Archives de l’auteur : B.

Et la science dans tout ça.

Je termine la lecture de « The patient’s Brain » de Fabrizio Benedetti.L’idée de cet essai est de tenter une explication de l’effet de la relation médecin-patient, dont – en partie – l’effet placebo, par le prisme de la recherche en neurosciences.Cet ouv… Continuer la lecture

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Profession de foi

Ivan IllichComme une profession de foi, nous attendons le plan d’action de notre nouvelle Ministre de la Santé. Mais je n’y crois pas. Il lui faudrait un courage politique que sa fonction ne lui permet pas. Et puis quelles pistes ? Augmenter le nombre … Continuer la lecture

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Vacances

Vol stationnaire au-dessus du clavier. Je me frotte les yeux. Pertinence de soins. Je pense à cet urgentiste ou à ces politiciens hors sol qui s’ébrouent sur les plateaux télévisés et qui ne semblent voir ou ne vouloir voir que la partie émergée de l’i… Continuer la lecture

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Le premier jour…

Longtemps je me suis couché de bonne heure. Ce soir, je tourne en rond. Les enfants dorment. Mes doigts hésitent. Vol stationnaire au dessus du clavier. Je ferme les yeux. Noir. Vide. Le corps est allongé sur le ventre. La pièce est exiguë. Des mouches… Continuer la lecture

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Trésor australien

J’avais enregistré une veille documentaire sur Pubmed au début de mon travail de thèse. Depuis, je reçois régulièrement une newsletter des dernières publications répondant à cette équation de recherche : « Drug Industry »[Majr]) AND « Education, Medical, Continuing »[Mesh]

Première équation de recherche. Emotion. Petite pointe d’excitation à l’ouverture du mail. Souvent déçu. Je me dis à chaque fois que je devrais la retoucher.
Surprise : l’article, ICI, s’avère passionnant.
A partir d’une situation concrète – le pot de départ à la retraite d’un confrère financé par une firme -, les auteurs réalisent un travail de synthèse épatant pour répondre à une question simple en apparence.
Un trésor de didactique.
Et en plus, on y cause médecine générale !
Parce que tout y est.
La définition du conflit d’intérêts. Quelques références aujourd’hui incontournables sur l’influence qu’exercent les firmes sur les soignants. D’autres références bien connues sur les effets néfastes de la promotion du médicament en termes de santé publique. La place du patient dans le débat sur la transparence des liens d’intérêts des soignants. Et enfin la place du généraliste dans cette affaire, tiraillée par le poids de la norme et la reproduction d’un modèle socio-professionnel…
Un article d’utilité publique, à diffuser sans modération.
Mais je ne vous en dirai pas plus.
Bonne lecture.

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Liens d’intérêts : le clair-obscur du CNOM

Quand le CNOM, sous la plume de son président, donne son point de vue sur les liens d’intérêts entre les soignants et les firmes pharmaceutiques, le résultat est troublant.
A lire ICI.
Trois points négatifs :

Un premier point perturbant : l’absence répétée du pluriel au terme « intérêt ».
S’il n’existe pas de règles orthographiques claires à ce sujet, restons pragmatiques et tenons-nous en aux sens de l’expression (LA).

Par définition, un lien est une jonction entre deux points. Il faut donc deux intérêts pour faire un lien.
Si on écarte les théories de la dissonance cognitive et les divergences conceptuelles du chanteur des Tranxène200, il faut donc bien 2 intérêts pour qu’il y ait un conflit.
Il est d’usage de parler de conflit d’intérêts entre un médecin et une firme lorsqu’on la mission primaire du soignant, sa mission de soin, est détournée par un intérêt secondaire (financier, nature ou autres) (1). Cette définition est bien entendue extrapolable à toute profession.
Cette coquille, s’il s’agit bien d’une coquille, est révélatrice du flou qu’il existe dans l’esprit des soignants à ce sujet. Un flou d’autant plus gênant lorsqu’il s’agit du président du CNOM.
Un deuxième point perturbant : l’absence totale de références bibliographiques. Des allégations particulièrement douteuses sont donc formulées sans pouvoir en vérifier les origines.
Par exemple :
« Il est possible pour un professionnel de santé d’avoir des liens d’intérêts qui ne compromettent pas son indépendance.« 
J’en suis resté sans voix.
J’en reste toujours sans voix.
Quid du principe de réciprocité ?
On en revient à cette fameuse illusion de « l’unique invulnérabilité »(2) (3).
Sur quels arguments le président du CNOM avance cette hypothèse ?
Si on revient au premier point, un lien d’intérêts ne fait pas nécessairement un conflit d’intérêts mais il compromet (4) nécessairement et par définition l’indépendance en rendant possible un potentiel conflit (3).
Cette absence de bibliographie m’attriste profondément. Elle vient balayer d’un revers de main tout le travail accompli par un certain nombre de soignants et non soignants sur ce sujet.
Des définitions ont déjà été posées. Des faits ont déjà été démontrés.
Un pas en avant, trois pas en arrière, en particulier avec ce paragraphe :
« Cela étant, plus le nombre de liens spécifiques établis avec un industriel dans le cadre d’actions concordantes sera important, plus la question de l’indépendance du praticien se posera avec acuité. Ainsi, la passation de plusieurs contrats, la même année avec un même industriel, et le financement ponctuel d’un voyage dans le cadre d’un congrès ne peuvent être considérés de la même façon. Notre degré de vigilance quant à la dimension du lien d’intérêt identifié dépendra donc de la nature des fonctions et des missions accomplies, ainsi que de la nature et du nombre d’avantages perçus par le professionnel de santé dans ce cadre. »

Enfin troisième point choquant : la publication d’un article du CNOM intitulé Liens d’intérêts et conflits d’intérêts sur la page web de la MACSF…
Un point positif :
« C’est pourquoi nous souhaiterions que les données disponibles sur le site gouvernemental soient étendues à toute forme d’avantage ou de rémunération perçue directement ou indirectement par un praticien et émanant d’un industriel du secteur de la santé. A notre sens, les associations qui perçoivent des fonds de la part d’industriels devraient même être tenues, sur le plan réglementaire, d’expliquer comment ces sommes sont affectées (amélioration du fonctionnement technique d’un service via l’achat d’un nouvel échographe, financement de la participation d’un médecin à un congrès, etc).  
Par ailleurs ces informations doivent pouvoir être accessibles à tout un chacun, sans restriction. Cette transparence totale est indispensable pour pouvoir restaurer une relation de confiance avec les patients. L’objectif est que le patient puisse être informé et poser toutes les questions qu’il souhaite pour pouvoir prendre des décisions éclairées pour sa santé. Il doit donc être au fait de ces liens d’intérêts lorsqu’ils existent et pouvoir en mesurer pleinement les enjeux. Nous devons partir du principe que tout ce qui peut contribuer à l’information éclairée du patient est positif. »
Les membres du Formindep doivent se sentir soulagés après toutes ces années de lutte (5).
Mais le CNOM les soutiendra-t-il dans leur course de fond face aux parlementaires ?

Que retenir ?

Ce papier se voulait éclairage. Il m’a fait l’effet du contraire, jetant un peu plus d’obscurité sur des définitions déjà délicates à appréhender.
Sur le plan de la transparence, il ne dit rien que l’on sait déjà. 
Peut-être un espoir en termes d’exhaustivité des déclarations de transparence ? Espoir bien rapidement douché par la notion de hiérarchie des liens d’intérêts…
(4) Définition du terme compromettre : Larousse

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Dire non

Fargo, saison 1

Vous êtes interne et vous vous trouvez régulièrement en difficulté lorsqu’il s’agit d’exprimer votre refus d’être exposé à la publicité de l’industrie du médicament.
Difficile de refuser de rencontrer un visiteur médical.
Difficile de refuser de manger avec le service quand la sauterie est sponsorisée par une firme.
Difficile de refuser d’assister à une soirée de « formation » quand on sait par avance qu’on y picore aux frais de BigPharma.
Une expression du non d’autant plus délicate que la situation se répète presque quotidiennement, et qu’elle est génératrice de culpabilité, ou de marginalisation.
Vous êtes interne et le « dire non » est une épreuve : ami, ce post est pour vous.
***
Dire non : un acte éthique engageant
Refuser d’être exposé à la publicité de l’industrie du médicament est une position éthique personnelle, rien de plus, rien de moins. C’est cette position qui sera, pour votre interlocuteur, la plus difficile à réfuter, et c’est celle qui à mon sens vaut la peine d’être défendue. D’un point de vue éthique, refuser cette exposition c’est prendre en considération le potentiel néfaste de la relation de réciprocité qui se tisse entre le prescripteur et les firmes. Une relation qui impacte directement votre mission première : primum non nocere.
Vous pouvez dès-lors exposer le lien d’intérêts comme une menace réelle pour vous (et donc pour votre patient) par sa capacité à – 1 – parasiter le jugement du prescripteur, – 2 – altérer le libre-arbitre, et – 3 – auto-entretenir un système de réciprocité dans lequel il est toujours plus complexe de dire non. La liste n’est ici pas exhaustive.
Se préserver de cette relation peut alors être présenté comme un acte d’hygiène intellectuelle (en particulier lorsqu’il s’agit de médicaments qui n’ont pas démontré d’intérêts de modifications de comportement). L’idée de l’argumentaire est de se prémunir d’une contamination de l’information potentiellement toxique pour le patient.
Dire non : sortir du jeu de dupe
L’annonceur n’a qu’un seul intérêt : le comportement de prescription.
Il n’est embauché par l’industrie du médicament que pour cette seule et unique raison : inciter à modifier un comportement de prescription. Bien que fictive, la série télévisée MadMen donne un aperçu intéressant du travail de l’annonceur.
Le visiteur médical, qui est aujourd’hui soumis à une charte de responsabilité (PAR ICI), est le médiateur marketing entre l’industriel et le prescripteur. Pour réaliser ce travail de médiation, il utilise les outils proposés par l’annonceur et commandés par la firme pharmaceutique.
Si les choses ne sont pas toujours très claires dans l’esprit des prescripteurs, le langage commercial du groupe CEGEDIM (société qui vend aux firmes des logiciels et une base de données de ciblage des prescriptions des médecins, ICI et LA ) est limpide : le terme utilisé pour identifier un « visiteur médical » est celui de « force de vente ».
 
Dire non : reconnaître les leviers cognitifs
Les pouvoirs de rationalisation et de trivialisation de la dissonance cognitive sont phénoménaux. Particulièrement à vifs chez des maîtres de stage ambivalents qui exercent sur vous, et parfois sans le vouloir, une certaine forme de pression sociale. La pression de la norme et de la banalisation.
Il faut bien se former.
Je ne suis pas influençable.
Ce n’est qu’un repas.
Etc, ad nauseam.
Avoir conscience de ces phénomènes cognitifs permet de dédramatiser l’acte de dire non tout en restant clair dans la forme du dire non.
Un petit exercice : quels leviers cognitifs sont mis en jeu lorsque vous décidez de dire non à un patient qui vous réclame une ordonnance ? Que ressentez-vous ? Pourquoi ? Que faites-vous pour vous apaiser ce ressenti ?
Deux ouvrages passionnants qui peuvent vous aider à cheminer :
Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, de Beauvois et Joule.
A theory of cogntive dissonance de Festinger.
Dire non, technique, mais pas insurmontable :
Expirez profondément avant de répondre.
Commencez toujours vos réponses par : « Je pense que », « J’ai l’impression que ». Évitez les vérités générales ou les arguments d’autorité. Ce sont leurs armes, pas les vôtres.
Reformulez les propos de votre interlocuteur si besoin.
Désamorcer tout déplacement affectif du débat : « j’ai l’impression que vous êtes en colère/indigné/triste, mais », etc.
Montrez-lui que, même en désaccord, vous comprenez son point de vue : « J’entends bien ce que vous dites, mais… », « Je comprends parfaitement votre position, mais… »
Restez catégorique dans l’expression du non, les personnes ambivalentes ont besoin de cadre. Elles vous en seront reconnaissantes d’une façon ou d’une autre. Ou pas.
Expirez profondément, encore.
Protégez-vous de la culpabilité en rationalisant vous aussi votre propre ambivalence.
Je fais ça dans l’intérêt du patient. Je défends des valeurs éthiques que je ne devrais même pas avoir à  justifier au vue des derniers désastres sanitaires. Etc.
Comme en entretien motivationnel, il est dommage d’affronter une résistance cognitive quand il suffit de la contourner.
***
Bref, lorsque vous refusez une forme quelconque d’exposition promotionnelle, il faut garder en tête que :
– c’est un choix éthique et personnel, personne ne peut et ne doit vous y obliger !
– le patient est la seule priorité (lorsqu’il s’agit de comportement de prescription, la frontière est floue entre lien d’intérêts et conflits d’intérêts)
– publicité et information sont deux termes antinomiques
– utilisez vous aussi les termes de forces de vente et d’exposition promotionnelle, l’effet est garanti
– prenez garde au piège de l’affect
– même si vous êtes le seul en staff à avoir un sandwich alors qu’ils ont tous des plateaux, vous montrez qu’il est possible de penser le système autrement : c’est ce qu’on appelle la part du colibri
– enfin, vous êtes un rabat-joie, assumez-le pleinement.

Contrat Creative Commons
Ce(tte) oeuvre de Le bruit des sabots est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 non transcrit.

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PSA et KCE

Avec une amie, dont le père a été récemment victime d’un dépistage sauvage de PSA, nous discutions de la conduite à tenir en cas de positivité du résultat.
Sidérée.
Sidéré.
Un dépistage sauvage. 
Malgré tout ce qu’on peut lire, ou entendre pour les moins assidus, sur l’incontournable notion de décision partagée.
Je ne comprends pas ou feins de ne pas comprendre.
Arguments à l’appui, on peut être pour, on peut tout aussi bien être contre. On peut aussi savoir de ne pas savoir (mon cas le plus souvent dans ce type de débats). Mais ce qui est essentiel, c’est la circulation de l’information, venant ainsi combattre la tendance relationnelle autocratique qui parfois sévit dans nos cabinets. Du point A au point B, du point B au point A, voire du point B au point A’ dans le cas d’un deuxième avis. Mieux encore du point A au point A’, du point A’ au point A, du point A au point A », ad nauseam.
S’il y a controverse, c’est qu’il y a débat. S’il y a débat, c’est qu’il y a arguments. On trace un trait sur une feuille blanche. Deux clics. HAS. AFU. Les arguments pour d’un côté, les arguments contre de l’autre. Et on discute avec le patient. S’il sait que je ne sais pas, il sait aussi que je suis attentif à ce que je ne sais pas ou à ce qu’il sait. Je ne comprends donc pas comment, aujourd’hui encore, il est possible de prescrire un dosage sauvage de PSA, vierge de toute information. Sur le plan de la confiance, ça ne peut qu’être délétère. Alors derrière quoi se cache-t-on ? La peur que le patient nous piège ? Qu’il pointe du doigt les zones d’ombres de cette science que l’on est tenté de surjouer sur la scène du quotidien ? Et de quelles zones d’ombre parle-t-on ? Celles d’une science ou de la science que nous nous sommes inventés ? Ignore-t-on peut-être simplement qu’il existe une controverse…
Orgueil, vanité, défiance ou simple ignorance : je feins de ne pas comprendre.
Mais en compilant de la bibliographie sur le dosage des PSA, je suis tombé sur ce document, réalisé par le KCE :
Nos amis et voisins belges ont réalisé là un travail d’une remarquable lisibilité. Très visuel. Répondant aux 3 questions préconisées par le NHS dans la prise de décision partagée avec le patient (merci @Dr_JB_Blanc) .
Tout y est présenté :
– les différentes options, les bénéfices, les inconvénients
– la notion d’avance au diagnostic
– la notion de surdiagnostic
– des statistiques lisibles sous forme de table d’icônes
– etc
Bref, un outil fantastique pour les patients, les médecins et les étudiants.
Je vous en recommande chaudement la lecture.

