Archives mensuelles : juin 2012

EHPAD

Je n’aime pas les EHPAD.
J’y ai pourtant plusieurs patients. J’essaye de prendre le temps quand j’y vais. Ne pas y arriver à l’heure des repas. Pas trop tard non plus, parce qu’il m’attendent toute la journée, j’en suis sûr, quand ils savent que je dois passer.
J’essaye donc de prendre le temps de discuter un peu. De savoir ce qu’ils ressentent, comment ils vont.
De les faire parler de leur famille, souvent. Retenir les prénoms de leurs petits enfants (et vous savez que les prénoms et moi, c’est pas gagné d’avance).
De les écouter, tout simplement. Parce que parfois le médecin est la seule « visite » qu’ils reçoivent dans le mois.
Je passe même tous les quinze jours pour certains. Il n’y a pas particulièrement de justification médicale. Ils me l’ont demandé. J’ai cru comprendre ou ressentir qu’ils en avaient « besoin ». J’ai accepté.


Je les trouve très attachants. Tous.


Mais je n’aime pas les EHPAD.


Toutes les équipes que j’y rencontre ont pourtant toujours le sourire, malgré des conditions de travail parfois difficiles.
Elles ont une patience d’ange, quand le résident dément vient leur poser la même question pour la dixième fois de la journée.


Je les admire. Tous.


Mais non, je confirme, je n’aime pas les EHPAD.


Les locaux sont souvent neufs, ou ont été rénovés. Les peintures sont propres. Les salles de vie en commun agréables et conviviales.
Même si parfois j’ai l’impression que la salle de vie en commun est plus une salle pour passer le temps en commun, sans réelle interaction les uns avec les autres. Le système est bâti comme ça. Les moyens humains sont trop peu nombreux pour espérer moins d’isolement.
Mais les locaux, eux, sont agréables.


Je pourrais les trouver agréables. Pourtant, non, définitivement, je n’aime pas les EHPAD.


Rien à voir avec le contrat qu’on avait voulu faire signer aux libéraux. Je ne l’ai d’ailleurs pas paraphé, et j’en suis très satisfait.


Non, je n’aime pas les EHPAD pour autre chose.
Un peu plus personnelle.
Mais qui me terrifie.


Je n’aime pas les EHPAD parce qu’à chacune de mes visites,  je suis confronté à mon propre vieillissement.
D’accord, mon blog est celui d’un « jeune médecin généraliste », j’ai encore le temps d’arriver en EHPAD. D’un autre côté, j’ai l’impression d’avoir commencé mes études de médecine hier, et pourtant quand je vais à la Fac, on m’appelle « monsieur » et on me dit « vous » maintenant…


Mais, si d’aventure je devais finir mes jours dans un Etablissement d’Hébergement pour Personne Agée Dépendante, c’est le D qui me posera problème.
Quel sera mon degré de dépendance ? Comment vais-je vieillir ?


Acutellement, toute semaine défile à un rythme soutenu. J’ai le don de particulièrement charger ma barque. Le boulot, les cours, les réunions, les gardes, la chorale. Et comme je m’ennuyais encore un peu, un petit blog.
J’ai même hérité du surnom de « l’homme poulpe hyperactif » par ma chère et tendre, tellement, paraît-il, je ne sais pas rester sans rien faire.


Un jour un ami m’a dit « la peur de rester sans rien faire, c’est un peu une peur de mourir ». Je n’arrête pas d’y penser depuis.


Oui, en fait, il a raison. C’est cela dont j’ai peur. C’est ce qui me terrifie.


Mourir, physiquement et/ou mentalement.
Ne plus pouvoir faire tout ce que je veux faire.


Certaines personnes se sentent incroyablement bien dans leur EHPAD. Ils y ont trouvé leur point d’équilibre.
Ils ne sont pas les plus nombreux.


Alors, je n’aime pas les EHPAD juste parce que je n’ai pas envie d’y finir mon existence.
Avoir une vie sociale qui serait faite de moments en commun dans une salle de vie commune, pour faire passer le temps.


Et là-bas, attendre la visite mensuelle de mon médecin.


En espérant qu’il aura un peu le temps de m’écouter.


Même si je risquerai de voir, au fond de ses yeux une forme de terreur beaucoup trop familière. Continuer la lecture

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Spoilers saison 2

Oui je sais, je n’ai toujours pas fini cette saison 1 dont vous attendez le dénouement avec impatience.

Alors je me permet de vous mettre l’eau à la bouche :

Les événements que je relate ici sont en partie de la fiction inspirée de faits réels (cf mon premier post) qui me sont arrivés l’année dernière. Depuis, de nombreuses choses me sont arrivées dans ma vie et qui retarde la rédaction du Continuer la lecture

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La rencontre

 Juste une photo, la suite plus tard. 
Plein d’émotions, trop peut-être, 
je récupère.

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Un Samedi à l’anis

C’est un peu la fête cette réunion de famille. Ça grouille de cousins-cousines, de beaux frères qui ne se sont pas vus depuis plusieurs années, d’oncles et tantes qui tapent sur la tête des chérubins qui ont encore grandi. Il y a des bruits de couvercles de casseroles qu’on soulève pour touiller et humer, des […] Continuer la lecture

Publié dans anis, Antécédents, ATCD, cuisine, deuil, enfance, enterrement, famille, grand-père, téléphone | Commentaires fermés sur Un Samedi à l’anis

Vieux

« La vieillesse n’est pas une maladie. » Cet axiome, je ne l’ai entendu qu’une fois ou deux, dans ma scolarité. Ou pendant mes stages, mes premiers remplas. Ou en entendant discuter des médecins. Ou des piliers de comptoir. Je ne sais pas.

Mais il m’a marqué.

Et cette phrase, pour moi, est devenue une litanie.

On ne guérit pas du vieillissement : ce n’est pas une maladie.

On ne prévient pas le vieillissement : ce n’est pas une maladie.

Mais la vieillesse est souvent le prétexte à une démission, lorsque je déroule un fil diagnostique, passant, étape après étape, les hypothèses les plus évidentes, pour m’acheminer vers la complexité.

« Oh, vous savez, docteur, il est vieux« .

Entendez : « ne vous cassez pas le bol, ça ne sert à rien, de toute façon, il est vieux, il vaut mieux le piquer. »

OK, il est vieux. Mais alors, pourquoi me l’avez-vous amené ? Pour que je mette un nom médical sur sa vieillitude, genre SVC ?

– Oh, madame, vous savez, c’est un SVC, et même, sans doute, un SVCEN (en anglais : ODSEN).
– Un SVCEN, oh non docteur ?
– Et si. Ca pourrait même être un SDC.
– Un SDC !! Alors… on l’euthanasie ?

