Archives mensuelles : octobre 2014

J’étais juste fatiguée

Ce n’était déjà pas une nuit des plus joyeuses. Seule. Agitation, insomnie, sueurs froides, le manque, l’absence… Le genre de nuit que je ne craignais pas avant. Et que je hais aujourd’hui vu mon rythme décousu et acrobatique où mon état à l’issue de ces journées qui s’étirent est absolument imprévisible. Et cette route un peu longue, un peu dangereuse où les fleurs sans cesse renouvelées sur le bas côté m’empêchent d’oublier que certaines erreurs coûtent cher.
Un rythme et une route qui me font redouter les nuits courtes qu’elles soient emplies de d’angoisse mais aussi de tendresse.
« You know you’re in love when you can’t fall asleep because reality is even better than your dreams »
7h15  Non, soyons honnêtes

7h21 Je suis presque à l’heure. Je démarre la voiture couverte de condensation. Je grelotte. Le ciel est bleu, très pâle à l’horizon, plus foncé au zénith. Les nuages bas s’enflamment sous les rayons du soleil rouge qui perce timidement le long de la campagne. Elle est si belle à l’aurore cette départementale…
J’ouvre le cabinet, allume les lumières, le PC et booste les chauffages avant de retirer mes mitaines et mon blouson. 22 patients de programmés. Grosse journée avec beaucoup de factures à faire, fin du mois oblige mais une bonne pause déjeuner. Trois visites mais deux heures pour les faire. Fin de journée prévue à 20h30 mais que des gens chouettes dans les trois dernières heures. Ça va le faire.
8h. Premier patient. Thomas. 8 mois, bronchiolite. Habituellement j’adore ça. Évidemment à l’instar de ma nuit pourrie, loi des séries oblige, rien ne va. Genre pas du tout. Genre votre môme, « déshabillez-le », « Ouh là, on va pas faire grand chose ce matin », « Bah alors mon grand ? », « bon, bah, je vais le moucher mais c’est tout hein… », « vous pouvez le rhabiller, je vais vous faire un petit courrier pour le docteur, tidadidadoum », « va falloir le voir rapidement votre docteur hein, genre euh aujourd’hui ». Tu la sens la confiance ?
8h45. J’ai vu un patient sur 22. J’ai quinze minutes de retard à rattraper de façon  la plus échelonnée possible histoire d’éviter le coup de la dernière fois : « Ah cinq minutes de moins, sur une séance de 30, ça fait beaucoup et c’est pas la première fois et ça m’agace », « Qu’est ce que vous faites pendant ces cinq minutes après la sortie du dernier patient, vos collègues ont déjà tous enchaînés avec la personne suivante.. ». J’ai pensé fort, très fort « BAH SI T’ES PAS CONTENT CASSE-TOI ». Mais c’est une autre histoire.
Mon alarme bidale mettra deux heures à se calmer. Parce qu’il était franchement moyen ce gosse. J’espère que j’ai été claire. Pas trop alarmante mais suffisamment quand même. Et que ça ne justifiait pas une consultation aux urgences.
Je jongle avec les rendez-vous. Il me faudra 6 patients pour récupérer ces foutues quinze minutes. Sans un instant à moi. Pas un seul. J’ai l’impression de nager. Je vole d’une longueur à l’autre sans respirer, à un bon rythme. Je tiens. Ça va.
Pause déjeuner tranquille, je vole vingt minutes allongée sur la table avec une tasse de thé sur le ventre et une vidéo quelconque en replay.
12h50. Je pars en visite. Avec un peu d’avance pour ne pas courir. Si j’avais su que j’allais replonger jusqu’à 19h30 sans sortir la tête de l’eau je n’y serais peut-être pas allée. Évidemment, comme je suis large, je déborde. Le domicile c’est la mort. J’aime tellement ça que tenir les délais est une horreur…
14h50. De retour au cabinet. J’ai 12 chèques à valider avant le patient de 15h.
J’avais rien à 15h30 mais un nouveau patient s’est greffé hier. Suspens.
Ordonnance, carte vitale, dossier, « qu’est-ce qui vous amène ? sur une génération seulement merci », bilan puis mini-séance.
Retard 10 minutes. Échelonnage tout ça…
17h « Donc vous avez eu mal deux heures après la séance, ça a duré 12h, ça ressemblait à des courbatures mais ça n’en était pas, et c’est passé, mais quand c’est passé, vous aviez encore mal ? Et autant mal qu’AVANT la séance ou moins ? ».
C’était une kiné qui essaie de faire des liens subjectifs de cause à effet et d’évaluer l’efficacité de ses choix de traitement… LA SIANSSE.
18h. « Vous ne pourriez pas me masser les épaules, j’ai tellement fait le ménage que je suis contracturée, oh là là, je sais que je viens pour ma cheville mais… »
J’ai le cerveau en bouillie. Je saute sur l’occasion. Ça va lui faire plaisir et moi ça va me reposer l’esprit. J’ai le dos qui commence à me lancer, les épaules qui tirent, les poignets qui craquent. Je serre les dents.
19h. J’ai la tête qui tourne. Les genoux qui tremblent. Je n’ai rien avalé depuis midi. Rien bu non plus. La patiente est à l’heure cette fois et ça ne m’arrange pas. Je l’embête en disant que j’échange son retard de la fois passée contre cinq minutes à moi. Elle rit. Jaune. 
Je croque une pomme en tapant mes impressions sur la séance d’avant et son contenu.
19h30. 20 patients. 18 factures. Deuxième pause pipi. Presque 7h. 7h putain, sans respirer. Lapin. Je crois que je vais offrir des chocolats à celui qui n’a pu venir. Je m’assois au bureau. Incapable de rien. Les yeux dans le vide. Lasse. Mal partout. Une ombre. Une petite chose au bord de l’asphyxie.
Plus de collègues, je suis seule pour finir.
20h. Dernier patient. On évoque son besoin de lever le pied. Je raconte mon choix de ces putains de journées en échange de jours entiers de liberté. Je lui explique mon hypothèse pour son genou, surprise dans mon état d’être encore capable d’en formuler.
20h40. J’ai éteint les lumières. Les chauffages. L’ordinateur. Je pleure d’épuisement. Je me trouve nulle de ne pas tenir des journées qui sont habituelles pour nombre de mes collègues. Eux font ça 4 à 5 jours sur 7, parfois avec le double de patients. Pourquoi pas moi ? Y’avait pas le programme « physiquement indestructible » dans les gamètes qui m’ont fait naître ?
Je regarde la table de massage. Et j’ai un doute. Et si…
Je suis trop fatiguée. J’ai trop mal. Je ne marche plus droit, je vois flou. Suis-je vraiment capable de rentrer ? Suis-je en état de reprendre la voiture, de faire en sens inverse les 30 kilomètres de prés et de forêt qui me séparent de mon lit ?
Sans faire du mal à ma voiture, me faire du mal voir pire, blesser quelqu’un ?
Ils sont beaux les platanes à l’aurore. Sont-ils toujours si attrayants dans la nuit noire ?
Je ne vais pas dormir là quand même. Mais je pourrais m’allonger non ? Comme sur l’autoroute « Fatigué ? Faites une sieste ». Il fait froid maintenant. Et puis j’ai peur ici toute seule. Et puis merde, je suis jeune, je suis en pleine santé, putain, y a pas de raisons, merde, je ne suis pas faible, je DOIS pouvoir le faire.
C’était une folie. J’ai mis le chauffage à fond comme après les rares et bonnes soirées kinés d’avant. La musique fort. C’était pas la bonne heure. Pas une seule chanson bien ringarde pour tarir les larmes en chantant à tue-tête. Alors j’ai pleuré de trouille pendant la moitié du trajet. « Je vais faire une connerie, je vais faire une connerie, concentre-toi bon sang, t’as une famille, tiens bon, y en a plus pour longtemps ». La lumière des phares en face se brouillaient encore plus que d’habitude dans les larmes et le mascara fondu.
Je suis rentrée, je me suis écroulée. Il est 21h20. 
J’étais juste fatiguée.
Et j’aurais pu ne plus être en vie.

Papa, maintenant que tu me lis, promis, n’aie pas peur, je ferai en sorte que ça ne se reproduise pas…

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Tabagisme : détecter, via le sang, le cancer du poumon des années avant. Mais encore ?

