chère et tendre. Un bisou dans le cou, une main sur les épaules, et les voilà repartis comme ils étaient venus, amoureusement.
Franchement, ça n’avait rien d’urgent, la jeune fille aurait pu attendre le lendemain et aller passer une radio en ville. Vu le monde qu’il y avait, ça aurait libéré la place. Et puis cet air déçu qu’elle a pris quand les soignants lui ont expliqué que les lits étaient pour les vraies urgences… non mais franchement, c’est pas un hôtel ici! Quant à lui, l’amoureux énamouré, cette façon qu’il avait de regarder tout le monde de travers! Et cet air suspicieux quand on lui a refusé l’accompagnement à la radio… Hé ho, il peut la lâcher cinq minutes sa copine hein, elle va pas s’envoler!
Quelques heures plus tôt, les amoureux se sont disputés. Une fois de plus, une fois de trop. Il l’a frappée. Une fois de plus, une fois de trop. Elle a eu peur, a voulu s’enfuir. Il l’a retenue, elle s’est débattue. Instant de lutte. Une fois de plus, une fois de trop. Elle a réussi à atteindre la porte et à l’ouvrir, elle a essayé de sortir, mais il a été plus rapide et a claqué la porte sur ses doigts. La douleur a été fulgurante. Elle a crié. Il s’est arrêté, s’est inquiété. D’habitude elle ne crie pas. Il a eu peur. Il a été plus loin que d’habitude, et maintenant elle pleure. Elle dit qu’elle veut le quitter, qu’elle ne l’aime plus, qu’elle a peur de lui. Mais lui, il l’aime, et il ne voulait pas lui faire mal. Il pleure lui aussi, il est paniqué. Il veut l’emmener à l’hôpital. Elle refuse, tout ce qu’elle veut c’est sortir d’ici et qu’il la laisse tranquille. Il insiste, elle ne peut pas partir comme ça, c’est peut-être cassé, c’est peut-être grave. Et puis, pour être honnête, il a peur de ce qu’elle pourrait faire, peur des conséquences… pour lui. Elle est fatiguée, elle a mal, elle a peur. Il ne la laissera pas partir de toute façon. Alors elle accepte. Parce qu’à l’hôpital il y aura du monde. Parce qu’elle ne sera plus seule avec lui. Parce qu’avec un peu de chance elle pourra se confier à quelqu’un. Parce qu’avec un peu de chance elle pourra être protégée. Parce qu’avec un peu de chance quelqu’un verra la femme battue derrière l’amoureuse transie.
Motif de consultation : une broutille pas très urgente.
Patiente : une jeune fille amoureuse qui aurait largement pu attendre le lendemain, exigeante de surcroît.
Accompagnant : un jeune homme amoureux et impatient.
Soignants : fatigués et blasés.
Au suivant!
D’autres billets sur les urgences ici :
http://www.patienteimpatiente.fr/2016/02/bref-jai-ete-aux-urgences.html
http://chroniqueshortensiennes.blogspot.fr/2016/05/urgences.html Continuer la lecture
Et si?
« On n’a pas le temps de parler aux résidents/patients, c’est de la folie! »
« Douze toilettes en trois heures, c’est n’importe quoi! »
« On court tout le temps! »
« On fait tout trop vite! »
« On n’est plus des soignants mais des robots! »
« On maltraite les patients/résidents, on n’a pas le temps de bien faire les choses! »
« Ils se rendent pas compte dans les bureaux, ça se voit qu’ils ne font pas notre travail! »
« Il faudrait plus de soignants, on le dit tous les jours mais personne ne nous écoute! »
Et si on faisait une pause? Si on refusait le rythme imposé? Si on prenait notre temps?
Et si, au lieu de faire le VMF (Visages Mains Fesses) – habillage rapide – hop hop hop on se dépêche avec Madame Pie, on faisait les choses normalement, sans la brusquer? Et si on allait à son rythme au lieu de lui enjoindre d’aller au nôtre? Et si on prenait le temps de lui parler? Et si on s’autorisait à l’attendre quand elle chemine d’un pas lent vers la salle de bain?
Et si, au lieu de nous dépêcher pour finir dans les temps, on ne finissait pas? Si on ne « faisait » que dix patients/résidents au lieu de douze? Si, au moment crucial où nous devrions avoir fini les toilettes et enchaîner sur les repas, nous nous pointions la bouche en coeur dans le bureau de la direction pour dire qu’on n’y arrive pas?
Et si nous donnions à manger aux résidents/patients les plus dépendants lentement au lieu de les gaver comme des canards en période de fêtes? Si nous prenions le temps d’être vraiment avec eux au lieu de courir pour servir tout le monde dans les temps? Si nous leur accordions le temps qu’ils méritent (et qu’ils payent)?
Et si nous faisions la grève du zèle? Si nous faisions notre travail en comptant les heures au lieu de compter les tâches? Si, au lieu de se cacher dans les vestiaires pour critiquer les « administratifs », nous allions crier haut et fort notre ras-le-bol dans le bureau de ces derniers?
Et si, au lieu de dire qu’il faut prendre soin de soi pour prendre soin des autres, on pensait différemment? Et s’il fallait prendre soin des autres pour prendre soin de soi?
Courir en rose… ou pas.
Isabelle est motivée. Ce matin elle a couru une heure, et c’était bien. Elle sent qu’elle s’améliore, elle court plus vite, plus longtemps, et elle trouve ça plaisant. Alors c’est décidé, elle se lance. Elle va tenter une course, une vraie, avec dossard et foule et classement. Justement, ça tombe bien, une « course rose » est organisée le mois prochain dans sa région, pourquoi ne pas s’y inscrire? Un petit 10 kilomètres, c’est faisable, et puis c’est pour la bonne cause. Un clic, deux clics, trois clics, et la voilà presque inscrite. Encore un dernier clic et elle pourra prendre le départ, en rose, pour une course rose, au milieu de femmes en rose, au profit de la campagne « Octobre rose ». Tout ce rose, ça lui donnerait presque la nausée… Le rose c’est gai, girly, mignon, féminin… Bref, tout le contraire du cancer du sein, et du cancer en général.
Isabelle pense à son amie Marie. L’annonce de son cancer. Le choc. La colère. Les traitements, longs, douloureux. Les examens. L’attente. Le verdict. L’opération. La douleur. La reconstruction. La douleur encore. Les larmes. L’accalmie. La récidive. Les traitements, encore. La douleur, toujours. La peur. Et maintenant? Maintenant, Marie attend. Les prochains examens, le prochain verdict. Marie attend et elle a peur. Non, le cancer n’est pas rose.
Isabelle pense aussi à sa tante Françoise, qu’elle n’a que brièvement connue. Elle revoit ses yeux fatigués, son foulard bariolé et ses robes amples qu’elle portait pour cacher les cheveux et les seins qu’elle n’avait plus. Elle revoit les sursauts de sa mère dès que le téléphone sonnait un peu tard. Elle revoit la tristesse de son petit cousin. Elle revoit cette journée d’été, une belle journée ensoleillée, une journée bien trop belle pour un enterrement. Non, le cancer n’est pas rose.
Elle revoit sa cousine Sophie, la fille de Françoise. Sophie et son humour à deux balles qui fait quand même rire tout le monde, Sophie et ses histoires de boulot qui font pleurer tous ceux qui n’ont pas ri à ses blagues, Sophie et son abruti de caniche qui la suit partout. Sophie et sa double mastectomie préventive. Non, le cancer n’est définitivement pas rose.
Maintenant, Isabelle hésite. Le rose, finalement, ça n’est pas si mignon que ça. Un clic, deux clics, trois clics, et la voilà partie à la recherche d’infos sur la campagne d’Octobre rose. Elle tombe sur des blogs de femmes malades, sur des articles de presse, sur des forums de soutien. Elle tombe également sur des campagnes passablement ridicules, des messages pailletés qui lui filent la nausée et de jolis commentaires dégoulinants de rose et de bons sentiments. Elle tombe sur plein de choses plus ou moins utiles, elle lit, clique sur un lien, lit autre chose, clique encore… Au hasard de ses clics, elle tombe sur ça, et ça. Elle commence à voir rose (vous le sentez venir le jeu de mots pourri?). Et puis elle tombe sur ça. Là, elle voit rouge! Une malade attaquée par une asso pour les malades, c’est un peu fort de café quand même!
Isabelle soupire et ferme tous les onglets ouverts, sauf un. Elle se retrouve sur le site de la course rose à laquelle elle veut s’inscrire. Elle hésite un peu, le doigt en l’air, il ne reste qu’un clic pour finaliser l’inscription. Cliquera? Cliquera pas?
Elle regarde par la fenêtre. Dehors, elle voit la forêt toute proche. Les grands arbres et leurs bruissements de feuilles, les brindilles qui craquent sous ses baskets, l’odeur du sous-bois… Le calme et le silence, la douche et le thé brûlant quand elle rentre… C’est tout ça qu’elle aime quand elle court. Quel besoin a-t-elle d’aller se déguiser en bonbon rose et d’aller se mêler à des centaines d’autres bonbons roses pour courir sans plaisir dans la ville et le bruit? Besoin de faire un geste? De se donner bonne conscience? De soutenir une cause sans même savoir où ira véritablement son don?
Finalement, Isabelle clique sur la petite croix en haut à droite de l’écran et éteint son ordinateur.
Tiens, et si elle appelait sa cousine Sophie pour lui proposer un resto?
Edit de 16h : l’association Courir pour elles vient de publier un communiqué de presse, à lire ici, et son bilan financier 2014-2015, à consulter ici.
Une petite chose pour finir. Dans le communiqué de presse stipulant que la plainte contre Manuela Wyler sera retirée après accord du Conseil d’Administration, il est utilisé sept fois le mot « diffamer » (ou des variantes telles que diffamation, diffamatoire…). Pour info, la définition de diffamer, d’après le Larousse, est la suivante : chercher à perdre quelqu’un de réputation en lui imputant un fait qui porte atteinte à son honneur, à sa considération. Donc réclamer des comptes, c’est diffamant. OK. Je note.
PS : d’autres blogueurs en ont parlé, ici et ici, ici et ici. C’est vachement bien écrit, et même parfois c’est drôle. Moi je sais pas faire drôle, j’y arrive sur plein de trucs mais pas avec ce sujet, c’est con. De même que je sais pas dire aux gens qu’ils sont fantastiques, je suis un peu trop timide/pudique/maladroite pour tout ça… alors bon… voilà… Parmi les blogs cités dans ce billet, y a trois nanas que j’ai eu la chance de rencontrer… et vraiment, elles sont chouettes. Alors franchement, le cancer… Fuck. Continuer la lecture
Réunion de pigeons
L’histoire se passe il y a quelques années. À l’époque, je travaille à temps très très partiel, nous habitons un quartier un peu pourri, et Amélie vient de commencer sa prise en charge au CPEA… Bref, notre vie n’est pas très gaie. C’est le début du mois, le virement ASSEDIC a du retard et, inquiète, je les appelle. Je tombe sur une charmante dame, D.B., qui m’écoute très gentiment lui expliquer notre situation (catastrophique). Au bout de quelques minutes, elle me dit qu’elle aurait peut-être quelque chose à me proposer et qu’elle me rappellera très vite. Je suis plutôt perplexe. L’ASSEDIC et l’ANPE sont à l’époque deux organismes bien distincts et je me demande pourquoi cette gentille dame se propose de m’aider. Au téléphone, Madame D.B. ne me dit grand chose, alors je prends mon mal en patience, et j’attends qu’elle me rappelle. Le soir, quand mon mari rentre du travail, je lui parle de cette dame, et de sa proposition d’aide. Je suis confiante, mon mari l’est moins. L’avenir me dira qu’il a raison.
Quelques jours plus tard, Madame D.B. me rappelle et me propose un rendez-vous le 10 janvier pour « quelque chose de nouveau ». Oui mais le « quelque chose », c’est quoi ? Est-ce que ça a quelque chose à voir avec l’éducation spécialisée ? Madame D.B. Sait que je suis monitrice éducatrice en recherche de poste, aurait-elle des contacts dans ce domaine ? Mais la « gentille » conseillère reste mystérieuse. Elle ne veut pas en dire plus au téléphone, et me dit juste dit que c’est « très intéressant ». Je demande alors naïvement si ça a quelque chose à voir avec le social, et mon interlocutrice me répond que d’une certaine façon, oui, puisqu’il y a beaucoup d’argent à gagner… Hem! De moins en moins naïve, je demande si c’est de la vente à domicile ou quelque chose dans le genre, ce à quoi Madame D.B. répond que c’est « du marketing internet ». Voilà. Madame D.B. ne veut pas en dire plus, elle me laisse juste son numéro de portable ainsi que le lieu et la date du rendez-vous.
Du coup, je me pose des questions : est-ce que c’est de la vente pyramidale? Est-ce que c’est Herbalife? Est-ce qu’il faut vendre des manuels « comment gagner des millions sur internet » à des pauvres naïfs? Est-ce que c’est du téléphone rose (ben quoi? j’ai une voix très sexy il parait)? Est-ce que c’est juste une banale secte qui récupère les pauvres chômeurs désespérés? Est-ce que Mme D.B. est la fille du dernier président du Nigéria dont l’héritage a été spolié? Est-ce une extra-terrestre qui enlève les Bretons afin de leur extorquer la recette du kouign amann? Est-ce une dangereuse psychopathe?
Bref, je me pose plein de questions… et je rappelle au passage aux lecteurs attentifs que Mme D.B., travaillant pou l’ASSEDIC, est en contact permanent avec des chômeurs et a accès à plein d’informations sur eux (nom, prénom, date de naissance, numéro de sécu, adresse, téléphone…). The question is : est-ce vraiment déontologique?
Alors, votre avis???