Parce que voilà, on veut un bon argument médical pour déculpabiliser d’en avoir assez, pour se faire entendre dire, que, oui, ça suffit ? Pour que quelqu’un d’autre décide ? Moi ?

Remarquez, j’exagère. Parfois, le constat « mais est-ce qu’il n’est pas tout simplement vieux ? » est parfaitement sincère. Cette sincérité étonnée, je la rencontre en général avec les plus jeunes de mes clients. Ils ou elles ont 18, 20 ans, et ils n’ont pas encore eu besoin de se demander, très personnellement, si la vieillesse était autre chose qu’une maladie inéluctablement incurable.

Parfois, la demande d’euthanasie est parfaitement assumée. Reste à en discuter, même si certains ne viennent pas pour discuter.

Et parfois – moins qu’avant – c’est le véto qui se fend d’un « boah, vous savez, il est vieux, alors on va le piquer hein ». Ma première euthanasie, c’était ça. J’étais stagiaire, quatrième année, et le (vieux) vétérinaire a reçu ces personnes âgées. Il a flairé le pyomètre de cette vieille golden, lui, le véto à vaches. Il l’a prouvé d’un coup d’échographe. Et puis il a énoncé sa sentence. « Elle est vieille. Fourrure, tu t’occupes de l’euthanasie. » Je ne l’ai pas remis en question, le maître. Les gens ont été impassibles. Pas de larmes, pas de mots, ils s’y attendaient, je suppose. Surtout : ils n’attendaient pas autre chose. Moi non plus ? Moi, j’ai euthanasié la chienne, avec la certitude zélée de l’élève paralysé par le respect. Quel con. Évidemment, même si on avait discuté chirurgie, même si, même si, ça aurait sans doute fini pareil. Peut-être. Peut-être pas.
Nous ne sommes pas là pour décider à la place de nos clients. Nous pouvons avoir tort. Une cliente me reproche tous les trois mois d’avoir voulu, il y a deux ans, euthanasier son chat au taux de créat’ délirant. Qui vit encore très bien sa vie de papy. Nous pouvons aller trop vite. Et puis, il y a cette routine qui nous encroûte, tous. Cette habituation, cette acceptation de la souffrance, cette certitude : de toute façon, on sait bien comment ça va finir. Autant abréger.

Non.

Ça ne marche pas comme ça. Parce que le chien, ou le chat, ben il est vieux, certes. Pas besoin d’un véto pour lire une date de naissance et calculer un âge. Mais le chien, il ne serait pas un peu cardiaque ? Le chat, beaucoup hyperthyroïdien ? Diabétique ? Ou plus simplement perclus d’arthrose ? Une hernie discale ? Un pyomètre ? Un hémangiome ? Une bonne vieille pyodémodécie des familles ?

Ah ben oui, il pue. Il est sale. Il bouge lentement. Mais, bordel, si on lui collait des anti-inflammatoires, il pourrait pas bouger plus vite ? Se remettre à remuer la queue avec un enthousiasme spontané ? Ou recommencer à dévorer ses gamelles, avec appétit ?

Comme avant.

Avant qu’il soit vieux, avant qu’il ne soit plus le compagnon que vous aviez choisi, celui qui pouvait faire des balades, celui qui jouait à la balle, celui qui venait ronronner dans le lit après avoir chopé quelques souris. Avant qu’un matin, soudain, vous réalisiez que, ça y est, il est vieux. Et qu’il doit souffrir, le pauvre, et qu’il n’y a plus rien à faire, alors, on va l’emmener chez le véto, qui va diagnostiquer un Syndrome du Vieux Chien (ou Chat), de préférence dans sa variante Euthanasie-Nécessitante, ou un Syndrome de Décrépitude Chronique. Comme ça on l’aura même amené chez le véto, on l’aura fait soigner, il n’aura rien pu faire, et on passera à autre chose. Facile.

Mais.

Non.

Alors, des fois, oui. Parce qu’il y a des maladies trop lourdes à soigner, ou juste pas soignables. Parce que, oui, l’âge est une excuse valable pour éviter certaines procédures médicales, lorsque le bénéfice est faible et le risque, ou les inconvénients, élevés. Je suis d’accord : imposer une mammectomie totale et une chimio à la doxo à une chienne avec des tumeurs mammaires métastasées de partout, dont l’espérance de vie se compte en jours, ou en semaines pour les plus optimistes, c’est plus que discutable.

Parce que lorsque l’insuffisance rénale chronique arrive à son terme, il faut savoir aider l’urémique en souffrance à partir.

Les plus observateurs parmi vous remarqueront que, bordel, si le vieux avait été amené avant, on aurait pu mieux l’aider. Était-il nécessaire d’attendre qu’il se paralyse pour se soucier de son arthrose ? N’aurait-on pas pu gérer son diabète avant qu’il ne vire à l’acido-cétose délirante ? N’y avait-il pas des signes d’appel ? Après tout, depuis combien de temps avait-il du mal à se lever, à monter dans la voiture, à sauter sur le canapé ? Depuis combien de temps maigrissait-elle tout en mangeant comme quatre et en descendant dix fois plus d’eau qu’avant ?

Bien sûr, vous avez raison. On aurait pu faire du bon boulot, plus tôt. Et souvent j’hérite de situations effectivement irrécupérables qui auraient pu être évitées, ou sérieusement retardées. Et trop souvent, je n’ai pas le choix, entre une agonie mal gérée (parce que nous n’avons pas accès à assez de soins palliatifs, pour moult raisons), et une euthanasie.

Mon discours n’est pas : « il ne faut pas tenir compte de l’âge de l’animal ». Bien entendu : il faut en tenir compte, mais la vieillesse ne doit pas être une excuse ou un prétexte. Elle diminue les défenses de l’organisme, elle diminue les capacités de cicatrisation, de récupération, elle implique indirectement tout un tas de maladies qui, misent bout à bout, rendent nombre de prises en charge irréalistes.

Une ovario-hystérectomie sur un pyomètre, ce n’est pas irréaliste; Une mammectomie, même une, voire deux chaînes complètes, ce n’est pas délirant s’il n’y a pas de métastases. Une cardio-myopathie dilatée avec tachycardie paroxystique, ça se traite. Pas dix ans, mais quand même. Une arthrose douloureuse, une hernie discale avec début de perte de proprioception, ça se gère. Même un cancer incurable, ça peut se gérer.

Bien sûr, les critères financiers comptent. Le vétérinaire, ça peut vite coûter très cher. Mais la vieillesse ne doit pas être un maquillage pour des problèmes d’argent : ceux-ci doivent être envisagés pour ce qu’ils sont. Et il faut parfois – souvent ? – admettre qu’ils ne peuvent être surmontés.