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Surveillance

Mon gobelet gît au fond de la poubelle. Je dois avoir une haleine de café dans le regard.
Les yeux des étudiants se fixent sur moi, une table après l’autre.
Numéro de table. Numéro sur le paquet de copie. Rupture au feuillet jaune. Table suivante. 45 étudiants. Je déambule, machine trop vite automatisée glissant dans les rangs disciplinés de cette industrie universitaire bien rodée. No eye contact. Ils ne respirent plus. Je ne suis pas sûr de respirer moi-même. Curieusement, je n’ai qu’assez peu de souvenirs de mes épreuves de première année. Quelques sensations fugaces. Des couleurs associées à des mots aujourd’hui vides de substance, vert pour la biophysique, jaune pour les biostatistiques. Et cette boule d’acide pur quelque part sous le diaphragme. Ils restent debout un peu plus de 10 minutes. Je suis debout. Je les regarde sans les regarder. Et tous s’assoient. Alors je continue de déambuler dans ces allées ou ils s’alignent, fébriles mais immobiles, de part et d’autre de ma boucle de Moebius. Ils sont là sans être là. Respiration synchronisée aux impacts des billes de stylos. Des doigts qui pianotent. Des jambes qui convulsent. Des mains dans les cheveux. Les brouillons noirs. Grincements de chaise. Toux. Concentrés, tous, encore 5 minutes. Puis debout, ramassage, signature, dehors enfin. 
Traversant la salle, je croise l’agonie de mon gobelet au fond de la poubelle. Je le salue. J’ai encore des consultations qui m’attendent. Back to the future.

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ICOMED ou des médecins rémunérés par BigData (Partie 2)

Comment l’industrie du médicament oriente-t-elle ses forces de vente et comment cible-t-elle les médecins qu’elle démarche ?
Me concernant, les choses se sont éclaircies après avoir parcouru un rapport de l’Autorité de la concurrence qui décortiquait un conflit dans la collecte et la commercialisation de données organisées par la société Cegedim (dans le billet précédent du rififi chez BigData).
La combinaison de différentes bases de données, via les liens qui unissent le groupe Cegedim au GERS SAS, permet de cibler les besoins d’information des prescripteurs locaux. Le groupe Cegedim, éditeur de logiciels de prescription médicale, vend aussi des logiciels destinés aux firmes afin qu’elles puissent avoir accès à ces données.
Une inconnue cependant : la collecte de données en vie réelle
Une autre question, comme une énième matriochka se révèle à la précédente : quel intérêt des médecins généralistes peuvent-ils avoir à livrer des données sur leur activité au groupe Cegedim ?
En participant à la réalisation d’un cours sur la gestion des liens d’intérêts (spéciale dédicace à @zorroisnar), je suis tombé par hasard sur une curieuse information qui m’a permis de répondre en partie à cette question. Lorsque vous allez sur la base de données publiques Transparence Santé (ICI) et que vous tapez dix noms de médecins susceptibles d’avoir des liens d’intérêts avec l’industrie du médicament, on retrouve pour la plupart des déclarations d’avantages Icomed. La nature de cette avantage correspond à une enquête, sans plus de précision, et les montants varient entre 10 et 30 euros. Icomed est aussi le nom qui apparaît LA dans les études de marché réalisées par le groupe Cegedim. Il faut savoir que c’est la branche CSD (Cegedim Strategic Data) qui gère l’assimilation des différentes bases de données afin d’offrir aux clients de Cegedim (les industriels du médicament) une vision précise des volumes de vente, et donc des besoins d’information des prescripteurs. Au sein de l’arborescence CSD, la filiale Icomed Cegedim collecterait chaque année des données auprès des prescripteurs afin d’obtenir leurs préférences de prescription : « ces informations sont principalement utilisées pour réaliser ou optimiser les segmentations et les ciblages des laboratoires pharmaceutiques et peuvent être exploitées comme indicateur par les forces de vente » (LA encore à la page 16).
Mais revenons-en à la base de données Transparence Santé. Si cette fois on utilise les déclarations des entreprises, par exemple Icomed, on tombe sur 143 326 avantages, avec une moyenne estimée à 20 euros par déclaration d’avantages.
Icomed, que l’on suppose être Icomed Cegedim, aurait donc dépensé entre 2012 et 2015 un peu plus de 2,8 M d’euros pour collecter des informations nominatives de prescriptions auprès des médecins généralistes.
Mais combien sont-ils tous ces médecins Icomed ?
Une autre piste de réponse dans ce document  : le palmarès des trophées Cegedim 2011, dont celui de « Meilleure évolution- Médecine générale » dans les suites d’une enquête réalisée auprès des 30.000 médecins généralistes référencées Icomed…
Pour tenter de faire simple au sujet d’Icomed – et il ne s’agit ici que d’un fragment de la collecte de données Cegedim – des médecins sont ponctuellement rémunérés pour déclarer leurs préférences de prescription. Cette collecte est réalisée par la filiale d’une société qui vend à l’industrie du médicament ces mêmes données afin d’optimiser le ciblage des forces de vente (comprenez ici les visiteurs médicaux).
Le serpent se mord la queue. Génial, non ?

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CEGEDIM, ou du rififi chez BigData (Partie 1)

Concernant la visite médicale, une des questions qui m’aura le plus taraudé pendant mon internat de médecine générale est celle du ciblage marketing des médecins généralistes.

A chaque fois que je tentais de répondre à cette question, les liens m’apparaissaient tentaculaires, confus, et redoutablement hétérogènes. L’entreprise me semblait alors insurmontable. Un édifice vertigineux pouvant sans problème faire l’objet d’une ou plusieurs thèses. Celle du Dr FOISSET en donnait un aperçu intéressant (ICI, à la page 36).
Cependant un nom ressortait systématiquement de mes investigations, même brèves : Cegedim.
Le temps passe. Le nom reste.

Je découvre aujourd’hui que le groupe Cegedim, éditeur de logiciels médicaux (comme le célèbre CrossWay aux écrans de veille publicitaires) a vendu sa division CRM (Customer Relationship Management) au groupe américain IMS Health en 2015 pour la modique somme de 400 M d’euros [1], à mettre en perspective avec son chiffre d’affaire en 2012 de 922 M d’euros [2]. 

De fil en aiguille, on comprend que cette branche CRM est celle qui s’intéresse principalement au ciblage puisque c’est la branche qui a « pour vocation d’accompagner les entreprises de la santé dans leurs différentes opérations commerciales et médicales en leur fournissant des bases de données, des outils marketing et des audits réguliers et sur mesure ». Il faut comprendre ici : vous êtes une entreprise du médicament, nous recueillons pour vous des données sur les volumes de vente des médicaments, et  nous vous proposons de vous vendre cette base de données et les logiciels qui permettent de l’utiliser.
La branche CRM de Cegedim (aujourd’hui IMS health) proposait en 2013 plusieurs outils [2] dans cette optique d’optimisation des forces de vente dont – 1 – la base de données OneKey et – 2 – les études de marché CSD (Cegedim Strategic Data).
OneKey est une base de données internationale qui répertorient plus de 8 M de professionnels de santé dans le monde. Elle semble être un élément incontournable du ciblage marketing des prescripteurs. Les études de marché sont quant à elles réalisées à partir des données délivrées par des prescripteurs français généralistes ou spécialistes associés à Cegedim [3] [4] sur la base du fichier OneKey, via des enquêtes ou des logiciels de collecte de données (ICOMED, Physician Connect). Cet énorme BigData permet la réalisation d’un suivi longitudinal à partir « de données anonymisées en vie réelle », ainsi qu’une collecte de données nominatives (CCI ou Cegedim Customer Information) permettant un profiling des différents prescripteurs [2].
Toutes les informations citées ci-dessus sont disponibles dans les différents rapports d’activité du Cegedim. Mais on a beau les parcourir dans tous les sens, il est difficile d’avoir une vision claire de cette vaste collecte de données aux allures hybrides.
C’est donc en parcourant, un peu par hasard, un compte-rendu de l’Autorité de la concurrence en 2014 [5] que les choses se sont éclaircies. Quoi de mieux qu’un conflit entre concurrents d’un même secteur pour comprendre les tenants et aboutissants financiers de cette branche ?
Pour résumer ce document, nous comprenons que la société Euris, créée en 2000, s’est développée sur la création de logiciels de gestion de données à l’usage des visiteurs médicaux, se spécialisant dans le fameux CRM, c’est-à-dire « les solutions de gestion de clientèle pour l’industrie pharmaceutique ». Elle a créé le logiciel NetReps [6]. 
A partir de 2002, la signature d’un contrat avec la société Dentrite permet à la société Euris, à partir d’informations mutualisées, de créer une base de données française de fichiers médecins MediBase, et donc de s’installer en France, concurrençant alors la société Cegedim (qui produit la fameuse base de données OneKey, et les logiciels qui vont avec). 
Cette base de données (MediBase) ne peut donc s’utiliser qu’avec le logiciel de la société Euris, NetReps. Sauf qu’en 2007, Dentrite (la société qui fournissait les données mutualisée permettant la création des fichiers médecins) est rachetée par Cegedim, devenant alors la fameuse branche CRM de Cegedim (Cegedim Relationship Management). 
Mais Cegedim produit déjà son propre logiciel de « gestion de forces de vente », le logiciel CRM Teams, avec sa propre base de données qu’elle a conçu et alimenté à partir des données des prescripteurs, OneKey (ex TVF que l’on retrouve dans la thèse du Dr FOISSET), leader mondiale avec ses 8 M de références répertoriées [2]. Avec la fusion de Dentrite, Cegedim possède donc 2 bases de données (OneKey et MediBase) qui fusionneront en 2009. 
S’ajoute à tout cela un troisième acteur à notre affaire, qui permet d’éclaircir ce fameux ciblage de nos médecins généralistes (2). Dans les années 70, les entreprises du médicament ont créé un « groupement d’intérêts économiques » (GERS) dont le but était de collecter les données de vente des médicaments et des produits de santé, interlocuteur principal des pouvoirs publics en termes de données de vente. Pour faire simple, le GERS vend des statistiques à plusieurs échelles : locales (Agrégat Point Vente avec des regroupements locaux d’officines), moins locales (Unité Géographique d’Analyse qui regroupe les APV) et nationale. Les laboratoires ont donc accès aux volumes statistiques de ventes en fonction de l’unité géographique qui les intéressent. Mais ce qui est plus intéressant encore, c’est que par les liens d’intérêts qui unissent le GERS au Cegedim (siège au conseil d’administration du Cegedim depuis 2005, actionnaire au capital de Cegedim depuis 2009, et enfin GERS SAS, filiale à 100 % de Cegedim dont le but est l’analyse les données du GERS), le Cegedim (selon la société Euris plaignante dans cette affaire) aurait le monopole de l’information puisqu’elle peut coupler sa base de données OneKey (fichiers médecins), aux APV et UGA mise en évidence par le GERS (et dont le groupe Cegedim effectue la plupart des développements informatiques). Nous comprenons donc qu’il y a conflit…
Le groupe Cegedim sera d’ailleurs condamné à verser en 2014 5,7 M d’euros pour abus de position dominante caractérisé par le refus discriminatoire de vendre sa base de données aux seuls utilisateurs de logiciels commercialisés par Euris…
Ce qu’il faut comprendre de tout ça, c’est qu’avant son rachat par IMS Health cette année, la société Cegedim avait créé cette incroyable base de données OneKey, et qu’à partir de cette base de données et de ses relations avec le GERS, elle était capable de fournir aux entreprises du médicament françaises des logiciels de ciblage  des besoins d’information des médecins prescripteurs en croisant les données quantitatives du GERS-SAS aux données qualitatives recueillies par le biais de ses différentes stratégies de collectes d’information (ICOMED, Physician Connect, etc) qui alimentait sa base OneKey. Le tout sur tablette ou à portée de clics pour l’entreprise qui en fait l’acquisition. 

Magique, non ?
Contrat Creative Commons

[1]  http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-cegedim-a-recu-une-offre-d-ims-health-pour-sa-division-crm-57909.html
[2]http://www.cegedim.fr/Docs_Communiques/activites_FR_web.pdf
[3] https://epidemiologie-france.aviesan.fr/fr/epidemiologie-france/fiches/database-of-voluntary-general-practitioners-equipped-with-crossway-medical-software
[4] https://www.cegedimstrategicdata.com/Fr/OurSolutions/Patient/Pages/default.aspx
[5] http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/14d06.pdf
[6] https://www.euris.com/

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Coup de tonnerre dans un ciel serein

La dernière fois qu’un article sur mon blog avait autant fait parler de lui, c’était il y 3 ans, lorsque je publiais une pétition en ligne contre la visite médicale. Cette pétition m’avait alors attiré les foudres d’un certain nombre de médecins et de représentants de l’industrie du médicament. 
Ironie rafraîchissante, soupire-t-on alors.
J’ai publié il y a une semaine un billet qui posait une question simple : peut-on accepter un poste universitaire avec de potentiels liens d’intérêts (et je ne parle pour l’instant pas de conflit, mais bien de liens d’intérêt) quand on a défendu publiquement et pendant plusieurs années le droit de ne pas être exposé, en tant qu’étudiant en stage hospitalier ou ambulatoire, à la promotion de BigPharma ?
C’était une question simple dans la forme.
Coup tonnerre dans un ciel serein, ou comment un tout petit bout de toile se déchire soudain ?
Lorsque je jette un coup d’œil en arrière, je constate que ce blog m’a été utile pour une chose : il m’a permis de mettre des mots sur ce qui a d’abord été une souffrance avant d’être une indignation, à savoir l’absence de considération du « non » d’un étudiant en médecine face à l’exposition promotionnelle. 
Cette pétition (ICI) d’alors n’en était qu’une maladroite ébauche, bégaiement d’un frondeur malhabile, loin, bien loin de l’élégance spirituelle d’un certain nombre de blogueurs d’opinion. Par le déchaînement des passions et la violence banale d’une certaine forme de cynisme qui est l’apanage des réseaux sociaux, elle avait alors cristallisé un constat : cette forme de dénonciation n’apporte rien. Le marketing de l’industrie du médicament siphonnait à ma formation médicale initiale et continue la substance critique et démocratique que j’étais en droit d’attendre d’elle, ou que mes patients étaient en droit d’attendre ; et je ne pouvais rien y faire. Ma thèse d’exercice est née de ce constat. Proposer une ligne de réflexion plus scientifique sur l’indépendance et les comportements sous influence (LA).
Aujourd’hui, on me propose un poste de chef de clinique. SI j’ai le choix du poste, je n’ai pas le choix du financement. C’est un fait. Ce financement est en partie privé, ce qui n’est pas toujours le cas, et cette tutelle a des liens d’intérêts indirects avec l’industrie du médicament. La question n’est pas ici de rationaliser une dissonance cognitive certaine en cherchant à savoir si je suis plus ou moins influencé que celui qui obtient le financement d’un poste par une tutelle publique, ou parce que je tiens un blog qui milite pour l’indépendance. Parce qu’en acceptant ce poste, je suis convaincu que je subis la même réciprocité que celui qui accepte de manger au restaurant avec des visiteurs médicaux, ou celle l’étudiant qui subit passivement à un cours où l’intervenant porte dans sa blouse un stylo N*** ou S***. Sachant cela et indépendamment de toute théorie entriste, la question est simplement de savoir si je suis prêt à assumer que des étudiants ou des pairs puissent me renvoyer au visage ces liens d’intérêts nouveaux. Tout le reste, c’est ce que d’aucuns appelleraient de la dissonance cognitive…
J’ai donc déposé dans ce billet mes ambivalences, mais avec probablement plus de nuances qu’à mes débuts où, en croisé indigné et rougi de ce que je vivais comme une réelle maltraitance démocratique, j’élevais le point sur la petite toile de la médecine 2.0. 
Alors ce qui me surprend, c’est de constater que les deux billets qui ont attiré le plus de virulence et de propos cyniques à mon égard sont ceux où il a été question d’une part de ne pas recevoir la visite médicale, et d’autre part  de questionner publiquement de potentiels liens d’intérêts dans une prise de poste universitaire. Des billets où l’on quitte le champs de la réflexion pure pour se positionner dans l’agir. La publication de ma thèse, en accès libre sur ce blog, à propos de la dissonance cognitive des médecins généralistes sous potentielle influence n’a pas généré autant de commentaires… Dommage.

