Archives quotidiennes : 13 décembre 2013

Décrocher des souvenirs du mur

« Où s’en vont ? Où s’en vont ? Tous ces potes qu’on aime, nos certaines affections ? Qu’on est longs, qu’on est longs, à dire les « je t’aime » qu’on pense quand ils s’en vont » (Où s’en vont, Michel Fugain)

J’ai vu une patiente à domicile aujourd’hui.
Rien d’extraordinaire à cela.
Hormis qu’elle a 94 ans, vit seule, n’a pas d’enfants, est bien entourée par ses voisins, ce qui n’est pas si fréquent.
Depuis maintenant près de 2 ans, à chaque visite, elle me dit un « au revoir » qui sonne comme un adieu. Elle ajoute « De toute façon, je vais bientôt mourir ».
Heureusement qu’elle ne s’est pas installée comme voyante, elle n’aurait pas fait de bonnes prédictions, lui ai-je déjà dit.
Mais il y aura bien un jour où, c’est inévitable, elle aura raison, et où son adieu aura été le bon.

Sur ses murs, quelques souvenirs sont accrochés.
Avec elle, vit un chat auquel elle est très attachée. A ce point attachée qu’elle a tout prévu : la convention avec le vétérinaire pour l’euthanasie le jour où elle-même partira. Elle ne veut pas que son chat souffre à cause d’elle et de sa disparition. Dès qu’elle en parle, sa voix devient tremblotante et des larmes se mettent rapidement à couler.

Mais le jour où elle aura raison. Je n’aimerais pas être la personne qui devra s’en charger.
Le jour où elle aura raison, qui décrochera toutes ses décorations ? Pour en faire quoi ?
Les souvenirs de toute une vie partiront où ? Les murs seront-ils les seuls à se souvenir du passage de cette patiente ici-bas ?

« Sois tranquille, tout va bien. Sois tranquille, je suis serein. Je repose en paix où je vais. Sois tranquille, tout va bien » (Sois tranquille, Emmanuel Moire)

Pour être tranquille, il faut avoir existé pour quelqu’un.
Il faut créer du souvenir.
Parfois, le cours des évènements crée lui-même le souvenir. Quand nous perdons un proche à une date précise, marquante, par exemple.
Ma grand-mère maternelle est morte un 17 décembre.
Une semaine tout juste avant le réveillon de Noël.
Autant dire que les fêtes de Noël entrainent avec elles le souvenir de cette date et ce qui s’y est passé.

Nous avons décroché des souvenirs des murs. Nous avons retiré les cadres.
Nous avons réparti quelques souvenirs chez les uns ou les autres, et ils nous permettent de penser matériellement à elle. Je préfère le souvenir, les images… les instantanés que je prends parfois
Nous avons eu des éclats de rire. Ma mère notamment, en débarrassant la cuisine et en retrouvant des poêles avec un fond de graisse que ma grand-mère gardait parce que « c’est bon la graisse cuite ». Des éclats de rire avant les fêtes, au beau milieu d’un deuil.

J’aimerais bien laisser des éclats de rire aussi après mon départ. Des souvenirs.
Bon pas forcément au moment des fêtes, pour que la magie de Noël fonctionne toujours, comme dans les yeux de mes zèbres.
Mais rire.
Se souvenir.
Etre tranquille

« Sois tranquille, tout va bien. Sois tranquille, je suis serein. Je repose en paix où je vais. Sois tranquille, ce n´est rien. Sois tranquille, j´en ai besoin. Et n´oublie pas, n´oublie pas, je suis la… » (Sois tranquille, Emmanuel Moire)

Pour cela il faut rester ouvert aux autres. Vivre d’amour et d’amitié. Même quand ça ne va pas fort, garder le sourire et l’offrir aux autres. Donner toujours l’impression que ça va, parce qu’il vaut mieux rire que pleurer.
Pour laisser un souvenir.

Au cas où. Au cas où ça continuerait après.