Il faut aussi prendre en compte la volonté des propriétaires du chien ou du chat. Imposer une prise en charge, ça ne marche pas. Si refuser l’euthanasie aboutit à condamner le chien ou le chat à agoniser dans un coin de la cour, c’est nul.

Parce que c’est ça, mon boulot, et les bonnes âmes ne devraient pas trop vite l’oublier. Il est facile de s’indigner. Facile de juger, de reprocher aux gens de n’avoir pas mieux fait. Facile de refuser d’admettre les contraintes financières. De blâmer alternativement le véto, le maître et/ou le système capitaliste. Moi, mon problème, c’est de trouver, pour l’animal, les solutions les meilleures aux situations dont j’hérite. Par ailleurs, culpabiliser le propriétaire négligent est rarement constructif, au contraire. Le braquer, c’est le meilleur moyen de faire perdre ses chances à son animal.

Les incantations et les reproches, ça n’a jamais soigné personne.

Bien sûr, j’euthanasie, mais plus tellement des vieux. Maintenant, j’euthanasie plutôt des malades pour lesquels je n’ai pas d’alternative acceptable.

Beaucoup sont vieux.

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Inertie clinique, inertie thérapeutique et résistance au changement

L’inertie clinique et l’inertie thérapeutique sont-elles toujours néfastes pour le patient ? Pas si sûr. Il peut s’agir d’une forme de résistance contre des injonctions fondées sur des éléments non scientifiques.


Désinformation

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Le travail, c’est la santé

À la tête qu’elle fait en salle d’attente, je sais déjà qu’elle ne vient pas pour une angine ou sa contraception. Ses yeux sont rivés sur ses chaussures, et quand elle les lève vers moi quand je viens chercher le patient suivant, elle ressemble à un animal pris dans les phares d’une voiture, en pleine […] Continuer la lecture

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Crépuscule

Il y a des choses que je n’aime pas en médecine, ou plutôt avec lesquelles je ne suis pas à l’aise.

Parmi elles, bien en tête du peloton, ces moments où, alors que le patient nous parle de symptômes qu’il pense anodins, on comprend vite que se joue en réalité quelque chose de grave . On comprend soudainement que sa vie va basculer imminement et que l’on contribuera à lui porter cette nouvelle.

Généralement il ne se doute de rien, ou si peu, et il y a quelque chose de quasi obscène à savoir sans rien dire. Comme si l’on surprenait un vilain petit secret qu’il aurait préféré garder caché.

 

Un soir aux urgences, je m’occupe enfin de Soeur T. qui attendait depuis maintenant plusieurs heures sur son brancard, le drap comiquement rabattu sur le sommet de son crâne pour mimer la coiffe dont l’infirmière d’accueil l’avait délestée. A côté d’elle une de ses soeurs, debout sans broncher, dans sa tenue claire. Elles étaient calmes, toutes deux. Celle debout tenait en main un scanner, passé « en ville », à la suite duquel le radiologue l’avait envoyé aux urgences.

Je les ai installées dans un box, et l’accompagnante m’a expliqué, la chirurgie récente, il y a quelques mois, l’embolie pulmonaire au décourt, alors que soeur T avait « toujours été un roc », les troubles mnésiques depuis quelques années. J’ai soigneusement rempli la case antécédents du logiciel des urgences, sans bien voir le lien avec le scanner cérébral qu’elle me tendait.

Elle m’a enfin raconté les maux de tête depuis quelques semaines, de plus en plus violents. Soeur T, m’a expliqué que le matin, vraiment c’était pire. Que parfois elle était surprise par des gens arrivant par sa gauche, comme si elle « voyait moins bien par là », la marche plus pénible depuis peu. Elles m’ont dit les traitements symptômatiques qui ne marchaient plus, le médecin traitant finissant par prescrire le scanner, la panique du radiologue, le taxi qu’elles avaient pris « exceptionellement » pour venir aux urgences.

 

Le compte rendu du radiologue évoquait un AVC postérieur, mais n’ayant pu injecter le scanner ne se prononçait pas plus. J’ai silencieusement regardé les planches fournies. Vu avec consternation un volumineux oedème vasogénique. Deviné la masse en dessous.

 

Toutes deux me regardaient. Soeur T a bougoné car tout cela était beaucoup d’agitation pour rien, et qu’à 86ans elle avait le droit de moins bien marcher. J’ai rangé les planches en la prévenant que j’allais devoir l’examiner. En douceur, avec son accompagnante, nous avons enlevé les nombreuses couches de son habit, et les sous-couches de vieille femme frileuse, plus nombreuses encore. J’ai plaisanté à ce sujet pendant que l’accompagnante levait les yeux au ciel en riant. J’ai essayé de toutes mes forces de ne pas penser à ma grand mère.

 

J’ai retrouvé comme attendu une « belle » HLH gauche, et des troubles sensitifs. Je ne l’ai pas faite marcher car elle était fatiguée, qu’il était déjà tard, et que, vu le scanner je savais déjà ce que j’allais trouver.

Avec un sourire je lui ai dit que nous allions l’hospitaliser, et j’ai conseillé à sa soeur de partir. Alors que je la racompagnais à l’accueil, celle ci m’a dit qu’elle se doutait bien que ce n’était « pas très bon » mais qu’elle espérait qu’on puisse aider Soeur T. à moins souffrir de la tête.

 

Dans la soirée, mes compléments d’examens ont confirmé le diagnostic de tumeur. J’étais plutôt triste d’avoir eu raison contre l’interprétation du radiologue. Soeur T. n’a posé aucune question, alors je n’ai rien dit. Elle était simplement soulagée de savoir qu’elle aurait une chambre cette nuit.

 

En regardant les étoiles pâlir, au petit matin, un café à la main, je repensais à elle. Je me demandais ce qu’elle pouvait ressentir, elle, née entre deux guerres, dans une france bien différente de la notre. Elle qui avait du prononcer ces voeux à une époque où la place des religieuses dans la société était peut être plus évidente. Je me suis demandé ce que cela faisait de vieillir dans un environement figé, alors que dehors tout galopait. De ne sortir que rarement et, soudainement, se retrouver dans l’agitation des urgences d’un hôpital. J’ai espéré ne pas lui avoir fait de peine en l’appellant Madame. J’ai espéré qu’elle était en train de dormir, et que les antalgiques était efficaces.

 

Je me suis demandé si à l’heure du crépuscule, ses choix de vie l’aideraient. Si des peurs et regrets reviendraient la hanter, ou si sa foi l’aiderait à être sereine.