Le 10 janvier arrive et j’ai eu largement le temps de réfléchir à l’affaire « marketing internet ». Je suis de moins en moins motivée pour aller faire ma curieuse au péril de mon état mental précaire… mais je me dis que je n’ai rien à perdre alors, autant aller voir…
Je pars presque à l’heure de chez moi, mais forcément, je me perds en route (acte manqué?), et j’arrrive donc franchement en retard. Petit lotissement tout neuf, petites maisons toutes bien alignées, petites allées, petits rond-points… et me voilà au 2 rue H.T. Je me gare, je respire, je sors de la voiture, je jette discrètement un petit coup d’oeil par la fenêtre… et je vois un petit groupe sagement assis devant un lecteur DVD… mouais, ça sent le bourrage de crâne ce truc. Je sonne, « excusez-moi pour le retard, patati patata, j’ai écrasé un sanglier… bla bla… j’ai porté secours à un hérisson en détresse… patata… j’ai percuté une trottinette conduite par une rasta en string… patata… » bref je me confonds en excuses (mais pas trop quand même), je rentre, je m’assieds… et j’admire! Au programme ce soir : la vie merveilleuse des conseillers A***, leurs salaires mirobolants, leur séminaire au Mexique, leur bonheur, leur joie de vivre, leur beauté… rhoooooo, c’est magnifique, j’en chialerais presque! Fin du DVD… gros silence. Et là, la quasi-chômeuse innocente et naïve que je suis demande :
– Faut vendre quoi?
– Justement, j’ai des catalogues, répond la merveilleuse conseillère A*** (qui est aussi interlocutrice ASSEDIC, pour ceux qui auraient perdu le fil). Je feuillette, les pigeons accompagnateurs aussi… mouais, bof, rien de fabuleux : fringues, produits ménagers, bijoux, produits de beauté… de la marque A*** bien sûr! Le principe est simple: le vendeur touche 5% de ses ventes (mais vu le prix des produits, il a intérêt à être bon vendeur!) et un pourcentage des ventes de ses filleuls… hum hum, mais ça ressemble à de la vente pyramidale ça!
Bref, je ne suis pas convaincue… surtout que Madame D.B. insiste lourdement pour nous refourguer son « complément d’information » avec DVD explicatif et produits test pour la modique somme de… 99 euros! Aaaaaargh, il est là le piège!!! Je reviens à la charge et demande, toujours avec ma douce voix innocente, s’il faut acheter du stock.
– Mais pas du tout, me répond la gentille-conseillère-de-mes-deux, il y a les catalogues… mais il faut les acheter (hi hi, elle est rigolote!). Bon, je suis pas complètement stupide, si je veux qu’un client-pigeon m’achète un truc, il faudra bien que je le lui montre en vrai… donc que je l’aie avec moi… donc il faut que je l’achète AVANT! Bref, je ne suis pas intéressée, et je décline poliment mais sèchement l’offre pas très alléchante de Madame D.B. Au passage, je lui fais quand même remarquer que cette façon de « recruter » n’est pas très déontologique, et que je ne serais jamais venue si elle m’avait annoncé clairement la couleur. Madame D.B. hausse les épaules et, d’un ton condescendant, rétorque qu’elle m’offre une chance de gagner de l’argent et que je devrais l’en remercier au lieu de le lui reprocher. Salope ! Je quitte ce traquenard de façon fort peu cavalière, en me retenant de claquer la porte.
En sortant de là, je suis franchement énervée, d’autant plus que quelques uns des potentiels pigeons convoqués à cette masquarade ont signé un chèque pour acquérir le fameux DVD. Ma seule envie, c’est de contacter l’ASSEDIC pour leur raconter cette histoire, mais Madame D.B. m’a fait entendre que j’avais tout intérêt à garder ça pour moi… Malhonnêteté et chantage…
Plusieurs années plus tard, j’en ai quand même parlé à un conseiller Pôle Emploi. Il a froncé les sourcils et noté le nom, mais je ne pense pas qu’il y ait eu de suite… Combien de chômeurs sont encore contactés par Madame D.B aujourd’hui? Mystère… et crotte de pigeon!
On t’avait pourtant dit de pas appuyer sur ce fichu bouton!
Hôpital
J’ai été patiente.
J’ai été accompagnante.
J’ai été stagiaire.
Aujourd’hui, je suis aide-soignante à l’hôpital. L’hôpital qui a vu naître mes enfants. L’hôpital qui a accueilli quelques proches en urgence. L’hôpital qui a vu mourir mon beau-père.
Je découvre l’envers du décor. Je me perds dans les couloirs. Je franchis des portes sur lesquelles il est inscrit « réservé au personnel ». J’ai une tenue blanche et je croise plein de gens portant cette même tenue. Je me gare au « parking du personnel » (mais je galère quand même à trouver une place).
J’écoute les histoires que me racontent les vieux infirmiers du service. J’écoute la psychiatre m’expliquer les mots que je ne comprends pas. J’écoute les patients me parler de tout et de rien quand je leur apporte le repas. J’écoute les transmissions. J’écoute, je note, j’enregistre.
Le soir, quand je rentre, j’ai encore tous ces mots dans la tête. Plein de mots pour plein d’histoires. Des histoires de suicide manqué, de dépression, de violence. Des histoires familiales trop lourdes à porter. Des histoires qui se répètent.
Je me dis qu’il n’y a parfois pas grande différence entre les soignants et les soignés. Je repense à Montaigne et à son « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Je me dis que cette phrase pourrait aussi illustrer la psychiatrie.
Mon remplacement se finit bientôt. C’était court mais intense. J’ai détesté être stagiaire à l’hôpital, j’ai adoré y être soignante.
Je viens de mettre un pied en psychiatrie, j’ai hâte d’y mettre le deuxième.
Une question de point de vue
Service de Psychiatrie.
Le repas vient de se terminer et quelques patients sont encore à table. Ils se sont servis un café et parlent de tout et de rien. Sur la table d’à côté, ils ont laissé traîner des origamis commencés ce matin, ainsi que quelques bonbons. Sophie, l’ASH (ASH = Agent de Service Hospitalier), montre des signes d’impatience. Elle aimerait que les tables soient débarrassées pour pouvoir faire la vaisselle et nettoyer la salle. Je ne comprends pas trop son irritation, il n’y a pas de départ prévu aujourd’hui et l’après-midi sera calme, alors on n’est pas à un quart d’heure près. Nous en discutons dans la cuisine.
– Je trouve ça plutôt bien qu’ils traînent un peu, ils discutent, ils rient, ça leur fait du bien aussi non? dis-je avec une naïve bonne volonté.
– Mais justement, non! Ils ne sont pas là pour créer des liens entre eux et s’installer comme s’ils étaient à la maison! Ils sont là pour se recentrer, réfléchir à ce qui les a amenés ici, et sortir de ce service le plus rapidement possible! me répond Sophie du tac au tac.
Trois petites phrases pour échanger sur les valeurs du soin. Et toc!
L’hôpital psychiatrique, lieu de soin et lieu de vie, mais aussi lieu de rencontre entre patients, soignants et valeurs du soin… Finalement, où se trouve le « juste soin »?
PS : je ne sais pas si l’une d’entre nous a raison. Je ne sais pas non plus ce qui est le mieux pour les patients (ce n’est d’ailleurs pas à moi de le savoir). Mes propres valeurs m’encouragent à privilégier le bien-être et la convivialité. Cependant, j’entends également le raisonnement qui fait dire à ma collègue que le lieu de soin ne doit rester qu’un lieu de passage, et qu’il faut avoir envie de le quitter.
Des sourires et des rires
Revenir à son ancien boulot, pour un tout petit remplacement. Sourire. Retrouver les lieux et les collègues. Rire. Retrouver les résidents. Rire encore. Arriver en avance pour pouvoir prendre son temps et repartir en retard pour pouvoir perdre son temps. Partager un repas dans la bonne humeur. Faire un scrabble, placer le mot « caca » et éclater de rire avec son binôme de 82 ans. Écouter un discours qui n’a ni queue ni tête, répondre comme si de rien n’était et continuer une conversation surréaliste le plus naturellement du monde. Prendre le bras d’un homme qui déambule. Revoir le couple aux 72 années de mariage. Chantonner avec une dame qui n’a plus de mots pour parler. Rentrer chez soi avec le sourire aux lèvres.
Parfois, le bonheur, ça tient à de toutes petites choses. Continuer la lecture
Une rencontre #2
Le début est à lire ici.
Jour J. Heure H. Nous avons rendez-vous à 17h.
Il est l’heure dans quelques minutes et je retrouve Charlie (@CharlieIsDark) devant le Ministère de la Santé. Je crois qu’on est aussi stressées l’une que l’autre! Entrée, passage sous le portique de sécurité, présentation des pièces d’identité… ça devient sérieux là. Plusieurs personnes attendent avec nous, je reconnais Solange (@Soskuld) mais je n’ose demander aux autres qui ils sont. Nous n’attendons pas longtemps. Après quelques minutes, on nous conduit dans un salon, dont la grande table ovale est chargée de viennoiseries. Bon, au moins on ne mourra pas de faim, et soit dit en passant, la vue sur Paris est splendide. Madame Rossignol arrive, suivie par quatre conseillères, et nous nous installons autour de la table.
On se présente. Je note consciencieusement les noms et les blogs associés, il y en a deux que je ne connais pas, ça m’offre une occasion de les découvrir.
La suite, ce sont trois heures de discussion, racontées ici :
http://marreaboutdficelle.blogspot.fr/2016/02/la-douce-melodie-du-rossignol.html
http://www.aide-soignant.com/article/aide-soignant/as/laurence-rossignol-ecoute-soignants-aidants
et dans les tweets de @CTrivalle, ici :
Une rencontre #1
Il y a quelques semaines, j’ai reçu ça :
J’ai relu trois fois le mail, manqué m’évanouir, re-relu trois fois le mail, appelé mon mari, re-re-relu trois fois le mail, envoyé un message à ma copine @kataidante, et re-re-re-relu trois fois le mail avant de réaliser vraiment.
J’ai la chance d’avoir un entourage très organisé (contrairement à moi qui suis très bordélique). Aussitôt, Kat s’occupe de contacter quelques aidants pour des échanges de mails pendant que mon mari s’occupe d’organiser le voyage. Moi, pendant ce temps, je m’occupe du reste. Oui, la vie d’une chômeuse intellectuelle et idéaliste peut parfois être très prenante, donc par « je m’occupe du reste », je veux dire : je m’occupe des mômes, de mes trois articles en retard (un jour je rendrai un article à l’heure… promis!), des annonces Pôle Emploi (un autre jour je ferai un billet là-dessus, parfois c’est vraiment hilarant) et de plein d’autres choses (oui, j’avoue, dans le « plein d’autres choses » y a aussi du tricot, je suis une mémère et j’assume).
Pendant ce temps, Kat se rend compte qu’elle a reçu le même mail et essaie également d’organiser sa venue, mais c’est vachement plus compliqué quand on est aidante à plein temps et qu’on habite très loin. @JeSuisAidant est également invité et a priori, il pourra venir. Chic, ça va être une chouette rencontre!
Les semaines passent et les échanges de mails vont bon train à propos de la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Le stress monte, je lis et relis la loi, je lis et relis nos échanges de mails, je lis et relis les articles de presse trouvés sur le sujet. Je note timidement quelques questions de mon côté, plus portées sur le métier d’auxiliaire de vie que sur les aidants. Nous n’aurons que deux heures, je ne sais pas si la discussion s’orientera sur le sujet, mais au cas où…
Jour J. La veille, j’ai appris deux nouvelles, une mauvaise et une bonne. La mauvaise, c’est que ma copine Kataidante ne sera pas là. Être aidante, c’est compliqué, être aidante et s’absenter, c’est encore plus compliqué. À ce sujet, elle écrit un très beau billet, que je lis avec tristesse. Les choses sont dites et nous retweetons le billet en « pokant » Madame Rossignol, nous sommes sûrs qu’elle le lira (je confirme, elle l’a lu). La bonne nouvelle, c’est que @CharlieIsDark sera là aussi, et je suis drôlement contente de la revoir. Et puis, ça veut dire que nous serons deux aides-soignantes, et ça c’est vraiment bien!
9h. Nous déposons les enfants chez belle-maman et c’est parti pour l’aventure. Dans quelques heures nous serons à Paris, dans quelques heures je rencontrerai la Secrétaire d’État qui a fait voter la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Entre-temps, j’ai demandé la liste complète des blogueurs présents à la rencontre, et je suis d’autant plus impatiente d’y être. Outre @CharlieIsDark, @Soskuld, @Kataidante et @JeSuisAidant, il y aura également @AzaeSAP, @CTrivalle et Marie Bertrand. Hâte hâte hâte!
Un petit récapitulatif ici, il y a de beaux blogs à découvrir :
@CharlieIsDark : Aide-soignante : Y’a pas que la blouse!
@Soskuld : Soskuld, la vie d’une aide-soignante
@kataidante : Les chroniques d’Hortensie
@JeSuisAidant : Marre, à bout, d’ficelle
@CTrivalle : Gérontoprévention
@AzaeSAP : Le maintien à domicile
Marie Bertrand : La vie en vieux
« Manque de curiosité intellectuelle » disait ma tutrice aide-soignante lors de mon premier stage en EHPAD.
Je m’en fiche, je vais à Paris!
À suivre.
Le cancer vous salue bien!
