Archives quotidiennes : 12 décembre 2013

Triste nouvelle

Les gens, faut que je vous annonce un truc terrible. Nan, je vais pas me mettre à chanter : ça, ça serait une bonne nouvelle, pour le climat du moins (y’a un problème de réchauffement climatique oui ou merde ?). … Lire la suite Continuer la lecture

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La valse des étiquettes

« Qui c’est qui est très gentils (les gentils). Qui c’est qui est très méchants (les méchants) » (Les gentils, les méchants,  Michel Fugain)

C’est facile. Rassurant, même.
On catégorise, chaque chose bien rangée dans sa petite case. Et on y met une belle étiquette.

En principe, une étiquette, une fois collée, on ne la change plus. Sauf si, comme moi étant enfant, vous trouvez beaucoup plus simple de décoller les étiquettes du Rubik’s cube pour regrouper les couleurs plus facilement.

Donc, on met une étiquette. Fin de l’histoire.
Et sur les êtres humains ? On en met aussi ?
J’ai l’impression qu’on fait exactement pareil que pour les choses. Une étiquette. « Lui est gentil », « lui, pas la peine d’essayer, c’est un méchant ».

Mais il y a souvent, trop souvent même, une valse des étiquettes.
Cinq étés de suite, j’ai travaillé dans les réserves d’un supermaché. La vie, la vraie paraît-il. J’ai réceptionné les livres pour la rentrée des classes, les cahiers, les classeurs… A l’époque on collait encore beaucoup d’étiquettes sur les produits à vendre.
Quand le prix changeait, on collait une étiquette par-dessus la précédente.
Vous avez déjà essayé de décoller une étiquette collée sur une autre ? Pas évident. Et en plus, bien souvent, quand vous y arrivez, tout ce qui était écrit en dessous s’est plus ou moins effacé.

Sur les êtres humains, on vous colle à la naissance une étiquette de gentil. A la naissance.

« L’homme naît naturellement bon, c’est la société qui le corrompt » (Rousseau)

On a vite fait de solder cette gentillesse. On y colle une étiquette moins gratifiante. Peu importe ce qui était écrit en dessous, on va surtout retenir la nouvelle mention.
Les femmes et hommes politiques en savent quelque chose. Un mauvais coup de communication et tous les efforts précédents sont balayés d’un trait. Nouvelle étiquette. Et même si on réussit à la décoller, le mal est fait.

« Yes, I said it’s fine before. I don’t think so no more, I said it’s fine before. I’ve changed my mind, I take it back. Erase and rewind, ’cause I’ve been changing my mind » (Erase/Rewind, The Cardigans)
(Oui, j’ai dit auparavant que c’était bien. Mais je ne le pense plus, j’ai dit auparavant que c’était bien. J’ai changé d’avis, je retire ce que j’ai dit. Efface et rembobine, parce que j’ai changé d’avis)

Rembobiner, effacer. Réécrire. Récupérer l’étiquette originale. Originelle.

Est-ce qu’on arrive à le faire quand on le veut, même un peu seulement ?
Dans beaucoup d’endroits, même professionnels, on m’a souvent présenté des interlocuteurs en me disant à couvert de m’en méfier.
En bon petit soldat, je m’en suis méfié.
J’ai collé une étiquette sur l’étiquette originelle. J’aime pourtant en général me faire une opinion moi-même, mais quand on vous dit de vous méfier, à moins d’être particulièrement masochiste, vous vous méfiez.

« And so I wake in the morning, and I step outside. And I take a deep breath and I get real high and I scream at the top of my lungs : what’s going on ? » (What’s up, 4 Non Blondes)
(Et je me réveille le matin, je mets un pied dehors. Je prends une inspiration profonde et je m’élève et crie à pleins poumons : mais qu’est-ce qui se passe ?)