J’ai espéré que ce serait le cas. Que ça irait vite. Et l’indécence qu’il y avait à espérer une mort paisible pour une patiente ne se sachant pas encore malade m’a heurté.

 

Le café et le fond de l’air étaient froids, alors je suis rentrée.

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Crépuscule

Il y a des choses que je n’aime pas en médecine, ou plutôt avec lesquelles je ne suis pas à l’aise. Parmi elles, bien en tête du peloton, ces moments où, alors que le patient nous parle de symptômes qu’il pense anodins, on comprend vite que se joue en réalité quelque chose de grave . On[…] Continuer la lecture

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Bons baisers de Trou-Paumé-sur-Cambrousse!

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J’admire le travail qui est fait par les généralistes de ces zones isolées. 
Ils font un boulot de malade. Et il en faut de la rigueur et du courage pour continuer au jour le jour à faire du bon boulot, à se tenir aux recos, à s’informer, tout ça, quand on est au fin fond de TrouPaumé.
Ecoutez-les, ces médecins. Ce sont les mieux placés pour parler de LEUR pratique et pour dire ce dont ils ont besoin (oui, je sais, de confrères!).

Pour une autre vision de la pratique en zone isolée, je ne peux que vous conseiller la lecture de l’excellent blog de notre confrère Médecin de montagne

(1) Une zone blanche, suivant ce groupe de travail d’une DRASS, c’est une zone à plus de 30 minutes d’un lieu de prise en charge des urgences et d’un SMUR.
(2) Vous pouvez trouver une partie de son intervention ici

Et sinon pour terminer ce post sur une note joyeuse et ô combien TrouPaumé-esque, ruez-vous en librairie pour vous offrir le beau livre du Dr Borée! C’est intelligent, rigoureux, humain, avec de vrais morceaux de Cambrousse dedans!

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Attendre

J’attends. Dans moins de trois semaines Georges sera là. Le lit est prêt, les affaires aussi, on peaufine les derniers détails. Les beaux-parents sont rentrés de vacances, soulagés que je n’aie pas lâchement profité de leur absence pour accoucher. Je suis fatiguée, je dors beaucoup. Plus d’énergie pour rien. Je me contente de regarder mon ventre bouger tout seul, de lire et de finir de tricoter une petite couverture. Le ménage, les repas, je laisse ça à mon mari. J’essaie d’emmagasiner du temps de repos tant que c’est encore possible, dans quelque temps les nuits seront courtes!

Amélie attend, elle regarde mon ventre, le touche, me pose mille et une questions. Elle joue à la poupée, son bébé s’appelle Juliette. Elle a récupéré des pyjamas roses de quand elle était petite, elle est ravie d’habiller Juliette avec. Elle raconte à qui veut l’entendre que « Maman va bientôt accoucher de Georges ». En attendant son petit frère, elle a plein de choses à faire : spectacle de danse, spectacle de cirque, passage du galop 1, spectacle de l’école, kermesse, évaluations nationales… Pas le temps de s’ennuyer!

Georges attend. Ce n’est pas encore le moment, il se fait beau pour le jour J.  Il est un peu petit, certes, mais une chose est sûre, il sera forcément le plus beau! Tête en bas depuis un petit moment, Monsieur est prêt à sortir. Bientôt le premier cri, la première respiration, le premier regard, la première tétée. Bientôt la rencontre, la famille à quatre, comme quand j’étais petite. Le papa, la maman, le fils et la fille. Classique, rassurant, comme dans les pubs à la télé. J’appelle ça la famille Ricoré, il manque juste le chien qui aboie joyeusement au portail et le cliché serait parfait.

Mon père attend. Il attend son petit-fils. Pas question de partir sans qu’ils aient été présentés! Tant mieux, ça nous laisse un sursis. Il attend l’infirmier du matin, l’infirmier du soir, l’aide-soignant du midi. Il attend la fibroscopie, le compte-rendu du dernier examen, le passage du pharmacien. Il attend la visite de la famille, le coup de fil d’un ami. Il attend que je vienne. Et quand je suis là, on attend ensemble. Il somnole, je tricote. De temps en temps il ouvre les yeux, me voit, me sourit. Je souris à mon tour, lui demande si tout va bien, s’il n’a pas trop mal. Il me répond doucement, sa voix a un peu faibli ces derniers temps. Puis il se rendort, je reprends mon tricot, l’après-midi passe ainsi, calmement.

Autour de nous, la vie n’attend pas. Mes ex-collègues me donnent des nouvelles, Monsieur Machin est à l’hôpital, Madame Chose est décédée, Monsieur et Madame Bidule ont demandé quand est-ce que tu revenais. Je ne reviens pas, vous pouvez le leur dire, et s’ils vous demandent pourquoi, répondez ce que vous voulez, je m’en fiche. Ce n’est plus mon problème, je n’ai plus à mentir pour protéger le service, faire semblant que tout va bien, que tout le monde est génial, que j’adore mon métier. Honnêtement, je m’en fiche et même, je m’en fous. Celle qui me remplaçait vient de se faire virer comme une moins que rien, comme ça, pouf pouf. « Celle que vous remplaciez est revenue et a repris ses heures » lui a froidement annoncé la secrétaire quand elle est venue prendre son planning de la semaine. Ben voyons, à huit mois de grossesse! Trop forte cette Babeth vous trouvez pas? Madame Grand-Chef ne l’a même pas reçue elle-même pour le lui annoncer, il faut croire que même pour une chef de service certaines choses sont encore trop difficiles à dire. De toute façon, ce n’est pas moins élégant que de mettre fin au contrat d’une femme enceinte, si?
Mes collègues me racontent tout ça et moi, j’écoute, mais je sens que c’est déjà loin derrière moi. Je souris, je réponds doucement, et je reprends mon tricot. Je fais ma petite vieille, celle qui attend, il me manque juste le fauteuil à bascule et le chat ronronnant sur les genoux.

Georges sera bientôt là, mon père ne sera bientôt plus là, le reste peut bien attendre.

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C’était un jeudi

-NATALIA ! NATALIIIIA ! Son cœur s’emballe lorsque Natalia comprend  que son père l’appelle du haut de la balustrade et qu’il l‘observe. Il a sûrement compris qu’elle est en train de faire une grosse bêtise…Maintenant, elle craint d’aller le retrouver. Au départ, elle pensait juste observer les centaines de têtards nageotant en tous sens dans la petite […] Continuer la lecture

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Se préparer au pire en environnement virtuel

Vingt-cinq médecins et soignants ont participé le 14 Juin 2012 à un exercice de "médecine de catastrophe" un peu particulier dans le cadre d’une formation diplômante (1). Le traditionnel jeu de rôle grandeur nature avait été remplacé par une immersion dans un environnement virtuel multi-utilisateur en ligne.

