Archives quotidiennes : 1 mai 2007

De l’importance de ne pas détester Mme Y

Les vraies ornières, les vraies difficultés dans sa relation au patient ne sont pas nécessairement là où on les imagine de prime abord.

Certes, la pédiatrie, par exemple, lorsqu’on quitte le cadre des maladies « classiques », bien codifiées et souvent bénignes parce que bien pris en charge, cela peut être dur, comme on l’imaginait.
Parce que voir une dysmorphie à la naissance, associée à d’évidents problèmes moteurs, voir qu’il y a effectivement un problème, mais, en dépit des analyses ne pas trouver lequel, et n’avoir au final que l’anxiété de l’attente à offrir aux parents, ce n’est pas facile. Comme ce n’est pas évident de voir une mère s’effondrer dans le couloir au mot « ponction lombaire », d’avoir envie de la rassurer avec la certitude que ça ira, mais sans pouvoir le faire, pas encore, pas sans les résultats.

Certes façon générale, en pédiatrie ou ailleurs, beaucoup de choses sont dures (le spectre de ce terme allant de pénible à atroce) pour le patient ou la familles, et pas toujours évidentes pour l’étudiant -ou le médecin j’imagine. Pas évident l’intox volontaire au paracétamol qui, à 18 ans, vient de foutre son foie en l’air et d’acheter un ticket simple pour la greffe de foie. Pas évident Mr W qui pleure devant vous, parce qu’il a peur, et qu’il a bien raison.

Mais on le savait. C’était, quelque part, non formulé, mais compris dans le contrat. Tu seras confronté à des choses pas jolies jolies, tu seras aussi impuisant, parfois indifférent, et parfois ça éveillera des choses pas nettes en toi. Parfois tu seras même considéré comme le « salaud de docteur », et si ça aide ton malade à dormir la nuit, pourquoi pas.

Alors du coup, on s’arme comme on peut, souvent mal, et ensuite on évacue comme on peut, on le savait, on l’a choisi, on s’en plaint parfois, mais on essaie de faire avec, de sortir, boire, courrir, rire ou manger, diluer tout ça dans la normalité.

Ce qu’on imaginait pas,  c’est tout le reste, tout ce qui sort du cliché, qu’on ne pensait pas devoir gérer, mais qu’il faut quand même intégrer et assumer.
Ca m’a sauté au visage lors de ma dernière garde aux Urgences.

Mme Y me poursuivait dans le couloir, brandissant sa canne, me houspillant et me reprochant de ne pas s’occuper d’elle, affirmant avec aplomb qu’elle était une Urgence Absolue, ne voyant manifestement pas l’absurde contraste entre ses mots et son comportement.
J’avais très envie de lui prendre la canne des mains, et avec de lui péter ses genoux à cette Mme Y et être ainsi sûre qu’une fois remise sur son brancard, elle y reste.

L’anévryse de mon agacement s’est soudain rompu et j’en ai eu marre, de devoir justifier de mes actes, d’entendre remis en question nos protocoles d’accueil, de m’excuser auprès des patients pour une attente qui n’est pas de mon fait.
Il était très tard, ou plutôt très tôt j’en avais assez, pire j’en voulais à la pile de dossier « tri 4 » qui attendaient dans leur coin. Je leur en ai voulu d’être là, à Mme Y et aux autres, et ce ressentiment n’aurait pas du être, car il me fermait à eux. On a souvent des « syndromes méditerranéens » aux Urgences (oui c’est une image très fine pour désigner les hypochondriaques, mais sinon on a rien contre les marseillais hein), mais le piège est que tout ce qui se présente comme tel, qu’on a envie d’étiquetter « grosse chochotte hyponchondriaque » n’en n’est pas forcément un. Et si ce soir là, ma lassitude et mon agacement n’ont pas eu de conséquences, parce que il y a toujours quelqu’un pour passer derrière moi, et que par chance je n’avais rien laissé passé (car il n’y avait rien) je sais que ce n’est pas viable à long terme.
Quand les gens se dispersent et vous font l’historique de leurs rhumes depuis 1972, vous parlent d’un mal là, et là, mais aussi ici, et puis là ; c’est à vous d’être systématique et de rester construit et cohérent. Mais je n’y parvenais pas ce soir là, je me dispersais aussi, oubliant mon fameux plan d’observ et d’examen, qui pourtant, à force d’habitude, m’est quasiment devenu sous-cortical.

Je ne l’avais pas vue venir, la difficulté de savoir rester pro malgré la connerie de certains, malgré la mauvaise foi et le mépris ou la simple antipathie.
De ne pas répondre à cela en miroir mais savoir voir au delà, ne pas étiquetter trop vite, ne pas négliger inconsciemment parce qu’antipathique.
C’est plus dur à maitriser que le reste, que les extrêmes qui éprouvent mais appelent à eux tous les moyens pour les dépasser, pour ne pas rester impuissant. On voyait les difficultés « nobles » et évidentes, la souffrance et la mort, sans voir les quotidiennes, bien plus piégeuses.
C’est plus dur à maitriser car moins aigu et quotidien, presque anondin, et parfois inconscient.
Si je foire, le patient n’est pas foudroyé sur place, ne tombe pas en asystolie sous mes yeux, non, il rentre chez lui, les conséquences ne seront peut être pas immédiates, mais elles seront là, j’aurai foiré, je serai peut être passée à côté de quelque chose, j’aurai retardé sa prise en charge.

Je n’aurai pas su voir la pathologie derrière la chiantise, et aux dernières nouvelles, les cons étant plus nombreux que les agonisants, ce serai pire que tout.

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