« C’est pas vrai que ça s’arrête, ça serait trop con » (Où s’en vont, Michel Fugain)

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La théorie du complot

Un contradicteur , dans un de ses commentaires écrivait ceci : « A moins de tomber dans la théorie du complot, du « tous pourris », on ne peut pas imaginer que tous ces experts se trompent. »  Cette phrase est emblématique . C’est un argument que l’on rencontre souvent quand on s’oppose aux arguments de « l’information » donnée par […] Continuer la lecture

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Graisse anatomie

Préviously, on rétro

 

Lorsqu’on arrive en médecine, lorsqu’on y arrive vraiment, après le concours, on a immanquablement un pote (ou deux, ou tous) qui s’enquiert d’un air de fascination horrifiée « alors c’est vrai ??? Vous découpez des cadavres ???!!! »

rembrandt_anatomie

Mettons tout de suite les choses au point sur ce mythe :

 

 

Oui, c’est vrai. On découpe des cadavres.

 

Héritage probable d’une tradition où c’était le seul moyen d’apprendre l’anatomie humaine, les travaux pratiques de dissection humaine existe toujours dans la plupart des facs. En tous cas dans la mienne.

Anatomical_theatre_Leiden

 

La première fois… j’avoue que j’y suis allée pleine d’une curiosité morbide, tel le sus-cité pote avide de détails croustillo-sanguinolants. C’était aussi, il faut le dire, les seules fois où nous faisions du concret dans cette année une fois de plus remplie de cours théoriques.

Pour trouver la salle, il suffisait de se laisser guider par l’odeur. Une odeur de mort et de formol, et pour cause. Le sous-sol de l’aile nord de la faculté en est imprégné. Dans les salles sont visées de volumineuses tables de dissection. Elles servent parfois pour d’autres cours et sont nettoyées après chaque exercice de dissection, mais il arrivait quand même régulièrement qu’on y retrouve un bout de tendon ou un amas graisseux oublié dans un coin.

Alors que nous étions déjà sensiblement impressionnés, entre en scène un personnage clé, que nous appelerons le boucher. C’est qu’on ne connaît pas son nom déjà, et ensuite son boulot, ça y ressemble un peu. A savoir stocker des corps, les conserver, et les découper.

Oui parce que techniquement, on découpe plutôt des bouts de cadavres. C’est la pénurie ma pauv’ Simone que voulez-vous, le macchabé se fait rare. Dans les faits, un groupe s’occupera du genou pendant que la table d’à côté s’affairera sur le pied. Et faut faire les choses proprement, parce que la semaine d’après, on échange, et celle d’après… ben on fait avec ce qui reste. Difficile de faire un TP correct avec un pied qui marine depuis 3 semaine dans le formol et qui a déjà été découpé dessus, dessous et derrière.

Très vite, les visages curieux et fascinés deviennent donc blasés, et grimaçants aussi. Parce que ça pue. On s’en doutait, c’est confirmé : le bout de cadavre mariné, ça pue. Après quelques années de recul, difficile de trouver un gros intéret de formation à ces dissections, les chairs durcies et décolorées ne ressemblant en rien aux tissus souples, roses, rouges – bref vivants – sur lesquels nous allions officier. Faire une suture sur un bout de carne ou sur le visage d’un enfant, ça n’a tout de même rien à voir.

 

Notre respectable professeur, lui, semblait peu s’en soucier. Il virvoletait au milieu de ses morts, insensible à l’odeur, fourrageant son stylo au fin fond d’un creux poplité, faisant voltiger la graisse, riant de notre dégoût ou de nos hésitations.

 

Je peux sans trop fanfaronner dire que j’aime beaucoup les gestes techniques. Faire travailler mes mains plus que mon cerveau, recoudre des plaies, ponctionner du sang, évacuer du pus, je kiffe.

Mais lorsqu’il a fallu travailler sur la tête, j’avoue que même moi je n’étais pas à l’aise. Difficile de faire abstraction de la brave personne ayant donné son corps à la SIANSSE tout puissante quand sa tête décharnée, décolorée et posée sur la table vous regarde de ses yeux vides. J’étais d’autant plus embarrassée que nous devions étudier l’os sphénoïde (bordayl encore lui) qui – pour information si vous avez la flemme de chercher – se trouve à l’INTERIEUR de la tête, genre environ derrière les yeux.
 Je cherchais désespéremment une porte d’entrée, on sait jamais qu’on nous ait toujours menti et qu’en fait il suffise d’appuyer sur un bouton pour ouvrir la boîte cranienne, quand notre éminent maître arriva vers nous et s’enquit de notre absence manifeste de progression.