Avec certains patients aussi, on peut coller une étiquette. « Ne veut rien écouter de ce qu’on lui dit » ou « Ne suit aucun conseil ».
Mais sous son étiquette, il était écrit quoi ? Est-ce qu’on lui a demandé s’il ne suivait aucun conseil parce qu’il a eu un évènement de vie qui lui fait dire que suivre un régime à côté de perdre un enfant, c’est à ce point dérisoire qu’il s’en fout ?

Avec certaines relations professionnelles, c’est pareil, on peut coller une étiquette. Mais il est écrit quoi sur l’étiquette de ceux qui vont en ont fait coller une ?
« Méfie-toi de lui » venant de quelqu’un qui n’est pas forcément le plus « gentil » ou le plus « irréprochable », ça fait quoi ? ça s’annule ?

« Does that make me crazy? Does that make me crazy? Does that make me crazy? Possibly » (Crazy, Gnarls Barkley)
(Est-ce que ça me rend fou ? Peut-être)

Je préfère me faire mon idée.
Je vais coller des étiquettes. Mais des blanches. Des étiquettes un peu plastifiées. Comme ça j’écrirai avec un feutre effaçable, et je pourrai réécrire comme bon me semble. En bien comme en mal. Car tout le monde change. Personne n’est immuable.
Tant qu’on communique, on peut toujours finir par trouver un terrain d’entente. Il faut juste revenir à l’étiquette originelle. Ou essayer d’y parvenir. Se parler. Un truc tout simple. Se faire sa propre idée.

A moins que ce ne soit un syndrome de Stockholm ? A force d’être entouré par de vilains agresseurs je finis par m’y attacher ? Je n’ai pas l’impression.
Quand l’étiquette collée n’est pas la bonne, les torts sont sans doute partagés par celui qui la porte et celui qui l’a collée.
Ce n’est pas une raison pour ne pas essayer, encore et toujours, de retrouver une plus belle étiquette.

Au pire, Stockholm… ce serait pas la ville qui a vu naître un super groupe disco ? Pas besoin d’étiquette, je sais que ça me plaît les yeux fermés. Continuer la lecture

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Une histoire de courbe

F. a 3 ans. Je la vois pour la première fois. Je suis sa grand-mère qui est très malade et progressivement je vois arriver au cabinet tous les membres de la famille. La vraie « médecine de famille ». Elle n’a pas … Lire la suite Continuer la lecture

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Le frottis cervical, nouvel indicateur pour le paiement à la performance mais toujours pas de dépistage organisé du cancer du col.

Hier, je vois Madame A, 40 ans,  patiente épisodique dont je suis le médecin traitant, qui me demande en fin de consultation (elle avait mal au genou et mon diagnostic : tendinite de la patte d’oie) si je peux  lui prescrire « sa » pilule parce que « sa » gynéco ne lui prescrit que pour six mois et qu’elle ne la voit que tous les ans.

« Vous la voyez tous les ans ?
– Oui.
– Et pourquoi donc ?
– Ben, pour me faire un frottis. »
Oups.

Je m’enquiers du nom de la gynécologue et je me rends compte que, comme toutes les gynécos de mon coin (et d’un peu plus loin), elle est débordée ce qui signifie qu’elle donne des rendez-vous à trois, voire à quatre mois. Elle prend un supplément d’honoraires. Conséquent.
Je rappelle ici que la fréquence du frottis cervical selon ce qu’on peut lire ICI ou LA, c’est tous les trois ans à partir de 25 et encore moins après 65 ans.
Je rappelle donc à ma patiente quelle est la fréquence souhaitée des frottis et que l’on peut prescrire la pilule pour un an « Ma gynécologue ne veut pas », telle fut sa réaction.
C’est alors qu’elle me donne le nom de sa pilule : QLAIRA. Pilule que je ne connais ni des lèvres ni des dents. Je jette un oeil dans mon Vidal expert à 20 euro par mois (contre 0 avant le ROSP ou paiement à la performance), c’est une pilule contenant de l’estradiol naturel dont la Revue Prescrire (LA) me dit qu’on ne sait pas grand chose.
J’explique à la patiente, tout en regardant Internet, que je ne connais pas cette pilule. « C’est naturel… c’est plus écolo. »
Mouais.
Je prescris donc Qlaira.
Silence sur la ligne.
J’ai prescrit.
Pendant que la patiente me parle de ses enfants, de son mari et de ses parents (tous patients du cabinet), je retourne quelques concepts dans ma tête.
En résumé :