1999. Ma mère vient de mourir, après neuf mois de lutte contre un cancer qui ne lui a laissé aucun répit. J’ai 22 ans et mon monde s’effondre. J’ai 22 ans et je dois préparer un enterrement. J’ai 22 ans et je dois choisir les vêtements avec lesquels ma mère sera incinérée. J’ai 22 ans et je dois vider son appartement. Choisir ce qui sera gardé, donné, jeté. Ce n’est pas chose aisée que de trier toute une vie. Je voudrais tout garder, parce que chaque petite chose me rappelle un peu ma mère. Mais que faire de tous ces vieux papiers, de ces dessins gribouillés maladroitement pour les fêtes des mères, de ces petites babioles parfois cassées gardées « en souvenir »? Et, surtout, que faire de cette perruque qui me nargue du haut de son cruel symbole? J’ai pour m’aider de précieuses alliées, Soeur Marie-Laure et Soeur Marie-Paule. Pendant sa maladie, ma mère a eu la chance d’être très soutenue par la communauté religieuse de la prison de Fresnes (ma mère travaille à la prison et, à cette époque, les infirmières de l’hôpital pénitentiaire sont des religieuses), et elles m’accompagnent avec beaucoup d’amour dans le difficile chemin du deuil. Soeur Marie-Laure passe son temps à remplir des sacs poubelle et je passe mon temps à récupérer in extremis tout ce qu’elle jette. Soeur Marie-Paule, elle, passe son temps à réfléchir à ce qu’on pourrait bien faire de ce vieux fil électrique ou de ces cahiers à peine griffonnés. À nous trois, on forme une équipe de choc, on trie, on garde, on jette, et ces heures douloureuses sont rendues un peu plus supportables par leur présence bienveillante.
Ce jour-là, je me trouve donc comme une poule devant un couteau face à cette foutue perruque désormais inutile. La garder? Qu’en ferais-je? La jeter? C’est quand même dommage, ça coûte cher ces conneries. La donner? Oui, mais à qui? Je suis assise par terre, au milieu d’une montagne de cartons, et je tiens dans ma main cette petite boule de cheveux qui a sobrement camouflé la maladie de ma mère. Et je me souviens.
Je me souviens de nos dernières vacances ensemble au Château d’Olonne. Nous étions parties toutes les deux passer quelques jours à la mer avant la prochaine chimiothérapie. Ce jour-là, après une jolie balade, nous nous étions arrêtées dans un café. Assises tranquillement devant un expresso, nous fumions une cigarette avant de rentrer (oui, à l’époque on fumait dans les cafés… ça commence à dater!) (et non, ma mère n’avait pas arrêté la cigarette, foutue pour foutue!). À l’autre bout de la salle, une bande de vieux pas très vieux mais un peu vieux quand même.
– Pfff… ces femmes qui fument… à notre époque les femmes elles fumaient pas hein… maintenant même les jeunes elles s’y mettent… pfff… elles rigoleront moins quand elles auront le cancer!
Ma mère et moi n’osions lever nos yeux de notre cendrier. Nous étions dans le coin fumeurs, loin d’eux, mais ils parlaient juste assez fort pour qu’on les entende, avec des regards en biais. Moi, j’avais juste envie de me lever et de partir, on était là pour oublier ce foutu crabe le temps de quelques jours et ces sombres cons en rajoutaient une couche. Mais ma mère a fini tranquillement sa cigarette, a réglé l’addition, s’est levée puis, passant près d’eux pour sortir, a très royalement soulevé sa perruque et, s’inclinant vers eux, leur a dit très solennellement :
– Messieurs, le cancer vous salue bien!
Nous sommes sorties en pouffant de rire comme des gamines, nous régalant de leurs mines ébahies! Je crois que c’est l’un de mes plus beaux souvenirs. Ma mère est morte quelques mois plus tard, sans avoir jamais pu revoir la mer.
Et maintenant je suis là, face à cette perruque inutile qui me rappelle cruellement l’humour caustique de ma mère, et le souvenir fabuleux de nos vacances à la mer. Soeur Marie-Paule, derrière moi, semble hésiter, puis se lance.
– Dis… je pensais à quelque chose, si tu ne sais pas quoi faire de cette perruque, il y a des détenus ici qui sont en chimiothérapie, et ils n’ont pas toujours les moyens de s’acheter une perruque… Alors si tu n’en fais rien… Je pourrais l’arranger un peu, pour faire une coupe plus masculine… Ça ferait sans doute plaisir à quelqu’un… Mais si tu ne veux pas je comprendrai, ne t’en fais pas…
Je suis soulagée. Soulagée et reconnaissante. Parce que je ne pouvais ni garder ni jeter cette perruque. Et parce que je sais qu’elle servira à quelqu’un d’autre, quelqu’un qui combat la même saloperie que celle qui a emporté ma mère. Et peut-être que ce quelqu’un que je ne connais pas gagnera, lui.
Aujourd’hui, j’ai coupé mes cheveux. Huit ans sans voir un coiffeur, et ça m’a pris, comme ça, d’un coup. J’ai attaché ma très longue chevelure en queue de cheval et clac, on a coupé! Clic clac, une frange, clic clac, une nuque dégagée, clic clac, des petites mèches sur les côtés. Quand je suis rentrée chez moi, je me sentais plus légère de 200 grammes. J’ai regardé ma nouvelle tête et mes anciens cheveux, me demandant ce que j’allais faire et de l’une et des autres. La solution a été vite trouvée. La mèche de cheveux fait 50 centimètres, c’est largement assez pour confectionner une perruque. Quelques clics de recherche plus tard, et avec l’aide et les conseils de Twitter, je découvre Solidhair, une association qui récolte les dons de cheveux. Alors voilà, les cheveux sont dans une enveloppe, prêts à partir quelque part en région parisienne. Prêts à servir à quelqu’un qui, peut-être, soulèvera un jour sa perruque devant un groupe de vieux radoteurs en les narguant d’un superbe « le cancer vous salue bien! » Continuer la lecture
La visite
La scène se passe dans un hôpital de taille moyenne. Pas un gros centre hospitalier universitaire, ni un petit hôpital local. Un « simple » centre hospitalier, avec des services de chirurgie, des urgences, une maternité. Bref, un hôpital.
Service de chirurgie orthopédique. Une dame d’un certain âge occupe la chambre. Elle est hospitalisée suite à une fracture du col du fémur, et souffre également de la maladie d’Alzheimer. Il est midi et une stagiaire aide-soignante l’aide à prendre son repas.
Deux petits coups brefs à la porte, entrent le chirurgien, une infirmière et une élève infirmière. Tous trois s’avancent vers la patiente et l’élève aide-soignante et, sans se présenter, commencent leur conversation. L’infirmière présente rapidement « le cas » : l’opération a eu lieu il y a quelques jours déjà, les redons ont été enlevés, le premier lever s’est bien passé, la patiente va bientôt pouvoir rentrer chez elle.
– Elle est veuve? demande le chirurgien.
– Non, elle vit à domicile avec son mari, répond l’infirmière.
– Ah mais ça va pas du tout ça! Elle est complètement à l’ouest cette dame, hors de question qu’elle rentre chez elle. Trouvez lui un service de soins de suite et voyez avec l’assistante sociale pour un placement en EHPAD au plus vite! Au-revoir madame, et bon appétit.
La petite troupe repart aussi vite qu’elle était entrée. L’échange n’a duré qu’une ou deux minutes à peine. La patiente écarquille les yeux.
– J’ai rien compris, souffle-t-elle d’une voix hésitante à la stagiaire qui n’a pas osé lever les yeux du plateau repas.
– L’infirmière viendra vous expliquer tout à l’heure, répond cette dernière tout aussi éberluée.
Et le repas reprend son cours presque normalement. Presque, parce qu’en quelques minutes, un homme a décidé du sort d’une femme qu’il connaissait à peine. Comme ça, d’un claquement de doigts.
Allez hop, chambre suivante!
Noël au chômage…
Noël au chômage, Pâques au décuvage? À mon avantage? Sur un petit nuage? En voyage? Au carrelage? Au garage? À la plage? En soin du visage? Au barrage? Au fromage? Au recadrage? Au grand âge? En décalage? Au tapinage? Aux notes de bas de page? Aux bagages? Au cirage? Au bel âge? Au filtrage? Au titrage? Au rattrapage? Au dérapage? À la page? À mon avantage? En stage? On déménage? Au pâturage? Au vernissage (de Pierre Soulages)? Au glandage? Au ménage? Au Moyen-Âge? Au colportage? Au raffinage? Au jardinage? Au dallage? Aux cordages? Au rodage? Au racolage? Au sondage? Au bondage? Au bricolage? Au breuvage? Au bandage? Au bavardage? Au gommage? Au tirage? Au grattage? Aux alpages? Au fourrage? Au pointage? Au montage? Au baluchonnage? Au coloriage?
Bref, vous l’aurez compris, je suis virée. Et bizarrement, je suis soulagée.
Parce que je ne me voyais pas passer les dix prochaines années de ma vie à fabriquer des décorations en rouleaux de PQ.
Parce que j’étais sincèrement persuadée qu’on ne paye pas 2000 euros par mois pour boire du café réchauffé tous les matins.
Parce que je n’avais pas très envie de fermer les yeux sur les dépassements de compétences au prétexte que « la loi on s’en fout ».
Parce que faire les transmissions sur son temps libre, ça va au début mais ça m’aurait assez vite agacée.
Parce qu’un projet de vie qui se limite à « maintien de l’autonomie » je trouve ça un peu léger.
Parce que si à chaque fois que je sors un mot issu du vocabulaire professionnel je me fais traiter d’intello ça va être difficile d’élaborer ces fameux projets de vie dont tout le monde se fout.
Parce que si quand je vérifie une info dont je ne suis pas sûre je passe forcément pour une faible j’ai pas fini d’être prise pour le boulet de service.
Parce que si on doit se contenter de reproduire ce qui existe au lieu d’essayer de créer quelque chose c’est finalement beaucoup moins drôle que prévu.
Parce s’il est interdit d’être idéaliste et de se poser des questions c’est encore plus triste.
Parce que travailler avec des collègues capables de s’engueuler devant des résidents sans même se cacher ou baisser le ton, très peu pour moi.
Parce que finalement, le mépris n’a jamais fait grandir personne.
Parce que je veux de la bienveillance et de la réflexion, du rêve et des idées, des rires et du café frais.
Parce qu’il faut viser les étoiles pour atteindre la lune. Continuer la lecture
Dis Babeth…
– Dis Babeth, je pensais à un truc sympa pour Noël, on pourrait faire venir le Père Noël? Ça ferait une animation! (coeur dans la voix, paillettes dans les yeux)
Cette phrase, une collègue l’a prononcée très récemment devant moi. Ce n’était ni à la crèche ni à l’école maternelle ni chez la nounou ni au centre de loisirs. C’était… dans une maison accueillant des personnes âgées désorientées. J’ai marqué un temps d’arrêt, réfléchissant très vite à la meilleure façon de répondre sans paraître méchante/méprisante/horrifiée/désespérée. J’ai finalement opté par une réponse du genre :
– Euh… oui, ça pourrait être sympa, s’il y a des enfants ce jour-là, lors d’une fête des familles par exemple, ou alors si on s’organise avec l’école pour faire venir des petits… Parce que juste pour les résidents, le Père Noël… je sais pas trop, c’est pas un peu infantilisant?
La collègue l’a mal pris. Elle m’a trouvée méprisante et m’a accusée de rejeter ses idées en bloc.
– Dis Babeth, pour ne pas confondre les tasses des gens, on pourrait pas écrire leur nom au marqueur dessus?
Il y a huit personnes âgées accueillies dans cet endroit qui se veut familial et « comme à la maison ». Huit personnes âgées à qui j’ai suggéré d’amener la tasse avec laquelle ils avaient l’habitude de prendre leur café le matin. Parce que ça fait un petit quelque chose de personnel à retrouver dans ce lieu impersonnel. Parce que c’est un souvenir de leur vie d’avant, leur vie chez eux, quand ils étaient au milieu de leurs meubles et de leurs objets. Parce qu’ils vont finir leur vie dans une maison qui n’est pas la leur, au milieu d’objets qui ne sont pas les leurs. Naïvement, je m’étais dit que ça ne serait pas trop compliqué de retenir à qui appartenaient ces huit tasses différentes dans le placard. Plus naïvement encore, je m’étais aussi dit que si jamais je confondais deux tasses, les résidents sauraient me le faire remarquer. Je m’étais trompée. L’équipe me demandait de marquer le nom de chacun sur les tasses. Comme pour les vêtements. Du marqueur sur le bol de Monsieur R., du marqueur sur la jolie tasse en porcelaine de Madame R., du marqueur sur la tasse anglaise de Monsieur C. Soit.
– Dis Babeth, le médecin est passé, il faudra mettre des collyres à Monsieur M. le soir.
– Eh bien, les collyres, en principe on peut pas. Question de référentiel infirmier. Parce que ça n’est pas « une aide à la prise de médicament » mais « une administration de médicament », et ça n’est pas le rôle des assistantes de vie, même diplômées.
– Oui mais bon, tu réfléchis trop, ailleurs on fait toujours comme ça, et ça n’a jamais tué personne!
– Dites Babeth, et si les veilleuses arrivaient une heure plus tôt le soir, ça pourrait être utile pour le repas non?
– C’est-à-dire que les veilleuses travaillent déjà douze heures par nuit, c’est le maximum autorisé il me semble?
– Oui mais bon, pour quelques jours, elles pourraient prendre sur elles quand même, et puis elles font douze heures mais c’est pas douze heures de travail effectif!
– Oui mais ça fait quand même douze heures d’amplitude horaire…
– De toute façon ça n’est pas à vous de vérifier les textes, ça c’est mon boulot, pas le vôtre!
– Bon… ben faites comme vous voulez hein, de toute façon c’est vous qui faites les plannings, pas moi.
– Dis Babeth, il faut que le ménage soit fait avant 10h30, sinon c’est pas possible, c’est désorganisé!
– Oui, là où tu travaillais avant, c’était ainsi. Mais ici le SSIAD arrive à 10h et l’infirmière à 10h30, donc le ménage avant les soins, je sais pas si c’est très pratique en fait.