Ce dernier est composé d’une partie persistante comportant des infrastructures Continuer la lecture

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Ces petits riens

Je râle, je râle, je sais. Et j’en oublie l’essentiel sur ce blog. Ces petites choses qui font de mon métier quelque chose d’exceptionnel. Être kiné, ce n’est pas forcément exercer le meilleur métier du monde. Parce qu’il y a un meilleur métier du monde propre à chacun.
Je ne sauve pas de vies. Quand je dis que je suis kiné, les gens ne restent pas bouche-bées, hyper-respectueux comme devant un médecin qui n’aurait pas le profil type. Non, souvent, on me tend une fesse en disant « ça me fait penser, j’ai mal, là ». C’est nettement moins glamour, je sais.
Je ne fais pas de grands miracles. Mais tous les jours, j’en fais plein, de tous petits mais plein quand même. Être kiné, ça vous change un homme. Ou une gamine en l’occurrence. Mes petites mamies ne courent pas le marathon, mais jour après jour, on avance. Un pas, deux, puis dix, vingt. Les escaliers et puis le grand jour, le retour, aussi fort en émotions que mes larmes de crocodile à 5 ans quand j’ai compris qu’E.T. rentrait chez lui.
Mon patient paraplégique ne marchera plus, même si je claque des doigts en y croyant très fort. Mais si lui et moi on y croit, il devrait pouvoir se déplacer tout seul. C’est con hein, on ne parle pas de ça dans les journaux et pourtant, pourtant, pour lui, c’est un miracle.
Le progrès ce n’est pas QUE traiter une super tumeur avec un super laser ou dégommer la cellulite à 3€/minutes. Faire sourire un patient triste, c’est progresser, beaucoup. J’ai commencé en espérant « sauver » des vies, j’aurais pu attendre longtemps. La frustration s’installe vite et un kiné frustré, ça ne fait pas beaucoup de merveilles. 
Au début, je mentais. Parce que s’effondrer après trois pas, oui Madame, ça craint, enfin c’est ce que je croyais. Pour moi, qui suis valide et gravement hypochondriaque. Et puis j’ai grandi, j’ai appris. Trois pas, pour moi ce n’est rien. Mais trois pas, à 8,7g/l d’hémoglobine, 95 ans, 72h d’alitement et une prothèse de hanche, c’est un miracle. Trois pas, c’est mieux que les deux d’hier. Moins bien que les dix de dimanche mais vous avez fait une embolie pulmonaire entre temps. Une petite hein ! 
La dernière photo de cette image se veut dégradante. Pour moi, elle ne l’est pas. Parce que je sais qu’un monsieur qui marche entre deux kinés, c’est un monsieur qui lutte. Pour faire des miracles. 
Je ne suis pas très douée en technique pure. La P1 m’a grillé un morceau de l’esprit, ma mémoire est plus sélective, quand je ne pratique pas, j’oublie. Il y a beaucoup de choses que je ne sais pas faire. Je suis incapable de traiter correctement une tendinopathie, même une petite. J’ai scrupuleusement oublié l’anatomie des spinaux profond et la biomécanique de l’épaule. Je ne sais plus ça sert à quelque chose de travailler les volumes sur un patient trachéotomisé en VACI. Parfois j’ai honte et en même temps j’ai découvert autre chose, l’essentiel à mon goût. L’humain.
         Et comme Julie Andrews, quand je déprime, je repense à toutes ces petites merveilles qui font mon quotidien. Et je souris.
       Voir ce bébé téter goulûment après la séance de kiné respiratoire et le regard éperdument reconnaissant de sa maman, primipare et terriblement angoissée de n’avoir pu le nourrir « comme il faut » ces trois derniers jours.
Rencontrer Suzanne 94 ans, 100% autonome à domicile qui ne regrette pas d’avoir couru pour rattraper le chat mais qui se serait bien passé de cette « petite chute » avec fracture de cheville.
Prendre le temps de dire oui à un patient en fin de vie qui se demande « s’il ne pourrait pas avoir un petit massage si je ne suis pas trop occupé bien sûr, parce que dans le cou, ça fait un peu mal ». Le faire de bon cœur, sereinement.
Se battre avec Marjorie 32 ans pour qu’elle puisse enfin se passer du bassin, lui dire que je la comprend et de ne pas pleurer quand enfin elle y parvient.
Regarder Robert droit dans les yeux et lui dire que je ne le félicite pas juste pour lui faire plaisir, que je ne mens jamais moi monsieur et qu’après trois mois de réanimation, ces dix-huit pas que vous venez de faire sont extraordinaires.
Sentir monter une petite larme quand Gaétan, 30 ans, SEP très évoluée reçoit son tout premier fauteuil électrique, se débrouille comme un chef avec le joystick et sors respirer l’air du dehors pour la première fois depuis 6 mois.
Dire à Sandrine qu’on va aller marcher avec des chaussons en plastique parce qu’à J3 d’une prothèse totale de genou, ses escarpins à talons sont quelque peu inappropriés.
Admirer Bernard 84 ans me ressortir à l’identique un lundi matin tous les exercices montrés le vendredi précédent et à travailler dans le week-end.
Montrer à Angéline combien le couloir de l’hôpital est bien plus beau quand on s’y promène à pied qu’après trois semaines de trimballage intempestif en lit.
Voir le plaisir dans les yeux de Renée 82 ans quand je lui fais remarquer qu’elle a des jambes de jeune fille, plus douces que les miennes, la vilaine.
Chanter un vieux refrain dans le couloir et m’entendre dire combien c’est bon de voir enfin quelqu’un de bonne humeur dans cet hôpital morose.
 To be continued…


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Radio!

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Oyez, oyez! J’ai donc eu le grand honneur et plaisir d’être invitée sur France Culture avec Dominique Dupagne et Fluorette pour parler de la communauté des médecins blogueurs, dans l’émission Place de la Toile réalisée par Xavier de la Porte. L’émission est diffusée aujourd’hui à 18h10 et sera disponible en podcast sur le site : Place De La Toile
Dominique et Fluorette ont été parfaits, je n’ai pas franchement fait d’étincelle (ahem), mais enfin on a essayé de rendre justice à notre communauté si riche de soignants 2.0.

Un petit dessin souvenir parce que bien évidemment j’étais excitée comme une gamine devant et dans les locaux de Radio France, et que j’ai fait des photos partout. Voir Xavier de la Porte et son équipe lancer les jingles, les casques sur nos oreilles, les micros colorés, c’était juste extra 🙂 Un grand merci à eux pour leur accueil et l’initiative de cette émission!

