Archives mensuelles : avril 2007

Gériatre, une profession d’avenir.

Il y a une chose plus exaspérante que tout, c’est les rélexions gentilles mais pleines de condescendance larvée qu’on vous assène si vous êtes une fille et que vous parlez de votre stage en pédiatrie, ou que vous envisagez d’être pédiatre.
« oh oui, c’est mignon les gosses », etc etc. Ce qui, si on ajoute les sous titres veut dire « ah ces utérus sur pattes, dès que ça voit un gamin, ça perd toute dignité ».
Si vous êtes un mec, c’est une preuve d’humanité et de sensibilité toute particulière que de vous intéresser aux gosses.
Si vous êtes une nana, c’est parce que vos hormones vous travaillent et que vous avez décider de vous éclater en faisant gouzi gouzi toute votre vie durant.

Alors que, par exemple, quelqu’un qui choisit la gériatrie n’aura jamais droit à ces réflexions condescendantes, pourtant la gériatrie c’est aussi drôle et mignon que la ped.

– Les couches ? Elles y sont dans les deux cas. Alllez allez, ne te voile pas la face, lecteur, tu es assez grand pour entendre ce genre de vérité, tu n’es pas comme ces femmes enceintes pour la première fois à qui personne n’ose dire qu’elles ont une bonne chance de se déféquer dessus lors du plus beau moment de leur vie (il ne faut pas gâcher le plaisir en révélant cela à l’avance).

– Les arts plastiques que savent faire les gamins plus grands ? Ils y sont toujours. Du point de croix, à la fresque en caca sur les murs (pour les plus évolués), tous trouvent un moyen d’exprimer leur extraordinaire créativité.

– Les deux sont taquins.
Si vous demandez à un gamin « et tu as mal, ? », comme c’est influençable un gamin, il répondra quasi immanquablement « oui’. Vous en serez pour vos frais, vous devrez ravaler le « et tu te foutrais pas un peu de ma gueule là ? », et trouver un autre moyen de savoir où il a mal vraiment.
Si vous demandez la même chose à un petit vieux, il se peut qu’il vous répondre « Gare du Nord, j’attends le train », auquel cas vous revoilà exactement dans la même situation. Sauf que vous aurez un fou rire à gérer en plus.

– Les deux sont contagieux. De principe.
Si vous faites un stage en pédiatrie en période de bronchiolite, vous avez toutes les chances de vous chopper une toux. Si vous le faites en période de gastro…
Et si vous n’avez pas fait la varicelle, vous allez immanquablement saisir l’occasion, tel le petit veinard que vous êtes.
En gériatrie ce n’est pas la même flore bactérienne, mais c’est le même topo. Un ami, qui, comme moi, faisait AideSoignant en maison de retraite l’été, a (contrairement à moi), réussi à y choper la gale. La classe.

– Les deux sont surprenants au quotidien.
Vous pouvez voir un gamin de 8ans remercier l’aide soignante qui remporte son plateau repas d’un « Je vous remercie infimiment, c’était excellent », ce qui, d’une part vous prouve qu’il existe des gosses bien élevés (ma bonne dame), d’autre part vous donne la furieuse envie de prolonger son hospitalisation de quelques jours. Trouver un plateau repas d’hôpital excellent, est forcément le symptôme de quelque chose. Au moins de mythomanie.
Vous pouvez aussi croiser une petite vieille dans l’ascenceur, en revenant de la radio qui se trouve 4 étages sous votre service, et voir, en réponse à votre obligeant « Quel étage, madame ? », la petite vieille enfoncer le bouton de l’étage de gériatrie aiguë en vous assenant, l’air triomphant « Moi je vais au 8ème merci ». Ce qui en soit est perturbant, mais l’est d’autant plus quand on sait qu’il n’y a que quatres étages.

– Les deux ont des prénoms ridicules, rarement dans le même genre (quoique). Entre Roberte ou Britney… que choisir ? Mais surtout, pourquoi, pourquoi, faire ça à un enfant (encore) innocent ?
En prévision de toutes les conneries qu’il fera plus tard, vous lui offrez un passeport pour se faire lapider au quotidien dans la cour de récré ? Alors, allez y, lâchez vous.

Et enfin, la gériatrie a même des avantages. Alors, la prochaine fois, soyez condescendants avec les pédiatres ET les gériatres
– Un vieux, ça se drogue. Regardez les médicaments que prend boulotte votre grand mère. Je suis prête à parier qu’au milieu des vitamines et des trucs pour le coeur, vous aurez de l’haldol ou du rivotril. Ca aide à dormir, ça calme les angoisses. Appliquer la même logique à un gosse est certes fort tentant, mais n’est pas une pratique qui fait consensus dans le monde médical.