– Mais c’est pas grave ça, puisqu’on le refait le lendemain!
– Dis Babeth, j’ai affiché les petits-déjeuners des résidents sur la porte du placard pour qu’on s’y retrouve!
– Ah, tu as eu raison, ça sera plus pratique… mais euh… ça te dérange pas si on met la feuille dans la porte du placard? Parce que ça me gêne un peu que ce soit affiché au vu et au su de tous, ça fait un peu ambiance EHPAD…
– Dis Babeth, il restait plein de café d’hier, je l’ai mis dans la casserole, tu as juste à le réchauffer pour leur petit-déjeuner.
– Dis Babeth, j’ai trouvé une super idée de décoration de Noël, regarde, c’est un sapin de Noël en rouleaux de PQ!
– Dis Babeth, j’ai mis le couvert, ça va plus vite que de le faire avec eux.
– Dis Babeth, on devrait pas utiliser les mêmes verres que les résidents, on sait jamais si on se trompe.
– Dis Babeth, je mets pas mon couvert à table, je grignoterai après, comme ça je peux faire la vaisselle des plats pendant qu’ils mangent, ça ira plus vite.
– Dis Babeth, la poubelle est pleine, on fait quoi?
– Dis Babeth, t’as pas l’impression de te prendre pour une princesse des fois? Tu nous cites des lois, tu exiges du café frais le matin, tu rejettes nos propositions. Mais tu sais Babeth, ici la loi on s’en fout, et c’est pas ton diplôme d’aide-soignante qui va nous impressionner! Alors faut arrêter avec tes grandes idées sur tout hein, et puis faut arrêter de nous prendre pour des connes! Parce que nous on a essayé de t’aider hein, mais toi tu n’en fais qu’à ta tête!
Elles ont gagné. J’ai perdu. Pour une vague histoire de Père Noël qui boit du café réchauffé dans une tasse marquée à son nom après avoir fait une nuit de treize heures.
Et maintenant? Maintenant, rien. J’attends. J’attends qu’on me rappelle pour me dire que je suis virée. J’attends chez moi, aux frais de l’Assurance Maladie, en prenant consciencieusement mes petits comprimés blancs matin et soir. J’attends qu’un coup de téléphone mette fin à six mois d’investissement non rémunérés. J’attends qu’on m’annonce officiellement mon incapacité à occuper le poste de mes rêves. J’attends qu’on me confirme le diagnostic de mon employeur : je suis une idéaliste trop intellectuelle.
Mon cerveau et moi #2
Vous vous souvenez de ce billet? Je m’étais dit que j’écrirais la suite assez vite, et puis le boulot, le chômage, le boulot, le bientôt chômage… et j’ai un peu oublié. Bon, maintenant que j’ai du temps libre, et si je reprenais?
Donc, mon cerveau… ce boulet!
Quand j’étais petite, je voulais toujours être la meilleure. Et être la meilleure signifiait avoir 20/20. 18 à la limite. Ou 16 à l’extrême limite. Mais pas 17. Ni 19. Je préférais même avoir 16 que 17. Parce que 16, c’est un chiffre pair, donc parfait. Alors que 17, c’est impair… donc imparfait. Logique (enfin pour moi).
Quand j’étais petite, je corrigeais les fautes d’orthographe de tout le monde. Ainsi que les fautes de syntaxe. Et je m’arrachais les cheveux sur les dictées car il fallait à tout prix que j’aie 20/20. Question d’honneur.
Quand j’étais petite je lisais les notices dans toutes les langues et m’amusais à comparer le nombre de mots, leur genre, leur place dans la phrase. Et ça m’amusait beaucoup. Quand je réalisais qu’on dit LE bateau et LA mer en français alors qu’on dit LA nave et IL mare en italien, je partais dans des élucubrations sans fin sur le sens des mots, leur histoire, leur représentation sociale, et je mettais un temps infini à finir mes phrases.
Quand j’étais petite je voulais toujours savoir « pourquoi ». Et je questionnais sans arrêt. Et ça emmerdait tout le monde.
Quand j’étais petite je ne comprenais comment fonctionnaient les relations sociales. Je pensais naïvement qu’il suffisait de dire une chose pour qu’elle soit comprise. Je ne comprenais pas qu’il faille y mettre un enrobage d’expressions et de mimiques. Et, sans le vouloir, je pouvais me montrer blessante ou décalée dans mes propos.
Je ne suis plus une petite fille… Je suis une adulte, une mère, une soignante. Mais j’ai toujours les mêmes problèmes avec le boulet qui me sert de cerveau.
Les relations sociales restent un mystère pour moi. Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas tout simplement dire « je n’aime pas » sans blesser les gens. Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas se parler simplement. Je ne comprends pas qu’on ne cherche pas à comprendre. Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas exprimer ses besoins ou ses envies sans avoir à toujours se justifier. Je ne comprends pas les gens, tout simplement. Et ça me demande beaucoup d’efforts d’essayer toujours de les comprendre. Parce que je les trouve trop compliqués.
Et je suis fatiguée. Continuer la lecture
Vous voulez un verre d’eau?
« Babeth, je sais pas comment vous le dire, je suis embêtée… J’ai peur que vous vous ennuyiez dans ce boulot… Je le sens pas… Voyez-vous, vous êtes surqualifiée pour le poste… Et puis vous êtes trop intellectuelle… Je crois que ça va pas aller… Vous réfléchissez trop… Vous vous posez trop de questions, et franchement, c’est déstabilisant pour l’équipe… Par exemple quand vous parlez des projets de vie… eh bien… c’est du domicile ici, on n’en est pas là vous voyez… Il faut juste que les choses soient faites, c’est tout… Le ménage c’est important que ce soit fait le matin par exemple… Vous comprenez, il faut que ça roule… Si vous changez les habitudes de l’équipe, elle est perdue… Vous leur demandez de réfléchir, mais vous savez, elles sont habituées à faire d’une certaine façon… Et puis, vous ne semblez pas avoir l’esprit très pratique en fait… Vous êtes une idéaliste… Mais vous savez, la réalité, le terrain, c’est important aussi… Et puis vous perdez beaucoup de temps à vous questionner sur les textes… Alors que bon, parfois les textes, il faut s’adapter hein… Ils font comme ça ailleurs… Faut savoir fermer les yeux de temps en temps… Je sens que ça va pas aller… J’en ai parlé à mes collègues… Je tenais à vous le dire… Franchement, je sais pas comment on peut faire avec vous… Je vais devoir prévenir les familles, je leur ai demandé de venir demain… Je ne vous cache pas que je vais leur dire mon ressenti… Bon, on a essayé hein… On savait quand on vous a recrutée que vous n’aviez pas le profil habituel, mais on s’est dit que ça pourrait être bien d’essayer… On a voulu tenter l’expérience… Mais bon… Ça va pas aller je crois… Rien n’est joué hein, les familles vont voter… Mais je ne vous cache pas que quand même, je le sens pas… Mais je tenais à vous dire que je n’ai aucun doute concernant votre accompagnement avec les résidents… Je suis sûre que vous êtes au top… Mais bon… L’équipe ne se sent pas très bien, vous la mettez en difficulté en lui demandant de réfléchir… C’est pas le même niveau vous comprenez… Voilà… C’est pas contre vous… On se rend compte que bon, ça va pas aller… L’expérience n’a pas marché… Voilà… Ça va aller pour rentrer chez vous? Vous voulez un verre d’eau? » Continuer la lecture
Polyvalence
Passer prendre le pain.
Refaire les lits.
Téléphoner à la mairie.
Éplucher les pommes de terre avec Monsieur R.
Négocier les prix des piluliers.
Acheter de la jolie vaisselle.
Passer un coup de balai après le repas.
Téléphoner au menuisier.
Écrire des histoires de vie.
Écouter Sardou en boucle avec Monsieur C.
Élaborer des menus savoureux et équilibrés avec un budget serré.
Téléphoner au kiné.
Aider Madame F. à se lever.
Rassurer les enfants de Madame R. qui viennent de se faire copieusement insulter par leur mère.
Danser avec Monsieur B.
Sortir le chien.
Téléphoner au cabinet infirmier.
Faire une mousse au chocolat.
Nettoyer le pipi du chien.
Étendre le linge avec Monsieur G.
Répondre à une demande de stage.
Téléphoner à un fournisseur.
S’arracher les cheveux sur le mode d’emploi de la machine à laver.
Regarder rêveusement la flamme du poêle.
Faire les courses.
Recevoir des visites.
Partager un café avec une famille.
Téléphoner à la fille de Madame M.
Faire plein de petites fiches.
Aider Monsieur H. à se déshabiller.
Faire des photos.
Téléphoner à l’assistante sociale.
Rire avec Monsieur C.
Donner ses médicaments au chien.
Préparer la réunion de coordination.
Se poser plein de questions.
Ne pas trouver toutes les réponses.
Essayer. Se planter. Réessayer.
Accepter la critique.
Trouver les bons mots avec les bonnes personnes.
Téléphoner à la mairie, encore.
S’énerver, se calmer, souffler.
Avoir confiance.
Je sais pas si je vous l’ai déjà dit mais… j’aime mon boulot!
Juste un nom parmi d’autres
Dans mon lycée, comme dans tous les lycées, il y avait des groupes. Les intellos, les caïds, les métalleux… Et, parmi tous ces groupes, il y en avait un qui se démarquait des autres. Parce que ceux qui en faisaient partie étaient habillés différemment. Parce qu’ils écoutaient une musique différente. Parce qu’ils étaient différents, tout simplement. Ce groupe, c’était celui des gothiques. À l’heure où les midinettes hurlaient « Patriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiick! », ils écoutaient The Cure. Alors que les ados énamourées s’extasiaient devant Nicolas dans « Hélène et les garçons », ils lisaient Lautréamont et récitaient Baudelaire.
À l’époque, je n’étais ni une intello, ni une caïd, ni une métalleuse… ni une gothique. J’étais juste une petite nana très ordinaire qui vivait difficilement son adolescence ordinaire. Je regardais à la dérobée ces jeunes gens qui se démarquaient avec leur vêtements noirs et leur singulière façon d’être. J’enviais leur aisance et leur aura. Je rêvais secrètement de leur ressembler.
Je me souviens encore de leurs prénoms : Myriam, Aldric, Julie, Vincent…
Myriam m’a fait découvrir Noir Désir et fumer mon premier joint.
Julie m’a appris plein d’injures très utiles en anglais.
Aldric m’a fait mourir de rire avec ses réparties complètement décalées.
Vincent m’a fait un compliment très inattendu sur ma peau magnifiquement blafarde (l’anémie, ça donne un beau teint, sachez-le).
J’ai essayé de leur ressembler. J’ai écouté leur musique, j’ai lu leurs livres. Je suis tombée amoureuse des poètes du 19ème siècle. Vraiment amoureuse. Avantage immédiat : j’ai cartonné en littérature au bac. Inconvénient non moins immédiat : la drogue, c’est mal.
Et puis, le bac, la fac, la vie… On se perd de vue, on s’oublie un peu, on se croise de temps en temps via une connaissance commune sur les réseaux sociaux.
Le boulot, les enfants…
Et puis le 13 novembre. Tous ces morts, ils sont loin, je ne les connais pas. Très égoïstement, je constate que ma famille et mes amis vont bien. Finalement, seuls les drapeaux en berne et la voiture de gendarmerie devant le collège de ma fille me rappellent qu’à Paris il y a 129 morts.
Je n’allume pas la télé, trop d’images, trop de sons. Je fais une pause de réseaux sociaux, trop de commentaires, trop de conneries.
J’écoute un peu la radio et lis beaucoup les journaux.
Et, au milieu d’un article parmi tant d’autres, je lis un nom. Je reconnais ce nom, et cette photo. Je reconnais ce visage, et ces yeux. Et je me souviens. Je me souviens de ce jeune homme qui m’a fait découvrir Lautréamont et ses écrits torturés. Je me souviens de sa démarche un peu dégingandée. Je me souviens de son humour caustique. Je me souviens de sa nonchalance tranquille. Je me souviens de son regard si tristement lucide. Je me souviens même de son écriture si joliment alambiquée.
Ce type était une étoile dans notre noirceur adolescente.
Ils ont assassiné une étoile.
Jour J
J’ai commencé mon nouveau boulot. Pleine de stress et d’enthousiasme. La veille du jour J, alors que j’arpentais fébrilement les locaux à l’affût du détail qui m’aurait échappé, j’ai reçu un coup de fil magique : celui de ma tutrice d’IFAS, qui savait que j’avais eu ce poste, et m’appelait pour me féliciter et m’encourager. Parfois, les petits bonheurs tiennent à pas grand-chose.
Et puis le jour J, enfin! Arriver à 8h, tourner la clé dans le serrure, entrer, respirer un grand coup. Balayer du regard cette grande maison dans laquelle je vais désormais travailler. Poser mon sac dans le bureau. Et préparer une soupe en se disant que l’odeur des légumes qui mijotent sera un accueil chaleureux et rassurant pour la première personne qui arrivera tout à l’heure.
Et puis, tout s’enchaîne très vite. La famille qui arrive dans la matinée, les premiers meubles, les premiers papiers à remplir.
Mon premier repas, seule devant cette grande table, en attendant le retour de la famille… et du premier résident. L’arrivée de ma collègue de l’après-midi. Tiens, et si on faisait un gâteau pour le goûter? L’arrivée de Monsieur R. et de ses enfants. L’accueil. Les présentations. Le café et le gâteau ensemble. Nous sommes tous un peu intimidés. Je n’ose imaginer l’état de stress de ce monsieur, lui qui quitte une maison dans laquelle il est né et a toujours vécu pour venir habiter ici, dans cette maison qu’il ne connaît pas, avec des gens qu’il ne connaît pas.
Note pour plus tard : relire les phases du deuil d’Elisabeth Kübler-Ross.