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Clinicat

J’inspire une dernière fois et jette un coup d’œil sur mes chaussures, bleues. Des bandes jaunes sur les côtés. Je bloque sur ce détail. Curieuses bandes jaunes. J’expire. Chaussures bleues. Bandes jaunes. Mes lèvres s’entrouvrent. Épaisses. Lourdes. Une faille de chair qui péniblement s’écarte. Aphone. Une éternité pour que le son se dégage de mes entrailles et forme un amas audible. Une pâte intelligible ? Chaussures bleues. Bandes jaunes. Je récite mon incipit comme une litanie. Mot pour mot. Rien de spontané. En style télégraphique. Les mots s’enchaînent. Je ne réfléchis pas, concentré sur l’acoustique. Calibrer le ton juste, l’adapter à la taille de la salle, aux regards du jury, à son propre rythme cardiaque. Quelques secondes où on ne doit pas avoir besoin de réfléchir à ce qu’on dit. Chaussures bleues. La locomotive est lancée. Bandes jaunes. Temps pour moi de penser le signifiant. De lui offrir un signifié. Plus de chaussures. Juste ma thèse. Temps de mettre le paquet. Du ton, de la forme. De l’envie. 

J’ai vraiment compris à cet instant que je voulais être acteur de la formation.
Lorsque l’on m’a proposé un poste de chef de clinique à la faculté, j’ai d’abord refusé. C’était il y a un an et demi. Ma thèse était encore au stade expérimental. Je ne me sentais pas les épaules d’endosser ce rôle. Trop d’incertitudes. Aucun résultat significatif. Je ne savais pas où j’allais. De l’eau a coulé sous les ponts. Beaucoup d’eau. Les observations expérimentales sont devenues de véritables axes de discussion, puis des lignes concrètes de recherche. Alors, lorsque quelques mois plus tard on m’a proposé à nouveau ce poste, j’ai dit oui. On m’a demandé de présenter un projet pédagogique. Pour la forme probablement. J’ai pris tout de même la chose au sérieux. J’ai présenté trois pages de projet pédagogique, en particulier sur les notions de surdiagnostic, de dépistage précoce, de lecture critique de recommandations, de décryptage de publicité, de dissonance cognitive, d’ambivalence et de réciprocité. J’ai complété ma formation par un master d’épidémiologie et de statistiques afin de pouvoir être autonome dans les analyses de données. J’ai lu. Beaucoup. Du quantitatif. Du qualitatif. Me projetant alors dans l’exercice de la direction de thèse. J’ai mis en place 3 jours de remplacement fixe dans la semaine afin de rendre compatible mon activité de soignant avec celle de candidat universitaire.
J’ai appris dans un second temps que mon poste serait un poste financé à la fois par l’université et par une association régionale de médecins libéraux. Lorsque cette information m’est parvenue, ça a été une douche froide. L’université ne pouvait pas financer l’intégralité de tout les postes. Le choc de la réalité. Réflexe sous-cortical, j’ai d’abord cherché les principaux partenaires de cette association. Connaître les liens d’intérêts, toujours. Définir les connexions de réciprocité. Deuxième choc. Je n’ai pas cherché longtemps : l’industrie du médicament, encore, en Briarée omniprésent. Mon poste serait financé par une association qui a des liens indirects avec l’industrie du médicament. J’ai réfléchi, longtemps. Je suis passé par tous les modes possibles de réduction de la dissonance cognitive : trivialisation, rationalisation, déni de responsabilité, etc. Si ce contrat se confirme, il me faudra probablement afficher mes premiers liens d’intérêts avec l’industrie du médicament : BigPharma est un des partenaires (par des liens d’intérêts indirects) d’une association de médecins libéraux, association qui finance en partie un poste de chef de clinique. 
Ironie cruelle. Fatum, dirait Racine.

J’inspire une dernière fois et jette un coup d’œil sur mes chaussures, bleues. Des bandes jaunes sur les côtés. Je ne sais pas si je suis prêt. Je n’ai aucune ambition universitaire. 
Je souhaite juste être acteur de la formation : discuter, écouter, comprendre, et continuer à apprendre. 
Je veux aussi défendre auprès de l’institution cette idée qui me paraît essentielle, mais qui a été une source réelle de souffrance pendant ma formation : avoir l’ambition de l’indépendance ne peut plus et ne doit plus être considéré comme un acte militant.
Mais est-ce que ça mérite tous les compromis ? Je n’ai pas de réponse à cette question. 

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Thèse un jour

Un lien internet comme une ponctuation finale à ce blog.

Ce projet un peu fou est né il y a plus de deux ans, à la suite d’un billet de blog. Vous étiez déjà là.
Bien qu’imparfait et maladroit sur de nombreux aspects, ce premier travail est aujourd’hui achevé.

Je tenais à vous remercier, tous, lecteurs réguliers ou non de ce blog. Cette thèse n’aurait jamais vu le jour sans vous. Ne pas la mettre en ligne aurait été une gageure. Une insulte à votre générosité. Il me fallait encore attendre la soutenance. C’est aujourd’hui chose faite. Donc la voici. J’espère avoir été digne de votre confiance.

Bien à vous, chers lecteurs.

Votre obligé serviteur.

BruitDesSabots

La dissonance cognitive chez les médecins sous influence

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Rendez-vous en terre inconnue

L’avion de Tomas et Tereza a atterri.
Le tarmac est saturé d’eau. Un chauffeur les attend. Sur la vitre sekurit de l’utilitaire sont imprimées  trois lettres : V.I.P. Tomas grimace. Il déteste cette idée. Un autre couple les attend, ce sont des Australiens. Ils sont présents pour les mêmes raisons qu’eux, loin de leur vie, et parce qu’ils sont là pour les mêmes raisons, ils parlent une langue commune. Il leur reste encore 350 kilomètres d’autoroute à travers les terres de Bohème. L’avantage de cette langue, c’est qu’elle est silencieuse, et qu’ils sont crevés.
Le don d’ovocytes est légal en France, mais les délais sont longs. Il fonctionne sur le principe d’un don anonyme et gratuit. En 2011, une loi a été votée pour raccourcir les délais d’attente. Les femmes n’ont plus besoin d’avoir eu des enfants pour donner, malheureusement le décret d’application est toujours en stand-by.
Tomas et Tereza évoquent l’idée d’un don à l’étranger. Leur médecin leur explique qu’ils ne pourront pas faire mieux que l’étranger en termes de qualité de don et de délais. Les donneuses sont plus jeunes et plus nombreuses, les résultats sont meilleurs. A leur place, leur dit-elle, c’est ce qu’elle ferait. Dossier clos en France. Les deux projets ne peuvent être menés de front. Tomas et Tereza se sentent abandonnés.
On lit beaucoup de choses ces derniers temps sur la PMA ou la GPA. Beaucoup d’intellectuels se prononcent sur le sujet. Ils sont en général hétérosexuels, et ont déjà un ou plusieurs enfants. Ce sont eux qui expliquent ce qu’est le désir d’enfant, et à quel point ce désir est un désir égoïste qui entretient le concept néolibéral de la marchandisation du corps, et celui du corps-marché. Faire le choix d’être le client d’une clinique étrangère de reproduction n’a rien d’un choix. L’attente bousille Tereza et Tomas à petit feu. Ça ronge et érode leur quotidien. 
« Le drame, dit le père d’Eleanor Rigby dans le film The disappearance of Eleanor Rigby , est un pays étranger où on ne parle pas la langue des autochtones. » Tomas et Tereza ont compris ça depuis longtemps, plusieurs années. L’avion atterrit. La secousse est brutale. Le tarmac est saturé d’eau. Tomas lui tient la main. Tereza tient celle de Tomas. Ce contact est la seule chose qui ait du sens aujourd’hui, sous la pluie, à plus de 1200 kilomètres de chez eux. Ils font un pas vers la Bohème. Il paraît que l’on peut sortir grandi de tout ça, se dit Tomas, mais en sortir serait déjà le plus beau des cadeaux.

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De l’arbre et de la forêt

13h15.
Tu penses qu’on va faire quoi de plus ? On va essayer de lui trouver un écho-doppler dans la journée, et si on ne trouve pas, il ressortira avec des piqûres dans le ventre jusqu’à sa date de rendez-vous.
J’ai un doute, il a raison. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Mon expérience d’interne est plus grande que celle de remplaçant. Je me projette aux urgences, c’était il y a trois ans. N’aurais-je pas répondu la même chose, fort de mon expérience d’urgentiste ? Fort de mon équipe et de mon plateau technique ?
Je ne sais pas.
Mais revenons quelques heures en arrière. Sur les traces de mon indécision médicale. Tentons de la décrypter. Des faits, juste des faits, dirait John Grisham dans ses romans.
11h30. Fin de matinée, chargée. Je suis appelé au domicile d’un patient, par son infirmière, pour la majoration d’un œdème de la jambe gauche avec rougeur et douleur.
12h15.
Je parcours rapidement son dossier avant de décoller. 82 ans. Souffrance cardiaque chronique. Troubles de la mémoire en cours d’exploration. Vit seul. Relativement indépendant mais non autonome. Je me remémore l’appel de l’infirmière. Je pense infection cutanée, je pense phlébite aussi. Je pense surtout troubles cognitifs et insuffisance cardiaque. Mon premier réflexe est de récupérer le numéro de téléphone des ambulanciers du coin. Je n’ai pas la 3G sur mon téléphone. L’accès à internet est un calvaire. Mon erreur, probablement. L’erreur de 12h15. Celle d’avoir contaminé, sans m’en rendre vraiment compte, toute ma chaîne de réflexion, et de l’avoir insidieusement orientée. J’ai pensé en quittant le cabinet : ça sent l’hospitalisation. Lorsque nous modifions, même d’un millimètre, la trajectoire d’un objet inerte, il apparaît que son point d’arrivée, en fonction de la distance parcourue, peut avoir été déplacé de plusieurs mètres du point d’impact initialement prévu. On pourrait apparenter ça au calcul des trajectoires que l’on faisait au lycée en physique, ou que font régulièrement les ingénieurs de l’aérospatiale.
12h30. 
Je suis au domicile. J’attends au rez-de-chaussée. Un rez-de-chaussée comme j’en ai vu des centaines au fil de mes remplacements. Des fleurs, des photos, des papiers, et encore des papiers. Pas d’animaux cette fois. Le patient descend les escaliers. Le pas est hésitant. Il est en robe-de-chambre, et elle est grande ouverte sur sa plus complète nudité. Le service trois pièces balaient l’espace avec toute cette fougue que ses articulations lui refusent.
12h45.
La case phlébite s’allume. Certains signes concordent. Le patient est souriant, valide, mais sa conduite n’est pas toujours très appropriée. Dans l’idéal, il me faudrait appeler son infirmière, commencer un traitement anti-coagulant injectable, lui trouver un rendez-vous d’échographie pour confirmer ou infirmer le diagnostic. Son infirmière est en vacances, et je n’arrive pas à joindre celle qui m’a appelé. Je n’ai pas accès aux pages jaunes ici. Je ne connais pas les spécialistes du secteur. Du haut de ma maigre expérience, organiser cette prise en charge diagnostique m’apparaît difficile chez ce patient, dont je ne suis même pas sûr qu’il saisisse tous les tenants et aboutissants de la démarche idéalement souhaitée. Rappelez-vous maintenant de ce changement infime de trajectoire que j’ai intimé à ma consultation à 12h15. Pourquoi n’ai-je pas pris, plutôt que le numéro des ambulanciers, le numéro d’un angiologue du coin ?
Les questions ne se posent jamais aussi clairement et la trajectoire de la consultation est de toute façon déjà modifiée, déjà orientée. Les choses m’apparaissent évidentes : je ne peux pas gérer ce patient à domicile.
13h00.
Le courrier pour les urgences est écris. J’explique mon raisonnement. La difficulté que représente pour ce patient non autonome la prise en charge diagnostique de ce patient à domicile. J’appelle les ambulanciers. Je laisse un message à l’infirmière. Avant de partir, j’installe le patient dans son fauteuil. Il me demande de lui descendre la paire de lunettes qu’il a oublié à l’étage. Je monte. J’en profite pour lui apporter un slip et un petit poste radio que je branche à côté de lui avant de partir. Il est souriant. Je le suis aussi.
13h15.
Je suis de retour au cabinet, plutôt content de moi. J’appelle, enthousiaste, les urgences pour les prévenir. On me met en attente. Je tombe sur l’infirmier qui me passe un médecin. Je reconnais sa voix. Je lui explique la situation. Lui de me répondre, calme, assuré :
Tu penses qu’on va faire quoi de plus ? On va essayer de lui trouver un écho-doppler dans la journée, et si on ne trouve pas, il ressortira avec des piqûres dans le ventre jusqu’à sa date de rendez-vous.
J’ai un doute, il a raison. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Mon expérience d’interne est plus grande que celle de remplaçant. Je me projette aux urgences, c’était il y a trois ans. N’aurais-je pas répondu la même chose, fort de mon expérience d’urgentiste ? Fort de mon équipe et de mon plateau technique ?
Je ne sais pas.
Il m’explique qu’il y a un angiologue sur place le mercredi à l’hôpital, justement pour ce type d’urgences. Je le remercie vivement, rongé par le doute et une culpabilité soudaine que je n’ai pas vu venir. J’appelle l’angiologue. Il accepte de recevoir mon patient à 14h30. Je téléphone aux ambulanciers pour leur expliquer de ne pas amener le patient aux urgences mais dans le service des dopplers à 14h30. La secrétaire m’explique poliment qu’ils sont déjà partis, qu’ils ne vont pas attendre une heure avec le patient et qu’ils le déposeront de toute façon aux urgences. Les ambulanciers ont effectivement des contraintes que j’ignore totalement, c’est un tort.
13h30.
Je rappelle les urgences pour leur expliquer qu’ils n’ont pas à voir ce patient, que son rendez-vous est prévu à 14h30 au doppler, et que je gère tout ça en ambulatoire. L’infirmier me dit qu’ils seront obligés de le voir si le patient est « déposé » aux urgences par les ambulanciers. La culpabilité a maintenant pris le pas sur toute autre émotion. Ça vient parasiter mes premières consultations.
14h45.
Je reçois un courrier  de l’angiologue par internet : pas de phlébite.
15h00.
L’urgentiste m’appelle. Une amie. Elle m’explique qu’elle a vu le patient, qu’il a vu l’angiologue, et qu’il peut rentrer chez lui. Je la remercie. Je me confonds en excuses.
Ce patient n’a pas de phlébite. La prise de sang ce matin ne retrouve pas de syndrome inflammatoire. Stand-by. 
Derrière une décision médicale, je réalise pleinement tous ces petits riens qui viennent modifier la trajectoire idéale du parcours de soin.
De l’arbre et de la forêt.

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Prescription hors AMM + réciprocité = paranoïa ?