– Si mamie se pète la hanche, on la confie à l’orthopédiste. Mais quand vous essaiez de vérifier que les hanches d’un ancien prématuré qui vient d’atteindre les 2kg300 g ne sont pas instables, vous avez l’impression que quelque chose va vous rester entre les doigts et que vous n’aurez alors d’autre choix que vous retourner vers la mère un peu méfiante dans son coin de chambre, pour lui laisser le choix « vous préférez l’aîle ou la cuisse ? ».

– Et enfin, gros gros avantage de la gériatrie, et qui rend la pédiatrie bien moins fun de nos jours :
Il n’y a pas de parents. Parce que quand quelqu’un est suffisament vieux pour vous faire un alzeihmer galopant, en général, c’est que ses parents boulottent des pissenlits depuis un moment.

Et ça c’est grandiose, parce que vous pouvez faire un examen clinique sans avoir l’impression que l’oeil de dieu est sur vous. (Rien n’est plus stressant qu’une mère inquiète, ou même curieuse. Je veux dire, faire tomber un bébé discrétos, pas de problème… Mais si les parents sont là… aaaah…).
Il paraît qu’à une époque bénie, avant l’avènement des chambres « mères enfant » dans les services, certains externes sussuraient à des gosses d’un ton apaisant et doucereux « mais qu’est ce que t’es laid(e) toi. oh làlà, tu vas en avoir du mal à trouver une nana plus tard », (Françoise Dolto, si tu me lis, cesse de te retourner dans ta tombe).
Si les préma sont des crevettes hallucinantes de fragilités et au delà des vannes, certains nouveaux nés tiennent plus de la baudroie que de l’être humain. Alors évidemment, ce genre de phrase ça passe toujours par nos têtes (au moins par la mienne), mais ne franchissent jamais mes lèvres, parce que si la mère entre à ce moment là, je suis bonne pour devoir lui expliquer que « mais non, une tête de baudroie, c’est pas grave, ça passe souvent en grandissant, et au pire, on fera de lui un orthopédiste ».
Et là, franchement, le prosélytisme pour l’ortho, c’est au dessus de mes forces.

Continuer la lecture

Commentaires fermés sur Gériatre, une profession d’avenir.

Comment Dr House m’a convaincue

Il aura suffit d’un seul geste pour que Dr House me persuade de ses talents, un trait de génie à vrai dire. Je le regardais, détente de fin de journée, amusée par le personnage mais dubitative quand à la médecine spectacle ainsi mise en scène, quand soudain m’a réserve m’a entièrement abandonnée.

Le patient suffoque. Dr House, très pro, s’empare de son stéthoscope, l’enfonce précipitamment dans ses oreilles et ausculte soigneusement le type avant d’annoncer « ses poumons sont en train de se remplir d’eau ».
Là, je n’ai pas peur de le dire, je reconnais en lui un frère.
Parce qu’avec son stétho enfoncé à l’envers dans ses oreilles (oui oui il y a un avant et un arrière à cette chose), ce brave homme n’a guère entendu que le battement du sang dans ses propres oreilles. Mais, avec l’aplomb du stagiaire de deuxième année qui se dit que si personne ne se rend compte qu’il ne sait pas ce qu’il fait et qu’il n’entend ni souffle au coeur, ni battement de coeur, ce n’est pas grave, il pourra garder ce petit secret pour lui et vivre avec sans trop de problème -et accessoirement essayer plus tard de comprendre comment ça marche tout ça, il ne s’est pas laissé démonté, a fini son examen et pondu son diagnostic avec un culot monstre.
Petit effronté.

Moi je dis, avoir aussi bien cernés quelle bande de charlatants nous sommes, chapeau. Quelle intelligence, quelle sensibilité dans la perception du monde médical…
La prochaine fois que télérama fait un article sur les séries américaines, je leur écrirai pour dire tout le bien que j’en pense.

Continuer la lecture

Commentaires fermés sur Comment Dr House m’a convaincue

Joyeuses Pâques

Jeudi matin avait un goût de fin du monde, les urgences avaient implosé pendant la nuit et personne n’était parvenu à aller se coucher. 6h du mat dans le bureau médical, nous nous reposions enfin, échangeant les vannes en regardant d’un oeil torve les éclairs d’un gyrophare qui nous parvenaient au travers du verre dépoli de la fenêtre. Mais ils ont que ça a foutre les gens à 6h du mat ?
Derrière la détente qui venait enfin, derrière la lassitude et les vannes fatiguées, M X était là, et je savais déjà qu’il le resterai longtemps, pour moi. Il est de ses patients dont j’ai du mal à me détacher, qui me poursuivent. Je dors quand même la nuit, mais ils sont là au détour des pensées, ressurgissent à l’occasion d’un cours, d’un stage, d’une conversation.
Son histoire cristalise ce qui me fascine et me terrifie à la fois dans ce métier, l’instant où tout bascule, où vous savez que c’est très très très mauvais, et qu’une fois que vous l’aurez dit au patient, plus rien ne sera pareil.