Bonjour Comment s’y retrouver sans jamais hiérarchiser ? Une publication suit l’autre… et une autre… et une autre encore … sans jamais recontextualiser. Tout dans l’analytique et peu dans la synthèse. Le règne du parcellaire, le triomphe du confetti. Dans d’autres espaces ce serait parler de Musigny ou du Clos des Corvées (monopole) en faisant une croix […] Continuer la lecture

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Ebola : Paris envisage de regarder si l’épidémie n’atteint pas la Côte d’Ivoire

Bonjour 31/10/14. Le Dr Benoît Vallet,  Directeur Général de la Santé vient d’annoncer la création prochaine d’une cellule chargée d’évaluer les différents scénarios de l’évolution de l’épidémie d’Ebola. L’information a été donnée par Le Quotidien du Médecin (Damien Coulomb). « Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) réfléchit en ce moment à la composition de cette […] Continuer la lecture

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Grippe 2014/2015: questions dérangeantes sur la désaffection d’une vaccination

Bonjour Que se passe-t-il dans les officines françaises ? On y parle beaucoup de la dernière idée de Marisol Touraine, ministre de la Santé : inciter les Françaises et les Français à aller se faire vacciner chez leur pharmacien. Un sondage personnel assez représentatif nous permet de dire que l’idée passe assez mal. Gondoles Une tonalité générale […] Continuer la lecture

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La formation à la rédaction est insuffisamment enseignée : venez en discuter début décembre 2014

Une idée générale est que les scientifiques savent écrire : oui, mais il font de la littérature quand ils écrivent des articles scientifiques. Ceux qui savent écrire ont souvent appris par l’erreur : une bonne méthode, mais il faut 10 ou 15 ans pour bien écrire. Quand je travaille avec des chercheurs pour les aider à écrire, ils découvrent un… Continuer la lecture

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Lecture : Compte à rebours, d’Alan Weisman

Publié en 2013, le livre est resté un moment en attente dans ma bibliothèque (j’ai un backlog assez long), mais maintenant que j’ai trouvé le temps de le lire, je tiens aussi à prendre le temps d’écrire pour, j’espère, vous … Lire la suite Continuer la lecture

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Ebola: si rien n’est fait il masquera bientôt le spectre de la malaria

Bonjour 30/10/14. Une épidémie commence à en cacher une autre. C’est le sens du communiqué de presse que vient de diffuser MSF, cette ONG modeste désormais régulièrement encensée par les grands de ce monde. Comment parler de malaria quand Ebola occupe le devant de la scène médiatique et épidémique ? Les paludéens africains commencent à prendre […] Continuer la lecture

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Avec un peu de chance, en croisant les doigts, en l’espérant très fort, en se disant que cela ne peut être autrement.

Alors voilà il y a trois ans, on a soigné cette dame, Mme K.. Elle ne voulait pas de morphine, pas d’apitoiement et pas de larmes. Comme on s’inquiétait pour elle, elle a dit « Vous ne comprenez pas. Ce n’est pas que je vais mourir, c’est que je suis arrivée à la fin de ma […]

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Choisir la revue pour soumettre un article : que valent les aides proposées par des sites pour ce choix ? En progrès

Un nouvel outil est en développement pour aider les auteurs à choisir la revue à laquelle soumettre un article. Il s’agit de JournalGuide qui est en version béta, et développé par le groupe qui a créé AJE en 2004, et plus récemment Rubriq. Rubriq vous adresse une « score card » sur votre article avant de le soumettre à une revue (pre-peer-reveiw)…. Continuer la lecture

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Un médecin, un VRAI!

Mon cabinet est à exactement douze kilomètres de Petitbled.

Petitbled, c’est un village extra.

Son nom vient directement du dialecte latino-occitano-celtique local et est la combinaison de deux mots: « petit » qui signifie « isolé » et « bled », qui dérive de « blédina, blédinae », nom donné autrefois aux céréale destinées aux âges extrêmes de la vie.

Située en bordure d’une rivière, le site de l’actuel Petitbled a montré des signes d’occupation humaine dès le néolithique, pendant l’antiquité et jusqu’au moyen-âge, où le village se développe grâce à la culture céréalière et l’élevage des bovins.

Dans ce village baigné de soleil, vous trouverez, à l’ombre du clocher de son église commencée à l’époque romane et terminée à l’époque gothique (dont la façade a été reprise ensuite en style néo-classique, soit dit en passant), un patrimoine remarquable: un petit château construit au XVIIième siècle (pas arrondissement) sur les sous-bassements d’un autre dont les fondations semblent remonter au XIIième siècle (pas arrondissement), et qui abrite actuellement les bureaux de la mairie.

Les huit cent quatre vingt habitants de ce village mènent une existence paisible, au calme, à une trentaine de kilomètres de l’agitation urbaine.

Ils profitent de l’animation que procurent les seize associations locales, et leurs enfants fréquentent l’école communale qui assure cantine et garderie de huit heures à dix-huit heures trente les jours de classe.

Petitbled s’enorgueillit de son tissu social préservé, avec son auberge, son épicerie, sa boulangerie, son camping ouvert en été, son spectacle son-et-lumières qui met en valeur le patrimoine local, et son médecin.

Le médecin de Petitbled, enfin, celui que l’on nomme « celui d’avant », faisait lui aussi partie du patrimoine local.

Fils unique, il avait pris la succession de son père, ce qui fait que, pendant de nombreuses années, quand on parlait de l’un ou de l’autre, on disait « le-Docteur-le-père » ou « le-Docteur-le-fils ». Ne manquait plus que le Saint Esprit dans cette dynastie.

Le Docteur Celuidavant, appelons-le comme ça, puisque tout le monde le nomme encore comme ça, était donc une figure locale. Les anciens patients en parlent encore avec des trémolos dans dans la voix. Lui, toujours disponible, toujours présent en cas de coup dur, était attentif à ses patients de jour comme de nuit, toute l’année.

Il ne rechignait jamais à se déplacer vers qui l’appelait dans la détresse.

Il avait « un diagnostic sûr », des « traitements efficaces ». En cas d’urgence, il agissait, tout de suite, il ne perdait pas de temps à réfléchir, lui, au moins. On se plait encore à conter le jour où il s’était déplacé au chevet d’un enfant qui souffrait d’un crise d’asthme grave. Tout le village s’en souvient: il a pris directement l’enfant dans sa voiture et l’a conduit lui-même aux urgences où on lui a fait des aérosols pour le sauver. Personne n’avait osé penser que ce rapt brutal et théâtral masquait peut-être un accès de panique face à manque d’équipement minimal dans sa trousse d’urgence.

Car on pardonnait aussi au Docteur Celuidavant, comme à tous les médecins, ses petits défauts. On attendait, chez lui, comme chez tous les médecins. Mais on attendait parce qu’il y avait du monde, parce qu’il était réputé, lui. Son père l’était déjà avant.

Et il avait parfois des sauts d’humeur, mais qui n’en aurait pas, travaillant avec acharnement comme il le faisait? C’est ça, les médecins de campagne, ça travaille beaucoup, alors des fois c’est un peu grande gueule.

On savait aussi son penchant pour la bouteille. Les médecin, c’est connu, tout le monde le sait, ça commence en salle de garde. Personne d’autre qu’eux n’y a jamais mis les pieds, mais tout le monde sait ce qui s’y passe, et on dit qu’il s’en passe, des choses.

Et puis, c’était un rituel. On avait appelé le docteur le soir, dans l’affolement, parce que la grand-mère avait mal à la tête et craignait d’avoir « de la tension » et de « faire un avécé dans la nuit ». C’était une crainte pour beaucoup depuis que la mère du maire, alors très âgée, s’était retrouvée brutalement hémiplégique. La leçon du Docteur Celuidavant sur les risques de l’hypertension artérielle avait trouvé un auditoire. Le Docteur était venu de nuit pour prendre la tension, pour rassurer, on se sentait alors un peu gêné de l’avoir fait sortir la nuit pour finalement pas grand chose, alors, après tout, c’était aussi un ancien copain de classe:

– Vous prendrez bien un verre de blanc, Docteur? Il est tard, vous n’avez pas encore mangé. Pour vous, c’est l’heure de l’apéro!

– Alors oui, merci, pourquoi pas…

De fil en aiguille, de petit verre compensateur en repas entre notables de campagne, le Docteur Celuidavant a acquis une bonne descente quotidienne. Mais ça ne l’empêchait pas de travailler. Et puis, il était toujours aussi disponible, efficace, rassurant, avec ses deux pieds bien ancrés dans le sol.

Il avait une bonne descente, mais personne ne l’avait vu saoul au travail, personne. Tout au plus, il lui arrivait parfois de commencer très en retard la consultation de l’après-midi, après que des patients sont allés demander à sa femme si elle savait où il était.

Mais on peut lui pardonner, après tout, c’est bien connu, les docteurs sont toujours en retard.

Au crépuscule de sa carrière, juste avant son son divorce, au grand dam du maire, son unique fils n’a pas suivi le même chemin. Ce rejeton un peu voyou sur les bords mais à qui on avait pardonné quelques frasques adolescentes grâce à la disponibilité de son toubib de père, avait choisi une toute autre voie. Il n’avait même pas pris la peine de s’inscrire en faculté pour « faire sa médecine », preuve aux yeux de tous de son oisiveté et de son inconséquence. Il a fait un autre métier, construit sa vie ailleurs, et le Docteur Celuidavant, après des recherches infructueuses pour trouver un successeur, s’est résolu un jour à retirer la plaque qui ornait le mur de son imposante maison, et fermer le portail.

Les patients ont commencé à se répartir vers les cabinets alentours. Les médecins de BledPlusGros venaient justement de se grouper à trois pour pouvoir mieux s’organiser, et embaucher une secrétaire à plein temps ainsi qu’une femme de ménage.

Quelques mois plus tard, une aubaine tomba sur Petitbled.

Une « fille du pays », en fait native de Bledàcôté, mais c’est tout comme si elle était d’ici, venait de se marier et de trouver un travail à Petitbled. Le jeune couple cherchait un petit nid douillet pour convoler, prospérer et procréer. Ils démarraient dans la vie, étaient encore sans un sou, et le jeune marié était justement médecin, encore fraîchement diplômé et plein d’avenir.

Ils furent accueillis à bras ouverts par le maire.

Le jeune médecin prospecta quelque peu avant de se décider à s’installer. Les médecins de Bledplusgros venaient tout juste de se grouper, et leur activité était encore peu soutenue, alors même en partageant les charges, il était risqué d’ajouter un quatrième médecin, car la population n’était pas si nombreuse et n’augmentait pas. Les patients de Petitbled étaient encore prêts à se faire soigner sur place, car il leur fallait faire maintenant dix kilomètres aller pour consulter. Alors le jeune médecin, appelons-le Docteur Lautre, puisque c’est comme ça qu’on l’appelle encore, s’est dit que s’installer à Petitbled était une bonne solution pour lui.