Ya plus qu’à espérer que ça vous plaise… Continuer la lecture

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TROUSSE D’URGENCE

Mémento du matériel indispensable à la prise en charge des urgences tout venant afin de pouvoir sauver des vies en toute sérénité. Un stylo, indispensable pour : noter l’adresse d’intervention, réaliser une trachéotomie artisanale (vu à la TV, Urgences), jouer avec pour lutter contre la somnolence quand Thérèse nous décrit en détails les étapes de […] Continuer la lecture

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EXAMEN CLINIQUE

Je m’assieds en face de toi. Tu es silencieux. Si je me penche vers toi, tu tangues imperceptiblement. Et c’est presque le nez collé à toi que mon œil droit peut examiner son reflet. Mon insistance ne te perturbe aucunement. Je te scrute, et toi tu ne te doutes pas de ce qui se cache […] Continuer la lecture

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Stériliser sa chienne ou sa chatte

La peluche vient de recevoir sa seconde injection de primo-vaccination. Nous discutons alimentation, et un peu éducation. Je pose la question de la stérilisation.
– Ah oui docteur, on va la faire opérer hein, quand elle aura fait sa première portée.
– Ah, vous voulez une portée ?
– Oh oui docteur, comme ça elle sera heureuse.
– Mmh vous savez, ce n’est pas d’avoir une portée qui la rendra, ou pas, heureuse. Vous avez réfléchi à ce que vous ferez des chiots ?
– On lui en laissera un, parce que sur le bon coin, c’est difficile de les vendre.
– Donc vous allez tuer les autres ?
– On vous les apportera quand ils seront tout petits.
– Et vos faites ça pour qu’elle soit heureuse ?

Je veux dire : anthropomorphisme pour anthropomorphisme, soyons au moins cohérents.

Notez que ça marche avec plein de variantes :
On lui laissera faire une fois des chaleurs.
Une portée, mais on ne garde aucun petit.
Ce serait mieux si on la faisait saillir puis avorter ?

Cela fait des années que j’entends ce genre de choses. J’anticipe de plus en plus, amène la conversation sur le sujet le plus tôt possible, dès la première consultation de primo-vaccination, en indiquant sans insister qu’on en reparlera le mois prochain – histoire de forcer les gens à y réfléchir un minimum.

J’ai appris à ne plus énoncer ma science en me réfugiant dans mes scolaires certitudes. J’ai appris à ne pas donner l’impression d’être un maniaque de la stérilisation. Je fais attention aussi à ne pas avoir l’air vouloir opérer « juste pour faire de l’argent ». D’ailleurs, quand je devine le soupçon dans le regard de mon interlocuteur, un calcul rapide de ce que me rapportent les problèmes de reproduction le dissipe assez efficacement. On y reviendra.

Mais de quoi parle-t-on ?

Aujourd’hui, on parle des filles. J’ai déjà abordé le devenir des testicules dans un précédent billet, je ne reviens pas dessus. Je ne vais pas reprendre certains éléments, qui restent pertinents dans le cadre de la stérilisation des femelles. Je vais me concentrer sur les chiennes et les chattes.

Chez la chienne, la puberté (le moment où l’animal devient apte à se reproduire) survient entre 5 et 18 mois. En général, plus c’est une chienne de grand gabarit, plus la puberté est tardive. 5-6 pour une chienne de 5-10 kg, 18 mois pour une Saint-Bernard. Évidemment, c’est complètement approximatif, et il y a des tonnes de contre-exemple. Mais ça vous donne une idée. C’est d’ailleurs assez spectaculaire pour les plus précoces, les propriétaires ne s’étant pas encore habitués à leur petit bébé boule de poil qu’elle est déjà enceinte.

Les chattes sont plus compliquées : leur puberté survient en général vers 4-6 mois, mais le déclenchement des cycles sexuels est saisonnier. En gros : de janvier à septembre. Plus que l’âge, je regarde la période de l’année (quel âge aura-t-elle en janvier si elle est née en été/automne, quel âge aura-t-elle en automne si elle est née au printemps ?).

Un cycle sexuel canin dure 6-7 mois, en moyenne. Disons deux périodes de chaleurs (on dit œstrus quand on veut être précis) par an. Gestation ou pas, cette durée ne varie pas, ou peu. Selon les races, les portées comptent de deux à quinze petits. Voire plus.

Le cycle sexuel de la chatte est un véritable foutoir. Sans saillie, une chatte est généralement en chaleur pendant une semaine toutes les deux semaines. La gestation dure environ deux mois, pour deux à six chatons en général. Trois portées par an, avec les filles de la première portée qui mettent bas en même temps que la troisième portée de leur mère, pas de problème.

Elle veut des bébés ?

Pour les gros malins du fond qui font des blagues sur les salopes en chaleur : les chaleurs, ce n’est pas un choix de la part de la femelle. A aucun moment. Lorsque le cycle en arrive là, les décharges hormonales poussent la femelle à chercher le mâle. Elle part « en chasse », comme on dit. Pas parce qu’elle en a envie, ou qu’elle veut se faire plaisir, ou parce qu’elle sera heureuse avec des bébés. Non : parce que ses cycles l’y obligent. Et les mâles ne sailliront pas pour le plaisir, ou par choix. S’ils vont se foutre sur la gueule pour la femelle en chaleur, c’est parce qu’ils sont en rut, à cause des phéromones produites par la femelle. On ne parle donc pas de plaisir, de désir d’enfant, ou de toutes ces choses qui font la complexité de notre humanité. Je sais que des commentateurs vont encore me faire le coup de « mais les humains aussi marchent aux phéromones ». Non. Les phéromones ne dictent pas notre conduite, ne nous forcent pas à accomplir des actes instinctifs. Qu’elles aient une action dans le désir et la séduction, admettons. Mais je n’ai jamais vu de femme en train de se rouler sur le dos dans la rue en espérant que tous les badauds du quartier la sailliront en montrant leurs pectoraux virils.

Tiens, dans la Paille dans l’œil de Dieu, de Larry Niven, il y a un abord très intéressant d’une civilisation intelligente soumise à un impératif de reproduction.

La chirurgie

Chienne ou chatte, le principe est le même : une incision cutanée, soit sur la ligne blanche (c’est la ligne verticale qui prolonge le sternum, passe sur le nombril et arrive au pubis) près du nombril, soit sur les flancs (dans le creux en arrière des côtes et sous les lombes). Incision musculaire en dessous, on ouvre le « sac abdominal » plus précisément nommé péritoine, et là, on se trouve dans le ventre : on voit les intestins, l’estomac, la vessie, le foie, les reins, et les ovaires et l’utérus.