Et puis, il faut partir, il commence à se faire tard et je dois rentrer m’occuper des enfants. Dire au-revoir, rappeler à la collègue qu’elle n’hésite pas à téléphoner en cas de problème, croiser secrètement les doigts pour qu’il n’y ait pas de problème. Refermer la porte, monter dans la voiture, souffler un grand coup. La première journée s’est bien passée. Pas de catastrophe majeure, pas d’explosion d’appareil électrique, quelques « petits » détails à régler mais rien de très grave. Rentrer, le sourire aux lèvres. Et, pendant tout ce temps, repenser au chemin parcouru en cinq ans, et se dire que c’est un peu magique tout ça. Continuer la lecture
Demain…
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai… travailler!
Nouveau boulot. Nouvelle équipe. Nouvelle aventure. Je n’ai jamais été aussi stressée. J’ai été animatrice, éducatrice, aide à domicile, aide-soignante… demain je serai « assistante de vie coordinatrice ». J’ai hâte et peur à la fois. Émoustillée comme une gosse devant ses cadeaux de Noël, mais tétanisée quand même.
Comment sera l’équipe? Comment serons les personnes accueillies? Comment construirons-nous une relation tous ensemble?
Et, plus prosaïquement : comment fonctionne le lave-vaisselle? On mange quoi demain soir? On fait quoi ce week-end?
Le nouveau boulot, c’est exactement ce dont je rêve depuis des années : une petite unité de vie pour personnes âgées, un endroit tous ensemble, une vie presque comme à la maison. Un petit chez-soi dans un grand chez-nous. Pas de blouses de soignants, pas de repas dans des barquettes, pas de toilettes à la chaîne. Une maison à part, mais au coeur du bourg. Un petit jardin, une terrasse ensoleillée, des commerces accessibles à pied et, juste de l’autre côté de la rue, des vaches. Tout me plaît.
Alors oui, le stress est à son maximum, j’ai peur d’avoir oublié quelque chose, peur de ne pas savoir, peur de me tromper. Peur peur peur. Mais tellement hâte. Tellement heureuse de voir ce projet aboutir. Tellement fière de voir que les efforts finissent (enfin) par payer!
Demain sera un nouveau jour. Demain, tout est possible. Pensez à moi. Continuer la lecture
Une question d’éthique #2 (5)
Suite des épisodes 1, 2, 3 et 4.
Madame Grandchef m’attend de pied ferme dans son bureau. Je viens de me faire pourrir par Madame Titi et n’ai nulle envie de remettre ça avec ma délicieuse patronne. Il va pourtant falloir en passer par là. Je me tiens donc, penaude, face à Madame Grandchef, et prépare intérieurement ma défense quand celle-ci passe à l’attaque sans prévenir.
– Bon, Babeth, c’est quoi le problème avec Madame Titi? (air méfiant)
– Elle ne veut pas que j’intervienne chez elle. Elle dit qu’elle n’a pas besoin de ménage (air désolé).
– Eh bien c’est à vous de la convaincre du contraire. Sa fille a demandé trois interventions par semaine, je ne vais quand même pas passer mon temps à essayer de rattraper vos erreurs (air pas très content)!
– Oui, je sais bien que sa fille l’a demandé, mais elle, elle n’a rien demandé. Et elle ne veut pas de femme de ménage. En fait elle ne veut pas que j’entre chez elle, tout simplement (air confit).
– Eh bien la prochaine fois, vous ne passez pas par la salle du bas et vous allez directement chez elle. C’est pas compliqué (air victorieux)!
Je suis stupéfaite. Madame Grandchef me demande donc d’agir dans le dos de Madame Titi, exactement comme le fait déjà sa fille. Voilà qui ne va pas aider à instaurer cette fameuse relation de confiance!
– Euh… Vous êtes sûre? Elle risque de mal le prendre quand même. Et puis de toute façon, sa porte est fermée à clé, je suis obligée de la lui demander pour entrer (air paniqué).
– Vous n’avez qu’à demander la clé à la directrice du foyer logement, elle a le double (air de « j’ai réponse à tout »).
– Euh… si vous voulez. Je vais essayer (air perdant).
Je sors, un peu ahurie par la teneur de cette discussion. On me demande donc très officiellement de passer outre la volonté de Madame Titi. Elle ne veut pas de ménage? Tant pis, elle en aura quand même. Elle ne veut pas ouvrir sa porte. Tant pis, on l’ouvrira quand même. C’est quoi la prochaine étape?
Elle doit pouvoir profiter de l’autonomie permise par ses capacités physiques et mentales, même au prix d’un certain risque. Il faut l’informer de ce risque et en prévenir l’entourage. La famille et les intervenants doivent respecter le plus possible son désir profond. »
Pour résumer, Madame Titi, personne âgée dépendante vivant en institution, a le droit de donner son avis… mais on s’en fout. Bien bien bien.
Le surlendemain, retour chez Madame Titi. J’entre dans le foyer-logement et regarde discrètement dans la salle du bas. Madame Titi est là, sur son fauteuil habituel. Elle dort. Je monte chez elle. Avec un peu de chance elle aura laissé sa porte ouverte. Raté. Porte close, il fallait s’y attendre. Penaude, je vais chercher la directrice afin qu’elle me délivre le fameux sésame. Je ne suis pas fière, agir dans le dos de Madame Titi me met mal à l’aise, mais les consignes sont les consignes, et Madame Grandchef n’est pas d’humeur à tolérer un échec de plus.
Manque de pot, la directrice du foyer logement n’est pas au courant de cette histoire de ménage et de clé, et il est hors de question qu’elle m’ouvre la porte du logement de Madame Titi sans son consentement. Consentement que je dois donc obtenir sur le champ si je veux éviter les foudres de Madame Titi et Madame Grandchef réunies.
Retour à la case départ. Continuer la lecture
Une simple photo?
L’histoire se passe à Morteville, il y a quelques années.
C’est le week-end de Noël et je travaille. J’en suis plutôt heureuse, car c’est encore l’époque où j’aime sincèrement mon travail d’auxiliaire de vie. Le week-end, on n’intervient que pour l’indispensable : lever/toilette/repas/coucher.
J’avoue, j’aime bien travailler le week-end, on a moins de bénéficiaires, on peut prendre un peu plus de temps si besoin. La semaine qui précède Noël, il y a comme un petit air de fête. On sort les bonnets de Père Noël, ça fait sourire les bénéficiaires et les résidents du foyer logement, la bonne humeur est contagieuse. Madame Grandchef nous lance le défi d’aller bosser avec à Noël. Je suis joueuse, pas de problème, et j’amène même mon appareil photo pour avoir une preuve!
Le 25 décembre, je débarque donc au travail grimée en mère Noël, bonnet et déguisement, et même un sac de papillotes au chocolat… Succès garanti! Au foyer logement, mon aide-soignante préférée est là… et comme moi elle est joueuse! Nous faisons nos tournées respectives dans nos tenues de Mères Noël, la bonne humeur est au rendez-vous. Voulant garder un souvenir de cette joyeuse matinée, nous demandons à un résident de nous prendre en photo ensemble. Il accepte… à condition que nous le prenions aussi en photo avec un bonnet! Banco. Clic clac Kokak, c’est dans la boîte. Une résidente passe à ce moment-là et, amusée, nous demande un portrait. Une, puis deux, puis trois… Je reste plus longtemps que prévu au foyer, l’appareil photo tourne, les sourires aussi, il y a comme une étincelle de magie dans l’air.
Retour maison, je regarde les photos, ça fait de chouettes portraits et j’en suis toute émue. J’imprime tout ça dans la semaine et les ramène au foyer, où ma collègue sympa se charge de les distribuer aux concernés. Dans les jours qui suivent, je vois les portraits de Noël posés sur les commodes, punaisés au mur, parfois même encadrés. Une résidente me confie avoir été surprise en se voyant en photo, car elle n’imaginait pas avoir cette tête-là. Elle ne se regardait jamais dans le miroir, parce qu’elle voyait mal, mais avec la photo, elle pouvait se rapprocher de l’image. Une autre me dit que la dernière photo qu’elle avait d’elle datait d’il y avait au moins dix ans. Elle n’a pas d’enfant et personne pour la prendre en photo. Je suis heureuse de ces portraits, heureuse d’avoir pu faire plaisir, simplement. C’est tout simple, une photo, ça fait partie de mon quotidien, mais je n’imaginais pas à quel point ça pouvait être absent du leur.
Fin de l’histoire? Non, hélas. Madame Grandchef a vent de ces photos. Une charmante collègue a été raconter que j’avais photographié des gens… Pourquoi? Mystère. Toujours est-il qu’au lieu de m’en demander la raison, cette collègue dont je n’ai pas le nom est allée fayoter dans le bureau de la patronne. La joie des relations d’équipe! Ni une ni deux, me voilà convoquée pour des remontrances. Madame Grandchef n’est pas tendre ce jour-là (les autres jours non plus quand j’y pense). C’est pas bien ce que j’ai fait, j’aurais dû demander l’autorisation. Euh… à qui? Je n’ai photographié que les personnes qui l’ont demandé, je n’ai pas volé d’image sans les prévenir, et surtout, les portraits ont été donnés directement aux concernés, il n’y pas eu d’affichage, pas d’échanges de mail, rien d’autre que des tirages papier individuels…
Oui mais quand même, « on » pourrait croire que c’est pour se moquer. « On »? « Les familles » me répond Madame Grandchef. Mais il y a eu des plaintes? Non, mais ça aurait pu, me répond la patronne en colère. Ah bon. Ben désolée. Désolée de regarder les gens. Désolée de m’intéresser aux sourires qu’ils m’offrent. Désolée de décorer leur frigo. Désolée de leur montrer leur tête. Désolée désolée désolée.
Je ne me suis plus déguisée. Je n’ai plus ramené de papillotes (pourtant, Madame Grandchef ne m’avait rien reproché à ce sujet… alors qu’en y repensant, c’était vachement plus grave, j’aurais pu tuer un diabétique!). Je n’ai plus souri comme ce jour-là. Mais ce qui me console, c’est que j’ai longtemps vu « mes » portraits chez les gens. Sur les commodes et les frigos. Au-dessus de la télé, dans l’album photos. Et ça, ça valait bien toutes les remontrances, non?
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Monographie
Hier, en triant quelques vieux papiers qui encombraient mes étagères, je suis tombée sur les écrits produits pendant ma formation de monitrice éducatrice. C’était il y a treize ans, j’avais vingt-cinq ans, j’étais encore très naïve, et lire ma prose d’alors m’a replongée dans l’insouciance de cette époque pleine de possibles.
Aujourd’hui, à bientôt quarante ans (quoi? déjà?), je relis avec amusement cette fameuse monographie, sobrement intitulée « les petites choses », dont le sujet était la création d’un atelier de photographie en foyer de vie, auprès d’adultes souffrant de handicap mental, et je ne résiste pas au plaisir de partager la naïve conclusion écrite à l’époque.
« N’importe où, il y a toujours quelque chose en préparation. Il suffit d’attendre, il faut regarder longuement pour que le rideau daigne s’ouvrir. » (Robert Doisneau, Trois secondes d’éternité)
Il peut paraître étrange d’avoir tant cité Robert Doisneau dans une monographie de moniteur éducateur. Tout simplement, Doisneau n’était pas qu’un photographe. Derrière ses oeuvres se cachent toute une philosophie de la vie, une poésie et un engagement.
Comme Prévert, Cartier-Bresson et Brassaï, Robert Doisneau porte un autre regard sur les choses et les gens. Chez les personnes qu’il rencontre, il est capable de remarquer la beauté d’une oreille avant de voir la verrue sur le nez (ndlr : oui, j’ai vraiment écrit ça!). Il peut s’attarder sur la poésie d’une poignée de porte au milieu d’une rue triste et déserte.
Comme lui, j’ai essayé au cours de mon stage de m’attarder sur ces petits trésors, de faire attention à ces petits détails qui font que même dans un foyer coincé entre une autoroute et un quartier pavillonnaire désert, il y a toujours cette jolie petite chose qui met de bonne humeur. Ce peut être une fuille givrée sur la pelouse, une écorce d’arbre, une ombre de rideau le matin sur le sol, les racines tortueuses d’une plante en pot exilée au fin fond d’une cafétéria.
Comme lui, j’essaie de porter un autre regard sur les gens, de ne pas les confiner au rôle qu’on leur a assigné dans l’institution : ils sont hommes, femmes, jeunes, vieux, sensibles, exubérants ou timides avant d’être trisomiques, psychotiques ou schizophrènes.
À travers cet atelier photo, j’ai voulu faire partager aux résidents cette vision des choses, cette façon d’être qui fait que, où que l’on soit, il y a toujours quelque chose de beau à voir (sauf peut-être à Fresnes, et encore, avec une certaine lumière, peut-être que…) (ndlr : je parle de Fresnes car c’est là que j’ai grandi, et ça n’est pas un exemple flagrant de ville photogénique).
J’ai également voulu leur donner une chance de s’exprimer, de prendre des décisions et de les réaliser au moyen du support photographique (ndlr : on sent ici toute la bien-pensance de l’éduc vous ne trouvez pas?).
Enfin, en leur confiant l’appareil photo, j’ai tenté de leur donner une nouvelle place, celle de « photographes officiels du foyer » (ndlr : ici aussi!).
Cet atelier a été un espace de liberté, un espace de parole et d’échange. J’ai découvert les résidents sans leur habituelle casquette de « malades mentaux ». Ce qui comptait, c’étaient les idées, la technique, la découverte, comme dans n’importe quel club photo. Je n’ai pas cherché à analyser leurs oeuvres, je ne fais pas de l’art-thérapie. je les ai considérés comme des apprentis photographe, point. L’atelier était un « club photo » et non une activité occupationnelle de plus. Cela signifiait une autre relation avec les résidents, une autre façon d’être avec eux.