  1. Je pèse le pour et le contre de cette pilule dont je ne connaissais pas grand chose
  2. Je me tâte pour ne pas prescrire au nom des sacro saints principes du paternalisme adapté au monde moderne : les patients ne connaissent rien et je suis le porte-parole de la science triomphante
  3. Je me rappelle que ne pas prescrire la pilule, c’est faire prendre des risque de grossesse non désirée à la femme
  4. Je pense à mon surmoi me disant que si des lecteurs de Prescrire étaient cachés derrière mon épaule (certains lecteurs de Prescrire, je veux dire) je me ferais plaquer au mur et renvoyer dans l’enfer des mauvais médecins suppôts de big pharma.
Je me dis in petto que ce n’est pas la première fois que je constate une fréquence anormale des frottis chez les génécoloques de mon coin et d’ailleurs (nombre des femmes inscrites au cabinet travaillent à La Défense ou près de la Gare Saint-Lazare et se font suivre là-bas) : les gynobs médicales ou les gynobs chirurgicaux (vous avez saisi la différence du genre des adjectifs ?) vont jusqu’à 2 anspour l’intervalle, mais 3, leur avis professionnel les contre-indique. En jetant un oeil sur les forums comme LA, on ne peut être que saisi par l’intelligence collective de la médecine 2.0 citoyenne : que d’énormités !
A ce propos je me fais des réflexions fines.
Le frottis vaginal comme outil de dépistage du cancer du col utérin est devenu un indicateur dans le ROSP (paiement à la performance des médecins généralistes ; mes taux ne sont pas fameux mais je ne sais vraiment pas si tous les frottis sont bien comptabilisés).
Mais le cancer du col de l’uterus ne fait pas l’objet d’un dépistage organisé comme celui du cancer du sein (dont vous êtes au courant, si vous lisez ce blog, des incertitudes et des méfaits). A ce propos le CNGOF (Collège National des Gynéco-ostétriciens Français) (ICI) est un franc partisan de la mammographie : voir LA.
Pourquoi n’y a-t-il pas de dépistage organisé du cancer du col utérin ?
Ah, j’oubliais le CNGOF, est à fond pour l’utilisation du Gardasil, vaccin censé prévenir les lésions pré cancéreuses du cancer du col utérin (page 4 dans ce document LA) et en profite pour citer Prescrire qui « fait le pari » de la vaccination. Prescrire utilisé par le CNOGF.
Pourquoi n’y a-t-il pas de dépistage organisé du cancer du col utérin ?
Mes explications sont les suivantes : 
Les médecins généralistes ne pratiquent pas assez de frottis (je n’en pratique jamais à mon cabinet n’ayant pas, à l’origine, été formé par la Faculté, mais ce n’est pas une excuse, mais mon associée les pratique) pour de multiples raisons qui tiennent, pour certains médecins de ma génération, au tout spécialiste qui régnait lors de notre installation, à une nomenclature vieillotte et sous valorisée et au manque de temps de consultation.  Les spécialistes pensent aussi, et ce sont les décideurs, ce sont eux qui influent sur les décisions ministérielles que les MG sont incapables de le faire et que les laboratoires d’analyse médicales sont dans le même métal.
Les gynéco-obstétriciens n’y sont pas favorables en raison (ce sont des hypothèses, j’imagine, farfelues) du fait qu’ils sont déjà débordés (et on l’a vu, en ne respectant pas, pour certains, la périodicité recommandée pour la pratique des frottis) et, je m’attends à une réplique par scuds irakiens (j’enfile mon masque à gaz et vais me réfugier à la cave), parce que les gynéco-obstétriciens verraient débarquer dans leur cabinet des citoyennes en bonne santé réclamant le tarif opposable de la sécurité sociale…
Post scriptum.
J’ai dénoncé nombre de positions historiques des gynéco-obstétriciens (ICI) qui relativisent leurs communiqués de presse actuels (en sachant qu’un ou une gynéco-obstétricien est un humain comme les autres et peut avoir raison en disant qu’il fait beau alors qu’il fait beau).
Je ne suis pas d’accord avec leur syndicat sur
  1. Les étriers.
  2. Le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie
  3. La prescription des pilules de troisième et quatrième génération (bien qu’ils conviennent désormais que les prescriptions doivent être faites en deuxième intention)
  4. La prescription de Diane 35
  5. Le choix pro pilule versus autres moyens de contraception.
  6. La négation des troubles sexuels liés à la prise d’une contraception hormonale (nous y reviendrons à partir de cet abtract : ICI, je ne peux vous fournir l’article intégral en raison des droits)
  7. La vaccination par Gardasil (ou Cervarix)
  8. Leur engagement total dans la PMA ou la GPA.
  9. Leurs pratiques obstétricales de base : médicalisation de la pré conception, de la conception, de la grossesse, de l’accouchement, et ce qu’elle inclue sur la césarisation, la péridurale…
(Pablo Picasso 1881 – 1973 : Grand nu au fauteuil rouge, 1929)