« Ben alors…? Faites un volet ! (ma foi à défaut de porte, un volet… heu…)

– un volet ?

– ben oui ! » Il attrapa sans ménagement la tête à deux mains, et nous la lançant dessus, il s’exclama en riant

 

« BEN ALLEZ QUOI ! ON FAIT UN VOLLEY ! »

 

 

Ma voisine est tombée dans les pommes, moi dans l’abîme profond du désespoir.

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Chambre 423 (2)

Je suis donc retournée à l’hôpital. Le premier jour, après être sortie de ma voiture, je suis restée de longues minutes devant ce grand bâtiment qui avait englouti mon père. Tout droit, l’entrée. À gauche, la chambre mortuaire. À droite, le service de gastro. Là où il est mort. Entrer. Prendre à droite. Pas en gastro, non, mais l’étage en dessous. Chirurgie. Dernière porte, tout au fond. Mêmes couloirs, mêmes chambres, même vue depuis les fenêtres.
Même numérotation de chambres. Chambre 423. La même qu’en haut. Exactement la même. De la fenêtre, je vois le clocher de l’église du bourg voisin. Là où a eu lieu la cérémonie d’enterrement.
Un mois de stage. Un mois à passer devant la chambre 423. J’y entre rarement car ce n’est pas « mon » secteur. Servir un repas de temps en temps, aider à l’installation d’un patient, apporter un bassin… Je n’y reste jamais longtemps.
Dernier jour de stage. Je finis dans une heure. L’après-midi, c’est le nettoyage à fond des chambres des sortants. Cet après-midi, c’est la chambre 423 qui est à faire. Bizarrement, ça ne fait pas tilt. Je commence tranquillement, je désinfecte le lit, le matelas, tout en discutant avec ma co-stagiaire, et subitement, je réalise. Je suis dans la chambre 423. Pile au-dessus de moi, mon père est mort. Arrêt. J’ouvre les volets en grand. De même que j’étais restée de longues minutes devant l’hôpital le premier jour, je reste devant la fenêtre et je regarde. Les champs, la petite route qui s’en va vers le bourg, et le clocher, au loin, dans la brume. Le dernier paysage qu’a vu mon père.
Larmes. Et sourire. La boucle est bouclée.
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Marre-mots #8

« Maman, moi je veux pas de salade. Pourquoi tu manges de la salade toi ?

– ben… parce que on m’en refourgue tout le temps dans le panier bio pis que c’est pas ton père qui s’y colle c’est bon pour la santé.

– alors si je mange pas de salade…  je vais MOURIR ???

– heu ben non, ptet pas non plus.

– d’accord, ben je veux pas de salade alors. »

 

 

Soyons pragmatique.

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AIT et AVC : agir vite, très vite…

Accident Ischémique Transitoire et/ou Accident Vasculaire Cérébral C’est urgent => faites le 15 AIT-AVC-FMC-Tourcoing Continuer la lecture

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Entre leurs mains

Ma collègue @ambresf m’a invité à l’avant-première du film Entre leurs mains, un projet de documentaire sur l’accouchement à domicile que je suis de loin depuis ses débuts de crowdfunding. Et donc, j’ai été heureux d’échapper aux impératifs familiaux pour aller voir le film ! Finalement j’ai pas pu voir @ambresf de la soirée, j’ai vu plein de […] Continuer la lecture

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Des auteurs français à l’honneur sur RetractionWatch : bon signe car notre communauté commence à parler des pratiques déviantes

Si la décision de rétracter l’article de GE Séralini / OGM va constituer une sorte de jurisprudence, mettant la France à l’honneur, d’autres dossiers émergent. Je ne parle pas de la cohorte muette des auteurs honoraires de l’article sur la tête de Henri IV (courage, fuyons…), mais de 2 cas évoqués par Ivan Oransky sur RetractionWatch : Ivan cite des… Continuer la lecture

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