Lui qui commençait dans sa vie professionnelle n’avait encore ni épargne ni bien. Il était en train d’essayer de convaincre une banque de lui prêter de l’argent pour acheter une maison ancienne qu’il voulait rénover lui-même, mais la banque lui demandait des garanties, et comme il n’était pas encore installé et n’avait même pas de local, il ne pouvait pas en fournir.

Le Docteur Celuidavant avait son cabinet dans sa maison cossue, et ne tenait pas à avoir à le rouvrir et voir défiler à nouveau les habitants de Petitbled dans son jardin.

Le maire a remué ciel et terre pour trouver une solution, trop heureux qu’un médecin vienne spontanément se poser dans son village, juste un an avant les échéances électorales.

Il a fini par convaincre un vieil agriculteur retraité de lui louer un ancien garage.

Le Docteur Lautre venait d’un autre univers, il se contentait de peu. Avec les moyens du bord, en quelques après-midis de bricolage, il a aménagé une salle d’attente et un petit bureau. L’ensemble était petit et sombre, il fallait descendre quelques marches périlleuses pour accéder, mais faute de grive, on mange des merles. Le lieu n’avait pas le côté cossu de la maison de l’ancien médecin, mais après tout, ça permettait de démarrer à peu de frais en attendant des jours meilleurs.

Et le démarrage se fit bien.

Les patients étaient au rendez-vous, satisfaits d’avoir « leur » médecin de « leur » village. Plus besoin d’aller à Bledplusgros!

Il était bien, ce médecin tout jeune, tout dynamique, tout simple. Rien à voir avec les austères blouses blanches en consultation et vestes à pieds-de-poule en visite du Docteur Celuidavant. Le Docteur Lautre arborait un éternel pull en laine écrue à motifs torsadés au dessus d’un jean usé, mais toujours propre.

Les patients appréciaient sa convivialité, bien qu’il ne fût pas de la région. Mais ils le trouvaient gentils quand même.

Ils ont été cependant surpris au début par de grands changements.

Outre le changement de local et le nouveau style vestimentaire, ils ont du s’habituer à trouver porte close un jour par semaine, et trouvère qu’il devenait de plus en plus difficile de mobiliser le docteur le soir.

Si un petit était fébrile, il n’accourait pas dans l’heure, mais suggérait qu’on lui donne un médicament pour la faire baisser et qu’on le rappelle le lendemain matin.

Si la grand-mère avait mal à la tête et voulait contrôler sa tension, il refusait de le faire le soir même, et demandait de venir le voir le lendemain.

Il était gentil, compétent, mais on lui a vite reproché de ne pas rassurer aussi bien que le Docteur Celuidavant. On s’est mis à le trouver froid et indifférent. Mais on lui pardonnait: il n’était pas d’ici.

Le Docteur Lautre était satisfait de ce démarrage en fanfare.

Il a fini par trouver une vieille bicoque toute usée à refaire, avoir un, puis deux, puis quelques enfants. Ils sont allés grossir les rangs des classes d’école, apportant leur pierre pour justifier les postes d’enseignants de l’école communale.

Les lundis destinés à refaire la maison et s’occuper des enfants se sont rapidement trouvés amputés par les tâches administratives, la comptabilité, le secrétariat. L’épouse du Docteur Lautre, contrairement à celle du Docteur Celuidavant, travaillait ailleurs, et ne pouvait seconder son mari.

Un accord avait été trouvé avec les médecins de BledPlusGros: chacun serait de garde la nuit pour ses patients en semaine, et un tour de garde était institué pour les week-ends.

Le Docteur Lautre fut satisfait au début de son activité de constater qu’il ne serait bloqué chez lui qu’un week-end sur quatre, mais il découvrit à la pratique, avec les réguliers appels tardifs en soirée, qu’il ne pouvait dormir sur ses deux oreilles sans mettre le téléphone sur la table de nuit que trois week-ends par mois.

Entre journées à rallonge, lundis de paperasserie, les appels vespéraux après le coucher des enfants au plus creux de la vie intime du couple, le Docteur Lautre commença à se détacher de ses idéaux dans un premier temps, puis de ses projets, et enfin de sa femme et de ses enfants.

Le couple battit de l’aile, et au bout de cinq ans, sa femme loua une autre maison et s’y installa avec les enfants.

Amer, le Docteur Lautre continua de travailler, sans passion, se demandant souvent ce qu’il faisait seul dans ce trou paumé avec ces gens qui lui paraissaient de plus en plus sollicitants.

Un mardi matin, le maire eut la surprise de trouver sur les escaliers de la mairie un amoncellement de cartons qui contenaient les dossiers médicaux des patients. Il se rendit à l’ancien garage, et trouva porte close, plaque dévissée, sans autre forme de procès.

La surprise fut totale pour tous les habitants: personne n’avait vu arriver le désastre. Ce Docteur, si gentil, si proche des gens… Bon, ok, il était pas d’ici, il était peut-être fragile, ou peut-être qu’il ne s’est pas plu parce c’était pas sa région.

La mairie réunit tous ses efforts pour en attirer un autre.

Il faut dire que les échéances électorales commençaient à s’approcher de nouveau, et le maire qui avait réussi à faire venir un docteur ne tenait pas à être celui qui l’avait laissé partir.

Ils eurent quelques touches, mais le garage en demi-sous-sol, même repeint, semblait freiner les prétendants.

La mairie se décida à libérer un local plus engageant et y faire quelques aménagements pour rendre l’affaire plus alléchante.

Un jeune médecin pointa enfin le bout de son nez.

Remplaçant, déjà expérimenté, déjà papa, désireux de se poser enfin, il fit vite affaire. La mairie lui louait le local qu’il n’avait plus qu’à aménager. Il y rangea les cartons de dossiers, ouvrit tout grand sa porte, et l’aventure recommença.

Ils avaient décidé avec son épouse, une fois presque posés, de « faire construire »: une maison pour leur famille, il ne leur manquait plus que ça pour atteindre le bonheur tel qu’il l’avaient rêvé.

Celui-là, appelons-le Docteur Ledernier, était encore d’un autre style. Point de blouse, point de col roulé, mais des chemises fraîches toujours impeccablement repassées sur un pantalon à pinces sombre, une jolie montre, une veste chic… Le Docteur Ledernier aimait un peu plus le clinquant. Il s’offrit une voiture un peu voyante, dont il rêvait depuis si longtemps, lui qui avait passé son enfance dans un immeuble de banlieue pas très chic de grande ville, et qui avait réussi à atteindre ce métier, à la fierté inépuisable de ses parents.

Les patients en étaient contents, de ce Docteur Ledernier. Ils étaient un peu marris du départ du Docteur Lautre, et semblaient hésiter à s’attacher au nouveau. Il faut dire aussi que le Docteur Ledernier était bien du coin, mais il portait le nom de son grand père venu dans les années d’après-guerre d’un pays lointain pour aider à la reconstruction nationale. Alors, à Petitbled, on ne savait pas trop s’il était d’ici ou pas. D’ailleurs, on jasait parce qu’on ne le voyait pas à la messe, peut-être mangeait-il à un autre râtelier.

On jasait, mais on oubliait que ni le Docteur Lautre ni le Docteur Celuidavant n’y avaient jamais mis les pieds non plus.

Le Docteur Ledernier se mit au travail avec enthousiasme.

Les patients vinrent le tester, puis l’approuver, comme ils avaient fait avec le Docteur Lautre.

Le Docteur Ledernier avait besoin de travailler, il voulait y arriver, faire prospérer son cabinet, faire construire la nouvelle maison, il espérait pouvoir y ajouter une piscine. Pour cela, il fallait en faire, des consultations, et il n’avait pas peur d’en faire, de jour, et pourquoi pas de nuit: sa femme pouvait assurer la garde des enfants pendant ce temps là quoiqu’il arrive.

Il se dit qu’après tout, il pouvait ouvrir tous les jours, même le lundi si son épouse assurait la gestion du domestique.

Les patients étaient ravis. Enfin ils ne se sentaient plus dans l’angoisse à partir du samedi après-midi, quand le cabinet fermait, en se disant que s’il advenait quelque chose dans les deux jours suivants, il faudrait soit appeler le médecin de garde, soit aller à Bledplusgros et avoir recours à un inconnu. Maintenant, le tunnel se résumait au dimanche.

Le Docteur Ledernier ouvrit son cabinet six jours par semaine, et son affaire fonctionna bien.

Les journées s’allongèrent.

Son épouse avait trouvé un travail après la naissance de son troisième enfant, et ils jonglaient l’un et l’autre avec leurs horaires et ceux de l’assistante maternelle pour arriver à coucher tout le monde dans le bon lit le soir. Elle faisait chaque jour le trajet jusqu’à la proche ville. Elle y mangeait le midi avec ses collègues, l’occasion pour elle de reprendre un peu de vie urbaine. La campagne, c’est bucolique, mais c’est calme, et parfois vraiment calme.

Le Docteur Ledernier s’est mis à envisager un moyen de faire évoluer son travail.

Embaucher une secrétaire? Seul, il n’avait pas les reins assez solide.

S’associer? Petitbled n’était pas assez grand pour permettre à deux médecins d’en vivre, même en partageant les charges. Certes, Bledplusgros s’agrandissait depuis quelques années, mais le cabinet de groupe venait de se doter d’un quatrième médecin.