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Une société du bluff

 « Dominique nous a bluffés » Cette petite phrase de Marisol Touraine complimentant la maestria avec laquelle Dominique Bertinotti avait dissimulé son cancer m’a interpellée. Pourtant, avec son air faussement innocent, elle se remarquait à peine, écrasée qu’elle était par le sujet … Continuer la lecture Continuer la lecture

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L’article OGM / Séralini a bien été rétracté car les méthodes étaient imparfaites. Combien d’articles devraient être rétractés en suivant cette jurisprudence ?

L’article de GE Séralini a généré de nombreux commentaires. Le rédacteur de Food and Chemical Toxicology (FCT), A Wallace Hayes, a proposé à GE Séralini de retirer son article. GE Séralini ayant refusé, A Wallace Hayes a rétracté l’article. Des lettres, dont la réponse des auteurs, ont été publiées par FCT. Cette décision est justifiée par la revue car les… Continuer la lecture

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Étrangitude


Je te préviens, ce qui suit va peut-être faire un peu trop dans le « guimauves et violons » à ton goût.
Voilà, t’es au courant.
Mais ça se terminera aussi avec un petit point/g rageur.
Avant avant-hier :

Je suis un bébé-médecin, mieux connu sous le nom de carabin. Je fais mes premiers pas maladroits, blouse ouverte, stétho en or qui brille. Je ne suis pas le seul, on est plutôt nombreux comme ça, à relever le col de notre blouse que l’on garderait 24/24 histoire de bien montrer qu’on sera un jour médecin, même qu’on l’est déjà un peu-beaucoup-passionnément-àlafolie. Et à se la tchatcher dans les couloirs de l’hosto alors qu’on sait très grossièrement sur le bout des doigts à peine trois fois rien. Moi carabin, enorgueilli à vie de ne pas avoir été cisaillé par le numerus clausus FRANçais, formé dans une faculté de médecine FRANçaise, dans un CHU FRANçais, couronné un jour d’un diplôme de médecine FRANçais, trop la classe mec !

Allez, c’est parti. En plus, premier stage au bloc op’ mon pote ! Alors, ça calme hein ! Et attends, bloc de chirurgie cardiaque ! S’il vous plaît ! Pas le petit bloc de mes deux pour les ongles incarnés. Donc de quoi relever encore bien plus haut le col de ma blouse ouverte et faire briller de mille feux mon stétho (que je ne sais pas utiliser) en disant à voix très très très HAUTE (surtout au moment où passe une minette de 2 ou 3èmeannée ou une jolie élève infirmière), chewing-gum à la bouche, clope éteinte à la main, l’autre main fixée sur la boucle de ma ceinture : « Ouais today au bloc on a fait une mitrale et un triple pontage, NOUS ! ». (En vrai, moi, j’ai rien fait. J’étais habillé comme un schtroumpf et simplement planqué dans un coin derrière le champ opératoire à regarder tout en priant Dieu, Allah, Asclépios, Athos, Porthos et tous les autres, nom de Zeus, pour qu’on ne me pose aucune question d’anatomie ou de physiologie cardiaque mais chut, préservons le mythe.) Et voilà ce que j’ai vu.