Araignée souriante, Odilon Redon, 1881
De la vigilance à la paranoïa, n’y a-t-il qu’un pas ?
Lors d’une discussion avec un ami qui termine son internat, j’apprends que son nouveau stage, s’il est éprouvant, s’avère passionnant. Il pratique actuellement dans un service de gériatrie et côtoie au quotidien des médecins de la douleur. 
Il m’explique qu’il redécouvre la prise en charge de la douleur neuropathique auprès de ces experts. Il m’expose en particulier, et avec enthousiasme, l’usage que ces médecins font de certains antidépresseurs et des patchs antalgiques. 
Une alarme s’allume. 
Je lui fais part de cette alarme en lui expliquant mon scepticisme quant à l’usage de cet antidépresseur dans l’indication de la douleur neuropathique. Je suis sceptique parce que les preuves concernant cette molécule ne sont pas probantes pour la prise en charge de la dépression, et que cette nouvelle indication m’évoque plus une espèce de « glissement marketing ». 
Les arguments de son chef : 1 – l’AMM dans cette situation précise, et 2 – un exposé physiologique de son efficacité dans la douleur neuropathique. N’ayant alors aucun support théorique pour venir justifier cette alarme, le débat dévie sur la crédibilité scientifique des leaders d’opinion, et sur la confiance à accorder à son « supérieur » en stage hospitalier lorsque sa culture scientifique est supposée non étanche à la promotion de l’industrie du médicament. 
Le débat s’oriente enfin sur cette notion d‘alarme subjective que je lui décris, et que mon ami associe à une certaine forme de paranoïa.
De la vigilance à la paranoïa, n’y a-t-il qu’un pas ?
Je viens de terminer le manuscrit de ma thèse qui traite des mécanismes de la dissonance cognitive dans le déni d’influence des médecins sous potentielle influence. Je clos le discussion, en conclusion de ce travail, sur mes observations expérimentales à propos du principe de réciprocité qui semble alimenter la résistance dans la mécanique du déni d’influence.
Ce travail m’a ouvert les yeux sur un certain nombre de notions comportementales et psychologiques, et sur un point en particulier : House a raison quand il dit qu’everybody lies, mais j’y ajouterai une nuance, à savoir que tout le monde ne sait pas qu’il ment, et que les actes changent plus souvent qu’on ne le pense les idées.
De la vigilance à la paranoïa, n’y a-t-il qu’un pas ?
Alors j’ai fait une petite recherche au lendemain de cette soirée.
Un ou deux clics. 
Site de la HAS : ce traitement antidépresseur n’a pas l’AMM dans l’indication des douleurs neuropathiques. 
Quelques clics supplémentaires. Recommandations d’experts. Pas d’AMM confirmée, traitement de deuxième intention. 
Bibliographie des recommandations d’expert : une seule étude concernant ce traitement, pas de méta-analyse. Maigre preuve, je trouve, pour un traitement en 2° intention hors AMM.
Lien d’intérêt des auteurs : aucune déclaration.
De la vigilance à la paranoïa, n’y a-t-il qu’un pas ?
Je décide de prendre le problème par un autre bout. 
Site du laboratoire qui produit la molécule. 
Onglet Transparence. Liste des bénéficiaires. Rien d’utilisable. 
Site du conseil de l’ordre. Sunshine act. Je tape le nom du médecin dont m’a parlé mon ami. 
Je ne trouve que trois pages de déclarations de bénéfices (hospitalité, restauration). 
Première page. Je retrouve quelques événements de restauration organisé par le laboratoire à l’origine de cet anti-dépresseur. Je fais chou blanc. Rien qui ne sorte de l’ordinaire dans les relations de réciprocité qui unissent BigPharma aux prescripteurs. Un peu de communication. Prescription hors AMM, d’un traitement recommandé par des experts en deuxième intention. Difficile de mettre en évidence ce glissement marketing que je soupçonnais. Spéculation. On pourrait seulement regretter que le maître de stage n’ait pas été plus objectif dans sa présentation de cette indication à mon ami, interne de son état et donc étudiant au sens littéral du terme. 
De la vigilance à la paranoïa, n’y a-t-il qu’un pas ?
Deuxième et troisième page. Consternation.
L’alarme qui semblait s’être tue m’arrache à ma torpeur. Une quinzaine de déclarations toutes en lien avec deux événements bien spécifiques à un an d’intervalle. Un congrès dans une principauté française, et l’autre dans un pays européen. Plusieurs milliers d’euros de frais d’hôtellerie et de restauration. Les programmes de ces deux congrès sont disponibles : le patch dont il a été question en début de ce billet par le laboratoire en question. Symposium, dîner et soirée d’échanges autour de la molécule, le tout organisé par le laboratoire princeps
Ce patch dont j’ai oublié l’existence pendant ma recherche, alors concentré sur l’indication hors AMM de l’antidépresseur, mais dont il m’a en effet été brossé un tableau particulièrement enthousiaste.
De la vigilance à la paranoïa, n’y a-t-il qu’un pas ?
Ce que je souhaite mettre en évidence avec ce billet, c’est qu’une fois réalisée la puissance du principe de réciprocité et son rôle dans l’alimentation d’un potentiel déni d’influence, la crédibilité d’une source sponsorisée est alors sérieusement entamée. En particulier lorsqu’il s’agit d’une prescription hors-AMM reposant sur un jargonnage scientifique. Les victimes de ce système sont d’abord les patients. Les étudiants en sont à mon sens les secondes victimes. 
Tout ceci est purement spéculatif, mais je crois qu’un étudiant qui a reçu pendant tout son internat des réglettes à ECG ou des stylos se posera avec moins d’évidence,  au cours de son exercice autonome de prescripteur, la question de recevoir ou non des visiteurs médicaux ou de participer à des symposiums. S’il se pose la question, je pense qu’il lui sera plus difficile de refuser le contact avec la promotion de l’industrie du médicament.
De la vigilance à la paranoïa, n’y a-t-il qu’un pas ?

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De la place des géraniums dans la stratégie de démédicalisation

Je ne suis pas homéopathe. 

Habituellement, je ne renouvelle pas une ordonnance d’homéopathie. 
J’explique aux patients que je n’y connais rien, et que je ne prescris pas ce que je ne connais pas. Aujourd’hui cependant, pour des raisons libérales alimentaires, je remplace un médecin homéopathe. 
Disons que j’assure pendant son absence une permanence de soins allopathiques, tout en déclinant les rendez-vous d’homéopathie. Mais je vois tout de même quelques patients qui parviennent à passer outre le barrage du secrétariat et qui me demande de renouveler leur sibylinne pharmacopée. Je regarde l’ordonnance. Si dans la liste je ne vois apparaître aucun traitement allopathique, j’explique que c’est un acte informatique (« copier/coller ») et non un acte médical : ils ne paient pas la consultation, mais je ne les examine pas. 
Un ami m’expliquait qu’il préfère prescrire de l’homéopathie dans le rhume chez l’enfant plutôt que des vasoconstricteurs nasaux lorsque les parents sont très demandeurs d’une médicalisation du rhume de leur progéniture. Cette remarque m’a beaucoup interrogé.
Si l’objectif est de ne plus voir de patients pour un rhume en période hivernale (en aparté : la seule condition à mon sens pour que la revalorisation financière de l’acte médical soit justifiée), j’ai tendance à penser qu’il vaut mieux que je concentre mon argumentaire sur le zéro médicaments plutôt que dans ce qui m’apparaît être une fuite en avant vers une nouvelle forme de « surmédicalisation » inoffensive du rhume, coûteuse pour la société et dévalorisant un peu plus l’acte médical. 
« oui, mais si le patient insiste ?… »
Je pense que la réponse à cette question ne se trouve pas dans le type de prescription, mais dans l’acte même de prescrire. C’est-à-dire la capacité à assumer une certaine forme de clientélisme, ou de fidélisation consciente ou inconsciente du soin. Que ce soit un vasoconstricteur nasal avec un potentiel existant d’effets indésirables, ou un géranium CH, par définition inoffensif, il y a de fortes chances de revoir un patient dont on médicalise la rhinite.
« oui, mais si le patient insiste, il ne vaut mieux pas prescrire quelque chose d’inoffensif ? » 
C’est encore une autre histoire, où tous les points de vue se valent. Devant les risques libéraux d’un conflit ouvert avec certains patients de médecins remplacés, il m’arrive, je suis jeune et je me soigne, de prescrire des vasoconstricteurs ou des sirops contre la toux. Mais je prescris alors de l’allopathie (exemple ici de rationalisation d’une dissonance cognitive évidente). Je vous l’ai dit, je ne suis pas homéopathe, et je ne suis pas sûr de vouloir cautionner cette forme de médecine alternative. J’entends bien qu’il faut de tout pour faire un monde, mais je ne veux pas faire de tout. Le placebo pourrait être alors un bon compromis, ce qui rejoint l’homéopathie dans ce que cette médecine a de scientifique, mais il me pose des problèmes éthiques. J’en suis donc réduit, quand pour des raisons relationnels je me retrouve à prescrire ces médicalisateurs du rhume, à faire usage de l’allopathie.
Cet ami, qui n’est pas homéopathe et qui ne semble pas accorder une grande crédibilité aux théories homéopathiques, donnait l’exemple d’une ordonnance fréquemment rencontrée au décours de mon remplacement : une liste de géraniums CH qui se termine par la prescription d’un bon vieux somnifère. 
Cette ordonnance symbolise à mes yeux la notion de fuite, que l’argument de cet ami illustre bien : s’il n’y avait pas tous ces géraniums CH, le patient aurait peut-être une plus grande consommation de somnifères. Je trouve cet argument curieux. Le patient consommerait un peu moins de somnifères, ce qui n’est que purement spéculatif, mais au prix d’une grosse consommation de géraniums CH. 
Ne vaut-il pas mieux se concentrer sur un sevrage certes long et fastidieux, mais cadré d’une benzodiazépine ? Avoir pour objectif une démarche de démédicalisation plutôt que l’entretien d’une démarche prescriptrice, même inoffensive ?
L’avenir de la médecine générale tient peut-être à ça : apprendre à gérer l’impuissance thérapeutique.
Je ne suis pas homéopathe, et ce billet n’est en aucun cas un procès de l’homéopathie.
Il est ici plutôt question de démédicalisation, et de la difficulté que l’homéopathie peut venir ajouter dans cette démarche déjà délicate au quotidien.

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L’idiot

Je suis actuellement plongé dans L’Idiot de Dostoïevski. 
L’oeuvre de cet auteur me passionne. Ses ouvrages sont comme autant de clés qui déverrouillent, le temps d’une lecture, les cadenas de l’âme humaine ; cadenas qui semblent d’ailleurs se refermer aussitôt la lecture achevée, ne laissant dans le sillage de cette étonnante expérience littéraire que les fragments éparses de ces rêves que l’on ne parvient pas à reconstituer.
Si Dostoeïvski est, à mon sens, le pionnier du roman noir, il est surtout et avant tout un patient qui appelle à l’aide. Addiction aux jeux, épilepsie. Les tableaux sémiologiques qu’il décrit sont troublants de lucidité : le premier patient-expert.
Mais ce qui me fascine le plus chez cet auteur, c’est le caractère intemporel de son oeuvre et de ses analyses sociétales. Lisez plutôt :
« On déplore continuellement chez nous le manque de gens pratiques ; on dit qu’il y a, par exemple, pléthore d’hommes politiques ; qu’il y a également beaucoup de généraux ; que, si l’on a besoin de gérants d’entreprises, quel que soit le nombre exigé, on en peut trouver immédiatement dans tous les genres ; mais des gens pratiques, on n’en rencontre point. Du moins, tout le monde se plaint de n’en point rencontrer. […] Les bureaux sont si nombreux dans les services de l’Etat que l’on frémit en y pensant, ; tout le monde a servi, sert et compte servir ; ne paraît-il pas que dans une pareille pépinière de fonctionnaires, l’on ne puisse tirer un personnel convenable de navigation ? 
A cette question on donne parfois une réponse excessivement simple – si simple même qu’on a peine à l’admettre. On dit : il est exact que tout le monde a servi et sert encore dans notre pays ; cela dure en effet depuis deux cents ans. […] Mais ce sont précisément les gens rompus au service qui sont les moins pratiques ; à tel point que l’esprit d’abstraction et l’absence de connaissance pratique passaient naguère encore, même parmi les fonctionnaires, pour une vertu éminente et un titre de recommandations. »*
Troublant, non ?

* Extrait de L’Idiot de Dostoeivski. Troisième partie. Chapitre premier, page 523. éditions Folio classique.


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Imposture, ou cette étrange capacité à s’inventer l’autre

Réveil. Sueurs. Souffle court. Je cherche dans l’obscurité ces chiffres brûlants. 7h36. Je les hais alors.
Il y a longtemps que je n’avais pas ressenti l’angoisse de la veille de garde. Une période singulière de mon internat, le temps de l’ascenseur émotionnel. Il doit d’ailleurs en rester la trace dans les entrailles poussiéreuses de ce blog.
Je remplace depuis maintenant plus d’un an. Je fais des gardes de secteur. Des gardes de médecine générale. Je fais ce que je sais, et quand je ne sais pas, je passe la main. Sans le côté tarifs de garde, je crois que je les aime bien ces gardes. Je n’ai jamais vu autant de scarlatine et de parvovirus B19 que pendant ces journées où la régulation et moi-même sommes les seuls maîtres à bord. 
Il y a longtemps que je n’avais pas ressenti l’angoisse sourde et paralysante d’une veille de garde. Cette main glacée fouillant mes viscères fébriles, transformant ma conscience en écorché cortical. Le complexe de l’imposteur, ou cette béance qui s’étire entre ma pratique au quotidien et ce que j’imagine que les autres sont ou font à ma place. Absurde. Irrationnelle. Une forme de dissonance cognitive puissante mais corrosive.
Pendant une année de remplacements, j’ai appris à rapprocher les berges de ce fossé. Appris à faire de cet espace une zone de l’infiniment petit, fragile, mais maîtrisée. J’ai appris à ajuster ma pratique à ce que je voudrais qu’elle soit. L’inverse est tout aussi valable, sinon plus.
Pendant cette année de remplacements, j’ai donc appris à me constituer une identité de soignant, à l’accepter et à concilier ma pratique, celle de la vraie vie, aux fantasmes d’une pratique que j’associe aux soignants qui m’entourent et que j’estime. Je n’ai donc pas vu le coup venir. L’angoisse. Je n’ai pas senti la trame du réel se rompre et libérer les miasmes névrotiques de l’imposture. Je me suis juste réveillé avec cette saloperie d’excroissance protéiforme, là, enfouie quelque part dans le réseau de fibres nerveuses de l’épigastre. Une zone que l’on rêverait alors de s’arracher, juste pour voir si on peut vivre sans. Je l’ai reconnue, imposture. 
La brèche s’est donc à nouveau ouverte. L’espace spectral entre ma pratique et celle sur laquelle je fantasme. Mais cette fois, l »espace se remplit rapidement, après seulement deux consultations . Une angine à streptotest positif, et une éruption cutanée typique d’un parvoB19. Il me faudra probablement encore quelques consultations avant que les berges n’entrent à nouveau en contact. Mais comprendre que la fragilité vient de la capacité irraisonnée de l’imposteur à s’inventer l’autre en lieu et place de lui-même, ça change la donne. 
16h37. Je les hais moins désormais, les chiffres.

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Pour ou contre : deuxième round.