Les ovaires, ce sont les couilles des filles : ayant meilleur goût que les garçons, elle se passent du scrotum et cachent leurs affaires près des reins, près de la colonne vertébrale. Tout au fond.

L’utérus, c’est un tuyau qui ressemble à un Y. Au bout de chaque bras du Y (on appelle ça les cornes), il y a un ovaire. En bas du Y, il y a le col de l’utérus, qui sépare l’utérus des parties qui intéressent plus le mâle moyen, en tout cas humain : le vagin, puis le vestibule et la vulve. C’est dans l’utérus que se passe la gestation.

Quand on stérilise une chienne ou une chatte, on réalise une ovariectomie (ovari- pour les ovaires, -ectomie pour enlever). Une ligature ou deux sur le pied qui apporte le sang à l’ovaire, une ligature sur le bout du bras du Y, et hop. Je passe sur les détails.

On peut également pratiquer une hystérectomie : on enlève l’utérus. C’est un poil plus lourd. Et dans ce cas on enlève aussi les ovaires, c’est donc en réalité une ovario-hystérectomie. Mêmes ligatures sur les pédicules ovariens, mais on enlève l’utérus tout en laissant le vagin.

Vous pouvez employer le mot castration, qui est le terme courant pour la chirurgie consistant à enlever les gonades (une gonade, c’est le terme générique pour les ovaires et les testicules). En pratique, l’usage consacre plutôt le mot castration à l’orchiectomie, c’est à dire la castration des mâles.

Ce sont des opérations courantes. Pas anodines, mais pratiquées tous les jours ou presque par tous les vétérinaires. Les complications chirurgicales sont rares, et consistent essentiellement en des hémorragies au niveau du pédicule ovarien, pénibles mais pas très graves : il suffit de rechoper ce foutu pédicule (c’est simple, dis comme ça, mais en fait c’est super casse-gonade) et de refaire une ligature. Stress maximum pour tous les chirurgiens débutants, surtout sur les grasses.

En pratique, chez la plupart des vétérinaires : vous amenez votre chienne ou votre chatte le matin, vous la récupérez le soir. Elle sera debout, un poil dans le gaz, et prête à faire comme si de rien n’était, en dehors de ce pansement et/ou de ces sutures qui grattent et qu’elle aimerait bien arracher. Elle aura sans doute une collerette. Elle aura peut-être des antibiotiques et des anti-inflammatoires à prendre quelques jours.

Choix chirurgical

Ovario, ou ovario-hystérectomie ?

A ma connaissance, la plupart des vétérinaires français pratiquent en priorité, sur les jeunes animaux non pubères ou à peine pubères, une ovariectomie simple. Les manuels américains semblent privilégier l’ovario-hystérectomie, mais les publications que j’ai trouvées semblent plutôt en faveur de nos habitudes (notamment van Goethem & al., 2006).

En pratique, surtout sur les jeunes chattes qui risquent d’être pleines, c’est surprise à l’ouverture : s’il y a une gestation visible, on enlève l’utérus, sinon on le laisse. Note aux ASV : bien penser à prévenir avant les propriétaires des animaux que le prix ne sera, du coup, pas le même, ça évite des crises à l’accueil, surtout avec ces charmants clients qui téléphonent d’abord à toutes les cliniques de la région pour choisir la moins chère pour opérer minette.

Par les flancs, ou par la ligne blanche ?

Sur les jeunes chiennes, je propose les deux. Si j’ai un doute sur une gestation, c’est ligne blanche (on ne peut pas faire d’hystérectomie par les flancs). je n’ai pas de préférence forte, je laisse choisir les gens, surtout sur des critères esthétiques. Je trouve que la récupération post-op’ est un poil meilleure en passant par les flancs, mais ce n’est pas essentiel.

A quel âge pratiquer la stérilisation ?

Le discours classique, c’est : avant les premières chaleurs, au plus tard entre les premières et secondes chaleurs. Pas pendant les chaleurs. Et pourquoi pas sur des animaux très jeunes. Cette chirurgie peut bien entendu être pratiquée sur des animaux plus âgés, ayant déjà eu, ou non, des portées. Rien n’empêche de stériliser une chienne ou une chatte de dix ans. Ou quinze.

La stérilisation très précoce (vers trois mois) ne semble pas augmenter le risque d’apparition d’effets indésirables (je reviendrai sur ces derniers plus bas). Elle possède d’indéniable avantages pratiques, Dr Housecat est vétérinaire et éleveur de chats, il vous explique ici pourquoi il la pratique.

Les avantages de la stérilisation

Les chaleurs

Si votre chatte est ovariectomisée, elle ne miaulera pas comme une perdue pendant une semaine toutes les deux trois semaines pendant 6 mois. Elle ne vous fera pas deux ou trois portées de chatons dont vous ne saurez que faire. Elle n’attirera pas tous les matous du quartier qui viendraient hurler tels des métalleux décidés à expérimenter la sérénade au balcon. Qui du coup ne se sentiront pas obligés de se foutre sur la gueule sous vos fenêtres, voire dans votre maison, si ils arrivent à rentrer. Ils éviteront aussi, du coup, de devenir castagner votre gentil chat castré qui ne demandait rien à personne et se demandait bien pourquoi sa copine s’était ainsi transformer en furie.

Si votre chienne est stérilisée, elle n’aura pas, deux fois par an, ses chaleurs, et tous les chiens du coin ne viendront pas creuser des trous dans votre jardin et pisser sur le pas de votre porte. Vous pourrez vous promener avec elle dans la rue sans avoir l’impression de refaire les 101 dalmatiens. Il n’y aura pas de gouttes de sang sur vos tapis. Mais vous ne pourrez pas lui mettre ces culottes super sexy. Ou alors juste pour le plaisir.

Une chienne ou une chatte stérilisée n’a plus de chaleurs. C’est le but.

Et pas de bébé, du coup.

Les tumeurs mammaires

C’est, en termes de santé, l’argument majeur poussant à la stérilisation précoce des chiennes et des chattes. Pour le dire simplement : le développement des tumeurs mammaires est lié au développement et à l’activité du tissu mammaire. Pas de puberté, pas de cycle sexuel, beaucoup moins de tumeurs mammaires.

Les chiffres sont spectaculaires : le risque de développer les tumeurs mammaires est diminué de 99.5% lorsqu’une chienne est stérilisée avant ses premières chaleurs. Le résultat est presque aussi bon si la chirurgie a lieu entre les premières et les seconde chaleurs. Ensuite, stériliser présente toujours un intérêt, mais moindre. En sachant que les tumeurs mammaires sont le cancer n°1 de la chienne, et le cancer n°3 de la chatte, que les tumeurs sont malignes dans 50% des cas chez les chiennes et plus de 90% des cas chez les chattes, ce seul avantage en termes de prévention justifie la stérilisation.