J’ai vu tes mains de géant gantées de latex plonger dans une cage thoracique pour réparer ce petit truc plutôt utile et même indispensable qu’est le cœur. J’ai vu tes longs doigts jouer minutieusement avec les fils comme ceux d’un virtuose dansent sur les cordes de sa guitare pour obtenir la note parfaite, le meilleur son. Tu parlais peu, tu semblais concentré mais détendu, une douce musique sortait d’un vieux radiocassette. Sous cet accoutrement stérile de bloc te camouflant de la tête aux pieds en passant par le bout des doigts, il y avait bel et bien un artiste dont je n’avais pas encore réussi à croiser le regard. Un grand artiste qui œuvrait là devant moi planqué derrière mon champ.

Opération terminée, tu jettes tes gants de latex, et là je vois…

Tu quittes le bloc en blaguant, je perçois mieux ta voix et ton accent, et là j’entends…

Je sors à mon tour et je te suis. Derrière cette impressionnante armoire à glace, je suis transparent, insignifiant. Mais j’observe ce qui émane de ce corps de géant, la bonté de ton regard, la douceur de tes paroles. Tu as le cœur sur la main, pour un chirurgien cardiaque ça tombe bien. On sent que tu es passionné par ton métier. On voit que tu aimes les patients, que tu aimes les gens. Pourtant, certains ne te le rendent pas forcément, et refusent formellement que tu les opères, que tu les touches, au cas où tu les salisses. Tu en rigoles… J’imagine qu’au plus profond de ta carapace, quelques larmes s’échappent discrètement.

Il me suffit de t’écouter parler en fermant les yeux pour aussitôt t’imaginer au milieu des tiens là-bas si loin où il fait si chaud. Tout à l’heure en revanche sous tes gants de latex blanc, je n’imaginais pas cette peau noire, si noire…

Bel Africain.

Le lendemain, c’est un autre artiste qui entre en piste. Il est beaucoup plus fin, plus petit, plus discret, tout aussi calme, passionné et doué. Sa peau est beaucoup plus claire que la tienne, quasiment aussi claire que la mienne. Normal, lui il est du Nord…

Du Nord de l’Afrique.

Le vieux lion qui règne en maître incontesté sur le service rôde ici jour et nuit. Probablement à l’affût de son futur successeur puisque les rumeurs en provenance des quatre coins de l’hospice le disent sur le point de tirer sa révérence.

Vous auriez l’un comme l’autre, toi le grand Noir Africain, toi le petit Maghrébin, les épaules et les compétences pour assumer la fonction, mais… Tu m’as compris. Pas besoin de dessin…
***

Avant-hier :

J’ai grandi. Mes pas sont légèrement plus assurés, ma blouse s’est raccourcie, mon col est moins relevé, mon stétho est au chaud dans ma poche, à côté de mes nombreux pense-bêtes… Je suis un ado-médecin mieux connu sous le nom d’interne. Je n’en mène pas large parce que j’entame mon premier semestre et le chef de service que je viens de rencontrer en tête à tête dans son bureau n’a pas l’air commode. Je ne tchatche plus dans les couloirs de l’hosto alors que j’en sais un tout petit peu plus que trois fois rien. Car franchement, je flippe. Tout se passe finalement plus que bien. Trois personnes formidables me prennent la main, m’accompagnent, me soutiennent. Elles reprennent mes conneries à temps, sans moquerie ni humiliation, avec douceur et respect. Parmi elles, trois femmes. Parmi ces trois femmes, deux médecins assistantes, l’une portant les couleurs d’Haïti, l’autre un fabuleux mélange des couleurs de la France et du Sénégal. Et enfin la troisième, ma collègue interne (AFS*) depuis plusieurs années dans le service, un pilier arrivé du Cameroun. Le chef leur fait toute confiance, pourtant c’est un dur à cuire. Ce sont elles qui assurent une grande partie de ma formation. Un jour, je me rends compte que de nous quatre, alors que deux d’entre elles sont déjà médecins, c’est quasiment moi le mieux payé…