Il décida de maintenir le rythme en attendant que les enfants grandissent. Il verrait plus tard.

Entre l’absence de son mari et les attraits de la vie urbaine, son épouse finit par déserter les lieux en emportant les enfants sous le bras, pour se rendre dans un environnement où les distances à parcourir pour une mère de famille sont plus courtes, et en compagnie d’un homme plus présent.

Le Docteur Ledernier, submergé par la douleur, ne sachant plus inverser le cours des choses continua dans la voie du travail.

Un beau matin, les patients trouvèrent le cabinet fermé, la plaque dévissée, la maison vide.

Son départ ne fut annoncé officiellement qu’une semaine plus tard, quand sa femme appela le maire pour le lui dire.

La chasse au nouveau docteur recommença, à coup d’articles dans la presse locale pour faire part de la raréfaction des cabinets ruraux, de reportages larmoyants diffusés aux heures de grande écoute à la télévision, dont les habitants parlent avec fierté:

– Vous avez vu? C’est même passé au journal!

Mais même avec tout ça, toujours pas de nouveau médecin à se mettre sous la dent.

Les membres du conseil municipal ne manquent pas de caser l’annonce lorsqu’ils viennent consulter pour eux:

– Vous qui êtes de la partie, vous ne connaîtriez pas un médecin qui voudrait venir s’installer chez nous?

Et lorsque je questionne sur le contexte dans lequel les deux derniers sont partis, j’essuie immanquablement cette réponse:

– Non, mais là, on veut un médecin, UN VRAI!

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Brève prioritaire.

– Docteur, il faut absolument que vous me refassiez l’ordonnance de prise de sang que votre associé m’a fait le moi dernier parce que je l’ai perdue. C’est urgent parce qu’on part en vacances après-demain, et c’est important qu’on puisse le faire demain avant de partir: on a loué.

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Prévention du sida : la sécurité sociale remboursera-t-elle ou pas le Truvada® ?

Bonjour 29/10/14. Où l’on reparle, en France, du Truvada® : association de deux médicaments antirétroviraux fabriqué par la firme américaine Gilead Sciences. Contrairement à ce que quelques médias voudraient faire croire ce n’est en rien un évènement scientifique. C’est en revanche une véritable question politique. Une question centrée sur le sida et la transmission sexuelle du VIH. […] Continuer la lecture

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Ebola : la France serait finalement parvenue à débloquer 20 millions d’euros pour la Guinée

Bonjour 29/10/14. Le Pr Jean-François Delfraissy a été nommé le 17  octobre « coordinateur auprès du Premier ministre des actions de la France contre l’épidémie de fièvre Ebola ». Etrange libellé. On est en droit de se demander de quoi il retourne. Il l’explique cet après-midi dans Le Monde : «Facilitateur» « Ma mission est celle d’un facilitateur qui […] Continuer la lecture

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Je rêvais d’une petite Violette…

Elisabeth ne veut pas de cet enfant mais elle est déjà à 8SA. Je décroche mon téléphone. Heureusement que nous sommes le matin, c’est toujours plus facile pour joindre quelqu’un. Pourtant, le centre le plus proche ne répond pas. J’appelle plus loin. La secrétaire comprend bien que c’est urgent et trouve une solution. Quelques jours plus tard, je reçois un compte-rendu laconique. Elisabeth revient régulièrement, elle n’en parle jamais. 

Elisa a consulté le Dr Désagréable, son conjoint ayant seulement quelques spermatozoïdes fatigués. Elle me raconte combien c’est dur d’aller voir Dr Désagréable. Elisa n’entrevoit pour le moment que de loin la PMA. Elle aurait aimé un autre médecin mais ce n’est pas possible. Dr Désagréable lui a servi le même baratin qu’à moi, la facilité du parcours, le fait d’être de « bons candidats », la compatibilité avec la vie de tous les jours. Elisa a déjà compris que les choses allaient être bien plus compliquées.

Léa consulte parce qu’elle souhaite être rassurée. Sa fausse couche l’a déstabilisée. Elle a besoin de pleurer. Les kleenex sont là pour ça. Elle a besoin de réentendre que ce n’était pas sa faute. Elle a besoin que quelqu’un lui dise que ça ne présage rien pour la grossesse en cours. Je suis là pour ça. 

Pendant que Madeleine rédige le chèque, Liam pleure. Je repose sa carte vitale, me lève et attrape le lourd cosy, dans lequel il est de moins en moins confortablement installé, profitant pleinement de l’allaitement maternel. Je balance doucement le cosy en chantonnant, il s’apaise. Elle pose le chèque sur le bureau, range le carnet de santé, le doudou, le chéquier puis se lève. Elle me dit : “vous avez des enfants, docteur ?” Devant ma réponse négative, elle dit “c’est dommage, vous vous en occupez si bien”. Je lui tends le cosy et je souris en lui souhaitant une bonne journée.

Parfois j’ai besoin de refermer la porte entre deux consultations.
Parce que parfois les choses simples deviennent plus compliquées à gérer que de réussir à faire venir l’hélico pour un infarctus.

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Deux mille personnes de plus de 75 ans se suicident chaque année en France

Bonjour Faut-il en parler ou faire en silence ? Ne parlons pas de scandale mais posons qu’il s’agit d’un sujet éminemment politique. Nous sommes  ici aux lisières de la grande misère et du déni collectif. Indicible Parfois la porte s’entrouvre. Le dernier rapport des sages du Comité national d’éthique consacré à la « fin de vie » lève ainsi […] Continuer la lecture

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Lutte contre le virus Ebola grâce à l’application « Doctor gratis  » : on recherche des médecins francophones

Notre confrère Jacques Durand, médecin français installé en Indonésie, a mis au point l’application ‘ »Doctor Gratis’ » un outil destiné à prévenir la propagation du virus Ebola : le système opérationnel en anglais depuis plusieurs semaines permet à des médecins anglophones … Continue reading Continuer la lecture

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Archaïsme, clientélisme, déficit massif: le diagnostic de l’Igas sur les Hôpitaux de Marseille

Bonjour Marseille est un roman qui reste à écrire. Signée de Marisol Touraine, ministre de la Santé,  la « lettre de mission » était datée du 11 mars 2013. Il s’agissait d’aller faire le ménage au sein de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) – le troisième CHU de France, 11 000 agents. Ce travail de Titans fut confié à […] Continuer la lecture

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Rendre la recherche publiée ‘vraie’ : bonnes suggestions de JP Ioannidis

Nous avons trop d’informations qui montrent que quelque chose ne va pas dans la recherche.. trop d’embellissements, de non reproductibilité.. sans oublier les gangrènes du système : le facteur d’impact utilisé à tort pour les carrières, les querelles permanentes entre auteurs, etc.. L’article de JP Ioannidis du 21 octobre dans PLOS Medicine est ‘rafraichissant’, et il faut le lire. JP… Continuer la lecture

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Chroniques de là-bas #8 : les aventuriers

On nous charge nous et les sacs sur des mobylettes et on nous emmène jusqu’à la villa. C’est le grand luxe : sol carrelé, 1 WC, 1 salle de bain, 3 chambres, quelques meubles. La pâte à tartiner et le saucisson que j’ai ramenés sont fortement appréciés. L’eau de boisson fonctionne selon un système de bouteilles numérotées et notées selon l’heure à laquelle elles ont été mises à purifier. Dans le groupe, personne ne porte de montre. On s’en sert pour purifier les bouteilles d’eau principalement.

Il est plus simple encore de boire de la bière locale.

Le premier palu est arrivé.

Nous sommes obligés de repasser nos vêtements, au cas où des mouches aient pondu dedans pendant qu’ils séchaient. Le soir c’est également Savarine, vêtements longs, spray qui-pue sur la peau, moustiquaire la nuit.

 

Cette panique que nous avons eu du linge pendu en plein air m’a suffisament traumatisé pour que je fasse quelques années plus tard immédiatement le brillant diagnostic de ver de Cayor chez un patient à la fois époustouflé (par mon savoir) et répugné (par son hôte).

 

– – –

 

Nous trouvons avec difficulté l’hôtel. Nous avons réservé 6 chambres pour 16. Pour des raisons d’économie, nous n’en avons pris que 2 avec WC. Le délabrement de l’hôtel donne tout son charme à l’équipée. C’est l’aventure. On n’est pas venu là pour aller dans un 4 étoiles. On est heureux de vivre à la dure. Le petit hôtel fait aussi « dancing populaire ». Nous nous prenons donc les décibels en direct mais cela ajoute encore plus de charme à notre échappée.

 

Il est évident qu’il faut avoir 20 ans et une vie ordinaire plutôt confortable pour trouver que dormir à 3 par lit avec des cafards, sans chiottes alors qu’une personne sur 2 à la chiasse, avec Sean Paul à fond dans les oreilles toute la nuit, a du charme.

Il y a des musiques qui nous rappellent inmanquablement des moments ou des endroits. Réentendre Sean Paul me revoit forcément au « dancing club de l’Amitié », où il était on ne peut plus populaire. Le coupé-décalé, encore quasi inconnu en France, était omniprésent là bas.

Les play-lists, pas du tout redondantes, ressemblaient donc un peu à ça : coupé-décalé / Sean Paul / coupe-décalé / Sean Paul /… ce qui, vous imaginez bien, ne nous donnait pas DU TOUT envie de nous frapper la tête contre les murs.

Ce qu’on aurait fait si on avait osé toucher les murs bien sûr.