Je n’autorise pas le JIM.fr à citer cet article. Merci par avance.
J’avais précisé ma pensée dans mon refus de participer aux récentes manifestations publiques organisées par les syndicats de médecins. Par ici. Après cet article, et son détournement dans le JIM.fr (détournement puisque utilisation à mon insu), je m’étais promis de ne plus donner mon avis sur la toile à ce sujet. Un des effets délétères de l’écrasante puissance de la pensée unique. Mais c’était sans compter l’étonnante capacité de certains médecins frondeurs à venir établir des généralités autour des motivations d’installation ou de non installation des jeunes médecins. Comme un vent de : »si tu n’aimes pas le libéral, tu n’as rien à faire en médecine générale ».
Au fil de mes remplacements, je tente de respecter au mieux les desiderata politiques des médecins remplacés. Par respect, et probablement par clientélisme. Les deux se confondent parfois, souvent, dans notre quotidien de remplaçant.
Mais encore une fois, les raisons actuelles de mon non-désir d’installation ne sont pas liées à la mort annoncée de la médecine générale. Les hérauts de cette sédation programmée auront beau le répéter encore et encore : je ne me retrouve pas dans cet argumentaire curieux qui semble vouloir dire : mort de la médecine libérale = pas d’installation  des jeunes. Je dis et je continue de répéter que je ne vois pas le rapport. 
Ces hérauts d’un jour, que l’on entend si peu ergoter autour de la franchise sur les soins, ne me convaincront pas. Je n’ai rien contre la médecine libérale, mais je n’ai rien pour. 
Je ne veux pas être un directeur d’entreprise, patron d’une TPE, dont la capitalisation nécessite un retour sur investissement.
Certains frondeurs me disent que nous y perdrons notre indépendance de décision. Je ris sous cape, cette perte tant estimée ne m’effraie pas : je crois que cette pseudo-indépendance n’est qu’une illusion projetée par les énormes Kinoton de l’industrie du médicament. La preuve, m’a t-on dit, on ne peut déjà plus prescrire de Crestor. imagine dans 10 ans ! Ignorent-ils vraiment les raisons de cette surconsommation de rosuvastatine ? Ignorent-ils réellement les rouages marketing de la machinerie immense qui ont fait de cette molécule l’un des médicaments les plus prescrits dans le monde ? D’ailleurs la médecine libérale, parce qu’elle subit à mon sens l’inexorable pression d’un clientélisme plus ou moins assumé, n’est pas aussi indépendante d’esprit qu’ils le prétendent.
Comme je ne m’installe toujours pas, certains frondeurs me demandent si c’est à cause de Touraine, hein, dit, c’est à cause d’elle ? Avoue ! Je réponds que non. Elle veut changer les règles du jeu. Je dis pourquoi pas. De toute façon, je crois que les lignes doivent bouger, d’une manière ou d’une autre. 
Je ne m’installe pas, mais je choisis la voie de la collaboration. Je teste la patientèle. Je teste le cabinet. Je me teste moi. Je veux voir si je peux imposer mon empreinte. Si ce n’est pas le cas, et indépendamment de tout TPG, de loi Santé, ou de projet HPST (appelez là comme vous voulez…), je partirai. Mais quoi qu’il advienne, je ne me veux pas m’investir financièrement dans une pratique libérale, pratique dont il semblerait qu’elle soit le seul moyen viable d’exercice. Ces frondeurs me disent que la survie de la médecine libérale sauvera la médecine générale. Je pense que c’est ce qui la tue à petit feu, comme la grenouille dans la casserole d’eau bouillante qui ne sent pas la température grimper. J’aime la médecine générale, et j’ai bien l’intention de l’exercer dans le futur, mais pas dans ces conditions que tentent de préserver les frondeurs : une médecine générale libérale fondée sur le clientélisme, ou sur une pseudo-indépendance de décision vérolée de liens d’intérêts avec BigPharma.
Je ne suis pas fait pour le libéral, mais je sais que je suis fait pour la médecine générale.

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Ces congrès, des générateurs de réciprocité

Robert Cialdini
Les paragraphes en italique sont tirés de l’ouvrage de Robert Cialdini, psychologue américain : Influence et Manipulation, réédition de 2004.
Un débat intéressant, éphémère et volatile par le support qui le contenait, a eu lieu dans un tout petit coin de la toile, hier. De l’importance des congrès dans notre formation médicale continue, et de leur financement.
L’argument phare en faveur des congrès : l’échange entre confrères, l’échange potentialisé par le nombre de participants, justifiant ainsi la location de salle aux dimensions adéquats, et donc la participation du sponsoring pour rendre moins coûteux la charge supportée par chacun des participants. 
« La règle de réciprocité, avec le sentiment d’obligation qui l’accompagne, est remarquable surtout par son extension. Elle est si répandue qu’aucune société humaine n’y échappe. Et dans chaque société, elle est sans exception ; elle s’applique à tous les échanges quels qu’ils soient. Il se pourrait bien que la notion de dette dérivée du principe de réciprocité soit une propriété spécifique de la société humaine. »

Il me semble que la qualité des échanges est inversement proportionnelle aux nombres d’échangeurs, et que l’avenir d’une formation indépendante se trouve dans le non-présentiel, non-présentiel déjà hautement efficace en termes d’échanges (Atoute, forum des lecteurs Prescrire, etc). Je pense surtout qu’un congrès est une vitrine ; et comme les Galeries Lafayette savent mettre en scène à Noël leurs devantures, un congrès m’apparaît comme une campagne de communication cristallisant à un temps donné des résultats individuels ou collectifs.
« […] Le pouvoir de la règle de réciprocité est tel, qu’en y recourant, des personnes étranges, antipathiques ou importunes peuvent augmenter leurs chances de nous faire accéder à leur requête. On peut déclencher en nous un sentiment de dette en nous donnant quelque chose que nous n’avons pas sollicité. »
La question n’est donc pas de savoir si on n’est prêt à mettre ou non de l’argent de sa poche pour diminuer la dépendance des annonceurs de l’industrie du médicament, mais de réfléchir au besoin réel de ces congrès médicaux ? S’interroger sur la balance bénéfices/réciprocité avant de s’enfoncer dans une foule de 3000 personnes et accepter la réciprocité qu’instille savamment l’industrie du médicament au fil des congrès/colloques ?
« […] Bien que l’obligation de rendre constitue l’essence même de la règle de réciprocité, c’est l’obligation de recevoir qui rend la règle si facile à exploiter. L’obligation de recevoir réduit notre liberté de choisir envers qui nous nous endettons et met ce pouvoir entre les mains d’autrui. »

Pour ma part, j’ai été rapidement refroidi par l’intérêt scientifique de ces congrès, et ne participe donc plus aux congrès sponsorisés à grande échelle.

Spéciale dédicace au @docteurniide.

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"Celui qui fait, sait."

Ceci n’est pas un cassoulet.

Il y avait l’autre jour une émission sur Arte, le bonheur au travail, et le bonheur existe, ça paraît indéniable. Indéniable mais rare. Selon les sources du journaliste, seulement 11 % des travailleurs en France ont la chance de le ressentir. On nous présentait dans ce documentaire des entreprises sans hiérarchie intermédiaire, entreprises qui affichaient des taux de croissance presque indécents. Ça m’a laissé songeur. De ce documentaire très riche et d’une grande qualité investigatrice, j’ai retenu une phrase en particulier, tirée du monde professionnel japonais : « celui qui fait, sait. »

Je repense alors au projet de Loi santé du gouvernement actuel, et contre lequel je ne m’inscris pas complètement en faux. Je ne suis pas contre le libéral, mais je n’en ai pas l’âme. J’ai d’autres combats à mener ces derniers temps, et celui-là, auquel je ne crois que peu, n’en fait donc pas parti. Je repense cependant aux arguments des « frondeurs » généralistes, et à l’étau décisionnel qu’imposeraient, entre autres, les tutelles ARS. J’ai vu la lourdeur de ces tutelles sur des réseaux de soins, et l’importance cruciale de rendre des comptes, parfois abscons, pour pérenniser des fonds d’une année sur l’autre.
Je vois aussi l’insistance avec laquelle le ministère de la santé persiste dans son intention de réformer le système d’une façon qui ne semble en aucun cas correspondre aux attentes des agents de terrain, et je repense à cette phrase qui résonne étonnamment : « celui qui fait, sait ».
De ma lecture de ce documentaire ont alors éclos quelques timides questions, à haut pouvoir de rémanence : quelle vision nos politiques ont des professionnels de santé de terrain ? Comment les professionnels de la santé apparaissent aux yeux des professionnels de la politique ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’un professionnel de la politique ? Quelle crédibilité ces « dirigeants » accordent-ils à aux agents de terrain et à leur pratique quotidienne pour rester ainsi sourds à leurs revendications pratiques ? Par glissement, quelle légitimité ces professionnels de la décision politique ont eux-mêmes pour savoir mieux que ceux qui font, et quelle valeur notre système politique peut-il dès-lors posséder si ce sont ceux qui ne font pas qui savent pour ceux qui font ?
Songeur, vous dis-je.

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Entre autoritarisme et clientélisme



Et mes antibiotiques ?
C’est pour sa méthadone, un renouvellement de 15 jours.
C’est pour sa pilule. Un renouvellement de 6 mois.
Toujours pas d’antibiotiques ?

La décision de prescrire, ou de ne pas prescrire, me semble répondre au positionnement d’un curseur sur un vaste spectre d’attitude dont les deux extrémités, autoritarisme et clientélisme, fixeraient l’absolue négation de l’autre dans la démarche dite de soins, à savoir le patient dans la première position, et le prescripteur dans la seconde. Entre ces deux extrêmes viendraient donc se cristalliser au fil des consultations nos décisions prescriptrices, résultats de réactions psychologiques hautement instables auxquelles on tenterait justement d’imposer une forme de stabilité par des raisonnements stéréotypés et automatisés. 


C’est pour sa pilule. Elle veut un renouvellement pour 6 mois.
Si ça ne tenait qu’à moi, la pilule serait en vente libre dans les pharmacies ou les supermarchés. Mais ce n’est pas le cas. Je fais donc comme je fais à chaque fois, le compromis que j’ai trouvé pour que le curseur se stabilise dans une position de plus grand équilibre psychologique : je fais une ordonnance, une seule, de dépannage, à savoir une boîte de 3 plaquettes. Pas de renouvellement par téléphone. Je ne veux pas que la patiente se sente prisonnière d’un système dans lequel on surmédicalise la consultation de contraception, mais j’ai besoin de maintenir un cadre stable de « remplacement ». 

C’est pour sa méthadone, il veut son renouvellement de 15 jours.
La secrétaire m’explique que le médecin remplacé fait toujours de la sorte. Je lui explique à mon tour que ce n’est pas ma politique de suivi de traitement de substitution aux opiacés. Je ne renouvelle pas sans rendez-vous. L’importance du cadre thérapeutique est primordiale à mon sens dans ce type de prise en charge. L’affiliation à un cadre de soins m’aide à maintenir une atmosphère de confiance et de respect de l’autonomie du patient. Mais il y a le cadre défini entre le médecin remplacé et le patient, et ma propre ligne de conduite. Si les deux ne sont pas compatibles, je cherche un état d’équilibre pour positionner le curseur. Je dis à la secrétaire que je ne ferai qu’une seule ordonnance, de dépannage, pour 7 jours. Pas de renouvellement. Pas d’autre ordonnance sans rendez-vous. Ma façon de respecter le cadre du remplacé, tout en y imprimant, je l’espère subtilement, ma propre empreinte professionnelle.

Et mes antibiotiques ?
Il y aussi toutes ces consultations hivernales où à la première partie de l’acte, entretien et examen clinique, succède le débat sur la prescription préventive d’antibiotiques. Lorsque, dans les premières situations, c’est à la secrétaire que l’on s’adresse, un café à la main et dans un état de relative stabilité psychologique, la seconde situation est beaucoup plus périlleuse. Le curseur décisionnel s’agite alors au gré des courants, ballotté par la houle des affects. Comme l’éclat lumineux d’une bouée nous parvient par intermittence tandis qu’elle se trouve soutenue en permanence par les flots, la décision est elle aussi une résultante, ponctuelle et changeante, de ces mouvements puissants et invisibles. Le curseur vient alors trouver une position d’équilibre entre les représentations individuelles et collectives du patient présent, et les capacités du prescripteur à gérer, à un temps t et dans une consultation c, la situation d’impuissance thérapeutique.

Entre autoritarisme et clientélisme, un curseur, une décision, et à chaque remplacé, une identité de patientèle.
Toujours pas d’antibiotiques ?

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Une tournée promotionnelle

Depuis le 29  décembre 2011, l’industrie du médicament a pour obligation de déclarer les avantages perçus par les professionnels de santé, à partir d’un plancher de 10 euros TTC. Le sunshine act à la française. Nous trouvons sur le site d’un laboratoire français la liste de ces fameux avantages, offerts au décours du premier semestre 2013. Ce sont les données disponibles les plus récentes. Les étudiants en médecine sont répertoriés dans un document de plus de 4200 pages : chaque page concerne un étudiant expressément nommé, les frais engagés, le nom du restaurant (si frais de bouche il y eût), et le « programme scientifique » de l’événement. Les sommes varient entre 20 et 50 euros par externe/interne. Ce qui fait au total, et de manière très approximative, pour le premier semestre 2013, un budget de près de 150.000 euros TTC. Concernant les professionnels de santé, c’est un document de près de 30.000 pages, fonctionnant sur le même principe : 1 page, 1 professionnel, 1 prestation. Avec des prestations variant entre 20 et 50 euros. L’estimation totale des frais engagés, de manière très approximative, peut donc être évalué à plus d’un millions d’euros pour le premier semestre de 2013 …
Mais revenons à nos étudiants. Certains programmes scientifiques laissent songeurs quant aux enjeux véritables qui se cachent derrière cet événementiel de formation continue. Ce qui est particulièrement troublant, c’est de constater qu’en un semestre, pour la modique somme de 150.000 euros, le laboratoire en question organise une véritable tournée de son programme scientifique au travers des universités françaises et des hôpitaux périphériques, programme qui semble graviter autour de 4 axes de formation principaux : diabète (ICI), HTA (ICI), insuffisance cardiaque (ICI) et dépression (ICI). Concernant le programme d’actualités en cardiologie, ivabradine et insuffisance cardiaque ICI, voici un bref aperçu de la tournée en question lorsqu’on décortique quelques-unes des pages du document en question :
– Créteil 01/2013
– Toulon 01/2013
– Avignon 01/2013
– Montfermeil 01/2013
– Carcassonne 02/2013
– Le Mans 02/2013
– Nîmes 02/2013
– Saint Brieuc 02/2013
– Marseille 04/2013
– Boulogne-Billancourt 05/2013
– Besançon 05/2013
– Paris 05/2013
– Créteil 05/2013
– Toulouse 05/2013
– Rouen 06/2013
– Amiens 06/2013
– Strasbourg 06/2013
– Perpignan 06/2013
– Arras 06/2013
– La Roche sur Yon 06/2013
– etc
En septembre 2012, le Procoralan obtenait une extension d’AMM dans l’insuffisance cardiaque (LA).
Nous avons donc à faire à une véritable tournée de communication auprès des étudiants de deuxième et troisième cycle. Les externes et internes en formation ne devraient-ils pas être protégés de cette exposition promotionnelle qui, non content de venir potentiellement influencer leurs comportements de prescription, génère un pouvoir de réciprocité puissant dans le cadre de leur exercice futur ?

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Incretines : une vérité quelque part entre thermodynamique et dissonance cognitive

Cycle de Carnot
Par l’intermédiaire de l’association de groupes de pairs à laquelle j’adhère, il m’a été possible d’assister à une présentation réalisée par un diabétologue du coin. L’idée de cette intervention était d’offrir aux participants le droit de réponse d’un spécialiste local aux différentes publications d’une revue indépendante au sujet des incrétines. J’ai été tenté. 
C’était une présentation intéressante. Des chiffres, de courbes et une multitude d’études présentées. J’appelle ça une présentation Fast and Furious.
En deux heures de temps, nous apprenions que :
1 – l’étude UKPDS avait permis de mettre en évidence un lien difficilement réfutable entre diminution précoce de l’HBA1c et diminution du risque de micro-angiopathies. 
2 – le suivi des patients de cette étude publiée dix ans après l’étude initiale mettait en évidence  un lien cette fois non réfutable entre : diminution précoce de l’HBA1c, et effet bénéfique sur la mortalité totale et cardiovasculaire.
3 – l’association des deux arguments précédents était une condition suffisante pour justifier l’autorisation de mise sur le marché de médicaments ayant un effet bénéfique sur ce critère intermédiaire, sans sur-risque de 80% d’évènements cardio-vasculaires.
4 – du fait du raisonnement précédent, les incrétines avaient donc fait leurs preuves en terme d’efficacité. 
5 – les nouvelles études publiées sur les incrétines étaient aujourd’hui réalisées à des fins de sécurité. Elles n’étaient pas faites pour établir une efficacité sur les complications du diabète, puisque cette efficacité était déjà démontrée : il n’y avait donc pas à juger l’efficacité de ces incrétines sur les études récentes.
6 – ces études rassuraient l’intervenant, et l’incitait à poursuivre l’usage de ces molécules.
7 – les gens qui prétendaient le contraire émettaient sciemment ou non des contre-sens scientifiques.
En fin d’intervention, ça devenait encore plus intéressant. Nous apprenions que :
8 – l’esprit critique d’un spécialiste n’était pas lié aux nombres de repas ou de cadeaux offerts par l’industrie du médicament. 
9 – on ne faisait donc pas d’expert sans casser des oeufs (ou sans en manger en l’occurrence).
10 – les auteurs de la revue publiant de telles conclusions sur les incrétines semblaient n’avoir rien compris.
De la littérature à la psychologie comportementaliste, il n’y a qu’un pas. Un spécialiste offre une analyse d’expert sur sa pratique thérapeutique quotidienne, et dévoile l’ambivalente relation qu’il entretient avec l’industrie du médicament. De jeunes auditeurs, dont je fais parti, sont mis à mal par l’éveil d’une dissonance cognitive puissante : « je lis une presse indépendante », et « je renouvelle un traitement non reconnu par mes lectures indépendantes ».
J’ai écouté avec intérêt, tout aussi ébranlé que mes voisins par la verve assurée de son discours scientifique. Corrélation ? Causalité ? ne cessais-je de m’interroger, bien incapable d’analyser les courbes chiffrées au fil du diaporama. UKPDS UKPDS 33, ACCORD, ADVANCE, ORIGIN, SAVOR-TIMI 53, etc. Je prenais note en silence, m’agrippant à son discours expert, en quête d’une réduction bienvenue de cette ô combien douloureuse dissonance. Rationalisation. Trivialisation. Déni de responsabilité. Renierais-je ma foi, comme le fit St Pierre, à trois reprises avant le chant du coq ?
La vérité scientifique à propos des incrétines doit se trouver quelque part entre ces deux positions, positions que ce spécialiste a lui-même avancé en deux heures de temps : l’expertise convaincue et la réduction d’une dissonance cognitive. Comme cet espace d’équilibre, celui de l’infiniment petit, qui sépare les deux états d’un milieu. La vérité dans la thermodynamique, dans cette recherche des états de plus grand équilibre. C’est aussi ça, la réduction d’une dissonance cognitive : la recherche d’un état de plus grand équilibre psychologique.
Voilà donc au moins 4 raisons pour lesquelles cette intervention s’est révélée passionnante :
1 – toucher du doigt l’incidence inconsciente d’un leader d’opinion sur l’éveil et la réduction d’une dissonance cognitive au sein d’une assemblée d’auditeurs en profond malaise ;
2 – observer l’impact de la dissonance d’un leader d’opinion dans une potentielle orientation de sa propre expertise ;
3 – réaliser l’importance de clarifier les raisons qui nous poussent à nous rapprocher d’un leader d’opinion ;
4 – conserver enfin une nécessaire autonomie dans l’abord critique de la littérature primaire.