Les semestres s’enchaînent. Je grandis encore, avec mes compagnons de galère. Je rigole avec ce joyeux groupe d’internes (AFS*) haïtiens dont un membre est toujours prêt à te reprendre une garde parce que toi ça te fait chier tandis que lui ça lui permet d’arrondir grandement sa fin de mois. Cuba a aussi son représentant, tout comme le Mali, et le Maroc.

Puis me voilà aux urgences. Je suis un grand ado-médecin, pas super loin d’être un adulte-médecin. J’ai même quelques bébés-médecins avec moi : des externes. Parmi eux, un type qui a au moins deux fois mon âge, au moins. Il vient de Syrie. Là-bas dans son pays il était chirurgien. La seule chose que je peux lui apprendre moi, quelques notions de français. Tout ce qui est du domaine des urgences chirurgicales, c’est lui qui m’aura tout appris, tout montré. Une plaie carrément moche dont je ne sais que faire, je l’appelle au secours. Un type « sous mes ordres », au moins deux fois mon âge, au moins 10 000 fois plus compétent que moi dans son domaine, payé peut-être ¼ de mon salaire…
 
***

Hier :

Je suis un vrai docteur enorgueilli à vie de ne pas avoir été cisaillé par le numerus clausus FRANçais, formé dans une faculté de médecine FRANçaise, dans un CHU FRANçais, couronné d’un diplôme de médecine FRANçais. Après quelques années éloigné de l’hôpital, je me lance le défi de retourner y exercer. Malgré mes trois années d’internat et mes huit années d’exercice de la médecine derrière moi, j’ai l’impression de revenir au stade de mon premier semestre d’interne. Je n’en mène pas large pour ne pas dire que je flippe carrément. Première garde hospitalière en tant que vrai docteur, putain, je suis trop con, pourquoi je me suis lancé ce défi ? Mama Mia ! Le pédiatre d’astreinte ce soir, je le connais. C’est un de ces internes haïtiens avec qui je rigolais à l’époque, il y a 10 ans. Putain 10 ans déjà. Il est toujours là, fidèle au poste, après avoir gravi quelques échelons. On parle de nos souvenirs, de nos connaissances communes. On plaisante. Lui, il a passé tous les examens, toutes les équivalences, il a tout réussi, même le concours de praticien hospitalier, il est brillant. Il a un contrat minable renouvelé tous les 6 mois. Un jour peut-être, il sera titularisé, peut-être… La majorité de ses compatriotes ont passé d’autres équivalences et exercent aux États-Unis, au Canada. Des types et des nanas brillants, y a pas d’autres mots.

J’enchaîne les gardes, je flippe un peu moins mais quand même, je flippe. Et il y a toi. Lorsque je suis arrivé dans le service, je n’ai pas compris de suite qui tu étais, d’où tu venais. Discrète, très polie, ton arrivée dans le service précédait la mienne de quelques semaines seulement. Nous nous sommes retrouvés de garde ensemble. Nous avons fait plus ample connaissance la journée dans le service. Au fil du temps, de simples confrères nous sommes devenus de bons collègues, puis rapidement de très bons amis. Alors j’ai prié pour tomber le plus souvent possible de garde avec toi. Ta disponibilité et tes compétences lorsque je doutais. Les blagues et nos fous rires durant les moments de calme. Nos discussions plus profondes sur la médecine, les rapports humains et la vie en général. Oui, de vrais amis. Mes yeux ébahis lorsque tu me racontais tes études médicales à Madagascar. Les incroyables histoires, les cas que tu as rencontrés, tout ce qui a probablement contribué à développer chez toi ce formidable sens clinique. Grâce à toi, j’ai continué à apprendre. Tu bossais autant que moi, tu étais plus compétente que moi dans ton domaine, c’est toi que l’on appelait lorsqu’un accouchement tournait mal et qu’il fallait réanimer le nouveau-né. Tu avais quasiment tous les diplômes requis, toutes les équivalences. Tu étais payée deux fois moins que moi…
***
Aujourd’hui :