 

Nouvel hôtel, conseillé par un autre groupe de blancs. Nous arrivons à avoir 6 chambres pour 14. Elles ont l’air d’être un peu plus salubres, si ce n’est les sanitaires, où nous avons déjà rencontré quelques cafards. En même temps, après avoir vécu plusieurs nuits avec notre pote le cafard dans le précédent hôtel, nous sommes blasés. Par contre la propreté des matelas et des draps est douteuse. L’un d’entre nous s’est allongé 5 minutes et est ressorti plein de plaques. Les puces sûrement.

 

– – –

 

Ici la présence des insectes est à la limite du supportable. Les douches-trous ou WC-trous, pleins de cafards, et à la tombée de la nuit, des nuées d’éphémères et autres papillons divers qui nous tombent dessus, foncent dans les cheveux, sans répit. La découverte d’énormes grillons ou apparentés de 5 ou 6 cm de long ne nous a pas plus rassuré.

 

– – –

 

Tel Robinson Crusoé, nous avons tué le coq et nous l’avons dégusté. Peu de viande, mais très bonne, et la sensation d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel, d’avoir dû tuer un coq de nos propres mains pour pouvoir survivre…

 

Heureusement qu’il y a écrit « sensation ». Imaginez si on était vraiment mort de faim de ne pas avoir réussi. Ephrem – le coq – me demandez pas pourquoi – était un cadeau du chef du village, en remerciement de nos actions là bas. Il faut bien se rendre compte de la valeur du cadeau pour eux, même si nous, nous nous sommes regardé d’un air bien embarrassé une fois la bestiole dans nos bras. Une fois rentré chez nous, Ephrem a donc élu domicile avec nous dans la maison. On n’était plus à ça prêt. Et comme on était réveillé à 5h du matin par la chaleur/la lumière/les douleurs/les ronflements des autres, un petit chant de coq à 50 cm de l’oreille ne faisait qu’ajouter un peu de folklore.

Mais le départ approchant, il a bien fallu se résoudre à se séparer d’Ephrem, et ce de la meilleure façon possible : par voie orale. Pour ce grand jour, nos plus proches amis locaux étaient là. Pour nous aider en cuisine, et pour leur faire profiter du festin. Mais surtout pour nous aider en fait. Quand l’heure fut venue de passer à l’action, la plupart des filles se détournèrent avec une moue dégoûtée, les mecs ont fait les cakes mais n’avait pas la moindre idée de la façon de faire, et moi, guère plus qu’eux. Auguste, 15 ans, nous a regardé d’un air affligé, et armé d’une vieille lame rouillée, s’est attaqué à la chose. Cela aurait pu être fait proprement si la lame avait eu encore un peu de tranchant, mais là, en l’occurence, il fallait avoir le coeur bien accroché, c’était une véritable boucherie.

L’un d’entre nous a donc tenu la bête, pendant qu’Auguste y mettait tout son coeur. La tête a fini par être plutôt arrachée que coupée. Et oui, le coq a continué de courir un moment sans sa tête.

Ayant bien compris notre haut niveau de débrouillardise, Auguste s’est également chargé de le plumer et le vider, avant que nous nous chargions de le mettre nous même dans la casserole parce que quand même, il était notre invité.

Dans les faits, je crois que c’était de la carne, et qu’il n’avait rien sur les os. Mais comme ça faisait un mois et demi qu’on ne mangeait que de la semoule, il avait des saveurs de restaurant gastronomique.

 

 

 

Toi aussi plonge toi dans l’ambiance (à écouter minimum 6 fois en boucle pour un meilleur rendu)

 

On a vécu dans des conditions plutôt précaires, certes avant tout pour des raisons économiques, mais on était content. On avait l’impression de découvrir la vraie vie là bas, alors qu’on restait loin de ce que pouvait être la vie quotidienne de ces personnes. Hors de question d’aller au fin fond de la brousse si c’était pour avoir des conditions de vie confortable, fallait quand même qu’on puisse raconter nos aventures en rentrant. Dans un sens, ça faisait partie de du jeu.

 

 

 

[La rédaction de ce billet a entraîné d’intenses séances de remuage de popotin avec Tétarde au milieu du salon]

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Emotion sportive

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Rémi Fraisse : une mort marquée au TNT. Suspension de l’usage des grenades offensives.

Bonjour Ce n’est désormais plus une hypothèse : c’est une piste. Une piste plus que sérieuse dont nul ne sait, à l’heure où ces lignes sont écrites, à quelles extrémités politiques elle pourrait mener. L’enquête sur les causes de la  mort de Rémi Fraisse, 21 ans, le dimanche 26 octobre sur le site du barrage contesté […] Continuer la lecture

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Dans l’ombre de l’affaire Rémi Fraisse, la mort de Malik Oussékine (décembre 1986)

Bonjour On pouvait aisément le prévoir : l’affaire de la mort de Rémi Fraisse prend de l’ampleur. Rien n’est acquis quant aux causes précises de cette mort et c’est cette incertitude même qui alimente la polémique montante. En quelques heures les prises de paroles politiques se sont multipliées dans les médias. A peine avait-on accusé le […] Continuer la lecture

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Affaire Fraisse: «Intention de donner la mort» ?

Bonjour 28/10/14. Le drame a désormais tout de l’affaire nationale. Et cette affaire s’écrit sur France Info. Cécile Duflot, ancienne ministre écologiste démissionnaire vient d’y qualifier de «tache indélébile sur l’action du gouvernement» la mort de Rémi Fraisse, manifestant de 21 ans, sur le site du barrage contesté de Sivens (Tarn). «C’est une situation qui pour […] Continuer la lecture

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Les Templiers 2014

Je viens de finir le trail des Templiers. La version classique annoncée à 74 km et 3400 m de dénivelé positif. J’ai souffert.  Peut-être que c’est ce que j’étais venu chercher en voulant courir sur une telle distance… je gamberge un peu… L’activité de course en nature a eu une croissance soutenue sur les vingt […] Continuer la lecture

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Ebola : Marisol Touraine ne devrait plus communiquer sur le sujet. Voici pourquoi

Bonjour Patrick Zylberman n’est pas journaliste mais universitaire. C’est dire s’il peut parler librement. Historien, il est notamment titulaire de la chaire d’histoire de la santé à l’École des hautes études en santé publique (Ehesp). Spécialiste de l’histoire des épidémies (1) il est aujourd’hui de plus en plus fréquemment sollicité par les médias du fait […] Continuer la lecture

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Les blagues médicales : quels messages en tirer ? La guerre du bloc ou médecine et sexualité

Article original publié sur le site de La Presse Médicale le 3 octobre 2014 qui reprend une analyse sociologique de 220 blagues (à partir de 512 reçues). Ce travail a fait l’objet d’une thèse en octobre 2013 à l’Université de Grenoble. Cette analyse a montré les traits de caractères des médecins, vus par les médecins. Six thèmes ont été analysés,… Continuer la lecture

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L’Université du Rein

Le patient-expert est en train d’émerger comme un nouvel acteur du soin. Certains le regrettent, certains l’attendent comme le messie. Sa formation, sa place, ses actions sont encore à définir. Il est évident qu’avoir été malade ne suffit pas à … Continuer la lecture Continuer la lecture

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Barrage du Tarn : la police scientifique devra dire si une grenade policière a tué Rémi Fraisse

Bonjour 27/10/2014. A Toulouse les médecins légistes ne vont pas encore aussi vite que leurs confrères des séries télévisées. Depuis vingt-quatre heures tous les médias étaient sous pression: la vérité allait être dite par Claude Dérens, procureur de la République d’Albi. La vérité sur les causes exactes du décès de Rémi Fraisse, un manifestant âgé […] Continuer la lecture

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Face à Ebola, surtout, ne « psychotons » pas ! (Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP)

Bonjour 27/10/2014. Martin Hirsch peut-être une bénédiction pour les journalistes. Plus le temps passe et plus le champ de ses interventions peut légitiment s’élargir. Ainsi aujourd’hui. Invité de France Inter il a pu dire ce qu’il fallait penser sur les allocations familiales, sur la fermeture annoncée du Val-de-Grâce, sur la transparence de la vie publique […] Continuer la lecture

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Ebola : une infirmière américaine dénonce sa mise en quarantaine (épidémie et démocratie)

Bonjour 27/10/14. Ebola ou pas, les avocats sont toujours là. Aujourd’hui le dossier Kaci Hickox vs États-Unis.  Kaci Hickox est une infirmière américaine qui a été mise en quarantaine dans le New Jersey après son retour d’Afrique de l’Ouest (Sierra Leone) où elle avait soigné des malades d’Ebola. Aujourd’hui Mme Hickox estime avoir été traitée […] Continuer la lecture

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De la difficulté de rétracter certains ou tous les articles des fraudeurs : cas Boldt

Joachim Boldt était un anesthésite allemand, Heildelberg, dont envion 90 articles ont été rétractés de la littérature. Je dis ‘était’ car il ne pratique plus son métier. Nous avons publié 5 billets sur son histoire. Au moment des rétractations (2011), outre le fait que Boldt soit reconnu comme un fraudeur, les raisons des rétractations étaient le plus souvent « absence de… Continuer la lecture

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Avalanche d’examens complémentaires. Histoire de consultation 177.

Madame A, 71 ans, est hypertendue connue depuis des siècles, traitée par un bêtabloquant (c’était la mode à l’époque), le betaxolol, et par une statine (pravastatine 20), tous deux prescrits par mes soins depuis une bonne vingtaine d’années.