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PMA en France, du soin et du luxe, ou l’ambivalence de nos soignants

Après plus de 4 longues années d’essais, de protocoles, nous apprenons fin 2014 que le don d’ovocyte sera la seule solution. Le marteau tombe. Les juges grimacent. La séance est levée. Alors, disciplinés, au sortir du tribunal, nous nous inscrivons sur la file d’attente du don régional.
Imaginez-vous prendre un ticket à la préfecture. Vous tirez un numéro avec plusieurs chiffres. Une multitude de chiffres. La cloche sonne. Le panneau lumineux affiche : SUIVANT. Vous inspirez doucement, craintif. Roulement de tambours. L’affichage change, le numéro attendu apparaît : 4. Expiration bruyante, dépression vertigineuse. La différence avec la demande de carte à grise à la préfecture, c’est que vous restez coincés dans ce bâtiment gris, et qu’autour de vous, le temps faisant son office, le monde continue de tourner. Des bébés naissent. Encore. Encore. Encore. La nature est si bien faite. Bref. C’est long, très long. Trop long. Mais nous sommes disciplinés. Nous jouons le jeu. Nous avons confiance. Pourtant à chaque entretien, les délais s’allongent. C’est insidieux, rien que des paroles échappées entre deux explications administratives. En trois consultations, l’attente, déjà longue d’un an, s’est allongée de 9 mois… Cruelle ironie.
Alors nous lorgnons de l’autre côté de la frontière. Là-bas, le don est anonyme et « dédommagé ». Les donneuses sont jeunes. Elles n’ont pas besoin d’avoir eu des enfants. Les taux de grossesse sont donc plus élevé. On se prend à rêver. On écrit quelques mails. En terre inconnue. Les dossiers se remplissent d’eux-mêmes, les dates sont posées, les billets d’avion sont pris.
Se pose alors la question d’aborder le sujet avec le centre de PMA qui coordonne nos tentatives. Nous jouons la carte de l’honnêteté. Nous souhaitons poursuivre les démarches en France. Le centre semble heureux pour nous. Doux euphémisme. Le gynécologue s’est exclamé. Il rayonne. Il s’extasie pour nous. Il nous prendrait presque dans ses bras, le bougre. Pourtant le dossier qui l’avait ouvert en début de consultation s’est brutalement refermé. Symbolique puissante. Il explique qu’il est inutile de poursuivre les démarches en France, que les taux de réussite sont plus importants à l’étranger. Je serre les dents. Je veux lui parler du coût d’une telle démarche. Je n’ose pas, il est forcément au courant. Il nous dit être là pour nous donner des conseils, ce qu’il s’empresse de faire. Il nous explique qu’il ne fera aucune ordonnance. Nouvelle dépression. On retombe plusieurs années en arrière. Pas d’ordonnance, quelques échographies si besoin : « la base arrière », dit-il, joie. Nous osons aborder le remboursement, potentiel et partiel, de ce type de démarches par la sécurité sociale. Le gynécologue nous explique qu’il ne fera aucune démarche en ce sens, et dans un tourbillon de paradoxes et de clichés, il tente de se justifier. En paraphrasant maladroitement Voltaire à propos de Rabelais, je crois : « on pourrait résumer en quelques feuilles des volumes de sottises. » Vous êtes jeunes. Vous avez les moyens. Ce ne sont pas ses mots, mais c’est ainsi que je les ai perçus.
Nous pourrions disserter des heures simplement sur la notion de moyens, étonnante d’une bien curieuse et affligeante vision du soin. Martin Winckler parle régulièrement de maltraitance. Cette maltraitance ordinaire. Nous la touchons ici du doigt, en tant que patient, soumis à l’ambivalence de soignants. Vous êtes jeunes, vous avez les moyens. Nos soignants, ces fâcheux, comme dirait Proust.


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Je suis…

La violence, toujours, semble trouver un chemin. Une violence sourde aux lamentations. Une violence dont nous-mêmes sommes sourds au quotidien, l’inconcevable violence de l’ailleurs.
Aujourd’hui nous la prenons de plein fouet. Des hommes et des femmes se lèvent un matin. C’est un matin comme un autre, un jour comme tous les autres. Mais ils ne reviennent pas ce soir. La toile du quotidien se déchire brutalement pour toutes ces familles, et dans l’espace gris et artificiel que cette violence soudaine a ouvert, notre stupeur semble bien incapable de trouver des mots.
Voilà pourquoi ce court billet.
Des mots anonymes contre la violence. Des mots pour pleurer. Des mots pour remplir ce vide.


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Réponse inadaptée

Aujourd’hui serait un jour de colère pour les médecins généralistes français.
Personnellement, je ne suis pas en colère : je suis inquiet.
Le système évolue lentement, sans que de grand virages soient réellement pris : la signature en 2011 entre le gouvernement et certains syndicats de l’avenant 8 à la convention, majorant un peu plus la privatisation du système de santé, en est un exemple frappant. Le projet actuel du gouvernement n’en est que la suite logique. Les articles du Dr Lehmann à ce sujet sont passionnants : ICI
Le train a depuis longtemps déraillé, et en ce jour de colère généralisée non généralisable, j’ai une pénible impression : celle d’être le dindon d’une farce qui se joue entre syndicats et politiques. Une pièce dans laquelle je ne jouerais que le rôle qu’on veut bien me donner : celui du figurant mutique.
La grève, à mon sens, est une démarche désuète dans le contexte ci-présent. Une menace de déconventionnements massifs ou l’usage strict de feuilles de soins papiers au décours des consultations auraient nettement plus d’impact politique dans un « potentiel » bras de fer décisionnel. 
Pourtant le parti pris du front uni est de faire grève, et je ne parviens pas à comprendre ce choix. Je le trouve inadapté face à l’évolution d’un système qui imposerait des états généraux, et donc une réflexion coordonnée, asyndicale et intelligible devant la lente dérive de ce qui ne fonctionne plus.
Tout ça m’apparaît alors comme une réponse impulsive et inadaptée à un constat d’impuissance, et c’est cette inadaptation qui m’inquiète.


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Pour ou contre (Edit)

Edit du 21/12/2014  : je viens de découvrir que le JIM.fr avait cité des extraits de ce billet dans un article récent, sans m’en avoir averti au préalable. Je tiens donc à préciser que ce blog est un espace d’expression personnelle. Que je ne prétends en aucun cas me faire le porte-parole de la nouvelle génération de médecins. 


Beaucoup de choses sont dites, et beaucoup nous font dire des choses, à nous, les jeunes médecins remplaçants qui ne sont pas encore installés.
Que les choses soient bien claires : je souhaite m’installer, à court ou moyen terme. Je connais aussi un certain nombre de jeunes médecins dans cette logique d’installation.
Ce qui me freine dans l’idée d’une possible installation, ce n’est pas l’arrivée du TPG, loin de là, même si sa généralisation pose certaines questions : MEDIAPART. Ce qui me freine, pour être tout à fait honnête, ce sont les négociations auprès de ceux qui cherchent à me vendre une patientèle ou à me faire emprunter pour racheter des parts de SCI d’un capital immobilier qui ne vaut rien. Ce sont aussi toutes ces histoires de factures impayées retrouvées sous le tapis du successeur à  l’arrivée du jeune installé, et croyez-moi, ces histoires ne sont pas que des légendes urbaines. Ce sont encore ces histoires de confrères devenus des concurrents lorsqu’en coulisse on ne parle plus de patientèle mais de clientèle.
Certains de ces médecins feront grève. D’autres seront présents, ceux qui ont essoré le système à force de combines politiques, ou qui ont fait exploser en vol le « médecin référent ». 
Il y aura aussi un nombre incertain de ces confrères qui se foutent de nous lorsqu’on évoque les notions de conflits d’intérêts. Ceux qui hurlent au radicalisme lorsqu’on expose les dangers sanitaires et intellectuels qu’entretient l’influence de l’industrie du médicament. Blasphème, entends-je aussi, quand il est question de réfléchir sur une potentielle remise en cause de la visite médicale, de la presse sponsorisée ou des symposiums qui continuent de pousser comme des champignons dans le paysage de la formation médicale continue. Des confrères qui montent au créneau aux côtés d’AstraZeneca, indignés par l’obligation qu’ils ont aujourd’hui à justifier la prescription d’un médicament de faible niveau de preuves. Ceux-lâ mêmes qui s’enflamment aujourd’hui auprès des jeunes médecins en  grondant : ce système est pourri, AstraZeneca a raison de se battre ou vous êtes mal formés. Du vécu. Il y aura aussi des confrères qui associent l’absence d’installation à la féminisation de la profession, etc.
Bref. Du beau monde.
On fait dire beaucoup de choses aux jeunes médecins qui ne sont pas encore installés. Je serai curieux de voir la moyenne d’âge des médecins qui vont aller manifester, sous prétexte de défendre un système dans lequel certains ont bien habilement prospéré, et qui sont souvent, eux-mêmes, à l’origine du désastre dans lequel on nous demande de nous attacher pour plusieurs décennies.
Mais il y aura aussi dans cette manifestation des confrères auxquels je crois.
Je sais qu’il y aura des enseignants de médecine générale engagés, qui luttent depuis des années pour transmettre à leurs étudiants des valeurs humaines et sociales exigeantes. Des médecins généralistes du quotidien, engagés à une échelle plus locale dans un exercice où la pérennité du soin est la priorité de ce système fracturé. Je crois en eux et en leurs combats du quotidien. Je les suis dans leurs luttes anonyme.

Je ne crois donc pas en la forme de cette manifestation fourre-tout qui m’évoque plus cette nauséeuse journée de colère du 26 janvier 2014. Une journée qui n’a finalement apporté que plus de dissensions et d’incompréhensions au sein d’une population en souffrance.

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159

Toni Morrison, prix  Nobel de littérature en 1993
Trois années et 158 articles plus tard, l’écran projette cette même lumière belliqueuse et mes doigts hésitent au-dessus du clavier. Les pensées sont beaucoup plus ordonnées que celles qui ont fait naître les  premiers billets, germes noirs, rouges, d’un lendemain de garde. Haleine fétide à peine masquée par le brossage de dents rapide d’avant le staff. Yeux bouffis, prurigineux. Un blog d’abord comme une béquille, boiterie chronique et angoisse de l’imposteur, puis comme un tremplin vers un inconnu grisant. Je sais maintenant où je vais. Ce vers quoi je tends. 
Ce blog a-t-il encore du sens aujourd’hui ? 
Les miasmes se sont évaporés et les plaies ont cicatrisé sous leurs bandages de mots. Je monte désormais un cheval de bataille qui piaffe entre deux pages de bibliographie. Alors ce blog a-t-il toujours du sens ? 
Je choisis de laisser le réel reprendre les rênes : lui choisira pour moi. 
Les remplacements noircissent désormais les pages de mon agenda, et avec eux l’angoisse de ne pas faire entrer assez d’argent après tant d’années de salariat. Une espèce de syndrome du remplaçant fraîchement pondu. Projet de succession. Activité complémentaire en addictologie. 
Je sais maintenant où je vais. Ce vers quoi je tends.
En lisant un roman de Toni Morrison, je suis tombé sur ce texte :
 » A qui est cette maison ?
A qui est la nuit qui écarte la lumière
A l’intérieur ?
Dites, qui possède cette maison ?
Elle n’est pas à moi.
J’en ai rêvé une autre, plus douce, plus lumineuse,
Qui donnait sur des lacs traversés de bateaux peints,
Sur des champs vastes comme des bras ouverts pour m’accueillir.
Cette maison est étrange.
Ses ombres mentent.
Dites, expliquez-moi, pourquoi sa serrure correspond-elle à ma clef ? »
Je crois que si je l’avais lu au début de mon internat, il aurait pu avoir une résonance terrible.
Aujourd’hui, même s’il vient faire écho à un autre pan de ma vie que j’ai parfois laissé se déverser sur ce blog, je suis heureux de pouvoir dire que ça ne concerne plus cet avenir professionnel qui se dessine.