Cela reste une expérience forte, enrichissante. Grâce à ce stage, j’ai découvert une autre façon de conjuguer un savoir professionnel (mon métier), un savoir-être (ma personnalité) et un savoir-faire (la photo). Je réalise que ces trois savoirs ont été intimement liés et sont nécessaires, pour ma part, à la richesse de ce métier. »
Treize ans plus tard, je me demande ce qu’il en serait si je refaisais cette formation. Comment vivrais-je aujourd’hui les enseignements théoriques et les stages? Quel regard porterais-je sur les équipes éducatives et les gens dont elles s’occupent? Parfois, j’aimerais avoir plusieurs vies et pouvoir voyager de l’une à l’autre… par simple curiosité intellectuelle!
La visite
Régulièrement, sur Twitter et dans les blogs, je vois des médecins s’interroger sur l’influence de Big Pharma. Accepter le stylo cadeau du visiteur médical, est-ce mettre un pied dans l’engrenage infernal des conflits d’intérêts? Peut-on rester neutre et impartial quand on signe son ordonnance avec le stylo « cooldodo » sur un sous-main « stopmigraine » juste après un séminaire aux Seychelles offert par « cardioplus »?
Peut-on prétendre être totalement impartial quand il s’agit de choisir le traitement adapté à tel ou tel patient souffrant de telle ou telle pathologie quand, une demi-heure auparavant, on a déjeuné avec un gentil visiteur médical qui nous a justement longuement vanté les mérites de son produit sur cette pathologie en nous offrant le repas? Pas sûr.
L’éthique et la déontologie ont encore de beaux jours devant elles.
En tant qu’aide à domicile, puis aide-soignante, je me croyais à l’abri de ces questionnements. Après tout, je ne prescris rien et aucune grande marque ne vient gentiment toquer à ma porte pour m’offrir un voyage pédagogique aux Baléares ou le moindre gadget commercial. Je me trompais.
Big Pharma est partout, et quand ce n’est pas pour des médicaments ou du matériel médical, les conflits d’intérêts peuvent aussi concerner de simples aides à domicile.
Il y a quelques années, alors que je travaillais encore à Morteville, Madame Grandchef avait convoqué l’équipe à une réunion de service. Ces réunions avaient lieu trois ou quatre fois par an environ, on y discutait surtout de l’organisation du service et on y évoquait parfois certaines situations qui nous mettaient en difficulté ou qui nécessitaient une cohésion d’équipe dans la prise en charge (autrement dit une mise au point). Ces réunions étaient, bien entendu, obligatoires, et rémunérées comme du temps de travail.
Ce jour-là, la réunion était un peu spéciale, parce que Madame Grandchef innovait. Avant de discuter des sujets qui nous concernaient, nous allions devoir écouter attentivement le laïus d’un représentant en matériel de maintien à domicile. Le type viendrait en début de réunion, nous présenterait sa société et les prestations qu’elle offrait, puis on commencerait la réunion de service proprement dite. Présence obligatoire dès le début de la réunion.
Ainsi fut fait. Le type est venu, nous a présenté un joli diaporama bien ficelé, nous a vanté les mérites de ses produits et a répondu à nos questions.
Le discours était bien huilé : « dispositif innovant… patati… bien-être des personnes… patata… sécurité… blablabli… je vous laisse des brochures… blablabla… vous pouvez en parler autour de vous… »
Une heure de bourrage de crâne plus tard, le gentil représentant est reparti en laissant une pile de brochures sur la table et nous avons pu commencer la vraie réunion. Madame Grandchef, fière de sa trouvaille, a alors annoncé à l’équipe qu’elle renouvellerait ce type de prestation afin de nous tenir informées des dispositifs concernant les personnes dont nous nous occupions. Ben voyons!
Quelques jours plus tard, je discutais avec une aidante à propos d’un problème concernant son mari. Nous cherchions ensemble une solution quand soudain une évidence se fit dans mon esprit : ce dont elle avait besoin, c’était justement LE truc dont nous avait parlé le représentant l’autre jour! Fière de moi et heureuse de pouvoir aider, je lui parlai alors de ce dispositif innovant qui respectait le bien-être des personnes tout en assurant leur sécurité et lui promis de lui ramener une brochure la prochaine fois.
Et paf! En plein dans le mille!
J’aurais pu et j’aurais dû lui parler des dispositifs existant sans citer de marque, mais en toute sincérité, je ne connaissais que celui-là.
J’aurais pu et j’aurais dû chercher d’autres solutions à son problème, mais en toute sincérité, il n’y en a qu’une seule qui m’est venue à l’esprit.
J’aurais pu et j’aurais dû me renseigner sur la concurrence afin de ne pas orienter le choix de l’aidante, mais en toute sincérité, j’ai eu la flemme de le faire et je me suis contentée de lui conseiller de comparer les prix… tout en sachant pertinemment qu’elle ne le ferait pas, parce qu’internet c’est compliqué, et parce que la gentille aide à domicile a parlé de telle marque et qu’elle avait l’air de savoir de quoi elle parlait. Et puis c’était urgent.
Je me suis fait avoir comme une débutante.
Et le pire dans tout ça, ça n’est même pas le gentil lavage de cerveau des gentilles aides à domicile.
Non. Le pire, je crois, c’est que cette réunion nous était rémunérée comme du temps de travail. Donc, pendant que le représentant nous balançait son gentil petit discours publicitaire, nous étions payées, par le CCAS, donc par la mairie, donc par les impôts locaux de ces mêmes personnes chez qui nous vendions ensuite ce fabuleux dispositif innovant qui respectait leur bien-être tout en assurant leur sécurité. Autrement dit, même sans y faire appel, ils le payaient quand même.
La boucle est bouclée. Continuer la lecture
Empathie
Récemment, en parcourant un groupe dédié aux auxiliaires de vie sur Facebook, je suis tombée sur ça :
Instantanément, j’ai pensé à Monsieur B, mais aussi à Madame LDV. J’ai aussi pensé à Madame Pasdbol et à quelques autres qui m’ont laissé un souvenir plus ou moins mitigé. Par curiosité, je suis allée lire les réponses. Au moment où j’écris ce billet, il y a une cinquantaine de commentaires sous ce post, c’est dire si la discussion va bon train. Dans les commentaires, je cherche quelques éléments décrivant un peu mieux la situation. Je découvre quelques précisions données par l’auxiliaire de vie qui témoigne :
« Je les signaler aussitôt le mr est sous tutelle,pas moment il a pas toute sa tête ,il es suivi par un psy.il es handicapée il a eu un avc très jeune .il à 55ans.pas famille »
« Elle a envoyer un mail à la tutrice de je le mois dernier il avait peut un couteau pour ce trancher la gorge on a enlever tout qui était dangereux à domicile »
« il 2frigo 1dans le bâtiment fermer au cadenas et un dans la cuisine nn fermer pour ses repas matin midi soi r prépare »
« ce le à que 12cigarette par jours ,café télé à par cela il fait rien de la journée ces pour au cache la nourriture il mangerai toute la journée. Au juste ces ça seule drogue »
Pour résumer, ce monsieur de 55 ans, célibataire sans enfant, a fait un AVC il y a longtemps, souffre de troubles cognitifs, et est sous tutelle. Il est tabaco-dépendant et semble socialement isolé. Il bénéficie d’une auxiliaire de vie pour les courses (et sans doute d’autres choses) et n’est pas autonome dans la gestion de ses repas. Il peut se montrer violent envers les autres et lui-même. Je pourrais aussi vous dire dans quel département il habite mais c’est sans intérêt pour la suite du billet.
Bon, là c’est résumé dans les grandes lignes.
Maintenant que je comprends un peu mieux le contexte, je relis les commentaires plus attentivement. Beaucoup conseillent de prévenir le/la responsable, de faire une déclaration d’accident du travail et d’exercer un droit de retrait. Des conseils sages au vu de la situation. Mais il me manque quelque chose.
Quand je m’étais trouvée en difficulté face à certains bénéficiaires violents (verbalement et/ou physiquement), j’avais eu la triste impression de ne pas être entendue. Je m’étais retrouvée seule face à des comportements que je ne comprenais pas et auxquels je n’étais pas préparée. Seule et désemparée. L’unique question que je me posais à l’époque était la suivante : comment? Comment réagir? Comment faire? Comment continuer? Je n’avais pas trouvé de réponse idéale et m’étais alors contentée d’étaler mon désarroi ici. Madame Grandchef, en me montrant gentiment la porte après que je lui avais annoncé ma grossesse, m’avait sans le vouloir rendu un grand service. En m’offrant plus de temps libre que ce que mon arrêt maternité m’octroyait, j’avais pu accompagner la fin de vie de mon père et faire une formation d’aide-soignante. Et j’ai compris une chose.
J’ai compris que je ne me posais pas les bonnes questions, ou du moins pas au bon moment. Parce qu’avant de me demander « comment », peut-être aurait-il fallu que je me demande « pourquoi ». Pourquoi Madame LDV ne m’aime-t-elle pas? Pourquoi Monsieur B. est-il aussi agressif? Pourquoi Madame Pasdbol ment-elle continuellement?
Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?
Si j’avais eu la réponse à ces questions toutes simples, j’aurais peut-être plus facilement trouvé le « comment ». Comment réagir? Comment répondre? Comment faire?
Mais, pour me poser les bonnes questions, encore aurait-il fallu que je réfléchisse autrement. Je réfléchissais avec mes valeurs et ma normalité. Je pensais en tant que Babeth, aide à domicile, 35 ans, mariée, maman, en bonne santé physique et mentale. Mais ma normalité n’était pas la leur. Ma vie n’était pas la leur.
J’aurais pu réfléchir différemment, en me mettant cinq minutes à leur place.
Et si c’était moi, la veuve délaissée par ses enfants, dépendante au point de ne plus pouvoir sortir faire ses courses, à qui l’on impose une auxiliaire un peu trop souriante?
Et si c’était moi, celui qui souffre continuellement, rongé par la dépendance à l’alcool, que plus personne ne vient voir?
Et si c’était moi, la femme mal-aimée, rejetée par sa propre mère, qui n’a pas conscience de ses incohérences et reste persuadée que tout le monde ment autour d’elle?
Si c’était moi, ne serais-je pas agressive moi aussi? Ou méprisante? Ou violente?
Je ne me posais pas les bonnes questions, parce que je ne faisais pas preuve d’empathie. Je croyais être une bonne aide à domicile. J’étais souriante, polie, travailleuse. J’aimais mon travail et je ne comprenais pas pourquoi, malgré toute ma bonne volonté et mes sourires polis, je ne parvenais pas à établir une saine relation d’aide avec certains bénéficiaires. Certains m’étaient sympathiques, d’autres carrément antipathiques, et je ne savais pas me situer professionnellement au milieu de cette cascade d’émotions parasites.
Sympathie et antipathie. Voici les mots qui m’ont piégée. Trop ceci, pas assez cela. Trop proche, trop distante, trop souriante, trop sur la défensive.
Puis j’ai fait une pause forcée, j’ai eu un enfant, j’ai perdu mon père, je suis devenue aide-soignante, et j’ai repris le travail. Différemment.
J’ai découvert l’empathie.
L’empathie (du grec ancien ἐν, dans, à l’intérieur et πάθoς, souffrance, ce qui est éprouvé) est une notion désignant la « compréhension » des sentiments et des émotions d’un autre individu, voire, dans un sens plus général, de ses états non-émotionnels, comme ses croyances (il est alors plus spécifiquement question d’« empathie cognitive »). En langage courant, ce phénomène est souvent rendu par l’expression « se mettre à la place de » l’autre.
Cette compréhension se produit par un décentrement de la personne et peut mener à des actions liées à la survie du sujet visé par l’empathie, indépendamment, et parfois même au détriment des intérêts du sujet ressentant l’empathie. Dans l’étude des relations interindividuelles, l’empathie est donc différente des notions de sympathie, de compassion, d’altruisme ou de contagion émotionnelle qui peuvent en découler. (Wikipédia)
J’ai réalisé que pour comprendre une situation, je dois réfléchir autrement. Non plus avec ma normalité mais avec celle de la personne qui est en face de moi. Je dois déposer mes valeurs et mes idées sur le paillasson de l’entrée et me plonger dans une autre dimension, celle de l’Autre. Je dois pouvoir l’entendre et l’écouter, le voir et le regarder. Je dois me demander ce que je ferais à sa place, avec ses valeurs, ses possibilités, et non ce qu’une personne de « ma » normalité ferait à sa place. Je dois changer de normalité comme je change de patient, voilà tout. C’est à moi de m’adapter à lui et non le contraire. Ça paraît tellement évident quand je l’écris, et je me sens tellement stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt!
Pour en revenir au débat initialement cité, je trouve qu’il illustre parfaitement le sujet. Parce qu’en lisant ce post, la première chose que j’aurais ressentie il y a quelques années, c’est de la sympathie pour la collègue agressée, ou de l’antipathie pour le responsable d’agence qui n’intervient pas. Aujourd’hui, après une naissance, un deuil, une formation et un coup de coeur professionnel (faudra que je vous parle de Naomi Feil un jour, vous m’y ferez penser?), ma première réaction a été de demander pourquoi la nourriture était sous clé, et de me dire que ça devait être terrible de devoir subir une interdiction pareille. Terrible et maltraitant
Ça paraît évident de se poser la question, je sais, mais ça ne l’était pas pour moi il n’y a encore pas si longtemps. Spontanément, ça n’aurait pas été ma priorité. J’aurais demandé « comment » mais pas « pourquoi ». Et je ne me serais pas demandé comment j’aurais réagi à SA place.