La dernière fois qu’elle a vu « son » cardiologue, le docteur B, c’était, selon le dossier, il y a 5 ans. Et  le compte rendu de consultation était, comme à son habitude, laconique (une dizaine de lignes) et… rassurant.
Cette patiente est « ma » malade, je ne peux pas dire que je l’ai récupérée d’un autre médecin ou qu’autre chose ait pu influencer ma prescription : je suis responsable de ses médicaments. Et je suis responsable du fait que je m’en « occupe » (presque) seul.
Il y a également des siècles qu’elle présente un souffle systolique 2/6 au foyer aortique qui a été échocardiographié au moins deux fois par le cardiologue qui est désormais parti à la retraite. Depuis lors le souffle que j’entends est identique à lui-même.
Avant les grandes vacances elle a fait un séjour aux urgences pour un malaise non identifié qui a fini par être considéré comme « vagal » par le compte rendu de ces mêmes urgences.
Jusque là : tout va bien.
Mais un des médecins des urgences, celui qui l’a examinée ou un autre, celui qui lui a fait faire un ECG et une prise de sang, s’est étonné qu’elle n’ait pas vu de cardiologue récemment. « Votre médecin aurait quand même dû… »
Bon, est-ce que quelqu’un a vraiment dit cela, est-ce une façon pour la patiente de me reprocher de ne pas lui avoir dit qu’il fallait surveiller ce souffle, voire cette hypertension, je n’en sais rien… 
Elle est venue consulter pour le « renouvellement » de ses médicaments et  pour que je lui écrive une lettre pour le cardiologue. Son mari était là et il n’avait pas l’air content non plus.
Elle ne savait pas que le docteur B était parti à la retraite depuis environ 2 ans et elle m’a demandé de lui trouver un autre cardiologue.
A M* la cardiologie s’est beaucoup transformée. D’abord à l’hôpital où le chef de service est parti, où nombre des assistants ont fait de même et où la cardiologie interventionnelle a été arrêtée sur décision de l’ARS au profit de deux centres d’excellence « privés » du département (78).  Je ne ferai pas de commentaires sur la fin de la cardiologie interventionnelle à l’hôpital de M* pour des raisons confraternelles et parce que je n’en connais pas tous les tenants et les aboutissants. Disons qu’ils ne « voyaient » ps assez de patients, qu’ils ne posaient pas assez de stents et qu’ils ne dilataient pas assez les coronaires pour que cela soit « efficace ». Disons que l’ARS considère qu’en deçà d’un certain nombre de gestes techniques il est possible de penser que c’est mal fait. On a déjà vu cela à propos des maternités. Quant aux centres d’excellence « privés », j’en parlerai une autre fois.
A M*, donc, la cardiologie libérale de ville a elle-aussi beaucoup changé : il y avait jadis six cardiologues, puis cinq, puis quatre, puis deux. Il y avait bien entendu aussi les consultations de l’hôpital. Puis, par une sorte de deus ex machina six installations se sont faites, ce qui fait qu’il y a désormais 8 cardiologues en ville. Trois à M**, 2 à M* (les anciens qui sont restés) et 3 au Val Fourré (en ZFU, alias zone franche urbaine). Si j’avais le temps je vous raconterais le pourquoi du comment de l’affaire alors que dans le même temps des médecins généralistes disparaissaient sur la même zone. Mais, à la réflexion, je me tairais (voir un billet précédent ICI) et, pour l’instant, je m’en tiendrais à ce billet qui est assez explicite.
Donc, j’ai adressé ma patiente au docteur C.
Le docteur C l’a reçue dans des délais raisonnables, lui a fait un examen cardiologique complet puis a proposé une épreuve d’effort (sur des données ECG j’imagine car, cliniquement, l’interrogatoire était muet).
Puis j’ai revu la patiente, son mari avait besoin de médicaments pour la tension, qui m’a dit textuellement : « Au moins, le docteur C, il est pas comme le docteur B, y m’a fait faire des examens… »
Mouais.
Je n’avais pas encore reçu le compte rendu de l’épreuve d’effort que j’apprenais qu’elle allait subir une scintigraphie cardiaque avec test à la dobutamine dans un centre privé extérieur au 78. Dans le 92.

Et à la fin tout était normal.

Je revois « ma » patiente avec son souffle, sa pression artérielle contrôlée (le bêtabloquant a été conservé pour des raisons surprenantes), sa statine (le cardiologue a précisé que le mauvais cholestérol pourrait être « un peu plus bas ») et son mauvais caractère (que je ne connaissais pas auparavant).
« Alors, tout ça pour ça ?
– Que voulez-vous dire ?
– Vous vous plaigniez que je ne vous ai pas réadressé au docteur B qui n’avait pas jugé bon non plus de demander des examens… Vous les avez faits, les examens.
– Oui. Je suis rassurée.
– Mais… vous n’aviez rien… vous n’étiez pas essoufflée, il est possible que ces examens n’aient servi à rien… On vous a balladée à droite et à gauche…
– Et si j’avais eu quelque chose…
– Le risque était infime… »
Le mari : « C’était à vous de lui dire de ne pas le faire…
– Mais le ver était dans le fruit…
– Que voulez-vous dire ?
– A partir du moment où les urgences vous ont dit d’aller consulter un cardiologue, j’étais mis hors jeu. Vous vouliez cette lettre et je n’ai pas eu le culot de vous dire que cela ne servait à rien.
– Vous n’étiez pas sûr de vous ?
– Non. Vous vouliez consulter un cardiologue parce que vous étiez inquiète mais je n’avais pas d’arguments solides pour vous prouvez que cela n’allait servir à rien… Et, le plus grave, ce n’est pas d’aller voir un cardiologue, mais tous les examens qu’il a demandés après.
– Il ne valait pas mieux les faire ?
– Je ne crois pas. Je crois qu’ils étaient inutiles.
– C’est facile de dire cela après…
– Moui… c’est l’intuition clinique…
– Comment aurait-on dû faire ?
– Je ne sais pas. Laissez moi réfléchir… »
Est-il possible de tout dire ? Est-il possible de dire à des patients que la médecine est en train de se moquer d’eux ? Est-il possible de dire à des malades qu’ils sont devenus des marchandises échangeables, des sujets d’une histoire qui ne les concerne pas ? Est-il possible de leur dire qu’il existe des réseaux, des circuits de malades, des médecins obligés et des médecins obligeants, des redevances de cliniques, des passe-droits, des sur diagnostics, des faux diagnostics, des diagnostics à tort et que ce n’est pas l’inquiétude des médecins qui les entraînent à prescrire toujours plus d’examens complémentaires (et accessoirement de médicaments) mais la logique du marché, l’impérieuse nécessité de rentabiliser les équipements coûteux qui ont été installés ici et ailleurs, de les faire tourner à plein régime, des équipements qui sont parfois inutiles parce que trop nombreux, et que donc, les dirigants de cliniques, les fabricants de matériel, les fournisseurs d’isotopes, ont besoin de chair à pâté pour rentabiliser les investissements et, surtout, les retours sur investissements, et que les médecins généralistes ne sont plus suffisants, il faut des super docteurs, des rabatteurs, des représentants de commerce, pour alimenter le ventre de la machine de la santé, cette santé qui n’a pas de prix, cette santé qui valorise les examens coûteux, les machineries complexes, qui culpabilise les patients, les malades, les médecins pour qu’ils aient peur, qu’ils pètent de trouille, et tous les moyens sont bons, dont le PSA, la mammographie, la pose de stents inutiles (aux US un article grand public résume la situation : ICI), les dilatations sans objet, j’en passe et des meilleures, les campagnes de « sensibilisation » orchestrées par des fabricants de produits de beuté (Estée Lauder Pour Octobre Rose), cette santé qui oblige les citoyens à penser que le dépistage c’est bien, on ne discute pas, que les vaccins c’est génial, on ne discute pas plus et que ceux qui s’y opposent sont des passéistes, et cetera.
« Je crois, mes chers amis, que j’aurais dû vous dire qu’un malaise vagal, cela peut arriver à tout le monde, que cela n’a aucun rapport avec un petit rétrécissement aortique, et j’aurais dû écrire une lettre pour un cardiologue plus cool, moins interventionniste, cela existe à M*, et vous dire, après l’épruve d’effort, s’il y en avait eu une, de renoncer.
– Mais, excusez-moi de vous dire cela, cela fait tellement longtemps que l’on se connaît, après ce que l’on m’avait dit à l’hôpital, j’avais besoin de faire des examens… Mais, nous sommes d’accord, le docteur B, il avait raison de pas s’inquiéter. »

Cet exemple de cardiologie ne rend pas compte du fait que toutes les spécialités sont intéressées.
Nous parlerons un autre jour de Jean de Kervasdoué.

Illustration : Jeff Wall After ‘Invisible Man’ by Ralph Ellison, the Prologue 1999-2000

mca.com.au

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Chroniques de là-bas #7 : histoires d’eau

La douche est un moment attendu toute la journée. Tellement attendue qu’on la repousse toujours et toujours, redoutant le moment où ça sera déjà fini.

Deuxième jour et les séances d’application de qui-pue sont déjà une torture, le produit brûle la peau.

On prend petit à petit le rythme de ce pays rouge où rien n’est pressé, rien n’est rapide.

 

Pas un souffle d’air ce soir. Nous faisons le moins de mouvements possible pour ne pas augmenter la chaleur environnante. Une chaleur moite, qui nous suit partout, impossible à fuir.

Le soir est le seul moment où la température descend un peu. Pourtant, impossible d’en profiter, vêtements longs obligés.