En passant, concernant les tumeurs ovariennes : elles sont rares, mais évidemment, le risque devient nul après chirurgie.

Les infections utérines

Le pyomètre, littéralement, c’est l’utérus qui se transforme en sac de pus. C’est une infection assez fréquente chez les chiennes âgées, qui passe longtemps inaperçue (pas de perte, ou pertes avalées par la chienne qui se lèche la vulve avant de vous faire un bisou sur le nez). Le traitement peut être médical, mais le risque de rechute et si élevé que l’ovario-hystérectomie est très fortement conseillée.

Mon record sur une chienne berger allemand est un utérus de 4.2kg. De pus. Et je suis sûr que certains ont fait pire.

Les risques de séquelles sont importants, en accélérant notamment l’apparition d’une insuffisance rénale chronique.

Pas de cycle : pas de pyomètre.

Les maladies sexuellement transmissibles

J’en ai déjà parlé dans le billet sur la castration, c’est un avantage essentiel pour les chattes (moins pour les chiennes).

Les inconvénients de la stérilisation

Les chaleurs

Une chienne ou une chatte stérilisée n’a plus de chaleurs. Donc si vous voulez avec une ou plusieurs portée, quelles que soient vos motivations, il est évident qu’il ne faut pas la faire opérer… j’enfonce une porte ouverte, mais je vous assure que ce n’est pas pour le plaisir, on m’a déjà posé la question. Il ne faut jamais sous-estimer les incompréhensions sur les questions de sexualité et de reproduction. Je suis persuadé que les médecins ont plein d’exemples en tête, rien qu’en me lisant. Mauvaise éducation, tabous, je ne sais pas, mais maintenant, je prépare le terrain.

Il est parfois plus facile pour certaines personnes de noyer des chatons que de parler sexualité animale avec le vétérinaire.

L’obésité

C’est le risque n°1. Oui, les chiennes et chattes stérilisées, comme les mâles, ont un risque d’obésité très supérieur à celui des animaux « entiers ». Comme chez les mâles, une surveillance sérieuse de l’alimentation permet d’éviter ce danger.

L’incontinence urinaire de la chienne castrée

Ça aussi, c’est un risque réel : la force du muscle qui ferme la vessie (le sphincter urétral), dépend en partie de l’imprégnation en œstrogènes, qui sont des hormones fabriquées dans les ovaires. La stérilisation, chez certaines chiennes, provoque un affaiblissement de ce muscle. La chienne, surtout si elle dort et a la vessie pleine, peut « déborder » : ce sont souvent des mictions involontaires de fin de nuit, plus ou moins marquées. Ce ne sont pas des chiennes qui se pissent dessus toute la journée en déambulant dans la maison.

Ce n’est pas grave, mais c’est pénible, et relativement fréquent. Il existe des traitements efficaces pour ce problème.

Les cancers

Quelques études ont soulevé un risque supérieur (x1.5 à x4) d’ostéosarcome, de carcinome transitionnel de la vessie et d’hémangiosarcome chez les chiennes stérilisées. Ces cancers sont relativement rares (beaucoup plus que les tumeurs mammaires), et cette augmentation de risque ne justifie pas d’éviter la chirurgie.

J’insiste sur ce point, car on lit généralement des articles fracassants dans la presse sur des notions proches, et assez mal comprises, du genre :

Si l’incidence des hémangiosarcomes canins est globalement de 0.2% (sur 1000 chiens pris au hasard, 2 ont un hémangiosarcome), une étude a relevé une incidence de 2.2 x 0.2 % soit 0.44% sur les chiennes stérilisées : sur 1000 chiennes stérilisées, 4.4 ont un hémangiosarcome. Je simplifie le raisonnement et évacue la problématique de la « fiabilité » des études, pour que ce soit simple à comprendre.

Si l’incidence des tumeurs mammaires canines est globalement de 3.4% (sur 1000 chiennes prises au hasard, 34 ont des tumeurs mammaires), cette incidence passe à 0.5 % x 3.4 % soit 0.017 % : sur 1000 chiennes stérilisées elles ne sont plus que 0.17 à avoir des tumeurs mammaires…

Voilà pourquoi je dis que l’avantage est incomparable aux inconvénients sur ces risques.

Au sujet des idées à la con, en vrac

Le bonheur et la nature

J’ai déjà évoqué ce point plus haut. C’est l’argument principal soulevé par les propriétaires, qui craignent que leur chienne ou leur chatte ne soit pas heureuse si elle n’a pas de cycles, ou pas de petits. J’ai cherché pendant des années comment le faire admettre à ceux qui ne peuvent concevoir le bonheur sans enfant. Ou qui trouvent que ce n’est pas naturel. Finalement, c’est un documentaire sur les loups qui m’a donné un argument qui marche presque à tous les coups : dans une meute, seul le couple alpha se reproduit. Les autres ne sont pas malheureux pour autant, et c’est naturel. Notez que pour approximative qu’elle soit, la comparaison marche aussi pour expliquer aux maîtres qu’ils doivent être les maîtres, et qu’un chien dominé n’est pas un chien malheureux.

Et votre chienne ne vous en voudra pas, pas plus que votre chatte.

La perte de caractère

Non, une chienne stérilisée, pas plus qu’un chien castré, ne perd son identité, son caractère, son envie de jouer avec vous, de se barrer chasser les lapins ou rassembler les moutons.

Les ovaires, pas plus que les testicules, ne sont le siège de la personnalité et de l’intelligence.

Les chirurgies exotiques

Non, n’enlever qu’un ovaire, ça ne sert à rien. Je n’ai toujours pas compris pourquoi certains vétérinaires pratiquaient cette opération (des anciens, en général). Si quelqu’un a un indice ? J’ai suppose à un moment qu’ils n’enlevaient que le plus facile à atteindre, et ligaturaient l’autre trompe, histoire de simplifier la chirurgie, mais… en fait je n’en sais rien. Cela dit ça fait dix ans que je n’en ai pas vu.

N’enlever que l’utérus, c’est garder à peu près tous les inconvénients des cycles sexuels, pour n’avoir qu’un avantage, l’absence de gestation. Cliper ou ligaturer les trompes, idem.

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Lutter contre les déserts médicaux

La solution est simple, connue. Mais pourquoi donc aucun officiel ne veut-il la proposer ni la mettre en oeuvre ?


Coups de coeur, coups de gueule

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