Du coup, désolée si je me permets un quart d’heure cocorico (tant pis, j’assume), mais je suis contente du chemin parcouru depuis Monsieur D. et Madame LDV., contente de faire de belles rencontres qui me font voir les choses différemment, et contente de poursuivre ma route en me disant que j’ai encore plein de choses à découvrir.
Et même, j’en profite pour vous balancer un petit lien vers le #mededfr, parce qu’on en avait parlé et que ça avait été un chouette débat :
https://mededfr.wordpress.com/2014/11/13/mededfr-22-lempathie-ca-sapprend/
Désert médical et autres tracasseries financières
À la base, il y a ce billet, et cet article.
En gros, pour résumer, ces salauds de médecins donnent des arrêts maladie en veux-tu en voilà, et ces salauds d’infirmiers libéraux coûtent beaucoup trop d’argent à la Sécu. Ça, c’est pour la version rapide. Mais le mieux serait quand même d’aller zieuter les liens, parce qu’ils valent vraiment le détour.
Du coup, elle est fâchée Amélie (la Sécu, pas ma fille). Parce que zut quand même, c’est quoi ces nantis qui dépensent l’argent public comme s’il coulait à flots? Ne seraient-ils pas légèrement inconscients? Ou je-m’en-foutistes? Voire même un peu voleurs?
Trop laxistes les médecins? Trop chers les infirmiers? La faute à qui?
Madame G., veuve, vit dans une maison isolée, loin du bourg. Pour la toilette, ça va. Pour les repas, ça va aussi. Pour le ménage, ça va à peu près. Mais y a un truc pour lequel ça va pas : les gouttes. Madame G. doit mettre des gouttes dans ses yeux tous les soirs. Toute seule, elle n’y arrive pas. Pencher la tête en arrière, lever le bras, viser juste, presser le petit flacon… l’arthrose rend la tâche trop compliquée. Le médecin lui propose alors le passage d’une infirmière libérale pour ce soin. Madame G. appelle donc le cabinet infirmier du bourg. Problème : elle habite loin, très loin, trop loin. Les infirmiers n’ont aucun autre patient dans ce secteur, et l’aller-retour chez Madame G. leur demanderait une demi-heure de plus sur leur tournée du soir, déjà blindée, pour un acte coté à 2,65€ (sans les frais de déplacement). Bref, ça va pas être possible. Madame G. est bien embêtée. Elle ne peut pas mettre ces fichues gouttes, les infirmiers ne peuvent pas non plus, alors comment faire? Elle rappelle son médecin pour lui faire part de ce problème et celui-ci lui suggère de demander au CCAS. En effet, puisque les employées de ce service font des aides à la toilette, elles peuvent peut-être mettre des gouttes dans les yeux non? Après tout, c’est pas bien compliqué. Aussitôt dit, aussitôt fait. Madame G. contacte le CCAS de sa ville et demande un passage rapide le soir. Sauf que…
Une prestation, c’est minimum une demi-heure, même si mettre des gouttes ne prend que cinq minutes (et encore, en comptant large).
Madame G. ne bénéficie pas de l’APA.
Les employées du CCAS ne sont pas infirmières mais, au mieux, auxiliaires de vie (et là je dis bien « au mieux »).
Malgré tout, ça doit pouvoir être possible.
Malgré toutes ces contraintes, Madame G. n’a pas vraiment le choix, et elle accepte de payer pour un passage d’une demi-heure tous les soirs, puisque c’est la seule solution.
Donc, pour un soin simple et rapide qui aurait dû coûter 2,65€ (plus les indemnités kilométriques) (et non remboursé, au passage) s’il avait été pratiqué par le cabinet infirmier, Madame G. va débourser environ 300 euros par mois. De sa poche. Pour des gouttes dans les yeux. Ça, c’est pour le côté financier.
Parce qu’attendez, c’est pas tout. L’irrigation de l’oeil et l’instillation de collyre sont des actes infirmiers. Donc, une auxiliaire de vie, qu’elle soit diplômée ou pas, ne peut pas le faire. Elle n’en a pas le droit, c’est aussi simple que ça. Sauf que là, elle le fait quand même. Sur les conseils du médecin, sur ordre du CCAS, et au mépris de la loi. Exercice illégal de la profession d’infirmier.
Mais attendez, c’est pas fini! Une demi-heure pour mettre des gouttes, c’est beaucoup trop! Sauf que voilà, Madame G. paye, et elle paye cher. Alors puisque l’auxiliaire est là, autant qu’elle fasse quelque chose de son temps, non? Justement, ça tombe bien, il y a les bas de contention. Parce que ces fichus bas, ils sont durs à mettre, et encore plus durs à enlever! Le matin, ça va encore, elle a acheté un enfile-bas de contention et elle y arrive tant bien que mal. Mais le soir, c’est une autre histoire! Alors, puisque l’auxiliaire est là, est-ce qu’elle pourrait…? Ça, l’auxiliaire de vie a le droit de le faire, alors pas de problème.
Maintenant, le soir, elle met les gouttes et elle enlève les bas. Ça ne remplit pas la demi-heure mais c’est mieux que rien. Sauf que…
Rappelez-vous. L’auxiliaire de vie, si elle en a le titre, n’en a pas toujours le diplôme. Parfois, elle n’a rien d’autre que son expérience et sa bonne volonté. Et dans certaines situations, ça ne suffit pas.
Un jour, Madame G. ne se sent pas bien. Elle a un peu de fièvre et une douleur dans la jambe. L’auxiliaire passe le soir, met les gouttes dans les yeux et enlève les bas de contention. Madame G., peu causante d’habitude, lui parle de sa douleur. Un peu de fièvre et une douleur, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire? Ce soir, c’est Christelle qui intervient. Christelle est gentille, et puis elle fait ce métier depuis dix ans, elle pourra sans doute faire quelque chose. Mais voilà, Christelle a beau être gentille et expérimentée, douleur et fièvre, ça ne lui parle pas trop. Il est tard, la journée a été longue, Christelle a encore deux personnes à voir pour le repas et le coucher… Alors bon, douleur et fièvre… Elle conseille à Madame G. d’appeler son médecin le lendemain si ça va ne pas mieux, lui souhaite une bonne nuit, et s’en va.
Madame G. est en train de faire une phlébite, tout simplement. Dans la nuit, elle fera une embolie pulmonaire. Hospitalisée en urgence, elle ne rentrera qu’au bout de trois longues semaines à son domicile. Tellement affaiblie que son état nécessitera deux passages infirmiers par jour. Et finalement, ça coûtera vachement plus cher à la Sécu qu’un simple passage quotidien pour les gouttes dans les yeux.
Voilà. Je dis ça je dis rien.
Cinq ans!
Il y a cinq ans, je débutais un petit blog de rien du tout. Je voulais un espace pour souffler un peu après le boulot, un endroit où déposer les fardeaux parfois lourds de mes journées. Il y a cinq ans, j’écrivais ceci : Faisons connaissance
J’ai écrit, un peu, de temps en temps, puis de plus en plus souvent. Je me suis créé un compte twitter, pour suivre plus facilement les blogueurs que j’aimais lire.
J’ai créé un deuxième blog, puis un troisième, parce que je voulais parler d’autres choses. Et puis, après twitter et les blogs, le #mededfr. Et puis, en même temps, quelques articles, signés de mon vrai nom cette fois.
Aujourd’hui, à force de m’éparpiller ici et là, Babeth a pris beaucoup de place dans ma vie. Un peu trop de place. Ce que fait Babeth, ce qu’écrit Babeth, mon vrai moi fait semblant de ne pas le savoir. Et inversement.
J’avoue, ça devient compliqué. Trop compliqué. Et inutile. Et prétentieux. Et plein d’autres choses.
Parce que bon, au début, j’étais juste prudente. J’avais envie d’écrire ce qui me passait par la tête sans avoir à modérer mes propos. J’anonymisais les situations, certes, mais pas les émotions. C’était un peu brut de décoffrage parfois, j’avoue. Un peu gnangnan aussi. Mais je devais me cacher, parce que si Madame Grandchef, ou une collègue, était tombée là-dessus, je n’aurais pas donné cher de mon boulot! Et puis, le temps passe, on vieillit, on prend des rides et du poids, et on apprend (un peu) à ne pas sauter sur son clavier à la moindre contrariété. Et puis, surtout, j’ai quand même perdu mon boulot de toute façon, alors…
Alors voilà, c’est un grand pas pour moi et un petit rien du tout pour vous, mais je vais dire au revoir à Babeth. Je vais faire un peu de ménage, ici et ailleurs, pour ne pas laisser traîner trop de casseroles derrière moi, et je vais arrêter de me cacher derrière mon petit dessin.
Je continue ce blog, les autres je ne sais pas encore, je réfléchis. Je garde certains billets, j’en efface d’autres. Bref, je change. J’ai un peu peur, je suis un peu excitée, ça me fait un peu bizarre… 😉
À bientôt!
Cinquante nuances de gris
Et voilà, on y est. Aujourd’hui est le premier jour du mois d’octobre et, comme chaque année, vous serez inondés de campagnes pour le dépistage du cancer du sein, avec événements (à la con) sponsorisés par des grandes marques, mystérieux statuts Facebook (à la con) qui n’intéressent que celles qui les postent, courses roses (à la con) et j’en passe. Si vous voulez lire des blogs intéressants sur le sujet, allez zieuter ici et là. C’est bien écrit, c’est intelligent et pas gnangnan, et en plus les nanas qui écrivent sont deux très chouettes filles qui gagnent à être connues. Ça c’était pour le quart d’heure promo des copines, passons au sujet qui m’intéresse.
Parce que bon, le 1er octobre ne marque pas que le début d’octobre rose, c’est aussi la journée internationale des personnes âgées. Mais là, bizarrement, y a pas de couleur « officielle » associée. Enfin si, y en a une… L’argent. La silver economy, voilà une expression à la mode. Parce que les vieux, ça coûte cher d’un côté, mais ça rapporte aussi beaucoup de l’autre. Du coup, j’avoue que pour le tire du jour, j’ai failli opter pour « La couleur de l’argent ». Et puis non. Parce que j’avais pas envie de parler de ça, du moins pas aujourd’hui (mais je me le mets dans un coin de ma tête pour plus tard). Du coup, pour rester dans le thème des couleurs (c’est plus vendeur), on pourrait faire simple et choisir le gris, tout simplement. Le gris, c’est bien, c’est sobre, c’est digne. L’ennui c’est que c’est pas très glamour, donc pas très vendeur, sauf si on parle des nuances du gris… Nuances de Grey… Vous suivez? Bref, vu que le « 50 nuances de Grey » est déjà pris (c’est le cas de le dire), parlons plutôt des « 50 nuances de gris », vous voulez bien?
Pour commencer, faites une petite expérience. Allez sur google, tapez « vieux et » dans la barre de recherche, et admirez le résultat. Pour les paresseux, voici la copie d’écran :
Donc, quand on est vieux, généralement, on est méchant. Premier cliché.
Ou gentil. Deuxième cliché. Parce que de nos jours, l’image du vieux, c’est souvent celle du « gentil petit vieux » ou celle de la « méchante petite vieille » (ou l’inverse). Ou alors, soyons fous, tentons la vieillesse excentrique, celle qui fait parler d’elle et fait de vous un super vieux. Troisième cliché. Ou la vieillesse héroïque, celle qui a survécu à tout et continue vaillamment d’affronter les vicissitudes de la vie. Quatrième cliché. Ou la vieillisse sage, celle qui a tout vu tout entendu et en a fait une leçon de vie. Cinquième cliché. Je pourrais continuer encore longtemps. Mais c’est lassant.
Je connais beaucoup d’hommes et de femmes âgés. Certains font dans le cliché, d’autres pas. La plupart d’entre eux sont comme vous, moi, le voisin ou tata Fernande : ils sont comme ils sont, avec des rides en plus, point.
Ils ne sont pas « plus méchants », « plus gentils », « plus excentriques », « plus héroïques » ou « plus sages » que les moins vieux.
Toutes les vieilles dames ne font pas du tricot et des confitures, tous les vieux messieurs ne font pas du jardinage et de la pêche à la ligne (peut-être qu’ils font de la zumba et du saxophone).
Ceux qui ont connu la guerre n’étaient pas tous des résistants ou des collabos (peut-être qu’ils se sont contentés de la traverser en essayant « juste » d’y survivre, ce qui est déjà pas mal).
Ceux qui ont vécu très longtemps ne possèdent pas tous la docte sagesse de Socrate (peut-être même qu’ils sont cons, si si, ça existe!).
Ceux qui meurent seuls et oubliés ne sont pas forcément victimes d’un drame de la solitude (peut-être qu’ils n’aimaient pas les gens).
Ceux qui sont dépendants n’ont pas tous besoin d’une gentille dame de compagnie qui leur fera la causette en passant le balai (peut-être aussi qu’ils ont juste envie qu’on fasse le ménage et rien d’autre).
Hélène collectionne les timbres. Bernard bricole en fumant le cigare. Jacqueline suit des cours d’histoire de l’art. Henri suit tous les régimes à la mode. Joséphine ne fait jamais de sieste. Yolande fait de très bons gâteaux. Maurice adore se déguiser.
Et vous? Et moi? Quelle sorte de vieux allons-nous devenir? Serons-nous des clichés? Des rebelles? Plutôt Madame Doubtfire ou Tatie Danielle? Gentille petite mamie ou ignoble mégère?
Je ne veux ni du tout blanc ni du tout noir. Je serai peut-être une sage extravagante, ou une adorable mégère. Je ferai de la confiture après mon cours d’équitation et prendrai des cours de croate après la sieste. Je boirai du schnaps entre deux régimes et ferai des blagues au téléphone. Je mettrai du muguet sur les tombes et relirai tout Boris Vian.
Bref, je serai comme un ciel breton… en cinquante nuances de gris. Continuer la lecture
Petite mamie
Ce billet fait suite à celui-ci, écrit il y a un petit moment.