On s’habitue petit à petit à la couche de substances que l’on a en permanence sur la peau. Cela varie dans la journée :

  • forfait jour : transpiration + poussière + vernis + crème solaire

  • forfait nuit : transpiration + poussière + vernis + qui-pue

 

On apprend à être sale. L’eau est chère, on ne prend qu’une douche par jour. Le reste du temps on se rafraîchit ou on se nettoie à l’aide de lingettes pour bébé. C’est une option aux forfaits.

Le vernis est en série pour tout le monde, on essaie de temps en temps de l’enlever avec du pétrole, mais il en reste toujours un petit peu, surtout sur les pieds.

Et pour enlever le pétrole, on utilise de la lessive.

On croît avoir bronzé, en fait on est juste sale.

 

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Nous sommes à l’aise maintenant dans ce pays avec sa chaleur et sa poussière rouge. Nos habits, tout comme nous, ont pris la couleur locale, une teinte rougeâtre. Nous sommes aussi couleur locale, je m’aperçois avec bonheur que sous la couche de crasse un joli bronzage a fait son apparition [il en faut peu pour être heureux hein] ce qui fait dire à nos amis autochtones que je ne suis plus une vraie blanche.

 

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La saison des pluies approche, mais toujours aucune goutte d’eau depuis 3 semaines. La chaleur est omniprésente, on recherche le moindre souffle d’air. Cet après midi, alerte. Le vent se lève, les nuages approchent. Comme avant chaque pluie, tempête de poussière, de sable. Les gens se calfeutrent chez eux, rangent leurs étalages, ferment les fenêtres si c’est possible. On savoure déjà le moment, le vent, la température qui baisse. On attend toujours le don du ciel, on le scrute. La tension monte. Quad arrivera-t-elle ? Enfin la délivrance, la pluie.

Elle est arrivée et repartie aussitôt. Fausse joie, le sol est toujours aussi sec. L’orage est là mais pas la pluie.

 

Elle est arrivée, tard, et très légère. Le matraquage sur sur la tôle de la maison donnait l’impression d’une vraie tempête, comme si la nature se déchainait après avoir été trop longtemps retenue. Pour le vent c’était vrai. La pluie n’a fait qu’illusion, le sol était toujours aussi sec.

Au moins le bruit m’a aidé à m’endormir.

 

 

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Enfin hier soir la tempête a éclaté sans prévenir. Un peu de vent et le ciel a éclaté. On aurait vraiment dit qu’il s’ouvrait pour déverser toute l’eau emmagasinée pendant des mois. Le tonnerre explosait, la pluie sur le toit de l’hôtel nous assourdissait. On se demandait presque si l’hôtel allait tenir.

J’aurais aimé être sur le marché pour pouvoir regarder la tête des gens, se précipitant pour ranger leurs affaires, mais tellement heureux de l’arrivée des pluies, c’est la vie ici.

 

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La température est descendue pendant la nuit. Peut être même jusqu’à 20°, nous sommes en plein hivernage après. Nous restons en T-shirt, en savourant le plaisir d’avoir froid, et de pouvoir enfin sortir le pull que nous avions amené « au cas où ». Notre ami Auguste arrive, il grelotte.

 

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Les douches en plein air sont un moment inoubliable. Il faut d’abord puiser l’eau au puits pour remplir les seaux. Ensuite nous nous « isolons » dans les petits cabines en brique, à ciel ouvert. Il n’y a pas de trou, juste un petit écoulement à travers le mur. Nous versons l’eau avec une petite tasse, en nous parlant par dessus le mur, sous le soleil. Une tête apparaît de l’autre côté du mur : quelqu’un est aux toilettes. Ca va ? Ouais ouais et vous, bonne douche ?

Nous nous lavons en regardant le coucher de soleil sur le paysage, les gens dans les champs, le petit village.

 

 

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Semaine 43

Désolé encore une petite semaine, mais en ce moment, il y a du boulot. Médecine Le must read de la semaine, une revue sur les symptômes avec un message capital, histoire et examen clinique apportent les éléments critiques au diagnostic … Continuer la lecture Continuer la lecture

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Epidémie: 43 cas de suicides dans la police depuis janvier. Que fait la police ?

Bonjour Bernard Cazeneuve connaît bien les policiers : il est ministre de l’Intérieur. Depuis qu’il existe ce ministre protège ses troupes. Grâce à elle il sait tout. En retour il leur doit beaucoup. Or voici que M. Cazeneuve parle, à leur endroit, de « désarroi ». Et le ministre que poursuivre, comme un médecin qu’il n’est pas. Il nous […] Continuer la lecture

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Risque de cataracte radio-induite chez les professionnels de santé

La cataracte radio-induite s’avère beaucoup plus fréquente qu’on ne le pensait. La commission internationale de protection radiologique, ICRP ( International Commission on Radiological Protection) recommande donc de diminuer la limite de dose d’exposition du cristallin aux rayonnements ionisants dans le … Continue reading Continuer la lecture

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Future loi de santé: la fonction de production du parcours de vie

La future loi de santé: illusion néo-libérale ou néo-jacobine?


« La vie est une maladie sexuellement transmissible et constamment mortelle.» Woody Allen


« La santé, c’est non seulement l’absence de maladie et d’infirmité, mais un complet bien-être physique, mental et social» – sensation que le commun des mortels peut connaître brièvement pendant l’orgasme ou sous l’influence de drogues ». Petr Skrabanek (« La fin de la médecine à  visage humain »)


1. PROJET DE LOI DE SANTE Changer le quotidien des patients et des professionnels de santé 15 octobre 2014

2. PROJET DE LOI relatif à la santé Analyse du SRH

3. APM : Projet de loi de santé: le syndicat des DIM alerte sur le risque d’échec des GHT


Présentation ici et aussi ici

5. L’éthique, un autre nom du management public?

Fin de vie : les médecins ne doivent plus être les seuls à décider, selon le CCNE (QdM 23/10/2014)
Ce qui est surtout intéressant dans le texte est la présentation du nouveau modèle shadok de santé, qui va justifier sans doute l’introduction prochaine d’experts entrepreneurs de morale et de commissariats éthiques dans les structures de soins. La médecine devient un microprocessus presque accidentel, presque superflu, au sein du grand
process de vie conçu d’en haut par un grand architecte et organisé par les ingénieurs du care Voir figure 1.

« Il faut un continuum : les soins de support sont la base de la médecine, au sens de prendre de soin, auxquels peuvent s’ajouter des thérapeutiques », explicite Jean-Claude Ameisen.


Commentaires


Nous avons dit à plusieurs reprises sur ce blog que le discours dominant les médias sur l’intégration des parcours de soins est porté par une logique d’assureur. Nous avons vu aussi le saucissonnage de la protection sociale débitée en tranches de salami au profit des complémentaires santé (Tabuteau). Nul ne peut être contre des parcours bien coordonnés, puisque force est de constater que leur complexité empêche de plus en plus les personnes elle-mêmes de coordonner leurs soins, de se sortir d’une jungle inextricable et chaque jour un peu plus hostile, notamment en termes de reste à charge. 
Mais la coordination étant un mot valise, qui peut aisément être remplacé par pilotage, intégration, contrôle, ou encore régulation, on n’a encore rien dit de qui pilote, qui oriente, qui définit la stratégie thérapeutique, qui ouvre l’accès aux soins, qui finance et selon quelles règles, quelles unités d’oeuvre, qui répartit en particulier les fonds entre les acteurs etc. 
Nous avons surtout observé qu’ayant renoncé à changer un système qu’ils ont de plus en plus fragmenté, entre soins et social d’une part, engendrant des parcours toujours plus chaotiques et entre acteurs d’autre part par une guerre de tous contre tous dues à des des pseudo-marchés aussi myopes dans leurs modèles comptables qu’imbéciles dans la conception dénuée de sens clinique des activités de soins qu’ils induisent, les pompiers pyromanes ne savent qu’ajouter de nouveaux « machins » technocratiques pour réparer leurs méfaits (bed management, MSAP, PRADO etc.). 
Et surtout, qui intégrera les intégrateurs, selon l’antique question que Juvénal adressait à la République de Platon (« Qui gardera les gardiens? »).