Mon petit pays chéri d’amour, concernant ma petite gueule, je ne peux qu’être reconnaissant envers toi. Car c’est grâce à ton système scolaire public et égalitaire que des petits gars pas forcément issus du sérail ni du camp des fils à papa, montés de leur campagne ou descendus de leur HLM peuvent prétendre devenir toubib un jour. Alors pour ça, je m’incline pour te remercier. Et j’aimerais profondément que ça continue dans ce sens…

Voilà.

Maintenant que c’est dit, je me relève, une main sur le cœur, pour ajouter cela :

A vous tous médecins étrangers venus des quatre coins de la planète, j’ai envie de vous dire un grand MERCI. Je n’ai aucun chiffre, aucune donnée, aucune étude, mais parfois j’en ai marre de ces chiffres et de ces études, et sur ce thème-là, je m’en tape. Alors ce que je vais dire ici n’est que supposition et subjectivité. Mais mon « MERCI » est sincère. Merci d’avoir contribué à la formation d’un médecin FRANçais. Sans vous je ne serais sans doute pas le même médecin aujourd’hui. Merci de tenir les murs de nos hôpitaux FRANçais car je ne serais pas étonné que sans vous, ces murs s’effondreraient les uns après les autres alors qu’une grande partie d’entre vous est payée à coups de lance-pierre pour ne pas dire qu’elle est exploitée. MERCI encore.

Ma main toujours sur le cœur, je me permets de lever le poing serré en ayant la délicatesse de laisser mon majeur bien au chaud avec ses quatre petits copains pour terminer ainsi :

Je suis sincèrement désolé de l’hypocrisie de mon pays, qui dépeuple les vôtres de leurs médecins, tout en faisant des économies sur vos salaires et sur les étudiants qu’il n’a pas besoin de former.

Je ne nie pas qu’il y a ici ou là quelques difficultés avec certains médecins étrangers, mais je serais étonné qu’il n’y en ait jamais avec certains médecins FRANçais… Alors je voulais simplement rééquilibrer les choses en apportant ce regard-là sur les médecins étrangers que moi j’ai eu la chance de croiser.

Je conclurai par deux dates que chacun pourra interpréter à sa façon :

-1971 : mise en place du numerus clausus (on limite le nombre d’étudiants en médecine dans les facultés de France, ce qui peut s’entendre).

-à partir de 1972 : se succèdent les procédures d’autorisation d’exercice de la médecine pour les médecins titulaires d’un diplôme étranger hors Espace Économique Européen.

Probable pure coïncidence…

Encore une fois :

Misaotra, mèsi, nahom, chokrane, multumesc, jërëjëf, I ni ce, gracias, merci !
 

 

Le titre de ce billet :

Je ne sais pas si le mot « étrangitude » existe, ni ce qu’il signifie. J’ai simplement souhaité faire un clin d’œil (très certainement maladroit et alors ?) au concept de « négritude » d’Aimé Césaire. Césaire, tout récemment Jacquard puis Mandela il y a quelques jours, ces derniers temps, les rangs se sont bien dégarnis. Espérons que quelque part la relève se prépare, car il y a encore, toujours et malheureusement du taf pour ces Grands Hommes.
 
*Attestation de Formation Spécialisée
 
 
« Poul ka couvé zé ba kanan, mé yo pa ka alé an dlo ansamn« 

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