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Publicités et valsartan

Pr Matsubara, cardiologue

Le valsartan a fait couler beaucoup d’encre. 
En 2010, la vente de ce médicament battait des records de chiffres d’affaire avec un total de CA généré de près de 6 milllards d’euro pour le laboratoire suisse Novartis. [1] Trois ans plus tard, une polémique terrible frappe cette molécule. Falsification de données d’une étude centrale en 2009, conflit d’intérêt entre le laboratoire de recherche du cardiologue japonais à l’origine de cette étude et la firme pharmaceutique Novartis. [2] Le valsartan a fait couler beaucoup d’encre et le Pr Matsubara a démissionné de son poste à l’université de Kyoto au printemps 2014.
Avant juin 2012 et l’instauration de visas publicitaire, l’ANSM contrôlait la publicité a posteriori, c’est à dire une fois imprimée au milieu de nos publications médicales quotidiennes, hebdomadaires ou mensuelles. Lors de ce contrôle, si une publicité se révélait non conforme, une mise en demeure pouvait être prononcée et dès-lors qu’une interdiction était décidée par l’agence, le CEPS (Comité économique des produits de la santé) prenait le relais pour évaluer l’intérêt d’une pénalité financière… Selon le rapport d’activité de 2009 de ce comité [3], la totalité des pénalités financières pour les 13 dossiers interdits s’élevait à 3,95 Millions d’euros et 1,5 M d’euros en 2010 [4] pour l’ensemble des 8 dossiers interdits. On peut trouver aujourd’hui sur le JO via le site de l’ANSM les décisions d’interdictions prononcées à l’encontre de certaines classes thérapeutique depuis le coup de gueule de Prescrire en 2011 qui reprochait l’anonymat des sanctions prises à l’encontre des firmes incriminées.
A donc été publiée au Journal Officiel une décision qui nous intéresse en particulier, à savoir celle prise en décembre 2009 concernant une publicité sur le valsartan. À lire ici, c’est vraiment passionnant. Je dois avouer que le travail de l’ANSM m’a sacrément impressionné.
Après avoir démontré le caractère publicitaire du document interdit, l’ANSM cite une succession d’allégations favorables au valsartan dans ce document consacré au valsartan associé ou non à l’amlodipine intitulé « valsartan une efficacité prouvée tout au long du continuum cardio-vasculaire », diffusé en supplément de la revue Impact Médecine et réalisé avec le soutien du laboratoire Novartis. 
Voici la conclusion de l’ANSM :
« Considérant qu’il ressort de cette description que les indications et les bénéfices attribués au valsartan associé ou non à l’amlodipine (Tareg et Exforge) ne sont pas validés par leur autorisation de mise sur le marché ; que la présentation des résultats des études précitées cautionnée par des propos de professionnels de santé reconnus est non objective ; considérant qu’ainsi ce document est contraire aux dispositions des articles L. 5122-2 et R.5122-8 susmentionnés du ceode de la santé publique, la publicité susvisée pour les spécialités pharmaceutiques Tareg (valsartan) et Exforge (valsartan et amlodipine) est interdite. »
Mais revenons en 2010, année où le valsartan a battu ses records de CA. L’interdiction de cette publicité a été publiée le 31 décembre 2009. Dans ses rapports d’activité, le CEPS ne précise pas le nom des classes thérapeutiques dont les dossiers d’interdiction ont mérité une pénalité financière, et on ne sait donc pas si le dossier valsartan a été traité en 2009 ou en 2010. Supposons donc que cette interdiction faite d’allégations douteuses et d’arguments d’autorité fallacieux mérite une pénalité financière, en 2009, la totalité des sanctions s’élevait quasiment à 4 M d’euros et en 2010 à 1,5 M d’euros. Je rappelle que le dossier valsartan ne représente qu’un seul dossier. Quel que soit l’année de traitement de ce dossier, et à condition qu’il ait mérité une pénalité, elle ne doit pas dépasser le demi million d’euros. Je n’ai pas l’intention de redémontrer ici le pouvoir de rémanence d’une publicité. Je ne suis pas en mesure de faire un lien entre cette publicité, son retour sur investissement et son impact sur les profits générés par le groupe Novartis, mais rappelez-vous simplement qu’en 2010, le valsartan a permis de rapporter à son groupe industriel près de 6 milliards d’euros alors que les données de l’étude sur laquelle il basait leur promotion de l’époque étaient falsifiées et qu’une partie de la campagne promotionnelle (la partie émergée de l’iceberg) était épinglée par l’ANSM a posteriori
Ça laisse songeur, non ?

1    – Lancement de produits en oncologie. Impacts marketing du plan de gestion des risques. Thèse Pharmacie. Dr Erick. 2013. p 56
3 – Rapport activité CEPS 2009 p 25
4 – Rapport d’activité CEPS 2010 p 23


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Du vrai, du faux… Et entre les deux, notre internat.

Un dimanche au point garde de médecine de ville… Je suis seul dans le cabinet. La matinée a été intense mais ça semble se calmer. J’attends un patient. Le cabinet est dans la pénombre. Je souffle un instant. Je m’arrête. Des pensées approchent, tranquilles. Je me laisse environner.
Du vrai, du faux : j’ai vu Hippocrate. 
Du vrai, du faux. C’est peut-être ce qui me plaît dans cette production : être capable de démêler le vrai du faux, savoir exactement où s’arrête le réel et où commence la fiction et garder cette frontière pour moi, la conserver dans un écrin intact d’émotions qui n’appartiennent qu’à moi. Et pourtant.
Du vrai, du faux. L’erreur médicale. La souffrance du non-dit. L’inertie d’un système. Une organisation pédagogique archaïque et contre-productive. Le système encore. Jusqu’à la présence même de l’industrie du médicament au sein de la formation. Rappelez-vous ce gros plan sur la réglette de mesure de la douleur, avec ce petit logo en bas à droite… Ce n’est certes pas du placement du produit, mais ça banalise encore une fois l’infiltration de l’industrie du médicament dans les plus petits rouages de la chaîne de soins. Du vrai, du faux donc, et un sentiment de malaise. Mon erreur médicale à moi. Projetée pendant la séance comme l’ombre froide de Nosferatu sur ma toile corticale.
Du vrai. C’était il y a deux ans. Je rentre de week-end. Service de médecine polyvalente dans un hôpital de périphérie. Une infirmière m’annonce, tandis que je regarde le tableau de répartition des patients du service, le décès de l’un de mes patients. Pas de chef ce matin. Faire la visite pourtant, seul. Continuer malgré cette tâche huileuse d’angoisse qui se répand au fond, quelque part entre l’estomac et le pancréas. Gérer mes 12 patients. Gérer l’entrant qui a remplacé mon Delta/Charlie/Delta. Toujours pas de chef pour m’expliquer les raisons de ce décès brutal. Appeler la réanimation, chercher des informations. Embolie pulmonaire massive. Thrombolyse d’urgence. Hématome cérébrale. Game Over. Son traitement anti-coagulant avait été arrêté le mercredi pendant ma visite. Jeudi férié. Encaisser. Finir tout de même la visite.14 heures. Croiser l’infirmière en question dans l’après-midi. Du vrai. Elle, les larmes aux yeux, venant tout juste d’apprendre le décès par sa cadre. S’isoler dans la cage d’escalier. Tenter gauchement de rassurer une infirmière de métier, moi, l’interne en formation… Tenter de verbaliser, d’exprimer les non-dits. Lui ressortir le discours des réanimateurs, à savoir que l’embole devait déjà être présente, que malgré un contrôle mensuel normal, l’INR peut parfois osciller entre deux prises de sang, etc. Du vrai. Je suis en formation. Du vrai. Encaisser. Ne voir un chef que dans la soirée, pour la contre-visite. Lui expliquer ce que je ressens. Du vrai, il est à côté de la plaque et incapable de toute sorte d’accompagnement pédagogique. Du faux. Je ne suis pas son fils. Du faux. Pas de conseil disciplinaire. Mais un comité d’évaluation des pratiques. Un énième sigle imprononçable que ma mémoire a effacé. Tous les acteurs présents pour désamorcer la situation. La feuille de soins circule, une flèche trop longue, un coup de surligneur trop épais. Un week-end férié. Une surcharge de travail. Pas de stigmatisation. On comprend alors ce qu’est l’aléa thérapeutique : une chaîne d’événements indésirables, jamais l’erreur d’un seul.
Du vrai, du faux.
Je crois que j’ai évolué depuis ce billet, deux ans plus tôt : mon aléa thérapeutique…
La sonnette de l’interphone retentit. Reprise.
Un dimanche au  point garde de médecine de ville.

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BorderLand


C’est la régulation… Je t’appelle pour un dossier difficile. Foyer logement. Délire chez une patiente âgée… La famille est sur place. Probablement une hospitalisation à la demande d’un tiers.
Le ciel est bas. Quelques gouttes viennent s’écraser sur le pare-brise lorsque je quitte le poste de garde. Vingt kilomètres plus tard, les essuies-glaces fonctionnent à plein régime. Comme convenu, son fils m’attend à l’entrée du village. Je me présente et nous revoilà partis. Je suis son 4×4 dans un dédale de petites rues en fond de vallée. Nous arrivons au foyer logement. La belle-fille nous attend. Elle soupire en me voyant arriver. Je l’entends dire : un jeune… Des ambulanciers sont déjà présents. Je demande à la famille de m’expliquer la situation. Un mois que ça dure, que la patiente est agressive et que la directrice du foyer les alerte régulièrement. Mais elle est violente depuis la veille, elle insulte les résidents et a giflé sa belle-fille une heure avant mon arrivée. Pas de médecin traitant. Pas de suivi. Elle parle de se suicider. Notion d’alcoolisme chronique. J’entre seul.
Nous discutons. 
Rien à faire.
Je ressors.
J’explique à la famille que la patiente nécessite effectivement des soins mais qu’il sera difficile de ne pas l’hospitalier du fait de l’absence de médicalisation du foyer et de l’importance des troubles qu’elle présente. Nous discutons ensemble des modalités pratiques du transport. Je suis mal à l’aise. Je ne connais ni la patiente, ni la famille, et me voilà à organiser une hospitalisation contre la volonté de cette patiente parce que je considère qu’elle est plus proche de la psychose paranoïaque décompensée que de la bonne humeur d’une partie de dominos un dimanche pluvieux. Je suis foutrement mal à l’aise. J’entre à nouveau dans la chambre. Nous discutons. Tournons en rond. Et soudain, contre toute attente, elle lâche un :  j’y vais, mais je vous préviens : je n’y resterai pas ! Une brèche, soudain, dans laquelle je me rue sans aucune retenue. Dix minutes de négociations. Jeu, set et match. 
BorderLand 
C’est la régulation… Une jeune femme, des cervicalgies… S’est présentée aux urgences mais on s’est permis de la réorienter…
La jeune femme entre. Je vous préviens, je n’ai pas de quoi payer, mais le 15 m’a dit que ce n’était pas un problème.
On verra ça après, je réponds alors à la patiente, sachant pertinemment la façon dont les choses vont se terminer. Racontez-moi d’abord ce qui vous amène. 
Quinze minutes de consultation et une ordonnance plus tard, elle m’explique qu’elle a la CMU. Je lui dis que dans ce cas, je n’ai besoin que de son numéro de sécurité sociale. Elle m’explique alors qu’elle a bien la CMU mais pas vraiment, qu’en fait elle est en train de renouveler sa demande et qu’en attendant elle utilise ça : une feuille froissée avec l’en-tête du RSI au nom de son grand-père. Elle veut donc, pour que je puisse me faire payer du service rendu un dimanche après-midi de garde, que je fasse une feuille de soins au nom de son grand-père… Je lui explique que c’est impossible. Elle me dit qu’ils font toujours comme ça, les infirmiers et les médecins. Je lui explique que je ne suis pas ils. Je lui explique que c’est de la falsification de feuille de soins et de l’usurpation d’identité. Je lui fais comprendre, en utilisant l’image des faux billets, que c’est tout simplement illégal. Elle me dit que de toute façon elle ne peut pas payer et que le 15 a dit que ça ne poserait aucun problème. Si le 15 l’a dit, je réponds résigné. Je lui tends l’ordonnance. Elle la parcourt rapidement et me demande s’il est possible de la rédiger au nom de son grand-père.
BorderLand ou l’impression désagréable d’être un médecin mercenaire. Ou peut-être pas finalement… 

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Dans le moteur

Clé verte : la porte de la maison de santé.
Clé rouge : la porte de son cabinet.
Allumer l’ordinateur.
S’immerger dans le logiciel.
Je connais désormais le cabinet pour y avoir fait un remplacement court quelques mois plus tôt. Malgré l’ordre sans faille qu’il impose à la tenue de l’endroit se devinent entre les lignes de surface les habitudes de travail du médecin que je remplace. Comme le vide entre les rayons donne du volume à la forme d’une roue, le médecin remplacé est là sans être là. Spectre spectateur, il rôde en gardien silencieux. Présent par son absence. Bavard par son silence obstiné. Je ne peux dès-lors m’empêcher de me projeter pour tendre vers une pratique nécessairement fantasmée de celui qui est au quotidien. Que ferait-il à ma place ? Quel traitement ? Quelle décision ? Quand reverrait-il la patiente ? Prend-il la tension à chaque fois ? Aurait-il admis son patient aux urgences ? Et il n’y a là que les interrogations conscientes, soit l’infime partie émergée d’une structure colossale qui régit les modalités du langage verbal et non verbal. 
Clé verte : la porte de la maison de santé.
Clé rouge : la porte de son cabinet.
Lors d’un remplacement court, la temporisation permet de ne pas imprimer une marque trop profonde dans le parcours de santé du patient qui se présente. Le but pourrait être de passer inaperçu dans cet espace temps d’absence et de réaliser ainsi une transition sans remous entre le départ et le retour du médecin remplacé. Un raccord impeccable entre deux bobines de film. Un défi en soi. Mais lorsque le remplacement se prolonge, l’aura du remplacé se dilue indéniablement et l’individualité du remplaçant vient prendre de la substance. S’inscrit alors notre personnalité prescriptrice. Nos doutes. Nos faiblesses. Nos forces. Il nous faut plonger les mains dans le moteur et se foutre sans crainte de l’huile jusqu’aux coudes. S’impliquer, se responsabiliser. Un défi tout autre mais tout aussi riche. Nous dévions alors, à notre maigre échelle, l’histoire de soins du patient et je crois que c’est en ça que ça m’effraie un peu. Mais qu’est-ce que c’est grisant…
Clé verte : la porte de la maison de santé.
Clé rouge : la porte de son cabinet.
Allumer l’ordinateur.
S’immerger dans le logiciel.
Let’s go, les mains dans le moteur.

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Delta Charlie Delta

« Je vois des gens qui sont morts… »

Première astreinte de week-end comme médecin généraliste remplaçant. Sans filet.
Première astreinte, premier appel du 15.
We are young !
We are strong !
We’re not looking for where we belong !*
Les pompiers m’attendent sans gyrophare. Autour de nous cette pesanteur moite qui précède l’orage. Ils sont 3 ou 4 sur le palier. L’appartement est au deuxième étage et dans le couloir flotte cette odeur puissante de fruit blet. J’entre et malgré l’ambiance générale je me lance dans une partie de marelle entre les amas de crotte. Un chien me renifle gaiement les guibolles. Ma patiente est affalée sur sa chaise, silencieuse dans sa petite cuisine. Elle ne fait pas un geste tandis que son chien déjà très envahissant me saute dessus. Elle ne dit rien. Sa bouche entrouverte retient un liquide saumâtre à la surface duquel bourgeonne occasionnellement quelques bulles timides. Ses yeux clos sont comme deux œufs cireux que l’on aurait placé derrière. Ma patiente joue dangereusement avec la gravité : elle penche d’un côté et son bras gît en pendule immobile. La face que l’attraction a inévitablement attiré a noirci et sur son cuir chevelu viennent pousser quelques fleurs blanches minuscules. Je m’approche. Une fenêtre est ouverte quelque part. Je dépose la membrane du stéthoscope sur cette peau qu’un instant je frôle. Frissons. Une peau froide, tendue à craquer. Rien. Je garde un œil sur la montre pendant une minute pleine. Une longue, très longue minute. Cette minute de silence que seul l’ignorance guillerette du chien vient rompre par quelques coups de museau sur mon jean. J’inspecte professionnellement les lividités. Je dois maintenant remplir son constat de décès, dernière démarche administrative que la patiente accomplit sous la bille de mon stylo. Je ne sais pas où m’asseoir. Je sors, avale l’air frais. Je n’ai aucune idée de la date du décès, sinon que la patiente a été aperçue vivante trois ou quatre jours plus tôt. Des constats de décès, j’en ai remplis plusieurs en service hospitalier. Neurologie. Gériatrie. Décès survenu le …, à …. Sur les conseils d’un ami médecin légiste appelé en prévention quelques minutes avant mon arrivée sur les lieux, je raye la mention survenu pour griffonner un constaté entre deux lignesJe ne sais pas quoi dire à la famille présente tandis que je remplis le certificat. Je bredouille un toutes mes condoléances. Je suis gauche, furieusement maladroit dans chacun des gestes que j’imprime sur cette scène de deuil. Je rentre abriter mon indélicatesse au poste de garde sous une pluie bienvenue. Il me semble que je dispense toute la journée cette ambiance glauque autour de moi. Je me surprends même à griffonner le visage de ma patiente sur mes carnets de croquis. La garde s’achève. Je laisse en verrouillant la porte du cabinet le spectre de cette femme assis sur la chaise que j’ai quitté quelques minutes plus tôt. Ses yeux clos m’observent, comme si j’avais laissé là une tâche inachevée. Des yeux clos comme deux œufs cireux. Je ferme la porte en espérant qu’elle n’effraiera pas trop le prochain médecin de garde.
We are young !
We are strong !
We’re not looking for where we belong !
We’re not cool !
We’re free !
And we’re runnning with blood on our knees !
La mairie me rappellera en début de semaine pour venir compléter le certificat de décès : ils veulent absolument qu’apparaissent une date de décès. La tâche est désormais achevée. Je peux revenir serein au cabinet de garde parce que je sais qu’elle repose maintenant en paix : l’administration en a fini avec elle.