Parcours de vie

Mais il faut aller plus loin.
C’est bien aujourd’hui  de l’intégration des « parcours de vie » qu’il est question, avec l’extension infinie du domaine de la « grande santé ». On ne peut pas ne pas revenir sur les réflexions de Michel Foucault. La politique de santé finit par rejoindre la définition que donnaient les anciens de la politique tout court: « l’art de rendre les peuples heureux ».
Il s’agit bien de contrôler les corps, à rebours de l’injonction à l’autonomie autant que de la proclamation de la liberté de l’individu-roi. La vie n’est qu’une suite de risques que la morale nous oblige à éviter, dans une perspective de rationalisation utilitariste des attitudes et des comportements.
Il faudrait en venir, pour homo medicus à désirer l’absence de tout désir conduisant au moindre risque. Il faudra donc contrôler à la fois les corps et les esprits. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que l’environnement politique et social conduit de nombreux citoyens sans travail et nés dans la civilisation des loisirs à se nourrir de pizzas et hamburgers devant la télévision ou les jeux vidéo, et en même temps d’entendre le discours filandreux de l’auto-activation visant sans cesse à personnaliser la responsabilité à propos de sa propre santé, responsabilité fort bonne de soi j’en conviens, mais portée par une propagande de prévention qui en réalité ne touchera que les populations les moins vulnérables et les moins exposées au risque tout en justifiant le déremboursement des soins aux irresponsables.
Mais la « démocratie sanitaire » a ceci de particulier qu’elle concentre en elle tous les paradoxes de la gestion des risques. Je conseille à tous de lire le livre de Patrick Peretti-Watel et jean-Paul Moatti intitulé « Le principe de prévention ». Il explique pourquoi l’actuelle politique pousse à l’extrême des paradoxes qu’elle ne sait gérer: 
Jusqu’à quel point la santé fait-elle le bonheur?
Quelle vérité doit-on aux citoyens et à quel prix faut-il les éduquer?
Il n’est plus temps de se demander si les réformateurs sont des néo-libéraux ou si ce sont des néo-platoniciens qui se sont armés des Big Data pour enfin permettre à la République des savants de construire l’échelle de Jacob et de mettre le monde en équilibre et en harmonie.
Quelle différence y aurait-il entre un Etat soviétique qui mettrait des faux marchés partout dans ses services au nom du mythe de la libre concurrence efficiente et un Etat néolibéral qui prétendrait savoir rationaliser la régulation d’une forme entrepreneuriale qu’il étendrait partout jusqu’à la gestion de soi et de son petit capital santé?
C’est sous cet angle qu’il faut reconnaître l’extension du domaine de la biopolitique et de la manipulation par la ré-ingénierie sociale, que certains nomment constructivisme social.
On peut s’inquiéter des mythes rationnels et murs d’évidence défendus par les grand-prêtres de la santé publique. Citons Didier Tabuteau dans un récent article du Monde (« L’épineux partage des rôles entre professions de santé) :
 » Aujourd’hui, nécessité fait loi, estime le chercheur. Il faut aller vers plus de responsabilités pour les autres professions. La baisse de la démographie médicale impose de revoir la répartition des tâches et l’organisation des soins. «  .
Nous avons vu la difficulté de se prononcer sur l’état de la démographie démographie médicale à l’horizon de 2030. Ce qui est sûr, c’est que la baisse d’attractivité pour l’exercice médical et l’abandon provoqué de domaines entiers autrefois couverts par la médecine permettra aux politiques publiques de décréter que « nécessité fait loi ». Certains pays découvrent qu’une organisation trop pyramidale des niveaux de recours induit des surcoûts par sur-prescription « défensive ». (1)
L’accès aux Big Data semble avoir rendu fous les experts et les gestionnaires de risques. Ces post-modernes, qui ont remplacé le droit par les sciences sociales, se croient en mesure de rendre les peuples heureux malgré eux, à partir de leur quantophrénie statistique, là ou les modernes « divisent la politique en droit naturel, droit public, droit de la paix, droit de la guerre, etc., et appellent l’ensemble de ces connaissances, science des gouvernements ». (2) Notons enfin que contrairement aux modernes, Platon et Aristote ne séparaient jamais la politique de la morale.
Hélas, les libéraux voient dans ces réformes le triomphe de l’innovation de rupture, la fin des résistances bureautiques au changement. Ils gobent le discours de la propagande qui leur laisse croire que nos élus, aux abois et enfoncés dans un court-termisme inhérent aux programmes d’ajustement qui s’imposent à eux, sont capables de prévoir les bienfaits économiques d’un système de soins de santé soumis à une destruction créatrice contrôlée. De l’autre coté, les républicains abandonnent le fondement des services publics caricaturés en incurable bureaucratie wéberienne à la quantophénie semi-habile des comptables des actuaires et des statisticiens. Mais seul et isolé dans sa toute puissance, ce management par les nombres ne sait que s’appuyer sur des catégories myopes réifiant la fragmentation institutionnelle (c’est du soin « curatif », c’est de la « dépendance », c’est du « social ») et des boucles auto-référentielles qu’elles engendrent.

Biopolitique et intégration politique de la santé


J’ai essayé de modéliser ainsi le modèle biopolitique de l’intégration: Figure 1

« Prendre de soin » est peut-être une coquille du texte, mais on ne sait jamais avec la novlangue.

« Guérir quelquefois, soigner souvent, consoler toujours » disaient nos anciens. On ne sait pas bien à quand remonte cette citation, d’ailleurs, peut-être aux Asclépiades. (3)

    Fragmentation

    La puissance publique a voulu avec les lois de 1970 et 1975 un hôpital curatif et un secteur médico-social consacré à la dépendance improductive (vieux, handicapés) et pour les classes dangereuses, « les infortunes que le vice a produit », rattaché aux départements.
    Les familles y ont vu l’opportunité d’échapper à une médicalisation excessive. Mais le résultat c’est la managérialisation à outrance d’un secteur aujourd’hui trop démédicalisé (médecins et paramédicaux). Ce nouveau secteur, fier de son indépendance à l’égard du monde bio-médico-technique n’a souvent fait que remplacer, certes souvent aujourd’hui trop souvent en complémentarité avec la prison, les anciens services de « défectologie » qui existaient en psychiatrie. La fin du « grand enfermement » a avant tout été une opportunité d’économies majeures pour l’Etat, même si le mouvement favorisant l’inclusion en milieu ordinaire garde toute sa valeur. Combien de parents de schizophrènes ont alors été culpabilisés dans une discours idéologique qui ne faisait que justifier le fait qu’on ne pouvait plus, même en situation critique, accepter leur enfant en institution. Que de situation tragiques.
    Ils n’avaient plus alors qu’à supporter leur désarroi dans la double peine de s’en voir imputer la faute.
    Les lois de décentralisation ont aggravé la situation c’est à dire la fragmentation institutionnelle financière et culturelle. Cette fragmentation concerne tous les personnes vivant avec des conditions chroniques où s’intriquent de façon variable des déterminants bio-psycho-sociaux.

    Avec les nouveaux parcours de soins assurantiels on aura peut-être un business model complet de la prévention puis de la dépendance, la vie n’étant en quelque sorte qu’une longue « durée de séjour », agrémenté de quelques « inducteurs de coûts » thérapeutiques en attendant le « projet de sortie », le grand, vous savez, celui qui transforme la vie en destin.

    Qui intégrera ces « intégrateurs de continuum »?

    Mais les intégrera-t-on par le libre marché régulé ou par des procédures bureaucratiques?
    Et si on laissait enfin les acteurs du soin bien faire ce qu’ils savent faire, avec les équipes qui portent des compétences clés de l’organisation des soins, la vraie, celle qui émerge au service du public, qui peut gérer au juste coût et rendre de comptes de sa gestion,. Mais elle ne peut le faire qu’une fois débarrassée des incitatifs externes et des indicateurs absurdes importés en santé par des économistes et des cabinets de conseil qui en ont fait leur terrain de jeu et de pouvoir au service des promoteurs de programmes d’ajustement structurels. Un système d’indicateurs doit avoir du sens pour celui qui s’y regarde comme dans un miroir. Il ne se conçoit que dans une vision de la performance qui intègre la participation aux processus de décision, ce que les indicateurs doivent impérativement mesurer, de même que la reconnaissance au travail, l’état d’esprit au travail, l’autonomie des centres de responsabilité nécessaire à l’expression des compétences clés.
    « L’opposition entre le libéralisme et l’étatisme qui occupe tant les essayistes, ne résiste pas une seconde à l’observation.» Pierre Bourdieu

    (1) Nurses Are Not Doctors Dans le New York Times du 29 avril.

    « Nurse practitioners have been promoted as a cost-effective way to meet this need. Medicare currently reimburses nursepractitioners only 85 percent of the amount that it reimburses primary-care physicians. Paying less for the same work would appear to be a way to save health care dollars. »
    « But are nurse practitioners actually more cost-effective? There is a dearth of good recent empirical research on this question, but some studies have suggested that the answer is no. »

    (3) « Guérir quelquefois, Soulager souvent, Consoler toujours » L. M. PAYNE Brit. med. J7., 1967, 4, 47-48

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    Méningiome: 438 000 euros pour une fraise qui a « dérapé ». Le CHU refuse de payer.

    Bonjour Le traitement des aléas chirurgicaux par la presse quotidienne régionale révèle parfois des surprises. Ainsi ces quelques lignes pêchées dans la Nouvelle République du Centre Ouest – édition d’Indre-et-Loire (lignes curieusement signés « Agence locale de presse »). Une affaire exemplaire des temps que nous vivons, à mi-chemin de la judiciarisation de la médecine et de […] Continuer la lecture

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    Ma cataracte

    Avec mes lunettes, si je ferme l’œil droit, je vois à peu près net, mais tout baigne dans une lueur jaunâtre. Si je ferme l’œil gauche, le monde est nettement plus lumineux, mais je vois flou. Faut que je lève la tête très en arrière pour que les lettres s’affichent nettement. Je vais devoir aller m’acheter des lunettes au Jean Coutu pour pouvoir écrire ce texte, et j’ai des gouttes à me mettre dans l’oeil trois fois par jour. Bref, c’est le bordel. Et pourtant, je suis plutôt heureux. Je viens d’être (…)


    Edito

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    Ma cataracte

    Avec mes lunettes, si je ferme l’œil droit, je vois à peu près net, mais tout baigne dans une lueur jaunâtre. Si je ferme l’œil gauche, le monde est nettement plus lumineux, mais je vois flou. Faut que je lève la tête très en arrière pour que les lettres s’affichent nettement. Je vais devoir aller m’acheter des lunettes au Jean Coutu pour pouvoir écrire ce texte, et j’ai des gouttes à me mettre dans l’oeil trois fois par jour. Bref, c’est le bordel. Et pourtant, je suis plutôt heureux. Je viens d’être (…)


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