Parfois, quand je m’ennuie, ou quand je cherche un peu d’inspiration pour un billet ou un article, je vais regarder du côté des réseaux sociaux et de ce qui se raconte sur les groupes dédiés aux auxiliaires de vie. Ma source principale, je l’avoue, c’est Facebook. Et j’y trouve des trésors.
Hier, une auxiliaire de vie en formation a posé la question suivante :
E. : « Que pensez-vous des personnes âgées? »
La question m’a surprise. C’est comme si je demandais à un médecin « que pensez-vous des patients? » ou à un concessionnaire « que pensez-vous des conducteurs? »
Ma curiosité étant piquée, je suis allée lire les réponses. Et j’ai bien failli tomber de ma chaise!
Un petit florilège des réponses lues sur le fil (je n’ai laissé que les initiales des intervenants mais ai laissé l’orthographe et la syntaxe des réponses, je m’appelle Babeth, pas Bescherelle).
M. : « Attendrissant avec des humeurs varier »
Y. : « Des enfants mais avec de l’expérience. Pas si stupides ni naïfs. Se méfier de certains. Parfois même si j’aime mon travail, certains m’agace… Voilà pour ma franchise. »
« On agit avec eux comme pour ces derniers. Ils nous faut faire preuve de patience, tolérance, explications pour ne pas les brusquer. Reexpliquer à plusieurs reprises.. Être egalement doux mais parfois ferme. Cest un travail très psychologique je trouve. Ils nous faut beaucoup de tempérance mais aussi d’écoute. Ils répètent tous ( comme des gosses dans la cour de recré) et nous font aussi répéter. ^^…sont parfois capricieux, et aimes nous tester. voilà en résumé.. »
« Si on est trop laxiste avec certains, on peut facilement se laisser bouffer. »
A. : « Pour certain je pense que effectivement il faut être ferme pour arriver a ses fins c est malheureux mais moi je suis obligée de l être avec un de mes clients qui fuit les douches et ne jure que par les toilettes du coup soucis dermato apres voila »
À ce stade de la lecture, je commence à bouillonner. Je m’imagine, vieille et dépendante, aux mains d’auxiliaires qui me trouveront « attendrissante » (ou pas) et qui me traiteront comme une enfant capricieuse. Je frémis d’horreur devant l’image d’une bonne femme que je ne connais pas me forcer à finir ma soupe ou à aller prendre ma douche. Je pense déjà aux moqueries que je susciterai quand je demanderai pour la troisième fois en une heure à quelle heure passe le médecin. Du coup, je vais voir les autres fils de discussion. Plus bas sur la page du groupe, je trouve une discussion tout aussi sidérante.
S. : « Bjr merci pour l ajout je suis auxiliaire de vie depuis 1 ans et je m occupe d une petite mémé de 104 ans »
« Quand je dit mémé c est par affection elle est seule et pas famille à proximité nous avons tissé des liens forts«
M. : « Tu raison de l appeler mémé si elle est d accord se n’est pas un manque de respect et que sa fasse 1ans ou 10ou est le problème »
R. : « Vous partez loin avec vos histoire de mémé c’est pas une nom qui salis une dame c’est pas comme si tu lapeller la vieille .. »
« Bah petite mémé c’est pas nom plus vulgaire faut pas abuser ya rien de chocant enfin pour moi après chacun son avis »
Donc, quand je serai vieille, on m’appellera « mémé » et je n’aurai pas mon mot à dire. Je ne serai plus ni Madame ni Babeth, je ne serai plus qu’une petite mamie à qui on ne demande plus son avis. Une attendrissante petite mamie qui doit finir sa soupe bien gentiment et ne surtout pas manifester le moindre désaccord sous peine de passer pour une infernale vieille bique.
J’ai 38 ans. J’ai piloté des planeurs. J’ai fait des études. J’ai fait de la voltige et me suis tenue debout sur un cheval au galop. J’ai lu des livres, plein. J’ai pleuré en écoutant le Faust de Gounod. J’ai appris l’allemand, l’anglais, l’italien, le latin, le grec ancien, le polonais et l’espagnol (mais j’ai presque tout oublié, sauf l’italien). J’ai accompagné mes parents en fin de vie, dans la douleur. J’ai assisté à une vraie évasion de prison, avec hélicoptère et tout et tout! J’ai donné le sein à un enfant qui n’était pas le mien. J’ai accouché sans péridurale, deux fois (et je vous prie de croire que j’aurais préféré l’avoir, cette foutue péridurale!). J’ai assisté, impuissante, aux ravages de l’alcoolisme de mes parents. J’ai vécu, de ce fait, des choses pas très rigolotes qu’une enfant ne devrait pas avoir à vivre. Je m’en suis remise. Sacrée résilience. J’ai emménagé en Bretagne sur un coup de foudre et un coup de tête. J’ai fait des choses dont je suis fière, et d’autres auxquelles je ne préfère pas penser.
Et quand je serai vieille, toute cette vie, ma vie, sera balayée par une connasse (pardon pour le terme mais je n’en trouve pas d’autre) qui parlera de moi en penchant la tête sur le côté et en disant d’un air sirupeux « elle est mignonne cette petite mamie, mais faut pas que je me laisse bouffer hein, sinon elle va en profiter, c’est sûr ». Et cette connasse, en disant cela, se sentira sans doute supérieure à la petite vieille ratatinée que je serai devenue. Cette connasse se considérera peut-être même comme ma sauveuse, celle qui est là pour mon bien, parce que moi, pauvre petite vieille, je serai bien incapable de prendre la moindre décision me concernant.
J’ai peur. Peur de vieillir et d’être dépendante. Peur qu’on soit ferme avec moi pour mon bien. Peur d’être aux mains d’une connasse qui viendra me caresser la tête un peu trop gentiment en m’enfonçant une cuillère dans la bouche pour que je finisse cette putain de soupe. Peur qu’un jour ma vie tout entière ne se résume plus qu’à cette image de mignonne petite vieille attendant sagement le passage de sa gentille auxiliaire si dévouée. Peur de n’être plus moi, tout simplement.
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Une question d’éthique #2 (4)
Les épisodes précédents sont là, là et là.
Troisième fois chez Madame Titi. Aujourd’hui, je dois faire la pièce chambre/salon à fond et l’entretien du logement. Ma précédente intervention m’a laissé un goût amer. Madame Titi ne me fait pas confiance. Bizarrement, Madame Grandchef ne m’a pas reparlé de l’histoire du porte-monnaie. Tant mieux car je ne suis pas d’humeur à supporter des remontrances injustifiées.
À quinze heures, je frappe légèrement à la porte de chez Madame Titi. J’attends. Pas de réponse. Je re-frappe. Je re-attends. Re-pas de réponse. Je re-re-frappe et je tourne doucement la poignée (oui, je sais, c’est pas bien). La porte est fermée à clé. Bien bien bien. Je re-re-re-frappe et j’appelle en même temps. « Madame Titi? » Re-re-pas de réponse. Bordel de merde. Bon, si elle n’est pas chez elle, elle est soit dehors, soit dans la salle du bas.
La salle du bas, c’est un peu l’antichambre de l’enfer. C’est là que sont alignés proprement les résidents du foyer logement en attendant le repas/l’animation/la quille.
Madame Titi est là, en effet, sagement installée sur son fauteuil confort. Sur le dossier : un manteau. À côté du fauteuil : deux sacs. Sur le fauteuil : Madame Titi, un oreiller, un gilet et un sac à main. Impossible de la rater!
Je m’approche en souriant (n’oublions pas que j’essaie désespérément de restaurer cette fameuse « relation de confiance » et pour ça, tous les moyens sont bons!).
– Bonjour Madame Titi, je viens pour le ménage mais votre porte est fermée à clé.
– Pour le ménage? Quel ménage? Et puis qui êtes-vous d’abord?
– Eh bien, je suis Babeth, je viens chez vous trois fois par semaine, mais c’est vrai que c’est nouveau chez vous, vous n’avez pas encore l’habitude. (Vous avez vu comme j’essaie de l’amadouer… tous les moyens sont bons je vous dis)
– Ah mais moi je n’ai rien demandé! Pas question de vous laisser entrer chez moi, je ne vous connais pas, qui me prouve que vous venez bien faire le ménage?
Là, ça se complique. Mon sourire de gentille fille est totalement inefficace, ma petite voix de douce personne l’est tout autant. Je suis dans la merde.
– Je suis venue il y a deux jours Madame Titi, et vous êtes restée avec moi pendant que je faisais le ménage. On pourrait faire la même chose aujourd’hui, comme ça vous voyez ce que je fais et je ne reste pas seule chez vous. (Tentative de corruption numéro un)
– Non. Si vous êtes venue il y a deux jours, ce dont je doute puisque je ne vous connais pas, inutile de revenir aujourd’hui. Je ne suis pas sale. De toute façon je fais mon ménage toute seule et je n’ai pas besoin de vous. Et puis d’abord, qui vous envoie?
– C’est votre fille qui m’a demandé de venir, elle voulait juste vous rendre service vous savez. (Tentative de corruption numéro deux)
– Eh bien vous lui direz que je n’ai pas besoin de femme de ménage! Allez ouste, je ne veux plus en parler, partez maintenant, vous me fatiguez!
– Si vous voulez, mais pour être franche avec vous, l’heure vous sera facturée quand même, alors puisque je suis là, autant en profiter non? (Tentative de corruption numéro trois, un peu maladroite je l’avoue)
– Quoi? Parce qu’en plus je vais payer pour quelque chose dont je ne veux pas? Ah mais ça ne se passera pas comme ça Mademoiselle, donnez-moi votre nom, je vais appeler ma fille pour lui dire que je ne veux pas de vous! Et ne revenez pas!
À ce stade de la conversation, je me rends compte que c’est foutu pour aujourd’hui. Pas la peine d’insister avec mon regard mielleux et mon sourire enjôleur, Madame Titi ne veut pas de moi, point. Je lui laisse mon nom sur un bout de papier et repars sous ses injures de vieille dame offusquée par mon effronterie. Une fois de plus, j’appelle Madame Grandchef, penaude. Cette fois-ci, par contre, je n’y coupe pas : je suis convoquée au bureau immédiatement.
À suivre…
Une question d’éthique #2 (3)
Lire le début ici et la suite là.
Peu avant quinze heures, les dames rentrent de leur promenade. Avant leur retour, j’ai pris soin d’aller vider la poubelle afin que Madame Titi ne tombe pas sur le sac rempli de nourriture avariée que j’ai rempli en à peine une demi-heure.
Madame Titi Junior inspecte le logement. J’ai fait comme j’ai pu en à peine une demi-heure, et c’est loin d’être parfait.
– La prochaine fois il faudra faire la salle de bain à fond, me dit-elle.
Oui Madame, bien Madame, à vos ordres Madame…
Madame Titi, elle, semble loin de se douter de ce qui l’attend quand elle cherchera de quoi grignoter au milieu de la nuit, et me raccompagne à la porte avec un grand sourire. M’est avis que la prochaine fois l’accueil sera moins chaleureux.
Et en effet, ça ne loupe pas. Quand je reviens deux jours plus tard, le sourire de Madame Titi a disparu. Sa fille n’est pas là, il n’y aura donc pas de promenade aujourd’hui. C’est parti pour une heure de ménage avec une dame suspicieuse (à juste titre) qui me suit partout et contrôle mes moindres faits et gestes. Madame Titi m’en veut. J’ai jeté le pain qu’elle gardait pour les oiseaux, j’ai fouillé dans ses placards, j’ai déplacé des choses et elle ne trouve plus rien. Je me défends mollement. J’ai jeté de la nourriture parce qu’elle était périmée, et qu’il aurait été dangereux de la consommer. Et pour cela, oui, j’avoue avoir ouvert les placards, mais c’était à la demande de sa fille. La vieille dame ne me croit pas. Si j’ai ouvert les placards, c’est forcément pour y voler quelque chose. D’ailleurs, bizarrement, elle ne trouve plus son porte-monnaie… Là, je sens que c’est mal barré pour la « relation de confiance ». Il va falloir trouver au plus vite une idée de génie pour tenter de calmer le jeu avant qu’elle ne me mette à la porte. Je lui propose donc de l’aider à chercher son porte-monnaie dès que j’aurai fini de nettoyer la salle de bain. Elle me quitte en grommelant et part retourner sa penderie à la recherche de son bien. Je finis le ménage au plus vite pour l’aider à chercher, hors de question que je quitte ce logement sur une accusation de vol. Le porte-monnaie n’est pas dans la salle de bain, ni dans la kitchenette, ni dans la penderie, ni dans la commode, ni derrière la télévision, ni sous le lit… Plus d’une demi-heure à tout retourner et rien! Je sens comme un malaise, un gros malaise. Mon heure est finie, je devrais déjà être partie, mais je ne peux me résoudre à laisser Madame Titi chercher toute seule. Alors je continue, frénétiquement, et je finis par retrouver l’objet du délit… dans le réfrigérateur! Logique. Triomphante et rassurée, je brandis le porte-monnaie, et l’octogénaire me fusille du regard.
– C’est vous qui l’avez caché là, j’en suis sûre! Vous faites ça par méchanceté, pour me faire tourner en bourrique, mais je me plaindrai, je vais téléphoner à ma fille et tout lui dire!
Ma joie retombe. Je ne suis plus une voleuse mais une dissimulatrice perverse et maltraitante. Je n’ose même pas faire signer ma feuille de présence, je m’assois sur les quinze minutes supplémentaires et quitte prestement le logement. Aussitôt dehors, j’appelle Madame Grandchef pour la prévenir de l’incident, je préfère prendre les devants.
Je repars travailler, je suis très en retard et mon moral est au fond de mes sabots. La suite de la journée s’annonce mal, la suite des interventions chez Madame Titi aussi.