Mr X, 34 ans, amené par les pompiers avait totalement récupéré de sa PC*, et s’attendait à devoir subir un bref examen, puis à rentrer chez lui. Il avait mangé un truc pas très frais, et se disait qu’après tout, c’était peut être ça. Raisonnement bancal mais rassurant.
Mais bancal. Sa PC était louche. Manifestement convulsive. Hématomes des membres, morsure latérale de langue etc.
Sympathique comme tout, il était presque embarassé d’être venu.
Mais son histoire ne sentait pas bon, (et en plus il était marié et avait des enfants en bas âge, et c’est bien connu, la probabilité que tu aies un problème grave est directement proportionnelle à ta gentillesse, la sympathie qu’on a pour toi, ta jeunesse et le nombre d’âmes à charges que tu as), et lorsqu’il a compris qu’il serait hospitalisé au moins deux jours pour « un bilan », que ça justifiait des examens, il en est tombé des nues.

Si nous avions été dans une série américaine, il y aurait eu un plan de moi, de ma mine attérée devant son scanner cérébral que je regardais sur le négatoscope, qui confirmaient mon intuition, alors que j’aurais tant voulu me tromper.
Puis il aurait eu un fondu enchaîné sur une salle de neurochirurgie, ou sur un traitement encore à l’essai et hasardeux en réalité que les scénaristes auraient présenté comme le traitement miracle ; sur des perfs qui gouttent, avec à l’arrière plan du tissu bleu, des mines graves, et les dessins que ses gosses ne manqueront pas de lui faire.
Et finalement, la sortie les retrouvailles un après midi d’été, le retour chez soi, et la fin en suspens. L’espoir.
Mais dans l’ellipse toujours optimiste de ces séries, vous ne verrez jamais les inoppérés, la survie moyenne médiocre, les pronostics effroyables dès que les stades précoces sont dépassés (dans ce cas précis hein), les effets indésirables de la chir, la vie qui s’arrête là pour tant d’entre eux.

On ne balance pas un diagnostic effroyable à deux heures du matin, dans un glauquissime couloir d’urgence. On ne prononce pas « tumeur cérébrale » (et le premier mot n’est pas loin de s’écrire en deux), pas quand le diagnostic n’est pas suffisamment documenté pour pouvoir expliquer quelle thérapie on va mettre en place, pas quand on est pas spécialiste soi même et qu’on ne peut apporter un espoir en même temps, qu’on en sait juste assez pour savoir que c’est mauvais, mais trop peu pour savoir à quel point.
Mon interne et moi nous sommes donc bornés à dire « il y a une anomalie, qu’il faut documenter à l’IRM », et avons répondu à « vous ne savez pas ce que c’est, cette anomalie ? », par une formule usée et haissable « non, il est trop tôt pour pouvoir être affirmatif ».

M X s’est contenté de cette réponse, il a refermé les yeux en attendant le brancardier qui devait l’emmener en neuro. Il commençait peut être à comprendre que ça pouvait être mauvais, et préferait ne pas savoir, acheter encore un peu de tranquillité.

Du poste de soin je l’observais, il était là, cet instant où la vie bascule, cet instant incompréhensible et effrayant, il était sous mes yeux et somnolait sur son brancard.
Et savoir avant lui, savoir qu’il s’embarquait pour un long chemin de croix (je fais des métaphores de circonstance), à l’issue plus qu’incertaine, que demain, après demain sa vie et celle de ses proche serait changée à jamais, me donnait presque la nausée.
L’impression obcène d’avoir surpris un secret intime, et d’en être l’illégitime détentrice.

Que sa vie, leurs vies si vous incluez sa femme et ses gosses, jusque là si banalement heureuses, puissent être si intensément bouleversées à la suite d’un symptôme qui leur paraissait minime de prime abord, me paraissait absurde, et faisait ressortir avec une violence aveuglante leur fragilité absolue.

Et à son échelle, cela suscitait en moi, la même fascination morbide et la même détresse sans objet (« sans objet » car il n’y a rien de plus obsène à mon avis que de prétendre s’approprier la souffrance d’un autre) qu’une catastrophe dont les images vous inondent ou la mort d’un des patients que je suis en stage.

L’épuisement aidant, j’ai dormi ce matin là, mais en ouvrant les yeux, M X était là.

*PC = Perte de conscience (bien noté Gaël)

Continuer la lecture

Commentaires fermés sur Joyeuses Pâques