* Mika. BO Kick Ass : We are young ! Continuer la lecture

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Miroir, miroir

On m’a proposé de participer à une réunion de fonctionnement du réseau de soins dans lequel j’effectue mon dernier stage. Une énième réunion. Je réalise qu’importer l’hôpital en ambulatoire, c’est aussi y transférer cette culture hospitalière si singulière de la concertation technocratique auto-entretenue où des soignants (devenus officieusement agents qualiticiens et qui ont en partie lâché les rames pour observer les rameurs laissés sur le pont des services) viennent réfléchir à l’établissement de critères qualité afin que d’autres décisionnaires, cette fois-ci hors-sol, puissent apprécier le travail des rameurs sur le terrain*… Une énième réunion, je m’assoupis.
Une femme dont j’ai oublié la fonction est assise à ma droite. Son téléphone à quelques centimètres de mes oreilles. Je m’assoupis. Une nappe floconneuse m’environne, dilue l’autour. J’entends mais je n’écoute plus. Je lutte quelques instants mais la brume est puissante. Elle m’étreint sûrement. La sonnerie du téléphone m’arrache alors aux rivages sirupeux du sommeil. Avec la sonnerie, une sueur froide, glaciale. Cette sonnerie, je la connais, celle d’un téléphone de garde. Un souvenir imprimé comme marqué au fer rouge. Une sonnerie qui me ramène deux années en arrière dans cet hôpital périphérique, où j’avais écris entre autres le billet Six Feet Under. Hasard étrange, quelques heures avant cette réunion je m’y suis justement rendus accompagnant une infirmière coordinatrice de l’antenne HAD local, parcourant ces couloirs que je n’avais pas arpentés depuis 2 ans. Un service de chirurgie vasculaire. Une candidate à l’hospitalisation à domicile. Nous entrons dans l’ascenseur et je tombe sur mon reflet. Sur cette barbe qui s’épaissit, sur ce regard qui me semble parfois un étranger. Le miroir comme une madeleine déterre des sensations vaporeuses éprouvées lors de mes premières gardes d’externe aujourd’hui oubliées. Je déboule dans un ascenseur vide du CHU aux heures les plus noires de la nuit. Si loin, si près. Je tiens un tube de gaz du sang à la main. Je m’adosse. Je souffle quelques secondes loin du battage des urgences. J’observe mon reflet dans le miroir. Il m’observe. La simple fierté d’appartenir, minuscule rouage, au gigantisme écrasant de la machinerie hospitalière. Les années filent. N’est pas Dorian Gray qui veut, le reflet et moi avançons de conserve. Mes gardes d’interne. Quelques minutes de sommeil. Allongé en blouse dans le lit, les pieds en feu, les mollets douloureux. Le téléphone sonne. Un service qui appelle. Les fenêtres croisées laissent filtrer une aube grise. J’entre dans l’ascenseur. OAP. Douleur thoracique. Agitation. Toujours ce miroir. Ce reflet qui me poursuit. Un sentiment de fierté qui évolue, plus complexe, s’associant désormais au soulagement d’avoir dépassé l’angoisse de la garde, ou celui narcissique d’être identifié et interpellé comme une entité médicale décisionnelle dont la soudaine figure d’autorité donne tout son sens à la nuit. Le temps se dilate. Des centaines de patients plus tard, me voilà adossé à la cloison d’un ascenseur de maison de retraite. Un renouvellement. Je remplace, sans filet. Un sentiment de fierté qui mute au gré des ans ; le désir maintenant accompli d’appartenir au corps de la médecine générale et d’être un acteur de soin à part entière. Fierté mêlée de crainte, peur de l’avenir aussi. L’avenir du libéral. Le Dr Lehmann en parle terriblement bien ici.
Un téléphone et un miroir agissant sur moi comme une madeleine saturée de thé sur ce bon vieux Marcel. Mon internat. Mon externat. Une mise en abîme de réminiscences. Le fil de la mémoire a de drôles de nœuds. Mes études touchent à leur fin. Une question de mois maintenant. Et ensuite ?
Trop de nœuds, je m’assoupis.

* Lisez si ce n’est pas déjà fait La Revanche du rameur de Dominique Dupagne.

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Crise de foi

J’ai chaud. Je repousse le drap. 
Je vous laisse découvrir ici le dernier billet d’un blog qui ferme aujourd’hui ses portes : ICI
Son ultime billet a ébranlé mes convictions. Je repense à Sisyphe, cet homme qui pousse sa pierre au sommet d’une colline avant de la voir rouler à nouveau jusqu’à son point d’origine. Lui de la hisser péniblement, suant sous le poids de l’énorme roc. Elle de rouler encore au pied de la colline. Lui. Elle. Encore et encore, un couple absurde dans cette ritournelle machiavélique. 
Il y a dans ce mythe une allégorie cinglante de l’absurdité de la condition humaine. Camus en parle bien mieux que moi. Quelle médecine vient alors faire sens face à une telle absurdité ? Quelle médecine de soins de premier recours peut s’opposer à une telle absurdité ? Toutes ces questions valsent en derviches cruels aux heures les plus noires de la nuit. Je repousse le drap. J’ai foutrement chaud. Je vois dans cette colline le visage des hommes et des femmes politiques qui nous gouvernent. Un visage grimaçant, tournant sur lui-même sous l’effort de poussée de ce Sisyphe des temps modernes. La médecine de premier recours a-t-elle encore du sens ? A-t-on encore besoin de médecins de premier recours ? J’ai chaud, l’heure tourne. Je ne dors toujours pas et je repense à ce billet de blog. À cette médecine qu’il a pratiquée pendant une dizaine d’année. Je repense à mes trois années d’internat qui s’achève dans quelques mois. Quelques mois à peine, l’aboutissement d’une décennie. La nuit est avancée. À la même heure, des internes manient le scalpel dans les abîmes sombres d’un abdomen occlus, d’autres s’acharnent à réanimer un cœur traumatisé qui s’essouffle au milieu d’un service de réanimation pédiatrique. Moi, je vois le sommeil me fuir tandis que j’erre dans ces abîmes d’inutiles réflexions. Une question émerge des ombres : la médecine de premier recours est-elle encore indispensable ? 
J’ai  croisé toute sorte de médecines générales pendant ces trois années d’internat. J’y ai découvert un drôle d’éventail dont je ne pourrai vous présenter ici qu’un vague échantillon, caricatural, celui que la mémoire restitue avec le moins de difficulté. J’ai croisé des médecins pragmatiques œuvrant pour une science de faits et de preuves ; j’ai assisté à des pratiques charlatanesques faites d’allégation, d’approximation et de fausses croyances ; j’ai approché des hommes et des femmes soucieux de vérités scientifiques ; j’ai observé des raisonnements de prescription fallacieux basés sur la science commerciale du critère intermédiaire ; j’ai vu des praticiens confondre corrélation et causalité ; j’ai mis les pieds dans un maillage grisant de lanceurs d’alerte et de rêveurs vigilants ;  je me suis heurté à des théories marketing fumeuses fondés sur des syllogismes redoutables ; j’ai côtoyé des approches centrées sur la personne, loin de toute technique ou examen complémentaire  et d’autres approches égo-centrant le praticien ; j’ai vu des soignants chercher dans le soin leur propre thérapie personnelle ; j’ai vu des pratiques perverses, manipulatrices ; j’ai vu des autoritaires, des paternalistes, des altruistes, des médecins-comptables, des experts, des politiques, des sensibles, des douloureux. J’ai vu une médecine générale immensément variée, humaine. Trois années d’internat et j’ai découvert la possibilité d’une palette infinie de pratiques et d’approche dont le plus grand dénominateur commun m’a semblé être la considération du patient pour son médecin. Alors peut-être est-ce sur ce dénominateur commun, curieuse et ineffable entité qu’est le patient, qu’il nous faudrait probablement axer notre questionnement du sens de la médecine générale ? Qu’est-ce qu’attend le patient moderne ? Quelle médecine générale lui proposer aujourd’hui ? Laquelle fait véritablement sens et vient faire la différence ?
Je repense alors à ce billet de blog, mise en abîme vertigineuse dans laquelle il m’a plongé à son insu. Un détail parfois suffit à nous faire glisser dans des gouffres sans fond de réflexion. Un détail, un mot et me voilà à déraper sur les parois verticales des allégories de la condition humaine. Je m’endors.

Une question demeure au réveil : quelle médecine générale ?


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Sur-mesure

Un grand échalas vient à notre rencontre. Des clés tintent dans sa main tandis qu’une flotte poisseuse me glisse dans le cou. Le plafond est bas, l’homme est grand, courbé en deux dans des fringues trop courtes. D’immenses carreaux lui couvrent les joues. Système D. Des lunettes récupérées à droite ou à gauche. Un grand échalas, courbé en deux, le visage inexpressif. Cocktail de neuroleptiques. Un cigarillo au bord des lèvres vient s’allumer à chaque inspiration, disparaissant ensuite derrière des rouleaux de fumée graisseux et opaques. Il met du temps à nous ouvrir, courbé en deux dans ce corps trop grand pour lui. Le portail grince. Il nous invite à entrer. Nous entrons.
Le bureau croule sous la paperasse. Des dossiers médicaux vomissent des factures ou des résultats de prises de sang. Les murs blancs peinent à contenir l’agitation qui règnent dans ce petit endroit. La sonnerie du téléphone tranche sans interruption le confinement de la pièce. On entre, on sort. Des infirmières de coordination, des secrétaires, des travailleurs sociaux, une psychologue, etc. On entre, on sort. Je suis assis. Je prends des notes entre deux conversations téléphoniques. Je découvre l’hôpital en ambulatoire. Gérard Dubey, sociologue invité aux Rencontres Prescrire, s’interrogeait en plénière sur la légitimité des transferts de procédures entre deux structures aux cultures professionnelles différentes. Je saisis mieux ses interrogations. Le téléphone sonne. On sort, on entre. Je continue de prendre des notes.
L’homme est assis. Les consultations défilent. Il souhaite une cure de sevrage. L’alcool a brûlé son visage, l’a socialement consumé. Je repense au livre de Kessel sur les Alcooliques Anonymes, à tous ces visages vaporeux et anonymes qu’il croise pendant son  périple américain et à sa découverte précise de ce qu’est l’addiction : une maladie chronique. Les consultations défilent. Renouvellement de traitements substitutifs aux opiacés, tabac, cannabis, alcool, injonction de soins, etc. Mais c’est cet homme qui a retenu mon attention. Un visage consumé, des conjonctives imbibées. Un à quoi bon émergeant fébrilement des limbes de ma subconscience. Un  à quoi bon alors balayé par le souvenir de cette lecture de Kessel. Me vient à l’esprit l’importance de la dignité humaine dans l’épreuve de la maladie chronique : la dignité dans la douleur ; la dignité dans le soin de confort ; la dignité dans la prise en charge des démences ; la dignité dans l’addiction en refusant le à quoi bon. Un temps de sevrage, une mise à distance du produit. Un temps où l’alexithymie que soulage l’alcool peut-être apprivoisée. Un temps où le corps qui n’est plus brutalisé peut refaire sens. C’est à tout ça que je pense, à Kessel, à la dignité, à l’alexithymie, au corps, tandis que l’homme est assis et que les consultations défilent. Ça me parle. 
J’entre. Je sors. 
Un service de PASS.
Le bureau du médecin coordonnateur de l’HAD.
La salle de consultation d’une unité d’addictologie ambulatoire.
Un stage sur-mesure.

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Dernier parachutage

Dernier stage.
Hors de question de terminer un internat de médecine générale à l’hôpital.
Un dernier stage, et je veux continuer de parcourir les landes de la médecine générale, explorer son terrain vaste et protéiforme, foutre mon nez partout. Je veux découvrir les acteurs de santé qui font le soin de proximité, ces acteurs qui œuvrent dans l’ombre des politiques de santé et tissent la toile solide d’un réseau dans lequel le patient retrouve les bases d’une véritable médecine de proximité. Comprendre les complexes subtilités de l’accès à l’AME, à la CMU, à la CMUc ou à l’ACS. Saisir les enjeux de l’aide à cet accès aux soins et à la prise en charge dite de bas-seuil. Explorer l’élaboration d’un projet d’éducation thérapeutique ou addictologique en ambulatoire, ses possibilités, ses limites, ses freins. L’HAD, la coordination d’EHPAD, les ressources d’aide à l’autonomie… Alors hors de question de terminer cet internat à l’hôpital. Il me reste trop d’acteurs à découvrir pour m’enfermer à nouveau dans la mélasse des arguments d’autorités, du soins de spécialité, des gardes et des astreintes chronophages. Septembre 2012 : stage de médecine générale de niveau 1. Septembre 2013 : stage de médecine générale de niveau 2 ou SASPAS (stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée). Mes cartouches s’épuisent mais ce que me révèlent ces stages m’enthousiasme. Pile. La découverte d’une médecine de proximité. Face. La découverte d’un lobbying de proximité tout aussi efficace, portés par des techniques commerciales redoutables d’ensemencement de marché.
Le souffle, oui c’est à cause du Mediator. C’était en stage de SASPAS. Jhésite un instant, mais je demande tout de même. La réponse m’envoie dans les cordes : c’est mon médecin qui me l’a prescrit pour perdre du poids. Ça a drôlement bien marché… Ce médecin, maître de stage universitaire croisé au décours de mon cursus, ne peut concevoir sa formation médicale continue sans le soutien indéfectible de l’industrie du médicament : journaux sponsorisés, visiteurs médicaux, symposiums, restaurants. Un maître de stage universitaire… La liste de ses liens d’intérêts sur le sunshine-act du conseil de l’Ordre fait plus de cinq pages. Dans les cordes. J’en crache mon protège-dent. L’affaire Mediator n’a en rien changé sa façon de se renseigner sur la pertinence de ses informations et de ses prescriptions, elle n’a fait que renforcer un peu plus son déni. Pile. Ces stages ont fait naître en moi un désir ardent pour la médecine générale. Face. Ces stages ont développé et renforcé deux convictions : – 1 – l’indépendance, vierge de contact sponsorisé, semble la seule défense efficace contre l’influence de l’industrie du médicament dans la pratique quotidienne à vigilance fluctuante ;  – 2 – l’exploration de la dissonance cognitive, comme en addictologie, m’apparaît être une solution pour désamorcer un déni puissant dans ce contexte de prescription sous influence.
Alors je veux continuer à creuser cette piste en bossant sur ma thèse. Mais je veux aussi découvrir les acteurs d’une médecine de terrain et de réseau. Sachant qu’il est hors de question que je termine un internat de médecine généraliste à l’hôpital, je décide de monter un dossier de stage professionnalisant. Je découvre que le territoire de santé dans lequel j’envisage de m’installer est recouvert par le maillage solide d’un vaste réseau de soins. Plusieurs mois de travail et avec l’aide d’un médecin généraliste influent, le dossier est finalement validé par l’ARS puis par la faculté : une demi-journée avec la PASS du secteur, deux demi-journées avec l’HAD, une demi-journée avec une équipe d’éducation thérapeutique, deux jours avec une équipe d’addictologie ambulatoire (deux médecins, deux infirmiers, un assistant social, un visiteur social, un psychologue) et une journée de consultations de médecine générale dans un cabinet en autonomie supervisée.
Mon dernier stage, enfin. That’s all Folks !


Une lecture que je vous recommande, et tout à fait hors de propos :  Le serment d’hypocrite, écrit par le Dr Tanquerel, médecin DIM remisé au placard pour avoir dénoncé la sous-traitance par une société privée du recodage des actes de l’hôpital de Saint-Malo balayant ainsi l’une des valeurs socles de notre métier, le secret médical.
Où les médecins DIM se retrouvent entre l’enclume du déficit public et le marteau aveugle des politiques économiques des directions hospitalières.
Je vous en recommande chaudement la lecture même si je dois avouer un lien d’intérêt avec l’auteur : il est le père d’une amie…
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